RÉPUBLIQUE TUNISIENNE | MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES IDENTIFICATION DES MÉNAGES PAUVRES ET VULNÉRABLES EN TUNISIE Résumé exécutif du rapport technique de ciblage sur le modèle d’approximation des moyens D epuis plusieurs décennies, la Tunisie fournit des efforts considérables pour mettre en place différents programmes de protection sociale, contributifs et non contributifs, dans le but d’intégrer tous les segments de la population et d’atteindre une couverture universelle des services essentiels. Néanmoins, l’historique de l’évolution de ces programmes a conduit à de multiples mécanismes d’identification et à des registres indépendants des bénéficiaires pour chaque programme. Malgré les efforts déployés, les programmes sociaux restent fragmentés et mal ciblés (Ben Cheikh et al. 2017, ILO 2011), y compris les deux principaux programmes nationaux d’assistance sociale  : le Programme National d’Aide aux Familles Nécessiteuses (PNAFN) qui fournit un transfert monétaire avec sa composante d’assistance médicale gratuite (AMG1) et le programme d’assistance médicale à tarifs réduits (AMG2). Ces deux programmes à l’heure actuelle couvrent actuellement environ 30 % de la population. Les processus et les critères de sélection utilisés par ces programmes sont extrêmement complexes (Ministère des Affaires sociales (MAS) et Ministère de l’Intérieur, 2011), en reposant essentiellement sur les travailleurs sociaux et les comités locaux et régionaux. Ils impliquent plusieurs éléments, y compris l’estimation du revenu ainsi que des critères supplémentaires sur la situation socioéconomique et démographique des ménages. Puisque les situations des postulants sont différentes sur ces multiples critères, il est délicat et difficile de décider la priorité finale des postulants. Cette complexité est aussi sujette aux hétérogénéités dans l’application de ces critères sur le terrain. En effet, moins de la moitié des bénéficiaires des deux programmes appartient au quintile le plus pauvre (l’Institut National de la Statistique (INS), 2015). De plus, en l’absence de mécanisme de rectification et d’actualisation des données, environ 30 % des bénéficiaires PNAFN sont dans le programme depuis plus de 20 ans (Ben Cheikh et al. 2017). Face à cette situation, le gouvernement a lancé en 2013 la réforme de la protection sociale visant la création d’un système national intégré, financièrement viable et mieux ciblé. Par conséquent, de nombreuses initiatives ont été entamées pour réformer la politique sociale et moderniser les principaux éléments du système de protection sociale, y compris les systèmes de prestation d’assistance sociale pour la population pauvre et vulnérable. Á cet effet, le Parlement a adopté en janvier 2019 la première loi sur l’assistance sociale : la loi organique « AMEN Social » dont un article vise à adopter une nouvelle approche pour identifier la population pauvre et vulnérable. Spécifiquement, cet article énonce les principes de l’identification et d’enregistrement des bénéficiaires des programmes sociaux en utilisant des critères transparents, objectifs, et équitables ainsi que le modèle de notation « scoring » de ciblage (MAS arrêté 2020). Ce « score », un indice multidimensionnel de niveau de vie, est calculé en utilisant l’ensemble des variables observables des ménages et en se basant sur une estimation statistique (appelée le modèle d’approximation des moyens (Proxy Means Test (PMT)). Le recours au modèle PMT est fortement justifié pour le cas de la Tunisie, étant donné que les informations complètes et fiables sur le revenu des individus ne sont pas disponibles et l’application de « Test de Moyens (Means Test) » n’est pas faisable comme dans les pays de haut niveau de formalité. Par conséquent, comme un premier modèle, le PMT a été conçu en utilisant l’Enquête Nationale sur le Budget, la Consommation et le Niveau de Vie des ménages (ENBCM) de l’année 2015 de l’INS, en se référant aux bonnes pratiques. Les résultats montrent que l’adaptation du PMT permettra d’améliorer nettement le niveau de performance de ciblage par rapport à la situation actuelle où on ne trouve que 43 % des bénéficiaires PNAFN/AMG1 et AMG2 dans les 20 % les plus pauvres. Le PMT arrive à classifier correctement 62 % de la population du premier quintile, et 15 % dans le décile suivant (i.e., le troisième décile inferieur – c’est-à-dire qu’ils étaient très proches d’atteindre le classement correct.). Avec un taux de couverture plus élevé, ce taux de précision évolue à 71 % pour un programme dont la couverture est de 30 %, et à 76 % pour un programme dont la couverture est de 40 %. Ces résultats indiquent que le PMT peut également combler les besoins d’identifier les populations cibles des programmes différents envisagés pour compenser non seulement les pauvres mais aussi les vulnérables et la classe moyenne (ex. les transferts d’urgence contre la pandémie). De plus, les critères d’exclusion peuvent apporter des valeurs supplémentaires, en orientant plus d’avantages vers les 10 % les plus pauvres de la population. D’ailleurs, le modèle développé a été appliqué aux données du MAS, en confirmant que ledit modèle fonctionne bien dans la pratique sur les données des ménages actuels. En termes des étapes prochaines, la priorité immédiate est de lancer la mise en œuvre de la nouvelle approche de ciblage, étant donné que la loi « AMEN Social  » est entrée en vigueur il y a 2 ans et les décrets et arrêté d’applications ont été publiés en mai 2020. Le déploiement implique non seulement le score, mais aussi des critères d’exclusion et d’autres systèmes/processus d’accompagnement tels que la gestion des réclamations. L’application progressive commencera avec les nouveaux postulants, et il est important que la première phase de ce démarrage soit soigneusement évaluée pour voir comment ces nouvelles approches fonctionnent et sont perçues sur le terrain, apportant ainsi les ajustements nécessaires sur le modèle du ciblage, les critères d’éligibilité et tous les processus associés. En parallèle, il faut accélérer la finalisation de la banque des données du MAS qui détermine directement la qualité et la portée de la mise en œuvre de cette nouvelle approche de ciblage. Malgré les progrès accomplis au cours des cinq dernières années, il n’y a que 13 % de la population (soit 436 mille ménages) dont les informations complètes y ont été recueillies. Comparé aux expériences dans d’autres pays, ce type de collecte est généralement effectué dans un délai d’un an afin de garantir l’intégrité et la pertinence des données. À cet effet, la priorité est d’atteindre le taux de réalisation de 30 % de la population, en se concentrant sur tous les bénéficiaires et les postulants du PNAFN et de l’AMG1/2, dans un laps de temps court. En parallèle, des discussions ont été menées sur la possibilité d’étendre sa couverture à une population plus large, y compris d’autres groupes de classes sociales tels que la population moins pauvre mais fragile. Á moyen et long terme, un registre intégré et plus large pourrait finalement permettre d’identifier les différentes populations ciblées pour mieux faire face à des crises imprévues (ex. COVID-19) et d’autres programmes sociaux au-delà du MAS (ex. Ministère de la Femme, Famille et Jeunesse, réforme des subventions). Finalement, il est important de rappeler qu’aucune méthode de ciblage n’est parfaite. Par conception et par nature, la performance du ciblage s’améliore au fur et à mesure que le travail analytique évolue avec la disponibilité de plus de sources de données et l’amélioration de leur qualité. Pour aller de l’avant, la collaboration interministérielle guidée par les dirigeants politiques est une condition préalable au succès. Par exemple, il est essentiel de faciliter les réformes clés et réglementaires d’accès et échange des données interministérielles. Dans ce même cadre, une étude supplémentaire doit être menée pour explorer un autre modèle (appelé le modèle de vérification hybride des moyens (Hybride Means Test (HMT)), en renforçant le partenariat officiel au-delà du secteur de protection sociale, tel que l’INS et d’autres administrations, comme le Ministère des Finances (Contrôle Général d’Impôt) qui dispose des données nécessaires pour l’exploitation du modèle HMT.