Malicounda-Bambara: La suite Notes CA Une révolution locale n l’espace de moins de quatre Cependant, les participantes E ans, une initiative locale pour l’abandon de la pratique de décidèrent qu’elles avaient un objectif prioritaire mis à part le l’infibulation (excision) qui émanait développement d’activités Notes sur les Connaissances Autochtones d’un seul village du centre du permettant de générer des revenus, Sénégal, s’est étendue à plus de 200 la mise en place de programmes de communautés dans tout le pays ainsi puériculture, le lancement qu’à plusieurs autres pays africains. d’initiative d’amélioration de Le mode et la manière dont cela s’est l’hygiène au niveau du village, etc. produit présentent plusieurs Cet objectif était de faire en sorte que enseignements et soulèvent quelques les habitants du village se questions concernant la manière débarrassent une fois pour toute la dont la culture autochtone se pratique de la circoncision féminine. renouvelle. Les bambaras sont parmi les groupes ethniques du Sénégal qui observent L ’expérience du village de cette pratique. Au cours de la forma- Malicounda-Bambara dans la région tion, des femmes ont fait part de de Thies au centre du Sénégal a été leurs douloureuses expériences relaté dans un numéro de Notes CA, personnelles concernant ce sujet. intitulé ‘’Les femmes sénégalaises Elles l’ont évoqué avec la conscience refont leur culture ‘’ (Octobre 1998, nouvellement acquise des droits des no.3). Cependant la suite de cette femmes. Ainsi, elles approchèrent expérience s’est également avérée les autorités locales et d’autres très instructive. villageois afin de gagner leur appui Un bref rappel des dimensions de pour une déclaration commune l’initiative originale et des principaux d’intention d’abandon de la pratique. No. 31 évènements qui ont suivi, est Leur tentative eu du succès. Le 31 essentiel. Avril 2001 Les Notes CA sont des rapports périodiques sur les initiatives en matière de Au départ Connaissances Autochtones en Afrique subsaharienne. Elles sont publiées par le Entre 1995 et 1997, des femmes et Centre pour la gestion de l’information et de quelques hommes du village de la connaissance (Knowledge and Learning Malicoumba-Bambara ont pris part à Center) de la Région Afrique, qui représente un programme de formation la Banque mondiale dans le cadre d’un partenariat établi avec des communautés, informel parrainé par l’ONG basée a des ONG, des institutions du développement Dakar : ‘’Tostam». Le programme et des organisations multilatérales. Les traitait des méthodes de résolution opinions exprimées dans cet article sont des problèmes (methods of problem- celles des auteurs et ne devraient pas être Banque mondiale attribuées au Groupe de la Banque mondiale solving), de différents thèmes ou à ses partenaires dans le cadre de cette concernant la santé des femmes, et initiative. Une page sur les CA est disponible comprenait des cours d’initiation à sur l’internet aux coordonnées suivantes : l’écriture et à la lecture http://www.worldbank.org/aftdr/ik/ default.htm (alphabétisation). 2 juillet 1997, les villageois de Malicounda firent une • Éviter d’utiliser des expressions imagées ou des déclaration renonçant à jamais à la pratique, face à une démonstrations. Évoquer l’infibulation en utilisant des vingtaine de journalistes invités pour l’occasion. termes tels que « la coutume », et tout le monde saura de quoi il s’agit. En Bambara sénégalais, « coutumes » L’évènement eut relativement peu de publicité, bien au pluriel indique toute une série de traditions qu’elle se fit certainement plus de bouche à oreille que culturelles, alors qu’au singulier il fait référence à par le biais des médias écrits ou audiovisuels. Il y eut l’infibulation seulement. immédiatement quelques oppositions qui se sont exprimées, autant en réaction au fait que des femmes • Éviter de condamner les praticiens implicitement ou aient osé parler publiquement de circoncision féminine explicitement. Ils ont été de bonne foi. que de la manifestation de leur opposition à cette pra- tique. Malgré la controverse, un village voisin (Ngerigne- Bambara) où se déroulait également une formation Sur la base de ces arguments, l’imam, accompagné des parrainée par Tostan, décida d’imiter l’exemple de « exiceuses » de Kër Simbara et de son propre neveu, Malikounda; conduit par une femme, elle-même entreprit de visiter une dizaine d’autres villages de la ‘’exiceuse» traditionnelle. D’autre part, un autre village, communauté. Ce fut une expérience très instructive. Les celui de Kër Simbara n’allait pas tarder à suivre. femmes s’ouvrirent et racontèrent des récits de filles mortes pour cause d’hémorragie, d’autres qui ont contractés des infections ou subi des traumatismes Le tournant psychologiques, provoqués par l’infibulation. Ceux qui la L’imam de Kër Simbara, un chef religieux âgé de 66 ans pratiquaient ont également parlé de changer les très respecté dans la région, se préoccupa de la situation coutumes. Les hommes se joignirent aux conversations et entrepris de s’en entretenir avec les représentants de en faisant part de leurs réflexions. Tostan et des femmes de Malicounda-Bambara. Il n’était C’est ainsi qu’une dizaine de villages décidèrent de pas contre la suppression de la pratique de l’infibulation, rejoindre les rangs de ceux qui s’étaient déclarés contre au contraire, il déclara être un grand supporter de la cette pratique de mutilation. Une cinquantaine de cause des femmes de Malicounda. Il ajouta cependant personnes représentants prés de 8 000 ruraux de ces vil- qu’il y avait deux problèmes qui se posaient concernant la lages et de ceux de Malicouda-Bambara, Nguerigne- manière dont les choses étaient faites. Bamabara et Kër Simbara, se réunirent au village de Tout d’abord il avança qu’un seul village ne peut agir Diabougou et, le 15 février 1998, déclarèrent  efficacement. « Nous faisons partie d’une communauté officiellement : « plus jamais d’infibulation !». La où se pratique le mariage inter-communautaire; et à nouvelle se répandit. moins que tous les villages prennent part à l’initiative, Le mouvement s’étendit par la suite au sud du Sénégal vous vous trouverez en train de retirer à des parents la au-delà de la Gambie en pays Fulani ou l’infabulation se possibilité de marier leurs filles. Deuxièmement, il y a un pratiquent traditionnellement. Ici, un ensemble de véritable problème de langue et d’approche ». « Il s’agit quatorze villages avec quatre autres communautés qui de sujets tabous », déclara-t-il. « Il ne faut pas les leur sont liées se décidèrent à agir dans leur propre aborder légèrement. Les gens qui dans le passé ont mené région et, dans le village de Medina Cherif, la bataille contre l’infibulation ont utilisé des termes, des promulguèrent une déclaration commune le 12 juin 1998 images et des photos que les villageois considèrent contre la pratique. choquants. Ils ont traité la pratique comme une maladie à éradiquer et ses adeptes comme des parias sociaux. Ceci n’est pas la bonne méthode pour changer certains aspects Une stratégie locale de dissémination d’une culture », a ajouté l’Imam. Ces interlocuteurs Avant de poursuivre, une pause s’impose pour réfléchir furent d’accord et considérèrent qu’ensemble ils sur ce qui s’est passé, afin de mieux comprendre la suite devraient ébaucher une stratégie en la matière, qui des évènements, c’est à dire les succès et les oppositions consisterait à : rencontrées, ainsi que les enseignements à tirer. La • Se rendre dans tous les villages de la communauté et stratégie développée au niveau local possédait trois réaffirmer les liens personnels. éléments distincts. • Ne pas dire aux villageois ce qu’ils doivent faire. Leur Le premier était la nature collective (plutôt dire plutôt ce qui fut accompli à Malicounda-Bambara et qu’individuelle) de l’approche, car on a explicitement Nguerigne-Bambara et pourquoi ? Les laisser ensuite reconnu que les familles ne pouvaient abandonner une parler de leur situation et prendre leurs propres pratique bien enracinée dans la culture locale s’il n’existe décisions. 3 pas de volonté collective de changer certaines des motiva- et les organisateurs — ont fait des présentations devant le tions et au moins quelques-unes des conditions objectives parlement britannique, le ministère allemand de la qui contribuent à son maintien. C’est ainsi que treize vil- coopération et du développement, l’Union européenne à lages avec des liens existants entre eux se sont affiliés, Bruxelles, la Conférence sur les Droits des Femmes à changèrent les exigences liées au mariage et créèrent les Washington DC et divers comités des Nations Unies à conditions nécessaires pour que les gens puissent New York. De manière plus significative encore, ils se exprimer leur solidarité communautaire en renonçant à sont rendus dans les pays voisins du Burkina Faso et du la pratique. Mali pour parler à des femmes confrontées au même problème. Mais l’attention extérieure a aussi ces mauvais Le second élément fut son enracinement dans le côtés. Le serment de Malicounda (sur l’abolition de la contexte local avec l’évocation de certaines des valeurs et circoncision féminine) présenté par le président du pratiques les plus importantes, telles que l’amour paren- Sénégal Abdou Diouf — significatif, même si lui même tal, la piété religieuse (musulmane). C’est ainsi que le appartient à l’ethnie wolof qui ne connaît pas cette pra- mouvement en faveur de l’abandon de l’infibulation tique — a été par la suite suivi par l’assemblée nationale apparut comme émanant des communautés elles-mêmes, qui passa une loi abolissant l’infibulation et instaurant de plutôt que comme une exigence venant de l’extérieur. sévères pénalités pour ceux qui passeraient outre Personne n’a parlé de l’infibulation comme s’il s’agissait l’interdit. Les alliés de Tostan se précipitèrent alors à de la peste qu’il s’agirait d’éradiquer, mais plutôt d’une Dakar pour s’exprimer contre le passage de la loi, parce pratique à «abandonner » — un acte conscient de ceux qu’ils étaient convaincus qu’une interdiction officielle et qui sont le plus directement concernés. En outre, la des sanctions n’étaient pas les bonnes méthodes à suivre. présence d’un imam pour rappeler que l’Islam n’a jamais La loi, ont-ils avancés devrait suivre et modeler les préconisé une telle pratique s’est avéré des plus utiles. changements de pratiques émanant de la base et non D’autre part, les hommes n’étaient en aucune manière essayer de les dicter. Comme le dit l’imam de Kër exclus, en fait leur appui a été essentiel au succès du Simbara : «Essayer de dire au peuple Bambara ce qu’il mouvement. doit faire concernant ces propres coutumes et vous faites Finalement, la méthode utilisée était responsabilisant, de la provocation ». Il avait raison, la loi fut passée en permettant aux membres de chaque communauté de malgré l’avertissement et une protestation générale prendre l’initiative. Elle place le problème de s’ensuivit. En guise de désaccord, une exiseuse a promis l’infibulation dans le cadre général de la santé des de pas faire moins de 120 « circoncisions » le jour femmes, sujet qui concerne également les hommes. Le suivant. résultat fut que non seulement les gens agissaient selon leur propre volonté mais qu’ils étaient également prêts à Garder le mouvement en vie disséminer la bonne parole. Sur le terrain les choses suivirent un cours différent. L’imam et d’anciennes exciseuses de Kër Simbara et Agir sur deux fronts Nguerigne-Bambara ont pu toucher un autre groupe de C’est ainsi que l’évolution du mouvement a villages (12) du centre du Sénégal; avec les femmes lo- essentiellement suivi deux axes : l’un vers l’extérieur, cales étendant par la suite le mouvement à la région de les médias et la scène internationale, et l’autre consistant Kolda, obtenant l’appui religieux de l’imam d’El Medina à oeuvrer sur le terrain. Pour une fois le travail sur le El Cherifa. Plus tard, le mouvement s’étendit encore, 250 terrain a été celui pour lequel on fait le plus d’efforts. Kms plus loin, à une région peuplée de Toucouleurs L ’attention des médias ne s’est cependant pas fait parlant la même langue que les fulanis. attendre, au Sénégal comme à l’étranger. C’est ainsi En outre, un des villages qui avaient participé à la qu’en octobre 1997, un article du journal français Le déclaration de Diabougou — Samba Dia — pris une initia- Monde, intitulé « Le serment de Malicounda- tive de son propre chef. Samba Dia était en fait un village Bambara », fut publié. Depuis lors les représentants de serere avec des liens historiques avec les madinkas et les Tostan ont été invités à de nombreuses conférences, bamabaras. Les femmes de Samba Dia décidèrent que le assemblées et autres évènements, pour parler de mouvement devrait s’étendre au sein de leur peuple, et l’histoire du mouvement contre l’infibulation. Dans jusqu’aux habitants des îles de Sine Saloum et de la côte presque chaque instance, les promoteurs ont fait que les au sud-est de Dakar. Femmes et hommes obtinrent femmes et les hommes s’expriment eux-mêmes — par le l’appui de Tostan pour couvrir les coûts de transport d’île biais d’interprètes, lorsque nécessaire. Les champions en île, visitant ainsi vingt-six communautés à travers locaux du mouvement — le vieil imam, les « exiceuses » l’archipel. 4 A Futa Toro il y eut une opposition sérieuse de la part • Des liens sont en train d’être faits un peu partout entre de certaines autorités religieuses traditionnelles l’abandon de la pratique de l’excision et les religieuses et culturelles, et les femmes et leurs alliées préoccupations en matière de démocratie et de droits découvrirent qu’elles ne pourraient pas faire de humains. En fait les questions clés ont été déclaration sur l’excision dans ces conditions. Mais une progressivement posées en ces termes plus larges, alternative à cette situation se présenta lors d’un meeting incluant : l’examen public de la violence domestique, qui se tenait à Aere Lao dans la région de Polor (à l’est de l’affirmation (au niveau local) du droit des filles à la St. Louis) le 4 novembre 2000, avec les représentants de scolarisation, et l’exigence d’une plus grande obligation quatre vingt sept villages qui signèrent une déclaration redditionnelle (accountability) des décideurs en matière dénonçant toutes les pratiques dommageables à la santé de gouvernance locale. et au développement des femmes. • Les hommes sont devenus partie prenante de C’est ainsi qu’en se plaçant sur le terrain des droits l’initiative, à la fois lors des formations et sur le terrain. humains, elles réussirent à circonvenir l’opposition. Même pour les programmes se concentrant surtout sur la santé féminine les hommes constituent prés de 30 Plus au sud, dans les îles Sine Saloum, les pour cent de l’audience. représentants des vingt six villages contactés — dont aucun n’avait encore suivi la formation dispensée par • Le modèle de déclaration publique a été adopté dans un Tostan — s’assemblèrent de leur propre initiative sur certain nombre d’autres domaines du développement l’île de Niodior le 7 avril 2000, pour préparer leur propre rural endogène, tel que dans le cas de résolutions sur la déclaration d’abandon de la pratique et pour organiser la violence domestique ainsi que d’autres renonçant à la tenue de séances de formation. Dans la région de Kolda, pratique du feu de brousse en tant que technique de le nombre de communautés faisant des déclarations et défrichement de la terre. prenant les cours de formation offerte par Tostan • Avec une adaptation aux différents contextes culturels continuait de croître, passant de dix huit à trente, et à locaux, l’initiative s’étend à présent à d’autre pays de la soixante quinze en fin de l’année. D’autre part Tostan a région, tel que le Burkina Faso, le Mali, le Soudan ; et rapporté qu’en février 2001, un autre groupe de femmes l’on a même reçu des demandes d’information de prés d’une centaine de villages supplémentaires, qui provenant de l’Afrique de l’est. Les femmes et les constituent la communauté rurale de Mampatim, avait hommes travaillant sur le terrain au Sénégal ont été les arrété la date de mars 2001 pour faire leur propre principaux ambassadeurs et Tostan est en train de déclaration d’abandon de la pratique de l’excision. préparer un centre de formation à Thies pour les par- ticipants d’autres pays qui voudraient rendre visite, Suivre l’exemple local partager leurs expériences et apprendre (sur la ques- tion des droits humains) des femmes des villages Personne ne sait quelles seront les étapes suivantes que sénégalais. connaitra le mouvement local. Comme l’a indiqué le directeur de Tostan : «tout cela nous a pris par surprise, nous suivons le mouvement ». Mais des résultats, au- Comme le dit un proverbe d’Afrique de l’Ouest : delà du simple nombre de villages ayant renoncé à la pra- « Une fois que le soleil s’est levé, la palme de ta main ne tique de l’infibulation, sont apparus : peut le couvrir longtemps ». Cet article a été écrit en commun par Peter Easton, Associate Professor, Graduate Studies in Adult and Continuing Edu- cation, EFPS, et le Dr. Karen Monkman, Assistant Professor of International Education ; tous deux de Florida State University. Pour plus d’information contacter Peter Easton, e- mail : easton@coe.fsu.edu