SÉNÉGAL NOTES DE POLITIQUES ECONOMIQUES ET SOCIALES GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE Avant-Propos Les Notes de Politiques économiques et sociales sont une initiative du groupe de la Banque Mondiale (GBM) dont le but est de présenter au gouvernement sénégalais, dans certains domaines clés, un dia- gnostic sélectif et un ensemble de recommandations de politiques économiques et sociales destinées à informer la prise de décision. Les Notes inclues dans ce recueil représentent une synthèse des travaux récents du GBM dans les domaines abordés, et sont en directe relation avec les principales contraintes à la réduction de la pauvreté et à la croissance partagée identifiées dans le Diagnostique Systématique Pays du Sénégal (Systematic Country Diagnostic 2018– SCD). Elles ont pour objectif d’apporter un éclai- rage sur certaines problématiques importantes, afin de soutenir l’action du gouvernement en faveur d’une croissance soutenue et inclusive. Le présent rapport s’inscrit dans un contexte particulier car les autorités du Sénégal ont préparé le deuxième Plan d’Action Prioritaire 2019–2023 (PAP2) pour la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergeant (PSE), et le pays vient de tenir des élections présidentielles au cours du premier trimestre de l’année 2019. Dans ce contexte, les Notes visent à (i) proposer au futur gouvernement des options de politiques éco- nomiques et sociales concrètes, opérationnelles, politiquement réalisables et qui pourront être mises en œuvre dans l’année suivant les élections de 2019 ; et (ii) contribuer à la prochaine phase du plan de déve- loppement du Sénégal. Chaque note inclut un diagnostic synthétique des résultats obtenus par le Sénégal en comparaison avec d’autres pays. Elle propose ensuite des options de réformes à court et moyen terme, fondées sur l’expérience internationale, pour atteindre les objectifs recherchés dans le contexte spécifique du Sénégal. Le présent recueil comprend (i) un chapitre introductif portant sur la situation économique et sociale du Sénégal et les principales contraintes et opportunités en termes de croissance et de réduction de la pauvreté, et (ii) un ensemble de neuf (9) Notes de politiques économiques et sociales articulées autour de trois grands thèmes : (i) Promouvoir le développement rural ; (ii) Améliorer la connectivité ; et (iii) Renforcer les finances publiques pour une croissance plus inclusive. Ainsi, pour le premier grand thème, les Notes abordent la question foncière, la problématique de l’électrification rurale, et la promotion du secteur arachide. En ce qui concerne la connectivité, elles portent sur le développement de l’économie numérique et de la finance électronique, ainsi que sur le secteur des transports. Enfin, les Notes abordent les questions cruciales de l’éducation primaire, de la fiscalité et des programmes de dépenses publiques à caractère social. La préparation des Notes a été coordonnée par Christine Richaud (Economiste en chef pour l’Afrique de l’Ouest, GMTA2), Federica Marzo (Economiste principale pour la lutte contre la pauvreté, GPV07, et Carlos Rodriguez Castelan (Economiste en Chef pour la lutte contre la pauvreté, GPV07) sous la direc- tion de Louise Cord (Directrice Pays, AFCF1) ; Lars Christian Moller (Manager, GMTA2) et Andrew Dabalen (Manager, GPV07). Les Notes ont également bénéficié des conseils de Paolo Zacchia (Responsable de Programme, AFCF1) ; Sophie Naudeau (Responsable de Programme, AFC1) et Eric Lancelot (Respon- sable de Programme, AFCF1). Chaque Note a été préparées par les experts des Pratiques Sectorielles de la Banque mondiale. Les auteurs remercient les collègues qui ont apporté des commentaires très utiles, notamment Ruth Smith (Spécialiste Principale pour la lutte contre la pauvreté, GPV07) et Jean-Michel Marchat (Economiste en chef, GFCAW), qui ont revu l’ensemble du recueil, et les commentateurs pairs qui ont apporté leur expertise technique pour la revue de chaque note sectorielle. Les auteurs remercient également Maud Valembrun (GMTA2), Ndeye Aissatou Diagne Diouf (AFCF1) et Santosh Kumar Sahoo (GPV07) pour leur excellent appui administratif lors de la préparation de ces Notes. SÉNÉGAL NOTES DE POLITIQUES ECONOMIQUES ET SOCIALES GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE © 2019 Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington DC 20433 Téléphone: 202-473-1000; Internet: www.worldbank.org Certains droits réservés Ce travail est un produit du personnel de la Banque mondiale. Les résultats, interprétations et conclusions exprimées dans ce travail ne reflètent pas nécessairement les vues des directeurs exécutifs de la Banque mondiale ou des gouvernements qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données incluses dans ce travail. Les frontières, couleurs, dénominations et autres informations figurant sur les cartes de cet ouvrage n’impliquent aucun jugement de la part de la Banque mondiale en ce qui concerne le statut juridique d’un territoire, ou l’approbation ou l’acceptation de ces frontières. Droits et autorisations Le matériel de ce travail est soumis au droit d’auteur. Etant donné que la Banque mondiale encourage la diffusion de ses connaissances, ces travaux peuvent être reproduits, en tout ou en partie, à des fins non commerciales, à condition d’attribuer la totalité de ces travaux. Attribution - Veuillez citer le travail comme suit: « Banque mondiale. 2019. Sénégal : Notes de Politiques Economiques et Sociales. © Banque mondiale. » Toute question sur les droits et licences, y compris les droits subsidiaires, doit être adressée à Publications de la Banque mondiale, Groupe de la Banque mondiale, 1818 H Street NW, Washington, DC 20433, États-Unis; fax: 202-522-2625; courriel: pubrights@worldbank.org. TABLE DES MATIÈRES GÉNÉRALE Chapitre Introductif : Apercu de la situation économique et sociale du Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Moderniser le foncier rural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Politique d’accès à l’électricité en milieu rural . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Une chaine de valuer arachide productive et compétitive pour le bien-être rural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Accélérer le programme de réformes en matière d’infrastructures et de services haut débit pour promouvoir l’essor de l’économie numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Développer la finance numérique au Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Pour une réforme du secteur des transports . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Pour une réforme de la fiscalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 Améliorer l’efficacité et l’efficience des dépenses sociales et subventions publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 Propositions de réformes pour l’enseignement élémentaire au Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 1 CHAPITRE INTRODUCTIF APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL Christine Richaud, Dieynaba Kane, Federica Marzo, Julio Loayza Table des matières I. Une accélération nette mais encore fragile de la croissance économique . 3 Un renouveau économique marqué par une accélération de la croissance . . . . . . . . 3 Une nette amélioration de la compétitivité internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Une dette publique en rapide expansion malgré la réduction du déficit budgétaire . . 5 II. Les perspectives de croissance pour le Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Des réformes intensives dans le cadre du PSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Les perspectives liées au pétrole et au gaz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 III. Des inégalités persistantes malgré la réduction de la pauvreté . . . . . . 8 L’évolution de la pauvreté et des inégalités au Sénégal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 La pauvreté non-monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 IV. Des axes clés pour le succès des réformes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 2 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Une accélération nette mais encore fragile de la croissance I.  économique Un renouveau économique marqué par une accélération de la croissance Malgré la stabilité politique et sociale affichée depuis son indépendance, le Sénégal a longtemps été pris dans une spirale de faible croissance avec un fort taux de pauvreté et un PIB par tête quasi inchangé depuis 1960. En tant qu’importateur net, dépendant fortement des flux de capitaux envoyés par les travailleurs émigrés et de l’aide internationale, le Sénégal est resté vulnérable aux chocs externes. De plus, l’activité économique a été marquée par une faible productivité du travail et du capital et une large informalité (Graphiques 1 et 2). Cependant, au cours des quatre dernières années, le Sénégal a réussi à atteindre des niveaux de croissance économique beaucoup plus élevés, et s’est placé sur la voie d’une profonde trans- formation structurelle. Pour la première fois depuis 2003, à partir de 2015 l’économie sénégalaise a enregistré des niveaux de croissance annuelle supérieurs à 6%. Cette croissance est principa- lement due à la forte performance des secteurs agricoles et industriels ainsi qu’au rebond des exportations. Au cours de ces années, le pays a également bénéficié de la baisse des prix du pétrole et de conditions climatiques favorables. Au-delà du contexte international et climatique favorable, la croissance a été soutenue par d’importantes avancées dans les réformes structurelles, ainsi qu’une expansion de l’investis- sement public. Suite au constat d’une économie sénégalaise au ralenti et présentant d’importants déficits, le gouvernement a lancé, en 2012, le Plan Sénégal Emergent (PSE) qui identifie de façon exhaustive les principales contraintes au développement du pays. Le PSE s’articule autour de trois GRAPHIQUE 1 : Evolution du taux de GRAPHIQUE 2 : Croissance du PIB (%) en croissance du PIB au Sénégal Afrique Subsaharienne, 2017 12% 12 10% 10 Real GDP growth in SSA (%), 2017 8 8% 6 6% 4 4% 2 2% 0 Ethiopia Guinea Senegal Burkina Faso Guinea-Bissau Benin Mali Kenya Sudan Madagascar Zambia Uganda Sao Tome and Principe Mozambique Gambia, The Zimbabwe Comoros Botswana South Africa Nigeria Burundi Chad Congo, Rep. 0% -2 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 -4 -6 Source: Calculs de la Banque mondiale. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 3 axes stratégiques : (i) la transformation structurelle de l’économie en mettant l’accent sur les secteurs porteurs de croissance et le développement de secteurs créateurs de richesse, (ii) la promotion du capital humain pour une amélioration significative des conditions de vie des populations, et (iii) la bonne gouvernance pour le renforcement de la sécurité, de la stabilité et de l’état de droit. Cela a permis d’initier d’importantes réformes à partir de 2014 et de poursuivre, tout en les renforçant, d’autres mesures importantes déjà en cours, avec pour objectif d’atteindre un taux de croissance de 8% en 2018 et le statut de marché émergent en 2035. Les réformes du PSE visent à améliorer la gouvernance économique et le climat des investis- sements, et à augmenter la performance de plusieurs secteurs spécifiques porteurs de croissance. Elles portent notamment sur la libéralisation du marché des arachides, l’ouverture du secteur énergétique à des fournisseurs d’électricité indépendants, l’ouverture du secteur du ciment à de nouveaux opérateurs privés, la restructuration des Industries Chimiques du Sénégal, le renouveau de la compagnie aérienne publique Air Sénégal ainsi que plusieurs mesures transversales visant à améliorer le climat des affaires afin de favoriser les investissements. Cela a permis au Sénégal de se hisser pour deux années consécutives (2014 et 2015) dans le top 10 des réformateurs du classe- ment Doing Business de la Banque mondiale. En parallèle, des progrès significatifs ont été réalisés pour plusieurs indicateurs internationaux de gouvernance1 – notamment l’indicateur de stabilité politique et l’absence de violence ainsi que la lutte contre la corruption - et en matière d’accès aux services et infrastructure de base, ce qui a contribué à l’amélioration progressive des conditions de vie de la population2. Le défi consiste maintenant à soutenir ce rythme de croissance sur la durée, tout en assu- rant un modèle de développement plus inclusif pour la population sénégalaise. La croissance demeure en effet encore vulnérable aux chocs extérieurs et climatiques, et la pauvreté et les iné- galités restent largement répandues, notamment en milieu rural. De plus, le Sénégal se prépare à devenir un pays producteur de gaz et de pétrole suite aux découvertes récentes au large de ses côtes, et il importera de tirer parti de cette opportunité tout en évitant les pièges que d’autres pays ont pu rencontrer dans des circonstances comparables3. Cela passe notamment par l’amélioration de l’efficacité en matière de gestion des finances de l’Etat. Une nette amélioration de la compétitivité internationale La décomposition de la croissance montre le rôle crucial des exportations depuis 2010, même si leur effet a été initialement atténué par d’importants chocs négatifs externes. En 1 Voir les Indicateurs Internationaux de Gouvernance (WGI 2017). 2 En absence de données d’enquête récentes (depuis 2011) sur la consommation des ménages, cette appréciation repose sur des simulations fondées sur l’évolution du PIB par tête et d’indicateurs de bien-être non-monétaire. 3 La question de la gestion des ressources naturelles du petrole et du gaz sera traitée plus en détail dans une autre étude de la Banque Mondiale qui sera publiée prochainement. 4 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES parallèle, le déficit du compte courant s’est réduit, atteignant 7.8% du PIB en fin 2017 contre 10.5% en 2013. Cette augmentation récente des exportations est principalement due à l’amélioration de la compétitivité de l’économie sénégalaise, qui trouve son origine dans une série de réformes gra- duelles (Graphique 3). Ces réformes structurelles, accélérées dans le cadre du PSE, ont contri- bué à restaurer la stabilité macroéconomique et à ouvrir le pays aux investissements privés. Dans un article récent, le FMI conclut ainsi que le principal moteur de la croissance des exportations au cours des dix dernières années a été l’amélioration de la compétitivité. Plus spécifiquement, le Sénégal a réussi à améliorer de façon constante la diversification de ses pro- duits et la qualité de ses exportations GRAPHIQUE 3 : Part des Exportations (en particulier le ciment, les produits Sénégalaises dans les Exportations Mondiales chimiques et miniers) tout en augmen- tant le nombre de ses partenaires com- merciaux. Ainsi, en 2014, le Sénégal a exporté 1727 produits contre 1284 en 2010, largement devant des pays à forte croissance comme le Mali (902 pro- duits) et l’Ethiopie (2079 produits) mais toujours moins que la Cote d’Ivoire (2079 produits). Source : Calculs du staff de la Banque mondiale. Il a également été montré4 que l’amé- lioration de facteurs structurels est le principal élément explicatif du triplement du taux de croissance moyen du PIB par tête en 2011–2015 comparé à celui observé entre 2006 et 2010. Ces facteurs structurels incluent le commerce, les infrastructures, les services d’intermédiation financière, l’éducation, la taille du gouvernement et les institutions. L’amélioration de la gouvernance économique et une gestion prudente sur le plan macroéconomique ont également permis d’appuyer l’accélération de la croissance observée après 2014. Une dette publique en rapide expansion malgré la réduction du déficit budgétaire Si la croissance a été en partie tirée par l’investissement public (Graphiques 4 et 5), le déficit budgétaire du Sénégal s’est réduit depuis 2013, passant de 5.5% du PIB en 2013 à 3.7% en 2017 – ou 3% si on utilise la nouvelle série du PIB en vigueur depuis mai 2018. Il devrait atteindre 3.5% 4 Le modèle utilisé s’inspire principalement d’un modèle de régression de croissance transnational développé par Brueckner (2014). APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 5 GRAPHIQUES 4 & 5 : Contribution à la croissance économique du côté de l’Offre (à gauche) et de la Demande (à droite) 4 % 6 3 5 2 4 3 1 2 0 1 Secteur Secteur Secteur Taxes nettes 0 -1 primaire secondaire tertiaire -1 Consommation Investissement Variation Exportations 2007-2013 2015 2016 2017 -2 de stocks 2007-2013 2015 2016 2017 Sources : Calcul du staff de la Banque Mondiale du nouveau PIB en 2018, et les autorités se sont engagées à respecter un objectif de 3% du PIB à partir de 2019, en ligne avec le critère de convergence de l’UEMOA. Cependant, ces bonnes performances budgétaires doivent être nuancées de deux façons. En premier lieu, des délais de paiement de l’Etat, souvent non-enregistrés dans les comptes budgétaires, se sont accu- mulés en 2017–2018, notamment vis-à-vis du secteur de l’énergie, ce qui soulève des ques- tions importantes de discipline et de transparence budgétaire. De plus, cette évolution s’est accompagnée d’une augmentation rapide de la dette publique. En 2006, la dette publique et la dette publique garantie représentaient 22% du PIB. Ce chiffre a augmenté de façon impor- tante, atteignant 60.4% du PIB en 2017. La révision du PIB en 2018 a cependant permis de réduire ce chiffre à 48.3% du PIB. La divergence de trajectoire entre le déficit budgétaire et la dette publique est en partie due à des opérations du trésor public hors budget, souvent liées aux déficits financiers d’entités publiques. Le Fonds Monétaire International (FMI) estimait ces opérations à 3 à 4% du PIB en 2016. Toutefois, en dépit de risques accrus, le Sénégal demeure classé comme étant un pays à faible risque de surendettement par le FMI et la Banque Mondiale. II.  Les perspectives de croissance pour le Sénégal Le Sénégal présente des perspectives économiques encourageantes. Cependant, cette ten- dance positive demeure fragile car le pays présente des contraintes structurelles persistantes, qui limitent le potentiel productif de certains secteurs clés. Ces secteurs incluent notamment l’énergie, l’agriculture, la gestion des terres, et les technologies de l’information et de la commu- nication (TIC). Ces contraintes affectent l’efficacité de l’investissement, la compétitivité et le développement du secteur privé, et la création d’emplois. Il importe donc pour le gouvernement de renforcer les réformes structurelles afin d’améliorer l’efficacité et la compétitivité économiques, 6 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES maintenir une politique budgétaire crédible, promouvoir la création d’emplois de qualité créer des emplois, et se préparer à la gestion efficiente des revenus futurs issus des ressources naturelles de pétrole et de gaz récemment découvertes. Des réformes intensives dans le cadre du PSE Les projets et réformes inscrits dans le PAP 2 du PSE couvrent tous les secteurs écono- miques selon les axes stratégiques définis par dans le PSE - transformation structurelle, capital humain et protection sociale, et gouvernance, paix et sécurité - avec une prépondé- rance des secteurs et programmes suivants : (i) les infrastructures avec 42% du montant total du plan5 (dont 16% pour les infrastructures routières, 11% pour les infrastructures énergétiques, 7% pour les infrastructures maritimes et 8% infrastructures ferroviaires); (ii) l’agriculture avec 7% du mon- tant total des projets; (iii) le développement social et le capital humain avec 11% du montant total (dont 5% pour l’éducation, 3% pour les programmes sociaux et 3 % pour la santé) (iv) l’accès à l’eau et l’assainissement avec 10% du montant total; (v) la gouvernance, la paix et la sécurité 10% du montant total du PAP2. Les perspectives liées au pétrole et au gaz Les futures ressources liées aux récentes découvertes de pétrole et gaz offshore offrent des pers- pectives nouvelles mais sont relativement limitées. Elles comprennent un champ pétrolifère (SNE) appartenant exclusivement au Sénégal, et un vaste bassin de gaz naturel - Grand Tortue Ahmeyim (GTA) -situé à la frontière maritime sénégalo-mauritanienne et que le Sénégal partage avec la Mauritanie. Dans le meilleur des cas, son exploitation pourrait démarrer en 2021 et les revenus pour le gouvernement, bien qu’incertains, pourraient atteindre 15,6 milliards USD pour la durée total du projet. Le réservoir SNE devrait produire 513 millions de barils pendant toute la durée du projet. Bien que ces ressources ne soient ni énormes ni perpétuelles, elles offrent des pers- pectives nouvelles de production, exportations, et revenus budgétaires pour l’économie sénégalaise. Les bénéfices réels de ces ressources dépendront de multiples facteurs techniques et finan- ciers, notamment les coûts de production et les prix internationaux du pétrole et du gaz au moment de leur exploitation. Ils dépendront aussi et surtout de la capacité du pays à éviter l’écueil de la malédiction des ressources. L’expérience des pays riches en ressources naturelles a montré que l’exploitation de ces res- sources et leur traduction en développement économique et social à long terme représentent un énorme défi. Si ces ressources sont bien gérées, elles peuvent contribuer à l’accélération de la 5 Le montant du PAP2 pour la période 2019-2023 s’élève à 15 165 milliards de FCFA. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 7 croissance du pays et à une réduction significative de la pauvreté. Dans le cas contraire, ces res- sources peuvent se muer en une véritable malédiction pour le pays, où une mauvaise gouvernance, des prix internationaux volatiles et un délaissement des autres secteurs productifs peuvent poten- tiellement mener à de mauvaises performances économiques, une aggravation des inégalités et des tensions sociales. Au Sénégal, une croissance plus inclusive visant la réduction de la pauvreté et des inégalités demeure une priorité. Des inégalités persistantes malgré la réduction de la III.  pauvreté L’évolution de la pauvreté et des inégalités au Sénégal Malgré une réduction significative de la pauvreté depuis 2011, les performances de croissance économique du Sénégal ne se sont pas traduites par une réduction des inégalités. Environ un tiers de la population sénégalaise est encore considérée comme extrêmement pauvre, c’est-à- dire vivant avec moins de 1,90 USD par jour, et deux tiers de la population vivent avec moins de 3,2 USD par jour. Le taux de pauvreté extrême est estimé à 33% en 20186, plus bas que la moyenne des pays à faible revenus mais toujours bien au-delà de la moyenne de 12,7% pour l’ensemble des pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI)7. Les chiffres encourageants de la croissance économique ont permis de GRAPHIQUE 6 : Comparaison des taux de réduire la pauvreté au Sénégal. Des pauvreté du Sénégal et de quelques pays simulations ont permis d’estimer à entre 4 africains et 7 points de pourcentage la réduc- Taux de pauvreté au Sénégal et dans les pays tion de la pauvreté entre 2011 et 2016 comparables (années les plus récentes) 60 (Graphique 6). Cette réduction significa- 49.1 tive est due principalement à la croissance 50 38 du secteur agricole qui, même si elle reste 40 33.6 27.9 peu élevée, est positive, avec des années 30 exceptionnellement bonnes depuis 2015. 20 13.6 La pauvreté, en effet, se concentre prin- 10 0.5 3.1 cipalement en milieu rural et en parti- 0 Maurice Maroc Ghana Cote Kenya Sénégal Tanzanie culier dans le bassin arachidier où 52%8 d'Ivoire des ménages vivent encore dans l’extrême Sources : Comptes Nationaux, Série d’enquêtes de pauvreté ANSD, Macro-Poverty Outlook 2017 et calculs de la Banque mondiale. pauvreté (cf. carte 1). 6 Simulations basées sur l’évolution du PIB par tête et les données d’enquêté de 2011 (ANSD). Macro Poverty Outlook, Octobre 2018. Banque Mondiale. 7 WDI 2017. 8 ANSD, 2011. Le bassin arachidier se compose des régions : Thiès, Louga, Diourbel, Fatick et Kaolack. 8 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES CARTE 1 : Incidence de la pauvreté au Sénégal (gauche) et proportion de personnes pauvres par région (droite) Source : World Bank Staff estimations based on ESPS 2011 and RGP 2013. La pauvreté est fortement liée à la culture de l’arachide car cette dernière concentre 2/3 de la population agricole et représente la principale source de revenu de la majorité des ménages dans les zones de production. C’est donc une culture primordiale pour le Sénégal qui a progressive- ment perdu ces dernières décennies sa place de leader mondiale dans ce domaine. En consé- quence, elle est la cible de la majorité des dépenses publiques dans le secteur agricole avec près de 12 milliards de FCFA par an dans le but de redynamiser la filière. En parallèle, les populations rurales connaissent également une diversification des emplois, en faveur d’une économie non agricole bourgeonnante. En milieu urbain, les revenus des travailleurs pauvres ont augmenté du fait de la croissance de secteurs tels que la construction et les services, intensifs en main d’œuvre peu qualifiée. Les inégalités n’ont cependant pas baissé pendant cette période, montrant que la croissance, bien que rapide, n’a pas été pro-pauvre. A titre d’illustration, les inégalités de consomma- tion stagnent depuis une décennie. Ainsi, les plus riches sont devenus encore plus riches, et enregistrent jusqu’à huit fois les revenus des 10% les plus pauvres. En particulier, les inéga- lités dans les zones rurales se sont aggravées, les 10% les plus riches détenant jusqu’à 14 fois la richesse des 10% les plus pauvres9. La pauvreté non-monétaire La baisse de la pauvreté monétaire s’est accompagnée de progrès considérables dans l’accès aux services de bases et aux infrastructures. En effet, de solides performances ont été enre- gistrées dans les domaines de la santé. Elles s’illustrent notamment par une nette amélioration 9 Les données disponibles ne permettent pas d’évaluer les inégalités pour les toutes dernières années de haute croissance. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 9 de l’espérance de vie, estimée à 67 ans en 2016 contre 65 ans en 2012 et 60 ans en 2005, et de la mortalité infantile (32 pour mille naissances en 2017 contre 39 en 2012 et 54 en 2005). Plus de 90% de la population a maintenant accès à l’eau potable, la couverture en électricité atteint 64% de la population en 2017, contre environ 42% en moyenne pour les pays de l’Afrique Subsaharienne, et les programmes d’assistance sociale couvrent également une partie crois- sante de la population. De même, la malnutrition a baissé de 30 à 17% entre 2000 et 2016, plaçant le Sénégal parmi les premiers pays en Afrique Sub-saharienne en termes de réduction de la malnutrition. Malgré ces progrès importants, le Sénégal demeure un pays à faible développement humain, se plaçant à la 164ieme position sur 189 pays pour l’indice de développement humain en 2017. En effet, le chemin à parcourir reste long. Plus de la moitié de la population ne dispose pas d’assainissement. L’accès aux services de maternité reste limité, avec un taux de naissance assisté par un professionnel de santé qui demeure faible (53% en 2016) et explique en partie des taux de mortalité maternelle encore élevés. Malgré quelques progrès récents, on observe également d’importantes inégalités de genre qui pénalisent les femmes, particulière- ment dans les zones rurales. Le Sénégal affiche toujours des résultats préoccupants en matière d’éducation, en par- ticulier pour les enfants pauvres. L’éducation étant considérée comme le déterminant le plus important de la sortie de la pauvreté10, il est particulièrement inquiétant qu’au Sénégal, un tiers des enfants d’âge scolaire ne soient pas scolarisés, tandis que les deux tiers de ceux qui le sont, ne parviennent pas à terminer l’école primaire ou le font avec des compétences insuffisantes, surtout parmi les couches les plus pauvres de la population. Le taux actuel d’alphabétisation des adultes est de 43%, soit bien en-deçà de la moyenne de l’Afrique Sub-Saharienne et des PRFI (à 61% et 76% respectivement). En 2014, le Gouvernement a tenu des assises nationales de l’Education avec pour objectif de refonder le système édu- catif. A l’issue des assises, le Programme d’Amélioration de la Qualité de l’Equité et de la Transparence (PAQUET 2013–2025) dans lequel figurent les priorités stratégiques du Gouvernement en matière d’éducation et de formation, a été mis en place. Ce programme vient d’être mis à jour pour la période 2018–2030. Malgré les progrès effectués, l’indice du capital humain du Sénégal est seulement de 0,42 ce qui signifie qu’une cohorte d’enfants nés aujourd’hui n’atteindra que 42% de son potentiel de productivité si les conditions et de santé et d’éducation restent identiques. De plus, d’importantes disparités peuvent être observées entre les populations urbaines et rurales, en ce qui concerne notamment l’accès à l’électricité. En effet, si le Sénégal a atteint 10 Dang, Lanjouw et Swinkels (2014). 10 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES un accès quasi universel dans les zones urbaines avec un taux d’accès à l’électricité de près de 90 %, en réalité seul 34 % des ménages ruraux ont accès à l’électricité sur réseau. Il existe de fortes disparités entre les régions ainsi que les zones urbaines et rurales. A titre d’exemple, des régions comme Kaffrine, Kolda et Kédougou ont des taux d’accès rural estimés entre 9 et 12 %, tandis que d’autres, comme Diourbel et Thiès, présentent des taux d’accès rural attei- gnant respectivement 55 et 76 %. L’accès universel à l’électricité à l’horizon 2025 est une des priorités du gouvernement ; cependant au rythme actuel d’environ 3 % par an, l’accès universel ne serait atteint qu’en 2045. Pour que la croissance économique permette l’éradication de l’extrême pauvreté d’ici 2035, il est essentiel d’accélérer et d’approfondir les réformes entreprises dans les sec- teurs permettant directement de réduire la pauvreté, d’augmenter la capacité de l’économie à créer de l’emploi et d’investir davantage dans l’accès et la qualité des services de base. De fait, les progrès concernant la réduction de la pauvreté ont été plutôt lents ces quinze dernières années en dépit de l’amélioration notée depuis 2011. De larges proportions de la popula- tion demeurent exclues des retombées positives de la croissance, principalement en raison de la distribution inégale du capital humain et des opportunités économiques, notamment en matière d’emploi. De plus, même si les projections suggèrent que la pauvreté restera essentiellement concentrée en zone rurale, les perspectives sont inquiétantes dans les zones urbaines, où le manque d’opportunités, la hausse de la pression démographique due à l’ur- banisation galopante ainsi que la forte augmentation de la population de jeunes, pourraient créer de l’instabilité sociale. IV.  Des axes clés pour le succès des réformes Le présent recueil de notes de politiques économiques et sociales propose des options de réformes pour une croissance soutenue et plus inclusive autour de trois grands objectifs : (i) Promouvoir le développement rural ; (ii) Améliorer la connectivité ; et (iii) Renforcer les finances publiques pour une croissance plus inclusive. Les notes proposent un diagnostic synthétique et un ensemble de recommandations concrètes et pointues à court et moyen terme. En matière de promotion du développement rural, l’analyse porte particulièrement sur le domaine du foncier rural, la filière de l’arachide et l’électrification rurale. En matière d’amélioration de la connectivité, les options de réformes concernent le développement de l’économie numérique et la finance électronique, et le secteur des transports - premier poste de dépenses du PAP2. Enfin, dans le domaine des finances publiques au service de la croissance inclusive, l’analyse est consacrée à l’efficience et l’équité en matière de fiscalité et de programmes sociaux, et au renforcement de l’éducation primaire. Au-delà des recommandations spécifiques à chaque secteur, deux grandes lignes communes, qui paraissent essentielles au succès des réformes sectorielles, peuvent être dégagées de APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 11 l’analyse. Elles sont en lien étroit avec les conclusions du Diagnostic Systématique effectué récemment par la Banque mondiale, et incluent : (i) l’importance d’une gouvernance économique améliorée et d’une rationalisation des institutions ; et l’importance d’une gestion plus équitable des ressources publiques en faveur de l’investis- (ii)  sement en capital humain et des actifs productifs. La première grande ligne concerne l’importance d’une gouvernance économique améliorée et d’une rationalisation des institutions. Comme indiqué dans le SCD et l’analyse proposée dans les notes, une importante contrainte à la croissance inclusive concerne le manque d’uniformité dans l’application des règlementations administratives et fiscales, et la mise en œuvre par l’Etat de politiques qui sont sources de distorsion pour l’activité économique. Les distorsions en matière fis- cale, en particulier, sont un frein à une allocation efficiente des ressources et contribuent à accentuer l’informalité de l’économie. En 2012, le Sénégal a initié une réforme majeure de la politique fiscale avec l’introduction d’un nouveau code des impôts, mais plusieurs problèmes structurels persistent et engendrent un impact négatif sur le recouvrement des recettes. Il s’agit notamment du recours généralisé aux exonérations fiscales, des niveaux élevés d’infor- malité et des coûts de mises en conformité pour le secteur privé. Le ratio recettes fiscales/PIB du Sénégal se situe aujourd’hui entre 15% et 16%, en dessous de l’objectif régional de conver- gence de l’UEMOA de 20%. L’enjeu est donc pour l’administration sénégalaise d’élaborer une stratégie efficace de mobilisation des ressources intérieures tout en minimisant les distorsions pour l’économie. Les régulations foncières inadéquates et l’ingérence de l’Etat dans la fixation des prix pèsent également sur la productivité et la compétitivité du secteur agricole. L’incertitude sur les droits fonciers constitue une source de conflits et un frein considérable aux investissements des exploi- tations familiales et des agro-industries. La réforme du secteur foncier est une priorité pour le Sénégal et plusieurs réformes foncières successives ont été menées par le gouvernement depuis 20 ans. Cependant, les progrès enregistrés ne répondent pas encore aux attentes. De même, le secteur arachidier, crucial pour la réduction de la pauvreté au Sénégal, concentre diverses poli- tiques d’intervention publiques qui ont entrainé des progrès mais aussi beaucoup de distorsions, avec notamment la fixation de prix administratifs, qui entravent la saine compétition dans le secteur, limitent l’engagement du secteur privé et affectent la productivité et la compétitivité du secteur. Dans le même registre, les secteurs du transport et de l’énergie souffrent de faiblesses ins- titutionnelles importantes. Acteur fondamental liant les zones de production aux centres de 12 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES consommations et de l’insertion du pays dans le commerce international, le transport sénégalais dispose de réseaux relativement développés d’infrastructure en comparaison de certains pays pairs, avec d’importants développements des réseaux de transport réalisés ces dernières années. Toutefois, une forte congestion du réseau routier, un faible indice de performance logistique (le Sénégal est 141ème sur 160 pays, Banque Mondiale), ainsi que des problèmes de gestion des infrastructures dues à la multiplicité des intervenants et agences plombent l’efficacité et la productivité du secteur. Des réformes institutionnelles importantes sont également un enjeu clé dans le secteur de l’énergie, en ce qui concerne notamment la poursuite des objectifs en matière d’accès universel à l’électricité. Le fil conducteur réfère également aux contraintes Institutionnelles liées au système poli- tique corporatiste, lesquelles prévalent depuis les indépendances et qui, ajoutées à des normes sociales parfois rigides, entravent la mise en œuvre de nombre de réformes structurelles progres- sistes et équitables et freinent les changements nécessaires à l’émergence. La seconde grande ligne porte sur l’importance de faire de l’équité, y compris de genre, un objectif stratégique de la gestion des ressources publiques, tant en matière de mobilisation des ressources que de dépenses. Des réformes importantes peuvent être mises en œuvre pour une fiscalité plus équitable. En dépit des réformes engagées, le recours généralisé aux exonérations fiscales, des niveaux élevés d’informalité et des coûts élevés de mises en conformité qui pèsent particulièrement sur le secteur privé, vont à l’encontre des objectifs l’équité face à l’impôt. Par là-même, ces faiblesses affectent négativement l’environnement des affaires, la croissance du secteur privé et la création d’emplois. Du côté des dépenses, une attention plus systémique aux objectifs et résultats en matière d’équité permettrait de renforcer l’action publique au service de l’inclusion. Ainsi, les prin- cipaux programmes sociaux existant ont un fort potentiel redistributif, mais leurs résultats en matière de renforcement de l’équité et de réduction de la pauvreté sont en-deçà des attentes. Depuis 2012, le Sénégal a mis en œuvre cinq grands programmes sociaux et de subventions publiques avec pour objectif de lutter contre la pauvreté et permettre à la population la plus vulnérable de participer à la croissance et d’accéder aux services publics : les subventions agri- coles, les subventions à l’électricité, le Programme National de Bourses de Sécurité Familiale (PNBSF), la Couverture Maladie Universelle (CMU), et les bourses et œuvres sociales univer- sitaires. Dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie, et des services sociaux, ces programmes se distinguent tant par le nombre de bénéficiaires que par les importants montants financiers engagés ; les dépenses de ces programmes ont fluctué entre 112 milliards et 202 milliards de CFA par an entre 2012 et 2015 - les dépenses sociales représentaient 34% des dépenses totales du gouvernement en 2015- et ont largement augmenté en 2017 et 2018. Cependant, certains APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 13 de ces programmes demeurent coûteux et mal ciblés, alors que d’autres programmes pertinents pour les plus défavorisés souffrent d’un manque de financements : la permanence de cette situa- tion érode l’équité globale des dépenses publiques, de même que leur effet sur la réduction de la pauvreté. Le système éducatif est confronté à des contraintes majeures en matière d’équité pour les populations pauvres. Dans le domaine éducatif, ces faiblesses affectent particulièrement les enfants des populations les plus pauvres, et entrainent un défaut d’acquisition de compétences qui pèse sur la productivité future de la population. Même si le Sénégal occupe un bon rang parmi les pays d’Afrique Sub-saharienne dans le Programme d’Analyse des Système Educatifs de la CONFEMEN (PASEC) 2014, seulement un enfant sur trois parvient à compléter le cycle primaire avec des compétences suffisantes, et ce chiffre est seulement de 7% en ce qui concerne les filles des 40% de ménages les plus pauvres. Ces résultats insuffisants en matière de formation du capital humain posent un véritable défi pour l’avenir. Une attention soutenue aux problématiques d’équité de genre en matière de politiques publiques est importante. Des contraintes liées au genre affectent particulièrement la capacité des femmes à accumuler du capital humain et à poursuivre des opportunités économiques. Dans le domaine de l’éducation par exemple, malgré les progrès réalisés, les filles font face à un risque plus élevé de quitter l’école en cours de cursus toutes choses égales par ailleurs, du fait principa- lement de pratiques culturelles telles que les mariages précoces. Il importe également de s’assurer que le programmes et politiques publics accordent une attention particulière à l’équité de genre en matière d’accès à la propriété foncière, aux intrants agricoles, à des transports publics adéquats et aux services financiers pour une croissance plus inclusive. Bibliographie Andrew Berg, Yanliang Miao (2010). “The Real Exchange Rate and Growth Revisited: The Washington Consensus Strikes Back”. IMF Working Paper No. 10/58 777308503. Dang H., P. Lanjouw P. and R. Swinkels (2014). “Who Remained in Poverty, Who Moved Up, and Who Fell Down? An Investigation of Poverty Dynamics in Senegal in the Late 2000s”.World Bank Policy Research Working Paper No. 7141. PASEC (2014). Education System Performance in Francophone Sub-Saharan Africa: Competencies and Learning Factors in Primary Education. PLAN SENEGAL EMERGENT (2014). Plan d’Actions Prioritaires 2014–2018. World Bank (2015). Republic of Senegal: SN-Poverty Assessment. Report No. ACS10625 v 2. World Bank (2018). Systematic Country Diagnostic World Bank (SCD). 14 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES World Bank (2018). Senegal Second Multi-Sectoral Structural Reforms (DPF). World Bank (forthcoming) Macroeconomic Management of Oil & Gas Revenues in Senegal. World Bank (2017). Doing Business Report 2018: Reforming to Create Jobs. Washington, DC: World Bank. © World Bank. Available at: https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/28608. World Bank, World Development Indicators (WDI) 2017. World Bank, Worldwide Governance Indicators (WGI) 2017. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 15 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES MODERNISER LE FONCIER RURAL Résumé exécutif Contexte. La loi sur le Domaine National permet aux communes sénégalaises d’affecter à leurs membres de simples droits d’usage sur le sol. Cette disposition semble de moins en moins adaptée aux évolutions de l’économie et des sociétés rurales. Dans diverses régions, l’accès à la terre évolue d’une régulation par la coutume à une régulation par le marché. Or, les transactions foncières sont niées par une législation en vigueur depuis plus d’un demi-siècle et une discordance entre la loi et les pratiques foncières se généra- lise. Ce décalage a pour conséquence une incertitude sur les droits fonciers, source de conflits et frein aux investissements des exploitations familiales et des agro-industries. Depuis 1996, le Sénégal s’est efforcé de mettre en place une nouvelle politique foncière, ajustée aux mutations contemporaines du monde rural, mais les tentatives successives de réforme n’ont pas abouti, ce qui interroge sur la méthode adoptée jusqu’à présent. Objectif. Le Plan Sénégal Emergent annonce la relance de la réforme foncière sur la période 2019–2023 et envisage une série d’actions prioritaires dans le secteur foncier. Tenant compte des orientations du PSE, cette note a pour objectifs (i) d’attirer l’attention sur le décalage entre loi et pratiques foncières ; (ii) d’en montrer l’impact négatif sur le développement du monde rural ; (iii) de confirmer l’orientation du PSE en faveur d’une réforme foncière mise en place progressivement selon une démarche pragmatique et enfin (iv) de proposer des recommandations opérationnelles visant à l’enregistrement généralisé des droits sur la terre. Résultats attendus. Cette note propose un cadre et une feuille de route pour la mise en place d’un cadastre rural spécifique au contexte sénégalais. Le dispositif suggéré prévoit d’associer la connaissance que les communautés rurales ont de leurs terres et les compétences techniques de l’administration foncière (DGID) en vue d’un enregistrement exhaustif des parcelles rurales. L’expérience de projets, dont celle du PDIDAS et de la DGID en matière de bureaux fonciers et de « délibérations sécurisées » avec NICAD, peut fournir les bases à la conception d’un cadastre adapté au monde rural. Cette note envisage également une révision du cadre légal pour considérer à terme les droits d’usage comme des droits réels, dès lors que les conditions de validation de la propriété sont réunies (enquête sur site, cartographie et inscription dans un registre). Au final, cette note propose une piste pour une réforme foncière « en douceur ». 16 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES MODERNISER LE FONCIER RURAL André Teyssier Table des matières11 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 I. Introduction : les mutations du monde rural imposent une réforme du secteur foncier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 II. Contraintes et opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 III. Options de politiques : propositions préliminaires d’amélioration du secteur foncier rural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Plan National pour un Cadastre Rural – Année . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Développement du Cadastre Rural – de 2 à 5 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 IV. Conclusion : une stratégie pragmatique pour une réforme foncière « en douceur » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Annexe 1 : Expériences internationales d’enregistrement massif des droits fonciers ruraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Annexe 2 : Constat : un décalage majeur entre loi et pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Annexe 3 : Quelques illustrations de l’expérience du PDIDAS en matière de foncier rural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 11 La revue technique par les pairs a été effectuée par Mercedes Stickler et Claire Galpin. MODERNISER LE FONCIER RURAL 17 Acronymes AFD : Agence Française de Développement CNRF : Commission Nationale de Réforme Foncière DGID : Direction Générale des Impôts et des Domaines MAER : Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural MCA : Millennium Challenge Account MEFP : Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan NICAD : Numéro d’Identification Cadastral PACR : Projet d’Appui aux Communautés Rurales PAP : Plan d’Actions Prioritaires PDIDAS : Projet de Développement Inclusif et Durable de l’Agribusiness au Sénégal POAS : Plan d’Occupation et d’Affectation des Sols PSE : Plan Sénégal Emergent SAED : Société d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Faleme 18 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Introduction : les mutations du monde rural imposent I.  une réforme du secteur foncier Le cadre légal et institutionnel date de plus d’un demi-siècle. La gestion des droits fonciers dans le monde rural sénégalais repose sur un cadre juridique établi depuis l’Indépendance12 et sur un système de tenure coutumière que le dispositif légal n’a pas supprimé. La loi de 1964 est un texte innovant pour l’époque. Elle introduit au lendemain de l’Indépendance un concept original de Domaine national qui entend mettre un terme à la superposition des régimes coutumiers et administratifs tout en maintenant une gestion communautaire des terres. Ainsi, depuis plus de 50 ans, les Communes se sont vu attribuer sous le contrôle du corps préfectoral la gestion de la zone des terroirs du domaine national, soit la grande majorité des terres rurales du Sénégal. Ce dispositif a été complété par la mise en place de Commissions domaniales mais aucune mesure d’accompagnement (outils, formation) n’est venue le soutenir et sa mise en œuvre imparfaite a pu favoriser des pratiques clientélistes. Les Conseils Municipaux sont donc autorisés à délibérer des affectations de terre qui consacrent un droit d’usage personnel ni cessible, ni transmissible, théoriquement limité aux seuls membres des communautés rurales. Autrement dit, aucune tran- saction foncière directe (héritage, vente, morcellement, location) n’est permise par le cadre légal actuel. L’attribution de droits réels reste une procédure réservée exclusivement à l’Etat. Toute personne qui désire un titre foncier ou un bail doit requérir l’immatriculation du terrain au nom de l’Etat puis procéder à un transfert de propriété (titre foncier) ou à un démembrement de la propriété acquise à l’Etat (bail emphytéotique, droit de superficie). L’administration foncière disposant d’effectifs restreints, notamment en milieu rural, cette procédure relativement longue et coûteuse n’est mise en œuvre que pour un nombre limité de terrains. Ainsi, ni la faible capacité des communes en gestion foncière, ni l’envergure actuelle de l’administration ne permettent l’enregistrement des droits sur le sol à grande échelle. Un dispositif légal très peu respecté affecte le développement rural. Si le cadre légal a très peu évolué depuis plus de 50 ans, le monde rural a connu en revanche de profondes transforma- tions. Les grands aménagements hydro-agricoles, les extensions urbaines et le développement de l’agro-industrie font que le modèle des années 60, basé sur l’attribution de droits d’usage aux seuls membres des communautés, n’est plus d’actualité. Dans le contexte économique actuel, les transactions foncières sont devenues monnaie courante13 et participent au développement d’un marché foncier non documenté, en marge du cadre légal. Les agriculteurs sénégalais sont de fait dans l’illégalité dès lors qu’ils vendent, héritent ou louent les terres qu’ils cultivent. Ce décalage 12 Par la loi n°64–46 du 17 juin 1964 relative au domaine national, la loi n°76–66 du 2 Juillet 1976 sur le Domaine de l’Etat, et plus récemment par la loi n°2011–07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière. 13 Dans la région de Saint-Louis, 67 % des terres ont été acquises selon des modalités non conformes aux textes (PACR, 2011). MODERNISER LE FONCIER RURAL 19 entre le dispositif juridique et les pratiques foncières et la faible capacité des institutions chargées du foncier font que les droits fonciers ruraux ne sont pratiquement jamais enregistrés. C’est pour- tant l’une des bases du développement. L’absence de droits clairement documentés complique les opportunités d’investissements publics ou privés. Elle entretient un climat conflictuel : com- pétition pour l’accès à la terre, contestations d’investissements souvent qualifiés d’accaparement de terres14, conflits identitaires autour de la terre dans les zones de contacts entre agriculteurs et éleveurs. A défaut d’information foncière, la fiscalité foncière est pratiquement inexistante ce qui prive les collectivités territoriales d’une ressource essentielle, et les compensations liées à des évictions pour cause d’utilité publique ou de constructions d’infrastructures sont d’une mise en œuvre très complexe et coûteuse. Aujourd’hui, le secteur foncier compte parmi les facteurs de blocage au développement rural. Il impacte différents secteurs : investissement privé, agriculture, énergie, environnement, décentralisation, aménagement du territoire, stabilité et paix sociale, et nuit à l’attractivité du Sénégal. Chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître la nécessité d’une réforme foncière, annoncée depuis plus de 20 ans. Le principe constitutionnel de parité entre hommes et femmes ne s’applique pas à l’accès à la terre. La Constitution de 2001 et le cadre juridique issu de la loi de 1964 réaffirment l’égalité des droits entre hommes et femmes pour accéder à la terre. Or dans la pratique, la transmission de la terre découle de règles coutumières alignées sur un régime patriarcal et les ayant-droits à la terre restent majoritairement des hommes15, quelle que soit la contribution des femmes à la production agricole. Lorsque des femmes parviennent à acquérir des droits sur un terrain, il s’agit bien souvent de parcelles de petite taille. Veuves et femmes divorcées peuvent perdre l’accès à la terre qu’elles cultivent et se voient souvent contraintes de retourner auprès de leurs familles de naissance pour disposer d’un lopin de terre. La décentralisation de la gestion du Domaine National n’a pas eu d’effet sur la reconnaissance des droits fonciers des femmes : elles sont peu représentées dans les instances de gestion foncière locale et les Conseils communaux délibèrent le plus souvent en faveur d’affectations de terres pour des hommes. L’inégalité dans la reconnaissance des droits sur le sol reste fortement ancrée dans les esprits16. Pour accéder à la terre, les femmes, comme les jeunes, dépendent soit du chef de ménage lorsqu’il s’agit d’une succession, soit d’un particulier lorsqu’il s’agit de différentes formes de location. Dans les deux cas, ces transactions directes contournent la procédure d’affectation et de désaffectation par le Conseil communal sont théoriquement illégales. Des outils accessibles et transparents permet- tant ces transactions devraient contribuer à améliorer les conditions d’accès à la terre au profit de groupes plus vulnérables. 14 On peut citer les cas de Fanaye, Mbane, Gnith, Doddel, Demette ou Diokoul en ce qui concerne l’agribusiness ou celui de la centrale à charbon de Sinou pour le secteur de l’énergie. 15 L’inventaire de l’occupation et des droits sur les terres réalisé par le MCA montre que 80 % des ayant-droits à Podor sont des hommes. (MCA, 2012). 16 43 % des hommes et 38 % des femmes pensaient en 2012 que les hommes et les femmes ne doivent pas avoir un accès égal au foncier. GESTES/UGB, 2012. Sénégal : les femmes rurales à l’épreuve d’une citoyenneté foncière. 20 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES La relance de la réforme foncière est clairement affichée parmi les orientations du Plan Sénégal Emergent (PSE, 2019–2023). Le Gouvernement du Sénégal reconnait l’accès au fon- cier comme étant l’une des conditions de l’émergence économique et entend réformer le secteur foncier au cours des cinq prochaines années. L’accès au foncier est considéré par le PSE parmi les 6 réformes prévues. « Le Sénégal poursuivra les réformes relatives à l’accès au foncier. Ainsi, il conviendra de réaliser le cadastre universel ; d’accélérer la sécurisation du foncier en milieu rural à tra- vers l’octroi de titres de propriété ; de finaliser la dématérialisation du livre foncier électronique. »17 Le PSE envisage ainsi un ensemble d’actions prioritaires entre 2019 et 2023. « Il s’agit de : i) la trans- formation graduelle des droits d’occupation actuels des ruraux en droits réels, ce qui permettra un certain niveau de transférabilité contrôlée du foncier, tenant compte de la nécessité de protéger les zones pastorales, halieutiques et forestières ; ii) l’investissement dans les instruments de gestion foncière par les services domaniaux, (iii) la recherche du juste équilibre entre la gestion des collectivités territoriales et la supervision des transactions foncières par l’État central ; (iv) la poursuite de la rationalisation de l’inscription au registre foncier urbain »18. Ces mesures vont conduire à une amélioration (i) de la cohésion sociale, par l’effet de la clarification et la protection des droits de propriété, d’usage ou de passage sur la réduction des conflits et (ii) de l’environnement des affaires par la facilitation des investissements. Il s’agit de créer un environnement favorable à l’investissement des exploi- tations familiales et agroindustrielles, au développement du crédit grâce à des garanties bancaires par document foncier et à une fiscalité foncière au bénéfice du développement des collectivi- tés locales. Ces objectifs diffèrent selon les groupes d’acteurs. Les éleveurs entendent maintenir l’accès aux espaces vitaux pour l’élevage ; les collectivités souhaitent conserver la compétence de gestion locale telle que définie par la loi de 1964, tandis que le secteur privé espère disposer plus facilement de terrains alloués par l’Etat et ne plus avoir à négocier avec les riverains et les titu- laires de droits initiaux. L’enjeu majeur est donc de mettre en place un système de gestion des terres efficace, transparent, pérenne et d’un coût accessible à l’Etat et aux usagers, qui permette à la fois (i) la protection des droits existants des exploitations familiales et des éleveurs ; (ii) la reconnaissance des pratiques locales d’échanges de droits sur le sol ; (iii) un accès à la terre facilité et sécurisant pour les investisseurs notamment dans le cadre de zones économiques dédiées, et (iv) le ren- forcement et l’encadrement des capacités locales de gestion des terres. La formalisation des droits existants –d’usage et de propriété, individuels ou collectifs–, dans un délai relativement court et à des coûts abordables grâce à des services fonciers de proximité maîtrisant des techno- logies appropriées, permet de combiner les intérêts des différents groupes d’acteurs. Ce nouveau système de gestion foncière doit pouvoir enregistrer, de manière simple et peu coûteuse, les tran- sactions successives sous peine de devenir obsolète dès les premières années de sa mise en place. 17 République du Sénégal, 2018. Plan Sénégal Emergent, Plan d’Actions Prioritaires et Cadrage Macroéconomique. 18 République du Sénégal, 2018. Plan Sénégal Emergent, Plan d’Actions Prioritaires. Objectif Stratégique 5 : renforcer la gouvernance territoriale. MODERNISER LE FONCIER RURAL 21 Il doit également s’inscrire en cohérence avec les orientations actuelles des politiques publiques et avec les cadres internationaux auxquels adhère le Sénégal19. II.  Contraintes et opportunités Des tentatives de réforme foncière sont restées sans suite depuis 20 ans. Le Gouvernement du Sénégal s’est efforcé à plusieurs reprises de réformer sa politique foncière, sans avancées majeures jusqu’à présent. Dès 1996, un Plan d’Action Foncier, innovant et pertinent, proposait trois axes de politique foncière : (i) statu quo ; (ii) marché foncier libre avec des droits réels et (iii) option mixte (droits réels et droits d’usage), les communautés rurales disposant d’un pouvoir de ces- sion des terres dans leur domaine privé constitué de droits réels. Ces propositions n’ont pas été suivies d’effet. En 2004, la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale considérait la réforme foncière comme l’un de ses axes stratégiques et annonçait dans les deux ans, soit en mai 2006, une nou- velle loi foncière encore jamais promulguée jusque-là. En 2005, une Commission Nationale de Réforme du Droit de la Terre a émis des propositions restées sans lendemain. Fin 2012, une Commission Nationale de Réforme Foncière (CNRF) est créée. Elle formule, à la suite d’un long processus de consultation nationale, des orientations de politique foncière rassemblées dans un Document de Politique Foncière, présenté en octobre 2017 mais jamais validé officiel- lement. Il a d’ailleurs été mis fin à la mission de la CNRF fin 2017. Quelles leçons tirer de ces tentatives ? Les différentes tentatives de réforme foncière se sont heurtées à : (i) des difficultés opérationnelles : les différentes commissions se sont avérées plétho- riques bien que la société civile et le secteur privé aient été sous-représentés. Les activités se sont focalisées sur le dialogue et la réflexion sans pouvoir se baser sur des références concrètes suscep- tibles d’informer le débat20; (ii) des controverses restées en suspens : les débats autour de la réforme foncière se sont figés sur des questions complexes de politique foncière, telle la valeur juridique des droits, le développement d’un marché foncier ou le rôle respectif de l’Etat et des collectivi- tés pour la gestion du Domaine national. Ces questions n’ont jamais été tranchées et une vision commune aux acteurs du secteur foncier reste à élaborer. Ce parcours montre à l’évidence que les processus de réforme par le biais de commissions administratives, de longs processus de consultation, d’études et d’ateliers successifs n’ont pas abouti. Il conviendrait de s’inspirer d’expériences et de pratiques de terrain pour relancer le débat 19 l’acte III de la décentralisation ; les politiques sectorielles de lutte contre la pauvreté, de sécurité alimentaire et de pro- motion des investissements ; l’harmonisation des politiques sous régionales de la CEDEAO, UEMOA et OHADA ; les lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique de la Commission de l’Union Africaine et de la Commission Economique pour l’Afrique ; les Directives Volontaires pour une Gouvernance des Régimes Fonciers et les Principes pour un Investissement Responsable dans l’Agriculture. 20 À l’exception notable des POAS (Plans d’Occupation et d’Affectation des Sols). 22 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES sur la base d’innovations testées et évaluées par les acteurs. Une réforme foncière ne passe pas a priori par un nouveau document de politique foncière. Un processus chemin faisant basé sur des actions concrètes, accompagnées d’ajustements du cadre juridique et institutionnel, semblerait plus efficace. Le Sénégal a des opportunités évidentes pour se doter d’un cadastre associant les collectivités territoriales. Au Sénégal comme dans de nombreux pays africains, le statut de la terre évolue, à des vitesses variables et selon les contextes locaux, d’un bien communautaire à un capital transfé- rable. Dans certaines régions, là où les systèmes de production agricoles tendent à s’individualiser et où le marché foncier est actif, il existe une demande sociale pour documenter les transactions foncières et représenter les parcelles à l’échelle locale. Cette tendance à l’écriture et à la carto- graphie des droits sur la terre se réalise avec l’aide de techniciens locaux et la validation des collectivités. Dans ce contexte nouveau de marchandisation de la terre, l’enjeu est de disposer de documents pour faire valoir les droits sur la terre auprès de l’entité administrative la plus proche. Plusieurs pays africains ont développé des politiques foncières pour accompagner cette évolution et se sont engagés dans des campagnes d’enregistrement massif des droits fonciers qui impliquent les communautés et collectivités locales : TABLEAU 1 : Nombre de parcelles enregistrées dans quelques pays d’Afrique sub-saharienne Parcelles enregistrées (2018) Objectifs Ethiopie 14.000.000 Rwanda 11.300.000 11.500.000 (couverture nationale) Mozambique 500.000 5.000.000, revu à 2.500.000 avant 2024 Madagascar 260.000 2.500.000 avant 2023 Côte d’Ivoire 4.000 1.000.000 avant 2023 Une nouvelle politique foncière doit répondre au besoin de documenter un marché foncier en développement, mais légalement ignoré. Certains rappellent que les communes ont une com- pétence reconnue depuis 1964 pour octroyer des droits d’usage dans le Domaine National et que l’acte III de la décentralisation maintient des dispositions favorables à une capacité communale de gestion des terres. La compétence foncière des collectivités est pour eux la garantie d’une pro- tection des droits existants. Pour d’autres, il est risqué de confier la gestion du Domaine national aux seules communes compte tenu de nombreux cas de spoliation et du nécessaire maintien d’une capacité de contrôle des terres rurales par l’Etat. Ces deux positions sont fondées et une solution serait d’associer les services techniques déconcentrés et les collectivités territoriales dans la mise en place d’un dispositif unique, à savoir un cadastre réalisé en interaction par les communes et les services compétents de l’Etat. Le cadre institutionnel est favorable à la mise en place de cette solution : (i) la DGID recherche voies et moyens pour un cadastre national ; (ii) un Bureau des Collectivités Territoriales récemment créé au sein du MEFP est chargé d’assister les collectivités MODERNISER LE FONCIER RURAL 23 dans la gestion du foncier et de favoriser leur autonomie financière ; et (iii) l’expérience de dif- férentes opérations dont celle du PDIDAS en matière de Bureaux Fonciers Communaux, de « délibérations sécurisées » permettant la délivrance de titres d’affectation rattachés au NICAD21, fournit des éléments fondateurs pour un cadastre rural. L’expérience du PDIDAS en matière foncière : bureaux fonciers et délibérations sécurisées. Depuis 2016, le PDIDAS a développé des actions pilotes qui fournissent les bases d’un cadastre rural22. 9 bureaux fonciers ont été installés dans les communes autour de Saint-Louis et du lac de Guiers. Ils sont chargés de procéder à la délivrance de « titres d’affectation » conformément à la législation en vigueur sur le Domaine National. Cette opération, démarrée en 2017 et inspi- rée d’opérations précédentes23, répond à une demande pour mieux formaliser les droits d’usage. Ces droits, habituellement consacrés par de simples délibérations du conseil communal, font désormais l’objet d’une procédure plus rigoureuse avec enquête de terrain systématique, carto- graphie des parcelles, contrôle par une commission ad hoc, inscription dans un registre spéci- fique, contrôle-qualité, intégration dans un Système d’Informations Foncières et attribution d’un NICAD. Cette opération a rencontré un vif succès : 23.000 demandes ont été déposées auprès des 9 communes en moins d’une année. En octobre 2018, 7.000 parcelles totalisant 28.000 ha ont fait l’objet d’une enquête, et la moitié d’entre elles sont inscrites dans le registre communal. Près de 3.000 terrains ont déjà fait l’objet d’une délibération dite « sécurisée » compte tenu des différents niveaux de contrôle -par la DGID et les services préfectoraux- liés à cette nouvelle procédure. En parallèle, la DGID et ses services régionaux de Saint Louis ont commencé un découpage des territoires communaux en sections cadastrales afin de permettre l’attribution de NICAD. Ainsi, cette opération participe d’une opération cadastrale en milieu rural, qui com- bine la capacité d’intervention locale des collectivités et la compétence technique des services de la DGID. Certains maires, élus dans des localités situées hors de la zone d’intervention du PDIDAS, ont souhaité être également équipés d’un Bureau Foncier. Options de politiques : propositions préliminaires III.  d’amélioration du secteur foncier rural Afin d’améliorer la gestion du secteur du foncier rural, deux options se présentent. La pre- mière option serait de mettre en place une nouvelle commission chargée de la refonte de la politique foncière24, de la consultation des parties prenantes et de la formulation d’ajustements législatifs à soumettre au Gouvernement, suivis d’un plan d’action sectoriel. Une deuxième 21 Numéro d’Identification Cadastrale, attribué par les services techniques de la DGID. 22 Voir annexe 3. 23 Projet d’Appui aux Communautés Rurales (PACR), financement AFD et projet foncier du MCA. 24 En tenant compte des travaux des commissions précédentes, et notamment de la CNRF. 24 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES option viserait à améliorer les outils existants et en fonction des leçons acquises, à ajuster le cadre législatif et réglementaire. La première option est risquée : l’expérience a montré (i) la fragilité d’un processus uniquement basé sur le dialogue et (ii) la nécessité de nourrir les exercices de concertation par des expériences concrètes et capitalisées. La création et l’ancrage institutionnel d’une commission sont également des sujets lourds d’enjeux qui peuvent entraî- ner des délais supplémentaires ralentissant la mise en place d’une nouvelle politique foncière. En revanche, l’option 2, plus pragmatique, peut se mettre en place dès à présent car elle peut se développer conformément au cadre juridique actuel et ne nécessite dans l’immédiat aucune modification de texte. Cette option s’aligne par ailleurs sur les orientations du PAP du PSE en faveur d’un cadastre universel25. Sa mise en œuvre n’exige pas la création d’une véritable commission, mais la création d’une task force opérationnelle dédiée facilitera la coordination des activités. Cette deuxième option comprend deux étapes successives : (i) en premier lieu, la mise en place progressive d’un cadastre rural, dont le déploiement est à raisonner en tranches successives selon les contextes régionaux et les ressources disponibles ; (ii) suivie d’une réforme du cadre juridique conçue en fonction des résultats du cadastre rural, en perspective d’une évolution de droits d’usage vers des droits réels si les procédures d’enregistrement s’avèrent suffisamment fiables pour une garantie de droits par l’Etat. Ces deux étapes sont détaillées dans la matrice ci-dessous : TABLEAU 2 : matrice de réforme Objectifs Terme Indicateurs Création d’une task force dédiée à la Mois 1 Ordonnance ou circulaire de création, avec conception du Plan National pour le représentants de la société civile Cadastre Rural Plan National pour le Cadastre Rural Année 1 Document disponible, présenté aux acteurs, validé. Formation Ingénieur Foncier Année 1 Lancement d’un premier cursus Création d’un Observatoire du Foncier Année 1 Ordonnance ou circulaire de création, avec représentants de la société civile. L’Observa- toire sera chargé en priorité de la capitalisation des premières actions de terrain. Mise en place de Bureaux Fonciers Année 2 120 Bureaux Fonciers constitués Système d’Informations Foncières Année 2 SIF opérationnel dans deux services régionaux Nouvelle loi d’orientation Année 3 Draft de révision de la loi de 1964 Campagne de régularisation foncière Année 5 300.000 titres d’affectation avec NICAD 25 PSE / PAP, p. 106. MODERNISER LE FONCIER RURAL 25 Plan National pour un Cadastre Rural – Année 1 Création d’une task force. La mise en place d’un cadastre rural est un chantier national qui nécessite au préalable l’élaboration d’un Plan par une task force dédiée. Cette équipe technique, de taille limitée et placée sous l’autorité du MEFP26, pourrait être composée de responsables des services techniques concernés, de représentants de collectivités locales ayant une expérience en matière foncière et d’experts fonciers nationaux. Elle serait chargée de produire en 6 mois un Plan National pour un Cadastre Rural. Contenu du Plan. Ce Plan est un document qui présente : les principes généraux d’un cadastre rural, à savoir la mise en place d’un Système d’Informations Foncières national conçu et géré par la DGID, alimenté par les « délibérations sécurisées » rendues par des Communes équipées d’un Bureau Foncier, avec attribution d’un NICAD pour chaque parcelle ; i. Les modes opératoires, déterminant les séquences de mise en place, les modalités de fonction- nement et de pérennisation du cadastre, les outils et technologies adaptés au contexte rural sénégalais. Le Plan doit déterminer un modèle financier et fiscal qui permette la prise en charge des coûts de fonctionnement du Bureau Foncier ; ii. Les résultats attendus ; iii. Une identif ication des besoins, contraintes et risques, avec un développement particulier pour la conception de dispositions favorables à la reconnaissance des droits fonciers des femmes et des populations non sédentaires. Ce plan doit déterminer des orientations sur tarification des enregistrements et des mutations pour permettre aux plus pauvres d’en bénéficier ; iv. Les mesures d’accompagnement, en termes d’ajustements juridiques, de formation et de renforcement de capacités de la DGID en appui-conseil et en supervision technique des communes ; v. Le dispositif d’évaluation, à la fois de la performance de l’outil et de l’impact de la sécurisation foncière sur le développement agricole, sur l’investissement privé et la protection des droits des plus vulnérables, dont les femmes ; vi. Le budget et le calendrier prévisionnels. Après 6 mois de préparation, ce Plan pourrait faire l’objet de : (i) une présentation aux acteurs du secteur et (ii) une validation politique au plus haut niveau de l’Etat. 26 Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan. 26 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Développement du Cadastre Rural – de 2 à 5 ans Le Plan National pour un Cadastre Rural pourrait s’articuler autour de 5 actions clés, à mener concomitamment : Action 1 : Mise en place de bureaux fonciers communaux et campagnes de régularisation foncière Objectifs. Il s’agit d’équiper les Communes de Bureaux Fonciers27, c’est-à-dire des services fon- ciers de proximité, pérennes et supportés par la commune, chargés (i) de l’enregistrement des droits d’usage, selon des procédures fiabilisées, notamment lors de campagnes de régularisation systématique des droits fonciers ; (ii) de l’enregistrement des transactions subséquentes et de la mise à jour de la base de données foncière communale ; (iii) de la résolution d’un premier niveau de conflits ; (iv) du transfert d’informations foncières à la DGID pour attribution d’un NICAD et pour élaboration de la base de données foncière nationale et (v) des relations avec le corps préfectoral et les organismes d’aménagement sur les questions foncières. Modes opératoires. Cette opération serait conduite sous la responsabilité du MEFP et de ses directions concernées, avec la mise en place d’un comité technique paritaire28 chargé du suivi de la mise en œuvre du Plan. Il est recommandé de commencer la mise en place du cadastre rural sur un nombre limité de communes (moins de 120), après une campagne d’information et de sélection des communes selon des critères transparents. Ces opérations d’appui à la maîtrise d’ouvrage communale pour la mise en place de Bureaux Fonciers et pour des campagnes de régu- larisation de droits fonciers supposent un effort de formation du personnel communal, voire des recrutements complémentaires, et le renforcement de capacités en cartographie et en archivage. Actions spécifiques pour la promotion de droits fonciers en faveur des femmes. En accompagnement des opérations de régularisation de droits fonciers, un programme de sen- sibilisation et d’information devrait intégrer une série d’actions visant à mettre en cohérence les principes constitutionnels d’équité et les pratiques foncières. Ces actions peuvent porter sur des campagnes nationales de sensibilisation sur les droits des femmes, sur des formations auprès des collectivités locales pour favoriser la reconnaissance de droits des femmes et les délibérations foncières en faveur des femmes. 27 Le modèle initial envisage un bureau foncier par commune. En fonction des contextes locaux, de la demande sociale en sécurisation foncière et des ressources disponibles, l’investissement peut être limité à un bureau foncier intervenant sur deux ou plusieurs communes. Des mécanismes de fonctionnement intercommunal restent à mettre au point. 28 Ouvert aux autres ministères concernés et à des représentants d’organisations de la société civile. MODERNISER LE FONCIER RURAL 27 Action 2 : Modernisation des infrastructures et renforcement des capacités des institutions en charge du foncier rural Modernisation des infrastructures et des outils. La mise en place d’un cadastre rural nécessite des investissements pour certaines infrastructures clé, notamment : i. L’établissement d’un Système d’Informations Foncières original permettant (i) la migration de données entre les collectivités territoriales et les services techniques compétents ; (ii) en fonction de la connectivité et de l’électrification, une saisie des informations foncières et topographiques dès la phase d’enquête sur terrain, par le recours à des tablettes ; et (iii) l’intégration de données spatiales relevant de l’aménagement du territoire (POAS, schéma d’aménagement hydraulique, . . . ) ; ii. L’acquisition d’images satellitaires ou de photographies aériennes d’une résolution suffisante pour les travaux de terrain. Une étude de faisabilité spécifique aux outils et aux infrastructures sera nécessaire pour tenir compte des dernières avancées technologiques et leur adéquation au contexte sénégalais. Renforcement des capacités des services administratifs. Le recours à de nouvelles techno- logies et la mise en œuvre de procédures plus rigoureuses impliquent le développement de capacités d’appui-conseil et de supervision au sein de la DGID et des autorités préfectorales. Ces services doivent disposer des équipements et des formations nécessaires à leurs fonctions d’assistance à la maîtrise d’ouvrage communale en matière foncière, de contrôle qualité des procédures et d’élaboration du cadastre. Il convient également de clarifier au préalable les com- pétences respectives des différentes administrations, sociétés d’aménagement et autres acteurs publics. La question de la matérialisation des limites inter-communales parmi les activités d’accompagnement à la sécurisation foncière reste à débattre. Action 3 : Plan de Formation aux Métiers du Foncier Rappel des enjeux. Le Plan National pour un Cadastre Rural doit anticiper sur une forte augmentation des besoins en ressources humaines pour la conception, la mise en œuvre et le suivi de ce chantier. L’appui simultané à plusieurs centaines de communes et le renforcement des administrations en charge du foncier vont mobiliser des centaines d’agents dans différentes régions. Les ressources humaines actuellement disponibles ne peuvent suffire et il convient de prévoir une extension du marché de l’emploi dans le secteur foncier. Aussi, la perspective d’un cadastre rural doit intégrer un Plan de Formation aux Métiers du Foncier afin de répondre aux besoins des secteurs public et privé dans différents métiers : droit foncier, technologies de l’infor- mation, sciences sociales, topographie et géodésie. Modes opératoires. Ce programme vise la mise au point de dispositifs de formation de techniciens du foncier conçues et mises en œuvre par les institutions de formation existantes (universités, écoles 28 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES d’ingénieurs, écoles professionnelles). Des modules doivent permettre de mettre à disposition des administrations et des entreprises de jeunes professionnel- les qualifié- es dans les nouveaux métiers du foncier. Des formations continues sont à prévoir pour faciliter le recyclage de techniciens plus expérimentés, actuellement en fonction. Des actions de benchmark (visites d’expériences inter- nationales29, ateliers d’échanges, participations à des évènements sur le foncier) sont également à envisager pour favoriser des partages d’expériences au bénéfice des formateurs et des opérateurs. Action 4 : Mise à jour du cadre juridique A court terme, aucun changement n’est nécessaire. La mise en place d’un cadastre rural ne nécessite pas a priori de changements légaux immédiats, si ce ne sont des décrets d’application pour déterminer les modes opératoires et clarifier les responsabilités institutionnelles dans l’éta- blissement du cadastre. A moyen terme, une réforme du droit foncier est envisageable (3 ans). Une nouvelle loi d’orien- tation permettrait la mise à jour des principes juridiques hérités de la loi de 1964 dans l’esprit du PSE qui vise une « transformation graduelle des droits d’occupation actuels des ruraux en droits réels ». L’idée force de cette nouvelle loi serait de valider l’évolution des droits d’usage vers des droits réels dès lors qu’ils sont inscrits dans un registre cartographié et « nicadisé ». Il s’agirait de considérer les affectations délibérées par les communes non plus comme la reconnaissance de droits d’usage, mais comme la validation de droits réels à partir du moment où le mode opératoire des délibé- rations par les communes reprend toutes les exigences d’un droit réel, à savoir (i) une enquête de terrain, (ii) la cartographie de la parcelle, (iii) l’inscription dans un livre foncier et à partir du moment où les procédures prévoient un dispositif de contrôle triple, par les autorités locales, par les autorités préfectorales et par les autorités techniques. Les premiers Bureaux Fonciers et titres d’affectation avec NICAD seront autant de points de démonstration susceptibles de fournir aux décideurs et aux législateurs l’expérience concrète nécessaire à une modification des textes. Cette évolution vers un droit réel permettrait à la loi de reconnaître des pratiques foncières déjà à l’œuvre et d’ouvrir de nouvelles perspectives, notamment en termes de formalisation du marché foncier et d’accès au crédit. Action 5 : Mise en place d’un cadre institutionnel Coordination. La mise en œuvre du Plan National pour un Cadastre Rural est à coordonner par le ministère en charge du foncier, à savoir le MEFP. Il doit disposer d’une capacité opérationnelle 29 Le cas de la Côte d’Ivoire en matière de formation aux métiers du foncier est intéressant. Plusieurs établissements de formation technique (Institut National de Formation Professionnel Agricole, INFPA, Institut National Polytechnique, ENA) sont mobilisés pour mettre à disposition d’administrations et d’opérateurs privés de jeunes techniciens et cadres chargés de la mise en úuvre de la politique foncière rurale. La Côte d’Ivoire, comme le Sénégal, sont en voie de s’insérer dans un réseau de centres de recherches et de formation au foncier (Network of Excellence on Land Governance in Africa – NELGA https://nelga.org/). MODERNISER LE FONCIER RURAL 29 pour la mise en œuvre et le suivi des opérations de terrain ainsi que pour la coordination des éven- tuels appuis financiers extérieurs. Une cellule spécifique pour la coordination des opérations est souhaitable. Compte tenu de l’ampleur de ce chantier national, il sera opportun de confier la réa- lisation des opérations de terrain à des prestataires qualifiés sélectionnés sur une base compétitive. Capacité d’analyse et de suivi. La capitalisation des opérations de terrain, le suivi de la per- formance des activités et l’évaluation d’impacts sont des activités indispensables pour orienter les directions du Plan et pour mesurer ses effets. Cette capacité d’analyse et de suivi peut être confiée à un centre de recherches ou une université existants ou à un dispositif spécifique de type Observatoire du Foncier. IV. Conclusion : une stratégie pragmatique pour une réforme foncière « en douceur » La nécessité d’une modernisation du secteur foncier rural et de la gestion du domaine national ne fait plus débat. La manière de procéder et le modèle de politique foncière qui en résulte sont en revanche au centre des discussions depuis plus de 20 ans. Compte tenu des tentatives avortées de réforme foncière et de nouvelles orientations formulées en matière foncière par le PSE, il semble pertinent d’engager une démarche plus pragmatique. Ainsi, le lancement d’une première tranche de cadastre rural dans une centaine de communes permettrait la formalisation massive des droits fonciers, conformément au cadre constitutionnel et légal en vigueur, à l’aide d’outils permettant davantage de rigueur, de transparence et de fiabilité. Sur la base de cette évolution, une décision politique autorisera le législateur à réviser certains fondements de la loi de 1964, afin de documen- ter le marché foncier et de mettre en cohérence le cadre légal avec des pratiques légitimes. ANNEXES Annexe 1 : Expériences internationales d’enregistrement massif des droits fonciers ruraux L’expérience emblématique du Rwanda30 : 11,3 millions parcelles enregistrées en 7 ans La rareté de la terre et l’insécurité des droits fonciers comptent parmi les causes du génocide au Rwanda en 1994. Les autorités rwandaises ont ensuite considéré comme une priorité de trai- ter la question foncière en adoptant en 1999 une loi sur les successions pour reconnaître les droits Ali, Deininger K., Duponchel M., 2016. Using Administrative Data to Assess the Impact and Sustainability of 30 Rwanda›s Land Tenure Regularization. Policy Research Working Paper 7705. The World Bank. 33 p. 30 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES fonciers des femmes, suivie en 2004 par une nouvelle politique foncière traduite en loi organique dès 2005 et par la création de District Land Bureaus (DLBs), une nouvelle institution chargée de la gestion foncière aux niveaux des districts et des communes. En l’absence d’expériences, une première opération pilote a été lancée pour enregistrer 15.000 parcelles de 2007 à 2010 dans 4 zones représentatives de la diversité géographique du pays. A cette occasion, une procédure innovante de délimitation et d’enregistrement des droits, basée sur des opérations systématiques utilisant des images satellitaires, a été mise en œuvre par des enquêteurs villageois formés au préalable. En présence des voisins et des autorités locales, ces enquêteurs ont tracé les limites de parcelles sur les images, éta- bli une numérotation unique et enregistré les revendications de droit. Ces données ont été numérisées et affichées localement pendant un mois pour tenir compte d’éventuels recours avant que ne soient établis des titres et des baux au niveau central. L’évaluation de cette opération pilote a permis de constater une amélioration de la reconnaissance des droits des femmes mariées ainsi qu’une augmentation des investissements favorables à la conservation des sols. La formalisation des droits n’a pas généré d’augmentation de ventes de détresse. Ces pilotes ont également permis d’améliorer la méthode d’intervention en vue d’une opération à grande échelle conduite par la Rwanda Natural Resource Authority (RNRA). En moins de 3 ans, la RNRA est parvenue à délimiter de manière participative 11,3 millions de terrains (sur les 11,5 millions que compte le Rwanda) pour un coût moyen de $6 / parcelle, créant ainsi une référence emblématique en matière d’enregistrement de droits fonciers. Les évaluations réalisées à la suite de cette opération ont montré une nette amélioration de la sécu- rité foncière au profit tant des hommes que des femmes et une plus grande fiabilité des locations et des cessions de terre. Les investissements sur la terre n’ont pas augmenté immédiatement, mais ce programme a fourni les bases pour une augmentation des investissements agricoles à moyen terme. L’enregistrement régulier des transactions reste un défi à relever au risque d’un décalage des informations foncières avec la réalité des occupations. La gestion foncière décentralisée à Madagascar : 500 communes équipées de guichets fonciers communaux et certification foncière massive Bref historique de la réforme foncière malgache – Depuis plusieurs décennies, Madagascar subit une crise foncière qui a largement contribué aux difficultés économiques et aux ten- sions sociales actuelles. Une administration foncière dotée de faibles ressources, un cadre juridique dépassé, hérité de la période coloniale et une perte de confiance des usagers vis- à-vis des institutions publiques nationales ont provoqué la faillite du service public de ges- tion des terres. Depuis 15 ans, les 36 circonscriptions foncières délivrent difficilement plus de 4.000 titres fonciers par an dans l’ensemble d’un pays qui compte environ 10 millions de terrains. De plus, les services fonciers éprouvent de sérieuses difficultés pour maintenir MODERNISER LE FONCIER RURAL 31 les archives foncières en état et ils ne parviennent plus à enregistrer les transactions si bien que les informations conservées sont souvent sans rapport avec la réalité des occupations des terrains titrés. Cette situation de crise foncière pèse sur le climat des investissements et sur la paix sociale. Conscient de cette situation, le Gouvernement de Madagascar s’est engagé dès 2005 dans une réforme foncière basée sur la modernisation de l’administration et sur la décentralisation de la gestion foncière. Principales innovations – La réforme de 2005 a introduit de profonds changements et le principal est sans doute la suppression de la présomption de domanialité. Jusque-là, les terrains occupés mais non titrés étaient considérés comme supposés appartenir à l’Etat. Les nouvelles lois les considèrent désormais comme des propriétés privées que les communes nouvellement équipées de guichets fonciers sont en charge de formaliser en délivrant non pas des titres fonciers mais des certificats fonciers en suivant une procédure locale et contradictoire. La valeur juridique des certificats fonciers est pratiquement identique à celle des titres fonciers et Madagascar a maintenant deux systèmes de gestion foncière. L’administration foncière est charge de la gestion des domaines de l’Etat et de la propriété privée titrée tandis que les Communes sont responsables de la gestion des propriétés privées non titrées. L’originalité du modèle malgache tient à plusieurs caractéristiques : 77 Les droits certifiés sont des droits de propriété et non des droits d’usage. Il est légalement possible de faire avec un certificat ce qui est possible de faire avec un titre foncier (vente, morcellement, bail, . . . ). 77 Les droits fonciers sont gérés localement par un dispositif de proximité, le guichet foncier communal. 77 La cartographie des droits fonciers se fait sur la base d’une photographie aérienne de haute précision, sur la base d’un consensus entre voisin et conformément au nouveau cadre légal, sans recours à des géomètres professionnels, ce qui permet un maintien du coût d’enregistrement à un niveau très bas. Premiers résultats de la réforme foncière – La gestion foncière décentralisée présente des résultats encourageants. Depuis 2006 et avec l’appui de la communauté internationales, 546 Communes sur 1.550 ont été équipées d’un guichet foncier communal. Elles ont reçu près de 400,000 demandes et ont délivré plus de 250.000 certificats. Cette nouvelle procédure de reconnaissance des droits de propriété privée non titrée par des commissions locales et sans fonctionnaire des Domaines ni géomètre permet une économie considérable de temps et de coût pour garantir officiellement un droit de propriété. Selon la méthode utilisée (enregistrement à la demande ou systématique), le coût moyen d’un certificat foncier varie de $6 à $14 et le temps moyen de procédure est d’environ 7 mois, ce qui est à comparer avec les $500 et les 6 à 10 ans nécessaires en moyenne à l’établissement d’un titre foncier. 32 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES L’Agence Foncière Rurale de Côte d’Ivoire : une nouvelle institution chargée de la mise en œuvre de la loi foncière de 1998 La difficile mise en œuvre de la loi sur le foncier rural – Le Gouvernement de Côte d’Ivoire a manifesté une réelle volonté politique pour améliorer la gouvernance foncière sans par- venir à appliquer à une échelle significative la législation actuelle, à savoir la loi n°98–750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. Il était espéré de cette loi qu’elle permet- trait en moins de 10 ans la formalisation des droits fonciers coutumiers et leur transformation en droits de propriété dans l’ensemble du pays. Cette reconnaissance des droits devait d’abord aboutir à un certificat foncier, celui-ci devant ensuite être converti en titre foncier dans un délai de trois ans. Cette loi n’a été que très partiellement appliquée. Elle a suscité de nombreuses controverses dans la mesure où elle opère une distinction entre autochtones et migrants et son application est si compliquée et si chère que son déploiement à l’échelle nationale est toujours attendu. Promulguée il y a 20 ans, elle reste aujourd’hui d’une mise en œuvre circonscrite à des projets pilotes de certification foncière menés avec l’assistance des bailleurs de fonds et dont les résultats quantitatifs restent d’une ampleur limitée. En 2018, seulement 4.000 certificats fonciers ont été délivrés dans un pays qui compte près de 1.000.000 de parcelles rurales, c’est-à-dire que seulement 0,4 % des terres certifiables ont été formalisées. Des raisons objectives, notamment les années de guerre civile pendant lesquelles des actions de terrain n’étaient pas envisageables, expliquent en partie ces chiffres. La faiblesse des résultats conduit néanmoins à revoir en détail les procédures, leur complexité étant à l’origine du faible dyna- misme constaté. La procédure actuelle de certification témoigne d’un grand souci de précision et de fiabilité avec la perspective de délivrer un document irréfutable susceptible de garantir la pleine propriété. Il reste que la complexité de cette procédure, les dispositions limitant l’accès à la propriété aux seuls ressortissants ivoiriens, le nombre élevé d’intervenants et les coûts de revient rendent le certificat, et plus encore le titre, inaccessibles à la grande majorité des agriculteurs ivoiriens. L’Agence Foncière Rurale, une innovation institutionnelle pour une certification de masse – En 2016, le Gouvernement ivoirien crée une Agence Foncière Rurale31 en vue de relever le défi d’un enregistrement massif des droits coutumiers dans le domaine foncier rural. L’enjeu est de limiter le nombre d’intervenants et de disposer d’une force opérationnelle chargée de la mise en œuvre de la loi foncière. Rattachée au Ministère de l’Agriculture, l’AFOR est un établissement public disposant de l’autonomie financière chargé de la coordination de toutes activités relatives à la sécurisation des terres rurales, à savoir les opérations de certification, de contractualisation, de délimitation des territoires villageois, de mise en œuvre d’un Système d’Informations Foncières et d’archivage. La direction de l’AFOR est tenue de rendre compte à un Conseil de Surveillance ad hoc. Elle est financée par l’Etat ivoirien sur ressources propres et par plusieurs bailleurs de 31 Décret 2016-590 du 3 août 2016. MODERNISER LE FONCIER RURAL 33 fonds (Union Européenne, Banque mondiale, AFD). L’AFOR a démarré ses activités depuis fin 2017. Elle dispose de son propre programme de travail, coordonne les appuis internationaux, et met en œuvre toutes les activités fiduciaires et techniques liées aux opérations de sécurisation foncière rurale (conception des opérations, passation de marchés, contrôle-qualité des interven- tions confiées à des prestataires privées, relations avec l’administration territoriale et technique, suivi-évaluation, . . . ). Son personnel constitué de consultants et de fonctionnaires détachés est recruté sur une base compétitive. En créant l’AFOR, le Gouvernement de la Côte d’Ivoire a transformé le paysage institu- tionnel du foncier rural. Cette agence permet d’aligner les démarches sur des outils nationaux (ex. : manuel d’opérations unique) et de coordonner les appuis en soutien à une politique nationale de sécurisation foncière rurale. Elle est supposée devenir l’interlocuteur principal de l’ensemble des acteurs du foncier rural. Cette structure, encore très récente, méritera toute l’attention requise pour tirer des enseignements sur l’intérêt des agences foncières rurales en Afrique sub-saharienne. Annexe 2 : Constat : un décalage majeur entre loi et pratiques La loi de 1964 sur le domaine national et son décret d’application ne sont que très partiellement respectés. Sa stricte application pourrait d’ailleurs nuire au développement économique. Les usagers et responsables de collectivités déplorent le manque de capacités et d’équipements pour gérer les droits fonciers au niveau local. Ils reconnaissent adapter les normes et les procédures à tel point que de nouvelles règles se sont imposées en décalage avec le cadre légal : Principes de la loi Interprétations et de 1964 Référence juridique pratiques locales Les affectations Art. 8 : Les terres de culture sont affec- Les terres sont affectées sans tenir de terres sont tées aux membres de la communauté compte de l’origine du demandeur. réservées aux membres de la Les notions de communauté et communauté d’appartenance à la communauté restent floues, surtout dans le cas de communautés rurales récemment subdivisées La location de Art. 18 (décret) : La désaffectation des Les locations sont courantes, au sein terre n’est pas terres peut être prononcée ( . . . ) si des familles ou avec des tiers, et permise l’intéressé cesse d’exploiter nécessaires en cas d’incapacité personnellement temporaire de mise en valeur La vente de terres Art. 19 (décret) : L’affectation est L’interdiction de vente est connue mais est interdite personnelle ( . . . ). Elle ne peut faire il existe un marché foncier de fait. Les l’objet d’aucune transaction terres rurales ont un prix de vente. Les communes régularisent les ventes a posteriori par délibération d’affectation. 34 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Principes de la loi Interprétations et de 1964 Référence juridique pratiques locales Les héritages Art. 20 (décret) : L’affectation prend fin En cas de décès, les familles sont contrôlés au décès de la personne physique s’entendent sur les nouveaux titulaires missions restent de droits. Les trans­ Art. 22 (décret) : les héritiers obtiennent gérées par les familles. La terre reste l’affectation à leur profit ( . . . ) dans les au sein des familles et n’est pas limites de leur capacité d’exploitation réaffectée. et ( . . . ) sous réserve de ne pas aboutir à la constitution de parcelles Les communes régularisent si trop petites. besoin les héritages par délibération d’affectation Ces quelques constats montrent à quel point certaines des dispositions fondamentales de la loi de 1964 ne sont pas applicables et pas appliquées. Si elles étaient strictement appliquées, elles auraient d’ailleurs un impact négatif sur le développement en freinant la mise en valeur agricole. Annexe 3 : Quelques illustrations de l’expérience du PDIDAS en matière de foncier rural Travaux en cours de découpage en sections cadastrales par les services régionaux de la DGID à Saint Louis. Les services régionaux de la DGID à Saint-Louis ont entrepris un premier découpage en section de leur territoire de ressort. Ce maillage va permettre l’établissement de numéros NICAD pour les parcelles relevées par les Communes. MODERNISER LE FONCIER RURAL 35 Report des sections cadastrales (rouge) et des délibérations sécurisées de droits d’usage (bleu) sur un orthophotoplan Cette image représente en rouge les délimitations des sections et sous-sections cadastrales réalisées par la DGID et en bleu les parcelles identifiées et levées par les communes. Bureau foncier communal Investissement du projet PDIDAS pour loger le Bureau Foncier Communal, son service d’accueil et sa documentation foncière. 36 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Registre foncier communal mis en place par le PACR Ce registre, réalisé en 2015 avec l’appui d’un projet financé par l’AFD, recense les informations concer- nant chaque parcelle identifiée par la commune. Bibliographie APIX, 2011. Check list pour l’accès au foncier. 13 p. Benkahla A., Faye J., Touré O., Seck S.M., Ba C.O., 2011. Les organisations paysannes sénégalaises dans le processus de réforme foncière. Initiative Prospective Agricole et Rurale, 69 p. Benkahla A., Seck S.M., 2011. Pour une véritable concertation sur les enjeux et objectifs d’une réforme foncière au Sénégal. IPAR / AFD / Inter-Réseaux. 5 p. Bourgoin J., Diop D., Dia D., 2017. Accès et usages de l’information foncière. Cas des POAS. Les notes politiques de l’ISRA-BAME n°5. 7 p. Bourgoin J., Diop D., Dia D., 2017. Réalités et enjeux de l’acquisition massive des terres par l’agro- industrie au Sénégal. Les notes politiques de l’ISRA-BAME n°6. 6 p. Boutilier J. L., 1989. Irrigation et problématique foncière dans la vallée du fleuve Sénégal. ORSTOM. Cahiers Sciences Humaines 25 (4), :469–488. Commission chargée de la Réforme du Droit de la Terre, 2005. Quelques propositions de réforme sur la gestion foncière en milieu rural. 26 p. Commission Nationale de Réforme Foncière, 2016. Document de Politique Foncière. République du Sénégal. 35 p. MODERNISER LE FONCIER RURAL 37 Comité Technique Foncier & Développement, 2015. La réforme foncière au Sénégal : bilan d’étape et défis. Note de synthèse n°18. Juillet 2015. 9 p. CONGAD, 2012. Rapport de l’étude sur la gouvernance du foncier agro-sylvo-pastoral dans les régions de Louga, Saint-Louis et Matam. 187 p. CRAF, 2016. Document de synthèse des réflexions du Cadre de Réflexion et d’Actions sur le Foncier dans le cadre du processus de réforme foncière au Sénégal. 8 p. D’Aquino P., Seck S., 2015. Au Sud, formaliser ou sécuriser les droits locaux sur la terre ? Leçons de l’expérience sénégalaise dans la vallée du fleuve Sénégal. 16 p. D’Aquino P., 2015. Elaboration participative de règles collectives de gestion des ressources naturelles et du foncier. Des effets durables, de l’échelle locale jusqu’à l’échelle nationale. Cirad. Perspectives n°33. 4 p. Diagne S., 1996. Plan d’Action Foncier du Sénégal. Ministère de l’Agriculture / Synergie Consulting. 121 p. ENDA PRONAT, 2011. Rapport scientifique. Amélioration et sécurisation de l’accès des femmes au foncier au Sénégal. CRDI, 107 p. Fall M., Ngaido M., 2016. Investissements fonciers, redevabilité et cadre légal. IIED / IED. 20 p. Faye I. M., Benkahla A., Touré O., Seck S.M., Ba C.O., 2011, Les acquisitions de terres à grande échelle au Sénégal : description d’un nouveau phénomène. IPAR, 45 p. Faye I. M., 2016. Améliorer l’accès aux ressources pastorales : un défi pour les réformes en cours au Sénégal. APESS / GRET, 4 p. Faye J., 2008. Foncier et décentralisation. L’expérience du Sénégal. IIED, 13 p. Gauthier J. P., 2015. Diagnostic du cadre juridique et institutionnel du projet de plateforme intégrée de Diamniadio. ONUDI, 105 p. GESTES, 2012. Sénégal : les femmes rurales à l’épreuve d’une citoyenneté foncière. Université Gaston Berger. IPAR, 2013. Gouvernance foncière au Sénégal : Promouvoir la transparence et l’équité pour que la terre ne soit plus une source de conflits. (Synthèse LGAF) Banque mondiale. 5 p. Jokkale, 2016. Les enjeux de la sécurisation foncière et de l’accès des femmes au foncier dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Sénégal. Plateforme des ONG européennes au Sénégal / UE. 18 p. Koffi M., Galpin C., 2012. Vers la mise en place d’une gestion foncière communale dans la vallée du fleuve Sénégal. Grain de Sel n°57, : 33–34. Koffi M., Galpin C., 2012. Quelle place pour les outils dans le processus de sécurisation du foncier rural au Sénégal ? PACR. 3 p. MCA Senegal, 2012. Inventaire de l’occupation et des droits sur les terres à Podor. 38 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, 2018. Plan Sénégal Emergent. Plan d’Actions Prioritaires. 144 p. Niang A., Knapman C., 2017. Au Sénégal, l’accès aux terres des exploitants familiaux menacés. Briefing IIED, IPAR, Janvier 2017. 4 p. Plançon C., Ndiaye I., 2010. Une piste de solution pour la réforme foncière au Sénégal. La fiducie comme mode d’appropriation de la terre. LAJP / CTFD. 102 p. Rochegude A., Plançon C., 2009. Décentralisation, foncier et acteurs locaux - Fiche pays Sénégal. CTFD, AFD / MAE. 26 p. Seck S., Neu D., Traoré S., 2012. Evaluation à mi-parcours du PACR. GRET / e-Sud Consulting, 133 p. Touré O., Seck S., 2013. Amélioration de la gouvernance foncière au Sénégal : enjeux actuels et défis pour l’avenir. AFD / Ministère des Affaires Etrangères. Comité Technique Foncier & Développement 23 p. Touré O. et al., 2012. Rapport de synthèse des ateliers paysans sur la réforme foncière et les enjeux de sécurisation foncière des exploitations familiales au Sénégal. CNCR / IPAR. 21 p. Traoré S., 2004. La fille aînée de l’Etat du Sénégal cherche prétendant. Enjeux fonciers environnementaux. : 173–184. USAID, 2011. Property rights and resource governance. Senegal Country profile. 28 p. MODERNISER LE FONCIER RURAL 39 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL Résumé exécutif Le défi de l’accès à l’électricité au Sénégal est clairement un enjeu rural. En 2017, le taux d’accès à l’électricité – 67,5% dans son ensemble – masque des disparités significatives entre les zones urbaines et rurales. Environ 90% de la population urbaine a accès à l’électricité, contre seulement 40% des ménages ruraux. Toutefois, la lutte contre la pauvreté et toute politique visant une croissance inclusive doivent, pour réussir, se concentrer sur les zones où l’incidence de la pauvreté est la plus forte, à savoir les zones rurales. L’accès à l’électricité dans les zones rurales est une condition préalable à l’accès à des services sociaux de base de haute qualité, qu’il s’agisse des services de santé, d’éducation, d’approvisionnement en eau potable, mais aussi des activités qui contribuent à l’amélioration de la productivité et au développe- ment rural, telle que la transformation des produits agricoles. L’amélioration de l’accès à l’électricité est l’un des objectifs stratégiques du Plan d’Actions Prioritaires 2019–2023 du Plan Sénégal Emergent (PSE), avec un objectif de 81.3% de taux d’accès global à l’horizon 2023, ce qui représentera un net progrès. Le gouvernement veut atteindre l’accès universel à l’électricité d’ici 2025, ce qui est un objectif très ambitieux, compte tenu du rythme passé de progression de l’accès et des importants besoins de finan- cement qui sont associés à cet objectif dans le court terme. Au rythme linéaire actuel de progression, qui s’établit à environ 3 % par an, l’accès universel ne sera atteint qu’en 2045. En 1998, le gouvernement a adopté une nouvelle approche de l’électrification rurale avec la mise en place de 10 concessions privées, tandis que l’expansion de la société publique d’électricité (SENELEC) a été limitée géographiquement pour éviter la concurrence entre acteurs publics et privés. Malgré l’importante aide publique accordée aux six concessions privées attribuées jusqu’ici, sous la forme de subventions d’investissements et d’incitations fiscales, les résultats obtenus en termes de raccordements supplémentaires restent bien en-deçà des objectifs. De toute évidence, il est nécessaire de revisiter la stratégie du gouvernement en matière d’élec- trification rurale compte tenu de l’ambitieux programme visant à atteindre l’accès universel d’ici 2025. L’objectif de la présente note d’orientation, qui s’inspire de la note stratégique sur l’accès à l’électri- cité au Sénégal préparée par la Banque mondiale, est de contribuer à la réflexion du gouvernement pour réorienter sa stratégie d’électrification rurale. La note examine la problématique de l’accès à l’électricité et propose des options et un plan d’action pour accélérer l’électrification au Sénégal. 40 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL Manuel Luengo et Philippe Durand Table des matières32 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 I. Contexte du secteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 II. Opportunités pour développer l’accès à l’électricité . . . . . . . . . . . . . . . . 46 III. Problématique et défis de l’accès à l’électricité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Cadre institutionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Instruments financiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Modèle d’électrification rurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Aspects techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 IV. Options de réforme et recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Options . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Questions d’évaluation clés pour le Sénégal et éléments de réponse fondés sur l’expérience internationale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Exemples d’expériences réussies en électrification rurale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 32 La revue technique par les pairs a été effectuée par David Vilar. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 41 I.  Contexte du secteur Le Sénégal a l’un des taux d’accès à l’électricité les plus élevés d’Afrique de l’Ouest, mais de fortes inégalités existent entre zones urbaines et rurales ainsi que d’importantes disparités géographiques Le taux d’accès au Sénégal était estimé à 67.5 % des ménages à la fin de 2017 (contre 62 % en Côte d’Ivoire et 58 % au Nigeria, par exemple, ou environ 28 % en Guinée et au Mali). Même si le Sénégal a presque totalement électrifié les zones urbaines (avec un accès d’environ 90 %), l’accès en milieu rural reste faible (environ 40 %, y compris 6% par des systèmes individuels photovoltaïques). Les disparités régionales sont fortes, avec des régions comme Kaffrine, Kolda et Kédougou où les taux d’accès rural sont estimés entre 9 et 12 %, tandis que d’autres, comme Diourbel et Thiès, présentent des taux d’accès rural atteignant respectivement 55 et 76 %. Depuis 1998, le gouvernement du Sénégal s’est engagé dans une double démarche d’électrification urbaine et rurale L’accès en milieu urbain a été principalement porté par le secteur public à travers la SENELEC, tandis que l’accès rural s’est fait sous l’impulsion de par- tenariats public-privé (PPPs), principalement par la mise en œuvre d’un modèle de concession novateur avec le Sénégal divisé en 10 concessions d’électrification rurale (CERs), à attribuer à des opérateurs privés. L’Agence Sénégalaise d’Electrification Rurale (ASER) a été créée pour conduire la mise en place et le contrôle des concessions privées et la promotion de l’électrifi- cation rurale en général. D’autres initiatives d’électrification rurale en PPP ont été encoura- gées pour accélérer les progrès en matière d’accès, y compris les projets d’Électrification Rurale d’Initiative Locale (ERIL) et de Gestionnaires Délégués Transitoires (GDT), les projets du programme d’urgence pour le développement communautaire (PUDC), etc. Le Programme national d’électrification rurale (PNER) 2015 définit la stratégie du gouver- nement pour atteindre l’accès universel à l’électricité d’ici 2025. Le PNER vise d’abord à tirer des conclusions sur les programmes antérieurs qui n’ont pas donné les résultats escomptés. Du côté des investissements, un « plan d’urgence » (PNUER) de 250 millions $ U.S. est en cours de mise en œuvre avec l’objectif d’ajouter 450 000 ménages et d’atteindre un taux d’accès rural de 60 % d’ici la fin 201933. Le programme additionnel pour l’accès universel 2018–2025 vise à rac- corder les 970 000 ménages restants pour un coût total d’investissement de 650M $ U.S. Selon l’étude de planification géospatiale à moindre coût (voir la figure ci-dessous), 95% des ménages seraient reliés par le réseau, 4% auraient accès à l’électricité par le biais de mini-réseaux isolés (solaire-diesel) et 1% par des systèmes photovoltaïques individuels. La SENELEC continue à jouer un rôle clé dans l’électrification rurale. En 2017, SENELEC desservait 88 % de la population rurale électrifiée et ajoute environ 30 000 branchements par an Révisé par rapport à la date de fin initiale du PNUER (2017), date à laquelle le taux d’accès rural a été estimé par le 33 PPE à environ 40 % (y compris 6% par des systèmes individuels). Néanmoins, il semble difficile d’atteindre 60% à fin 2019, ce qui représenterait un triplement de l’accroissement historique. 42 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Plan d’électrification rurale en dehors de la région de Dakar (dont environ la moitié sont en zone rurale) en plus des 22 000 nouveaux clients par an à Dakar, alors que les concessionnaires et autres initiatives décrites ci-dessus ne desservaient que 12 % des ménages ruraux, c’est-à-dire 33 500 ménages (voir tableau ci-dessous). Il convient néanmoins de mentionner que ces nouveaux raccordements sont « à portée de main » pour la SENELEC, qui n’est autorisée, dans le cadreréglementaire actuel, à densifier les raccorde- ments que dans les zones déjà couvertes dans son périmètre de concession. Des initiatives purement privées basées sur la vente directe ou leasing de systèmes photovol- taïques individuels34 se développent rapidement. Plusieurs distributeurs privés ou prestataires de services de type Pay As You Go (PAYGO) se sont récemment développés au Sénégal avec 34 Comprenant habituellement un panneau photovoltaïque de 10 W crête, suffisant pour trois lampes LED, une radio et un chargeur de téléphone. Le système est connecté à un réseau de téléphonie mobile, pour permettre à l’usager de réaliser des paiements mensuels et au distributeur de couper le service en cas de non-paiement. L’usager devient propriétaire du système au bout de 2 à 3 ans. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 43 Contribution des opérateurs à l’accès rural, 2017 Opérateur Nombre de clients Pourcentage SENELEC* 239 425 73,4% CER 18 676 5,7% ERIL 9 757 3,0% GDT 5 404 1,7% Systèmes individuels** 52 911 16,2% Total 326 173 100% * La SENELEC avait en 2016 un total de 952 046 clients urbains et ruraux ** Autres que ceux appartenant aux CER Source : MPE, système d’Information de l’énergie, décembre 2017 un nombre total d’installations actuellement estimé à plus de 50 000 (voir tableau ci-dessous). Les ventes semblent progresser rapidement, bien que le potentiel global du marché soit incer- tain (peut-être 100 à 150 000 ménages, selon les évaluations des fournisseurs). Il est toutefois important de noter que les fournisseurs privés de systèmes PAYGO ont jusqu’à présent ciblé des marchés potentiels haut de gamme - c’est-à-dire des zones périurbaines et/ou des zones rurales plus riches - et que le potentiel d’expansion de ces marchés dans les zones rurales devra être évalué avec plus de précision. Les systèmes photovoltaïques individuels sont considérés comme une solution de pré-électrification qui correspond à la demande de base des ménages ruraux et permet de stimuler leur demande d’électricité en prévision de leur future connexion au réseau. II.  Opportunités pour développer l’accès à l’électricité Il existe de bonnes opportunités pour développer l’accès à l’électricité au Sénégal. Ceci est dû à un certain nombre d’aspects tels que la politique gouvernementale, le cadre réglementaire sectoriel, les opérateurs sectoriels existants et les besoins de financement pour l’accès universel. La vision et l’engagement du Gouvernement en matière d’accès à l’électricité sont clairs et se sont traduits par d’importantes décisions et mesures politiques prises ces dernières années, y compris : la préparation du PNUER et la mobilisation du financement initial ; la mise en place de comités pour le suivi et l’harmonisation des projets et programmes d’ER ; l’harmonisation des tarifs de l’électricité résidentielle au Sénégal pour des raisons d’équité et de capacité financière des usagers35 – y compris la réduction des tarifs de connexion dans les zones de concession ; la restructuration de l’ASER ; et la décision d’attribution des quatre concessions restantes à la SENELEC en raison de la faible performance des six concessions privées. 35 L’harmonisation tarifaire est effective depuis le 1er janvier 2019. 44 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Le cadre réglementaire et les politiques du Sénégal sont favorables à l’amélioration de l’ac- cès à l’électricité. Cela s’est traduit par le très bon classement du Sénégal par rapport aux indicateurs réglementaires pour une énergie durable (RISE36). Par ailleurs, la Commission de régulation du secteur de l’électricité (CRSE) fonctionne de façon efficace et possède une expérience et une capacité reconnues, qui néanmoins devraient être renforcées concernant les mini-réseaux et les CERs. Les performances opérationnelle et financière de la SENELEC n’ont cessé de s’amélio- rer ces dernières années, même si les problèmes de trésorerie demeurent préoccupants. Les perspectives sont bonnes pour l’équilibre offre / demande avec une réserve de capacité appropriée pour les années à venir. En 2017, la SENELEC a également obtenu de l’agence Bloomfield Investment une note AA- pour le crédit à long terme en monnaie locale. Toutefois, l’évolution récente des arriérés des consommateurs publics, des arriérés de remboursement de TVA et des retards dans le paiement de la compensation tarifaire représentent un risque important pour la SENELEC et la stabilité financière du secteur. Néanmoins, les perspectives de réduction des coûts de production grâce aux changements attendus dans le mix énergé- tique - avec une contribution potentiellement plus importante du gaz naturel domestique - devraient permettre à la SENELEC d’améliorer sa situation financière et contribuer au financement de l’ER. Le secteur privé continue à s’intéresser à l’électrification rurale, malgré les difficultés rencon- trées. Depuis 2011, quatre opérateurs privés liés à des opérateurs internationaux (ONE, EDF, STEG et Isofoton) ont investi dans six concessions, mais il faut noter que les deux concessions attribuées à ENCO ne sont pas encore opérationnelles. Il existe également plusieurs opérateurs privés locaux impliqués dans les mini-réseaux hybrides et les systèmes photovoltaïques indivi- duels autonomes. Les besoins de financement pour atteindre l’accès universel sont raisonnables. Le montant requis (environ 650 millions $ US au titre du CAPEX) semble gérable si la date cible de l’accès universel est reportée à une échéance plus réaliste que 2025, par exemple 2030. La mobilisa- tion de ce financement se ferait à travers une combinaison du financement des donateurs, des ressources budgétaires, des redevances tarifaires et du financement privé. 36 Les indicateurs RISE comprennent: i / l’existence, la qualité et le suivi d’un plan d’électrification officiellement approuvé; ii / un cadre réglementaire approprié pour le développement de l’électrification de réseau, des mini-réseaux et des systèmes individuels, y compris des subventions et des incitations fiscales; iii / l’accessibilité financière de l’électricité pour le consommateur - c’est-à-dire le coût de la consommation d’électricité de subsistance (30 kWh / mois) par rapport au RNB moyen des 20% de la tranche inférieure de la population ; ce ratio est égal à environ 2% au Sénégal ; iv / la transparence et la surveillance des entreprises d’électricité (états financiers et rapports annuels publics, et mesures fiables de la qualité du service) ; et v / la solvabilité des entreprises d’électricité. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 45 III.  Problématique et défis de l’accès à l’électricité La problématique de l’accès à l’électricité au Sénégal peut être examinée suivant quatre dimensions essentielles. Il s’agit du cadre institutionnel, des instruments financiers, du modèle d’électrification rurale et des aspects techniques. Cadre institutionnel L’engagement, la coordination et la collaboration entre les parties prenantes à l’électri- fication rurale ont été par moments, insuffisants. L’engagement du ministère chargé de l’Energie à l’égard du modèle de concession des ER a été fluctuant et s’est davantage porté sur la surveillance de la SENELEC, le développement et la surveillance des concessions étant confié à l’ASER. La réticence de la SENELEC au modèle d’électrification rurale s’est manifes- tée de plusieurs façons : retards dans l’interconnexion des CER par la SENELEC ; retard dans l’acceptation de la technologie d’électrification à phase unique (adoptée par STEG (Société Tunisienne de l’Electricité et du Gaz) dans la concession de Mbour), débat (maintenant résolu) sur la responsabilité de la maintenance du réseau MT construit par les concessionnaires, etc. D’autres retards ont concerné l’approbation des contrats de concessions par la CRSE, les autorisations et remboursements de l’administration fiscale et douanière, l’agrément tarifaire ministère du Commerce, etc. L’interface entre l’ASER et les concessionnaires a été limitée, avec des lacunes dans le suivi et la supervision des CER par l’ASER et une communication et des rapports insuffisants de la part des concessionnaires. Enfin, le modèle d’électrification rurale a souvent été mal accepté par les autorités et les populations locales, en raison notam- ment de l’insuffisance des efforts de communication de l’ASER et de la différence tarifaire avec SENELEC. Il y a un chevauchement inefficace des mandats institutionnels entre les acteurs de l’élec- trification rurale. Bien que la CRSE soit légalement responsable de la régulation du secteur de l’électricité pour tous les opérateurs au Sénégal, elle n’a pas encore les moyens ni la volonté de le faire pour l’électrification rurale et l’ASER a donc commencé à jouer un rôle de fait de régulation des CER et autres mini-réseaux, ce qui n’est ni légal, ni efficace. La promotion de l’ER et des énergies renouvelables est assurée à la fois par l’ASER et l’ANER.37 Il y a eu une multiplicité d’initiatives d’électrification dans les zones CER (ERIL, GDT, autres projets) avec une durabilité incertaine et des résultats limités. Un certain nombre de ces projets (par exemple ceux du PUDC) n’ont d’ailleurs pas été mis en œuvre sous l’orientation et le contrôle de l’ASER. 37 L’ANER ne joue aucun rôle dans le développement de projets de production PV ou éoliens raccordés au réseau. Elle encourage l’accès à l’énergie dans des secteurs prioritaires (agriculture, santé/éducation, pêche et autres utilisations productives). Comme l’ASER, l’ANER participe à la promotion et au développement de projets d’électrification décentralisée, mais en mettant l’accent sur les usages productifs et sociaux de l’électricité. 46 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Les lacunes dans l’organisation, la performance et la gouvernance de l’ASER expliquent en partie la faible performance des concessionnaires. L’audit organisationnel de l’ASER effectué en 2015 a clairement mis en évidence ces lacunes et recommandé une restructuration qui a été mise en œuvre partiellement en 201738. Toutefois, l ‘ASER ne semble toujours pas être en mesure d’obtenir la pleine coopération et l’engagement d’autres acteurs et, de par la loi, l’ASER doit s’en remettre à ces institutions sur un certain nombre d’aspects importants (par exemple la négocia- tion et la signature de contrats de concession au MPE, les autorisations tarifaires à la CRSE, et les accords d’interconnexion à la SENELEC). Il y a eu un suivi limité par l’ASER de la qualité de service et de la performance des concessionnaires. L’ASER s’est impliquée dans la mise en œuvre, et même l’exploitation, de projets d’électrification alors que ce rôle devrait clairement revenir aux concessionnaires et à la SENELEC. Instruments financiers La sécurité et la visibilité sur la mobilisation et l’exécution des financements nécessaires au PNER sont essentielles pour atteindre les objectifs d’électrification. Les besoins de finan- cement des ER pour 2018–2025 représentent une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Les besoins totaux de financement pour le PNER (y compris les estimations plutôt conservatrices de la compensation tarifaire nécessaire pour les concessions privées au-delà des PPER) sont supérieurs à US$ 1 milliard et nécessiteront une combinaison des sources de finance- ment entre les bailleurs de fonds (subventions et crédits, financement vert), les ressources budgétaires, le cofinancement des privés et les redevances tarifaires pour l’ER. Les redevances qui ont été collec- tées ces dernières années représentent des montants relativement faibles (voir tableau ci-dessous) et sont également utilisées pour d’autres besoins dans le secteur de l’énergie, et leurs taux unitaires pourraient devoir être augmentés pour permettre le bouclage du financement PNER. Prélèvements pour l’électrification (en millions de $US) Source 2013 2014 2015 2016 2017 2018 (est.) Redevance ER39 2 2.1 Fonds de Préférence 40 1.5 1.5 1.6 1.7 1.8 2 Source : Senelec 38 La structure de l’ASER a été simplifiée conformément aux recommandations de l’audit organisationnel, y compris les directions suivantes : direction générale, administration et finances, exploitation de l’ER, études et planification, et mobilisation des financements. Trois autres directions ont été éliminées. Un plan de développement stratégique est en préparation (en cohérence avec le PNER et le PNUER), qui permettra de réviser le contrat de performance entre l’ASER et l’État. 39 Redevance de 0.7 FCFA/kWh (i.e. moins de 1% du tarif résidentiel moyen), qui est collectée sur les clients résidentiels, les clients commerciaux des opérateurs d’électrification rurale et une partie des clients commerciaux de la SENELEC. 40 Le fonds de préférence est utilisé pour l’électrification par la SENELEC (85% du montant) et pour l’appui institutionnel au MPE (15% restants). POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 47 La multiplicité des initiatives de collecte et de mise en œuvre du financement des inves- tissements dans l’électrification rurale et les problèmes de performance de l’ASER sus- mentionnés ont nui aux objectifs d’efficacité et de transparence. La centralisation de ce mandat via un moyen efficace existant permettrait de régler ce problème. Le Fonds de Soutien au Secteur de l’Energie (FSE)41 semble être un candidat évident pour remplir cette mission. Son mandat de financement comprend déjà les investissements dans l’électrifica- tion rurale et ses sources de financement pourraient être élargies par décret pour inclure les fonds dédiés à l’ER. Modèle d’électrification rurale Le modèle novateur de concession n’a pas donné les résultats escomptés, ce qui a ralenti les progrès de l’électrification rurale. Comme il ressort du tableau ci-dessous, le taux de réalisation est acceptable en ce qui concerne l’objectif d’électrification – tout au moins pour les trois premières concessions. En revanche, les résultats sont en-deça des objectifs fixés en termes de nombre de branchements. Les premiers appels d’offres ont de fait été lancés en 2005, mais la première concession n’est devenue opérationnelle qu’en 2011. Jusqu’en 2017, six concessions sur dix avaient été attribuées, mais il n’y a eu des investissements et des connexions que dans quatre conces- sions. Les résultats des concessionnaires sont insuffisants, sauf en termes de couverture pour les trois premières concessions, mais les résultats en termes de connexions sont bien inférieurs aux objectifs du plan d’entreprise et aux obligations contractuelles (voir tableau ci-dessous). Les résultats des trois dernières concessions s’expliquent par la mise en vigueur tardive des contrats de concession, et pour les deux dernières, par les difficultés du concessionnaire, qui ne dispose pas de partenaire stratégique42 et a rencontré des difficultés pour mobiliser des fonds auprès des banques commerciales. Les déficiences institutionnelles et des défauts dans la conception des concessions43 expliquent en partie les performances décevantes des CER. Le processus de recrutement des concession- naires et de mise en vigueur des contrats a été trop long. L’importance du cofinancement privé exigé des concessionnaires et la participation limitée du régulateur à la surveillance et à la trans- parence des contrats, ainsi que les problèmes liés à l’application du régime fiscal et des incita- tions fiscales des concessionnaires, ont également entravé les progrès des CER. Le débat sur la 41 Le FSE, placé sous la tutelle du ministère de l’Économie et des Finances, est une structure légère (9 personnes), bien qu’il gère un financement important, avec de faibles coûts de fonctionnement. Le FSE réalise des audits techniques et financiers des investissements qu’il finance. 42 Le partenaire ISOFOTON a fait faillite. 43 Les problématiques exposées ici sont tirées de l’Audit organisationnel, technique et financier des programmes et projets de l’ASER réalisé dans le cadre de l’Assistance Technique SE4ALL d’ESMAP. 48 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES question de l’exclusivité44 des concessions a également affecté la confiance des concessionnaires. Enfin, la structure tarifaire, ainsi que les coûts de raccordement et des installations électriques intérieures, constituaient des obstacles à la demande des clients, en particulier pour les catégories tarifaires inférieures. Prélèvements pour l’électrification (en millions de $US) Nombre de villages Objectif de réalisé Objectif de Branchements Mise en nombre de (% de nombre de réalisés (% de Concessions vigueur villages * l’objectif) branchements * l’objectif) Dagana-Podor-Saint- 2011 298 245 (82%) 19,574 8,896 (45%) Louis Louga-Linguère- 2012 372 345 (93%) 11,826 6,896 (58%) Kébémer Kaffrine-Tambacounda- 2013 248 235 (85%) 18,001 3,741 (21%) Kédougou Mbour 2015 111   18 (16%) 9,700 1,800 (19%) Kaolack-Nioro-Fatick- 2014 475 0 0 0 Gossas Kolda-Vélingara 2015 475 0 0 0 Total 1,979 843 (43%) 59,101 21,333 (36%) * Selon les contrats de 3 ans pour les zones prioritaires (PPERs) Source : ASER, March 2018 Outre les problèmes de performance de l’ASER, la performance des concessionnaires était également déficiente à plusieurs égards. Certains concessionnaires ont eu des difficultés à s’endetter en tant que sociétés nouvellement créées, malgré l’appui en principe de leurs sociétés mères. Non seulement les plans d’affaires des concessionnaires étaient trop optimistes, avec une mauvaise évaluation des performances attendues et du risque d’exploitation de leurs concessions, mais leurs performances commerciales qui ont suivi ont généralement été médiocres ; en outre, 44 L’exclusivité des services des concessionnaires est incluse dans les contrats de concession et les plans d’affaires ont été établis pour une période de 25 ans. En même temps, il n’y avait aucune obligation de servir au-delà de la première période d’investissement (c’est-à-dire pour les PPER), ni aucune certitude quant à la disponibilité du financement public pour les investissements nécessaires au-delà des PPER. Il convient également de noter qu’il serait difficile et contre-productif d’empêcher les distributeurs autres que les concessionnaires de vendre des systèmes autonomes dans les zones de concession (que les concessionnaires pourraient également décider de distribuer eux-mêmes) et que le gouvernement et l’ASER eux-mêmes ont parfois encouragé ou directement mis en place des mini-réseaux dans les zones de concession après la signature des contrats de concession. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 49 leurs coûts opérationnels semblent élevés45 et les investissements effectivement réalisés ont par- fois été faibles par rapport aux subventions décaissées. Le dialogue des concessionnaires avec les autorités et les populations locales n’a pas été suffisamment productif. Les activités d’information et de communication avec les clients potentiels ou réels semblent avoir été insuffisantes. Les clients ont été à l’origine de contraintes supplémentaires pour la viabilité des CER, en raison de la faible demande, des faibles taux de raccordement et des problèmes d’acceptation du modèle. Les frais, y compris ceux de connexion et le coût des installations intérieures, sont trop élevés pour la plupart des clients. Les usagers étaient souvent réticents à un tarif forfaitaire (niveaux de service 1 à 3) au lieu d’un tarif par kWh, ainsi qu’à un tarif par kWh supérieur à celui de la SENELEC (niveau de service 4). L’harmonisation tarifaire décidée par le Gouvernement, et effective depuis le 1er décembre 2018, devrait contribuer à lever ces contraintes, même s’il faut noter qu’elle s’est accompagnée de la levée de l’obligation pour les opérateurs de préfinancer et de réaliser les installations intérieures Cependant, les résultats décevants obtenus jusqu’ici par les concessionnaires ne devraient pas conduire à abandonner le modèle des CER, mais plutôt à remplir les conditions requises pour que leurs performances soient appropriées. Il y avait des attentes déraisonnables de la part des CER privées concernant l’augmentation rapide de l’accès et la mobilisation significa- tive du cofinancement privé. Pourtant, les concessionnaires ont investi des financements privés importants pour les dépenses en capital et les frais d’exploitation et de maintenance. La plupart des concessionnaires disposent de capacités de gestion, de capacités financières et techniques appropriées et ont mis en place des systèmes d’O&M adéquats. Un changement de modèle ne semble pas justifié et entrainerait des coûts importants pour l’Etat en raison des indemnités de résiliation des contrats. Il semble toutefois indiqué d’apporter des changements drastiques sur les rôles et les responsabilités des différents acteurs. La performance opérationnelle et financière et l’organisation de la SENELEC et son accès au financement seront vitaux pour le succès du développement de l’électrification rurale. Les coûts de production devraient passer de 80 FCFA/kWh en 2016 à 72 FCFA/kWh en 2025 et 62 FCFA/kWh en 2035 ; une fois reflétée sur le tarif de l’électricité, cette réduction des coûts de production devrait atténuer quelque peu les contraintes financières des clients ruraux en parti- culier. La situation financière de la SENELEC est également importante, car des difficultés de trésorerie pourraient avoir une incidence sur l’allocation budgétaire pour l’exploitation et la main- tenance des infrastructures de distribution dans les zones rurales. La capacité de la SENELEC à jouer son rôle, aujourd’hui considérablement accru en électrification rurale, devrait être renforcée, 45 L’étude sur l’harmonisation tarifaire financée par l’Union Européenne fait état d’un prix de revient moyen de 700 FCFA/kWh en 2015 pour un prix de vente moyen de 168 FCFA/kWh – ceci pour de très faibles niveaux de consommation. 50 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES de même que l’organisation de ses quatre délégations régionales. De plus, la SENELEC devra obtenir les financements nécessaires avec l’appui du gouvernement et des bailleurs de fonds pour construire les lignes MT et BT et les branchements domiciliaires, sans oublier les installations intérieures tout au moins pour les ménages pauvres, afin d’atteindre l’accès universel dans ses quatre concessions. Aspects techniques Les ERIL, les systèmes GDT et autres projets décentralisés sont généralement confrontés à d’énormes difficultés techniques et financières.46 Une évaluation de l’ASER réalisée en 2017 pour 265 villages a mis en évidence des problèmes plutôt systématiques, notamment : des défail- lances techniques et d’entretien, avec une proportion importante d’équipements défectueux ; un manque de transparence dans la gestion financière ; une absence fréquente de dispositions finan- cières pour le renouvellement des équipements ; des systèmes de gestion d’exploitation et d’en- tretien souvent peu satisfaisants ; l’absence d’un accord contractuel entre les opérateurs et l’État (contrats de concession) ou la SENELEC (accords de connexion, le cas échéant). Les systèmes photovoltaïques individuels répondent à la demande initiale des clients à faible revenu ou éloignés du réseau et ont démontré une pénétration rapide du marché, mais plusieurs problèmes ralentissent leur dissémination. Ces problèmes comprennent la qualité variable des produits, les taxes élevées, les besoins élevés en fonds de roulement des distributeurs, l’accès limité au crédit auprès des établissements financiers locaux et la faible pénétration dans les zones rurales. Le cadre réglementaire, en particulier l’exclusivité des concessionnaires pour la distribution de l’électricité dans le cadre des CER, entrave47 également la possibilité pour les exploitants de systèmes individuels d’élaborer des modèles commerciaux plus agressifs. Le développement de systèmes individuels et de mini-réseaux en parallèle aux concessions accélèrera le rythme d’augmentation de l’accès. Ces systèmes seront progressivement absor- bés par l’extension du réseau et joueront un rôle mineur lorsque l’accès universel sera atteint. Néanmoins, d’ici là, ces systèmes constitueront des solutions de pré-électrification répondant à la demande initiale d’électricité et la stimulant. 46 Il ressort du diagnostic de l’exploitation des opérateurs réalisé dans le cadre de l’étude sur l’harmonisation tarifaire (note 13 ci-avant) que les taux de recouvrement varient selon la technologue d’électrification et la catégorie de l’opérateur : ils atteignent 87% à 90% dans les villages raccordés au réseau, mais sont inférieurs dans ceux utilisant le solaire. La performance est comparable en ce qui concerne les ERILs, mais avec des taux plus faibles dans les villages alimentés par réseau autonome (60-70%). La Senelec réalise des taux supérieurs à 95% auprès de sa clientèle (hors administration publique). 47 La vente de systèmes individuels ne constitue pas une activité de distribution d’électricité au sens du service fourni dans les CERs, mais il reste à trancher le cas des systèmes PAYG, qui font l’objet d’un appui des distributeurs de ces systèmes à leur fonctionnement. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 51 IV.  Options de réforme et recommandations Options Le statu quo ne résoudrait pas les défis analysés ci-dessus et son maintien retarderait considé- rablement l’accès universel. En effet, le maintien du statu quo signifierait : 77 La perpétuation des doublons de mandats, 77 Des risques d’insuffisance de ressources notamment en ce qui concerne les redevances si celles-ci restent à leur niveau actuel et ne sont pas collectées, 77 Le risque de non opérationnalisation des quatre concessions attribuées à la Senelec, 77 Des risques de non viabilité et non durabilité des projets ERIL, GDT, faute de cadre contrac- tuel approprié, 77 Des risques de retard pour l’atteinte de l’objectif d’accès universel du fait du recours exclusif à l’option extension du réseau, 77 La multiplication des projets et d’opérateurs sans cadre directeur, préjudiciable à la viabilité technique et financière des projets. Plusieurs options principales s’écartant de l’hypothèse du statu quo ont été envisagées pour chacun des quatre axes stratégiques relatifs aux (1) modèle d’électrification rurale, (2) cadre institutionnel, (3) instruments financiers, et (4) aspects techniques. Modèle d’électrification rurale En ce qui concerne le modèle d’électrification, trois options sont considérées : (i) Option 1 : résilier les contrats actuels des CERs et confier les six concessions à la Senelec ; (ii) Option 2 : limiter les contrats actuels aux PPERs et confier à la Senelec le reste du territoire des six concessions ; (iii) Option 3 : maintenir les contrats actuels des CERs sur la totalité des périmètres des six concessions. Les options 1 et 2 ont l’avantage de simplifier et d’unifier le paysage de l’ER avec quasiment un seul acteur qui répond des objectifs fixés par le Gouvernement. La compensation tarifaire pour l’ER est traitée à travers le RMA de Senelec. L’uniformité des tarifs à travers la péréquation tarifaire annule le besoin de compensation pour l’ER grâce aux subventions croisées. Un autre avantage tient au fait que l’évolution institutionnelle du secteur de l’électricité conformément à la Feuille de route du Gouvernement en serait facilitée. Celle-ci prévoit en effet un territoire unifié sans distinction urbain/rural, où l’activité distribution serait publique et les activités commer- ciales affermées. Mais ces deux options ne sont pas sans inconvénients : a) dépendance d’un seul acteur pour l’atteinte d’objectifs ambitieux, pouvant être compromis par des déficiences au niveau des 52 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES capacités de Senelec en termes de financement, de planification et d’organisation ; b) coût finan- cier et complexité juridique d’une action de résiliation de contrat ; c) perturbations du service pendant la période de transfert ; d) image du Sénégal en matière de développement de PPP – un des objectifs stratégiques du PSE – affectée négativement par cette résiliation. A l’inverse, l’option 3 est bien alignée avec cet objectif stratégique du PSE, minimise les risques de durabilité et de qualité de service de l’ER ainsi que les risques liés à une insuffisance de capacité humaine et financière de Senelec pour atteindre les objectifs sur le périmètre des 10 concessions. Cette option fait aussi l’économie des coûts de résiliation et d’éventuels retards liés au transfert des activités des opérateurs privés à la Senelec. En revanche, le coût du kilowat- theure resterait toujours relativement élevé48 et la compensation tarifaire pour les CERs plus importante. Dans une variante de l’option 3, la limite des contrats actuels est inchangée, mais de la conces- sion on passe à un système d’affermage, l’État prenant en charge le financement du CAPEX, le tarif étant déterminé de manière à couvrir l’OPEX, moyennant éventuellement une compensa- tion tarifaire. Il apparaît ainsi que les options financières peuvent justifier la transformation - si ce n’est du modèle, tout au moins de l’une de ses caractéristiques majeures. Cadre institutionnel Logique d’une réforme des institutions Il s’agit de repenser l’organisation du secteur pour éviter les doublons au niveau des man- dats et pour gagner en efficience dans le fonctionnement des institutions en charge du secteur de l’électricité. A cet égard, une première ligne d’action devrait viser, à court terme, la rationalisation des mandats sous un leadership renforcé et intégré au sein du Ministère chargé de l’Energie et, à plus ou moins long terme, la fusion d’agences ou la disparition progressive de certaines de leurs activités au profit d’autres structures. Ainsi, il semble indiqué que le Ministère chargé de l’Energie retrouve sa position centrale dans le secteur de l’ER en vue d’un pilotage efficace et d’une coordination étroite des divers initiatives et programmes. Ce faisant, il faudra envisager de réviser les mandats des autres acteurs institutionnels, à commencer par celui de l’ASER, bras opérationnel du Ministère chargé de la promotion du développement de l’ER. Fin de mission pour l’ASER ? Il convient ici de rappeler que l’ASER a été créée comme une unité de service du Ministère chargé de l’Energie, avec pour mission le soutien à la mise en œuvre des programmes de 48 C’est également le cas dans le périmètre rural de Senelec, à la seule différence qu’avec la péréquation des coûts, la Senelec peut appliquer les mêmes tarifs partout (subventions croisées). POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 53 développement de l’électrification rurale à travers l’octroi d’assistance technique et financière aux entités intervenant dans le secteur. Pour l’essentiel, l’ASER s’est vue chargée de : 77 L’information sur les possibilités de développement de l’ER, 77 Les appels d’offres pour l’attribution des CERs, 77 L’appui au montage des projets d’électrification rurale d’initiative locale (ERIL), 77 La gestion des financements destinés à l’ER (notamment tutelle du FER, Fonds d’Electrifi- cation Rurale) en relation avec les bailleurs de fonds. Toutefois, les activités gravitant autour de l’attribution des concessions et au montage des projets ERIL, devraient représenter la quintessence de l’intervention de l’ASER conformément à sa mission. Il faut constater qu’aujourd’hui cette mission de l’ASER est terminée en ce qui concerne l’attribution des concessions. Options alternatives Ce constat ouvre, en ce qui concerne l’ASER, deux options alternatives au statu quo : (i) soit la dissolution de l’Agence, (ii) soit la révision à la baisse de son mandat. Quelle que soit l’option retenue, un certain nombre d’activités devront être transférées au MPE ou à la Senelec appelée à jouer un rôle considérablement accru dans l’ER avec l’attribution des quatre CERs, si ce n’est à la CRSE. Ce transfert d’activités devrait induire un mouvement d’une partie du personnel de l’ASER au profit des structures mentionnées ci-avant et probablement des modifications de l’organisation de ces dernières. En ce qui concerne l’ANER, les activités d’électrification rurale conduites par cette agence pourraient être transférées au Ministère ou à la Senelec dans le cas de l’option 1 ; dans le cas de l’option 2, une fusion avec l’ASER pourrait être envisagée avec un mandat réduit en matière d’électrification rurale. Dans chacun des scenarios, il serait procédé à un transfert de personnel de l’ANER. Dans le cas d’un transfert des activités au Ministère, il est concevable qu’au niveau du MPE, une direction forte en charge de l’électrification rurale soit érigée49 qui serait délégataire de la maîtrise d’ouvrage de l’électrification rurale, coordonnerait l’ensemble des programmes et pro- jets d’électrification rurale, négocierait avec les concessionnaires, les objectifs et les modalités de financement des actions requises pour l’atteinte de ces objectifs. Elle assisterait le Ministre chargé de l’Energie dans la définition et le suivi dynamique de la mise en œuvre de la stratégie en matière d’électrification rurale, en particulier la coordination, l’impulsion requise pour la réalisa- tion des actions de la Feuille de route du Gouvernement. 49 Cette direction pourrait être un démembrement de l’actuelle Direction de l’Electricité laquelle pourrait être hissée au rang de Direction générale chargée de l’électricité et des énergies renouvelables. 54 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Avantages et inconvénients de ces options Entre autres avantages de ces options de réforme, il faut citer la simplification du cadre insti- tutionnel, l’élimination des doublons d’activités ainsi que des économies budgétaires. Toutefois, ces changements institutionnels ne sont pas sans inconvénient, notamment le coût politique de la dissolution d’une agence et la possibilité d’une forte résistance du personnel des structures concernées. Problème lié à un éventuel transfert au MPE Un autre problème important se pose avec l’idée de transfert d’activités et de personnel au Ministère, au regard des règles régissant la fonction publique en matière de dotation de person- nel et de rémunération. Un aspect important des agences est précisément leur capacité à recruter et à garder un personnel bien qualifié et compétent grâce à un système de rémunération de loin plus avantageux que celui de la fonction publique. Considérée sous cet angle, la problématique de la réforme ne laisserait raisonnablement qu’une seule option, à savoir le maintien de l’ASER avec un mandat révisé et fonctionnant comme une « unité de service du Ministère chargé de l’Energie ». Impact du modèle d’électrification rurale sur les options institutionnelles En faisant le choix du modèle d’électrification rurale, il sera important de veiller à tirer les conséquences des choix effectués sur le schéma institutionnel ; il est ainsi bien clair que dans le cas de l’option 1 (résiliation des contrats actuels des CERs) et de l’option 2 (limitation des contrats actuels aux PPERs), la dissolution de l’ASER ou la réduction drastique de son mandat aurait du sens. Instruments financiers La problématique du financement de l’ER revêt plusieurs aspects, notamment les sources de financement, les emplois, le véhicule financier pour garantir la transparence, la liquidité et la fluidité nécessaires au bon fonctionnement du secteur. En termes d’emploi des ressources, une distinction devrait être opérée entre le CAPEX et l’OPEX. Pour les dépenses d’investissement (CAPEX), outre les infrastructures de génération (kits solaires et (mini) centrales) et d’amenée de l’électricité (réseaux), il convient d’inclure les coûts de connexion et des installations intérieures des clients (à faible consommation). Le financement de ces investissements est une combinaison de fonds apportés par les bailleurs de fonds et de ressources tirées du budget de l’Etat et une part d’autofinancement des opérateurs (49 % pour les trois premières CERs). Pour ce qui est des dépenses d’exploitation (OPEX), la couverture est assurée à travers le tarif (contribution des usagers) et une compensation tarifaire en cas d’insuffisance des revenus générés par le tarif. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 55 Il existe bien une Redevance d’électrification rurale créée par la loi 2006–18 du 30 juin 2006 devant alimenter le FER (Fonds d’Electrification Rurale)50 géré par l’ASER. Mais la rede- vance n’est pas collectée en particulier auprès du plus gros contributeur potentiel, la Senelec, la Redevance n’étant jusqu’ici pas intégrée dans le RMA par le Régulateur (comme passthrough). Historiquement, l’électrification rurale était financée par l’Etat selon une formule classique, l’Etat définissant les programmes d’électrification et confiant à la Senelec l’exécution au travers de conventions de maîtrise déléguée financées sur le Budget de l’Etat. Option de financement recommandée Au regard des ambitions de l’Etat pour l’accès universel en 2025, la seule option viable semble être une combinaison de fonds tirés du budget de l’Etat et de ressources concessionnelles des PTFs pour assurer le financement des dépenses d’investissements. La redevance d’électrification rurale – revue à la hausse éventuellement – pourrait être affectée partiellement ou totalement au financement des CAPEX. La compensation tarifaire des CERs au moyen du Budget de l’Etat, comme c’est le cas au démarrage de l’harmonisation tarifaire, ne semble pas soutenable et une formule plus viable serait d’en faire un élément de passthrough du RMA de Senelec selon le schéma ci-dessous : 1) Appliquer les mêmes prix dans les concessions d’électrification rurale que dans le périmètre de distribution de SENELEC, 2) Les manque à gagner dans les CERs sont déterminés par le Régulateur et répercutés sur la clientèle urbaine aujourd’hui vivant exclusivement dans le périmètre de distribution de SENELEC Le schéma indique l’effet sur le prix dans la concession de SENELEC (Δps) résultant de la compensation. Dans la pratique, contrairement au schéma, le différentiel de prix devrait être beaucoup plus faible, voire négligeable tout au moins au démarrage du processus. Comme la Redevance d’électrification rurale, l’élément de passthrough du RMA de Senelec correspondant à la compensation tarifaire des CERs pourrait bien être reversé au Fonds d’Electrification Rurale ; mais d’autres options sont possibles. Véhicule financier Dans la pratique, aujourd’hui l’ASER gère le FER en relation avec les bailleurs de Fonds ; cependant, avec l’avènement du FSE, une alternative pour la gestion des fonds serait le FSE qui a fait ses preuves en matière de transparence et d’efficacité. 50 Le FER est constitué des dons, legs et subventions des PTF, la Redevance, un montant correspondant à 10 % des investissements dans les villages électrifiés par l’Etat et transférés aux opérateurs privés. 56 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Schéma indicatif de la compensation des revenus pour 2 concessions p1 p2 ps + ∆ps ps Qs Q1 Q2 Concession SENELEC Concessions rurales Ainsi, une première option consisterait à retenir le FSE pour gérer la compensation tarifaire des CERs. Le FSE serait le réceptacle des ressources collectées par Senelec et correspondant à l’élément de passthrough du RMA prévu pour la compensation des CERs et éventuellement de la Redevance d’électrification rurale.51 Ces ressources seront reversées par le FSE aux CERs au titre de la compensation tarifaire sous le contrôle de la CRSE alors que la redevance pourrait contribuer au financement des investissements. Une deuxième option consisterait à centraliser l’essentiel des financements dédiés à l’électri- fication rurale au niveau du FSE. Le Fonds devrait ouvrir des guichets différents afin d’assu- rer la traçabilité dans l’utilisation des fonds, ceux destinés au financement des investissements (CAPEX) et ceux devant assurer la couverture des coûts d’exploitation (OPEX). Aspects techniques de l’ER En ce qui concerne les aspects techniques, le principe retenu est celui de la neutralité tech- nologique, liberté étant laissée aux opérateurs de choisir les options techniques jugées les plus adaptées à l’électrification des localités. Dans la pratique, l’audit des programmes et projets de l’ASER et l’audit de la gestion des GDT et des opérateurs d’ERIL ont montré que les choix n’étaient pas toujours optimaux avec parfois des déficiences dans le dimensionnement, dans la construction et l’exploitation des ouvrages. 51 Il faudrait pour ce faire modifier la loi 2006-18. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 57 Technique du monophasé Si la préférence accordée à l’option connexion au réseau a été confirmée par l’étude du Plan national d’électrification rurale réalisée dans le cadre du programme SE4ALL d’ESMAP, en revanche dans le cadre de cette option, des économies potentielles au niveau des investissements avec la technique du monophasé attendent toujours d’être exploitées, mise à part l’expérience dans la concession de MBOUR. Derrière cette exception, il y a la STEG qui en Tunisie a pu réaliser des économies de 20 à 30 % en recourant à cette technique. Il semble judicieux, sinon d’obliger, du moins d’inciter à la prise en considération systématique de la technique du mono- phasé (évoluant vers le triphasé avec la croissance de la demande). Mini-réseaux et systèmes PV La même étude de Plan national d’électrification a bien fait ressortir la nécessité de combi- ner toutes les technologies d’électrification – raccordement au réseau, mini-réseaux, systèmes photovoltaïques individuels – avec des pourcentages plutôt faibles pour les deux dernières techniques (4 % et 1%). Cependant, l’horizon de l’accès universel pourrait conduire à des parts plus importantes des options systèmes PV individuels et mini-réseaux durant la période de transition vers l’accès universel. Ainsi, s’impose une promotion plus vigoureuse des solutions décentralisées. La promotion des systèmes individuels comme solutions de pré-électrification requerra un appui, y compris allègements fiscaux, plans d’affaires, accès au financement, et réduction des obstacles réglementaires. Un système de certification de la qualité de ces produits sera mis en place. Cadre de développement des solutions décentralisées L’ASER appuiera la promotion et le développement des utilisations productives de l’électri- cité, qui généreront des bénéfices économiques et sociaux et amélioreront la viabilité finan- cière des concessions. Le MPE préparera et fera appliquer un cadre directeur unifié pour les projets décentralisés d’électrification rurale, comprenant les spécifications, les normes et le cadre contractuel et réglementaire pour la conception, réalisation et exploitation des mini-réseaux hors concessions, ainsi que les conditions tarifaires et d’octroi de subventions et de licences et/ou auto- risations s’appliquant à ces projets; il sera important de promouvoir le contenu local de ces projets pour maximiser leur impact sur la croissance économique. Recommandations En termes de modèle d’électrification rurale, autant pour limiter les risques liés à la dépendance d’un seul acteur (Senelec), et donc d’une possibilité d’insuffisance de capacité humaine, orga- nisationnelle et financière, et pour éviter les coûts de résiliation des contrats actuels des CERs et d’éventuels retards liés au transfert d’activités des opérateurs privés à la Senelec, la Variante de l’option 3 (maintien des CERs dans les périmètres actuels) avec passage de la concession au 58 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES système d’affermage semble être la meilleure option. En effet, avec cette option, l’Etat prend en charge le financement du CAPEX alors que le tarif est déterminé de manière à couvrir l’OPEX moyennant éventuellement une compensation tarifaire. Tenant compte des investissements réa- lisés par les CERs dans le cadre des PPERs, il s’agira de fait d’un affermage concessif. Cette variante de l’option 3 qui est bien alignée avec l’objectif stratégique du PSE en matière de PPP ainsi qu’avec l’évolution tracée dans la Feuille de Route Electricité du Gouvernement, permet en outre, de peser sur le prix de revient de l’électricité dans les CERs et donc sur les niveaux de compensation. En termes de planning, dès 2019 la décision de transformation de la concession en affermage concessif pourrait être prise par le Gouvernement et actée dans la nouvelle Lettre de Politique de Développement du secteur de l’Energie et les négociations avec les CERs engagées aussitôt après. En vue de l’atteinte de ses objectifs d’accès universel en 2025, le Gouvernement pourrait tirer les conséquences de l’absence d’activités de l’opérateur attributaire des deux CERs Kolda- Vélingara et Kaolack-Nioro-Fatick-Gossas, et prendre la décision de résiliation des contrats de ces CERs. En termes de cadre institutionnel, Après l’attribution des quatre concessions restantes à Senelec par le Gouvernement, l’une des missions essentielles de l’ASER se trouve ainsi ter- minée de sorte que s’ouvrent deux options, soit la dissolution de l’Agence soit la réduction de son mandat. Dans tous les cas, un certain nombre d’activités (et de personnel) seraient transférées au Ministère chargé de l’Energie ou à la Senelec. Le leadership du Ministère devrait se faire sentir davantage grâce à la mise en place d’une direction forte en charge de l’électrification rurale. Considérée sous l’angle de la capacité des agences à recruter et à garder un personnel bien qualifié et compétent grâce à un système de rémunération de loin plus avantageux que celui de la fonction publique, la problématique de la réforme ne laisserait raisonnablement qu’une seule option, à savoir le maintien de l’ASER avec un mandat révisé et fonctionnant comme une « unité de service du Ministère chargé de l’Energie » (Décret de création de l’ASER). Le man- dat réduit de l’ASER comprendrait l’information des consommateurs, l’appui au développe- ment des utilisations productives de l’électricité, l’appui aux opérateurs d’électrification rurale, la certification de la qualité des produits, et la participation à la renégociation des contrats de concession. En termes d’aspects financiers, et au regard des ambitions de l’Etat pour l’accès universel en 2025, la seule option viable semble être une combinaison de fonds tirés du budget de l’Etat et de ressources concessionnelles des PTFs pour assurer le financement des dépenses d’investisse- ments. La redevance d’électrification rurale – revue à la hausse éventuellement – pourrait aussi être affectée partiellement ou totalement au financement des CAPEX. Dans le nouveau système POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 59 d’affermage concessif, Les concessionnaires seraient sollicités pour assurer ou contribuer aux acti- vités de conception et de réalisation des investissements sur financement public dans les CERs. La compensation tarifaire des CERs à travers le Budget de l’Etat, comme c’est le cas au démarrage de l’harmonisation tarifaire, ne semblant pas soutenable, il est recommandé une formule plus viable consistant à en faire un élément de passthrough du RMA de Senelec : les manque à gagner dans les CERs sont déterminés par le Régulateur et répercutés sur la clientèle urbaine de SENELEC. En termes d’aspects techniques, et au regard de la possibilité de réduire de 20 à 30 % le coût des investissements en réseaux, il semble judicieux, sinon d’obliger, du moins d’inciter à la prise en considération systématique de la technique du monophasé (évoluant vers le triphasé avec la croissance de la demande). La période de transition plus ou moins longue vers l’accès universel devrait aussi imposer une promotion plus vigoureuse des solutions décentralisées notamment les mini-réseaux et les systèmes photovoltaïques individuels comme solutions de pré-électrification. Ceci requerra divers appuis, y compris des allègements fiscaux, l’élaboration de plans d’affaires, l’accès au finan- cement et la réduction des obstacles réglementaires. Un système de certification de la qualité de ces produits devra également mis en place. La mise en œuvre de ces recommandations devrait permettrait d’atteindre l’accès universel d’ici 2030 (objectif SE4ALL) au lieu de peut-être 2045 en cas de maintien du statu quo. Les béné- fices économiques associés seraient importants. Si le statu quo était maintenu, environ 44 % des ménages ruraux (soit environ 0,56 million de ménages) n’auraient toujours pas accès à l’électricité en 2030, ce qui représenterait une perte économique estimée à environ 750–1 000 millions de dollars52 sur les 15 années suivantes. 52 Dans l’hypothèse que le bénéfice net de l’électrification rurale se situe entre 15 et 20 dollars par ménage et par mois, tel qu’établi par des enquêtes relatives à la disposition à payer menées au Sénégal et dans des pays comparables de la sous-région. 60 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ANNEXES Questions d’évaluation clés pour le Sénégal et éléments de réponse fondés sur l’expérience internationale Éléments de réponse basés Questions clés sur l’expérience internationale Cadre institutionnel L’ASER et l’ANER sont-elles Pas nécessairement (des pays à l’expérience indispensables pour atteindre réussie tels que le Ghana et d’autres n’ont l’accès universel ? pas utilisé le modèle d’agence d’électrification rurale et pratiquement aucun pays en dehors de l’Afrique subsaharienne francophone) ; toutefois la dissolution d’une agence est toujours politi- quement difficile ; par ailleurs, l’élimination du chevauchement des mandats et le manque de leadership dans le domaine ER constituent les vrais problèmes. Quelle entité devrait assurer La régulation de tous les types de services la régulation des CERs et des d’électricité devrait logiquement être conduite systèmes décentralisés ? par le régulateur national du secteur. Excep- tionnellement, comme au Mali, la régulation de l’électrification décentralisée est assurée par l’agence ER (pour de petites concessions), mais cela n’est pas prévu par les dispositions légales et réglementaires en vigueur au Sénégal. Quelle entité devrait avoir Dans les pays jouissant de programmes le leadership pour assurer d’accès performants, le leadership en matière l’augmentation de l’accès à d’accès relève du ministère sectoriel (politique, l’électricité ? stratégie, coordination et suivi), tandis que la mise en œuvre de l’augmentation de l’accès est déléguée aux opérateurs publics/ privés du secteur. Aspects financiers Comment sécuriser et fournir Le financement doit provenir d’une combinai- efficacement le financement son de ressources issues des donateurs, du pour l’investissement et les budget de l’État, du financement privé et de subventions ER ? redevances provenant de sources tarifaires ou autres, car aucune de ces ressources ne serait suffisante à elle seule. Cependant, l’expérience internationale montre qu’un engagement finan- cier substantiel du budget central a un effet de levier financier important car attestant d’un engagement politique fort en faveur de l’électrification rurale. (Suite à la page suivante) POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 61 Éléments de réponse basés Questions clés sur l’expérience internationale Un fonds ER est-il nécessaire ? Pas en tant qu’entité. Les exemples de réussite incluent des pays qui n’ont pas mis en place de fonds spécifiquement dédié à l’ER. Au Sénégal, le FSE pourrait assumer le rôle d’administrateur des fonds collectés auprès de différentes sources en faveur de l’ER. La taxe ER est généralement une source de financement utile parmi d’autres, mais ne peut à elle seule couvrir les besoins, en particu- lier dans les pays où les taux d’accès sont faibles. Modèle La participation privée dans L’expérience internationale d’une électrification d’électrification les CER est-t-elle bénéfique, rurale réussie reposant sur investissements doit-elle être poursuivie et privés est limitée, on note néanmoins plusieurs étendue ? succès en Amérique latine. Au Sénégal, la par- ticipation du secteur privé dans les CER n’a pas encore fait de différence (ni en termes de volumes de financement, ni en termes d’accès), mais elle pourrait être probante avec des incita- tions adéquates, une supervision appropriée et une collaboration efficace des parties prenantes. Ces conditions, ainsi que d’autres permettant l’élargissement du rôle des concessionnaires dans l’ensemble de leurs CER, devraient être remplies. Il serait coûteux de mettre fin aux contrats de concession et rien ne garantit que la SENELEC aurait de meilleurs résultats si les concessions lui étaient transférées (ce qui impli- querait la gestion de 10 concessions). Comment rendre les CER En renégociant tous les contrats CER sur la financièrement viables tout en base d’un plan d’affaires sur 5 ans fondé sur des minimisant la compensation hypothèses révisées et réalistes mais également tarifaire ? exigeantes (pour les coûts opérationnels, la croissance de la demande des clients, l’efficacité commerciale, le retour sur investissement, etc.), avec une régulation basée sur le revenu maxi- mum autorisé et une révision tous les 5 ans. La SENELEC a-t-elle la L’appui (financier et politique) des gouvernements capacité d’être performante est essentiel pour l’engagement de l’entreprise pour l’accès à l’électricité ? publique d’électricité dans la réalisation des pro- grammes d’électrification rurale. Au Sénégal, la SENELEC ne dispose pas encore de cet appui, ni de la capacité nécessaire, compte tenu de sa vision, son organisation et ses ressources actuelles qui, à l’évidence, ne sont pas encore en phase avec le rôle beaucoup plus important attendu désormais d’elle dans le domaine de l’ER. 62 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Éléments de réponse basés Questions clés sur l’expérience internationale Aspects Les mini-réseaux et les sys- Aucun pays n’a été en mesure d’atteindre techniques tèmes individuels sont-ils l’accès universel par la seule expansion du nécessaires pour attendre réseau. En fonction du niveau de la demande l’accès universel ? et de l’éloignement du réseau interconnecté, les mini-réseaux seront rentables (mais ne joui- ront pas toujours d’un service continu et auront sans doute un système de tarification spéci- fique, jusqu’à et s’ils sont un jour atteints par le réseau). Rôle clé des systèmes individuels pour répondre et stimuler la demande des clients à faibles revenus. Ces systèmes sont également importants en tant que mesures transitoires dans les zones reculées où le réseau arrivera en dernier. Les mini-réseaux existants Certainement, mais dans le cas d’un tarif har- doivent-ils être rendus viables monisé au niveau national, d’importantes sub- sur les plans financier et opé- ventions d’exploitation seront alors nécessaires. rationnel? L’exploitation des mini-réseaux est parfois trans- férée aux opérateurs existants plus importants (privés ou publics). Dans le cas du Sénégal, ces mini-réseaux existants devront satisfaire aux conditions techniques et financières préalables de prise de contrôle par les concessionnaires et/ ou la SENELEC. Cette démarche permettrait également des mécanismes de subventions croisées. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 63 64 Exemples d’expériences réussies en électrification rurale Vietnam Tunisie Pérou Ghana Afrique du Sud Structure du Entreprise publique (EVN) Entreprise publique Secteur dégroupé avec Secteur à dominance Entreprise publique secteur avec filiales P/T/D – y verticalement intégrée P&T privées, 2 DisCos publique avec plusieurs verticalement intégrée électricité compris 5 entreprises (STEG) avec quelques urbaines privées et IPPs et 2 DisCos régio- (Eskom) avec de nom- régionales de distribution IPPs 20 DisCos urbaines et nales publiques breuses DisCos munici- (DisCos) - et plusieurs rurales publiques pales et plusieurs IPPs IPPs Acteurs DisCos régionales avec STEG State-owned company Discos régionales Entreprises municipales principaux ER la participation des (ADINELSA) for provision publiques pour les opérations. communautés locales of electricity services Eskom et Gouvernement in rural areas outside pour le financement service zones of existing DisCos Résultats De 3% d’accès rural en De 6% d’accès rural De 2% d’accès rural en De 0% d’accès rural en De 26% d’accès rural 1975 à 99% en 2014 dans les mi-70’ à 1990 à 75% en 2014 1990 à 63% in 2014 en 1990 à 72% en 2014 99.6% en 2014 (avec une disparité rela- NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES tivement faible entre taux d’accès rural et urbain) Raisons du Engagement soutenu du Engagement soutenu du Engagement soutenu du Engagement soutenu du Engagement soutenu succès GoV avec financement GoT avec financement GoP avec financement GoG avec financement d’Eskom et du Gouverne- public important (budget public important (budget public important (budget public important (budget ment, avec financement et externe) et plan et externe) et plan natio- et externe) et plan natio- et externe). public important (Eskom national d’électrification. nal d’électrification nal d’électrification. en partie à travers sub- Plan national d’électrifica- ventions croisées, et Etat Leadership et capacité RE forme part d’une poli- Financement concur- tion, essentiellement par à travers le budget et un d’EVN. tique de développement rentiel pour RE par les expansion du réseau. fonds d’électrification). rural intégré. DisCos. Expansion suffisante et Redevance d’électrifica- Plan national d’électrifi- concomitante de l’offre Entreprise publique per- DisCos rurales généra- tion rurale dans le tariff cation, avec un rôle clé d’électricité. formante et bien gérée. lement performantes et depuis 1989. de planification pour le acceptablement gérées. Ministère sectoriel. Prio- Participation active des Expansion suffisante et Utilisation systématique gouvernements régio- concomitante de l’offre Expansion suffisante et de SWS (shield wire rité à l’équité sociale (post naux et des communau- d’électricité. concomitante de l’offre scheme) avec lignes de 1984). Electrification valo- tés locales. d’électricité. transport HT. risée pour ses bénéfices sociaux et économiques. Combinaison de méca- Innovation technique Promotion des utilisa- Excellentes capacité, nismes tarifaires et de avec triphase/ tions productives de performance et accès au subventions pour la monophase et SWER l’électricité. financement d’Eskom. durabilité financière (cable de garde). et l’accessibilité des Combinaison de solu- Faible coût de consommateurs. Combinaison de solu- tions techniques sur l’électricité. tions techniques sur réseau et hors réseau. Actions de sensibilisation réseau et hors réseau. Capacité substantielle de de la demande. Importante industrie réserve de capacité de Importante industrie locale de fourniture. production. Consultation efficace des locale de fourniture. parties prenantes. Double approche : Politiques tarifaire et de i/ expansion du réseau Combinaison de solutions subventions efficaces. et ii/ concessions de techniques sur réseau et systèmes décentralisés hors réseau. (SHS principalement). Utilisation de distribution monophasée et de sys- tèmes de prépaiement. Entreprises municipales responsabilisées par leur base électorale et raison- nablement performantes. Politique tarifaire efficace. Importante industrie locale de fourniture. Problèmes Le cadre et la perfor- Emergence relativement Difficultés avec l’accep- Problèmes d’équilibre Déficiences dans la qua- mance du secteur aurait lente d’utilisations pro- tation et la durabilité des offre/demande en raison lité du service dans les permis de capter des ductives, en raison de SHS. d’hydrologie défaillante zones rurales. financements privés l’électrification initiale- et de retards dans pour l’augmentation de ment monophase. Appui limité des DisCos l’expansion de l’offre. Succès mitigé des l’accès. à la promotion des utili- concessions de SHS. sations productives. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 65 Bibliographie Plan Stratégique de Développement 2018–2022, ASER, version provisoire, mars 2018. Cahier des Charges du contrat de concession et de licence entre le Sénégal et Senelec, 31 mars 1999. Loi d’orientation sur les énergies renouvelables, 20 décembre 2010. Scaling up energy access through women economic empowerment – Market Study report, November 2017. Etat des lieux du projet ERSEN et PASES et transfert du suivi technique des installations électriques à l’ASER, Rapport final, ENDEV. Rapports d’activités du FSE, 2011–2017. Convention de Financement, Concession d’électrification rurale Dagana Podor Saint-Louis, 30 mai 2008. Décret portant création de l’ASER, 30 décembre 1999. Décret portant création du Fonds de préférence de l’électricité, 26 avril 2011. Arrêté interministériel fixant le niveau de la redevance d’électrification rurale, 18 décembre 2006. Results of Lighting Africa consumer awareness campaign in Senegal, 2017. Accelerating mini-grid development in Subsaharan Africa, Lessons from Tanzania, TATEDO/World Resources Institute, 2017. Règlement de service de la concession d’électrification rurale de Dagana Podor Saint-Louis, Janvier 2013. Règlement du service de l’électricité, Senelec, 2016. Action Agenda and Investment Prospectus, Senegal SE4ALL Rural Electrification, Gesto Energie/ ESMAP, May 2017. Promoting productive uses of electricity in rural electrification programs: the experience of Peru, ESMAP, 2017. Global Tracking Framework, SE4ALL, 2017. Energy Access Case Studies: Vietnam/Lao PDR/Tunisia, World Bank. Rethinking Power Sector Reform – Learning from Power Sector Reform Experiences, The Case of Senegal, World Bank, 2018. Harmonisation des tarifs de l’électricité au Sénégal, SE4ALL/UE, 2017. Décret portant création du FSE, 28 janvier 2011. Rating de Senelec, Bloomfield Investment, novembre 2011. Suivi de la feuille de route de l’atelier sur l’amélioration de l’exploitation des concessions d’électrification rurale, ASER, novembre 2017. 66 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Rapport d’audit du contrat de performance Etat du Sénégal/Senelec, 3ème trimestre 2017, PASE. Off-grid solar market trends, Bloomberg New Energy Finance, Lighting Global, 2017. Evaluation of rural electrification concessions in Subsaharan Africa, Castalia Strategic Advisors, World Bank, 2016. Audit organisationnel, technique et financier de l’ASER, Banque mondiale, août 2015. Evaluation à mi-parcours des concessions d’électrification rurale UE et KfW, FED, juin 2017. Ethiopia National Electrification Strategy, World Bank, June 2016. Rapport Annuel Senelec, 2015. Concessions d’électrification rurale au Sénégal, Recommandations des PTF, juin 2016. Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Energie, Ministère de l’Energie et des Mines, octobre 2012. Document de formulation du Programme National d’Electrification Rurale, Ministère de l’Energie et du Développement des Energies Renouvelables, 2015. Plan Stratégique 2016–2020 (Plan Yeesal), Senelec, novembre 2016. Senegal Generation Plan 2016–2035, World bank Group, January 2017. Contrat de performance entre l’Etat du Sénégal et Senelec pour la période 2017–2019, novembre 2016. Plan Sénégal Emergent, Plan d’Actions Prioritaires 2019–2023, République du Sénégal, décembre 2018. POLITIQUE D’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ EN MILIEU RURAL 67 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL Résumé exécutif Contexte. L’arachide joue un rôle économique, social et politique très important au Sénégal. Elle est la principale source de revenu des ménages agricoles du bassin arachidier et joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire des Sénégalais. Elle demeure une priorité pour les politiques et investissements publics dans le secteur agricole. De ces interventions ont résulté des progrès mais aussi, beaucoup de distorsions (i) entravant la saine compétition et l’intervention convenable du secteur privé et (ii) limitant les gains réalisables en termes de productivité et de compétitivité. En dépit des nombreuses opportunités et des avantages comparatifs, la pauvreté reste fortement associée à la production d’arachide. En effet, 52% des ménages du bassin arachidier sont encore dans l’extrême pauvreté. Objectif. La chaine de valeur arachide souffre encore de beaucoup de contraintes et défis à relever. Elle nécessite des réformes structurelles à court et moyen terme pour (i) mieux optimiser l’investissement public pour réaliser davantage de gains de productivité, (ii) faire des économies sur les diverses subventions, (iii) limiter l’intervention de l’Etat dans la commercialisation et l’industrialisation, (iv) rénover l’interprofession et (v) créer un cadre d’affaire favorable à l’investissement du secteur privé soutenu par des conditions de concurrence saine et loyale au bénéfice des agriculteurs, des consommateurs et de l’économie sénéga- laise dans son ensemble. Principales réformes. Les mesures de réformes proposées concernent principalement : (i) finalisation du processus de privatisation de la SONACOS ; (ii) application de la vérité des prix dans l’achat de la graine d’arachide. Ces réformes devront être accompagnées par des mesures palliatives tels que filets sociaux adaptifs (ciblé aux producteurs vulnérables), le développement de l’assurance agricole, et accès aux ser- vices financiers ; et (iii) l’élimination progressive des subventions en réexaminant les bases de subventions pour plus de ciblage sur les plus pauvres et la promotion des meilleures technologies. Bénéfices attendus. De telles réformes pourraient sans nul doute favoriser la création d’emplois, plus d’opportunités de vente avec des acteurs de marchés diversifiés et plus de pouvoir de négociation pour les producteurs représentés par une interprofession rénovée et forte et par conséquent, plus de revenus agricoles, et plus de résilience. 68 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL Aifa Fatimata Niane Ndoye, El Hadj Adama Toure, Nicolas Ahouissoussi Contributeurs : Marie Caroline Paviot, David Ivanovic, Laurent Gonnet, eorgiana Pop, Racine Ly, Solene Rougeaux Table des matières53 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 II. Principales contraintes et opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 III. Mesures de réforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Annexe : Matrice des options de politiques et de réformes . . . . . . . . . . . . . 89 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 53 La revue technique par les pairs a été effectuée par Irina Schuman et Michael Morris. UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 69 I. Introduction L’arachide joue un rôle économique, social et politique d’une première importance au Sénégal. Elle est la principale source de revenu des ménages agricoles du bassin arachidier et joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire des Sénégalais. Dans ce pays aux pâturages pauvres, l’ara- chide constitue également une source principale de fourrage (fane, coques et tourteau). L’arachide contribue aussi au maintien de la fertilité des sols. Enfin, elle redevient une source importante de devise avec les exportations qui ont rapporté 90 millions de dollars en 2017 contre 2 millions en 2008. Au Sénégal, la chaine de valeur arachide a longtemps été la cible des politiques et inves- tissements publics dans le secteur agricole. Elle polarise la majorité des subventions agri- coles (figure 1) pour une valeur estimée à 12 milliards de francs CFA en moyenne par an entre 2010 et 2015 (FAO, 2016 ; WB, 2018) y compris la subvention aux intrants agricoles (dont 46% pour semences, 13% pour engrais et 1% pour matériel agricole) et la subvention des prix aux producteurs pour compenser les industriels (30%). Elle demeure la chaine de valeur avec le plus haut niveau d’interventionnisme de l’Etat, notamment dans la fixation des prix. Celle-ci suit un mécanisme qui n’est pas suffisamment en phase avec les réalités du marché, marquées par une forte fluctuation des cours mondiaux de l’huile brute d’arachide et des graines. FIGURE 1 : Dépenses publiques agricoles exécutées par produit ENCADRÉ 1 : L’arachide 40 sénégalaise en chiffres Milliards de FCFA 35 30 77 1/3 des terres cultivées 25 77 1/3 de la production agricole 20 15 77 2/3 de la population agricole 10 77 52% de ménages dans l’extrême 5 0 pauvreté 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Moy. 77 50% des dépenses publiques du arachide riz Poissons et crustacés coton autres secteur agricole : 12 milliards/an Source: FAO,2018; WB, 2018 Malgré ces aides publiques, peu de producteurs de base parviennent à sortir de l’extrême pau- vreté. Dans le contexte actuel, ce sont les autres intervenants de la chaine de valeur arachidière et notamment les opérateurs intermédiaires intervenant dans la collecte et la commercialisation des graines et la chaine d’approvisionnement en intrants (semences et engrais) qui tirent plus de profit des aides publiques. La pauvreté reste fortement associée à la production d’arachide, avec une concentration de l’incidence de la pauvreté dans les zones de production d’arachide. En effet, 52% des ménages du bassin arachidier vivent dans l’extrême pauvreté (ANSD, 2011). 70 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES En dépit des nombreuses opportunités et des interventions importantes de l’Etat, la chaine de valeur arachide souffre encore de beaucoup de contraintes et défis à relever. Elle nécessite des réformes structurelles pour réaliser davantage de gains de productivité et mieux saisir les opportunités de marché au niveau domestique, régional et international. II.  Principales contraintes et opportunités Principaux défis et contraintes La production est très vulnérable aux FIGURE 2 : Une production arachidière changements climatiques. Essentiellement fortement fluctuante cultivée sous pluies, l’arachide est fortement 12000 1600000 exposée aux aléas climatiques et particuliè- 10000 1400000 1200000 rement à la pluviométrie, d’où une produc- 8000 1000000 tion très fluctuante malgré les performances 6000 800000 600000 4000 récentes enregistrées (figure 2, source : 400000 2000 200000 FAO STAT et Direction de l’Analyse, de 0 0 la Prévision et des Statistiques Agricoles - DAPSA). C’est uniquement dans la val- Rend (Hg/Ha) Production (tonnes) lée du fleuve Sénégal que l’arachide est (Source: Données FAO STAT, DAPSA) cultivée en contre-saison irriguée à très petite échelle alors que le bassin arachi- dier regorge d’énormes ressources en eau sous-terraines. La forte dépendance de la production arachidière à la configuration de l’hivernage qui est variable d’une année à l’autre, est une contrainte majeure pour l’amélioration de la productivité qui est encore très faible. Avec un rendement moyen de 800–1000 kg/ha, soit 60% de la moyenne mondiale, le Sénégal est loin derrière le Nigeria (1500kg/ha), la Chine (4000kg/ha) et l’Israël (9000kg/ha). Les facteurs de succès de l’Israël et de la Chine peuvent servir de source d’inspiration au Sénégal, en ce qui concerne particulièrement la maitrise de l’eau et l’utilisation des semences de qualité de varié- tés améliorées. La dégradation de la base productive qu’est la terre est préoccupante. Elle est traduite par une forte baisse de la fertilité des sols, exacerbée par une utilisation insuffisante des engrais chimiques et organiques, l’accroissement démographique poussant vers l’utilisation de terre à vocation moins agricole et vers des stratégies d’adaptation de court terme non appropriées (extensification, monoculture, surpâturage, etc.). Les systèmes de production et de transformation arachidière restent rudimentaires. La chaine de valeur arachide n’a pas encore réellement bénéficié des avancées technologiques disponibles. Les opérations culturales demeurent encore pénibles et à haute intensité de main-d’œuvre, ce UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 71 qui constitue une contrainte majeure dans un contexte d’exode rural et de migration des jeunes. Les mauvaises pratiques culturales et post-récoltes favorisent le développement de l’aflatoxine (substance secrétée par des champignons) affectant la qualité des graines avec des répercussions négatives sur la santé des populations et sur les possibilités d’exportation des graines d’arachide vers des marchés devenant très exigeants en qualité. Le modèle économique de la chaine de valeur arachidière est obsolète et peine à s’adapter à un environnement économique mondial caractérisé par le développement d’huiles de substitu- tion (palme en particulier), une forte volatilité des cours mondiaux des huiles, le déplacement du marché et des types de produits arachidiers, et une exigence grandissante sur la qualité. Les unités industrielles privées de trituration de l’huile d’arachide54 sont en surcapacité et sont confron- tées à une compétition déloyale entretenue par la présence d’une entreprise d’Etat : la Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (SONACOS) qui opère selon un modèle d’affaires avéré non viable. La compétitivité et la rentabilité des huileries sont en baisse. Les usines opèrent en sous capacité rendant leur coût de revient non compétitif. FIGURE 3 : Evolution de la part du Sénégal Le Sénégal qui faisait figure de leader et de l’Argentine (leader mondial) dans les dans l’exportation d’huile d’arachide exportations de l’huile brute d’arachide brute dans le passé, a progressivement 600 80% perdu sa place ces dix dernières années, 70% au profit de l’Argentine (figure 3 in WB, Exportations (1000T) 500 60% 400 50% 2015). Cette perte de part de marché a 300 40% 200 30% coïncidé avec une tendance générale de 20% 100 10% décroissance et de stabilisation des expor- 0 0% tations mondiales d’huile d’arachide, à leur 2002 2005 2008 2011 2014 1981 1984 1987 1990 1993 1996 1999 1972 1975 1978 niveau historique le plus bas, avec environ Année de commercialisation (1972=1971/72) 200 000 tonnes par année. Part Senegal (%) Part Argentine (%) Total export Source : Index Mundi, données USDA Le mécanisme de fixation des prix aux producteurs est inadéquat et déconnecté des cours mondiaux. Il plombe la rentabilité de l’industrie d’huilerie et pousse l’Etat à accorder des subventions aux huileries pour compenser les prix aux producteurs. La forte intervention de l’Etat constitue un frein à une compétition saine malgré la diversification des acteurs de mar- ché avec la forte entrée des exportateurs de graines. Le Comité National Interprofessionnel de l’Arachide (CNIA) ne dispose pas d’une bonne représentativité des acteurs clefs de la chaine de valeur, demeure peu efficace et ne concourt pas à servir réellement d’interface avec l’Etat pour une libéralisation effective de la chaine de valeur. COPEOL : Compagnie d’Exploitation des Oléagineux, CAIT : Complexe Agro-Industriel de Touba, WAO : West 54 Africa Oil. 72 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Le manque d’accès aux services financiers (crédit, épargne, assurance, paiements) bloque l’es- sor de la chaine de valeur. En effet, la chaine de valeur arachide est caractérisée dans toutes ses composantes par des difficultés d’accès au financement, en particulier sur les segments de la pro- duction (fonds de roulement et financement d’équipements agricoles) et post-récolte (infrastruc- tures de stockage). Les rares institutions financières présentes dans le volet du financement préfèrent se focaliser, dans une moindre mesure, sur les acteurs les plus solvables de la transfor- mation et de la commercialisation où l’offre de financement demeure malgré tout très en deçà des besoins. Le principal intermédiaire financier de la filière est une banque publique, la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal (CNCAS). En outre, les crédits fortement subvention- nés de la CNCAS annihilent toute volonté des intermédiaires financiers privés d’intervenir dans la chaine de valeurs. Le besoin de financement global pour toute la chaine de valeur arachide (fonds de roulement et investissements) est estimé à 140 milliards de FCFA (Dalberg, 2018). Les stratégies et politiques publiques ont montré leurs limites en concourant à maintenir (i) une industrie huilière sans valeur ajoutée, (ii) un système de rente dans tous les segments de la filière limitant la participation et la compétition du secteur privé pour la FIGURE 4 : Incidence de la pauvrerté par délivrance efficace de biens et services région aux agriculteurs, (iii) un système de distribution non ciblé des subventions agricoles avec très peu de transparence et d’efficience et (iv) un système de prix et un régime fiscal (taxe à l’exporta- tion) qui privent les agriculteurs des opportunités du marché et freinent l’innovation et la diversification des exportations. Comme conséquence, les régions productrices d’arachides sont parmi les plus pauvres du pays (zones en rouge et orange sur la figure 4). Principaux atouts et opportunités Le Sénégal dispose d’un avantage comparatif avéré dans la production de l’arachide, avec une rentabilité allant de 27 % en culture pluviale à 72% en culture irriguée de contre saison (Masters et al, 2017). Cette performance peut être améliorée compte tenu du potentiel énorme en termes de gains de productivité. Le rendement peut passer de 800–1000kg/ha à 3000–4000 kg/ha avec l’adoption des nouvelles variétés améliorées générées par la recherche agricole. L’arachide du Sénégal dispose de réelles opportunités de marché au niveau régional et inter- national sous réserve d’un meilleur contrôle de la qualité des graines en particulier, pour les UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 73 rendre indemnes à l’aflatoxine. Certes, cette exiguïté et cette décroissance du marché mondial d’huile d’arachide, en particulier en Europe (marché d’exportation traditionnel du Sénégal) ont beaucoup impacté la chaine de valeur, mais elles peuvent être compensées par les opportunités d’exportation de graines de qualité vers des marchés plus diversifiés notamment la Chine. En effet, de plus en plus, la transformation se fait à la destination comme le montrent les tendances mondiales caractérisées par une augmentation fulgurante des exportations de graines d’arachide et une baisse ou stagnation des exportations d’huile et de tourteau d’arachide (figure 5 in Masters et al, 2017). Des perspectives prometteuses pour l’exportation de graines s’offrent au Sénégal qui est engagé dans une dynamique pour en tirer le maximum de profit avec le partenariat noué avec la Chine et la libéralisation de l’exportation des graines d’arachide. Ces mesures ont conduit à un accroissement important des exportations de graines au cours des dernières années et n’eût été la taxe élevée instaurée en 2017 sur les exportations (40 FCFA/kg sur les graines décortiquées) et suspendue – mais non éliminée - par la suite, la tendance serait encore maintenue (figure 6). Toutefois, le commerce mondial d’arachide demeure très réduit avec des exportations qui portent uniquement sur 3,86 million de tonnes sur une production mondiale estimée à 41,72 millions de tonnes (USDA, octobre 2016), montrant que l’essentiel de l’arachide produit est consommé localement. Le Sénégal devrait aussi beaucoup compter sur les perspectives de développement du marché domestique et régional des produits transformés d’arachide, y compris l’huile et la confiserie. Par ailleurs, le développement de l’élevage intensif au Sénégal et dans la région offre des opportunités considérables pour l’arachide fourrager et les sous-produits de la transformation industrielle (tourteaux, coques). FIGURE 5 : Tendances dans les exportations mondiales de produits arachidiers 74 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES La recherche agricole sénégalaise FIGURE 6 : Exportations de graines (ISRA/CERAAS et ITA) a fait des 55 d’arachide avec coques du senegal (T) avancées notables avec des technologies éprouvées pour l’adaptation aux change- 266720 ments climatiques et aux conditions de production. Avec l’appui du Programme de Productivité en Afrique de l’Ouest 149505 (WAAPP), la recherche a généré une 122215 dizaine de nouvelles variétés améliorées à haut rendement (3–4 tonnes/hectare), à 28400 34500 haute teneur en huile (48–50%) et acide 15300 oléique (48–49%) et avec des graines effi- 2013 2014 2015 2016 2017 2018 lées (arachide de bouche). Ces variétés sont également tolérantes à l’aflatoxine, résistantes aux maladies, à maturité précoce (80–90 jours) et donc adaptées à la sècheresse et aux changements climatiques. En plus, l’Institut de Technologie Alimentaire (ITA) a développé une technologie de transformation artisanale de l’huile d’arachide avec l’utilisation d’une table de traitement et de l’attapulgite (argile) permettant de réduire considérablement le taux d’aflatoxine. La diffusion de cette technologie est en train de faire ses preuves en termes d’amélioration de la qualité de l’huile artisanale, de valorisation et transformation locale de l’arachide et de génération de revenus surtout pour les femmes. Cette technologie, en plus de l’aflasafe, produit développé par l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA), peuvent beaucoup contribuer à la maitrise de l’aflatoxine et garantir l’amélioration de la qualité des graines pour une meilleure compétitivité de la chaine de valeur. La chaine de valeur dispose de possibilités réelles de diversification des acteurs en aval avec divers exportateurs de graines, de nouvelles huileries et de nouvelles industries de confiserie produisant pates et tartines à base de chocolat. Tous ces acteurs sont bien organisés et prêts à revitaliser et donner un nouveau souffle au segment industriel (cas COPEOL, WAO, PATISEN, etc.) à condition de maitriser l’aflatoxine. De nombreuses initiatives privées sont entreprises dans tous les segments de la chaine de valeur et peuvent fournir des leçons et modèles pour une répli- cation rapide (contractualisation, technologie de transformation semi-artisanale sans aflatoxine, production de semences de haute qualité, etc.). Des coopératives semencières bien structurées et expérimentées56 ainsi que le secteur privé bien impliqué dans le secteur semencier, constituent un atout de taille pour la production de semences de qualité pour accroitre les rendements. 55 ISRA : Institut Sénégalais de Recherche Agricole, CERAAS : Centre d’Etude Régional pour l’Amélioration de l’Adaptation à la Sécheresse, érigé en Centre de Recherche Régional d’Excellence du WAAPP. ITA : Institut de Technologie Alimentaire. 56 Par exemple, le Réseau National des Coopératives de Producteurs de Semence (RNCPS) dispose même d’un ingé- nieur des travaux agricoles et des techniciens pour assurer le suivi, le conseil et la formation des producteurs semenciers. UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 75 Des possibilités de contractualisation et de financement existent. L’entrée des acteurs indus- triels privés dans la chaine de valeur arachide via des relations contractuelles avec les producteurs à la base peut dans une certaine mesure contribuer à résoudre la problématique de l’accès au financement, en favorisant les flux financiers à l’intérieur de la chaine de valeur tout en offrant par ailleurs un confort supplémentaire pour l’entrée éventuelle des institutions financières dans le financement (effet levier de la relation contractuelle favorisé par la sécurisation des débou- chés commerciaux). Par ailleurs, les gains de productivité attendus sur la production d’arachide devraient permettre l’arrêt progressif des taux d’intérêt subventionnés de la CNCAS, une condi- tion sine qua non pour la venue d’intermédiaires financiers privés (de type microfinance ou autres institutions de services de paiements électroniques). Le partenariat avec la Chine, premier marché mondial des produits arachidiers, peut offrir des perspectives commerciales et d’investissement dans la chaine de valeur arachide, notamment sur le segment industriel et les équipements de production et de transformation. Des oppor- tunités avec des pays ayant des segments et exigences similaires à ceux de la Chine, pourraient être explorées. Il s’agit notamment des pays comme l’Allemagne, l’Indonésie, les Pays-Bas, et le Vietnam. III.  Mesures de réforme En dépit des multiples contraintes et défis, la chaine de valeur arachide présente beaucoup d’opportunités à saisir pour améliorer davantage sa contribution dans l’économie agricole pour une croissance inclusive et pour l’éradication de l’extrême pauvreté dans le bassin arachi- dier, en particulier. Conformément aux objectifs de développement du Plan Sénégal Emergent (PSE), du Programme d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (PRACAS) et de la note d’orientation de l’arachide, il conviendrait que l’Etat recentre son intervention sur des réformes structurelles et des investissements productifs ayant comme objectifs : i) L’amélioration de la productivité et de la compétitivité ; ii) La réduction de la vulnérabilité aux risques de production et de marché, et iii) La réorganisation de la chaine de valeur vers une production de qualité pour des marchés diversifiés et une compétition saine au bénéfice des agriculteurs, des consommateurs et de l’économie sénégalaise dans son ensemble. Mesures de réformes à court terme (1 an) Dans le court terme, les réformes structurelles à entreprendre ou à parachever s’articulent autour de 4 axes comme résumé dans la figure 7. Réforme 1 : Assainissement de l’environnement de la chaine de valeur avec le désen- gagement de l’Etat de la commercialisation et de la transformation industrielle : 76 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 7 : Options politiques et réformes à court terme (1 an) Il conviendrait à l’Etat de supprimer les entraves à l’entrée du secteur privé et favoriser une saine compétition des acteurs le long de la chaine de valeur à travers les actions suivantes : Action 1.1 : Application de la vérité des prix dans l’achat des graines d’arachide. Face à des cours mondiaux de l’huile brute d’arachide fortement en baisse depuis 2012 (de 2400 $ en 2012 à 1700 $ en 2013 et 1600 $ en octobre 2018), le fait de vouloir maintenir un prix au producteur toujours à la hausse d’une année à l’autre (190 FCFA/kg en 2012, 200 en 2013 et 210 en 2018 et 2019) peut s’avérer préjudiciable à la promotion et à la durabilité de la chaine de valeur. Tout en cherchant à garantir un certain niveau minimum de revenus aux producteurs, une considéra- tion importante que l’Etat doit prendre en compte est d’accepter les fluctuations57 d’une année à l’autre suivant les cours mondiaux. Tout en se concentrant sur son rôle régalien dans le suivi et le contrôle, l’Etat devrait se départir du système de fixation des prix aux producteurs, le laisser au soin exclusif de l’interprofession et mieux encore laisser le marché agir librement. Avec la diver- sité des acheteurs (industriels d’huilerie et de la confiserie, transformateurs artisanaux, exporta- teurs etc.), et une forte interprofession, les producteurs pourraient disposer d’un bon pouvoir de négociation sur le marché. Ceci conduirait à une concurrence saine entre les acteurs du marché qui chercheront à maximiser leur profit. L’impact fiscal est très bénéfique car une telle réforme permettrait à l’Etat d’économiser au moins 10,5 milliards de francs CFA58 correspondant au coût des subventions pour la compensation du prix aux producteurs à verser aux huiliers. Il est à 57 Une fluctuation de prix peut être une baisse ou une hausse. 58 210fcfa/kg-175fcfa/kg=35fcfa/kg*300 000 000 kg de graines collectées par les huiliers pour lesquelles l’Etat compensera le prix ; 210fcfa étant le prix au producteur fixé et 175fcfa/kg le prix proposé par les huiliers pour la campagne 2017/2018. L’Etat compensera au moins les 35fcfa/kg. Il semblerait même que l’Etat aura à compenser près de 60fcfa/kg à la suite des cours mondiaux de l’huile brute d’arachide qui est en chute continue en 2018. Les 300 000 t sont réparties comme suit : 177 631 t pour SONACOS, 71 053 t pour COPEOL, 21 316 t pour CAIT et 30 000 t pour WAO. UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 77 noter que malgré la bonne volonté de l’Etat de vouloir garantir aux producteurs des prix rému- nérateurs, le constat est que la marge est capturée généralement par les intermédiaires (Lynn et Hathie, 2016) qui rachètent la production à des prix inférieurs au prix fixé. La fixation des prix est très ancrée dans les politiques agricoles voire dans l’économie politique et dans les habitudes des producteurs, ce qui rendrait d’emblée difficile sa suppression automatique. Ainsi, il serait judi- cieux d’accompagner l’application de la vérité des prix des mesures accompagnatrices suivantes afin de la vulnérabilité des producteurs aux risques de production et de marché à travers : Action 1.1.1 : la diffusion et l’adoption massive des nouvelles variétés améliorées, productives et précoces pour accroitre la productivité et la compétitivité. Ceci permettra d’augmenter sensi- blement les rendements (de 800kg/ha à 3000kg/ha) et induire une réduction du cout de produc- tion unitaire permettant aux producteurs de pouvoir vendre à des prix plus bas tout en préservant la rentabilité de leur activité et leur compétitivité ; Action 1.1.2 : la promotion de l’assurance agricole combinée au crédit pour couvrir les risques de production et de marché. L’utilisation des applications numériques (My Agro, Yup, etc.) pour- rait être soutenue pour fournir des services financiers innovants aux producteurs ; Action 1.1.3 : Mise en place de filets adaptatifs : Afin de mitiger le risque du marché qui serait induit par une suppression du prix garanti, un programme de transfert monétaire ponctuel pour- rait être accordé aux producteurs arachidiers les plus vulnérables affectés par une baisse du prix de l’arachide au producteur. Ce programme de transferts monétaires pourrait n’être déclenché qu’en cas de baisse importante du prix des cours mondiaux des produits arachidiers. Un seuil (prix sur les cours mondiaux) clair pourrait être fixé afin de faciliter un déclenchement rapide. Le ciblage des ménages les plus vulnérables pourrait se faire sur la base du RNU comme cela a été fait lors de la réponse à l’insécurité alimentaire en 2017 et 2018. Les transferts monétaires aux ménages les plus pauvres en cas de chocs exogènes contribuent directement à renforcer leur résilience dans le long terme en leur évitant d’éroder leurs moyens d’existence pour faire face aux chocs. Afin de construire la résilience des plus vulnérables dans le long terme, un programme de filets sociaux productifs pourrait aussi être mis en place (voir réforme 3,). Action 1.2 : La révision de la politique commerciale sur les exportations de graines. L’instauration de la taxe à l’exportation pour l’arachide de coques introduite en 2017 avait été jugée élevée (40–30 FCFA/kg) par les exportateurs. Même si elle était bien intentionnée avec un bon fon- dement fiscal de récupération d’une partie des subventions de l’Etat à reverser dans le secteur pour le financement de l’amélioration de la productivité, la taxe a fortement démotivé les exportateurs dans un contexte coïncidant avec une baisse des cours mondiaux compromettant la rentabilité de leurs activités. Il en a résulté une forte baisse des volumes exportés (de 266 720 tonnes en 2016 à 122 215 tonnes en 2018, voir figure 5) malgré l’accroissement de la production nationale ; ceci représente un manque à gagner significatif pour l’économie. Il serait indiqué que l’Etat procède à la suppres- sion définitive de la taxe à l’exportation des graines ou à la réduction substantielle en accord avec 78 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES les exportateurs ainsi qu’une redéfini- tion des normes de qualité des graines ENCADRÉ 2 : Bilan campagne 2017/18 exportables. Il est important de créer de SONACOS les conditions d’une concurrence saine 77 6,2 milliards de subvention à recevoir entre les huiliers et les autres acheteurs, pour compenser les prix au producteur y compris les exportateurs. 77 187 364 tonnes d’arachide collectées Action 1.3 : Finalisation du processus 77 Facture totale de 44,704 milliards de reprivatisation de la SONACOS. de FCFA dont 30,908 milliards FCFA Certes, une réforme courageuse a été payés et un reliquat de 13,795 milliards entamée en 2016 par le Gouvernement de FCFA (31%) au 25 mai 2018 du Sénégal avec la renationalisation 77 30.000 tonnes triturées et 15.000 devant être suivie d’une reprivatisation tonnes décortiquées en partenariat de la SONACOS, mais elle demeure avec les unités artisanales de transfor- inachevée et tarde à se concrétiser alors mation faute d’usines fonctionnelles que le maintien de la SONACOS sous tutelle publique coûte très cher à l’Etat avec 35 millions de dollars de crédit de la Banque Islamique de Développement mobilisés annuellement pour assurer la collecte de graines d’arachide et plus de 6,259 milliards de francs CFA de subventions pour compenser les prix aux producteurs. Certes, la SONACOS souligne avoir revu fortement à la hausse les collectes de graines au cours des deux dernières années (2016–2018) sachant qu’elles étaient à 7146 tonnes en 2015/16 (le niveau le plus bas jamais atteint). Cependant, cette hausse des volumes de graines collectées a une incidence économique négative. Les graines collectées peinent à être transformées en huile faute d’unités industrielles opérationnelles. La production d’arachide collectée par la SONACOS durant la campagne 2016/17 de plus de 96 000 tonnes (CNIA, 2018) est restée toute une année sans être transformée et il s’en est suivi une détériora- tion de la qualité des graines et des pertes énormes par stockage (avec même des brulis). Durant la campagne 2017/18, environ 187 364 tonnes (CNIA, 2018) ont été collectées et le peu trans- formé en huile peine à se positionner sur le marché poussant l’Etat à négocier des quotas sur les huiles locales avec les importateurs d’huile pour permettre l’écoulement de l’huile d’arachide pro- duite par la SONACOS. Le modèle d’affaire de SONACOS a montré ses limites en termes de compétitivité et de viabilité économique. Il est donc urgent pour l’Etat de finaliser et conclure les négociations pour le retrait définitif et total d’ADVENS, actionnaire majoritaire et de procéder à une reprivatisation avec une recherche de nouveaux repreneurs privés. Les pertes cumulées de SONACOS s’alourdissent et l’Etat ne devrait plus s’engager à mener une troisième campagne de collecte d’arachide en 2018/19 étant donné que les stocks des deux dernières campagnes sont encore en souffrance. Le désengagement total de l’Etat de la commercialisation et de la 59 210fcfa/kg-175fcfa/kg=35fcfa/kg*177.631.000kg de graines collectées. UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 79 transformation industrielle au profit du secteur privé est crucial pour une bonne compétiti- vité et une compétition saine entre les divers acteurs de la chaine de valeur arachidière et au profit des producteurs et de l’économie. Réforme 2 : Développement du marché semencier et réforme du système de distribu- tion des subventions pour une productivité accrue. Avec le Programme de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (WAAPP) le capital semencier a été reconstitué et a progressé de 700 tonnes en 2012 à 55.000 tonnes de semences certifiées en 2017. Pour amplifier l’impact sur la productivité et la production arachidière, il conviendrait que l’Etat prenne les mesures suivantes : Action 2.1 : Accélérer la disponibilité et l’accès aux nouvelles variétés améliorées adaptées aux changements climatiques et répondant aux exigences du marché. Il s’agira de capita- liser sur les acquis du WAAPP pour soutenir un programme semencier adapté aux enjeux climatiques. Un accent particulier devrait être mis sur la multiplication par les coopératives semencières et les autres acteurs semenciers privés, et la large diffusion des dix nouvelles variétés générées par la recherche agricole (Centre d’Etude Régional pour l’Amélioration de l’Adaptation à la Sécheresse - CERAAS). Ces nouvelles variétés permettront d’améliorer la productivité et la production arachidière car elles sont très productives (3–4 tonnes/hectare), précoces (80–90 jours) et à forte teneur en huile (48–50%) et en acide oléique (48–49%). Action 2.2 : Permettre la multiplication des prébases par des entreprises semencières privées qualifiées et agréées. En plus du soutien à la mise en valeur des fermes semencières de l’ISRA rénovées avec des systèmes d’irrigation automatisés, il est important d’impliquer les coopératives semencières et les autres privés semenciers dans la production de semences de prébase pour une plus grande et rapide disponibilité des nouvelles variétés. Ceci nécessitera une mise à jour du règlement technique sur les semences relatives à la propriété intellectuelle. En plus, il urge de renforcer la traçabilité de la production semencière eu égard aux nombreuses déperditions enregistrées par la recherche sur les productions de prébases souvent utilisées à d’autres fins que pour la multiplication afin d’aboutir à des semences certifiées destinées aux producteurs. Il est important de compléter le décret 97–616 pour permettre la traçabilité des semences et la diffu- sion de l’information au public sur les quantités disponibles par lignée et catégorie, un moyen de renforcer la responsabilité ou la redevabilité des acteurs à tous les échelons sur la préservation du capital semencier. Egalement, il serait utile de mettre en place une plateforme digitale dédiée à la distribution et au suivi de la multiplication des prébases jusqu’au stade de semences certifiées. L’Union Nationale Interprofessionnelle des Semences (UNIS) pourrait aider à la coordination de cette plateforme en partenariat avec l’ISRA et la Division des Semences (DISEM) de la Direction de l’Agriculture. Action 2.3 : Digitaliser le système de distribution des subventions aux intrants pour ampli- fier leur impact. L’Etat fait d’énormes efforts pour soutenir les producteurs arachidiers dans l’accès aux semences et engrais. En effet, en 2017, 55 000 tonnes de semences certifiées et 80 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES 19 087 tonnes de semences écrémées d’arachide ont été distribués aux producteurs arachidiers (DAPSA, 2018). Pour plus d’impact sur le développement de la chaine de valeur arachide, il conviendrait d’opérer une rupture totale avec les semences écrémées et également améliorer la transparence et le ciblage des bénéficiaires au profit des producteurs les plus nécessiteux. Les subventions devraient viser les nouvelles variétés de semences d’arachide afin de mieux soutenir leur large diffusion et adoption pour accroitre la productivité et la résilience des producteurs au changement climatique. Il serait important aussi d’affiner et d’opérationnaliser les régimes de subvention qui permettent la concurrence entre les fournisseurs d’intrants (semences certifiées et engrais). Depuis 2012, d’importants efforts ont été déployés pour concevoir la plateforme e-bon (e-voucher) avec près de 800 000 producteurs enregistrés au niveau national et un serveur logé à l’Agence de Développement de l’Informatique de l’Etat (ADIE) comme souhaité par le Ministère de l’Agriculture et de l’Equipment Rural (MAER). Cette plateforme est opération- nelle mais son utilisation est non encore effective. Pourtant, ailleurs en Afrique et particulière- ment au Nigéria, avec une bonne volonté politique, une plateforme électronique (e-voucher) a été utilisée pour réformer le système de distribution des intrants agricoles avec des résultats très concluants sur la performance du secteur agricole (voir encadré 3). La trajectoire de la réforme de la politique agricole du Mexique est aussi très pertinente et assez illustrative à plusieurs égards pour en tirer des leçons et inspirer la mise en place de programme de subvention agricole bien ciblé et efficient (encadré 4) qui doit répondre à des principes de base (encadré 5). Une contractualisation avec une firme privée utilisant la technologie numérique (exemple MyAgro, Manobi etc), pour assurer de manière transparente et ciblée la distribution des subventions agricoles pourrait être une autre option. ENCADRÉ 3 : L’impact positif du système e-voucher sur l’agriculture nigériane Au Nigeria, la digitalisation de la distribution des subventions d’intrants agricoles avec l’utilisation des bons électroniques (e-voucher) sur une plateforme téléphonique de porte-monnaie électronique (e-wallet) a été une innovation majeure ayant permis de toucher 6,8 millions d’agriculteurs en 2014, bien au-dessus de l’objectif de 5,0 millions et contre une valeur de référence de 1,2 million d’agriculteurs en 2012. Entre 2012–2014, un total de 14,3 millions d’agriculteurs ont reçu 102 701 tonnes de semences de riz, 47 991 tonnes de semences de maïs et 1,2 million de tonnes d’engrais. Les pro- ducteurs de riz ont augmenté leur rendement moyen passant de 1,5 à plus de 4 tonnes par hectare, réduisant ainsi le déficit de l’offre national de riz de 45 pourcent en le faisant décroitre de 2,6 millions de tonnes en 2012 à 1,5 million de tonnes en 2014. Source : Independent Evaluation Group (IEG), 2018. Implementation Completion Report (ICR), Review Agricultural Transformation DPO (P130012), World Bank UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 81 ENCADRÉ 4 : La trajectoire de la réforme de la politique agricole du Mexique est pertinente et illustrative à plusieurs égards Au début des années 90, le Mexique comptait principalement sur des systèmes de garan- tie des prix pour soutenir ses producteurs de céréales et d’oléagineux. Dans le cadre de son adhésion à l’Accord de Libre-Echange Nord-Américain (ALENA) en 1994, mais aussi pour gérer les pressions politiques des agriculteurs, le Mexique a introduit un programme de soutien direct au revenu des agriculteurs dénommé ProCampo (programme paysan) pour compenser les effets négatifs anticipés de l’ALENA sur les prix des cultures de base. ProCampo a ainsi fourni des paiements sur la base des superficies cultivées, découplés du volume de production. Le Gouvernement a dépensé énormément pour le payement des subventions aux paysans incluant au moins 20 milliards de dollars de payement direct aux paysans entre 1994 et 2014. La mise en œuvre de ProCampo, sur une période de 20 ans, a révélé plusieurs défis: (i) l’inégalité de la distribution, les plus gros produc- teurs profitant davantage (cf. Jonathan Fox et Libby Haight, 2010); (ii) des effets envi- ronnementaux négatifs résultant de la promotion de la monoculture, de la déforestation et de la réduction des incitations à la restauration des terres ; et (iii) un impact très limité sur la transformation de l’agriculture mexicaine (cf. CNUCED, 2012). Une revue des dépenses publiques a montré que plus de la moitié des dépenses agricoles du Mexique allait aux 10% les plus riches producteurs. Bien qu’orienté vers la production et en com- plément au programme social en place (Conditional Cash Transfers – CCT), ProCampo n’a guère contribué à augmenter la productivité de l’agriculture mexicaine. Les petites exploitations, en particulier, n’ont pas réussi à se diversifier vers des cultures de plus grande valeur ajoutée et sont restées concentrées sur le maïs de subsistance. Ainsi, en 2014, ProCampo a été restructuré et converti en un nouveau programme, ProAgro (programme agricole), mettant l’accent sur le renforcement de la productivité agricole et liant les paiements désormais différenciés (paiements à la surface plus élevés pour les petits producteurs) à l’adoption de technologies et services visant à renforcer la productivité. Les bénéficiaires du ProAgro doivent être enregistrés dans un registre numérique incluant récemment la reconnaissance biométrique, et doivent prouver leur utilisation de technologies promues par le programme (achat d’engrais, semences amé- liorées, machines, formation, etc.). Source : Jonathan Fox and Libby Haight, 2010. Subsidizing Inequality: Mexican Corn Policy NAFTA. University of California, Santa Cruz. 82 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 5 : Principes de base de la conception d’un bon programme de subvention i) Ciblage : atteindre au mieux ceux qui ont besoin de la subvention, par opposition à ceux qui veulent la subvention (probablement tout le monde) ; ii) Efficacité : assurer un impact positif, réduire le gaspillage et maximiser l’efficacité ; iii) Durabilité : réduire au mieux l’empreinte environnementale, assurer la croissance soutenue de la productivité et promouvoir un développement vigoureux du marché ; iv) Choix des instruments : bons, virements, livraisons physiques, etc. avec une dis- torsion minimale selon les circonstances ; v) Approche à utiliser : plateformes et mécanismes innovants et numériques dans la mesure du possible ; vi) Accumulation de l’intervention : atteindre les non-utilisateurs précédents et compléter plutôt que de se substituer aux ventes ou marchés existants ; vii) Investissements complémentaires : remédier à la défaillance du marché ; viii) Stratégie de sortie claire : inscrire la subvention sur une période donnée. Source : Madhur Gautam, 2015. Agricultural Subsidies: Resurging Interest in a Perennial Debate, in Ind. Jn. of Agri. Econ. Vol.70, No.1, Janvier-mars 2015. Réforme 3 : Réduire la vulnérabilité des producteurs aux risques à travers : Action 3.1 : Le développement de l’assurance agricole et son couplage au financement agricole. Dans un contexte de changement climatique marqué par une forte irrégularité de la pluviométrie, le recours à l’assurance agricole comme mesure de mitigation des risques cli- matiques est d’une grande importance pour les producteurs arachidiers dont le sort est forte- ment associé à la nature de l’hivernage. Le Sénégal dispose d’une Caisse Nationale d’Assurance Agricole (CNAAS) mais qui malgré la subvention à 50% du premium peinait à accroitre son nombre de souscripteurs. Toutefois, un saut qualitatif a été observé ces deux dernières années avec le nombre de producteurs bénéfi- ciaires de l’assurance agricole passant de 29 256 en 2016 à 46 530 en 2017 ENCADRÉ 6 : Le cas de l’assurance et 90 000 en 2018. Néanmoins, pour agricole en Inde plus de souscripteurs, il conviendrait de promouvoir la combinaison du cré- En Inde, il est obligatoire pour les institu- dit agricole avec l’assurance agricole tions financières qui offrent du crédit agri- s’inspirant dans une certaine mesure cole d’avoir un produit d’assurance-récolte de l’expérience de l’Inde (encadré 6). lié au crédit. L’assurance agit donc comme L’assurance agricole pourrait également un nantissement sur les prêts accordés aux être combinée (comme composante agriculteurs et le coût de l’assurance (prime) obligatoire) au paquet d’intrants dis- est préfinancé par les institutions financières tribués via le système des bons électro- (et non les agriculteurs directement). niques (e-voucher) si celui-ci venait à UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 83 être mis en place, à l’image de ce qui a ENCADRÉ 7 : Programme d’assurance été fait en Zambie durant la campagne agricole et de gestion des risques agricole 2017–2018 (plus de 900.000 au Kenya producteurs couverts par l’assurance Le programme a mis en place des produits cette saison, dont 412.000 ont été d’assurance indicielle basés sur le rende- indemnisés par l’assurance). Également, ment moyen dans la filière maïs avec une le Kenya est un cas d’école en matière de subvention de 50% de la prime d’assu- soutien public au secteur de l’assurance rance. Ces produits ont été distribués dans agricole (étendu au secteur de l’élevage) 10 régions du pays, et ont enregistré en fin du fait de la présence de mécanismes 2017 plus de 200.000 petits producteurs de d’incitation importants promus par le maïs couverts. Gouvernement en 2015 avec le lan- cement du Programme d’Assurance Agricole et de Gestion des Risques au Kenya (Kenya Agriculture Ensurance and Risk Management Program) comme composante à part entière de la Stratégie Sècheresse. Ce Programme a permis de fédérer pour plus d’efficacité et d’harmonie plusieurs initiatives et projets de promotion de la résilience des producteurs et éleveurs dans le pays (encadré 7). Action 3.2 : Mise en place de filets sociaux productifs. Le Sénégal dispose d’un Registre National Unique (RNU) répertoriant les ménages les plus pauvres. Le RNU est utilisé pour la distribution des bourses familiales mais pourrait également servir dans l’accompagnement des ménages ruraux en insécurité alimentaire chronique ou conjoncturelle et dans le développement de programme de filets sociaux productifs combinant bourse familiale60 et subvention d’intrants agricoles à travers un mécanisme digital (e-voucher) pour un transfert transparent et bien ciblé des intrants de bonne qualité. Etant donnée les limites des programmes de bourses familiales en matière d’amélioration des activités productives (voir expérience du Mexique en encadré 8), les combiner avec un bon programme de subvention d’intrants, pourrait aider à mieux soutenir les producteurs les plus démunis à accroitre leur productivité et leur revenu, renforcer leur résilience et sortir de la pauvreté. Action 3.3 : Le renforcement du système et des procédures d’alerte précoce et déclencheurs des programmes d’adaptation. Il faudrait promouvoir la mise en place de l’Observatoire agro-climatique, du plan de contingence et définir le budget associé, afin de sécuriser les inter- ventions citées ci-dessus. Les Open Data offrent des opportunités incommensurables pour améliorer le système d’alerte précoce sur le climat. Par exemple, l’Observatoire Agricole de la Banque Mondiale permet d’avoir des données équivalentes à 1300 stations pluviométriques 60 Plus d’information dans la note de politique sur les filets sociaux. 84 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 8 : Expérience du Mexique en matière de programme de transferts monétaires Le Mexique est le champion dans le domaine des transferts monétaires grâce au pro- gramme Oportunidades. Cependant, après de nombreuses années de mise en œuvre et de très bonnes évaluations d’impact, il était clair que les transferts monétaires atteignent des résultats en matière d’éducation et de santé, mais n’encouragent pas les activités productives, indispensables à la durabilité des moyens de subsistance. Par conséquent, le gouvernement du Mexique a remanié les transferts monétaires en y incluant une com- posante productive dans les zones rurales et en changeant le nom du programme à Prospera. numériques (chaque 9km x 9km) pour le Sénégal, contre moins d’une centaine de stations actuellement. Un tel observatoire agricole serait d’une grande utilité pour le Sénégal qui a initié un programme d’adaptation avec des interventions basées sur le profil annoncé de l’hivernage pour réduire l’incidence négative des variations climatiques sur les performances d’ensemble de l’agriculture et de l’économie dans son ensemble. Options de politiques et de réformes à moyen et long terme (1 à 5 ans) En plus des options de politiques et de réformes à court terme, pour plus d’impact et de chan- gement structurel, d’autres réformes s’inscrivant dans le moyen et long terme mériteraient d’être engagées. Il s’agit des options politiques ou des réformes suivantes : Mesure de Réforme 1 : Restructuration ou renforcement du Comité National Interprofessionnel de l’Arachide (CNIA) : Le CNIA constitue un acteur clé de la chaine de valeur arachide. Cependant, le CNIA a montré ses limites comme un mécanisme efficace au service du développement de la chaine de valeur arachidière. Eu égard à la nouvelle dynamique de la chaine de valeur et aux perspectives de croissance de la production et des opportunités grandissantes de marché, le CNIA devra être restructuré avec une meilleure représentativité des acteurs clefs que sont les organisations de producteurs et les acheteurs majoritaires que sont les industriels, les exportateurs, les transformateurs artisanaux et les intermédiaires. Le CNIA rénové devrait être chargé (i) d’élaborer les stratégies de développement de la chaine de valeur avec les services compétents de l’Etat, (ii) d’assurer l’encadrement des négociations contractuelles liant les organisations de producteurs aux acheteurs, (iii) assurer l’application des règles et normes de qualité pour les exportations pour garantir une bonne réputation internationale de l’arachide originaire du Sénégal, (iv) de superviser les vérifications par des professionnels reconnus par les UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 85 clients, (v) de coopérer avec le système national de recherche agricole pour initier et coordonner des tests d’introduction d’innovations et de technologies améliorées, (vi) de contribuer à la mise à jour des statistiques et données de la chaine de valeur et faire le benchmarking à l’international, et (vii) de gérer le mécanisme de fixation des prix aux producteurs de manière autonome et res- ponsable en tenant compte des cours mondiaux et progressivement laisser les règles du marché s’appliquer. Les coûts d’un tel CNIA fort et rénové au service de ses membres, devraient être à la charge des acteurs de la chaine de valeur sur la base d’un système mutualisé de prélèvement minime, défini consensuellement et avec un appui initial et dégressif de l’Etat. L’importance du service rendu aux membres est une motivation à priori suffisante pour bâtir ce mécanisme durable de financement du CNIA. Mesure de Réforme 2 : Généralisation des accords contractuels entre les produc- teurs et les acheteurs : La promotion des systèmes de contractualisation entre les orga- nisations de producteurs ou coopératives agricoles, les industriels (huilerie, confiserie) et les exportateurs revêt un triple avantage en ce sens qu’elle permettra : (i) d’assurer l’approvision- nement en intrants des producteurs et de tendre vers la suppression des subventions d’intrants par l’Etat, (ii) de disposer d’un marché garanti d’avance pour les producteurs, et (iii) de garantir une collecte sécurisée de graines aux industriels et exportateurs. Une contractualisation plu- riannuelle pourrait aider à la professionnalisation et fidélisation des acteurs de la chaine de valeur avec un système de traçabilité. La contractualisation expérimentée par COPEOL en partenariat avec l’ASPRODEB est un bel exemple de réussite comme le montre sa progression positive au cours des années (encadré 9). La généralisation d’un tel système de contractualisa- tion avec les producteurs constituerait une bonne opportunité pour l’Etat de se soustraire des subventions en intrants très coûteuses (90% des subventions de l’arachide) au profit d’autres investissements plus productifs tels que le financement de la recherche agricole et la maitrise de l’eau dans le bassin arachidier. ENCADRÉ 9 : Exemple de contractualisation producteurs-industriel : cas COPEOL-ASPRODEB Avances : intrants financés Volume (tonne) Valeur Objectif totale contractuel Campagne Superficie Engrais (million de production Production agricole (ha) Semences NPK FCFA) (tonne) livrée (tonne) 2016/2017 12 500   1 875 500 342 6 250 6 323 2017/2018 25 924   2 330 3 945 1 200 21 700 41 293 2018/2019 80 000 11 667 11 667 4 080 56 000 Non dispo 86 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Mesure de Réforme 3 : Amélioration de l’efficience des dépenses publiques : Les dépenses publiques pourraient être orientées davantage vers des investissements productifs tels que la mai- trise de l’eau (irrigation) et l’accès aux technologies et innovations pour une modernisation des systèmes de production dans le bassin arachidier. Pour sortir les producteurs du bassin arachi- dier de la pauvreté, il est urgent de réduire leur dépendance à la pluviométrie et les faire sortir d’une activité de production saisonnière et pluviale de trois mois vers une activité de production annuelle, irriguée et plus diversifiée incluant l’horticulture, la riziculture etc. Mesure de de Réforme 4 : Révision du cadre réglementaire relatif aux normes et du système de contrôle sur l’arachide et dérivés. Pour inscrire davantage la chaine de valeur arachide sur une démarche qualité, il est important de mettre à jour les normes de qualité et mettre en place un système national de contrôle et de diffusion des informations relatives à la qualité sanitaire des produits agricoles et agro-alimentaires de manière générale pour permettre d’assoir le label de l’arachide du Sénégal et un meilleur accès au marché international. Mesure de Réforme 5 : Amélioration de l’accès aux services financiers avec les tech- nologies numériques : Avec un taux d’accès au crédit agricole estimé à 2%, l’arachide, comme toutes les autres chaines de valeur agricoles, a un besoin significatif d’investissement pour assurer son intensification et sa modernisation. Comme options, il conviendrait de : (i) soutenir les ini- tiatives privées pour la numérisation du financement agricole61 pour un meilleur accès au crédit, une mobilisation de l’épargne rurale et l’investissement dans la chaine de valeur ; (ii) étendre le système de récépissé d’entrepôt mis en place par le Ministère du Commerce avec l’appui de la Société Financière Internationale (SFI), à l’arachide en tenant compte des leçons apprises de la phase pilote sur le riz, pour améliorer l’accès des acteurs de la chaine de valeur arachide au financement et favoriser le développement par le secteur privé d’infrastructures d’entreposage garantissant la qualité et l’intégrité des produits déposés ; et (iii) éliminer progressivement les subventions de taux d’intérêt distribuées par la CNCAS pour permettre à des acteurs privés, bien mieux outillés et dotés de ressources financières bien plus abondantes, de se déployer sur ce marché. Leur intervention se traduirait par une offre plus adaptée de services financiers (épargne, assurance, crédit digital, e-wallets, transfert électronique d’argent, etc.) sur lesquels l’Etat pour- rait, le cas échéant, adosser des aides de manière plus ciblées (par exemple en abondant l’épargne volontaire des producteurs de base en vue de l’achat d’intrant). IV. Conclusion La chaine de valeur arachide revêt une grande importance pour l’économie agricole et rurale voire nationale. Au-delà de sa dimension économique liée au fait qu’elle constitue une source principale de revenu et d’alimentation (humaine et animale), elle a aussi une dimension sociale 61 Voir la note de politique e-finance pour plus d’information. UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 87 et politique importante du fait du nombre, de la diversité et du leadership des acteurs impliqués. Tout ceci explique les interventions de l’Etat dans la chaine de valeur. De ces interventions ont résulté des progrès mais aussi, beaucoup de distorsions (i) entravant la saine compétition et l’in- tervention convenable du secteur privé et (ii) limitant les gains réalisables en termes de produc- tivité et de compétitivité. Pour amplifier les progrès acquis, la chaine de valeur aurait besoin de réformes structurelles pour mieux optimiser les interventions de l’Etat, faire des économies sur les diverses subven- tions et créer un cadre d’affaire favorable à l’investissement du secteur privé soutenu par des conditions de concurrence saine et loyale. La série de réformes proposée nécessite une ferme volonté politique afin de rendre performante la chaine de valeur arachide et assurer une meilleure contribution dans la croissance économique et dans la réduction de la pauvreté. En particulier, si délicates paraissent-elles, la finalisation de la reprivatisation de la SONACOS et le retrait total de l’Etat de l’entreprise, la digitalisation de la distribution des subventions agricoles avec un ciblage des ménages les plus vulnérables, ainsi que la non implication de l’Etat dans la fixation des prix de l’arachide et dans le subventionnement des taux d’intérêt, se posent avec acuité eu égard à leur incidence fiscale positive, à la compétition saine et à l’émergence d’une industrie compétitive pilotée par le secteur privé qui pourraient en résulter. Les bénéfices des réformes pourraient être potentiellement importants avec, entre autres, une productivité accrue induite par l’adoption massive des nouvelles variétés améliorées d’arachide, une réduction de la vulnérabilité des ménages agricoles, un accès facilité à des services financiers adaptés et en quantité suffisante, des gains de part de marché pour l’exportation de graines et un secteur industriel d’huilerie et de confiserie compétitif avec plusieurs unités modernes, fonctionnelles, de dimension plus optimale avec des modèles d’affaires économiquement viables, et dans le cadre d’une saine concurrence. Ainsi, les réformes pourraient sans nul doute favoriser la création d’emplois, plus d’opportu- nités de vente avec des acteurs de marchés diversifiés et plus de pouvoir de négociation pour les producteurs représentés par une interprofession rénovée et forte et par conséquent, plus de revenus agricoles, et plus de résilience. Toutefois, certes les réformes proposées pourraient amé- liorer la productivité et la rentabilité des activités le long de la chaine de valeur arachide, mais elles pourraient être insuffisantes pour assurer la survie de l’arachide du Sénégal si la demande internationale chutait ou si les autres pays concurrents arrivaient à produire à un cout plus bas. Par conséquent, en plus des réformes structurelles proposées, il est important de repenser les stratégies de développement à moyen et long terme pour soutenir la diversification des sources de revenus des ménages ruraux du bassin arachidier dans et en dehors de l’agriculture. 88 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Annexe : Matrice des options de politiques et de réformes Le tableau 1 recapitule les options de politiques et de réformes à court, moyen et long terme avec les indicateurs et cibles. TABLEAU 1 : Matrice des options de politiques et de réformes Objectifs options politiques et réformes : i) L’amélioration de la productivité et de la compétitivité ; ii) La réduction de la vulnérabilité aux risques de production et de marché, et La réorganisation de la chaine de valeur vers une production de qualité pour des marchés diversi- iii)  fiés et une compétition saine au bénéfice des agriculteurs, des consommateurs et de l’économie sénégalaise dans son ensemble. Options Politiques et Réformes Indicateurs Référence Cible Court terme (1 an) Réforme 1- Forte implication du secteur privé et saine compétition Elimination du système i)  Prix garanti fixé 210 Pas de prix garanti fixé de prix garanti ou prix plancher et des sub­ ventions aux industries Suppression des limi- ii)  Commercialisation Restrictions à com- Pas de restrictions tations et restrictions dans les points de mercialiser en de- à acheter ou vendre de collecte hors des points de l’arachide en dehors des collecte (1839) points de collecte La révision de la politique Taxe à l’exportation iii)  Suspension taxe Suppression définitive commerciale sur les à l’exportation : ou réduction drastique exportations de graines 30FCFA/kg coque de la taxe en consensus en 2018 avec les exportateurs Finalisation du proces- iv.)  Reprivatisation de la 77 Renationalisation 77 Signature contrat de sus de reprivatisation de SONACOS de la SONACOS cession avec Advens la SONACOS 77 Contrat de ces- 77 Reprivatisation de sion avec Advens la SONACOS avec non conclu désengagement total de l’Etat 77 Signature du contrat de cession a un nouveau repreneur Réforme 2 - Développement du marché semencier et réforme du système de distribution des subventions pour une productivité accrue Accélérer la disponibilité i)  Quantité de 16 tonnes en 2018 100 tonnes en 2019 et l’accès aux nouvelles semences des variétés améliorées adap- nouvelles variétés tées aux changements produite climatiques et répondant aux exigences du marché (Suite à la page suivante) UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 89 Options Politiques et Réformes Indicateurs Référence Cible Permettre la multiplica- ii)  Entreprises 0 Au moins 5 tion des prébases par semencières privées des entreprises semen- agrées pour la cières privées qualifiées production de et agrées semences de prébase iii)  Digitaliser le système de Quantité intrants sub- 0 tonne Au moins 30 000 distribution des subven- ventionnés distribués tonnes de semences et tions aux intrants pour à travers la plate- 10 000 tonnes d’engrais amplifier leur impact forme e-bon, RENU Réforme 3 - Réduire la vulnérabilité des producteurs aux risques Développement de i)  Nombre de bénéfi- 90 000 producteurs 100 000 producteurs l’assurance agricole et ciaires d’assurance assurés bénéficiaires d’assu- son couplage au crédit agricole et crédit rance agricole et crédit agricole Mise en place de filets ii)  Intrants subvention- 0 tonne 1000 tonnes de sociaux productifs nés distribués avec semences le RENU iii)  Renforcement du sys- Système d’alerte Pas de système Système d’alerte pré- tème et des procédures précoce d’alerte précoce coce opérationnel d’alerte précoce et déclencheurs des pro- grammes d’adaptation Moyen à long terme (1 à 5 ans) Réforme 1 : Restructuration Restructuration du Actuel CNIA CNIA restructuré avec ou rénovation du Comité CNIA une meilleure représen- National Interprofessionnel tativité et au service de de l’Arachide (CNIA) ses membres Réforme 2 : Généralisation 77 Contrat de 77 Contrat de 77 5 contrats de des accords contractuels production production production entre les producteurs et les 77 Reduction COPEOL- 77 Reduction de 25% acheteurs subventions ASPRODEB des subventions 77 12 milliards arachide de subvention arachide Réforme 3 - Amélioration de Investissement 0% des dépenses 20% des dépenses l’efficience des dépenses dans maitrise de publiques sur publiques sur arachide publiques l’eau dans bassin arachide arachidier Réforme 4 - Révision du Cadre règlementaire Cadre réglementaire Cadre réglementaire cadre réglementaire relatif actuel révisé aux normes et du système de contrôle sur l’arachide et dérivés Réforme 5 - Amélioration de 77 Services finan- 77 Pas de Services 77 Services financiers l’accès aux services finan- ciers digitaux financiers digitaux efficaces ciers avec les technologies 77 Nombre de digitaux 77 10 000 bénéficiaires digitales bénéficiaires 77 0 bénéficiaire 90 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Bibliographie Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), 2011. Enquêtes de Suivi de la Pauvreté au Sénégal (ESPS). Banque Mondiale, 2015. Etude diagnostique de la chaine de valeur arachide au Sénégal, Propositions de réformes. Dakar, Sénégal. Banque Mondiale, 2018. Moteurs de croissance récents au Sénégal et rôle de l’agriculture dans le dévelop- pement d’une économie résiliente et inclusive. Dakar, Sénégal. Comité National Interprofessionnel de l’Arachide (CNIA), 2017. Situation collecte commercialisation des arachides, 25ème semaine, du 15 mai 2017 au 20 mai 2017. Comité National Interprofessionnel de l’Arachide (CNIA), 2018. Situation collecte commercialisation des arachides, 28ème semaine, du 27 août 2018 au 23 septembre 2018. COPEOL/ASPRODEB/WEST AFRICA OIL : Projet de redynamisation de la filière arachide au Sénégal, 2018. Dalberg, 2018. Agricultural sector value chain mapping and financing gap assessment in Senegal. IFC, Dakar. Direction de l’Analyse, de la Prévision et des Statistiques Agricoles (DAPSA), 2018. Revue conjointe du secteur agricole 2017. FAO, 2016. Analyse des dépenses publiques en soutien à l’agriculture et l’alimentation au Sénégal, 2010– 2015, Série de notes techniques, SAPAA (Programme de Suivi et Analyse des Politiques Agricoles et Alimentaires), FAO, Rome. Independent Evaluation Group (IEG), 2018. Implementation Completion Report (ICR), Review Agricultural Transformation DPO (P130012), World Bank. Jonathan Fox and Libby Haight, 2010. Subsidizing Inequality: Mexican Corn Policy NAFTA. University of California, Santa Cruz. Madhur Gautam, 2015. Agricultural Subsidies: Resurging Interest in a Perennial Debate, in Ind. Jn. of Agri. Econ. Vol.70, No.1, Jan.-March 2015. Masters, William A., Nathaniel Z. Rosenblum, Aifa Fatimata Ndoye Niane and El Hadj Adama Toure, 2017. Groundnut Value Chain Competitiveness and Prospects for Development. Dakar, Senegal. World Bank. Michael Arnoldus et Al: Economic analysis of peanut processing in Africa (SENSE/GIZ 2016). Michael Morris, Valerie A. Kelly, Ron J. Kopicki, and Derek Byerlee, 2007. Fertilizer Use in African Agriculture. Lessons Learned and Good Practice Guidelines. World Bank: Washington, DC. Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural, 2017. Note d’orientation Pour le Développement et l’optimisation des performances de la Filière Arachide. Steev Lynn et Ibrahima Hathie, 2016. Analyse d’économie politique (PEA) des filières de l’arachide et du riz Sénégal. Union Européenne, Dakar. Stein T. Holden, 2018. The Economics of Fertilizer Subsidies. Norwegian University of Life Sciences, Centre for Land Tenure Studies. Working Paper 9/18. World Bank, 2018. Senegal, Better Markets for All through Competition Policy. UNE CHAINE DE VALEUR ARACHIDE PRODUCTIVE ET COMPÉTITIVE POUR LE BIEN-ÊTRE RURAL 91 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ACCÉLÉRER LE PROGRAMME DE RÉFORMES EN MATIÈRE D’INFRASTRUCTURES ET DE SERVICES HAUT DÉBIT POUR PROMOUVOIR L’ESSOR DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE Résumé exécutif Contexte. Au cours de la dernière décennie le Sénégal a perdu sa position de leader régional dans le secteur des TICs et enregistre un retard persistant vis-à-vis des champions africains dans le domaine de l’internet haut débit. Depuis 2016, il s’est engagé dans un programme de réformes sectorielles axé sur le développement du haut débit avec l’objectif de retrouver son statut de point de référence dans la région Afrique. Toutefois, et en dépit de récents développements et d’un engagement politique en faveur d’un plan de réformes sectorielles ambitieux (comme l’adoption d’une Stratégie « Sénégal Numérique 2025 », l’attribution d’autorisation à trois Fournisseurs d’Accès Internet, ou la promulgation d’un nouveau cadre légal et réglementaire) de nombreuses fractures numériques territoriales persistent et le pays n’est pas encore parvenu à un stade lui permettant d’exploiter pleinement les dividendes de l’économie numérique. Objectif. L’objectif de cette note est de fournir une analyse du secteur du haut débit et des recommandations pour accélérer le rythme actuel des réformes initiées fin 2016. La note discute également les principaux points bloquants qui entravent l’accélération du programme de réformes sectorielles en cours. Recommandations et résultats attendus. Parmi les réformes en cours en 2019, trois d’entre sont jugées « transformationnelles » au regard des impacts que leur réalisation génèrerait. D’une part, l’octroi d’autorisation générales à de nouveaux FAI et opérateurs de gros est une mesure qui peut être prise à très court terme au niveau du Ministère et en concertation avec l’autorité de régulation. Elle permet- trait de renforcer davantage la concurrence sur le marché très concentré et peu régulé du haut débit. D’autre part, la délégation de l’exploitation des excédents du réseau fibre optique public de l’ADIE à un opérateur privé dans le cadre d’un contrat de concession permettrait d’accélérer sensiblement l’amé- nagement numérique du territoire, de renforcer la concurrence et de générer des recettes budgétaires conséquentes pour l’Etat. Enfin, une réforme de la gestion et tarification du spectre des fréquences est jugée critique pour mettre fin au modèle actuel qui freine fortement l’accès au haut débit en affectant les prix des services, en décourageant l’investissement et en ne favorisant pas la concurrence. Pour mener à bien toutes ces réformes, dont l’économie politique freine la mise en œuvre, un leadership ministériel/gouvernemental fort s’avère primordial. 92 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ACCÉLÉRER LE PROGRAMME DE RÉFORMES EN MATIÈRE D’INFRASTRUCTURES ET DE SERVICES HAUT DÉBIT POUR PROMOUVOIR L’ESSOR DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE Arthur Foch Table des matières62 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 I. Le numérique pour sauter les étapes du développement . . . . . . . . . . . . 94 II. Diagnostic du secteur du haut-débit : un retard vis-à-vis des champions africains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 III. Aperçu du programme de réformes sectorielles en cours . . . . . . . . . . 101 IV. Principales recommandations de la Banque mondiale pour accélérer et compléter le programme de réformes sectorielles . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Poursuivre l’octroi d’autorisations générales à de nouveaux opérateurs (réforme de court terme) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Déléguer la gestion du réseau ADIE à un opérateur privé dans le cadre d’une concession pour fournir des services d’infrastructures de gros (réforme de moyen terme) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Mettre en place un nouveau modèle de gestion et de tarification du spectre des fréquences radioélectriques (réforme de moyen / long terme) . . . . . . . . . . . . . 112 62 La revue technique par les pairs a été effectuée par Xavier Decoster et Julio Loayza. ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 93 I.  Le numérique pour sauter les étapes du développement De nombreux travaux – parmi lesquels le Rapport de la Banque mondiale sur le Développement dans le Monde 201663 – montrent que le numérique est en train de transformer des secteurs entiers de l’économie mondiale. Ainsi, la commission américaine en charge du commerce inter- nationale (2014) atteste que le numérique améliore sensiblement la productivité des entreprises : il est estimé que les entreprises adoptant les technologies numériques sont 26% plus rentables que leurs homologues sectoriels64. En outre, le Mena Economic monitoring report de la Banque mondiale (2018) démontre que le numérique accélère la création d’emplois : entre 2001 et 2011, la croissance de l’emploi dans les secteurs fortement technologiques a été 27 fois supérieure à celle observée dans d’autres secteurs. Plus généralement les recherches menées par Oxford Economics (2017) ont permis d’établir que le numérique renforçait la contribution du secteur privé à la crois- sance économique : en 2016, l’économie numérique dans le monde représentait 15,5% du PIB mondial et cette contribution devrait atteindre 24,3% d’ici 2025. De surcroit, nombreuses sont les études qui montrent que le numérique améliore et facilite la fourniture de services, y compris dans les zones reculées et aux populations démunies. Ces applications couvrent plusieurs secteurs y compris la santé et l’éducation, la finance (paiements numériques et inclusion financière, etc.). Et il est prouvé que les technologies récentes telles que la 5G, l’internet des objets, les données de masse, la blockchain et l’intelligence artificielle généreront demain de nouvelles sources de croissance. On estime qu’en 2020, entre 26 et 50 milliards d’appareils numériques seront connec- tés à Internet (Gartner, IDC, Cisco). Il est aussi prévu que le lancement de la 5G permettra de débloquer 12,3 trillions de dollars USD de revenus dans diverses industries, ce qui équivaut à 4,6% de la production mondiale (HIS Markit, 2017). La chaîne de valeur mondiale liée à la seule 5G devrait représenter 3500 milliards de dollars en 2035 et générerait 22 millions de nouveaux emplois (HIS Markit, 2017). A ce jour l’évolution numérique en Afrique a été importante mais elle ne constitue pas encore une véritable révolution. Tandis qu’en 2016, l’économie numérique mondiale représentait 11500 milliards de dollars USD, soit 15,5% du PIB mondial, les pays africains ne bénéficient que d’une infime fraction de ces avantages (Oxford Economics, 2016). Beaucoup reste à faire pour pleinement exploiter le potentiel du numérique en Afrique. Le Sénégal, comme d’autres pays d’Afrique, a tout à gagner dans l’adoption du numérique car cela lui permettrait de sau- ter les étapes du développement en passant directement à une économie numérique. Mais il y a également de nombreuses consequences si le Sénégal tarde à mettre en œuvre un agenda numérique ambitieux. Une génération de sénégalais pourrait être exclue et l’économie perdrait en compétitivité. C’est pourquoi, le Sénégal se doit d'avoir une vision ambitieuse pour le numé- rique suivie d’action rapide. L’expansion des technologies numériques offre une chance unique 63 Banque mondiale (2016), World Development report 2016: Internet for Development. Banque mondiale, Washington D.C. Disponible ici : http://www.worldbank.org/en/publication/wdr2016. 64 Voir : http://www.strtrade.com/media/publication/7238_pub4485.pdf. 94 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES d’accélérer le rythme de développement du pays, ouvrant de nouvelles voies pour une croissance économique rapide, innovante et créatrice d’emplois. L’économie numérique présente des défis et des opportunités stratégiques pour le Sénégal. Elle permettrait de soutenir la transition vers un nouveau modèle de développement, tout en accélérant la création d’emplois et en atténuant le risque de prendre du retard dans un environnement mondial en rapide mutation. Pour le Plan Sénégal Émergent (PSE), l’économie numérique constitue un élément clé du développement et de l’émergence du Sénégal. Il est aujourd’hui reconnu que les piliers nécessaires à une profonde transformation numérique de l’économie sont de cinq types et que la transformation numérique nécessite d’adopter une approche « holistique » impliquant de considérer simultanément ces cinq piliers (Figure 1). Le premier pilier est celui de l’infrastructure numérique, qui doit être sécurisée et appropriée en termes de couverture et d’accès, et capable de soutenir des usages nécessitant des débits et des vitesses de transmission importantes. Le deuxième pilier est celui des plateformes numériques pour améliorer le fonctionnement interne de l’administration publique mais aussi la relation entre l’administration et le citoyen via des services plus efficaces, une transparence accrue et des interactions plus rapides. Le troisième pilier est celui de l’inclusion financière des ménages et des entreprises non encore ban- carisées. Ce pilier associe le développement des plateformes de paiement électroniques qui sont pri- mordiales pour les transactions entre les individus, les entreprises et l'administration publique et pour le développement du commerce électronique. Le quatrième pilier est celui des ressources humaines qualifiées et compétentes permettant d’exploiter le potentiel du numérique. Sans ces compétences FIGURE 1 : Les 5 supprimer les souligements rouge sous les mots Source : Banque mondiale, 2018 ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 95 humaines qui permettent d’utiliser, de comprendre et de créer du contenu numérique et de maî- triser le numérique, l’économie numérique ne pourra pas pleinement se développer. Or aujourd’hui bon nombre de pays ne sont que des consommateurs de la technologie. Les systèmes d’éducation et de formation professionnelle doivent donc rapidement anticiper et s’adapter aux besoins de la main-d’œuvre de demain. Le cinquième pilier concerne les écosystèmes de l’innovation numérique qui sont nécessaires pour développer l’entreprenariat numérique dynamique. Parmi ces cinq piliers, l’infrastructure numérique haut débit est considérée comme la « mère des fondations ». Cela tient au fait qu’aucune économie numérique ne peut profondément se développer sans une infrastructure numérique de très haut débit accessible à tous sur le terri- toire national. Conscient de cet enjeu prioritaire, la Banque mondiale s’est fixée comme objectif – dans le cadre d’une approche dite « moonshot » pour l’économie numérique en Afrique (DE4A) – d’accompagner les gouvernements africains à doubler l’accès de la population aux services haut débit d’ici 2021. Atteindre cet objectif permettrait de combler les fractures numériques existantes en termes de connectivité numérique et de palier ainsi au risque d’exclure des populations et territoires des avantages du numérique. Bien qu’il touche de nombreux pays en développement, ce risque est particulièrement fort au Sénégal. S’il se compare favorablement à d’autres pays d’Afrique en matière de haut débit, le Sénégal ne dispose pas encore d’un marché du haut débit suffisamment concurrentiel et son infrastructure numérique actuelle n’est pas suffisante pour permettre le développement à grande échelle d’une économie numérique compétitive, inclusive et créatrice d’emplois. Dans ce contexte, cette note fournit une analyse du secteur du haut débit et des recomman- dations pour accélérer le rythme actuel des réformes sectorielles initiées dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie Sénégal Numérique 2025 adoptée fin 2016. La note s’articule autour de trois sections. La section 2 fournit un diagnostic du secteur du haut débit qui permet de mettre en exergue les principaux obstacles auxquels il fait face. La section 3 analyse les prin- cipales réformes initiées par le gouvernement sénégalais à ce jour et présente les principaux obs- tacles en matière d’économie politique qui affectent le secteur. Pour finir, la section 4 présente les principales recommandations de la Banque mondiale pour accélérer et compléter le programme de réformes sectorielles en cours et contribuer ainsi à renforcer la mise en œuvre de la stratégie Sénégal Numérique 2025. Diagnostic du secteur du haut-débit : un retard vis-à-vis II.  des champions africains Suite à un programme de libéralisation à la fin des années 1990, le secteur des télécommuni- cations est devenu l’un des principaux contributeurs au PIB, mais aujourd’hui sa croissance s’essouffle et son potentiel reste largement inexploité. La contribution du secteur des TIC au 96 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 2 : Comparaison des inducteurs du secteur des TIC en zone CEDEAO Source : Banque mondiale, 2018 PIB en 2016 était de 10,7% en 2013 contre 10,1% en 2016. Cette contribution a été tirée par le développement de la téléphonie mobile, qui a permis au Sénégal de figurer parmi les cham- pions africains, mais dont le marché est aujourd’hui arrivé à saturation. Le taux de pénétration (% de la population) est passé de 99% en 2015 à 94% en 2016. Tandis que, comme partout ailleurs, le secteur de l’internet haut-débit constitue le principal potentiel de croissance du secteur des TIC dans les années à venir, le Sénégal a progressivement accumulé du retard vis-à- vis des champions africains depuis 10 ans. En raison d’une croissance des abonnés au haut débit mobile bien inférieure, la pénétration du haut débit mobile (tel que calculée par l’UIT, 201765) au Sénégal est seulement de 26% contre 71% au Ghana, 68% au Cap-Vert (Figure 2), ou encore 76% en Afrique du Sud et 88% en Roumanie/Bulgarie. Au Sénégal, le marché du haut débit, composé à 98% d’accès internet mobile, n’est pas suffisamment développé et n’est pas à la hauteur des ambitions de développement du pays. Il y a trois principales raisons à cela : 77 D’une part, et tandis que les marchés du haut débit fixe (ADSL, FTTx) et de la 4G restent de fait monopolistique avec 100% des accès détenus par la SONATEL, la struc- ture du marché de la 3G est faiblement concurrentielle : l’opérateur historique Orange/ 65 En raison de méthodes de calcul différentes, les données de l’autorité de régulation sénégalaise indiquent un taux de pénétration de l’internet de 62% en décembre 2017. Source UIT : https://www.itu.int/net4/ITU-D/idi/2017/ index.html#idi2017economycard-tab&SEN ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 97 FIGURE 3 : Évolution du parc internet FAI en nombre d’abonnés Source : ARTP, 2018 SONATEL est l’acteur dominant avec 65% de part de marché sur les abonnés au haut débit mobile 3G contre TIGO avec 26% et EXPRESSO détenant 9%. Par conséquent, l’indice de concentration, Herfindahl-Hirschman (IHHI), est élevé dans le marché mobile sénéga- lais (Figure 4). ●● L’entrée récente de 3 Fournisseurs d’accès à internet (FAI) autorisés à déployer leurs propres infrastructures commence à se sentir sur le marché du haut débit. En effet, la part de marché des FAI sur le parc internet total (c’est-à-dire fixe et mobile) est passée de 0,01% en juin 2018 à 0,02% en septembre 2018. Cela tient à une forte croissance du nombre d’abonnés depuis mars 2018 dont le nombre a triplé en septembre 2018 (Figure 3). ●● Mais, ces acteurs font face à des problèmes persistants qui compromettent sévère- ment la soutenabilité financière de leur activité et freinent la commercialisation de leurs services. Ces obstacles sont de trois types : (i) cherté des redevances de fréquences facturés aux FAI ; (ii) accès souvent difficile aux infrastructures essentielles détenus par les opérateurs déclarés puissants (Sonatel surtout)66 ; et (iii) restrictions injustifiées dans la gamme des services que les FAI sont autorisés à fournir au titre de leur cahier des charges (services VoIP et IPTV). Ces aspects sont discutés en section 4. 77 D’autre part, la cherté des services de haut débit mobile est un obstacle à leur essor. Malgré leur baisse, les prix des services de haut débit mobiles restent trop élevés pour l’essentiel de la population : le coût des services de haut débit mobile représente 12% du revenu brut moyen mensuel par habitant contre 6% au Kenya, 5% au Ghana/Maroc, 2% au 66 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP indique cependant : « qu’aucun FAI n’a encore saisi l’Autorité de régulation d’un quelconque refus d’un opérateur à mettre en œuvre les dispositions des catalogues approuvés. La seule saisine d’un FAI portait sur l’éligibilité des FAI aux catalogues 2018 et a reçu la réponse positive de l’Autorité de régulation. 98 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 4 : Part de marché des opérateurs mobiles au Sénégal en 2016 (à gauche) et Prix des services de haut débit mobile en % du revenu mensuel moyen (à droite) 14% 12% 12% 10% 8% 6% 6% 5% 5% 4% 1% 2% 1% 1% 2% 0% Source : Banque mondiale, 2017 et 2018 Cap-Vert et 1% en Afrique du Sud/Ile Maurice/Bulgarie (Figure 4). Un décollage rapide de l’internet haut débit n’est possible que lorsque cette proportion est égale ou inférieure à 5%. ●● Malgré les difficultés actuelles des FAI, deux d’entre eux (WAW et ARC) ont com- mencé à commercialiser des services, ce qui a permis de casser les prix pratiqués jusque-là. A titre d’illustration, les prix de détail de l’internet ont chuté de plus 50% depuis l’entrée des FAIs. Tandis que le prix moyen du mégabit pour l’offre « particulier » est passé de 12.500 FCFA à 5000 FCFA pour l’ADSL, et à 1000 FCFA avec la FTTx (c’est-à-dire une connexion par câble en fibre optique), celui des offres « entreprise » est passé de 250.000 FCFA à 100.000 FCFA. Aussi, l’entrée des trois FAI a permis de déclencher le lancement par le marché (Sonatel, surtout) des offres FTTx et l’améliora- tion des débits des offres ADSL : l’offre ADSL de 2Mbps a par exemple été migrée vers 4Mbps avec une baisse tarifaire de 29.900 FCFA à 19.900 FCFA. Autre effet notable, les délais d’installation de l’ADSL sont passés de 1 mois en moyenne à environ 5 jours. 77 Enfin, la couverture des réseaux haut débit est insuffisante et montre l’existence de trois factures numériques persistantes (Figure 5). Une première fracture numérique entre rural ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 99 FIGURE 5 : Couverture 2G/3G/4G par opérateurs dans la région de Dakar (en haut) et couverture des réseaux 2G et 3G sur l’ensemble du territoire national (en bas) Source : Nperf (2018) et Titane Conseil (2019) et urbain : la couverture 3G (introduite en 2007) est bien inférieure à celle du réseau 2G et se limite aux principaux centres urbains localisées dans la région de Dakar. Une seconde frac- ture numérique interurbaine : il existe des inégalités importantes en termes de connectivité Dakar et des villes d’ordre secondaire (Pikine, Touba, Saint Louis, Thiès, etc.). Une troisième fracture numérique intra-urbaine : on observe aussi d’importantes inégalités en termes de connectivité selon les quartiers au sein même de la ville de Dakar qui concentre pourtant l’essentiel des abonnés internet. ●● En outre, et malgré l’atterrissage au Sénégal de trois câbles sous-marins et des prix de gros relativement faibles, la qualité des services internet est faible (voir Figure 2). Cela tient au fait que les capacités internet internationales achetées par les opérateurs télécoms ne suivent pas le rythme de la croissance importante du nombre des abonnés au haut débit mobile. A noter qu’aucun des câbles sous-marins atterrissant au Sénégal n’est en accès ouvert. Cependant, en novembre 2018, des candidats à des autorisations générales pour exploiter en tant qu’opérateur de gros des câbles sous-marins et réseaux fibre optique terrestre ont manifesté leur intérêt auprès du régulateur. ●● Le maintien des FAI sur le marché est un enjeu critique pour permettre d’améliorer la couverture des réseaux et la qualité des services internet via l’usage de nouvelles 100 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES technologies et des vitesses d’internet plus élevées. Les cahiers des charges des trois FAI prévoient des obligations de couverture de 80% de la population d’ici 2021. Pour couvrir les zones reculées, des demandes ont été introduites auprès de l’Autorité de régu- lation pour utiliser des technologies satellitaires modernes (VSAT) peu couteuses per- mettant d’adresser la demande peu solvable dans ces zones. Tandis que les autres pays de la sous-région ont déjà lancé ce type de technologie, les montants très élevés des rede- vances de fréquences freinent leur lancement au Sénégal. Par ailleurs et dans les zones plus rentables, les FAIs ont introduit la technologie LTE Fixe (c’est-à-dire équivalente à la 4G mobile) illimitée contrairement aux opérateurs qui continuent d’offrir des offres à volume limité. Aperçu du programme de réformes sectorielles en cours III.  Au regard du retard accumulé dans le secteur du haut débit, le gouvernement a pris conscience que l’enjeu des politiques publiques du secteur consiste à mettre en place un nouveau cadre légal, réglementaire et institutionnel, permettant de stimuler la concurrence (par les prix et la qualité de service) et l’investissement privé sur le marché du haut débit (mobile et fixe), et à élar- gir l’accès et l’usage du haut débit au-delà des principaux centres urbains du pays. Ainsi et après plusieurs années d’attente, le gouvernement a commencé par adopter en 2016, de façon consensuelle, une nouvelle stratégie numérique (« Sénégal Numérique 2025 ») reconnue par les acteurs du secteur. Cette stratégie a pour ambition de transformer le Sénégal en un pays émergent via la démocratisation de l’accès à l’internet et la mise en œuvre d’une nouvelle vague de réformes structurelles pour poursuivre l’ouverture du secteur. La stra- tégie a pour objectif final d’ici 2025 de fournir un accès de 100% de la population/entreprises/ administrations à l’internet haut débit et de doubler la contribution du secteur des TIC au PIB pour atteindre 20%. La mesure phare de cette stratégie, et permettant de poser les fondations pour la transforma- tion du secteur, est l’adoption d’un nouveau cadre légal et réglementaire (c’est-à-dire Code des communications électroniques). Ce code a été promulgué le 12 décembre 2018 à la suite d’un large processus consultatif. Globalement, ce nouveau cadre légal couvre toutes les communications élec- troniques (et pas que les télécoms comme la Loi 2011) et apporte quatre modifications principales: (i) concentrer le rôle du régulateur sur la régulation du marché et des infrastructures, établir le collège du régulateur comme principal organe de décision et renforcer la transparence et les obli- gations du régulateur sur ses comptes financiers (audit externes) et activités (rapports annuels) ; (ii) renforcer à la fois le rôle du ministère dans la définition de la politique sectorielle et l’accès universel ; (iii) restructurer la fiscalité/parafiscalité/redevances sectorielles dues à l’Etat pour non seulement rééquilibrer le partage des recettes entre l’Autorité de régulation et  le Trésor Public mais aussi encourager davantage l’investissement dans les infrastructures haut débit, y compris ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 101 via une baisse des redevances de fréquences67 ; et (iv) assouplir les dispositions concernant l’attri- bution de nouvelles licences/autorisations et renforcer les obligations des acteurs dominants et la réglementation du partage des infrastructures. Suite à l’adoption de la nouvelle stratégie, le gouvernement sénégalais a adopté en 2017 et 2018 (avec l’appui budgétaire de la Banque mondiale) des réformes sectorielles fortes. Celles-ci visent à renforcer la concurrence, la régulation du partage d’infrastructure essentielles entre opérateurs, la gouvernance institutionnelle du secteur et pour optimiser l’usage des infrastructures numériques publiques. C’est ainsi qu’en 2017, les mesures suivantes ont été prises par le gouvernement : 77 Un amendement à la loi Télécom 2011 a été adopté pour faciliter l’entrée de nouveaux opé- rateurs de détails dans le secteur du haut débit (c’est-à-dire Fournisseurs d’accès Internet) en les soumettant au régime des Autorisations (moins contraignant que celui des Licences) et en leur permettant de déployer leur infrastructure. 77 Un décret d’application de la loi Télécom 2011 facilitant l’entrée de nouveaux opérateurs de gros dans le secteur des infrastructures de haut débit (c’est-à-dire câble sous-marin/fibre optique terrestre/tours). 77 Un décret d’application de la loi Télécom 2011 facilitant la régulation du partage d’in- frastructures entre opérateurs. Tandis que la première série de réformes en 2017 a permis de jeter les bases d’une transforma- tion du secteur du haut débit, une deuxième série de mesures a été adoptée en 2018 permettant de marquer un véritable tournant pour le secteur : 77 Adoption d’un nouveau Code des communications électroniques, permettant notamment d’améliorer la gouvernance institutionnelle, la régulation du secteur et la fiscalité (novembre 2018) ; 77 Création d’un Conseil National du Numérique (novembre 2018) composé essentiellement de représentants du secteur privé et mandaté pour surveiller le secteur et fournir des conseils et recommandations au gouvernement ; 77 Publication (par l’ARTP) d’un cahier des charges « type » pour (i) les opérateurs (de gros) d’infrastructures et (ii) les Fournisseurs d’Accès Internet (octobre 2018) ; 77 Publication en Octobre 2018 de décisions de régulation (par l’ARTP) fixant la liste des marchés pertinents et la liste des opérateurs puissants sur ces marchés pertinents. Cette mesure est critique pour permettre un ACCÈS ouvert et non discriminant de tous les opérateurs aux infrastructures essentielles détenues par les opérateurs dominants (SONATEL surtout, mais pas seulement) ; 77 Adoption d’un nouveau modèle de gestion du réseau fibre optique de l’ADIE (4,000km) conforme au principe de Partenariat Public-Privée et prenant la forme d’une concession avec appel d’offre public international pour le recrutement du concessionnaire privé. 67 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP indique : « Les redevances de fréquences ne sont pas considérées au Sénégal ni comme des ressources fiscales ni comme des ressources parafiscales 102 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES 77 Mise en place d’une commission interministérielle (septembre 2018) en charge d’accélérer le développement de la 4G via des négociations avec les opérateurs licenciés pour l’octroi des bandes de fréquences 4G. Bien que certaines de ces mesures d’ordre légal et réglementaire n’aient pas été encore com- plètement mises en œuvre à ce jour68, leur adoption a déjà permis au Sénégal d’enregistrer des améliorations importantes. Ainsi, le classement du Sénégal dans le Network Economic Index du World Economic Forum est passé de 81 en 2015 à 73 en 201769. Aussi, trois Fournisseurs d’accès Internet se sont vu octroyer des autorisations générales en 2017 et ils ont commencé à commercialiser des services de détails sur l’ensemble du territoire début 2018. Enfin, le taux de pénétration de l’internet, tel que calculé par l’ARTP a enregistré une hausse de 8 points de pourcentage entre 2016 et septembre 2018. Dans ce contexte favorable, et depuis la promulgation du nouveau Code des communications électroniques, un certain nombre de réformes supplémentaires s’avèrent prioritaires pour lever les principaux obstacles qui freinent encore la concurrence et l’investissement. Ces mesures qui sont discutées en détail en section 4 permettraient de résoudre les principaux problèmes qui menacent le maintien des activités des 3 FAI et empêchent le Sénégal de profiter pleinement des avantages d’une concurrence renforcée. Pour rappel, à la fin des années 1990, le Sénégal comptait de nombreux fournisseurs de services Internet (FSI)70. En effet, plutôt que de faciliter le développe- ment de l’activité de ces acteurs, les autorités du secteur ont longtemps voulu consolider le marché autour des trois opérateurs globaux (Sonatel, Tigo et Expresso). Ainsi, l’entrée récente de 3 nou- veaux FAI – autorisés à déployer leur propre infrastructure – est une opportunité stratégique pour le secteur et leur disparition ternirait sensiblement l’attractivité du marché sénégalais tout en générant en même temps un manque à gagner considérable en termes de concurrence et d’investissement. Pour mener à bien ces réformes additionnelles le gouvernement devrait tirer les leçons des difficultés auxquelles la mise en œuvre des réformes de 2017 et 2018 ont fait face en matière d’économie politique. L’économie politique du secteur est en effet au cœur des retards et blocages dans la mise en œuvre des réformes sectorielles. L’ARTP est une autorité de régulation sectorielle qui était composée lors de sa création d’an- ciens employés de la SONATEL71, y compris son ancien Directeur Général, qui est également 68 Les catalogues de gros des opérateurs déclarés puissants n’a pas encore eu lieu, et les décrets d’application du nouveau code ne sont pas encore finalisés. 69 Il s’agit précisément du sous-indice A.1.02 qui évalue dans quelle mesure le cadre légal national facilite la pénétration des TIC et le développement de l’activité commerciale du secteur. 70 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP indique : « Le Sénégal n’a jamais enregistré 15 FAI. Il s’agissait plutôt de fournisseurs de services Internet (FSI) dont l’activité consistait à acheter en gros chez SONATEL et à revendre au détail. Aucun d’entre eux ne disposait d’une quelconque infrastructure et n’était attributaire de fréquence. 71 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP précise : « les anciens employés de la SONATEL font partie du personnel transféré lors de la création de l’Autorité de régulation pour assurer la continuité de la gestion des fréquences. Aujourd’hui, ces agents sont à la retraite. Le Comité de Direction actuel de l’ARTP fort de 12 membres ne compte qu’un seul ancien de SONATEL. ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 103 un homme engagé en politique. Contrairement aux bonnes pratiques en matière de régulation, le fonctionnement et l’activité de l’ARTP est peu transparent car ni ses rapports d’activités annuels, ses rapports d’audit, ses travaux analytiques et ses décisions juridiques ne sont systématiquement rendus publics72. A titre d’illustration, le dernier rapport d’activité publié en ligne date de 2009 et les derniers catalogues d’interconnexion sont ceux de 201473. De la même façon, les décisions prises ou à prendre par l’ARTP font rarement l’objet d’un processus consultatif ex-ante ou ex-post et d’une évaluation d’impacts. Rattachée à la Présidence, l’ARTP est soumise à l’influence politique de l’Etat qui reste actionnaire de la Sonatel à hauteur de 27% du capital. L’ADIE résiste (en développant son propre agenda, sans coordination gouvernementale) à une réforme qui viserait à déléguer la gestion de son réseau fibre optique, financé par l’Etat, à une nouvelle entité plus spécialisée et efficace. Plutôt que de suivre l’approche concessive adoptée par le gouvernement (arrêté interministériel MEF/MPIP signé du 20 juillet 2018) et son ministère de tutelle, l’ADIE a pris ses propres dispositions et mener un processus parallèle de sélection d’un opérateur privé. C’est ainsi que de manière unilatérale, l’ADIE a conçu un cahier des charges pour le choix d’un partenaire privé et lancé son propre appel d’offres. Suite à la publication de l’appel d’offres, le Ministère des Finances et le Ministère en charge de l’économie numérique (et nouvelle tutelle administrative de l’ADIE) ont officiellement demandé à la Direction de l’ADIE d’inter- rompre ce processus. Malgré ces demandes formelles, l’ADIE indiquait le 29 juillet 2019 que la procédure est aujourd’hui dans sa phase finale avec la sélection du Groupement TATA/ADS pour lui déléguer l’exploitation, la commercialisation de la surcapacité et la maintenance de l’infrastructure. La SONATEL, a retardé la préparation en cours du nouveau Code des Communications en résistant aux modifications qui affecterait sa dominance sur le marché (régulation des infrastructures essentielles, entrée de nouveaux acteurs, etc.). Des dispositions (e.g. interdi- sant le déploiement de réseaux de transmission, et la fourniture de services VoIP et IPTV) ont été introduites dans les cahiers des charges des FAI qui compromettaient la capacité des FAI à concurrencer la Sonatel. Tandis que ces dispositions ont depuis été retirées, le développement des FAI est freiné par leur difficulté à accéder aux infrastructures essentielles (non réplicables) de la Sonatel, notamment à l’intérieur du pays. A cet égard, les retards dans la validation et publication par l’ARTP des catalogues de services des opérateurs déclarés dominants ne facilite pas la tâche des FAI dans leur négociation avec les opérateurs déclarés puissants74. 72 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP précise : « Tous les rapports d’activités sont dispos- nibles et consultables à l’ARTP. Cependant, ils ne sont pas publiés du seul fait qu’ils n’ont pas été remis au Président de la République, institution à laquelle l’ARTP est rattachée. 73 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP précise : « La loi fait obligation aux opérateurs puissants et non à l’ARTP de publier sur leurs sites respectifs les catalogues approuvés par l’ARTP. Cette disposition juridique est respectée chaque année. Par conséquent, il n’appartient pas à l’Autorité de régulation de le faire. 74 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP précise : « Les FAI ont été recrutés sous l’empire du code de 2011. Les projets de convention de concession et des cahiers des charges des FAI ont été élaborés par une commission constituée de représentants de la Présidence, de la Primature, du Ministère en charge des finances, du Ministère en charge des télécoms et de l’ARTP. Aucun opérateur n’a participé à aucun moment du processus. 104 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Face à ces oppositions efficaces, le manque d’un leadership ministériel/gouvernemental fort met le programme de réformes en danger. En particulier, une intervention politique de haut niveau s’avère nécessaire pour veiller à la bonne réalisation courant 2019 de la réforme ADIE décrite en section IV-B. Principales recommandations de la Banque mondiale IV.  pour accélérer et compléter le programme de réformes sectorielles Dans la lignée des réformes menées en 2018, le gouvernement prépare actuellement une troi- sième série de mesures focalisée sur la mise en application du nouveau Code, l’amélioration de la gestion et de l’usage des infrastructures publiques numériques. Ce programme se compose des mesures suivantes : 77 La mise en application du nouveau Code via l’adoption des décrets prioritaires relatifs à la régulation, au partage d’infrastructure et à la concurrence, à la gestion des fréquences ainsi qu’au service universel ; 77 L’adoption d’un texte réglementaire favorable à la promotion de la coordination inter- sectorielle des travaux de génie civil menés dans le cadre de projets publics d’infrastruc- ture. L’objectif recherché étant de réduire les coûts d’investissement en infrastructure des opérateurs et générer des économies financières pour les projets publics d’infrastructure portés par l’État. 77 La validation des catalogues de services des opérateurs déclarés puissants en 2018 afin de réguler les conditions techniques et tarifaires d’accès aux infrastructures essentielles et de faciliter ainsi la concurrence tout en limitant les duplications inutiles d’infrastructure existantes. 77 La mise en place de l’arsenal institutionnel prévu (c’est-à-dire par le code et son décret) pour la gestion de la politique de service universel, y compris l’adoption par le gouvernement d’un programme d’investissement entièrement financé. 77 L’opérationnalisation du modèle concessif pour l’exploitation des excédents du réseau de fibre optique de l’ADIE. Parmi ces mesures, trois d’entre elles peuvent être « transformationnelles » au regard des impacts que leur réalisation génèrerait. Poursuivre l’octroi d’autorisations générales à de nouveaux opérateurs (réforme de court terme) L’entrée d’au moins un opérateur de gros d’infrastructure serait stratégique afin de sou- lager les opérateurs de détails sur leurs efforts d’investissement tout en mutualisant les infrastructures et en harmonisant les conditions de la concurrence dans le secteur. L’activité ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 105 d’un opérateur de gros n’est pas de servir les clients finaux mais de louer des services d’in- frastructures (fibre optique « noire » (via es contrat de location de type IRU pour Indefeasible Rights of Use) et/ou activée) aux opérateurs de détails y compris les fournisseurs d’accès internet. Ce type d’opérateur investi pour son compte dans la construction d’infrastructure qu’il commercialise ensuite, selon les principes d’accès ouvert et non discriminant, sur le marché de gros des télécommunications. Cela permet de créer un marché de gros régulé qui évite aux opérateurs de détail d’investir eux-mêmes dans certains infrastructures (favorisant ainsi la mutualisation), ce qui allège les coûts d’opération (et donc au final les prix de détails) tout en incitant davantage les opérateurs de détails de déployer des infrastructures dans de nouvelles zones. Il existe aujourd’hui un besoin pressant pour un opérateur de gros au Sénégal. Les infrastruc- tures essentielles (câble sous-marin, backbone/backhaul (c’est-à-dire cœur de réseau) et réseau d’accès fixe) sont principalement détenues par la SONATEL mais elles ne sont pas suffisamment régulées pour y permettre l’accès des opérateurs concurrents75. Cela fragilise particulièrement les trois FAI qui n’ont pas vocation à investir dans les infrastructures de transport (c’est-à-dire câble sous-marin, backbone backhaul) mais plutôt dans les réseaux d’accès et le dernier kilomètre. Or les FAI existants sont actuellement contraints de mener des négociations directes avec les trois opérateurs télécom en dehors d’un encadrement par la régulation. Par conséquent les couts d’interconnexion (hors catalogues) proposés sont chers et les services offerts limités (pas d’offre de fibre noire ni d’offre d’accès aux câbles sous-marin). Cela les freine dans leurs efforts de se déployer dans les régions pour honorer leurs obligations de couverture. L’expérience de certains pays d’Afrique et d’Europe de l’Est qui ont récemment achevé la libé- ralisation du secteur des télécommunications montre que la hausse du niveau de concurrence (avec l’entrée de nombreux FAI et opérateurs de gros) a permis de dynamiser l’offre de services, et les prix des services ont sensiblement baissé permettant ainsi à un pan plus large de la population d’accéder à l’internet. A titre d’illustration : 77 Alors que le Sénégal et l’Afrique du Sud enregistrait un niveau équivalent de taux d’usage de l’internet en 2009 (près de 10%), un écart important s’est creusé ensuite puisque le taux était en 2015 de près de 54% en Afrique du Sud contre seulement 22% au Sénégal. 77 Le prix d’un abonnement mensuel au haut débit fixe est passé de 23 USD à 15 USD entre 2009 et 2014 en Afrique du Sud tandis qu’au Sénégal il n’a baissé que légèrement (monopole SONATEL) passant de 38 USD à 36 USD. 75 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP précise : « La situation a changé depuis 2018 avec l’identification de nouveaux marchés pertinents, notamment l’accès aux câbles sous-marins avec la location de capacités sur les câbles, le complément terrestre pour l’accès aux câbles, les prestations de colocalisation ainsi que la fixation de tarifs régulés. 106 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES L’effet de la libéralisation complète du secteur sur le chiffre d’affaires des télécommunications montre que malgré la baisse des prix, le chiffre d’affaires n’enregistre pas de chute en raison de l’effet lié à la hausse des consommations de services numériques : 77 Tandis que la Turquie, par exemple a complètement libéralisé le secteur des télécommuni- cations en 2008 avec l’entrée de 87 FAI et 16 opérateurs d’infrastructures (ICTA, 2017), le chiffre d’affaires du secteur des télécommunications est passé de 15,5 milliards USD en 2009 à 16,8 milliards USD en 2013 puis à 15,3 milliards USD 2015. 77 De la même façon, alors que la Bulgarie a autorisé l’entrée de 670 FAI (Rood, 2010)76, le chiffre d’affaires du secteur a globalement stagné (autour de 1,5 milliards USD) entre 2009 et 2015. 77 L’évolution comparée du chiffre d’affaires du secteur au Kenya et au Sénégal depuis 2011 montre même l’impact favorable des réformes structurelles menées au Kenya : tandis que le chiffre d’affaires du secteur était équivalent en 2011 au Kenya et au Sénégal (1,3 milliards USD) il est passé à 2,2 milliards au Kenya en 2014 contre 1,5 milliards au Sénégal. Si la libéralisation totale du secteur peut affecter négativement les performances financières de l’opérateur historique, l’expérience Turque montre que cet effet n’est que momentané et génère un nécessaire changement de modèle d’affaires de l’opérateur qui doit s’adapter à la hausse du niveau de concurrence. En dépit de sa résistance à la libéralisation totale du secteur, Turk Télékom (privatisé à 55% en 2005) n’a pas pu bloquer l’entrée de nombreux FAI et opérateurs d’infrastructures : 77 Il en a résulté que dès 2008, Turk Télékom a enregistré une baisse importante de 25% de son chiffre d’affaires sur le marché du fixe. 77 Dos au mur, Turk Télékom a dû diversifier sa structure de revenu (médias et services numé- riques, notamment) et investir significativement (500 millions USD) dans les infrastructures (fixes et mobiles) haut débit pour conserver sa part de marché. 77 Dès 2014, Turk Télékom a réussi à stabiliser ses recettes sur le fixe, accroitre sensiblement celles tirées du haut débit et de la téléphonie mobile. Au Sénégal, le nouveau Code facilite les procédures d’octroi des autorisations générales. Les FAI et opérateur de gros peuvent déposer directement leurs dossiers au niveau de l’autorité de régulation qui les instruit. Un cahier des charges type a été publié sur le site du régulateur et l’octroi d’une autorisation ne nécessite plus de convention de concession (cf. loi de 2011) ni l’approbation par décret présidentiel d’un cahier des charges. Une fois les négociations finalisées sur le cahier des charges, sa validation nécessite désormais un simple arrêté ministériel. 76 Very High Speed Broadband Deployment in Europe: The Netherlands and Bulgaria Compared; https://papers.ssrn.com/ sol3/papers.cfm?abstract_id=1989172. ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 107 L’octroi d’autorisation générales à de nouveaux FAI ou opérateurs de gros est une mesure qui peut être prise à très court terme au niveau du Ministère et en concertation avec l’autorité de régulation. Il existe aujourd’hui plusieurs candidats sérieux77 ayant déposé des demandes d’auto- risations auprès du régulateur sans pour autant que le traitement de leur dossier n’ait été finalisé, avec parfois des délais de plus de trois ans. Finaliser l’octroi d’autorisations à ces candidats ren- forcerait davantage la concurrence, ce qui génèrerait un impact favorable sur les rentrées fiscales de l’Etat (via les revenus de la TVA, l’impôt sur sociétés, et les droits de douanes) sans qu’il existe d’estimation chiffrée de ces impacts. Déléguer la gestion du réseau ADIE à un opérateur privé dans le cadre d’une concession pour fournir des services d’infrastructures de gros (réforme de moyen terme) Cette mesure s’inscrit dans la lignée de la précédente qu’elle vient compléter, elle vise à renfor- cer l’efficience avec laquelle les infrastructures numériques publiques sont gérées. L’Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE78) créée par décrets79 en 2004 est une entité publique (Désormais rattachée au Ministre de l’Economie numérique et des Télécommunications80). Après des inves- tissements publics considérables81, l’ADIE dispose aujourd’hui d’un réseau de près de 4045 km de fibre optique couvrant 14 régions et 31 départements (Figure 6). Le réseau ADIE est aujourd’hui un actif public qui constitue un avantage comparatif significatif et un atout stratégique pour le développement des TIC et de l’économie numé- rique au Sénégal. Outre son utilité vis-à-vis des administrations publiques et des collectivités décentralisées, le réseau de l’ADIE peut aussi soutenir les besoins croissants en réseau de fibre optique des opérateurs de télécommunications titulaires de licences ou d’autorisations. 77 A noter notamment l’opérateur sénégalais GUESPA qui demande à exploiter un câble sous-marin et un réseau terrestre de fibre optique. Les négociations sont presque finalisées sur le cahier des charges qui doit être validé puis approuvé par arrêté ministériel. Voir : http://www.guespa.net/. 78 Voir : http://www.adie.sn/. 79 Décret n° 2004-1038 du 23 juillet 2004 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Agence de l’Informatique de l’Etat. Puis décret n° 2011-1158 en date du 17 août 2011 modifiant le décret n° 2004-1038 du 23 juillet 2004 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE).Voir : http://www.jo.gouv.sn/spip.php?article4344 et http://www.jo.gouv.sn/ spip.php?article9318. 80 Dès sa création en 2004, l’ADIE est rattachée au Secrétariat général de la Présidence de la République. En 2011 le décret 2011-1158 stipule que l’ADIE est désormais sous la tutelle administrative du Secrétariat de la Présidence de la République et sous la tutelle financière du Ministère chargé des Finances. Puis en 2014, le décret n°2014-888 du 22 juillet 2014 transfère la tutelle de l’ADIE au Ministère de la Promotion des Investissements, des Partenariats et du développement des Téléservices de l’Etat. Voir : http://www.gouv.sn/IMG/article_PDF/article_a1717.pdf. 81 L’Etat a financé sur emprunt extérieur pour près de 77 millions de dollars USD la construction d’un réseau terrestre public en fibre optique de près de 1 000 km permettant de compléter les près de 500 km déjà existants. Puis en 2015, l’Etat a contracté un nouvel emprunt de près de 86 millions de dollars USD auprès de China Eximbank pour étendre le réseau ADIE sur 2 500km additionnels. 108 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 6 : Évolution du taux d’usage de l’internet (à gauche), évolution comparée du prix de l’internet fixe (à droite) et évolution du chiffre d’affaires du secteur des télécom au Sénégal et en Afrique du Sud (en bas) Percentage of individuals using Fixed-broadband monthly subscription the Internet charge, in USD 80 45 40 38 38 70 36 36 36 35 60 35 30 27 27 50 25 23 25 40 20 17 15 30 15 20 10 10 5 - - 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Senegal Romania Mauritius Senegal South Africa Lithuania Cape Verde Turkey Turkey South Africa Revenue from all telecommunication services, in million USD 2,256 2,500 1,380 2,000 1,500 1,000 1,525 500 - 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Senegal Kenya Source : Banque mondiale 2018 ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 109 FIGURE 7 : Carte du réseau fibre optique au Sénégal Source : Sénégal Numérique 2025 et ADIE 2018 Compte tenu du contexte marqué par une forte demande émanant de ces opérateurs de télé- communications pour accéder à ses capacités excédentaires, le réseau de l’ADIE pourrait per- mettre de développer un catalogue de services offerts à des conditions non-discriminatoires, justes et raisonnables. Cela contribuerait à réduire considérablement le fort déséquilibre au niveau de la dotation en infrastructure de connectivité fibre optique entre les divers opérateurs de télécommunications au Sénégal, et contribuerait à un meilleur aménagement numérique du territoire, conformément aux ambitions du Plan Sénégal Émergent et à la stratégie Sénégal Numérique 2025. L’ADIE n’est pas une entité publique légalement autorisée à opérer directement sur le mar- ché des télécommunications (c’est-à-dire elle ne peut pas « exercer par elles-mêmes les activités d’exploitants de réseau de télécommunications »). Elle ne dispose pas non plus des capacités commerciales, techniques et financières suffisantes pour exploiter et commercialiser efficacement son réseau. A titre d’illustration, seule une des douze paires de fibre installées est utilisée et en dépit de cette sous-utilisation, des problèmes importants de maintenance et de qualité de ser- vice sont enregistrés sur cette paire. Le niveau de satisfaction des administrations publiques à l’égard des services fournis par l’ADIE est relativement faible avec un taux variant entre 37% et 41%82 Ainsi et même si elle était autorisée à le faire, l’ADIE ne serait pas capable de dévelop- per par elle-même un catalogue de services répondant efficacement aux besoins des acteurs du marché des télécommunications et de commercialiser les capacités excédentaires sur son réseau fibre optique dans des conditions satisfaisantes. Le déploiement et la commercialisation de l’in- frastructure de fibre optique est une activité très particulière pour laquelle il existe de nombreux opérateurs régionaux et internationaux spécialisés dans ce domaine. 82 Agence de l’Informatique de l’Etat, Rapport de performance 2016, p. 26. 110 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Dans ce contexte, l’objectif de la réforme est de déléguer l’exploitation des excédents du réseau fibre optique ADIE à un opérateur privé dans le cadre d’un contrat de partenariat public- privé. L’opérateur privé serait sélectionné sur la base d’un appel d’offre ouvert et serait soumis à la régulation du secteur. Cette réforme s’inscrit dans la lignée des expériences internationales et africaines ou des réseaux ont été financés par des fonds publics et mis en exploitation privée dans le cadre d’arrangement contractuel divers dépendant de la spécificité du contexte. Au Sénégal, le choix du gouvernement a porté sur un contrat de concession. Outre les avantages juridiques et contractuels de la concession et les expériences réussies de concession au Sénégal, ce type de contrat a été largement pratiqué avec succès dans le domaine des infrastructures fibre optique en Europe cf. le cas de la France avec les réseaux d’initiative publique. Suite à l’adoption du modèle concessif pour l’ADIE en juillet 2018, les prochaines étapes consistent à opérationnaliser ce modèle via la sélection d’un partenaire privé au travers d’un appel d’offre public. L’adoption du modèle concessif par l’Etat a été formalisé au travers d’un arrêté interministériel entre le Ministère de tutelle de l’ADIE et celui des finances qui a porté l’investissement de l’État dans le réseau de l’ADIE. Cet arrêté a également établi un comité interministériel chargé de piloter les prochaines étapes pour l’opérationnalisation du modèle concessif. Ces prochaines étapes sont les suivantes : 77 Réalisation d’un audit technique, commercial et financier de l’ADIE permettant notamment le recensement et la valorisation du patrimoine fibre optique de l’ADIE (durée nécessaire : 6 mois) ; 77 Structuration organisationnelle de la concession avec la mise en place d’une société de patrimoine, préposée à la gestion des infrastructures numériques à commercialiser (durée nécessaire : 6 à 12 mois) ; 77 Accompagnement de la société de patrimoine dans le choix du futur opérateur concession- naire dans le respect de la réglementation des marchés publics. Cela couvre la préparation et d’un dossier d’appels d’offre, le lancement de l’appel d’offres ainsi que la phase d’évaluation et de négociation du contrat. (durée nécessaire : 12 à 18 mois). L’exploitation commerciale des capacités excédentaires du réseau de l’ADIE au moyen d’un modèle de PPP devrait générer les avantages suivants : 77 Permettre à l’ADIE de se concentrer pleinement sur la fourniture des services et télé services aux administrations publiques. 77 Favoriser une mutualisation croissante des infrastructures et éviter ainsi aux opérateurs de télécommunications de dupliquer leurs infrastructures dont les investissements associés pourraient être redéployés ailleurs. 77 Permettre de générer des revenus additionnels pour l’Etat au travers des revenus versés par l’opérateur privé, ce qui peut contribuer efficacement au remboursement de la dette contrac- tée pour financer le réseau de fibre optique. ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 111 77 Fournir au partenaire privé des incitations (d’ordre contractuel, juridique et réglementaire) à investir dans l’expansion du réseau conformément aux besoins d’aménagement numérique du territoire. En Mauritanie, la mise en place d’un tel montage (avec un contrat d’affermage entre la société de patrimoine et l’opérateur privé) pour le réseau fibre optique public de 1500 km permettra à l’État de générer 48 millions d’USD sur 15 ans. La convention d’affermage prévoit une rede- vance totale qui permet à l’Etat, durant les 15 ans du contrat, le remboursement du financement du réseau même si les objectifs du business plan ne sont pas atteints. Cette redevance permet éga- lement de couvrir le coût de fonctionnement annuel de la société de patrimoine (SDIN). Enfin, elle prévoit une distribution des résultats d’exploitation entre le concessionnaire privé et l’Etat. Le montant cumulé estimé (au regard du plan d’affaires approuvé par les parties) de la redevance totale sur quinze ans s’élève à 48 millions USD (soit quatre fois le montant de l’investissement initial sans compter les taxes et impôts induits) avec une parfaite autonomie financière de la SDIN et un remboursement de l’accord de financement pendant quinze ans. La mise en concession des infrastructures publiques numériques détenues par l’ADIE constitue une des actions de réformes télécom les plus délicates à mener. La réalisation de cette réforme implique plusieurs actions : (i) réaliser un recensement/audit du patrimoine de l’ADIE ; (ii) mettre en place une société de patrimoine ; (iii) organiser un appel d’offre ouvert et transparent pour recruter un concessionnaire privé ; (iv) négocier et signer le contrat avec le candidat retenu. Mettre en place un nouveau modèle de gestion et de tarification du spectre des fréquences radioélectriques (réforme de moyen / long terme) La mise en place d’un nouveau modèle pour la gestion et la tarification du spectre se justifie par les limites du modèle actuel. Le Code des communications électroniques adopté en 2018 continue de conférer (comme le faisait la Loi 2011) à l’Autorité de régulation la planification, la gestion et le contrôle de l’utilisation du spectre des fréquences radioélectriques. A ce titre notamment, elle coordonne l’utilisation nationale du spectre et les assignations (y compris fac- turation) de fréquences aux usages commerciaux (opérateurs privés de télécommunications, de radio ou de télé) et gouvernementaux (défense nationale, radio et télé publique, etc.). Tandis que le Code 2018 renvoie à des décrets (en cours de préparation) pour préciser les modalités d’application de la gestion, assignation et contrôle de l’utilisation du spectre, il attribue désor- mais les redevances annuelles de fréquences (payées par les usagers commerciaux) au trésor public. Jusqu’à l’adoption récente du nouveau Code en 2018, l’Autorité de régulation collectait et percevait directement ces redevances qui totalisaient un montant annuel de 25,4 milliards de FCFA en 2018 soit près de 44,5 millions de dollars USD. Ces redevances constituaient la principale source de financement de l’Autorité qui de fait n’a jamais eu d’incitations à revoir les 112 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES modalités d’assignation (et de tarification) des fréquences83 pour favoriser le déploiement des réseaux sur le territoire et tenir compte des besoins spécifiques des opérateurs et fournisseurs d’accès internet. Jusqu’à l'élaboration de ce rapport, l’Autorité de régulation a traité les rede- vances liées à l’utilisation du spectre radioélectrique comme un mécanisme de taxation plutôt qu'un instrument visant à garantir l'efficacité de l'utilisation du spectre. Il convient de rappeler que la gestion du spectre (c’est-à-dire des fréquences) comprend des acti- vités telles que la planification de l'utilisation du spectre, l’ingénierie, l'attribution du spectre, la coordination de l'utilisation du spectre partagé, l'harmonisation des normes spectrales régionales et mondiales, ainsi que le suivi et le contrôle de l’utilisation effective du spectre. La politique de gestion du spectre a généralement pour objectif de veiller à une utilisation efficace du spectre, de promouvoir la concurrence, et de servir l’intérêt général au travers de la politique d’accès universel. Il existe globalement deux types de bandes de fréquences pour les usages commerciaux : celles utilisées pour la desserte des usagers finaux en services mobiles via les réseaux d’accès (fréquences RAN) et celles utilisées pour le fonctionnement des réseaux de transport à faisceaux hertziens (fréquences FH). En raison de la rareté des bandes de spectre pour les services mobiles (RAN), le mécanisme de la valeur économique est tarifé ou par marché). Or, contrairement aux fréquences FH, qui sont hautes, plus dispo- nibles et ne présentent pas de risque d’interférence élevé, les fréquences RAN sont basses, limitées en quantité et avec un risque d’interférence plus élevé. Cette distinction explique que l’assignation des fréquences RAN se fait généralement par des mécanismes d’enchères permettant une fixation du prix par le marché ; tandis que les fréquences FH sont généra- lement tarifées selon l’approche de recouvrement des coûts de gestion par le régulateur et d’incitation à l’investissement pour le déploiement de la fibre. Le modèle actuel de gestion et tarification des fréquences fait du Sénégal un cas à part et freine sensiblement l’accès au haut débit surtout en milieu rural. Les principales limites du modèle actuel sont doubles et touchent à la fois la gestion/planification du spectre et la tarification des fréquences (GSM et faisceaux hertziens). À noter que le Sénégal semble appliquer le principe de neutralité technologique spectrale dans le sens où il n’y a pas de bandes de fréquences dédiées à des services de communication électroniques spécifiques. Ainsi, avec une même bande de fréquence, les opérateurs peuvent fournir les services qu’ils souhaitent. C’est notamment le cas de Orange et Tigo qui utilisent une partie de leur bande des 900 MHz pour fournir des services mobiles 3G, tandis que cette même bande est utilisée par Expresso pour fournir des services mobiles 2G. 77 En ce qui concerne la gestion/planification du spectre (voir Figure 7), les opérateurs se sont vu attribuer des quantités variables de spectre créant parfois un fort déséquilibre dans la 83 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP précise : « A plusieurs reprises, notamment ces dernières années, l’Autorité de régulation a initié des projets de révision du catalogue des redevances même si cela n’a jamais abouti ». ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 113 FIGURE 8 : Affectation du spectre par opérateur et bande de fréquence Source : DECA, 2019. Note : L’ARTP indique cependant que le CDMA 800 n’est plus utilisé par Expresso et que dans la bande des 2100 Orange a 2 × 20 MHz et Tigo 2 × 15 MHz dotation en fréquences84. En outre, les opérateurs disposent de plus de spectre que dans de nombreux pays de la région, où, dans certains cas, moins de la moitié des assignations de spectre ont été faites par rapport à ce qui a été fait au Sénégal85. Ainsi, il existe un fort risque de thé- saurisation du spectre par les opérateurs, surtout ceux dont la dotation en fréquences est la plus forte (c’est-à-dire SONATEL). Enfin, il n’existe pas encore de dispositions permettant un marché secondaire pour commercialiser les fréquences allouées mais pas ou peu utilisées. ●● Les limites évoquées dans la gestion/planification du spectre viennent questionner la suffisance du dispositif (en termes de ressources humaines et moyens financiers) mis en place par l’Autorité de régulation. Sur ce point, certains spécialistes du secteur regrettent que le département de l’Autorité de régulation en charge des fréquences (gestion, tarification et contrôle) ait vu ses ressources diminuées au cours du temps. Or, la responsabilité de l’assignation des fréquences à tous les utilisateurs nationaux est une lourde responsabilité qui nécessite des ressources dédiées adéquates. A la différence d’un pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal ne dispose pas d’une Agence dédiée à la planification/attribution des fréquences (cf. Agence Ivoirienne de Gestion des Fréquences – AIGF). ●● Tandis que la fiscalité dans le secteur des télécommunications Sénégal est plutôt rai- sonnable en comparaison avec d’autres pays d’Afrique (voir Figure 9), ce n’est pas le cas des redevances de fréquences. Les règles de tarification des fréquences sont stipulées dans le décret 837 adopté en 2004 qui fixe les montants des redevances de fréquences. Or, d’une part ces règles de tarification et les montants fixés n’ont pas été révisées depuis 84 Après agrégation, Orange a accès à 2x43,4 MHz, Tigo à 2x29 MHz et Sudatel à 2x43 MHz. Sudatel a ajouté une assignation de 5 MHz à 2100 MHz et 2x6,25 MHz à 800 MHz pour le large bande fixe. De plus, Orange dispose maintenant de 2x10 MHz à 800 et 1800 MHz pour une utilisation 4G. 85 Dans un commentaire écrit en date du 22 juillet 2019, l’ARTP nuance : « avec les pays ayant le même nombre d’opé- rateurs, la quantité de spectre est sensiblement identique ». 114 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 9 : Comparaison des frais d’utilisation des fréquences RAN (à gauche) et des fréquences FH (à droite) au Sénégal et dans d’autres pays de la région Source : Orange, 2017 2004 pour tenir compte de l’évolution du marché alors que l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) recommande des révisions à intervalles réguliers86. D’autre part, elles n’encouragent pas une utilisation efficace du spectre notamment pour les liaisons par FH car elles fixent des redevances particulièrement élevées faisant du Sénégal l’un des pays où les fréquences sont les plus chères : (i) les données disponibles (Figure 8) montrent que les frais payés par les opérateurs pour l’utilisation des fréquences afin de fournir de services GSM aux usagers finaux est 4 fois plus élevé qu’au Ghana, 11 fois plus élevé qu’en Tanzanie et 48 fois plus élevé qu’au Rwanda (ii) de la même façon ces frais pour l’utilisation des fréquences pour la transmission de données sur les réseaux en faisceaux hertziens sont environ 8 fois plus élevés qu’en Côte d’Ivoire ou au Maroc. De surcroit, les fréquences hautes FH moins performantes que les fréquences RAN basses sont pourtant facturées au même prix. Enfin, les règles et montants de tarifications n’établissent aucune distinction dans la tarification selon le type d’ac- teurs (e.g. opérateur ou fournisseurs d’accès internet) et les zones géographiques (rurales, urbaines) où les fréquences sont utilisées. Les limites du modèle actuel freinent fortement l’accès au haut débit en affectant les prix des services, en décourageant l’investissement et en ne favorisant pas la concurrence. En effet, les opérateurs répercutent en pratique les frais d’utilisation des fréquences sur les consommateurs par le biais de tarifs plus élevés. Aussi, les redevances élevées pour l’utilisation des faisceaux hertziens n’encouragent pas les opérateurs à déployer leurs services dans des zones éloignées et relativement moins rentables, ce qui contribue à expliquer la persistance des fractures numériques (section 2). Enfin, le déséquilibre entre opérateurs en termes de dota- tion en fréquences affecte sensiblement la concurrence. Le cas de la 4G est particulièrement marquant puisque pendant plus d’un an seule la Sonatel s’est vue octroyée (dans le cadre du 86 Voir : ITU Guidelines on Spectrum Pricing (2016). ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 115 FIGURE 10 : Impôts et redevances d’ordre général et propres au secteur (en pourcentage du chiffre d’affaires du secteur) Source : GSMA, 2018 processus de négociation lié au renouvèlement de ces licences) les fréquences 4G malgré les demandes des autres opérateurs (Tigo surtout). Ainsi, il en a résulté l’existence d’un monopole de fait de la Sonatel sur le marché de la 4G entre fin 2016 et début 2019. En effet, l’opérateur TIGO s’est récemment vu octroyé des fréquences 4G dans le cadre d’une actualisation de son cahier des charges. Le modèle actuel est un obstacle majeur au maintien des FAI sur le marché. Contrairement aux opérateurs télécoms qui ont des millions d’abonnés, les FAIs sont des acteurs adressant un marché en milliers d’abonnés et leur développement nécessitera une période d’au moins 3 ans avant d’atteindre un rythme de croisière. Or les FAI n’ont pas la surface financière pour suppor- ter les coûts des fréquences tels que pratiqués aujourd’hui : ces coûts représentent au total un montant plus élevé que leur chiffre d’affaires. En outre, les FAI ont vocation à adresser le marché différemment (via des Offre LTE illimitée) et dans des zones géographiques blanches (via les technologies VSAT modernes). Or, les règles actuelles de tarification des fréquences ne pré- voient aucune disposition permettant d’utiliser les technologies nouvelles (e.g. VSAT « low-cost », fréquences libres, hotspot outdoor) qui permettraient de pénétrer les marchés à faible solvabilité, surtout dans les zones sous-desservies. L’adoption récente du nouveau Code fournit une opportunité majeure de mettre en place un nouveau modèle pour la gestion et la tarification du spectre. Cela représente un enjeu majeur pour non seulement renforcer le développement du haut débit mais aussi pour favoriser l’essor des technologies plus avancées comme la 5G et l’internet des objets. Le processus en cours de 116 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES préparation des textes d’application du nouveau Code et de la Loi de finances 2019 permet- traient de réviser le modèle actuel sur au moins trois aspects : 77 Il offre une opportunité de revoir les règles de tarification fréquences dans l’objectif de non seulement réduire les montants des redevances mais aussi d’instituer des règles de tarification cohérente qui permettent d’accroître l’efficacité spectrale et d’encourager l’investissement dans les zones peu et sous desservies. Ces nouvelles dispositions pourraient être mentionnées dans la Loi de Finances 2019 (prévue d’être adoptée en décembre 2018) ou dans la Loi de Finance rectificative prévue en juin 2019. 77 Sur la base de l’étude en cours au niveau de l’Autorité de régulation (cf. AO/2017/03/ARTP/ DG/DSP) et relative à la valorisation économique du spectre des fréquences au Sénégal, il permettrait d’instaurer dans les textes d’application du nouveau Code de nouvelles règles pour (i) instaurer le recours à des enchères pour l’attribution des bandes de fréquences et (ii) créer un marché secondaire des fréquence ou les opérateurs détenteurs de fréquences inutilisées loueraient leurs excédents à d’autres. Les ventes aux enchères du spectre sont lar- gement considérées comme la meilleure pratique internationale et en Afrique peu de pays ont essayé de mettre en place un tel système en place (e.g. Nigeria, Mozambique l’Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya et l’Égypte). Un marché secondaire des fréquences optimiserait l’usage du spectre tout en limitant les risques que certains opérateurs adoptent des stratégies de verrouillage du marché en limitant l’accès des concurrents au spectre disponible. Les textes d’application du nouveau Code pourraient envisager de créer au sein de l’Autorité de régulation un département dédié avec des ressources renforcées pour mener à bien les mis- sions de gestion/planification, assignation/tarification et contrôle de l’utilisation des fréquences. Cette mesure pourrait s’inspirer du cas de la Côte d’Ivoire sans forcément conduire à la création d’une entité nouvelle comme l’AGIF. En améliorant la gestion et tarification du spectre des fréquences, le gouvernement pourrait accroitre ses recettes budgétaires. Alors que les redevances annuelles de fréquences ont généré un montant total de recettes de 53 millions de dollars USD en 2018 (y compris la TVA) on peut estimer que des règles plus efficaces de gestion et tarification des fréquences permettraient de générer un effet volume via une commercialisation plus forte du spectre et un montant total de redevances plus important. Une révision à la baisse de la tarification des fréquences favori- serait significativement la pénétration des services numériques au sein de la population avec des retombées certaines en matière de consommation de services, d’emplois et d’activité du secteur, favorisant ainsi les entrées fiscales au travers des impôts directs et indirects (TVA). ACCÉLÉRER L'ESSOR DE L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE 117 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL Résumé exécutif Contexte. L’économie numérique constitue aujourd’hui une opportunité sans précédent pour la croissance économique des pays en développement. Le Sénégal, dans sa vision Sénégal numérique 2025 ambitionne de réduire l’utilisation des espèces aussi bien au niveau de l’Etat, que des Entreprises et des Particuliers. Dans cette perspective, la finance numérique représente un levier essentiel pour la transformation numé- rique et il existe au Sénégal une forte croissance de la détention de comptes « mobile money » ou porte- monnaies électroniques. Ce taux est passé à 31,8% en 2017, contre 6% en 2014 (Findex 2017). En outre, selon le rapport de 2017 de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sur la situation des services financiers numériques dans l’UEMOA, le Sénégal regroupe environ 10% des souscripteurs et 12% du volume de transactions de la région UEMOA. Malgré cette forte hausse du taux d’adoption, le Sénégal se place en 5ème position parmi les 8 pays de l’Union en termes du nombre d’abonnés (alors qu’il occupe la 2ème place en termes de PIB). Objectif. La finance numérique permet la réduction des coûts des transactions, une meilleure efficacité dans le traitement des opérations et une plus grande transparence dans les paiements de l’Etat, ce der- nier est le plus grand payeur et receveur de transactions. Une étude effectuée par le Better Than Cash Alliance (BTCA) au Sénégal, indique que la numérisation des paiements publics pourrait permettre d’injec- ter annuellement plus de 104 milliards FCFA au PIB de l’Etat. Toutefois, les défis liés au développement de la finance numérique au Sénégal relèvent pour l’essentiel du cadre règlementaire et politique. Le ren- forcement de l’utilisation des services financiers numériques impliquerait que l’Etat lève les contraintes qui freinent leur utilisation accrue, permettant ainsi d’aller au-delà des services de paiement et de retrait. Un examen approfondi de l’utilisation de la monnaie électronique au Sénégal fait ressortir que 12% des fonds déposés dans les comptes de monnaie électronique font l’objet de retrait en espèces et 39% servent au rechargement d’unités téléphoniques, traduisant ainsi que les possibilités d’utilisations autres que le cash ne sont pas suffisamment diversifiées. La distribution limitée des services financiers numériques ressort comme un frein essentiel à leur dispo- nibilité. Selon les dernières statistiques de la BCEAO, environ 67 315 agents distributeurs de monnaie électronique sont répartis sur le territoire et servent 5.3 millions de souscripteurs. La moyenne par agent ressort à 80 clients/souscripteurs. Toutefois, le secteur bancaire et de microfinance ne disposent pas d’une offre de service aussi répandue. En découle le besoin de réformes dans le domaine de la distribution et de l’intermédiation des services financiers numériques (épargne, crédit) outre ceux offerts par les Emetteurs de monnaie électronique (transferts d’argent). Résultats attendus. La présente note tente d’expliquer les contraintes au développement des SFN au Sénégal et propose des réformes nationales et régionales qui pourraient débloquer leur potentiel. 118 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL Maimouna Gueye et Laurent Gonnet Table des matières77 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 I. Introduction et contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 II. Défis et opportunités de la finance numérique au Sénégal . . . . . . . . . 125 III. Objectifs de réformes prioritaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 IV. Réformes à court terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 V. Réformes à long terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Annexe 1 : Chaine des réformes prioritaires et acteurs concernés . . . . . 136 Annexe 2 : Indicateurs pour les services financiers numériques . . . . . . . . 137 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 77 La revue technique par les pairs a été effectuée par Peter McConaguy et Sarah Zekri. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 119 Acronymes AFI : Alliance pour l’Inclusion financière APBEF : Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers BCEAO : Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest BIC -UEMOA : Bureau d’Information sur le Crédit DAB : Distribution automatique de billet EME : Etablissement de Monnaie Electronique FCFA : Franc de la Communauté Financière Africaine FNFI : Fonds National pour la Finance Inclusive GAB : Guichet automatique de banques GIM-UEMOA : Groupement Interbancaire Monétique de l’UEMOA IF : Institution financière IMF : Institution de microfinance PME : Petites et moyennes entreprises SGCB : Secrétariat Général de la Commission Bancaire de l’UMOA SFD : Système Financier Décentralisé (Institution de microfinance dans l’UEMOA) TPE : Très petites entreprises UE : Union Européenne UMOA : Union Monétaire Ouest-Africaine TPE : Terminal de Paiement Electronique UFA 2020 : Universal Financial Access 2020 UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine UMOA : Union Monétaire Ouest Africaine 120 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES I.  Introduction et contexte La nouvelle Stratégie nationale de développement du secteur de la finance inclusive s’inscrit dans un contexte où le Sénégal a entrepris d’importantes réformes pour accélérer sa crois- sance, réduire la pauvreté et améliorer les conditions de vie des populations. Cette note est élaborée dans le cadre du dialogue engagé entre la Banque mondiale et le Gouvernement du Sénégal sur les politiques à mettre en œuvre en vue d’une croissance accélérée et basée sur les nouvelles technologies du numérique en particulier. Elle porte essentiellement sur la finance numérique autour de laquelle un état des lieux au Sénégal a permis de faire ressortir les prin- cipaux défis et opportunités liés à ce secteur en pleine croissance en Afrique. Sur la base de ces défis, la note propose une série de réformes phares à mettre en œuvre pour accélérer l’adoption et l’utilisation des services financiers numériques par les populations. Telle que définie par les Principes de haut niveau du G-20 pour l’inclusion financière numé- rique, l’expression « services financiers numériques (SFN) » couvre les produits et services financiers, notamment les paiements, transferts, épargne, crédit, assurance, titres et relevés de compte. Les services financiers numériques sont fournis via la technologie numérique y compris au moyen d’une carte de paiement, en ligne ou via un téléphone mobile. Divers instruments peuvent être liés à de l’argent électronique ou à des comptes bancaires traditionnels. Les SFN peuvent fournir aux individus et aux ménages des canaux pratiques et abordables pour effectuer et recevoir des paiements, ainsi que pour épargner et emprunter. Les entreprises peuvent tirer parti des SFN pour traiter plus facilement avec leurs clients et fournisseurs, ainsi que pour établir des historiques de crédit numériques et rechercher des financements. Les gouvernements peuvent utiliser les SFN pour accroître l’efficacité et la transparence dans divers flux de paiement, y com- pris pour le décaissement des transferts sociaux et la réception des paiements d’impôts. Selon le dernier rapport de la Banque mondiale sur l’Initiative UFA 202078, l’accès aux ser- vices financiers et l’inclusion financière jouent un rôle crucial dans le processus de dévelop- pement. Cette situation influe positivement sur la croissance, la répartition équitable des reve- nus, l’innovation et les emplois. Dans les économies en développement, 63% des adultes ont un compte soit dans une institution financière, soit par l’entremise d’un fournisseur de monnaie électronique, ce qui laisse 1,7 milliard d’adultes sans accès à un compte de transaction de base. En outre, il existe un déficit de financement formel pour les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) de plus de $5.2 trillions et plus de 65,3 millions MPME formels ont un accès limité au crédit dans les pays en développement. Les SFN donnent lieu à des opportunités économiques et permettent de formaliser les tran- sactions financières grâce à la traçabilité que donne le réseau de télécommunication. Les Institutions financières peuvent ainsi désormais créer des services plus innovants et accessibles 78 Universal Financial Access. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 121 ENCADRÉ 1 : Partenariat entre MTN et Advans en Côte D’ivoire En août 2014, l’institution de microfinance ivoirienne Advans Côte d’Ivoire s’est associée à un réseau de coopératives de cacao et à MTN Côte d’Ivoire afin d’offrir aux agriculteurs un compte d’épargne Advans, sans agence, accessible via un compte d’argent mobile. Le service, initialement conçu pour atteindre 7500 agriculteurs répartis dans 40 coopé- ratives, encourage l’épargne et a reçu le soutien du Groupe consultatif pour l’aide aux plus pauvres (CGAP). En août 2017, le service avait atteint plus de 13 500 agriculteurs répartis dans 100 coo- pératives de cacao. À fin 2017, environ 6000 agriculteurs ont eu recours à ce nouveau canal numérique pour transférer de l’argent de leur compte Advans à un compte d’argent mobile. (GSMA) aux populations résidant loin du réseau de banques. Ces services tels que le crédit numérique ou l’épargne ouvrent des opportunités d’affaires qui ont un fort impact sur la croissance économique des pays. Le Rapport de McKenzie de 2016 prédit un potentiel d’économie de 3 milliards de dollars que pourrait réaliser les pays émergents en se basant sur la technologie numérique dans la réalisation des transactions financières. Se référant à nouveau au rapport de McKinsey, il estime que la transformation numérique des institutions financiers pourrait augmenter leurs revenus annuels de 45%, dont 15% tirés de services à la clientèle, et 30% provenant de la réduction des couts opérationnels. La Equity Bank au Kenya a démontré comment la transformation numé- rique pourrait radicalement réduire les couts opérationnels via les services aux usagers. Selon une étude de Microsave, outre les gains en revenus et la réduction des couts, trois autres avantages compétitifs se dégagent de la transformation numérique des institutions financières (IF) : leur proximité traditionnelle à la clientèle ainsi que leur autorisation d’exercice constituent un pas d’avance par rapport aux Fintechs qui doivent construire un réseau et bien souvent ne sont pas autorisées à offrir des services de crédit et d’épargne. En outre, les IF peuvent offrir des services personnalisés afin de faciliter l’expérience client. Enfin, grâce à la technologie elles peuvent participer à l’économie réelle et avoir un impact sur d’autres industries : agriculture, énergie, eau, etc. De manière générale, quatre avantages ressortent de l’utilisation de la téléphonie mobile dans les services financiers : 1) plus d’opportunités économiques et accès au crédit à de meilleures conditions grâce à la téléphonie mobile ; 2) augmentation de la sécurité et de la transparence des opérations de l’Etat en se basant sur les moyens de paiement électroniques ; 3) mise à disposition de produits d’assurances et d’épargne pour les populations rurales en intégrant plus d’acteurs dans l’écosystème et 4) réduction de l’utilisation de la monnaie fiduciaire (source de perte, vol, détournement, etc.). 122 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Grâce à des réformes étatiques, l’Inde a intégré 800 millions de personnes au système financier. L’Inde est un des pays ou la numérisation des transactions a fortement fait l’objet de succès grâce à l’implication notable de l’Etat qui a mené des réformes portant notam- ment sur l’identification unique des populations et l’ouverture de comptes bancaires associée à l’identifiant (Adhaar). Une interopérabilité est ajoutée comme 3ème pilier à cette transfor- mation numérique constituant ainsi le système trilogique dénommé INDIA STACK. Cet objectif est basé sur une vision, celle de transformer le pays en une économie numérique par 2020. En termes de résultats, le gouvernement indien a réussi à limiter les pertes dues à de nombreux intermédiaires dans les transferts G2P, réalisant les transferts de manière directe. Ces transferts directs ont permis à 300 millions bénéficiaires de recevoir un total de $8,3 milliards en paiements de 57 différents programmes gouvernementaux, depuis 2008. Des économies importantes ont été réalisées sur les divers programmes de transfert du gou- vernement. Le programme de trésorerie pour le travail, par exemple, a permis une économie d’environ $176 millions, tandis que le programme national d’aide sociale a permis d’épargner $368 millions en raison des paiements numérisés. La plus grande économie cependant (plus de US $1 milliard), est provenue du gaz, largement utilisé pour la cuisine en Inde, désormais payé en monnaie électronique. Le paysage financier au Sénégal est assez diversifié avec un total de 448 institutions formelles en activité, qui comprend 24 banques, 3 institutions financières, 387 institutions de microfi- nance également appelées systèmes financiers décentralisés (SFD), 29 compagnies d’assurance, 2 Institutions monétaires électroniques (EMI) et la National Post Corporation. Deux principaux opérateurs de transfert d’argent sont également présents sur le marché offrant essentiellement GRAPHIQUE 1 : Mobile money au Sénégal, GRAPHIQUE 2 : Souscripteurs de mobile Part de marche par fournisseur money au Sénégal. Bimao/Vitfe Tigo/mobile 2% cash 4100811 21% 3500000 SGBS/ Yup 1% 1128369 Orange 892217 Money 76% 110474 0 46095 97000 Tigo/mobile SGBS/ Yup Orange Money Bimao/Vitfe cash 2016 2017 Source : BCEAO, 2017 DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 123 ENCADRÉ 2 : Paysage financier au Sénégal. ENCADRÉ 3 : Quelques Fintechs au Sénégal Comptes actifs Agents mobile Accès aux Fournisseurs de Pénétration money actifs comptes services mobile Mobile money bancaires financiers 2 240 315 18% population 30 787 20.4% 448 institutions 110% adulte financiers formelles Source : BCEAO and ARTP des services OTC79 (Wari et Joni Joni). Enfin, plusieurs fintechs sont récemment apparues au Sénégal. Le mobile money renforce l’inclusion financière au Sénégal. Les données récentes de Findex indiquent que l’accès aux comptes a presque triplé entre 2011 et 2017, atteignant 42,3% (+ 27pp). Cette hausse est principalement imputable aux comptes de mobile money comme c’est le cas dans la plupart des pays en Afrique Subsaharienne. En termes absolus, les détenteurs de comptes auprès des établissements de monnaie électronique ont atteint 5,3 millions en hausse par rapport à environ 2 millions en 2011. Entre-temps, le secteur bancaire ne compte que 1 620 000 déten- teurs de comptes et institutions de microfinance pour 2,6 millions adhérents. GRAPHIQUE 3 : Croissance du taux d’accès aux comptes 2011 2014 2017 FI account ONLY Both FI & Mobile 40% 45.3 43.2 42.6 42.3 38.5 30% 35.4 34.2 20% 23.5 23.2 20.1 18.3 16.6 10% 15.4 14.4 13.4 10.5 10.2 0% 8.2 5.8 7 2014 2017 2014 2017 2014 2017 2014 2017 2014 2017 2014 2017 2014 2017 3.7 Benin Burkina Côte Mali Niger Senegal Togo TOGO SSA BENIN BURKINA MALI GUINEE SENEGAL Faso d'Ivoire Source : Findex 2017 79 Over the counter : faisant intervenir un agent. 124 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES GRAPHIQUE 4 : Evolution du nombre de détenteurs de comptes mobile money Source : BCEAO Une enquête du groupe de la Banque mondiale a révélé qu’un adulte sénégalais sur cinq (20,4%) détient un compte dans une banque. Alors que les niveaux d’inclusion financière du Sénégal sont similaires à ceux d’autres économies d’Afrique subsaharienne (Burkina, Togo), le pays est en retard par rapport à d’autres pays en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Ghana). L’adoption du mobile money a amorcé une croissance notable en 3 ans, mais le Sénégal demeure en retard par rapport aux pays voisins. Il existe au Sénégal une forte croissance de la détention de comptes « mobile money » ou porte- monnaies électroniques. Ce taux est passé à 31,8% en 2017, contre 6% en 2014 (Findex 2017). En outre, selon le rapport de 2017 de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sur la situation des services finan- ciers numériques dans l’UEMOA, le Sénégal regroupe environ 10% des souscripteurs et 12% du volume de transactions de la région UEMOA. Malgré cette forte hausse du taux d’adoption, le Sénégal se place en 5ème position parmi les 8 pays de l’Union en termes du nombre d’abonnés (alors qu’il occupe la 2ème place en termes de PIB). La présente note tente d’expliquer les contraintes au développement des SFN au Sénégal et propose des réformes nationales et régionales qui pourraient débloquer leur potentiel. Elle aborde les défis qui s’opposent au développement de la finance numérique au Sénégal avant d’aborder les opportunités associées à l’usage plus poussé de la technologie dans le contexte des services financiers au Sénégal. Défis et opportunités de la finance numérique au Sénégal II.  Il existe au Sénégal une forte dominance du paiement en espèces. En effet, l’économie séné- galaise est encore fortement dominée par l’utilisation accrue des espèces dans les transactions financières). Un examen approfondi de l’utilisation de la monnaie électronique au Sénégal fait ressortir que 12% des fonds déposés dans les comptes de monnaie électronique font l’objet de retrait en espèces et 39% servent au rechargement d’unités téléphoniques, traduisant ainsi que les possibilités d’utilisations autres que le cash ne sont pas suffisamment diversifiées. L’Etat Sénégalais utilise très peu les instruments de paiement électroniques pour la réalisation des dépenses de petits montants. En 2017, seuls 7% d’adultes ont reçu un paiement de l’Etat par DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 125 GRAPHIQUE 5 : Répartition par type voie électronique (Findex 2017). Le Trésor s’est d’opérations mobile money engagé dans un processus de modernisation de son système d’information interne et est désor- Cash out Merchant 12% mais connecté aux systèmes de paiement de la Cash in payments Banque centrale (STAR-UEMOA et SICA- 6% 30% Non capture UEMOA). Le défi pour le gouvernement 4% aujourd’hui est de numériser les paiements des- P2P tinés aux personnes non bancarisées et d’auto- 8% Cross border matiser la collecte des paiements dus à l’Etat. remittance 1% Dans le cadre de la stratégie Sénégal Numérique Airtime purchase 2016–2025, le Trésor vise à devenir une admi- 39% nistration connectée, au service du citoyen et Source : BCEAO des entreprises, avec notamment la dématériali- sation des procédures administratives. En outre, il convient de noter la diffusion du numérique dans les secteurs économiques prioritaires, entre autres la promotion du commerce électronique et des services financiers. Cette vision est soute- nue au plan règlementaire par la Directive n8 /CM/2002 sur la promotion de la bancarisation et l’utilisation des moyens de paiement scripturaux dans les Etats membres de l’UEMOA, en par- ticulier « les relations des États et Administrations publiques avec leurs fonctionnaires et agents ainsi qu’avec leurs partenaires et les contribuables ». Ce texte a été transposé au Sénégal en 2004. Ces textes imposent le paiement par voie digitale des salaires, indemnités et autres prestations dus par l’Etat supérieurs à 100 000 FCFA et l’encouragent pour les paiements de même nature inférieurs à 100 000 FCFA. Cette même exigence s’applique pour la collecte des Impôts, taxes et autres prestations dus à l’Etat. Dans le secteur privé, l’utilisation effective des paiements numériques reste relativement faible. En atteste le pourcentage de personnes ayant utilisé un compte pour payer une fac- ture ou utilisé une carte de débit ou crédit pour faire un achat. Cette dernière donnée ressort à 5.1%, moins qu’au Benin et qu’en Afrique Subsaharienne (Findex 2017). Très peu de personnes employées par le secteur privé ont reçu leurs salaires via un compte soit 3.8% (Graphique 6). A l’inverse, les paiements et transferts de personne à personne sont très prises, dépassant même la moyenne Subsaharienne (Graphique 6). D’autres services financiers tels le microcrédit et la micro épargne ainsi que la micro assurance ne font pas encore l’objet de digitalisation à grande échelle. L’innovation dans ce domaine est encore à un stade embryonnaire avec quelques rares initiatives lancées par des Institutions comme Microcred. L’épargne et le crédit informels sont encore dominants et le recours aux comptes pour emprunter ou épargner ressort à environ 7% (Tableau 1). Le système d’informations du crédit ne couvre pas le périmètre des micro emprunteurs et ne se base pas sur les données digitales pour évaluer la capacité de remboursement de la clientèle. Au Kenya, le microcrédit numérique a pris 126 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES GRAPHIQUE 6 : Quelques utilisations du paiement numérique LE PAIEMENT DES SALAIRES PAR LES ENTREPRISES SONT MOINS FREQUENTS QUE LES PAIEMENTS DE PERSONNE A PERSONNE Sénégal SSA Benin 39.50% 34.40% 28.50% 23.90% 22.70% 16.20% 5.70% 3.80% 3.10% PAIEMENTS IQUE TRANSFERTS NUMÉRIQUES (SECTEUR D’ARGENTS VIA REÇUS OU PRIVÉ) UN COMPTE ENVOYÉS ADULTES AYANT REÇU LEURS SALAIRES PAR UN MOYEN DE PAIEMENT NUMÉR Source : Findex de l’ampleur avec le service de crédit et d’épargne numérique « M-ShWari » qui a permis a plus de 10 millions d’utilisateurs de s’intégrer au système financier de manière durable. Il convient toutefois de relever les risques de surendettement et de réputation inhérents à ce type de service et qui peuvent porter préjudice à la clientèle. Les points d’accès aux services financiers sont peu répandus. Selon la BCEAO, l’accès géogra- phique aux services financiers ressort à environ 424 personnes pour 1 point de services, incluant tous les secteurs (banque, postes, microfinance, monnaie électronique)80. Cette situation s’explique TABLEAU 1 : Accès des adultes à l’épargne et au crédit Indicateur Sénégal SSA Benin Adultes ayant épargné via un compte 7.3% 14.9%   9.8% 6.6% en 2014 Adultes ayant épargné de manière informelle 23.8% 25.8% 28.2% Adultes ayant emprunté auprès d’une institution 7.8%  8.4% 11.4% financière formelle 4% en 2014 Adultes ayant emprunté de manière informelle 29.9% 31% 23.5% Source : Findex 2017 80 Evolution des indicateurs de suivi de l’inclusion financière, BCEAO, 2016. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 127 en partie par l’absence de règles pour l’intermédiation de services de microfinance, contrairement au secteur de la monnaie électronique pour lequel les conditions de distribution des services sont clarifiées dans l’Instruction du 8 mai 2015 relative à l’activité de monnaie électronique et aux établissements de monnaie électronique. L’adoption de ce texte en 2015 en lieu et place de l’Ins- truction de 2006 a contribué au fort développement du réseau de distribution dans l’UEMOA comme au Sénégal. Dans ce secteur, la BCEAO dénombre environ 67 315 agents distributeurs (principalement les opérateurs de téléphonie mobile) contre seulement 902 pour les Institutions de microfinance (Tableau 2). TABLEAU 2 : Distribution des services financiers in Sénégal ATM Bank MFI Mobile POS branches services money points 600 900 902 67 315 1700 Source : BCEAO, 2016 Alors que les opérateurs de téléphonie mobile sont autorisés à utiliser leur réseau pour distri- buer des produits les IMF ne sont pas autorisées à utiliser des agents intermédiaires pour la col- lecte des dépôts d’épargne et les remboursements de prêts, les demandes de crédit et les demandes d’ouverture de compte, ce qui freine l’utilisation optimale et la vulgarisation des services dans les zones peu desservies. Dans les pays comme le Brésil ou le Kenya, la Banque Centrale a autorisé les banques et les SFD à recruter des agents pour étendre les services via la technologie numé- rique. Dans ces pays, le régulateur a fixé les conditions d’intermédiation via des agents bancaires débloquant ainsi le potentiel des banques et IMF à développer et élargir leurs réseaux via la banque à distance. On constate en effet, depuis quelques années un très fort développement de réseaux d’agents dans certains pays en développement. Ces agents ont permis d’atteindre des publics exclus par les banques commerciales opérant de manière « classique » et même par les institutions de microfinance. Les pays de l’UMOA, y compris le Sénégal, ne semblent pas embrasser totalement ces tendances. Au-delà du développement des services de « mobile banking » par des opérateurs télécoms, la volonté de banques et des IMF agréées d’aller à la rencontre d’une clientèle additionnelle via des réseaux d’agents non-salariés, et quelques initiatives ont été menées, grâce notamment à l’Instruction 015–12–2010 de la BCEAO 128 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 4 : Projet d’Interopérabilité des services financiers numériques dans l’UEMOA Le projet d’interopérabilité des services financiers numériques est financé par la Fondation Bill & Melinda Gates à travers le Fonds pour l’Inclusion Financière numé- rique en Afrique (ADFI) hébergé à la BAD. L’objectif principal est de mettre en place une solution de paiement multilatérale permettant la fluidité des échanges entre tous les prestataires de services financiers numériques : banques, prestataires de services de paiement, institutions de microfinance, émetteurs de monnaie électronique, opéra- teurs de transfert de fonds via divers instruments et canaux (cartes, téléphones por- tables, Internet, etc.) et l’extension des services à tous types de comptes (comptes ban- caires, porte-monnaie électroniques . . . ) et de points d’accès (GAB, TPE, TPE mobile, agents, etc.). Cette stratégie sera construite autour de l’infrastructure de GIM -UEMOA en tant qu’opérateur multilatéral. Les résultats attendus du projet constituent la mise en place d’une infrastructure de paiement régionale, une réglementation adaptée ainsi qu’un écosystème de parties pre- nantes engagées. Le projet contribuera dans une large mesure à renforcer l’intégration économique et régionale et à créer un marché commun. relative à l’activité des intermédiaires en opérations de banques, qui représente aujourd’hui le seul instrument juridique sur lequel les banques se reposent pour étendre leurs services à des entités tiers. Une analyse comparative des régimes règlementaires applicables aux différents man- dataires des institutions financières dans l’UMOA, fait ressortir : (i) qu’il n’existe pas de réglementation spécifique pour les intermédiaires opérant pour le compte des SFD ; (ii) que les Intermédiaires en Operations Bancaires (IOB) sont soumis à un régime nettement plus contraignant, voire dissuasif par rapport à celui applicable aux intermédiaires opérant dans le cadre des instructions BCEAO relatives à la monnaie électronique ou aux transferts rapides d’argent (exigences de dépôt de garantie de 5 millions FCFA par agent, renouvellement de la demande d’agrément en cas de changement d’Etat) ; (ii) que les distributeurs non-salariés de produits et services financiers inclusifs dans l’UMOA sont soumis à une diversité de régimes juridiques en application de textes législatifs et d’instructions de la BCEAO. Cette diversité entraine des stratégies d’ajustement institutionnel mais aussi un risque juridique accru non favorable aux investissements. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 129 Il y a une absence de précisions sur l’opérationnalisation du dispositif pour les contrats numé- riques. La Loi n° 2008–08 du 25 janvier 2008 garantit la validité et la sécurité des transactions électroniques, y compris les transactions liées au commerce électronique, la conclusion du contrat électronique, la signature électronique, la preuve électronique et la transmission électronique de documents ou actes administratifs. Toutefois, il y a une absence de précisions sur l’opérationnali- sation du dispositif pour les contrats numériques. Plusieurs fournisseurs de services de paiement au Sénégal ont besoin d’adopter la signature numérique, mais le cadre de la certification élec- tronique n’est toujours pas opérationnel. Les Etablissements de monnaie électronique (EME) se voient obligés de stocker les versions physiques des contrats signés avec les clients. Cela pause de véritables défis dans les zones rurales dans le cadre du transport et de l’archivage des contrats physiques. Pour aller plus loin, il convient de relever que le Programme BALI recommande l’uti- lisation de la technologie pour renforcer la validité et la crédibilité des contrats ‘’smart’’, ce qui pourrait influer sur les investissements. L’infrastructure optimale permettant l’accès aux services financiers n’est pas en place. L’interopérabilité de tous les systèmes existants, pour offrir aux utilisateurs une interface de paiement unique qui fonctionnera quelle que soit la nature du compte de l’usager (compte bancaire, porte-monnaie électronique, dépôt chez l’opérateur de télécommunication, cash en dépôt ou en retrait etc.) n’est pas encore effective. Le GIM-UEMOA, groupement interban- caire monétique agissant dans tous les pays de zone UEMOA est de ce point de vue un acteur clé. Soutenu par la BCEAO, le GIM-UEMOA travaille à réaliser cette interopérabilité. Elle permettra d’asseoir un environnement transactionnel simplifié pour l’utilisateur et démulti- pliera l’adoption des moyens de paiement électronique par les acteurs du commerce et par les consommateurs. D’autre part, l’accès à l’USSD (Unstructured Supplementary Service Data81) bien que libéralisé, demeure coûteux. L’Agence de régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) gère la distribution et la facturation de ce code. L’USSD ayant été récemment libéralisé par l’ARTP (avril 2018), cette innovation devrait permettre de changer la donne dans l’industrie du paie- ment en permettant à plus de fournisseurs de services financiers et de Fintech d’atteindre de nouveaux clients. Cependant, le coût d’accès à l’USSD au Sénégal est estimé à 20 FCFA par session, ce qui peut augmenter le coût final des services. Si l’on s’en réfère à Safaricom au Kenya et MTN en Afrique du Sud, le coût d’accès à une transaction USSD ressort à respectivement à l’équivalent de 5 FCFA et 8 FCFA. A cet égard, il serait fortement utile que l’ARTP lance une étude comparative des coûts facturés pour l’USSD à travers le monde. Il pourrait en résulter 81 Numéro court ou syntaxe permettant d’avoir accès à une interface appartenant à un opérateur de téléphonie mobile, par exemple #115#. 130 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 5 :  Fintechs au Sénégal Quelques innovations qui ont fait leur preuve au Sénégal démontrent la viabilité tech- nique et commerciale des Fintechs. On peut citer In-touch qui gère le système de paie- ment attaché aux stations-services de la société TOTAL, la société SENTOOL de BBS invest et ATPS. Ces trois Fintechs apportent une solution à l’utilisation des multiples terminaux et interfaces de paiement en proposant des plateformes intelligentes et multi- fonctionnelles qui intègrent les services de transfert d’argent et de monnaie électronique sur une seule et même interface permettant d’effectuer les transactions usuelles comme le paiement des factures d’eau et d’électricité, l’achat de crédit téléphonique, le paiement d’abonnement TV, le transfert d’argent etc. Par ailleurs, on note les succès suivants : MaTontine qui est une plate-forme d’épargne ‘’peer-to-peer’’ mobile avec un système de notation de crédit intégré. Les utilisateurs peuvent utiliser le pointage de crédit pour accéder aux prêts et autres services financiers au Sénégal. En moins d’un an de lancement, la start-up comptait 475 utilisateurs actifs, distribuait des prêts d’une valeur de 12 000 $ avec un taux de défaut de 0%. Il y a aussi PayDunya, une solution de paiement qui permet aux particuliers et aux entreprises de collecter et d’effectuer des paiements avec ou sans compte bancaire. Le démarrage facture aux commerçants une commission de 4% pour chaque paiement de 18 cents (100 FCFA). PayDunya a embarqué une trentaine de marchands au Sénégal dans les deux ans suivant le lancement du traitement d’une moyenne de 60 000 $ par mois. une facturation allégée pour les transactions financières via USSD. La réduction potentielle de recettes immédiates pour l’État serait compensée par un gain sur le volume de transactions sur le long terme. L’absence de cadre règlementaire spécifique aux Fintechs constitue un frein à l’évolution optimale de la finance numérique. Actuellement au Sénégal, de nombreux jeunes entrepre- neurs de l’espace Fintech expriment une volonté de créer des solutions innovantes qui pourraient donner un fort essor à la finance numérique. Ces entreprises souffrent du manque d’un cadre réglementaire pour le secteur FinTech. Cette situation est un obstacle sérieux au développement de la finance numérique. En effet, certaines Fintechs sont considérées comme des « Opérateurs Techniques » par le régulateur bancaire. Ils ne peuvent trouver leur salut qu’en évoluant pour devenir des EME (Etablissement de Monnaie Electronique), mais le ticket d’entrée est très élevé car le capital demandé aux EME (300 millions de CFA) est une réelle barrière à l’entrée. Le programme BALI de la Banque mondiale recommande l’adoption de cadres règlementaire propices aux Fintechs. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 131 Le dispositif de protection du consommateur n’est pas en adéquation avec l’évolution du numérique. Le cadre de protection du consommateur financier est peu connu et peu appli- qué, ce qui constitue un risque pour la confiance du consommateur : la loi sur la protection des données personnelles, la loi sur la cybercriminalité, le mandat de l’Observatoire de la Qualité des services financiers ne couvrent pas le périmètre du numérique. Le danger est que sans protection, des incidents et des abus se multiplient, sapant la confiance et, partant, la dyna- mique de développement sur le long terme. De plus, personne ne joue le rôle de comparateur de prix. Or la transparence est non seulement bonne pour la concurrence mais aide aussi à créer ce climat de confiance pour les usagers. Le programme BALI, à nouveau, recommande le renforcement de la capacité institutionnelle, l’amélioration de la communication et l’expan- sion de l’éducation financière comme éléments clés d’un meilleur développement de la finance numérique. Il convient toutefois de relever qu’un certain nombre de risques accompagnent l’intro- duction de la technologie dans les services financiers. Ceux-ci ont trait notamment à la cybercriminalité et aux cyber-attaques qui constituent aujourd’hui un fléau en Afrique de l’Ouest. A cet égard, le Sénégal a mis en place une brigade de lutte contre la cybercriminalité pour accompagner les efforts de finance inclusive. Sur la base d’une stratégie nationale de cybersécurité de 2022, le GoS a procédé à l’évaluation du contexte stratégique de la cybersé- curité, y compris les menaces actuelles et futures. Le gouvernement sénégalais reconnaît les rôles et les responsabilités des différentes parties prenantes dans la protection des intérêts sénégalais dans le cyberespace et s’engage à collaborer et à coopérer avec toutes les parties prenantes de l’écosystème de la cybersécurité dans Sénégal (comme l’administration publique, les entreprises et d’autres organisations ainsi que les particuliers), avec des organisations hors du Sénégal, ainsi qu’avec des organisations internationales pour protéger le Sénégal dans le cyberespace. Les entreprises financières doivent signaler au régulateur tout incident de cybersécurité et effectuer des tests et des simulations réguliers. Ils doivent surveiller, analyser et gérer en permanence les menaces et les risques, atténuer, préparer, intervenir et traiter les incidents. La stratégie vise à concevoir et mettre en œuvre des scénarios de simulation d’in- cidents de Cyber-sécurité. III. Objectifs de réformes prioritaires Au regard des contraintes précitées, deux objectifs prioritaires pourraient être dégagés en vue de proposer des réformes à court et long terme tout en distinguant celles relevant de l’Etat du Sénégal de celles dépendantes de la BCEAO. Le premier objectif consisterait à renforcer l’utilisation des services financiers numériques par les particuliers, les entreprises et l’Etat ; et le second viserait à développer la distribution des services financiers numé- riques à travers le concept de « Agent banking ». La présente note tentera donc d’apporter 132 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES des solutions de réformes propices au renforcement de l’utilisation des services financiers numériques et à la distribution des services financiers offerts par les différentes institutions et prestataires de services de paiement. Réformes à court terme Faire appliquer l’Arrêté ministériel relatif à la numérisation des recettes et dépenses de l’Administration publique (niveau national) (Validé dans le cadre de l’appui budgétaire de la Banque mondiale). Au regard de l’utilisation massive de la monnaie fiduciaire par l’Etat du Sénégal et de la place importante de l’Etat dans les opérations financières réalisées sur le plan national, le Trésor Sénégalais gagnerait à faire appliquer l’Arrêté ministériel relatif à la numéri- sation des recettes et dépenses de l’Administration publique. Ce texte, signe en Octobre 2018, définit les conditions selon lesquelles tout prestataire de services financiers habilité selon la régle- mentation en vigueur, peut souscrire à un appel d’offre de l’Etat. Cet Arrêté définit également les spécifications techniques ainsi que les exigences de sécurité, d’interopérabilité et de protection des données personnelles nécessaires à la bonne réalisation des transactions. Il conviendrait donc, que l’Etat veille à son application. Fixer par Arrêté ministériel, les conditions et le coût d’accès à l’infrastructure de télécom pour les services financiers numériques en particulier (niveau national). Malgré l’accès libéralisé aux codes USSD comme précédemment indiqué, le coût ressort inaccessible pour certains prestataires. Il conviendrait que l’Etat pousse un peu plus loin ce début de réforme autour de l’USSD pour veiller à réduire ou plafonner les tarifs d’accès à l’infrastructure télé- com, particulièrement pour ce qui concerne les services financiers. Cette mesure pourrait s’apparenter à l’Instruction de la BCEAO portant sur la gratuité des services bancaires. Il pourrait donc être envisage un diagnostic de l’application de la Décision de libéralisation et d’un benchmark exhaustif en vue d’une évaluation de l’impact potentiel de la réduction de l’accès a l’USSD au Sénégal. Prendre un nouveau décret pour élargir de mandat et les attributions de l’Observatoire de la Qualité des services financiers afin d’intégrer les aspects de finance numérique. Pour aller plus loin cet organe pourrait jouer le rôle de comparateur de couts des services financiers afin de permettre aux utilisateurs d’être mieux informer. Enfin, vu l’introduction de la technologie dans les services financiers, il conviendrait d’octroyer à l’OQSF la responsabilité de veiller à l’éducation numérique des populations. Pour ce faire, une réforme institutionnelle de l’OQSF devrait être engagée. Réformes à long terme Adopter une règlementation pour les Fintechs (niveau régional). Vu le nombre important d’initiatives au Sénégal et dans la région UEMOA et au regard du nombre croissant d’utilisateurs DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 133 de monnaie électronique, il serait opportun de fixer les conditions d’exercice de l’activité de fin- tech comme cela a été le cas au Mexique. Une note de concept présentant les risques et diverses actions à entreprendre par les banques centrales, est en cours d’élaboration par la Banque mon- diale sur financement de FIRST Initiative. Finaliser et mettre à jour la loi sur les transactions électroniques afin de prendre en compte la signature électronique (niveau national). Il est recommandé que l’Etat mette à jour la loi 2008 du 25 janvier 2008, en vue d’englober un dispositif clair de signature électro- nique au Sénégal. Cette mise à jour permettrait aux prestataires de certification électronique de fournir des certificats aux institutions financières, telles que Orange Money, qui en font la demande. Réduire le montant de référence fixé dans l’Instruction de la BCEAO relative à la promotion de la bancarisation et de l’utilisation des moyens de paiement scripturaux, de 100 000 FCFA à 50 000 FCFA (niveau national et régional). Cette Instruction, prise en 2002, en dérivé de la Directive 2002 sur le même objet, vise à encourager les Administrations publiques à une plus grande numérisation des paiements de l’Etat. Cette mesure a permis la numérisation du salaire de l’ensemble des fonctionnaires de l’Etat dans la zone UMOA dont le montant est supérieur ou égal à 100 000 FCFA. Plus de 15 ans après l’entrée en vigueur de cette Instruction et au regard de l’évolution des moyens de paiement scripturaux, il conviendrait de revoir ce seuil à la baisse en vue d’englober plus de transactions. Définir et mettre à jour des conditions d’exercice pour l’intermédiation des services financiers (niveau régional). Pour qu’il fonctionne au Sénégal, le modèle d’affaires « Agent Banking » nécessite une réforme du cadre réglementaire des intermédiaires en opérations de banques et de SFD. A cet égard, la Banque mondiale propose à la BCEAO des points de révision de la réglementation des IOB, notamment portant sur la loi bancaire qui concerne- rait : un assouplissement des conditions d’exercice et la fixation de règles pour le secteur de la microfinance en particulier. A cet égard, il est proposé une réforme de la règlementation et de la supervision des inter- médiaires en opérations de banque qui pourrait se faire en deux phases (niveau régional). La première impliquerait d’aligner le régime des IOB sur celui des distributeurs de mon- naie électronique, en intégrant la spécificité d’une offre de services bancaires complète. La deuxième consisterait à une modification de la loi bancaire en ses articles 38 et 105 afin de permettre un régime hiérarchisé : il s’agira de créer un modèle qui permettrait l’existence de « Super agents» et «agents simples» avec des exigences hiérarchisées, selon une approche modulée en fonction des risques (Risk Based Approach). Les exigences relatives aux «agents simples» pourraient être conformes à celles fixées dans l’instruction 008–05–2015 sur les émetteurs de monnaie électronique. 134 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Adopter un Règlement sur l’interopérabilité des paiements numériques (niveau national). Au regard de l’existence des initiatives de paiement en boucles fermées (Orange, YUP, TigoCash, Wari), il conviendrait que le Sénégal adhère très rapidement au projet régional d’interopérabilité piloté par la BCEAO et le GIM UEMOA. Cette implication pourrait se matérialiser par l’adoption d’un règlement pour l’interopérabilité des plateformes qui pourrait évoluer en un texte régional. Cette mesure inciterait à une meilleure organisation de l’intero- pérabilité sur le territoire et induirait a long terme une hausse du volume d’utilisation et une baisse des tarifs. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 135 Annexe 1 : Chaine des réformes prioritaires et acteurs concernés OBJECTIFS DE REFORME REFORMES PROPOSEES NIVEAU Veiller à l’application du nouvel Arrêté Ministériel sur la numérisation des recettes et dépenses de l’Etat Fixer par Arrêté Ministériel, les conditions et le coût d’accès à l’infrastructure de télécom pour les services financiers numériques en Renforcer l’utilisation particulier des services financiers National numériques par les Finaliser et mettre à jour la particuliers, les loi sur les transactions entreprises et l’Etat électroniques afin de prendre en compte la signature électronique Adopter un Règlement sur l’interopérabilité des paiements numériques Réduire le montant de référence fixé dans l’Instruction relative a la promotion de la bancarisation de FCFA 100 000 a FCFA 50 000 Régional Développer la distribution Définir et mettre à jour des des services financiers conditions d’exercice pour numériques à travers le l’intermédiation des services concept de “Agent financiers banking” 136 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Annexe 2 : Indicateurs pour les services financiers numériques Indicateurs Source 4 Services financiers numériques 4.1 Utilisation 4.1.1 Utilisation de services financiers numériques 4.1.1.1 % adultes détenant un compte de monnaie électronique 42.3% adultes utilisant l’internet ou le téléphone portable pour accéder à un 4.1.1.2 %  29.4% compte de transaction adultes effectuant ou recevant des paiements numériques dans les 4.1.1.3 %  39.5% 12 derniers mois adultes qui utilisent l’internet pour payer des factures ou acheter des 4.1.1.4 %  10.4% articles en ligne dans les 12 derniers mois 4.1.1.5 % paiements agricoles via les paiements digitaux Non disponible 4.1.1.6 % adultes envoyant et recevant des transferts d’argent via un compte 23.9% 4.1.1.7 % adultes recevant leurs salaires via des canaux digitaux 39% 4.1.1.8 % volume de transactions électroniques per 1000 adultes 8772 4.2 Politique et Règlementation 4.2.1 Accès à l’industrie paiements de masse/numériques par capita offert par les établissements 4.2.1.1 %  15,04 non bancaires 4.2.2 Canaux de livraison & Innovation 4.2.2.1 % Adultes ayant reçu un paiement du gouvernement via un canal numérique 7% 4.2.2.2 % Nombre de points d’accès pour 100 000 adultes (e.g. agent,TPE, GAB) 340 4.2.2.3 % de comptes ouverts à distance Non disponible Bibliographie Rapport sur les services financiers numériques dans l’UEMOA, 2017. Loi 2008 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques. Directive 2002 sur la promotion de la bancarisation et de l’utilisation des moyens de paiement scripturaux dans l’UEMOA. Rapport sur la numérisation des paiements au Sénégal, Décembre 2018. Les Services financiers numériques (SFN) au Sénégal, UNCDF. Rapport du Findex 2017. Evolution des indicateurs de suivi de l’inclusion financière, BCEAO. DÉVELOPPER LA FINANCE NUMÉRIQUE AU SÉNÉGAL 137 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES POUR UNE RÉFORME DU SECTEUR DES TRANSPORTS Résumé exécutif Contexte. Le secteur des transports joue un rôle essentiel dans l’économie sénégalaise. Il constitue un maillon fondamental de la chaine liant les zones de production aux centres de consommation ; c’est éga- lement un acteur clé de l’insertion du pays dans le commerce international, qu’il soit à destination de l’Eu- rope, des Amériques ou de l’Asie, ainsi que des échanges avec les autres pays de l’Afrique de l’Ouest (le Sénégal est typiquement une porte d’entrée naturelle pour des pays enclavés comme le Mali) ; c’est enfin le secteur qui permet aux personnes de se déplacer pour accéder aux services, notamment ceux en appui au capital humain comme l’école, la santé, la protection sociale, ainsi qu’aux marchés et aux emplois. Avec le déclin du chemin de fer et du transport maritime et fluvial, hors import-export, près de 98% du transport intérieur sénégalais se font aujourd’hui par la route. Le Sénégal a récemment densifié son réseau routier et autoroutier mais également a lancé la mise en œuvre de grandes infrastructures de transport (Aéroport Blaise Diagne, Trains Express Régional, Bus Rapide Transit, etc.). Objectif. Cette note a pour objectif de mettre en avant quelques-uns des grands défis du secteur des transports et de proposer des mesures et politiques concrètes de court et moyen terme qui permettraient de contribuer à en améliorer l’efficacité. Après un diagnostic succinct du secteur, cette note fait un bilan des progrès récents et identifie certaines des contraintes importantes qui restent à résoudre. Sur cette base, une série de réformes structurelles concrètes de court (1 an) et moyen terme (5 ans) est proposée qui devrait permettre de mieux faire jouer au secteur son rôle d’accélérateur de la croissance en appui à la stratégie d’émergence du Gouvernement. Résultats attendus. Au travers de ce diagnostic et des recommandations de réformes proposées, cette note vise à informer le Gouvernement sur les mesures concrètes qui pourraient être prises dans une série de sous-domaines du secteur pour en améliorer l’efficacité en appui à la stratégie de développement du pays. Les thèmes analysés couvrent l’organisation institutionnelle du secteur, ainsi que les sous-secteurs du transport de marchandises et de la logistique, du transport urbain, de la sécurité routière et de la gestion du patrimoine d’infrastructures, notamment la route. Résultats attendus. Au travers de ce diagnostic et des recommandations de réformes proposées, cette note vise à informer le Gouvernement sur les mesures concrètes qui pourraient être prises dans une série de sous-domaines du secteur pour en améliorer l’efficacité en appui à la stratégie de développement du pays. Les thèmes analysés couvrent l’organisation institutionnelle du secteur, ainsi que les sous-secteurs du transport de marchandises et de la logistique, du transport urbain, de la sécurité routière et de la gestion du patrimoine d’infrastructures, notamment la route. 138 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES POUR UNE RÉFORME DU SECTEUR DES TRANSPORTS Eric Lancelot et Papa Modou Ndiaye Table des matières82 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 II. Les contraintes clés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 Une organisation institutionnelle qui pourrait être rationalisée . . . . . . . . . . . . . . . . 140 Un système de transport et logistique dont l’intégration pourrait être améliorée . . . 142 Un système de transport urbain en avance par rapport à bien des pays africains mais qui reste à professionnaliser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Une insécurité routière source de préoccupations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 Un réseau routier à préserver . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 III. Options de politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 Optimiser l’organisation institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 Intégrer le système de transport et logistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Professionnaliser le système de transport urbain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Améliorer la sécurité routière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 Améliorer la gestion du réseau routier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 IV. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 82 La revue technique par les pairs a été effectuée par Tojoarofenitra Ramanankirahina et Grégoire F. Gauthier. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 139 I. Introduction Le secteur du transport, outre son rôle direct dans la formation de PNB83, est un facteur clé de la productivité de la plupart des fonctions économiques : c’est un maillon essentiel de la chaine entre les zones de production et les centres de consommation ; c’est également un acteur clé de l’insertion du pays dans le commerce international, qu’il soit à destination de l’Europe, des Amériques ou de l’Asie, ou des échanges avec les autres pays de l’Afrique de l’Ouest (le Sénégal est typiquement une porte d’entrée naturelle pour des pays enclavés comme le Mali) ; c’est enfin le secteur qui permet aux personnes de se déplacer pour accéder aux services, notamment les services sociaux, mais également l’éducation, aux marchés et aux emplois. Le Sénégal dans le cade de la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE) a opté pour le déve- loppement d’infrastructures de transport de qualité. D’importantes infrastructures ont été réali- sées notamment l’extension du réseau d’autoroutes, la réalisation du nouvel aéroport international de Diass, l’aménagement de grands axes routiers à l’intérieur du pays, le lancement de projets structurants de transport public. Or, si le Sénégal dispose de réseaux déjà relativement développés d’infrastructure en comparaison de certains pairs, des efforts importants restent à consentir pour en améliorer la ges- tion et accroitre globalement la productivité du secteur au-delà de la construction d’infrastructures nouvelles. La relative inefficacité du secteur et ses impacts s’illustrent par des indicateurs tels que : (i) le cout de congestion, qui était évalué à 2% du PIB en 1998 (Etude Banque mondiale) et qui a littéralement explosé avec la croissance de la motorisation et des déplacements, notamment à Dakar, au cours des 20 dernières années ; (ii) l’indice de performance logistique (Banque mondiale), qui place le Sénégal a la 141ieme place sur 160 pays, en dégradation constante depuis des années (132/160 en 2016); (iii) une matrice des transports déséquilibrée en faveur de la route et, de plus en plus, du transport individuel, et des infrastructures routières dont l’entretien reste insuffisant, provoquant un surcout estimé à 4,6% du PIB annuel (IFC, 2016). L’objet de cette note est de mettre en avant quelques-uns des grands défis du secteur et de proposer des politiques concrètes qui permettraient de contribuer à en améliorer l’efficacité. II.  Les contraintes clés Une organisation institutionnelle qui pourrait être rationalisée Trois ministères ont la tutelle du secteur du transport et de la logistique, dont les attributions sont résumées comme suit : 77 Le Ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement est en charge (i) de l’élaboration des politiques de transports urbains et inter urbains, du 83 Les entreprises de transports du secteur moderne ont totalisé un chiffre d’affaires de 451,5 milliards de FCFA en 2013, en hausse de 3.1% par rapport à 2012. 140 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES développement du réseau ferroviaire tant national qu’international et des politiques d’inter- modalité et du développement des plateformes multimodales ferroviaires et portuaires ; (ii) de la continuité territoriale et du désenclavement terrestre de l’espace national par la mise en place d’infrastructures routières et ferroviaires sur le territoire national et leur maintenance, y compris les ouvrages de franchissement (ponts, bacs . . . ) et les pistes, notamment dans les zones rurales, ainsi que la mise en cohérence des réseaux d’infrastructures et d’équipements publics pour une meilleure prise en charge des besoins des populations ; 77 Le Ministère du Transport aérien est en charge de (i) l’élaboration des politiques de trans- port aérien, le développement du sous-secteur, le contrôle et la sécurité ; (ii) la mise en place de la qualité et du bon fonctionnement de l’ensemble des infrastructures aéroportuaires et la mise en cohérence des réseaux d’infrastructures et d’équipements aéroportuaires pour une meilleure qualité du service ; 77 Le Ministre de la Pêche et de l’Economie maritime (i) a la tutelle de la Marine marchande et de toutes les structures en charge de la construction et de la maintenance navales et (ii) est en charge de la mise en place et du développement d’infrastructures portuaires et en parti- culier des ports secondaires. Au sein de ces ministères, la gestion des activités est articulée autour (i) de services publics centraux (DR, DTR, CFP/TP, etc.) chargés de missions régaliennes de planification/ programmation, de régulation, de suivi et de contrôle, et (ii) d’entités jouissant d’une personnalité juridique et d’une autonomie administrative et financière (AGEROUTE, FERA, CETUD, DDD, PTB, ANCF, PAD, etc.) qui assurent les activités opérationnelles de gestion. La gestion et le développement du secteur des transports fait également intervenir des services de la Présidence de la République, de la Primature et de plusieurs autres ministères qui ont souvent des missions transversales. Enfin, les collectivités territoriales ont également un rôle, bien que certaines prérogatives restent à définir comme précisé plus loin dans le rapport. La séparation des différents modes de transport entre ministères et la multiplicité d’interve- nants et agences ne favorise pas l’élaboration de politiques multimodales et la coordination des stratégies au sein du secteur des transports pourtant nécessaire pour en améliorer l’efficacité. Le secteur a en effet fait l’objet de nombreux plans stratégiques (stratégie nationale de transport en milieu rural, lettre de politique sectorielle de transport, lettre de politique des déplacements urbains/LPDU 2015–2020, stratégies sous-sectorielles), sans coordination et cadrage d’ensemble. En a résulté une certaine prolifération de projets et d’initiatives. Les principaux points sur les- quels une attention devrait être portée incluent : 77 Une relative fragmentation de l’organisation institutionnelle du secteur. Une rationalisa- tion serait recommandée, a tout le moins, des mesures de coordination fortes, sans quoi l’intégration du transport et de la logistique tant du point de vue des modes de transport qu’entre les différentes juridictions restera limitée et continuera d’impacter de manière négative l’efficacité du secteur ; APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 141 77 L’inadéquation entre les missions et les moyens des services publics chargés des missions régaliennes (politiques, planification et programmation, normalisation, suivi et contrôle) dépendant du Budget de l’Etat. De même, la disponibilisation de ressources financières suf- fisantes et régulières pour les institutions autonomes (comme par exemple dans le cas de la route – voir section 2.5) est cruciale pour une bonne gestion du secteur ; 77 L’absence d’outils nationaux de planification de développement du secteur, notamment un Plan national de moyen à long terme de Transport et de logistique et des Schémas et plans directeurs, grève également la possibilité d’une meilleure intégration du secteur pour un appui plus efficace au reste de l’économie ; 77 Enfin, alors que le Sénégal a recours de manière accrue au secteur privé pour l’investissement et la gestion des infrastructures de transport (e.g. 3 terminaux portuaires sont en concession dans le port de Dakar, la première autoroute du pays a été réalisée dans le cadre d’un partena- riat public privé, les nouvelles initiatives de transport urbain telles que le BRT se font dans le cadre de PPP, etc.), le pays manque encore d’un cadre clair de régulation de ce type de contrats. Cette fragmentation pourrait être expliquée par les fortes attentes des différents partenaires institutionnels et/ou politiques mais aussi par l’influence de certains bailleurs de fonds dans la création de structure ad hoc pour gérer tel certains de leurs projets. Un système de transport et logistique dont l’intégration pourrait être améliorée Le système national de transport comprend tous les modes classiques (routier, ferroviaire, aérien, et maritime) mais il pourrait être plus intégré. En outre, le transport fluvial et le cabo- tage maritime sont encore peu développés alors qu’ils pourraient avoir un certain potentiel. Avec la quasi-disparition du chemin de fer et le rôle très marginal joué par le transport aérien et le transport fluviomaritime, le transport intérieur de marchandises est largement dominé par le mode routier. Il en est de même pour le transport sous régional : si les échanges extérieurs du Sénégal sont assurés par voie maritime à plus de 95%, le transport routier et accessoirement, le transport ferroviaire, sont essentiels pour les échanges avec les pays voisins, particulièrement le Mali. Certains corridors jouent ainsi un rôle important pour l’économie sénégalaise, tels que le corridor Dakar-Bamako ou encore le corridor Trans-Gambien. Les indices composites permettant de comparer l’efficacité relative du transport et de la logis- tique du Sénégal par rapport à ses principaux concurrents montre que des progrès sont possible. Le Sénégal s’est classé 141e sur l’indice de performance logistique 2018 (LPI, 2018) avec un score de 2,25, en détérioration par rapport à 2016, ou ils se classait 132e avec de meilleurs indicateurs de compétences douanières et logistiques. Par ailleurs, le Sénégal se classe aujourd’hui 141ème/190 sur l’indicateur Doing Business Trading Across Borders (2019). Ces scores sont globalement meilleurs que la moyenne pour l’Afrique sub-Saharienne, sauf pour les indicateurs de couts d’importation, mais restent insuffisant pour appuyer les ambitions du Sénégal à l’échelle internationale. 142 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES LPI score 2018 Mali Customs Region: Sub- 3.5 Saharan Africa Senegal Timeliness 2.5 Infrastructure 1.5 Tracking & International tracing shipments Logistics competence Pour le transit de marchandises, la performance des services douaniers et les pratiques des professionnels aux lieux de contrôle affectent significativement la durée du transport et le coût des marchandises à leur destination. Plusieurs aspects sont à prendre en compte : le régime général des douanes, les contrôles au port de Dakar et le traitement des marchandises en transit vers le Mali, qui représente l’essentiel du trafic de transit au port. Les régimes doua- niers ont été grandement améliorés par la récente réforme du secteur douanier, mais l’exécu- tion des contrôles peut encore être améliorée, que ce soit en termes de pleine application des accords internationaux ou de méthodes de travail. Les circuits de dédouanement au sein du port sont classiques et les temps de contrôle en amélioration pourraient encore être raccour- cis. Des procédures douanières efficientes au niveau des postes frontières sont primordiales, notamment en assurant leur interconnexion avec Dakar. Le service des douanes dans le port de Dakar est de la responsabilité de la Direction générale des douanes. Les procédures sont dématérialisées avec l’usage du système ORBUS qui est le guichet électronique unique pour la soumission des documents d’importation. Le taux moyen de contrôle physique de 10% est cohérent avec le contexte local et le niveau probable de fraude, mais reste significativement supérieur aux pratiques dans des pays plus avancés comme le Maroc (3%) et dans les pays euro- péens (moins de 1%). Globalement, le temps de dédouanement et autres formalités portuaires était estimé de 3 à 7 jours à l’importation, et à 2 jours pour les exportations du fait de l’absence de procédure douanière lourde en 2016. Les durées d’ouverture des bureaux des douanes sont un goulot d’étranglement, et pour le trafic de transit le passage au scanner peut représenter 2 jours en raison de la saturation des bornes de pesage gérées par la Chambre de Commerce, d’Industrie et Agriculture de Dakar (CCIAD). APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 143 Le corridor routier Dakar-Bamako est peu performant en comparaison des autres corridors dans la sous-région. Avec 2,8 MT en 2014, le trafic sur ce corridor a connu une forte croissance depuis 2005, notamment du fait des troubles politiques en Côte d’Ivoire à la fin des années 2000 et la déliquescence du service ferroviaire. Pour autant, les coûts de transport sur le corridor étaient estimés à 30% de la valeur des marchandises en 2016, alors que les couts d’un transport com- pétitif devraient se situer entre 8–15%. Le temps moyen nécessaire pour que les marchandises atteignent Bamako depuis Dakar en 2015 était de 23,7 jours, avec un minimum de 10,8 jours et un maximum de 37 jours. Le principal facteur contribuant à la durée est le temps que la mar- chandise passe dans le port de Dakar, 13 jours en moyenne. La variation dans la durée totale du trajet est également liée au temps passé au port, qui va d’un minimum de 4,5 jours à un maximum de 18 jours (par comparaison, le temps de passage dans le port d’Abidjan est de 11 jours, celui dans le port de Lomé de 9 jours). Outre les questions du port et du partage modal, l’efficacité modeste du corridor tient en partie à la structure de marché du fret largement dominée par les transporteurs maliens par camion du fait d’accords internationaux. Le protocole d’accord avec le Mali, formalisant l’ap- plication des quotas de répartition du fret en transit par le port de Dakar (2/3 pour les trans- porteurs maliens, 1/3 pour les transporteurs sénégalais ; hydrocarbures pour les maliens), et l’application du quota de répartition du fret régional (50/50 pour les transporteurs maliens et sénégalais), ainsi que la modernisation récente de la flotte malienne ont pour conséquence que la grande majorité des transports routiers sur le corridor est assurée par des camions maliens, avec une part de 70% recensée au poste de pesage de Diamniadio (12/2016). Il en résulte que le cout kilométrique du transport sur le corridor est supérieur à celui d’autres destinations dans le pays. L’inefficacité du corridor Trans-gambien a longtemps été une des contraintes majeures au désenclavement de la Casamance. La transition politique en 2016 en Gambie et le lancement de la construction du pont de Farafeni sur le fleuve Gambie, inauguré le 21 janvier 2019 et qui permettra de réduire de moitié la distance de transport entre la Casamance et le reste du pays, offrent autant d’opportunités d’aider au désenclavement de la région et à son inclusion dans l’économie nationale. Néanmoins, des défis importants restent à dépasser pour assurer un fonctionnement pérenne du corridor : une clarification de la prise en charge des couts de main- tenance non seulement du pont, mais également (et surtout) des routes d’accès, qui risquent d’avoir à faire face à un trafic dense de poids lourds Sénégalais (un péage pourrait être envisagé); la facilitation du transit douanier et du passage aux frontières ; le développement d’activités économiques autour du corridor également du côté gambien. Faute d’un accord équilibré entre les deux pays, le risque de tensions à l’avenir n’est pas à écarter. La professionnalisation des opérateurs de transport routier est faible. Le transport interurbain de marchandises (ainsi d’ailleurs que de personnes) encore très informel est notamment caractérisé par : (i) un accès à la profession non assujetti à des critères de capacités financières, techniques et professionnelles ; (ii) des exploitants qui sont des artisans et des transporteurs-chauffeurs dans leur 144 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES grande majorité et ne bénéficient pas de formation ou de perfectionnement professionnels ; (iii) des infrastructures d’appui (gares routières, bureau de fret) inexistantes ou dont la gestion pourrait être améliorée ; (iv) une connaissance insuffisante du marché du transports et de ses acteurs ce qui rend difficile l’amélioration de leur organisation ; (v) des véhicules vétustes (85 % ont plus de 10 ans pour le transport de marchandises, une moyenne d’âge de 25 ans pour le transport de personnes) et ne peuvent être renouvelés sans l’assistance de l’Etat ; et (vi) des titres de transport insuffisamment sécurisés. Toutefois, l’Etat du Sénégal a entrepris un projet de modernisation et de sécurisation des titres de transport, de production et de pose de plaques d’immatriculation des véhicules à moteur, y compris les motocycles, vélomoteurs, cyclomoteurs, tricycles et quadricycles basé sur un système fiable reposant sur des supports modernes et infalsifiables. Les principales contraintes du transport de marchandises sont : (i) l’omniprésence du trafic routier et le manque de coordination intermodale ; (ii) la faible capacité des acteurs, notam- ment dans le secteur privé, et le recours insuffisant aux outils modernes de gestion (e-plateformes, bourses de fret, etc.), (iii) la qualité insuffisante des infrastructures notamment du fait du manque de maintenance (voir section 5), et la vétusté du matériel roulant, insuffisamment contrôlé, (iv) l’ef- ficacité relative des services publics (douanes, ports, police etc.) dans l’exécution de leurs mandats. Un système de transport urbain en avance par rapport à bien des pays africains mais qui reste à professionnaliser Le Sénégal est marqué par une histoire longue de planification et d’organisation du secteur des transports urbains, notamment dans la ville de Dakar. Ces politiques engagées depuis de nombreuses années ont permis l’amorce de transformations vertueuses pour le secteur dans la région capitale qui devraient notamment se concrétiser par la mise en place de nouveaux sys- tèmes modernes de transport (TER, BRT). Toutefois, on observe un développement à deux vitesses dans le pays où les villes secondaires accumulent un retard important principalement dû à un processus de décentralisation qui n’a pas encore permis d’instaurer un cadre de gouvernance clair et des niveaux de financement suffisants. Le taux de motorisation des ménages ne cesse de croître ainsi que la congestion. Si le nombre de véhicules en circulation dans le pays a presque doublé sur la dernière décennie (de 380,000 en 2005 à 660,000 véhicules en 2015), le taux d’équipement de la population était estimé à 44 véhicules/1,000 habitants dans l’agglomération de Dakar en 2015. C’est encore très en deca des taux d’équipement des pays développés, ce qui conforte le Gouvernement dans ses choix de support aux grands projets de transport public dans l’agglomération de Dakar et milite pour un engagement ambitieux également dans les villes secondaires. Des progrès ont été faits pour le transport urbain dans l’agglomération de Dakar avec le renou- vellement de plus de 1 300 minibus et la concession de 56 lignes à 14 GIE dont les membres ont bénéficié d’actions d’encadrement et de formation visant à les professionnaliser. Cependant, APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 145 Nombre de véhicules 2006-2015 Source : SSATP, mars 2018, Politique de mobilité et d’accessibilité durables dans les villes sénégalaises 40% du transport en commun est encore assuré par les autocars « cars rapides » et les « Ndiaga Ndiaye » dont l’exploitation est très informelle. Par ailleurs, le niveau de service des axes lourds (DDD et PTB) s’est dégradé et leur part dans le transport en commun se situerait à un modeste 11% (EMD 2015), ce qui ne leur permet pas de jouer leur rôle de modes de transport struc- turants. La marche à pied en milieu urbain qui est le moyen de déplacement de loin le plus important, n’a pas encore fait l’objet de toute l’attention qui s’impose du fait de son importance et de son impact positif sur la mobilité. Les enjeux du transport urbain à Dakar sont (i) Une ville en forte croissance démographique ; (ii) Une motorisation croissante des ménages ; (iii) Une expansion urbaine contrainte sur la Presqu’île du Cap Vert et qui s’étend vers l’intérieur des terres ; (iv) Une faible mixité du tissu urbain ; (v) Une part importante de déplacements à pied, faiblement pris en compte dans la planification ; (vi) Un système de transports publics reposant largement sur les transports artisa- naux professionnalisés ou non et des entreprises conventionnées souffrant d’insuffisances finan- cières; (vii) Un parc de véhicules vieillissants, notamment pour les taxis exclus de programmes de renouvellement ; (viii) Une congestion dont la croissance rapide est préoccupante compte tenu du taux de motorisation encore relativement faible des ménages et qui résulte en partie de l’absence de gestion de la circulation et du stationnement ; (ix) Des projets de transport public de masse en préparation qui transformeront le système actuel de transports et (x) Un niveau de pollution de l’air élevé, notamment du fait du trafic automobile, de normes insuffisamment stricte et de l’absence de contrôle. 146 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES D’une manière générale, l’amélioration des services de transport urbain dans l’agglomération de Dakar et dans les capitales régionales, est entravée par un développement incontrôlé de modes de transports insuffisamment réglementés (taxis, véhicules à traction animale, véhicules à deux roues) au détriment des transports en commun, de la circulation urbaine et de la sécurité routière et un non-respect des textes législatifs et réglementaires. L’absence de schémas de gouvernance clair dans les villes secondaires constitue également une des contraintes majeures des services de transport. Les contraintes principales du transport urbain en termes de gouvernance sont : (i) le manque de clarté dans la répartition des compétences entre les agences nationales (entre structure de projets et institutions et entre les différentes agences) ; (ii) les capacités limitées au sein des ministères ; (iii) le manque de clarté dans la définition du rôle des collectivités locales en matière de transport et de mobilité, pas résolu dans le cadre de l’acte III de la décentralisation, tant pour les compétences relatives à la gestion de la circulation et du stationnement qu’en matière de pla- nification et de régulation des transports dans les villes secondaires. Cela s’illustre par le manque de cohérence dans la définition du périmètre d’intervention du CETUD, qui a une envergure nationale mais une compétence limitée par les textes à Dakar. Au vu des enjeux et défis de la mobilité et des transports urbains à Dakar, le rôle du CETUD doit être essentiellement focalisé sur Dakar et, comme le prévoit les textes, intervenir à la demande pour assister les collectivités territoriales dans la construction et la gestion de leur système de déplacements. Un plaidoyer sur l’importance de la gestion du trafic urbain et l’amélioration des compétences des collectivités locales doit également être envisagé. Par ailleurs, le secteur doit faire face à l’absence de financement durable de la gestion des transports urbains. Depuis 2005, un Fonds de Développement du Transport Urbain (FDTU) a été créé pour financer le CETUD et les actions de développement des transports urbains. Ce fonds n’est toutefois pas suffisant et le CETUD manque de ressources humaines et financières pour assurer son rôle de régulateur et de planificateur. Ce manque structurel a été mis en exergue par l’audit de la structure en 2014, sans que les mesures recommandées ne soient appliquées. Par ailleurs, le FDTU devrait, selon les textes, être alimenté par une participation répartie entre l’Etat, les collectivités territoriales et le secteur privé du transport urbain. En réalité, seul l’Etat alimente le fonds et ni les collectivités, ni le secteur privé (opérateurs de transport public, com- pagnies d’assurance, etc.) n’y participent. Une réforme du FDTU est nécessaire pour assurer la pérennité des actions du CETUD. Cette réforme devra également permettre de clarifier, pour certaines ressources (péages notamment), si elles doivent alimenter le FDTU et/ou le FERA dont les champs d’actions sont complémentaires. Une insécurité routière source de préoccupations Les données en matière de sécurité routière sont limitées. Un Plan national de sécurité routière a été validé en 2012 visant à réduire de 35% le nombre d’accidents de la route d’ici 2020, dans un contexte ou entre 2010 à 2013, le nombre déclaré de morts sur les routes avait augmenté de APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 147 32,5 % et le taux de mortalité de 39,5 %. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le taux de mortalité atteignait alors 27 morts pour 100 000 habitants. Selon le Gouvernement, le nombre de tués sur les routes était substantiellement inferieure à cette estimation, avec un nombre se situant d’environ 600 par an, relativement constant entre 2015 et 2017. Cette divergence résulte principalement du manque de données statistiques exactes disponibles : les chiffres de l’OMS ne sont qu’une estimation ; ceux du Gouvernement, qui paraissent exhaustives avec un recensement via les services de l’Etat – Préfets, Gouverneurs, Police et Gendarmerie – pourraient néanmoins ne prendre en compte que les décès sur la route, omet- tant une partie des décès qui pourraient intervenir quelques jours après les accidents mais seraient directement liés à l’accident. Cette divergence entre les données renforce l’importance d’améliorer la qualité des données statistiques sur la sécurité routière. Souvent en Afrique, les usagers les plus vulnérables (piétons, cyclistes et motocyclistes) sont les premières victimes. Le développement incontrôlé des motos « Djakarta » dans les villes secondaires pourrait accentuer cette situation particulièrement alarmante. Nombre de fatalités routières 2015 Graphic detail : 29 septembre 2017 par THE DATA TEAM Graphic detail Sep 29th, 2017 by THE DATA TEAM Indépendamment des données considérées, la situation de la sécurité routière au Sénégal reste préoccupante. Le nombre de morts est élevé et au mieux reste constant depuis quelques années. Les perspectives sont préoccupantes quand on considère l’accroissement de l’utilisation de la voiture et des transports routiers. Si on se réfère aux données de l’OMS, alors que la morta- lité liée aux autres maladies baisse fortement dans le pays (de l’ordre de 50%), celle liée aux acci- dents de la route a augmenté de plus de 200% au cours des 15 dernières années. La probabilité de mourir dans un accident de la route est 3 à 4 fois plus élevée que celle de mourir du cancer. Or cette mortalité touche généralement en proportion plus les jeunes que les autres catégories de 148 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES personnes, ce qui, outre le drame humain qu’elle constitue, représente un cout économique qui va au-delà du cout du mort tel qu’il peut généralement être évalué, s’agissant de personnes qui auront pour beaucoup pu bénéficier de l’éducation dans laquelle l’état aura bien souvent investir durant 10 à 20 ans, décédées au début de la période de leur vie productive pour la société. Une batterie de problèmes est à l’origine de l’insécurité routière. En premier lieu, c’est un pro- blème d’infrastructure : les infrastructures routières ne sont généralement pas dotées d’équipements de sécurité adéquats (comme les barrières de sécurité, les séparateurs médians, la séparation des flux de transport mécanisés des piétons etc.) et sont insuffisamment maintenus. Ensuite, c’est un problème de véhicules : les technologies de sécurité dans les parcs de véhicules automobiles, dont beaucoup n’ont pas de conditions minimales de sécurité, ne sont pratiquement pas réglementées. Enfin, et surtout, c’est un problème de comportement : les comportements des usagers de la route, qu’ils soient motorisés ou piétons, sont souvent inadéquat, en partie du fait d’une méconnaissance des risques, une compétence insuffisante (notamment pour les conducteurs de véhicules motorisés), mais également en raison d’un certain laxisme des conducteurs résultant en partie du manque de contrôle. De manière générale, l’implication des autorités dans la sécurité routière est insuffisante. Le point de départ pour améliorer la sécurité routière : la mise en place d’une entité auto- nome en charge de la sécurité routière84. L’existence d’une telle entité permettrait de clarifier les responsabilités institutionnelles. Elle aurait notamment pour rôle de définir la stratégie à mettre en place pour réduire l’insécurité routière en milieu urbain, en milieu rural et sur les axes interurbains, de collecter et centraliser les données, d’orienter sa stratégie conformément aux résultats, de coordonner les instances publiques et associatives, de veiller à la mise à jour des textes législatifs et réglementaires, de promouvoir les actions de contrôle et d’assurer la sensibilisation et la communication autour de la sécurité routière. Cette entité devra être dotée de ressources financières pérennes et suffisantes à même d’atteindre les objectifs assignés. Un réseau routier à préserver La route est le mode principal de transport au Sénégal. Le réseau routier classé a une longueur totale de 16 495 km dont 5 956 km de routes revêtues. Le niveau d’aménagement actuel lui per- met de jouer un rôle important d’appui à la gestion du territoire et au désenclavement. En effet : (i) tous les chefs-lieux de région sont reliés à Dakar par des routes revêtues ; et, (ii) les 45 chefs- lieux de départements sont reliés à leurs chefs-lieux de région par des liaisons directes en routes revêtue, à l’exception de Kédougou-Salémata et Kolda-Médina Yoro Foula (travaux en cours). Si globalement le pays est correctement desservi, les disparités régionales d’accès à la route sont fortes, en particulier entre la zone côtière et le reste du pays. En effet, un tiers seulement de la population habite à moins de 2km d’une route carrossable quel que soit le temps, et ce 84 Celle-ci a fait l’objet d’une étude et de recommandations spécifiques dans le cadre d’une étude financée par le SSATP en 2017. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 149 ENCADRÉ 1 : Rôle de l’entités en charge de la sécurité routière Une étude récente de la Banque mondiale financée par le SSATP, propose plus spéci- fiquement que les fonctions de la nouvelle entité en charge de la gestion de la sécurité routière consistent à : 77 Élaborer, mettre en œuvre et améliorer régulièrement un système national de gestion de la sécurité routière au Sénégal, y compris une vision et des objectifs de sécurité routière, ainsi que les processus d’intervention et de gestion requis pour les réaliser ; 77 Élaborer et suivre la mise en œuvre de stratégies et de plans relatifs à la sécurité routière abordant les principaux enjeux liés à la sécurité des routes, des véhicules et des usagers, et les interventions après l’accident ; 77 Mettre en place et gérer des mécanismes de coordination des mesures de planifica- tion, d’exécution et de gestion des activités relatives à la sécurité routière ; 77 Passer en revue les mécanismes législatifs et les mécanismes de conformité qui ont une incidence sensible sur la sécurité routière, y compris la planification, la concep- tion et l’utilisation des réseaux routiers, l’élaboration et l’application des règlements concernant les véhicules, les conducteurs et les transporteurs commerciaux, ainsi que les mesures de rétablissement et de traitement après l’accident, et prodiguer des conseils dans ces domaines ; 77 Élaborer et suivre la mise en œuvre de plans pluriannuels et multisectoriels d’investissement en faveur de la sécurité routière visant à assurer un finance- ment continu des activités dans le domaine de la sécurité routière et la prise en compte des enjeux liés à la sécurité dans les projets et programmes pertinents de l’administration publique ; 77 Élaborer et mettre en œuvre des programmes de promotion des pratiques efficaces de sécurité routière par les autorités publiques, les collectivités, le secteur des entre- prises et les milieux d’affaires, et appuyer des programmes précis dans ce domaine ; 77 Élaborer et gérer des mécanismes de suivi et d’évaluation, y compris des systèmes de gestion des données, nécessaires à la préparation de rapports sur l’amélioration de l’exécution des activités et programmes de sécurité routière et à la promotion de cette amélioration ; Élaborer et mettre en œuvre des programmes de recherche spéciaux à l’appui des acti- vités de suivi et d’amélioration de la sécurité routière, et des programmes de transfert de connaissances visant à renforcer les capacités de gestion de la sécurité routière des autorités publiques, des collectivités, du secteur des entreprises et des milieux d’affaires. 150 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES CARTE 1 : Proportion de la population à moins de 2 km d’une route goudronnée Source : Ageroute données routières, World Pop données sur la population CARTE 2 : Proportion de la population rurale ayant accès à moins de 2 km d’une route Source : Données routières Ageroute, données sur la population WorldPop APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 151 pourcentage baisse quand on s’éloigne du réseau primaire. En outre, le niveau de service varie d’une zone à une autre et la programmation de l’entretien n’est pas toujours respectée. Le réseau routier non classé est insuffisamment connu. La gestion du réseau routier non classé relève des communes en vertu du Code général des collectivités locales (CGCL). Son développe- ment a jusqu’à présent fait intervenir de nombreux acteurs (Services de l’Etat, projets d’appui à la décentralisation, sociétés de développement agricole, etc.) et n’a pas été suffisamment coordonné tant pour ce qui concerne la programmation que le respect de normes techniques routières. Dans les faits, les communes ne disposent généralement ni des ressources ni des capacités pour main- tenir (et encore moins construire) des routes rurales. La maintenance des routes non classées est souvent échue a l’AGEROUTE. Si la condition des routes s’améliore globalement dans le temps, environ un cinquième des routes revêtues et la moitié des routes non revêtues sont encore en mauvais état, et le réseau routier n’offre pas toujours des conditions satisfaisantes de circulation. L’inspection du réseau routier faite par l’AGEROUTE montre que 80% des routes revêtues (2017) sont en état bon et moyen (ce réseau supporte l’essentiel du trafic). S’agissant des routes non revêtues, 53% sont en état bon et moyen. L’évolution de la condition des routes montre une tendance favorable (voir graphique ci-dessous). Néanmoins les efforts doivent être poursuivis, pour permettre au secteur de jouer pleinement son rôle d’appui à l’émergence du pays et de nouveaux enjeux se font jour, du fait de l’âge moyen du réseau. 152 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Source : AGEROUTE, Rapport annuel PERA 2017 Globalement, la qualité du réseau routier reste encore inférieure à la moyenne africaine (voir graphique ci-dessous donnant le classement 2012–2013 du Sénégal) et les efforts doivent encore être renforcés sur l’entretien routier. Classement des réseaux routiers 2012–2013 Source : Banque mondiale, livre blanc sur le transport et la logistique au Sénégal APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 153 La gouvernance de l’entretien routier suit le principe de séparation des rôles et responsabilités conformément aux directives communautaires, notamment celle 11/2009/CM/UEMOA : 77 Les fonctions de planification et de programmation sont exercées par l’AGEROUTE ; 77 La mise en œuvre relève également de l’AGEROUTE, qui contractualise au secteur privé ; 77 Le financement relève quant à lui du Fonds d’Entretien Routier Autonome (FERA). Le financement de l’entretien, qui a bénéficié des réformes du passé, connait néanmoins encore des problèmes. Le financement du FERA provient de la Taxe d’Usage de la Route (TUR) avec la même assiette que la taxe sur les produits pétroliers à hauteur de 54% environ85, et d’une dotation du Budget Consolidé d’Investissement (BCI). Le budget annuel d’entretien géré par le FERA se montait à 62,9 Mds FCFA (96 M€) en 201586, en croissance régulière depuis le début des années 2000 mais sans atteindre un niveau permettant de maintenir l’état du réseau routier, d’autant qu’en 2016, ce budget était reparti en légère baisse pour atteindre 57,4 Mrds FCFA (87,5 M€). Le financement de l’entretien routier fait face à trois niveaux de problèmes ; i. En termes de taux de couverture des besoins, alors que sur les années 2005 – 2009 les financements étaient notoirement insuffisants (22% des besoins estimés sur les sections qui pouvaient être entretenues), la situation s’est progressivement améliorée. Néanmoins, la cou- verture des besoins n’est globalement toujours pas assurée du fait d’allocations budgétaires inférieures aux besoins, une situation qui risque de perdurer : le PTG 2017–2019 évalue les besoins annuels à environ 67 milliards ($120 M) alors que les budgets affectés pour l’entre- tien sont de l’ordre de 53 milliards ($95 M) soit un gap de 14 milliards ($25 M) par an, soit environ 20% des besoins ; ii. En termes de mobilisation des ressources financières. Les difficultés de mobilisation à temps des ressources BCI du fait de l’absence de trésorerie entrainent des retards de paie- ment et par conséquent un ralentissement dans l’exécution des programmes d’entretien routier annuels (PERA). Cela impacte le taux de couverture de la maintenance qui résulte généralement dans une maintenance différée plus couteuse ; iii. Enfin en termes d’utilisation des ressources. Alors qu’en 2014, le budget du FERA avait atteint 52,4 Mds FCFA (80 M€), seulement environ 22 milliards FCFA (33 M€) ont été effectivement dépensés87, soit 42% du budget. Cette sous-mobilisation est un facteur limitant récurrent. En effet sur la période 2009–2014, seulement 77% des fonds alloués au FERA ont été effectivement utilisés88. Cette sous-utilisation des ressources mises à disposition résulte entre-autre d’une planification non-suivie des programmes d’entretiens qui font l’objet de 85 Etat des lieux du secteur transport en 2015 et évaluation de la lettre de politique sectorielle des transports 2010-2015, Ministère des infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement. 86 Direction du secteur parapublic, Ministère de l’économie du Sénégal. 87 Etude sur l’entretien routier dans les pays de l’UEMOA- BOAD, août 2015. 88 Ibid 44. 154 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES réaménagements systématiques en cours d’année souvent liés à des retards dans la passation des marchés et dans l’exécution des services par les entreprises. Cette situation ne s’améliore malheureusement pas de manière durable ; en 2017, le taux d’exécution financière pour l’entretien était de 74%, en baisse par rapport à 2016 ou il était de 87%, avec 55% pour l’en- tretien de routes en terre, 73% de l’entretien courant et 90% pour l’entretien périodique des routes revêtues. Evolution des budgets alloués à l’entretien routier et décaissés (Mds CFCA) Source : Etude sur l’entretien routier dans les pays de l’UEMOA- BOAD, août 2015 La gestion de la surcharge des camions est un facteur aggravant de la détérioration du réseau routier. La surcharge des véhicules en circulation accélère substantiellement la détérioration des chaussées dont le dimensionnement ne correspond pas aux poids à l’essieu des camions qui y circulent89. La conséquence immédiate est la réduction de la durée de vie du patrimoine routier soumis à ces surpoids et l’accroissement des couts de gestion de l’infrastructure sur le cycle de vie de la route du fait à la fois de l’accroissement des couts d’entretien courant de l’infrastructure et du besoin de réinvestir plus lourdement et plus tôt pour la récupération des défauts majeur, via des programmes lourds de réhabilitation et/ou reconstruction. La surcharge des camions provoque également un accroissement des couts de gestion des véhicules à la fois des propres camions en surpoids, car ces derniers ne sont généralement pas construits pour de telles utilisations, ainsi que de manière plus générale pour l’ensemble du trafic routier, du fait de la détérioration accélérée des infrastructures et des impacts que cela a sur l’usure des véhicules. Au-delà, la surcharge des camions est également un facteur d’accroissement de l’insécurité routière. Les modèles démontrent un accroissement de l’agressivité du martellement des roues sur le revêtement par un facteur 89 de puissance 4 à 7 pour les trafics au-dessus des standards techniques. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 155 Le Sénégal, a l’instar des pays de l’UEMOA, est en théorie soumis à l’application du règle- ment 14, relatif à l’harmonisation des normes et des procédures de contrôle du gabarit, du poids et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises. Cependant, le règlement 14 de l’UEMOA n’est pas appliqué dans son intégralité sur le territoire même si des efforts récents ont pu être observés. Ainsi les camions ne sont que trop rarement contrô- lés et les surcharges à l’essieu sont généralisées avec un cout évalué à près de 45Mrds FCFA par an en termes de travaux supplémentaires d’entretien et de réhabilitation des routes. Les raisons principales qui semblent être à l’origine de cette non-application du règlement 14 incluent des justifications plus ou moins rationnelles et plus ou moins officielles. Il est ainsi souvent évoqué la crainte que l’application stricte du règlement 14 puisse faire perdre l’attrac- tivité du Sénégal par rapport à ses concurrents dans la région pour les itinéraires de desserte sous-régionale (en particulier le Mali). L’activisme de lobbyistes du secteur des camions, qui peuvent le cas échéant faire intervenir leurs autorités de tutelles dans le cas des camionneurs du Mali qui sont en situation de quasi-monopole sur la desserte de Bamako via le Sénégal, n’est pas à sous-estimer. De même, la crainte d’un renforcement de la fraude au niveau des contrôles pourrait y contribuer. Pourtant, les bénéfices de l’application de cette norme sont potentiellement substantiels en termes de réduction de couts pour la société (sans compter les bénéfices politiques liés a l’image du pays comme leader dans l’application de normes de l’UEMOA), alors que les couts, ou les risques, sont somme toutes limités et essentiellement liés un mécontentement temporaire des camionneurs, qui pourrait aisément être atténués avec des campagnes adéquates de communication (les camionneurs eux-mêmes devraient in fine s’y retrouver). Enfin, les premières expériences positives d’intervention du secteur privé dans le finan- cement et la gestion des infrastructures routières militent pour une réflexion sur le cadre règlementaire des PPP. Le Sénégal a développé une première expérience de partenariat public-privé dans le domaine des routes avec la mise en place de l’autoroute à péage Dakar- Diamniadio, dont la première tranche a été inaugurée en 2013. Ce Projet phare a permis d’améliorer substantiellement la mobilité du grand Dakar ainsi que la sécurité en mobilisant à la fois des financements privés et le savoir-faire d’une grande entreprise internationale tant pour la construction que pour la gestion de l’infrastructure. Alors que la concession autoroutière en est à sa 6ieme année d’exploitation et que le Gouvernement a engagé d’im- portant travaux d’extension du réseau autoroutier, il est important de s’intéresser à la gestion de ces types de contrats, pour l’instant assurée de manière ad hoc par l’APIX pour le contrat avec le concessionnaire privé. Celle-ci devrait notamment passer par la mise en place d’une autorité de régulation compétente indépendante ayant des prérogatives sur la gestion des contrats avec le secteur privé (e.g. appui à l’établissement des dossiers d’appels d’offre, super- vision des contrats pour le compte du Gouvernement, mais de manière indépendante, évalua- tion de l’atteinte d’objectifs spécifiques, gestion des sorties de contrats etc.) et de conseil au 156 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 2 : Régulation de contrats de PPP dans les infrastructures, quelques principes La réglementation des contrats de gestion des infrastructures relève soit d’une approche dite de « réglementation par contrat » soit d’une approche de « réglementation par Agence ». Il existe également des modèles hybrides com- binant les deux approches. En général, la réglementation sectorielle est réalisée par une seule entité, qu’elle soit logée au niveau des ministères sectoriels (comme au Chili ou en Colombie) ou dans une entité distincte indé- pendante (comme en Angleterre ou au Pérou). Quelle que soit le modèle de régulation, l’opti- misation de l’allocation des risques revêt une importance particulière, notamment au vue des montants et durées de contrat en jeu : trop de risque pris par le public, et c’est une utilisation sous-optimale des ressources publique, exposant par ailleurs la concession à des risques de critiques par les utilisateurs et/ou la société civile sur le moyen ou long terme ; trop de risques transférés aux privé et c’est le risque soit d’un processus d’appel d’offres infructueux, soit d’un abandon prématuré du contrat par le concessionnaire. Dans ce cadre, l’apprentissage et la capitali- sation d’expérience par l’entité en charge de la régulation permet d’aider à calibrer progressivement plus finement les approches en termes de partage de risques. Outre le contrôle et l’application des sanctions prévues au contrat en cas de non-respect des obligations contractuelles et la gestion des recours, le rôle de l’entité de régulation est également de faciliter les activités du concessionnaire incluant, le cas échéant, l’application des adaptations contractuelles prévues au contrat (e.g. révi- sions tarifaires). L’indépendance de l’entité de régulation est généralement souhaitable pour réduire le risque d’in- tervention unilatérale et assurer une application stricte des contrats. C’est un facteur systémique de réduction de risque favorable au développement d’une intervention saine du secteur privé dans le pays. La Banque mondiale, qui a développé des approches et méthodes spécifiques sur la question de la régulation et l’accompagnement de contrats, a appuyé de nombreux pays dans la structuration et la réforme d’unités PPP. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 157 Gouvernement pour la préparation de politiques publiques comme par exemple en matière de politique tarifaire, de péréquation via l’extension de concession existantes pour financer de nouvelles concessions, etc.. Les principales contraintes liées à la maintenance du réseau routier sont : (i) une program- mation de l’entretien du réseau routier fondée sur une analyse objective des besoins mais pas suffisamment suivi, (ii) l’insuffisance chronique des ressources financières utilisées à la maintenance et le manque d’efficacité du sous-secteur; (iii) la faiblesse de l’absorption des ressource, (iv) la non application intégrale du règlement 14 lié à la charge à l’essieu (v) les dis- parités régionales d’accès , (vi) la méconnaissance du réseau routier non classé et son manque d’entretien (vii) un cadre règlementaire a définir pour la gestion des PPP, notamment pour la gestion des autoroutes. III. Options de politiques Les politiques suivantes peuvent être envisagées pour faire face aux contraintes du secteur et lui permettre de jouer pleinement son rôle de facilitateur de l’économie. Optimiser l’organisation institutionnelle Actions à prendre 6mois - 1an 2 ans - 5 ans Rationaliser la gouvernance du secteur. Renforcer la capacité des acteurs publics Une solution pourrait être la mise en place d’un du secteur (DR, DTR, . . . ). Rendre les services Ministère des Transports ayant la tutelle de l’en- publics attractifs, en mesure d’attirer et de semble des activités de secteur. Une alternative stabiliser des ressources humaines de qualité, pourrait être une unité/un comité de coordination ce qui devrait être facilité par la promotion d’un (avec des risques cependant lies au cout et à la système de recrutement basé sur le mérite, prô- légitimité de telles unités). née dans le cadre de la réforme de l’Etat et du renforcement de l’Administration publique retenus Quel que soit la solution, les représentants des dans le PSE. professionnels du secteur, de la société civile et des citoyens devraient être parties pre- Renforcer les ressources pour une meilleure pla- nantes, au moins sous forme de consultations nification du développement des réseaux routiers, régulières et de participation au contrôle autoroutiers et ferroviaires. et à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques Lancer le Plan National de Logistique et Lancer les premiers plans pluriannuels d’inves- Transport (PNLT) tissements et engager les réformes tels que défi- nis dans le PNLT Lancer la réflexion sur la régulation des Mettre en place une structure de régulation des contrats de PPP/concession du secteur contrats de PPP du secteur et renforcer la par- ticipation du secteur privé pour investir dans le secteur et le gérer 158 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Intégrer le système de transport et logistique Actions à prendre 6mois - 1an 2 ans - 5 ans Préparer un plan d’optimisation des perfor- Améliorer les dessertes portuaires et le station- mances du port incluant la remise en état des nement hors enceinte, particulièrement à Dakar. voiries et l’amélioration de la circulation. Changer la politique tarifaire et développer des ports secs pour réduire le stockage des conteneurs à l’intérieur du port. Analyser la capacité des acteurs, mettre en Améliorer la gouvernance portuaire, animer la place des formations et renforcer le contrôle communauté portuaire et mette en place d’un comité de suivi et de veille. Poursuivre la mise en concession de terminaux et lancer les études de nouvelles infrastructures portuaires en fonction des prévisions d’évolution des trafics Approfondir le dialogue avec les autorités Ratifier un nouveau projet d’accord de transport Maliennes et Gambiennes sur la gestion des avec le Mali et Mettre en œuvre les dispositions principaux corridors de l’accord avec la Gambie fixant les modalités de traversée du pays par le corridor Réduire les tracasseries et coûts informels affectant le trafic de poids lourds et poursuivre les efforts de renouvellement du parc tout en accrois- sant le contrôle Professionnaliser le système de transport urbain Actions à prendre 6mois - 1an 2 ans - 5 ans Clarifier rôles et compétences des collectivi- Renforcer le rôle du CETUD et le doter des tés territoriales en matière de transport urbain moyens nécessaires pour accomplir ses missions d’Autorité Organisatrice des Transports à Dakar Réformer le Fonds de Développement des Transports Urbains (FDTU) pour assurer un finan- cement pérenne de la mobilité urbaine Lancer une réflexion sur le financement Lutter contre la pollution de l’air en réduisant la du transport urbain et profiter des grands contenance en soufre du carburant et en lançant un investissements en cours à Dakar pour lancer programme de professionnalisation et de renouvel- la modernisation à la fois de la profession lement des véhicules de taxi individuel au profit de et des réseaux véhicules roulant au Gaz Naturel Véhicule (GNV) Lancer un plan de gestion du transport Poursuivre les opérations de transport urbains urbain à Dakar structurants TER/BRT Poursuivre les efforts de renouvellement du parc Engager la réflexion pour de nouvelles Restructurer les concessionnaires de services normes de pollution pour l’importation publics (PTB, DDD), afin d’optimiser leurs coûts, de véhicules. en particulier leurs charges fixes ; APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 159 ENCADRÉ 3 : Le financement du transport urbain Dans la plupart des villes, le schéma de financement du transport urbain combine le recours aux trois grandes catégories de contributeurs : (i) les pouvoirs publics, (ii) les bénéficiaires directs et (iii) les bénéficiaires indirects du système de transport urbain. D’une ville à l’autre, la mobilisation des ressources publiques sera plus ou moins importante en fonction de la nature du financement (investissement ou fonctionnement) et du niveau de la partici- pation des bénéficiaires directs et indirects au financement du système. Chaque ville doit alors trou- ver son « mix » de financement en cherchant à (1) réduire les coûts, (2) optimiser et (3) compléter les recettes tarifaires ; 77 Réduction des couts. L’objectif à poursuivre lorsque les finances publiques sont limitées est au moins le « petit équilibre », quand les dépenses directes d’exploitation sont couvertes par les recettes d’exploitation, via entre autres ; (i) une bonne conception en amont qui intègre l’ensemble du réseau avec des corridors denses, des lignes de rabattement, etc.; (ii) des modes adaptés aux prévisions de la demande et à son futur développement ; (iii) la ségrégation des transports collectifs par rapport à la congestion générale afin d’avoir une bonne vitesse commer- ciale, ce qui permet un moindre besoin de bus à offre égale mais aussi une moindre consom- mation énergétique et surtout une attractivité renforcée du transport public. Ceci implique des modes en site propre ou protégé, ainsi que des priorités aux feux, etc. ; (iv) la formation des personnels à une eco-conduite ; (v) des moyens modernes d’exploitation : modes de paiement automatisés, intégration tarifaire, informations en temps réel ; (vi) des achats groupés de maté- riels roulants, etc. 77 Optimisation des recettes. La vente du titre de transport étant la première des recettes, il s’agit de chercher à être le plus attractif possible : (i) repenser la politique tarifaire afin de suivre au plus près l’évolution des flux de déplacements (tarification concentrique, alvéolaire ou mixte), d’optimiser le remplissage des véhicules (tarification modulaire) et d’inciter de nouvelles clien- tèles à utiliser les transports collectifs (tarification solidaire) ; (ii) lutter contre la fraude : mise en place de couloirs de prépaiement, campagnes de sensibilisation, etc. (iii) attirer de nouvelles clientèles et les fidéliser : intégration fonctionnelle et tarifaire du transport public, régulation du transport individuel avec l’objectif d’un transfert modal, information du public en temps réel grâce aux nouvelles technologies, etc. 77 Des recettes à compléter. On peut citer en particulier (i) les produits des péages urbains et de stationnement ; (ii) les aides des employeurs à leurs salariés, comme par exemple le « Vale Transporte » du Brésil, le Versement Transports ou la participation de l’ employeur au titre d’ abonnement en France ; (iii) la récupération des plus-values foncières ; (iv) les loyers de com- merces ou de bureaux construits dans les dépendances ou à proximité des stations ; (v) les recettes de publicité dans les locaux, les stations et sur les véhicules. 160 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Améliorer la sécurité routière Actions à prendre 6mois - 1an 2 ans - 5 ans Mise en place d’une structure autonome en Rendre opérationnelle la structure autonome en charge de la sécurité routière, tel que recom- charge de la sécurité routière mandé par l’étude SSATP. Continuer la mise en œuvre la stratégie na- tionale de sécurité routière élaborée en 2013 dont l’objectif est de réduire de 35% sur 10 ans, le nombre de tués et de blessés graves ; Evaluation à mi-parcours de la stratégie natio- nale de sécurité routière. Etendre à l’ensemble du territoire le contrôle technique des véhicules effectué actuellement au CCTVA de Dakar seulement. Instaurer la demande de quitus d’audit de sécurité routière pour tous les grands projets qui certifie la prise en compte des aspects liés à la signalisation et l’environnement de la route ENCADRÉ 4 : La gestion de la sécurité routière – Exemples d’appui de la Banque Mondiale Dans le cadre de son appui au renforcement de la sécurité routière, la Banque mondiale a publié en 2009 un guide donnant une approche méthodologique pour appuyer cet agenda et l’a appliqué dans plus d’une trentaine de pays depuis. Une étape cruciale dans l’amélioration de la gestion de la sécurité routière est la création d’agence spéci- fique en charge des questions de sécurité routière au sein des gouvernements avec le pouvoir de prendre des décisions, de gérer des ressources et de coordonner les efforts de tous les acteurs impliques. La Banque mondiale a appuyé entre 2010 et 2015 un projet de sécurité routière de 38,5 millions de dollars américains en Argentine, qui a permis entre autre la mise en place de l’Agence Nationale de sécurité routière (ANSV), de fournir une assistance technique et des équipements, ainsi que de mettre en place un système de suivi et d’évaluation de la sécurité routière permettant de faciliter l’adoption des meilleures normes internationales. À la suite de son renforcement institutionnel, le pays a enregistré une réduction de 35% du nombre de victimes de la route dans certains corridors entre 2010 et 2015. Au niveau national, il y a eu une réduction de 12% du taux de mortalité sur la route et de 50% du taux de mortalité de ou des véhicules motorises étaient impliqués. Le port de la ceinture de sécurité augmenté de 36% et l’utilisation du casque pour les motos est passée de 39% à 62% au cours de cette période. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 161 Améliorer la gestion du réseau routier Actions à prendre 6mois - 1an 2 ans - 5 ans Application immédiate et systématique du Règlement 14 Diversifier les sources de finan- sur le poids à l’essieu notamment ; cement de l’entretien par la mise 77 Renforcer du contrôle sur toutes les plateformes de plus en œuvre de la stratégie de finance- 200.000T/an et les axes routiers principaux, appliquer les ment développée par le FERA taux fixes par l’UEMOA, voire les surenchérir, Promouvoir les contrats plurian- 77 Aménager des espaces adéquats pour le délestage et nuels basés sur la performance appliquer le délestage systématique a la charge du transporteur Mobiliser les ressources destinées 77 Renforcer la communication auprès des usagers à l’entretien directement dans un 77 Renégocier la convention avec Afrique pesage compte bancaire géré par le FERA 77 Reverser la part de l’Etat au FERA (finaliser le décret y affèrent) Faire un inventaire exhaustif du réseau routier non classé pour en Renforcer la programmation, le financement et l’exécution assurer la gestion et la maintenance de l’Entretien routier ; et définir une stratégie claire pour 77 Signer un contrat de performance entre le FERA et l’entretien du réseau non classé. l’AGEROUTE pour l’entretien avec obligation de résultats (notamment sur le respect de la programmation) 77 Augmenter la participation de l’Etat au budget du FERA avec un minimum qui couvre les budgets de fonctionnement et l’entretien courant Accroitre la participation du secteur privé ; 77 Lancer un premier pilote de contrat pluriannuel de maintenance/gestion de la route par résultats. ENCADRÉ 5 : Contrats d’entretien des routes basé sur la performance, l’expérience du Brésil Les contrats de gestion des routes basés sur la performance, dit ; « CREMA » (en opposition aux anciens modèles basés sur des contrats aux bordereaux de prix unitaires), ont été introduits par la Banque mondiale au Brésil au début des années 2000. A cette époque, les autorités brésiliennes devaient faire face à une situation macroéconomique délicate du fait d’un accroissement rapide de l’endettement à la fois des États et du Gouvernement Fédéral et une pression forte sur les budgets d’investissement et de fonctionnement du public. Comme souvent dans ce type de contextes, l’entretien du réseau routier a été la première victime des coupes budgétaires et le réseau routier s’est rapidement dégradé. Dans ce cadre, un pilote visant à améliorer l’efficacité de l’entretien des réseaux a été lancé avec l’appui de la Banque mondiale. Celui-ci a consisté à déléguer au secteur prive la gestion de certaines portions du réseau routier via des contrats de moyen terme (5 ans) basés sur les performances, ou les entreprises étaient en charge de la définition et de la mise en œuvre des solutions techniques, 162 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 5 : Contrats d’entretien des routes basé sur la performance, l’expérience du Brésil (Continued) payées au forfait et contrôlées sur la qualité générale de la route pendant la durée du contrat. Les avantages de cette approche incluaient notamment : la responsabilisation du secteur privé sur la défi- nition des solutions de travaux et la qualité de la maintenance, la réduction des besoins de supervision de la part des institutions routières, limité à la validation de standards de qualité contre les mesures de quantités dans le cas de contrats classiques (très prompts à des problèmes de fraude), un intérêt accru à la fois des autorités et du secteur prive sur le sujet de l’entretien routier du fait de contrat plus importants et de plus longue durée, permettant en outre de faire face aux impondérables de certains retards de paiements. Une étude comparative détaillée de la Banque mondiale en 2010 a démontré que les contrats CREMA ont en outre permis une réduction des couts en moyenne de 30% par rapport à des contrats traditionnels de maintenance de la route pour un résultat global plutôt supérieur en termes de qualité de la route. Ce modèle a été un succès et à la fin des années 2000, plus du tiers du réseau fédéral et 10% des réseaux des États (30 000 km) étaient couverts par des CREMAS. IV. Conclusion Cette note constitue une vision globale avec les priorités sur lesquelles, le gouvernement peut se concentrer les cinq prochaines années. Elle n’est pas exhaustive, outre les aspects institution- nels, elle présente quelques actions sur (i) les corridors et la logistique, (ii) le transport urbain, (iii) la sécurité routière et (iv) la gestion du réseau routier. Bibliographie Banque Mondiale, 2016, Livre Blanc sur le Transport et la Logistique. SSATP, 2017, Rapport sur la mise en place d’une structure en charge de la sécurité routière au Sénégal. Sénégal, 2016, lettre de Politique sectorielle des Transport 2016–2020. AGEROUTE, 2017, Rapport de présentation du PERA 2018. AGEROUTE, 2018, Rapport annuel 2017. SSATP, 2018 Politique de mobilité et d’accessibilité durables dans les villes sénégalaises. PCN, 2018, Dakar-Bamako, Regional Trade Facilitation and Competitiveness Program. CETUD, 2017, Rapport des Premières Assises territoriales sur la mobilité urbaine. CETUD, 2018, Note sur le FDTU et les nouvelles sources de financement. AFD, Qui paie quoi en matière de transport urbain, 2014. World Bank, Performance Based Contracts in the Road Sector: Towards Improved Efficiency in the Management of Maintenance and Rehabilitation, 2010. APERÇU DE LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DU SÉNÉGAL 163 Sénégal NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ Résumé exécutif Contexte. L’élaboration d’une stratégie de mobilisation des ressources intérieures (MRD) est essentielle pour atteindre les objectifs ambitieux du Sénégal en matière d’investissements dans le capital humain et dans l’infrastructure publique. Une réforme majeure de la politique fiscale a été mise en œuvre en 2012 avec l’introduction d’un nouveau code des impôts, mais plusieurs problèmes structurels persistent et engendrent un impact négatif sur le recouvrement des recettes. Il s’agit notamment du recours généralisé aux exonérations fiscales, des niveaux élevés d’informalité et des coûts de mises en conformité pour le secteur privé. À la suite du changement de base du PIB, le ratio recettes fiscales/PIB du Sénégal se situe entre 15% et 16%, bien en dessous de l’objectif régional de convergence de l’UEMOA de 20%. Objectifs. La note évalue plusieurs aspects de la politique et de l’administration fiscales du Sénégal et examine les défis et les possibilités de réformes. La discussion se concentre sur trois défis cruciaux et exa- mine les options potentielles de politique publique : (i) la taille du secteur informel et sa concurrence avec le secteur formel, qui peuvent être adressées travers des efforts de transformation numérique et de moder- nisation en cours dans l’administrations fiscale ; (ii) la consolidation et le ciblage des dépenses fiscales, y compris des conventions fiscales internationales ; et (iii) la nécessité d’une stratégie globale à moyen terme de mobilisation des recettes, pour coordonner une approche gouvernementale globale entre les agences concernés et pour accroître l’efficacité de l’aide des bailleurs. Recommandations. La note propose une série de recommandations à court et moyen terme, afin d’aug- menter la capacité de l’administration fiscale, de rationaliser les incitations fiscales et de définir une approche stratégique à moyen terme pour la mobilisation des recettes, y compris (i) accélérer la moderni- sation en cours de l’administration fiscale, par l’adoption de solutions numériques et les investissements dans les méthodes de contrôle fiscal ; (ii) l’approfondissement de l’analyse des dépenses fiscales (inclure des évaluations du rendement des investissements et des effets sur la pauvreté et l’équité) dans le but d’éliminer les dépenses redondantes et d’adopter une approche politique plus équilibrée afin d’encourager le développement du secteur privé ; et (iii) l’élaboration d’une stratégie globale de recettes à moyen terme. 164 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ Jan Loeprick et Pierre Bachas Table des matières90 Résumé exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 II. Enjeux et opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 L’informalité et la formalisation de l’activité économique en s’appuyant sur la transformation numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 Consolider et mieux cibler les dépenses fiscales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 La nécessité d’une stratégie globale à moyen terme de mobilisation des recettes . . . 172 III. Options de réformes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 La fiscalité du secteur informel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 Incitations fiscales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 Viser une stratégie de recettes à moyen terme (MTRS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 IV. Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Annexe 1 : Effets des dépenses de TVA sur la pauvreté et l’équité — Un outil pour simuler l’impact distributif des réformes fiscales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Annexe 2 : Fiscalité indirecte de l’économie numérique — Veiller à ce qu’il n’y ait aucun biais au détriment des fournisseurs nationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 Annexe 3 : Encourager les start-ups — Instruments habituels, risques et expérience des pays . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 90 La revue technique par les pairs a été effectuée par Marijn Verhoeven et Sebastian James. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 165 I. Introduction L’élaboration d’une stratégie de mobilisation des ressources intérieures (MRI) est essentielle afin que le Sénégal puisse atteindre ses objectifs ambitieux d’investissement dans le capital humain et les infrastructures publiques. Une réforme majeure de la politique fiscale a été mise en œuvre en 2012 avec la révision du code des impôts,91 mais plusieurs problèmes structurels persistent et limitent le recouvrement des recettes. Il s’agit notamment de la persistance de l’uti- lisation d’incitations fiscales, les niveaux élevés d’informalité et les charges élevées de mise en conformité pour le secteur privé. Suite au rebasage du PIB,92 le ratio recettes fiscales/PIB du Sénégal se situe entre 15% et 16%, bien en dessous de l’objectif régional de convergence de l’UEMOA de 20%. En outre, les micro simulations de l’impact combiné de l’introduction du tarif extérieur commun de la CEDEAO et de l’Accord de partenariat économique (APE) avec l’UE suggèrent que les recettes tarifaires diminueront d’environ 3% des recettes publiques totales jusqu’en 2035 (Marchat et Uexkull, 2016). Les taux d’imposition et l’administration fiscale constituent une contrainte majeure pour le développement du secteur privé. Comme le souligne le Diagnostic Systématique Pays DSP (2018) du GBM, les entreprises formelles considèrent que l’application du code fiscal est par- fois arbitraire, le comportement quelquefois prédateur des autorités fiscales et l’incertitude qui en résulte comme des contraintes commerciales majeures. La perception d’une application iné- gale de la réglementation fiscale est également corroborée par une enquête menée auprès des entreprises en 2014 (voir la figure 1a.), qui souligne en outre la concurrence déloyale des entre- prises informelles comme une contrainte majeure pour les entreprises formelles. Le principal défi relevé par la DSP n’est pas celui des petites entreprises « de quartier », mais plutôt celui des grandes entreprises pseudo-formelles qui utilisent leurs relations pour échapper à la fiscalité et aux contrôles douaniers, créant ainsi de facto une concurrence déloyale pour les entreprises formelles. Par ailleurs, les risques microéconomiques relatifs à la lourdeur des procédures de paiement d’impôts ont été souligné comme une contrainte importante à l’investissement dans le cadre du Plan Sénégal Emergent.93 Les recettes nouvelles qui découleront à l’avenir des deux développements en cours dans le secteur pétrolier et gazier offrent des possibilités de réformes fondamentales de la politique budgétaire et de relever un certain nombre de défis d’ordre administratif. Les négociations sont en cours pour déterminer la fiscalité du secteur. Dans le cadre de l’élaboration du cadre budgétaire pour le secteur, qui s’appuie sur une opération d’assistance technique du GBM, la 91 Depuis 2012, les efforts de réforme ont été axés sur l’amélioration de la clarté et de la simplicité des règles et procé- dures, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, une réorganisation institutionnelle de l’administration fiscale et des efforts de rationalisation des dépenses fiscales (consolidation dans le code fiscal). 92 Voir : MEFP 2017. 93 Plan Senegal Emergent – Plan D’Actions Prioritaires 2019–2023, p. 20. 166 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 1 : La fiscalité et le climat des affaires : (a.) Enquêtes auprès des entreprises et (b.) Doing Business Starting a business 200 Dealing with Resolving construction insolvency 150 permits 100 Enforcing Getting contracts 50 electricity 0 Trading Registering across property borders Paying Getting credit taxes Protecting minority investors Ghana Morroco Kenya Senegal Source : Banque mondiale 2016, à partir de l’enquête sur les entreprises 2014 et 2007 et le Doing Business marge de manœuvre prévue par ces accords, notamment en ce qui concerne les définitions et les interprétations des conditions, et les liens entre les règles budgétaires générales et spécifiques au secteur sont actuellement réexaminés. Plusieurs domaines de la politique fiscale de plus vaste portée, telle cadre fiscal international et la politique des conventions fiscales auront probablement une grande importance pour la mobilisation des recettes émanant de ce secteur. Un nouveau code pétrolier est en cours d’élaboration à la suite de récentes découvertes. II. Enjeux et opportunités L’informalité et la formalisation de l’activité économique en s’appuyant sur la transformation numérique L’activité économique informelle est une contrainte importante au Sénégal. Il y a actuelle- ment 14 000 entreprises officiellement enregistrées à la TVA au Sénégal, dont 9 000 déclarent l’impôt sur le revenu des sociétés et 5 000 paient l’impôt sur le revenu en tant que personnes phy- siques (voir Figure 2a.). Plus de 80% des entreprises enregistrées ont moins de 20 employés, 45% sont actives dans les services et les deux tiers se situent dans la région de Dakar.94 Le taux légal de l’impôt sur le revenu de 30 % est relativement élevé, ce qui suggère que la faiblesse des recettes fiscales directes s’explique par un contrôle limité de l’assiette fiscale. En effet, d’après le recense- ment de 2016, le degré d’informalité est remarquablement élevé : 407 000 unités économiques ont été recensées, parmi lesquels 18 % ou 73 000 sont des entreprises constituées en sociétés. 94 WBG 2016, mis à jour à partir des données administratives et de recensement les plus récentes. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 167 FIGURE 2 : (a.) Nombre d’entreprises enregistrées et (b.) sous-déclaration du chiffre d’affaires des entreprises sénégalaises (WAGE BILL. + IMPORTS.) / TURNOVER 2013 2014 2015 2016 0 - 20% 59,9% 57,5% 64,8% 44,6% 20% - 40% 17,2% 17,6% 14,2% 14,7% 40% - 60% 9,4% 9,3% 7,5% 9,6% 60% - 80% 5,0% 5,8% 4,3% 5,9% 80% - 95% 1,9% 2,2% 2,2% 3,9% 95% - 105% 0,6% 0,8% 0,8% 2,3% 105% - 120% 0,9% 0,9% 0,8% 2,4% 120% - 140% 0,8% 1,0% 0,7% 2,8% 140% - 160% 0,5% 0,5% 0,6% 2,0% 160% - 180% 0,4% 0,5% 0,2% 1,5% 180% - 200% 0,3% 0,3% 0,3% 1,0% > 200% 3,0% 3,6% 3,5% 9,4% # OF FIRMS 4956 5480 5760 5351 Source : Données DGID 2017, calcul du personnel de la GBM. Le recensement indique également que seulement 3 %, soit 12 000 entreprises, ont adopté les normes comptables exigées par l’administration fiscale.95 Pour les entreprises sénégalaises du secteur formel, l’informalité provoque une concurrence déloyale. Environ un tiers des entreprises indiquent que les pratiques poursuivies dans le secteur informel constituent un obstacle majeur à leurs activités et à leur expansion (Enquête auprès des entreprises, 2014). L’activité écono- mique informelle couvre non seulement les travailleurs journaliers, les petits agriculteurs, les 95 15 % de toutes les unités économiques couvert dans le recensement ont une sorte de comptabilité, dont seulement 18 % suivent les normes comptables ouest-africaines (SYSCOA), et les 82 % restants utilisent une comptabilité informelle. 168 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES commerçants pratiquant une activité de subsistance et les vendeurs des rues, mais aussi un grand nombre de petites et moyennes entreprises qui ont un fort potentiel de croissance et pourrait contribuer aux recettes fiscales. Elle englobe également de plus grandes entreprises qui peuvent se livrer à des opérations illicites, en particulier lorsqu’elles importent sans acquitter de droits de douane ou la TVA. Pour les entreprises de taille plus limitée, le coût (fixe) du respect des dispo- sitions du régime fiscal peut être élevé par rapport à leur chiffre d’affaires et faire obstacle à la poursuite de leurs activités dans le secteur formel. L’inclusion dans le secteur formel des grandes entreprises et des entreprises (en partie96) informelles, en revanche, doit essentiellement dépendre du renforcement de la gestion du respect de la législation au niveau de l’administration fiscale. Le nombre élevé d’impôts mineurs à faible rendement, ainsi que les obligations de décla- ration et de paiement correspondantes, découragent la formalité. Selon Doing Business, le nombre de ces obligations de déclaration et de paiement au Sénégal, qui s’élève à 58, est bien supérieur à la moyenne régionale de 37 et à la moyenne mondiale de 25 (Doing Business 2018). Le régime des patentes est dans l’ensemble jugé préoccupant pour le développement du secteur privé, car il repose sur des bases complexes s’applique à toutes les entreprises et frappe lourde- ment les opérations d’investissement. Une réforme partielle de la patente a été introduite début 2018. Toutefois, le processus exige maintenant une évaluation complexe des cotisations sur la base de valeur ajoutée (OCDE 2018). Il serait possible d’envisager, à long terme, de remplacer ce système dans le cadre de la mise en place d’un simple impôt sur la propriété (FMI 2017). Cette démarche pourrait, de fait, aider à simplifier la fiscalité globale des entreprises sénégalaises et des personnes travaillant pour leur propre compte et constituer une source fiable de recettes locales. Elle exige toutefois la réalisation d’investissements dans l’établissement d’un cadastre opération- nel et doit être intégrée dans le programme plus général de décentralisation. Un examen récent du GBM, basé sur les données administratives de l’administration fiscale et des douanes, suggère que de nombreuses entreprises sénégalaises sous-déclarent leurs chiffres d’affaires. En particulier, en 2016, près de 10% des entreprises d’un échantillon repré- sentatif (de plus de 5 000 entreprises) ont déclaré aux autorités fiscales un chiffre d’affaires infé- rieur à la moitié du volume de leurs importations et de leurs masses salariales déclarés (voir figure 2b). Étant donné que ces entreprises procèdent à des échanges internationaux, il s’ensuit qu’il existe probablement une proportion notable d’entités complexes et de taille importante fai- sant concurrence aux autres entreprises sans respecter la législation fiscale ; toutes les entreprises n’opèrent pas dans les mêmes conditions et les entreprises qui honorent leurs obligations fiscales ont plus de difficulté à pénétrer sur le marché, à se développer ou à soutenir la concurrence. 96 L’informalité et la formalité ne sont pas des situations mutuellement exclusives. Elles sont multidimensionnelles et ont des degrés divers. Certes entreprises sont enregistrées au registre du commerce, mais n’acquittent pas (tous) leurs impôts, ne détiennent pas de titre foncier pour leur lieu d’exploitation ou n’ont pas les permis requis pour exercer leur activité. D’autres peuvent se conformer intégralement aux obligations fiscales des entreprises, mais ne jamais déclarer leurs employés pour éviter de payer les cotisations à la sécurité sociale. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 169 Le secteur informel a des implications importantes dans le contexte social et politique du Sénégal. Les propriétaires de certaines grandes entreprises informelles ont un poids social et politique important. Comme elles soutiennent de nombreux ménages et se substituent souvent à l’absence de biens publics fournis par l’État, elles peuvent créer d’importantes perturbations sociales si elles sont obligées de fonctionner dans le filet fiscal. En outre, certaines entreprises informelles appartiennent à des réseaux sociaux et religieux forts, qui peuvent exercer une influence électorale importante et donc une réelle influence politique. Consolider et mieux cibler les dépenses fiscales Malgré des améliorations récentes,97 les recettes non collectées du fait d’exonération et de niches fiscales sont un problème majeur pour la mobilisation des ressources intérieures, Le traitement préférentiel de certains secteurs, activités et régions a des implications pour l’équité, la complexité et l’efficacité du système d’imposition sénégalais. Les exonérations fiscales totalisent 588 milliards de CFA en 2014, soit 7.8% du PIB (MDF 2016). Les exonérations fiscales liées aux taxes indirectes comptent pour 60% du total. Les nombreuses niches fiscales sont actuel- lement utilisées pour promouvoir l’investissement, y inclus des crédit d’impôts pour les grands investissements généreux, des provisions pour la dépréciation accélérée, un régime spécial pour les exportateurs (80% de ventes à l’étranger) qui les exemptent de TVA et offrent un taux d’IS réduit de 15%, et des incitations pour les secteurs « stratégiques », tel une remise d’impôts directs et indirects de 10 ans pour les investissements touristiques dans la région de la Casamance. De manière notable, pour les investissements larges (>250M CFA / USD 500,000), les impôts et tarifs douaniers suivent sont déterminés de manière discrétionnaire (FMI 2015). Les exonéra- tions semblent aussi faire parties de la stratégie ambitieuse d’investissements et de croissance du Plan Sénégal émergent (PSE) et figurent dans les discussions récentes Dun nouveau régime Start-Up pour les entrepreneurs numériques. Le manque à gagner des recettes publiques dû à des dépenses fiscales élevées est une préoccu- pation importante pour la mobilisation des ressources au Sénégal. Le traitement différencié de secteurs, d’activités ou de régions spécifiques est courant et a des effets pour l’équité, la com- plexité, l’efficience et l’efficacité du régime fiscal sénégalais. Les dépenses fiscales se sont élevées à 588 milliards de francs CFA en 2014, soit 7,8% du PIB (MEFP 2016). Les dépenses liées à la fiscalité indirecte représentent 60 % du total. Une multiplicité d’instruments sont actuellement utilisés pour promouvoir l’investissement, notamment un généreux crédit d’impôt pour les grands investissements, des dispositions d’amortissement accéléré, un régime spécial pour les exporta- teurs (>80% des ventes à l’étranger), les exonérant de la TVA et prévoyant un taux d’imposition 97 Le système d’incitations fiscales sénégalais s’est amélioré au cours de la dernière décennie. Dans l’ensemble, le recours aux incitations fiscales en faveur des entreprises a été réduit et une meilleure supervision par le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) a été facilitée par l’inclusion de toutes les incitations dans le Code fiscal en 2012. 170 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES du revenu inférieur (15%), et des incitations pour les secteurs «stratégiques», comme la trêve fiscale de 10 ans (qui couvre les impôts directs et indirects) dont bénéficient les investissements axés sur le tourisme dans la région de la Casamance. Il importe de noter que dans le cas des gros investissements (supérieurs à 250 millions de francs CFA / 500 000 dollars), les exemptions fiscales et douanières continuent d’être déterminées par un processus de négociation discrétion- naire (IMF 2015). Les incitations fiscales semblent en outre continuer de jouer un rôle essentiel compte tenu des ambitieuses cibles d’investissement et de croissance du Plan Sénégal Émergent (PSE) et, par exemple, dans le cas des récentes discussions sur un éventuel régime start-up pour les entrepreneurs numériques. Les recherches menées aux niveaux mondial et régional donnent à penser que si les taxes sont importantes pour l’investissement, leurs effets ont tendance à être moins importants dans les économies en développement. Dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et du Centre, James et Van Parys (2010), par exemple, ne trouvent pas de relation entre les exonérations fiscales et l’investissement. Toutefois, ils constatent que l’augmentation du nombre de garanties juri- diques pour les investisseurs étrangers et la réduction de la complexité du système fiscal semblent attirer les investissements. Les enquêtes menées auprès des investisseurs tendent à confirmer que les incitations fiscales ne figurent pas parmi les priorités des investisseurs dans les pays en déve- loppement et sont souvent redondantes pour attirer les investissements (Banque mondiale 2015). Comme la plupart des économies en développement, les entreprises multinationales repré- sentent l’essentiel de la base d’imposition directe du Sénégal et, compte tenu des efforts déployés par le Sénégal pour faire du pays une destination d’investissement pour la sous-région ainsi que des développements en cours dans le secteur du pétrole et du gaz, leur rôle dans la mobi- lisation des ressources devrait s’accroître. Les estimations des pertes de revenus liées à l’évasion et la fraude fiscales internationales se situent entre 2,3 et 2,7 % du PIB pour le Sénégal (Cobham et Jansky 2017, sur la base de Crivelli et al. 2016). En particulier, dans les industries extractives, les recettes potentielles liées à la fiscalité internationale peuvent atteindre des centaines de millions de dollars. L’expérience administrative au Sénégal,98 les rapports récents des “paradise papers”,99 et les estimations des recettes en jeu en raison des potentielles systèmes de planification fiscale dans les projets pétroliers et gaziers en cours, confirment l’importance relativement élevé de pro- téger l’assiette fiscale de l’évasion fiscales internationales (GBM 2018). Une analyse préliminaire du GBM suggère que, dans l’ensemble, le système fiscal sénégalais a un impact positif sur la réduction des inégalités, mais qu’il a un impact négatif sur la pauvreté, conduisant à une augmentation de 1 point de pourcentage de l’extrême pauvreté (de 15% à 16%) 98 See decision N°203 DGID/DLEC/BC DU 08 MARS 2013, DGID. 99 Consortium International des Journalistes Investigatrices, “One Company’s tax heaven is Senegal’s tax hell”, publié le 22 mai 2018. Au Sénégal, les défis semblent être principalement liés à l’évasion fiscales des entreprises (voir aussi Figure 3 b.). POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 171 et de 5 points pour la pauvreté modérée (de 46% à 51%). Les résultats préliminaires indiquent également que l’élimination de toutes les exonérations de TVA augmenterait la pauvreté extrême (modérée) de 1,7 (3,5) point de pourcentage en 2015100.101 La nécessité d’une stratégie globale à moyen terme de mobilisation des recettes Des réformes politiques et de l’administration fiscale globales sont nécessaires pour atteindre l’objectif de recettes régionales de l’UEMOA de 20 % du PIB. Les recettes du secteur des hydrocarbures peuvent créer l’espace nécessaire à des réformes ambitieuses en matière de poli- tique publique et de fiscalité sur la base d’une stratégie globale qui couvre à la fois les besoins politiques et administratifs. L’élaboration d’une stratégie globale de réforme de l’administration fiscale et douanière est donc une priorité. Une telle stratégie pourrait, couvrir les liens opérationnels entre l’adminis- tration fiscale et tous les autres ministères concernés et leurs agences. Cela nécessitera une série de réformes institutionnelles afin de réduire au minimum les inefficacités d’une administration fragmentée et afin d’entreprendre les investissements nécessaires de renforcement des capacités de vérification et d’évaluation propres à chaque secteur. En outre, un certain nombre de réformes politiques à plus long terme peuvent être initiées dans le cadre de l’adoption d’une stratégie globale. Cela permettrait de revoir l’équilibre des instruments fiscaux (consommation, travail, capital) à la lumière des recettes supplémentaires perçues du secteur des hydrocarbures. La stratégie pourrait également permettre de bâtir un consensus pour progresser sur des sujets prometteurs, mais politiquement difficiles, tels que la fiscalité du secteur agricole102 et la fiscalité environnementale103. De nombreux bailleurs de fonds sont actuellement engagés pour soutenir les efforts de mobilisation des recettes du Sénégal. Une stratégie de coordination permettrait d’amé- liorer l’efficience et l’efficacité de ces activités. Dans le cadre de son assistance technique thématique en matière de politique et d’administration fiscales, le FMI apporte depuis 2011 un soutien important l’accent étant récemment mis sur le code des hydrocarbures, le sec- teur des télécommunications et la fiscalité locale. L’UE fournit un soutien budgétaire, avec 100 Outre les recettes supplémentaires, le gouvernement bénéficierait également d’économies provenant des coûts admi- nistratifs liés au système d’exemption/réduction (non inclus dans les simulations). 101 Voir aussi Harris et autres, 2018. 102 En particulier, l’intégration potentielle du secteur agricole dans l’assiette TVA. 103 A l’échelle mondiale, l’écart important en matière de fiscalité environnementale sur les combustibles fossiles repré- sente 6 % du PIB mondial. Les prix à la consommation tendent à être bien en deçà des niveaux de prix efficaces que suggèrent les externalités. Les taxes environnementales peuvent être relativement simples et faciles à percevoir : Une taxe carbone peut, par exemple, être collectée soit auprès des producteurs ou distributeurs au stade de l’extraction ou de l’importation ou encore au stade du revente (WBG 2018). 172 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES des mesures politiques visant à accroître l’enregistrement des contribuables et l’adoption de technologies dans l’administration fiscale et a fourni des conseils sur l’imposition fon- cière et les dépenses fiscales. L’OCDE fournit une assistance technique en matière de fis- calité internationale (dans le cadre d’un programme conjoint avec le GBM et l’African Tax Administration Forum - ATAF) et le PNUD (TIWB). La Banque africaine de développe- ment (BAD) finance l’adoption de technologies permettant à la DGID de mettre en œuvre des normes de transparence fiscale et envisage d’investir dans la mobilisation des ressources intérieures au Sénégal. L’assistance du GBM comprend une opération de soutien budgétaire et le financement de l’adoption de solutions numériques dans l’administration des recettes, des investissements dans la gestion des recettes municipales et des efforts de collecte, et des projets d’assistance technique, soutenant les négociations en cours sur le développement des hydrocarbures et l’adoption des mesures fiscales internationales. Comme il a été mentionné dans un examen récent des activités de la Banque mondiale (IEG 2017), bien que certains résultats positifs puissent être obtenus grâce à des mesures individuelles et à des programmes de soutien dont la portée et la durée sont limitées, ils ont tendance à être largement inefficaces face aux problèmes structurels des régimes fiscaux qui nécessitent un programme de réforme complet et cohérent. Compte tenu de l’intensification de l’activité des bailleurs de fonds en matière de mobilisation des recettes, l’adoption d’un cadre global de réforme politique et admi- nistrative permettrait d’orienter l’assistance et d’assurer une utilisation efficace des ressources. III.  Options de réformes La fiscalité du secteur informel Le Sénégal a lancé une réforme ambitieuse de son administration fiscale. L’appui aux ini- tiatives en cours visant à renforcer la gestion de la conformité est une occasion importante de s’attaquer au problème de l’informalité et de mobiliser des ressources nationales. Les réformes envisagées par la DGID visent (1) la diversification des méthodes de sélection des vérifications, (2) la construction d’une mémoire institutionnelle des dossiers d’audit, (3) la modernisation de son processus de collecte d’information et de renseignements. Jusqu’en 2017, la sélection des vérifications était laissée à la discrétion des inspecteurs des impôts. Depuis 2018, la DGID expérimente une diversification de ses méthodes de sélection où, en plus de la sélection discrétionnaire, certains cas sont sélectionnés par des méthodes basés sur un calcul de risque et d’autres basées sur une sélection aléatoire. Dans ce contexte, l’adoption d’un logiciel de gestion des dossiers d’audit devrait permettre une meilleure supervision et une meilleure gestion de la charge de travail. Enfin, la poursuite des efforts de numérisation des sources de données existantes provenant de tiers et le renforcement de la coordination entre les directions chargées des vérifications et celles chargées des données pourraient être très rentables (voir encadré 1). POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 173 ENCADRÉ 1 : Programme de diversification des méthodes de sélection des audits Le programme de diversification de la sélection des audits, inspiré des meilleurs pratiques internationales et soutenu par le GBM, combine la sélection discrétionnaire avec la sélec- tion basée sur les scores de risque et la sélection aléatoire. Dans le cadre de ce pro- gramme, un algorithme de notation du risque d’évasion a été mis en place sur la base d’une analyse systématique des données des déclarations fiscales et des données des tiers (douanes, marchés publiques). Depuis 2018, l’approche fait l’objet d’une évaluation en vue de sa mise en œuvre à la Direction des Grandes Entreprises (DGE) et à la Direction des Moyennes Entreprises (DME). Il est envisageable d’étendre le programme à certaines administrations fiscales locales de la Direction des Services Fiscaux (DSF) en 2019. Le score de risque proposé est basé sur une liste de 15 indicateurs qui prennent en compte les « incohérences » entre les déclarations fiscales et les données de tiers (douanes et marchés publiques) et les « anomalies » dans la comparaison entre contribuables du même centre et secteur d’activité. Ceci permet de cibler une partie des vérifications sur la base de critères objectifs et transparents. Simultanément, un nombre plus petit de vérifi- cations devrait suivre la sélection aléatoire, à la fois pour accroître la portée de la vérifica- tion et pour obtenir des mesures fiables qui peuvent servir comme point de référence pour les niveaux moyens d’évasion fiscale dans la population des contribuables. La phase d’évaluation comprend un protocole rigoureux pour alterner les séquences de sélection des cas et concernant la collecte de données supplémentaires sur les inspec- teurs et les contribuables. Cette enquête vise à systématiquement évaluer les résultats des différentes méthodes de sélection. L’algorithme d’évaluation du risque devra être conti- nuellement amélioré, en augmentant la quantité et la qualité des données de base. Pour accroître l’efficacité du programme, il est essentiel de poursuivre et d’étendre les efforts de collecte et de numérisation de l’information et des données de tiers déployés par le DGID. À la suite de l’introduction de dépôt électronique, un grand nombre d’informations provenant des déclarations fiscales (TVA, impôt sur les sociétés, retenues à la source sur les salaires), qui étaient auparavant saisies manuellement, seront mises à la disposition des administrateurs fiscaux pour une analyse automatisée. Le seuil actuel de dépôt électronique obligatoire couvre déjà toutes les entreprises de la DGE, et 10 % des entreprises du CME remplissent volontaire- ment un formulaire électronique. Par conséquent, environ 15 % des contribuables de l’impôt sur le revenu des sociétés déclarent leurs impôts en ligne, ce qui représente près de 90 % des recettes fiscales directes. Avec l’adoption d’un seuil obligatoire de dépôt électronique de 100 millions de 174 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES francs CFA de chiffre d’affaires annuel, près de 50% des déclarants (et 20% des entités assujetties à la TVA) seraient couverts (voir Figure 3). L’extension du dépôt électronique peut apporter d’importants avantages en améliorant l’environnement commercial et en aidant à générer des recettes.104 En outre, un grand nombre de nouvelles données seraient disponibles sous forme électronique, ce qui permettrait à l’administration fiscale de procéder à des contrôles croisés automatisés et de mettre en œuvre une stratégie moderne de gestion de l’information. Investir dans ces outils et, par conséquent, se rapprocher de la frontière des solutions numériques pour l’administration des recettes (fiscales et douanières) peut rapporter d’importantes dividendes. Une récente analyse de simulation suggère qu’une réduction de moitié de la distance à la fron- tière de la numérisation des administrations fiscales peut augmenter les recettes médianes de TVA de 1,7% (et les recettes tarifaires médianes de 0,5%) dans les pays en développement à faible revenu (FMI 2018). Les solutions électroniques peuvent également accélérer la formalisation des micros et petites entreprises, ce qui est moins pertinent du point de vue de la mobilisation des recettes, mais essentiel pour l’entrepreneuriat et le renforcement du contrat social. L’administration fiscale sénégalaise a élaboré une feuille de route et des spécifications techniques pour la mise en œuvre d’une option de déclaration et de paiement mobile pour les contribuables individuels et les micros et petits entrepreneurs dans le régime fiscal simplifié (CGU). La mise en œuvre de cette solution nécessite d’importants investissements, mais devrait contribuer à réduire considérablement les coûts de mise en conformité pour les contribuables et faciliter ainsi la formalisation. Il devrait également réduire le coût d’administration de ce segment de l’économie, FIGURE 3 : Répartition des assujettis à l’IS et à la TVA et des recettes à 1 milliard, 500 millions et 100 millions de francs CFA de chiffre d’affaires Source : Données DGID (2018), Calculs de l’effectif du GBM 104 En utilisant les données transnationales des enquêtes de la GBM, Kochanova et autres (2018) constatent que l’adop- tion des systèmes de dépôt électronique réduit les coûts de conformité fiscale, la probabilité et la fréquence des visites des entreprises par un contrôleur fiscal et la perception des administrations fiscales comme un obstacle aux activités et la croissance des entreprises. Dans leur échantillon, le dépôt électronique est également associé à une augmentation modérée du ratio des recettes fiscales au PIB. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 175 qui représente la majeure partie des contribuables enregistrés, mais seulement une petite partie des recettes. Il y a donc une forte justification pour mobiliser les investissements nécessaires à la mise en œuvre rapide de la solution m-tax, qui a été adoptée avec succès par le Rwanda, l’un des pays leader du développement numérique en Afrique (voir encadré 2). Le potentiel des solutions numériques pourrait aussi permettre le développement d’un impôt foncier efficace. Les impôts locaux et fonciers représentaient moins de 0,4 % du PIB en 2016 (UE 2016), 60 % des recettes fiscales locales étant concentrées dans la région du Grand Dakar. Les ENCADRÉ 2 : La technologie au service de l’enregistrement des contribuables : Le M-tax au Rwanda Au Rwanda, l’Administration fiscale (RRA) a introduit le paiement électronique (e-paie- ment) des impôts en 2011–2012, mais la majorité des micros, petites et moyennes entre- prises (MPME) qui utilisent ce canal se heurtent encore à des obstacles. Pour participer, il fallait avoir accès à un ordinateur, à internet et à un compte bancaire. En conséquence, selon RRA, la plupart des propriétaires de petites entreprises se rendaient encore dans les bureaux de l’administration fiscale où ils faisaient la queue pendant de nombreuses heures chaque trimestre, au détriment de leurs activités commerciales. Ces propriétaires d’entreprises ont indiqué qu’il leur est difficile de déclarer les impôts à temps ou même de les déclarer tout court. Les PMEs avaient besoin d’une solution pour les aider à se conformer plus facilement aux exigences en matière d’impôt sur le chiffre d’affaires. Avec seulement 25 pour cent de toutes les entreprises enregistrées formellement auprès de la RRA, l’opportunité était importante. Fin 2012, les systèmes de paiement mobile avaient déjà démontré que toute personne ayant accès à un téléphone mobile pouvait envoyer et recevoir de l’argent de manière fiable et efficace via un compte de paiement mobile. mPESA était bien établi et de nom- breux gouvernements dans les pays en développement expérimentaient avec les paie- ments mobiles. Le gouvernement rwandais a voulu se joindre à ce groupe de pays pion- niers en offrant aux MPME la possibilité d’utiliser l’argent mobile pour payer la taxe sur le chiffre d’affaires. C’est ainsi qu’est né le concept de mDeclaration. D’octobre 2012 à octobre 2013, la RRA et la GBM ont travaillé avec les entreprises de services informa- tiques et les parties concernées de la Banque centrale, l’Autorité rwandaise de régulation des services publics et les banques pour développer et introduire la plate-forme mobile qui calcule, déclare et paye la TVA. Le 5 octobre 2013, la RRA a lancé mDeclaration, et après seulement six mois d’un projet pilote ciblant des groupes d’opérateurs de PME- PMI, 10 256 utilisateurs s’étaient déjà inscrits pour utiliser le logiciel. Depuis, l’utilisation a atteint plus de 85 % de la population ciblée. 176 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES recouvrements réels sont encore plus bas.105 Pour relever les multiples défis que pose le système actuel,106,107une ambitieuse initiative pilote visant à réviser le système d’impôt foncier, de l’iden- tification à la facturation et à l’exécution, est actuellement à l’étude. Deux éléments sont au cœur de ce projet mené par la DGID : (i.) la création d’une nouvelle plate-forme informatique pour l’administration de tous les aspects du recouvrement de l’impôt foncier et (ii.) la mise à disposition d’une nouvelle méthodologie simplifiée pour aider à élargir et améliorer le rôle actuel des évalua- tions et améliorer la transparence du système pour le contribuable. Le potentiel de cette initiative et les options de déploiement à l’échelle nationale devraient être évalués à court terme. Résumé des recommendations : 77 A court et moyen terme (6 mois - 5 ans) : Se rapprocher de la frontière numérique pour s’attaquer à l’informalité et mobiliser les recettes : ●● A court terme (6 mois - 1 an) : Abaisser le seuil de dépôt électronique obligatoire pour couvrir la majorité des déclarants de l’impôt sur le revenu et 25 % des entités assujetties à la TVA. ●● A moyen terme (2 ans) : Fournir une interface numérique à la majorité des contribuables, à la suite de la mobilisation des ressources nécessaires à la mise en œuvre efficace de solutions de dépôt et de paiement électroniques mobiles (M-tax) pour les particuliers/ micro & petits contribuables. ●● A moyen terme (2 à 5 ans) : Évaluer le potentiel des solutions numériques dans le cadre du projet pilote en cours à Dakar pour une fiscalité foncière efficace en utilisant une approche simplifiée d’évaluation et de cartographie. Décider de l’opportunité et des options de déploiement à l’échelle du pays. 77 A moyen terme (2 ans) : Moderniser les pratiques de l’administration fiscale : ●● Assurer la mise en œuvre efficace d’audits aléatoires et basés sur les risques dans tous les services de la DGID et l’amélioration continue de l’algorithme d’évaluation. ●● Améliorer la collecte et la numérisation de renseignements et de données, en exploitant l’information sur les transactions des clients et des fournisseurs, les rapports sur les prix de transfert (disponible en 2019) et d’autres données accessibles de tiers. ●● Adopter une mémoire institutionnelle pour les vérifications et intégrer efficacement l’unité d’analyse des données aux services de vérification. 105 Les chiffres sur le recouvrement total de l’impôt foncier sont difficiles à obtenir, mais ont été estimés entre 10 et 15 milliards de francs CFA. 106 Le Sénégal est confronté à des défis majeurs car l’administration des propriétés et les droits de propriété est géré entre l’Etat et les communes. La fragmentation des transferts fiscaux intergouvernementaux, dont dépendent la plupart des administrations locales, aboutit souvent à une situation où les transferts fiscaux ne reflètent pas les besoins financiers des municipalités. 107 Comme pour les autres instruments, l’administration est répartie entre trois agences nationales, avec (i.) la DGID responsable des enregistrements, des évaluations et des évaluations, (ii.) la trésorerie responsable des recouvrements, (iii.) les Cours de Comptes chargées de vérifier les recouvrements. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 177 Les incitations fiscales Les efforts visant à examiner le rapport coût-efficacité des exonérations fiscales ont com- mencé, mais ils doivent être élargis pour évaluer les coûts et les avantages associés à chaque instrument. Le MEFP examine actuellement le coût des incitations accordées les plus impor- tantes, en vue de supprimer les instruments dont le rapport coût-efficacité n’est pas satisfaisant. Les résultats de l’analyse des dépenses pourraient être complétés par une enquête sur la motivation des investisseurs, afin d’obtenir une indication sur les instruments redondants (voir encadré 3). ENCADRÉ 3 : Résultats globaux des enquêtes de motivation des investisseurs Il existe souvent une dichotomie entre l’importance des incitations perçue par les gouver- nements et les investisseurs. Les gouvernements supposent souvent que les incitations influencent fortement les décisions d’investissement, alors que les investisseurs mettent l’accent sur l’accès aux marchés intérieurs, un bon climat d’investissement, la sécurité et la stabilité, la main-d’œuvre qualifiée et d’autres facteurs beaucoup plus importants. Les incitations ont-elles influencé le niveau d’investissement ? (pourcentage Pays et année de réponses Auteur de l’enquête Conclusion affirmatives) GBM - Burundi (2011) Ratio de redon- 77% 30% Investment El Salvador dance pour les 37% 13% Climate Advisory (2013) incitations (l’en- Services (FIAS) treprise aurait Guinée (2012) 92%  6% investi même Jordanie (2009) sans les incita- 70% 28% Kenya (2012) tions) 61% 11% Malaysie (2014) 81% 33% Nicaragua 15% (51% pour 17% (2009) les entreprises non exportatrices en dehors des zones franches) Rwanda (2011) 98% 21% Serbie (2009) 71%  6% Tanzanie (2011) 91%  8% Tunisie (2012) 58% 25% Ouganda (2011) 93% 13% Source : James (2018) 178 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES En ce qui concerne les nouvelles priorités politiques, y compris le soutien aux entrepreneurs numériques envisagé dans le cadre d’un régime de start-up, une approche prudente évitant le recours aux incitations fiscales est nécessaire pour limiter les distorsions. Les incitations fis- cales souvent considérées pour le secteur numérique comprennent des mesures pour tenir compte des pertes des entreprise, y compris, les reports de crédits d’impôt ou les remboursements, des déductions pour les amortissements telles que des taux d’amortissement préférentiels pour les dépenses en recherche et développement (R&D) et un large éventail d’autres allégements fis- caux destinés à stimuler l’investissement (voir Annexe 3). Les risques associés à ces instruments incluent les pertes de recettes, les distorsions résultant du comportement stratégique des contri- buables et les risques liés à la planification fiscal agressive. En outre, la gestion de tels systèmes d’incitation tend à imposer un fardeau administratif aux entreprises « start-up » et aux autorités fiscales. L’expérience internationale montre qu’il existe de nombreux outils non liés à la fiscalité permettant de générer un environnement favorable aux entrepreneurs numériques, et que la poli- tique fiscale, doit mettre l’accent sur l’égalité des conditions de concurrence et doit éviter un biais contre les entrepreneurs nationaux (voir ci-dessous). A moyen terme, les options de politique fiscale indirecte doivent être explorées afin d’assurer des conditions de concurrence équitables pour les fournisseurs de services numériques natio- naux et étrangers, étant donné que le Sénégal s’engage dans une stratégie plus large de trans- formation numérique dans le but d’encourager le développement du secteur. Le Sénégal devrait donc envisager d’adopter des recommandations pour l’imposition de la TVA aux consommateurs de services et de biens incorporels par des fournisseurs étrangers. Les politiques ont été adoptées par la plupart des pays de l’OCDE et du G20 et un certain nombre de pays africains (voir annexe 2 pour une discussion détaillée).108 Il est essentiel d’évaluer les répercussions sur l’équité de la suppression ou de la restructu- ration des dépenses de TVA109 afin d’éclairer les choix et de relever les défis politique de la réforme. En ce qui concerne la TVA, des simulations détaillées peuvent illustrer des alternatives à l’utilisation actuelle des exonérations et peuvent être réalisées sur la base des travaux antérieurs du GBM (Harris et autres, 2018 ; voir également l’annexe 1)110; En particulier, il est suggéré de procéder à une évaluation approfondie de la suppression des exemptions pour le carburant diesel, le riz, l’électricité et l’eau, qui sont à l’étude. La proposition des réformes finales devrait s’appuyer sur cette analyse des effets de l’équité et être complétée par l’introduction de mesures de mitigation. 108 Ghana, Kenya, Afrique du Sud et Tanzanie : OCDE (2018), p. 103, autres pays de la région étudient la mise æuvre. 109 En ce qui concerne les exonérations de TVA, la capacité administrative est également pertinente, en ce qui concerne le processus de remboursement, qui peut déclencher des demandes d’exonération de la part des industries à forte inten- sité de capital lorsqu’il ne fonctionne pas correctement). 110 Dans la modélisation des effets, une série d’hypothèses doivent être formulées, notamment en ce qui concerne l’in- cidence des impôts indirects et les effets de conformité. Ces hypothèses et leurs effets sur les estimations devront être soigneusement examinés et seront examinés en détail dans le modèle proposé (voir annexe 1). POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 179 Le gouvernement pourrait, par exemple, réorienter une partie des ressources supplémentaires obtenues en supprimant des dépenses pour accroître la couverture et les montants des principaux programmes sociaux,111 ce qui pourrait compenser les effets négatifs d’une charge fiscale indi- recte plus élevée pour les pauvres. Une telle approche pourrait faciliter la gestion de l’économie politique difficile que représente la suppression des exonérations de TVA et contribuer à susciter le soutien du public à la réforme. Les initiatives politiques visant à protéger l’assiette fiscale du Sénégal contre les risques d’évasion fiscale internationale doivent être complétées par une révision des conventions fiscales restrictives et le renforcement des capacités administratives. Le Sénégal a introduit une nouvelle législation sur les prix de transfert et les mesures anti-abus (règles de déduction des intérêts) en mars 2018. Ces révisions du droit primaire s’accompagnent de l’introduction d’exigences exhaustives en matière de déclaration. Par ailleurs, le Sénégal remplit les condi- tions de base d’échanges de renseignements efficaces et peut ainsi obtenir des informations pertinentes sur les actifs détenus par des Sénégalais à l’étranger.112 Cependant, des travaux supplémentaires sont nécessaires pour réviser le cadre fiscal international, en particulier la renégociation des conventions fiscales défavorables signées avec des centres d’investissement. Les pertes de recettes associées à ces conventions peuvent être importantes et ont été évaluées à 15 % de l’impôt sur les sociétés des économies africaines (Beer et Loeprick, 2018). Au Sénégal, l’administration fiscale a dû observer la planification fiscale agressive liée aux conventions fis- cales, en particulier dans les secteurs extractifs.113 Les investissements à venir augmentent ces enjeux, comme le montre le rapport de la Banque mondiale de 2018.114 Essentiellement, l’effet de certaines dispositions des convention fiscales n’est pas différent de celui d’autres incita- tions fiscales.115 Conclure les renégociations en cours des conventions fiscales déséquilibrées (voir figure 4.) est donc une priorité politique. En outre, pour assurer une mise en œuvre efficace, la capacité d’audit sur les questions de fiscalité internationale de la DGID doit 111 Voir aussi la note sur l’équité et l’efficacité des dépenses sociales (GBM, 2018). 112 Depuis son adhésion au Forum mondial sur la transparence fiscale en 2012, le Sénégal a accompli les phases un et deux du processus d’examen du Forum (en 2015 et 2016). Il a également signé en 2016 la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui sert de base à une mise en úuvre rapide de la nouvelle norme mondiale d’échange automatique d’informations sur les comptes financiers dans le domaine fiscal et de déclaration pays par pays dans le cadre du projet BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) de l’OCDE et du G-20. 113 Voir la décision N°203 DGID/DLEC/BC DU 08 MARS 2013, DGID. 114 GBM (2018): Politique du Sénégal en matière de conventions fiscales - Analyse et recommandations. 115 La définition des taux de retenue à la source qu’un pays source peut appliquer aux paiements transfrontaliers, tels que les redevances, les intérêts ou les frais de service, constitue un élément central des conventions fiscales. Entre les pays à fiscalité élevée, les limitations des taux de retenue à la source tendent à résulter dans un transfert de recettes fiscales entre gouvernements, étant donné que les retenues d’impôt à la source à l’étranger sont généralement déductibles de l’impôt à payer dans le pays de résidence. En revanche, la limitation des taux de retenue à la source sur les paiements destinés aux pays avec un faible taux d’imposition entraîne un transfert des gouvernements aux contribuables. 180 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES FIGURE 4 : (a.) l’équilibrage des conventions fiscales du Sénégal ; (b.) Nombre de sociétés dans les « Documents Panaméens » entretenant des relations116 avec le Sénégal Witholding Tax Rates Index across Source Index across Senegal's current treaties Senegal's current treaties .4 .6 .3 Avg value Avg value .4 Value Value .2 .2 .1 0 0 l l ia ia ay ly ly ay um um ain ain co co ius r r da ius da an an n n ga ga ta ta no no Ita Ita ys ys rw rw oc oc na na iw iw Qa Qa rit rit rtu rtu Sp Sp lgi lgi ba ba ala ala Ta Ta No No or or au au Ca Ca Be Be Po Po Le Le M M M M M M 20 15 10 5 0 2000q1 2005q1 2010q1 2015q1 Quarter Senegal Average for ECOWAS (excluding Senegal) Source des données : ICTD/Hearson 2016 116 Soit par le biais d’un actionnaire soit du fait de l’adresse du bénéficiaire effectif. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 181 encore être renforcées, en s’appuyant sur les initiatives actuelles de la GBM et de l’initiative «Tax Inspectors Without Borders (TIWB)» de l’OCDE/PNUD. L’expérience des pays montre qu’il faut au minimum 3 à 5 ans pour mettre en place une capacité administrative efficace de mise en œuvre des règles anti-abus (WBG 2016). Résumé des recommandations : 77 A court terme (6 mois - 1 an) : Élargir l’analyse des dépenses fiscales pour couvrir en pro- fondeur les retours sur investissements de ces mesures et les effets sur la pauvreté et l’équité ; Conclure les efforts de consolidation en cours : ●● Évaluer les avantages et la redondance des incitations à l’investissement, potentiellement en réalisant une enquête de motivation des investisseurs. ●● Intégrer la politique des conventions fiscales au Sénégal dans les examens réguliers des dépenses fiscales. Conclure la renégociation des conventions fiscales problématiques. ●● Évaluer les coûts indirects des incitations fiscales (risques d’abus et ampleur) et les coûts administratifs dans le cadre de l’analyse des dépenses fiscales. ●● Simuler les effets sur la pauvreté et l’équité de la suppression des exonérations de TVA (carburant diesel, riz, électricité et eau) en s’appuyant sur les modèles existants. Combiner la suppression des exonérations de TVA avec des mesures visant à atténuer les effets sur les pauvres. 77 A court terme (6 mois -1 an): Evaluer le rôle ou l’absence de rôle des mesures fiscales visant à promouvoir le développement de secteurs prioritaires, tel l’économie numérique et limiter l’introduction de nouvelles incitations fiscales susceptibles à l’optimisation fiscale 77 A moyen terme (2 ans) : Éliminer les dépenses redondantes et peu rentables et s’orienter vers une approche politique plus équilibrée pour encourager le secteur privé ; Évoluer vers un régime fiscal généralement favorable à l’investissement, mais limité dans le ciblage d’activités ou de secteurs spécifiques. 77 A moyen terme (2 ans) : Adopter des recommandations visant à imposer efficacement la TVA sur les services et de biens incorporels par des fournisseurs étrangers. Viser une stratégie de recettes à moyen terme (MTRS) Afin d’assurer une approche étroitement alignée entre les agences gouvernementales concer- nées et les initiatives des bailleurs de fonds, la préparation d’une stratégie de recettes à moyen terme (MTRS) devrait être envisagée dans le court terme. Une MTRS est composée de quatre composantes interdépendantes : 117 (1) fixer un objectif de mobilisation des recettes en établis- sant un large consensus sur les objectifs en matière de recettes sur la base des dépenses publiques De plus amples détails sur l’approche MTRS figurent dans un rapport de la Plateforme pour la collaboration en 117 matière fiscale pour le G20, qui comprend une note conceptuelle MTRS : http://documents.worldbank.org/curated/ en/487521499660856455/pdf/117317-WP-PUBLIC-Collaboration-on-Tax.pdf. 182 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES ENCADRÉ 4 : Composantes d’une stratégie de recettes à moyen terme (MTRS) Redéfinir le cadre de la politique fiscale 77 Une projection sur 5 ans des besoins de recettes du gouvernement (peut-être en pourcentage du PIB) ; un plan de dépenses - y compris le déficit de financement à mobiliser par le biais du système fiscal. 77 Un double diagnostic du cadre politique actuel (principaux impôts) : ●● en prenant compte des principes d’une politique fiscale saine et des tendances internationales. ●● en rapport à la capacité du cadre de répondre aux besoins en recettes projetés. 77 L’intention de modifier le cadre de la politique fiscale pour répondre aux besoins de recettes précisés et, en même temps, d’améliorer ses principes de conception : ●● Par exemple, modifier la progressivité de l’IRP, élargir l’assiette de l’IS. 77 Un calendrier sur 5 ans avec l’enchaînement des changements stratégiques prévus et des changements législatifs qui les accompagnent. 77 Une structure responsable (p. ex. unité des politiques) pour diriger le processus et le travail de réforme, la participation des intervenants et les discussions au parlement. Réforme de l’administration fiscale 77 Un triple diagnostic des agences du revenu sur leur administration du cadre stratégique en vue d’atteindre un niveau élevé d’observation de la loi par les contribuables : ●● les niveaux/taux de conformité des contribuables à l’égard des principaux impôts. ●● les dispositions institutionnelles de gestion et de gouvernance à par rapport aux meilleurs pratiques et tendances internationales (par exemple, mesurées par TADAT et d’autres outils). 77 Un plan de réforme des organismes fiscaux allant dans la direction de la modernisation et de l’adoption de bonnes pratiques et tendances internationales. ●● Par exemple : Une plus grande autonomie et responsabilité des agences, passage à l’administration des recettes numériques, automatisation complète des processus 77 Un plan d’investissement pour soutenir la mise en œuvre de la réforme, notamment les besoins en ressources et les sources. 77 Un échéancier de cinq ans avec l’enchaînement des changements prévus dans l’administration des recettes 77 Une structure de gouvernance pour diriger le processus de réforme, collaborer avec les interve- nants, entreprendre le travail et appuyer les discussions parlementaires. Renforcement du cadre juridique. Les réformes politiques et administratives nécessiteront proba- blement un changement important du cadre juridique fiscal. Le document du MTRS devrait identifier les principaux changements nécessaires pour permettre les changements prévus en matière de politiques et d’administration, en particulier ceux qui visent à éliminer les obstacles à la modernisa- tion de la réforme des agences fiscales. Source: PCT, 2018: Strengthening Tax Capacity in Developing Countries: Inter-agency Platform for Collaboration on Tax prioritaires envisagées ; (2) concevoir une réforme globale du système fiscal - couvrant la poli- tique, l’administration et le cadre juridique pour atteindre ces objectifs ; (3) engager un soutien politique stable et soutenu de l’ensemble du gouvernement aux réformes ; et (4) obtenir des ressources adéquates - sur le plan national et de bailleurs, au besoin, notamment une assistance technique pour appuyer l’exécution. L’encadré 4 ci-dessus illustre ce qui pourrait être développer pour chacun de ces quatre éléments. Plusieurs pays ont réalisé des progrès importants dans la mobilisation des ressources inté- rieures grâce à des approches plus systématiques de réforme du système fiscal. Une MTRS peut renforcer la capacité de conception et de gestion des politiques et veiller à ce que des res- sources appropriées soient allouées à l’effort de réforme. Il existe également de bons exemples de pays en développement qui ont réussi à mettre en œuvre des réformes à moyen terme en adaptant de bonnes pratiques de gestion à leurs réalités. Résumé de la recommandation 77 A court terme (6 mois à 1 an) : En s’appuyant sur l’appui des partenaires au développement, la préparation d’une stratégie de revenus à moyen terme, qui peut servir pour gérer les acteurs internes et externes, établir un consensus entre agences concernées et la coordination avec la société civile, et assurer l’efficacité des bailleurs. ANNEXES Annexe 1 : Effets des dépenses de TVA sur la pauvreté et l’équité — Un outil pour simuler l’impact distributif des réformes fiscales118 Le Laboratoire des politiques en matière d’équité de la Banque mondiale met au point un ensemble d’outils qui sont adaptés aux circonstances propres à chaque pays pour simuler l’im- pact distributif des réformes fiscales. L’objectif est de créer des outils de micro simulation faciles à utiliser pour évaluer l’impact distributif des réformes fiscales et des dépenses. Ces outils peuvent aider à orienter les stratégies en faveur des ménages pauvres et ouvrir une marge de manœuvre budgétaire pour les dépenses prioritaires. Les outils s’appuient sur les données d’enquêtes auprès des ménages au niveau des pays et sont adaptés à chaque pays afin de saisir l’ensemble des carac- téristiques institutionnelles des systèmes de prélèvements et des services sociaux. Cela comprend une caractérisation précise des seuils, des plafonds et des taux d’imposition directe pertinents, une modélisation détaillée du système de fiscalité indirecte, y compris les taux réduits et les 118 Fournies par Gabriela Inchauste, GPV04. 184 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES exonérations, ainsi qu’une modélisation détaillée des règles d’accès aux services sociaux. Il est donc possible d’obtenir une vue d’ensemble des charges fiscales et des droits aux service sociales pour permettre des simulations de modifications des règles en vigueur. Les modèles de micro simulation suivent des normes strictes en matière de transparence des hypothèses et de valida- tion des résultats, conformément aux meilleures pratiques internationales. L’outil qui en résultera permettra à des utilisateurs plus spécialisés de voir les hypothèses formulées, mais il pourra servir un public plus large grâce à des interfaces simples. Pour commencer, l’outil utilisera Excel comme interface principale où l’utilisateur pourra saisir un large éventail d’options de politique fiscale. L’outil exécutera ensuite un ensemble de programmes (dans STATA) avec les choix de politiques simulées souhaités et rapportera automatiquement les impacts distributifs dans l’outil Excel dans un format personnalisable. En cas d’intérêt, l’outil peut éventuellement être converti en un tableau de bord basé sur le Web qui permettrait l’accès à un nombre beaucoup plus important d’utilisateurs sans avoir besoin d’un logiciel spécialisé. Annexe 2 : Fiscalité indirecte de l’économie numérique — Veiller à ce qu’il n’y ait aucun biais au détriment des fournisseurs nationaux119 L’économie numérique pose des défis pour la politique de taxation indirecte (TVA). Les deux questions principales sont de savoir si la TVA devrait s’appliquer aux biens et services fournis numé- riquement et, dans ce cas, comment mettre en œuvre une telle décision politique pour les achats en ligne auprès de fournisseurs étrangers. Les deux questions sont liées : s’il est impossible de taxer les achats en ligne auprès de fournisseurs étrangers, est-il juste de taxer les transactions en ligne natio- nales ? Les deux questions peuvent être formulées de manière à déterminer si la fiscalité indirecte favorise des conditions de concurrence équitables entre les entreprises traditionnelles et numériques et entre les fournisseurs nationaux et étrangers. Cette annexe répond à ces questions. La numérisation de l’économie mondiale pose également de nouveaux défis en matière de fiscalité directe. Les questions de fiscalité directe soulevées par l’économie numérique sont techniquement complexes et dépassent le cadre de cette annexe, mais un bref résumé fournit des informations générales sur la discussion de la TVA. Certaines questions principales ont été traitées dans le cadre des actions BEPS OCDE / G20. Par exemple, l’action 7 a amélioré la définition des établissements stables afin de refléter les pratiques commerciales modernes et cette définition révisée a été incluse dans l’instrument multilatéral (MLI) pour la mise à jour 119 D’après les commentaires de Jonathan Leigh Pemberton, GGOGT. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 185 des conventions fiscales. Le Sénégal est signataire du MLI et a choisi d’adopter la définition révisée des établissements stables. Cela contribuera à assurer des conditions de concurrence équitables entre les commerçants nationaux et ceux basés à l’étranger. Cependant, certaines questions importantes concernant les impôts directs ne sont toujours pas résolues. Il n’existe actuellement aucun consensus international sur l’affectation ou non d’une part des bénéfices réalisés par certaines plates-formes numériques aux emplacements où leurs utilisateurs sont basés. Ceci est une préoccupation particulière pour les pays qui ont une base d’utilisateurs importante mais dans lesquels les plates-formes n’ont pas de présence physique (pas de person- nel, locaux ou équipements). Le groupe de travail à l’OCDE sur l’économie numérique pour- suit ses travaux sur ces questions et devrait rendre son rapport final en 2020. Si certains pays ont choisi d’adopter des mesures « provisoires » de taxation directe de l’économie numérique, d’autres attendent les résultats du groupe de travail. Certains décideurs sont attirés par l’idée que la politique fiscale peut directement contri- buer à encourager l’économie numérique. S’il est judicieux de créer un environnement fiscal propice à la croissance dans ce secteur de plus en plus important, il est problématique de le faire au moyen d’incitations fiscales (voir aussi annexe 4). En particulier, il n’a pas de sens d’appliquer un taux de TVA inférieur ou nul aux biens et services achetés numériquement pour les raisons suivantes : 77 La TVA est une taxe sur la consommation et il est difficile de comprendre pourquoi il est juste de taxer l’achat d’un téléviseur mais pas le téléchargement numérique d’un film. 77 La distinction entre les « entreprises numériques » et les entreprises traditionnelles est impos- sible à établir dans la pratique. Le deuxième point a été très clairement exposé dans le rapport BEPS Action 1 sur l’économie numérique et les tentatives visant à établir une distinction risquent d’avoir des conséquences inattendues. Un exemple simple sert à illustrer cela si les achats effectués en ligne ne sont pas assujettis à la TVA mais aux achats traditionnels effectués dans un magasin physique, les consommateurs seront alors incités à substituer les achats en ligne aux achats tradition- nels. En outre, les commerçants physiques continueront probablement à réagir en offrant aux consommateurs la possibilité d’acheter « en ligne » dans leurs magasins ; ils peuvent ensuite « récupérer » les biens immédiatement après. Le résultat global sera une érosion majeure de l’assiette de la TVA. S’il est logique de veiller à ce que les fournisseurs nationaux de l’économie numérique comp- tabilisent la TVA sur leurs ventes, quelles en sont les conséquences pour les fournisseurs étrangers ? Les modèles traditionnels de collecte auprès du fournisseur ne sont pas efficaces, car ils ne peuvent pas être directement réglementés par les autorités fiscales nationales. Plus précisé- ment, les fournisseurs étrangers de biens et de services entièrement numériques (jeux, films, etc.) 186 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES peuvent n’avoir que peu ou pas de présence physique dans le pays où la consommation a lieu. La collecte auprès des consommateurs est peu pratique, en particulier dans le cas des biens et services numériques, en raison des faibles valeurs en jeu et de la difficulté de contrôler et de faire respecter les règles.120 Toutefois, le fait de ne pas soumettre la consommation de biens et de ser- vices achetés à des fournisseurs étrangers désavantagera leurs concurrents nationaux et menacera d’éroder l’assiette de la TVA. Les fournisseurs étrangers bénéficieront d’un avantage sur les prix et les entrepreneurs numériques nationaux seront incités à se délocaliser. L’économie numérique se caractérise par une forte mobilité internationale. Heureusement, il s’agit d’un problème sur lequel il existe un consensus international et un modèle à suivre pour garantir la TVA des fournisseurs étrangers. Le rapport BEPS Action 1 recommandait aux pays de mettre en œuvre les directives internationales de l’OCDE en matière de TVA.121 Le principe de destination, détermine que le pays de résidence du consommateur a le droit de percevoir la TVA. Pour percevoir la taxe, il est recommandé aux pays d’imposer aux fournisseurs étrangers de s’inscrire et de comptabiliser la taxe due sur les ventes aux consommateurs sur leur territoire. Pour aider à la conformité, il est suggéré aux pays de mettre en place un système simplifié d’enregistrement et de conformité pour les fournisseurs étrangers. Plus de 50 pays ont adopté ces recommandations, y compris la plupart des pays de l’OCDE et du G20 et un certain nombre de pays africains.122 Par exemple, les services électroniques des fournisseurs étrangers aux destinataires en Afrique du Sud sont soumis à la TVA depuis juin 2014. L’UE a prélevé la TVA sur les fournisseurs non-résidents de services de télécom- munications, de radiodiffusion et de services électroniques, quelle que soit leur ampleur, depuis le 1er janvier 2015. Les entreprises non-résidentes sont tenues de facturer au client la TVA au taux en vigueur dans leur pays. Un portail en ligne permet aux fournisseurs de s’inscrire, de soumettre des déclarations trimestrielles et de payer la taxe due.123 Selon l’OCDE, plus de 3 milliards d’euros d’impôts ont été collectées dans l’UE.124 L’Australie a adopté une approche 120 Madagascar est l’exemple d’un pays où l’on impose une taxe théorique au consommateur, mais où il n’existe aucun moyen pratique de collecte. 121 http://www.oecd.org/ctp/international-vat-gst-guidelines-9789264271401-en.htm. 122 Ghana, Kenya, Afrique du Sud et Tanzanie: OECD, Tax Challenges Arising from Digitalisation, Interim Report, 2018, p. 103, http://www.oecd.org/ctp/tax-challenges-arising-from-digitalisation-interim-report-9789264293083-en.htm. 123 European Commission, “Digital Single Market: Modernizing VAT for Cross Border e-Commerce,” December 2017, https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/vat/digital-single-market-modernising-vat-cross-border- ecommerce_en. 124 OECD, “Tax challenges arising from digitalisation: More than 110 countries agree to work towards a consen- sus-based solution,” March 16, 2018, http://www.oecd.org/ctp/beps/tax-challenges-arising-from-digitalisation-more- than-110-countries-agree-to-work-towards-a-consensus-basedsolution.htm. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 187 similaire en juillet 2017, obligeant les fournisseurs étrangers dont le chiffre d’affaires dépasse le seuil de chiffre d’affaires de 75 000 dollars australiens à comptabiliser la TVA sur les services numériques et professionnels.125 Annexe 3 : Encourager les start-ups — Instruments habituels, risques et expérience des pays 126 Cette annexe examine un certain nombre de questions relatives à l’utilisation d’incitations fis- cales pour soutenir les start-ups et présente quelques exemples spécifiques de pays. L’examen des instruments et des pratiques des pays est présenté à titre d’information générale et ne consti- tue pas une recommandation sur les approches politiques adoptées. Contexte général des instruments fiscaux pertinents L’objectif du gouvernement du Sénégal est de faciliter l’émergence de start-ups numériques basées sur l’innovation et la technologie, permettant à ces start-ups de devenir un moteur important pour une croissance économique inclusive. L’une des raisons d’être des mesures de soutien ciblées est la promesse économique des entreprises start-ups. Ces entrepreneurs sont innovants et pourraient en principe débloquer des contraintes importantes.127 Les entrepreneurs du secteur sont généralement jeunes ; par exemple, 21,5 % des jeunes entreprises innovantes ita- liennes ont une majorité d’actionnaires âgés de moins de 35 ans, soit plus du triple de la moyenne des autres sociétés anonymes (6,7 %).128 De plus, les startups peuvent stimuler la productivité dans tous les secteurs de l’économie.129 Les incitations fiscales ne sont que l’un des nombreux aspects d’un cadre réglementaire qui vise à créer un écosystème pour les entreprises start-up. D’autres aspects sont par exemple l’infrastructure numérique, le droit du travail et le climat général des investissements. L’examen des incitations fiscales pour les porte généralement sur deux ensembles d’instru- ments différents mais liés : (i) des incitations pour stimuler l’entrée de nouvelles entreprises et (ii) des incitations pour stimuler l’investissement dans l’innovation. Bien qu’une grande partie de l’innovation se produise également dans les entreprises existantes (généralement de taille 125 Australian Taxation Office, “GST on Imported Services and Digital Products,” September 2017, https://www. ato.gov.au/Business/International-tax-for-business/GST-on-imported-services-and-digital-products/. Digital ser- vices include streaming or downloading music, movies, applications, games, and e-books. Professional services include architecture or legal services. 126 D’après les contributions d’Anna Custers, GGOGT. 127 Voir: Senegal Digital Sources of Growth Study. 128 20 key findings from the 2017 Annual Report on innovative startups and SMEs, report to Parliament. http://www. mise.gov.it/images/stories/documenti/Annual_Report_to_Parliament_Italian_Startup_Act_2017_-_highlights.pdf. 129 Concept Note Senegal Digital Sources of Growth Study. 188 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES moyenne ou grande), les défaillances du marché et les options stratégiques qui en découlent sont différents130 pour les entreprises nouvelles.131 Les défaillances du marché peuvent être regroupés en deux catégories :132 i) Le secteur privé sous-investit dans des activités d’innovation socialement bénéfiques. Dans ces cas, les externalités positives sous forme de diffusion de l’information ou de gains d’utilité pour les consommateurs génèrent un taux de rendement social de l’entre- preneuriat innovant supérieur au taux de rendement privé. En générale, les entreprises n’introduisent un nouveau produit que si les bénéfices qui en résultent dépassent les coûts fixes d’entrée. D’un point de vue social, cependant, l’introduction d’un nouveau produit est désirable tant que les bénéfices de l’entreprise plus l’utilité pour le consommateur dépassent les coûts fixes. ii) Manque d’accès à des financements extérieurs (fonds propres ou emprunts) en raison des asymétries d’information. Il est coûteux pour les investisseurs extérieurs d’apprendre autant que l’entrepreneur sur les risques encourus. En outre, les entreprises en démarrage n’ont géné- ralement pas des garanties à offrir aux banques. Sans accès à un financement extérieur, les entrepreneurs sont relégués à leur épargne personnelle pour financer les frais de démarrage. Le taux de défaillance de ces nouvelles entreprises étant élevé, l’entrepreneur est donc exposé à un coût du risque important. Cette situation peut réduire les activités innovantes et résulter dans une situation ou les nouveaux projets sont moins ambitieux. D’une manière générale, il existe trois façons différentes de remédier à ces échecs du mar- ché : (i) par un soutien financier direct (par exemple, financement par capitaux propres, garanties de prêts, subventions et dons), (ii) par un soutien financier indirect sous la forme d’incitations fiscales, ou par un soutien non financier (par exemple, infrastructures (incubateurs, parcs techno- logiques, bureaux de transfert technologique), formation et services de conseil (comment enre- gistrer un brevet, par exemple), etc. Dans ce qui suit, la discussion se concentre sur les incitations fiscales, la forme indirecte de soutien financier aux start-ups innovantes. Le traitement fiscal des pertes d’entreprises a tendance à être une priorité pour les jeunes entreprises.133 Cela se fait habituellement par le biais de reports prospectifs de crédits d’impôt ou des remboursements. Par exemple, les crédits d’impôt sous la forme d’une déduction directe de l’obligation fiscale d’une entreprise, équivalant à une proportion d’une 130 Ils peuvent se superposer, mais la combinaison spécifique est différente. 131 Gordon, Roger and Sarada (2018), “How should taxes be designed to encourage entrepreneurship?,” Journal of Public Economics, 166, 1–11. 132 Gordon, Roger and Sarada (2018), “How should taxes be designed to encourage entrepreneurship?,” Journal of Public Economics, 166, 1–11; Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. 133 Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017:29), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 189 base de R&D définie134, ne sont accessibles aux entreprises déficitaires que si ces entreprises sont en mesure de reporter ces crédits, ce qui leur permettra d’utiliser le crédit dans les années futures, plus rentables. Une limite est l’échec de nombreuses entreprises start-up, sans avoir utilisé leurs reports de pertes fiscales prospectifs.135 Une solution alternative (mais possiblement couteuse) peut être le remboursement, ou des impôts négatifs dans les situation déficitaire.136 De même, les entre- prises non constituées en société (les particuliers) peuvent parfois déduire les pertes d’entre- prise d’autres revenus personnels, ce qui permet à l’entrepreneur de réaliser une économie d’impôt..137 Les déductions pour amortissement constituent une autre incitation fiscale perti- nente pour les entreprises en démarrage (déficitaires). Par exemple, les taux d’amortissement préférentiels pour les dépenses de R&D, qui sont souvent comptabilisées comme des biens d’équipement. Cette incitation peut par exemple prendre la forme d’une déduction immédiate de 100 pour cent du revenu brut ou d’un amortissement accéléré à un taux supérieur à celui des autres biens d’équipement.138 Les déductions pour amortissement visent généralement à faciliter le transfert de technologie.139 Au bout du compte, ces économies d’impôt, qu’il s’agisse de crédits d’impôt ou de déduc- tions pour amortissement, visent à libérer davantage de liquidités au sein de l’entre- prise, réduisant ainsi le besoin de financement externe pendant la phase initiale de démar- rage. Outre les déductions pour amortissement, les avantages fiscaux pour les investisseurs sont parfois utilisés pour stimuler l’investissement extérieur dans les entreprises en phase de création. Les incitations fiscales s’accompagnent de coûts directs importants et de risques liés à l’éva- sion fiscale, ce qui alourdit les charges administratives. En particulier lorsque l’utilisation est difficile à prévoir et, par conséquent, ces instruments peuvent entraîner d’importantes dépenses fiscales.140 De plus, les crédits d’impôt fondés sur les dépenses de R&D peuvent mener à un comportement stratégique, y compris le reclassement des dépenses inéligibles en R&D, ou à 134 The next section will further discuss the definition of and trade-offs between a volume-based or incremental R&D tax base. 135 Gordon, Roger and Sarada (2018), “How should taxes be designed to encourage entrepreneurship?,” Journal of Public Economics, 166, 1–11. 136 Correa, Paulo and Irem Guceri (2013:5), “Tax Incentives for Research and Development,” Innovation, Technology & Entrepreneurship Global Practice Policy Note, (4), 18. 137 Gordon, Roger and Sarada (2018), “How should taxes be designed to encourage entrepreneurship?,” Journal of Public Economics, 166, 1–11. 138 Correa, Paulo and Irem Guceri (2013:5), “Tax Incentives for Research and Development,” Innovation, Technology & Entrepreneurship Global Practice Policy Note, (4), 18. 139 Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017:29), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. 140 See also below, when France is discussed. 190 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES une augmentation des salaires en R&D.141 Les économies d’impôt peuvent également inciter les entreprises start-up qui ne sont pas soumises à des contraintes financières à prendre des risques excessifs.142 Et ils risquent d’offrir des possibilités de planification fiscale,143 minant l’équité et l’impartialité du régime fiscal et créant d’importantes contraintes administratives. Définir et surveiller quelles dépenses sont admissibles aux crédits d’impôt pour la R&D, par exemple, est généralement une tâche non triviale.144 Exemples de pays France Le tableau 1 présente les avantages fiscaux qui s’appliquent spécifiquement aux entreprises qui démarrent depuis moins de huit ans, qui investissent au moins 15 % de leurs dépenses totales en R-D et qui, par conséquent, sont classées comme Jeune Entreprise Innovante ( JEI).145 Crédit d’impôt à la R&D Le crédit d’impôt R&D couvre 30% de l’ensemble des dépenses de R&D jusqu’à 100 millions d’euros, et 5% au-delà de ce seuil. Les crédits d’impôt non utilisés sont remboursés (immédiatement) aux PME. Impôt sur le revenu Exonérations des charges sociales jusqu’à un seuil déterminé: * Pour chaque salarié, jusqu’à 4,5 fois le SMIC (salaire minimum France) du salaire brut, soit 6 660 euros par mois en 2018 ; Pour chaque entreprise, jusqu’à 5 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 199 880 € en 2018). Impôt sur les bénéfices Exonération totale de l’impôt sur les bénéfices pendant 12 mois sur des sociétés 8 ans, et exonération de 50% l’année suivante*. Autres Exonération totale de l’impôt foncier et de la taxe professionnelle dans les 7 premières années suivant la constitution de la société*. * Ces trois exonérations de l’impôt sur les sociétés sont soumises à la règle européenne “de minimus”, qui fixe un plafond à l’allé- gement fiscal qu’une société peut recevoir chaque année. L’allègement ne peut excéder 200.000 euros pour une entreprise sur une période de 3 ans. 141 Guceri, Irem (2018), “Will the real R&D employees please stand up? Effects of tax breaks on firm-level outcomes,” International Tax and Public Finance, 25 (1), 1–63. 142 Gordon, Roger and Sarada (2018), “How should taxes be designed to encourage entrepreneurship?,” Journal of Public Economics, 166, 1–11. 143 Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017:29), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. 144 Correa, Paulo and Irem Guceri (2013), “Tax Incentives for Research and Development,” Innovation, Technology & Entrepreneurship Global Practice Policy Note, (4), 18; Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. 145 For other requirements to classify as a JEI see Annex. Table is based on: OECD (2018). R&D Tax Incentives: France, 2017, http://www.oecd.org/sti/rd-tax-stats-france.pdf; http://www.jcarmand.com/en/tax-incentives- and-subsidies/jei-france-young-innovative-company/; https://www.maupard.com/jei-tax-exemption-let-france- offer-you-a-bouquet-of-flowers/. POUR UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉ 191 Les incitations fiscales françaises en faveur de la R&D sont reconnues comme l’un des régimes le plus généreux de l’OCDE. En 2017, le taux marginal de subvention fiscale pour les PME à but lucratif et les PME déficitaires est estimé à 0,43, ce qui est nettement supérieur à la médiane de l’OCDE (0,19 et 0,15 pour les PME déficitaires et à but lucratif respectivement).146 La France expérimente avec les incitations fiscales à la R&D depuis 1983, date de leur introduction. Entre 2003 et 2013, le régime a été considérablement modifié, sur la base des nombreuses études d’impact qui ont été réalisées sur le régime. Au fil du temps, les avan- tages fiscaux de la R-D sont passés d’une politique progressive, en vertu de laquelle les entre- prises avaient droit à un crédit équivalant à 50 % des dépenses admissibles de R-D supé- rieures à la moyenne des deux années précédentes, à une conception fondée sur le volume. Depuis 2008, le régime est entièrement basé sur le volume. Le nouveau système est jugé beaucoup plus simple que l’ancien, qui comportait de nombreuses inefficacités, en particulier parce qu’il incitait les entreprises à un comportement stratégique, ce qui imposait égale- ment une charge administrative plus lourde tant à l’administration fiscale qu’aux entreprises elles-mêmes.147 Dans le même temps, les systèmes basés sur le volume sont plus coûteux. C’est ce qu’illustre éga- lement le tableau 2, où le soutien indirect de la France à la R&D a plus que doublé à la suite du passage à un système purement basé sur le volume en 2008. Pour 2018, le crédit d’impôt R&D est estimé à 5.8 milliards d’EUR (non limité aux start-ups) et une étude est actuellement menée par l’Institut des Politiques Publique pour analyser son efficacité. Des éléments préliminaires sug- gèrent que, de toute façon, le crédit d’impôt n’a pas réussi à stimuler la productivité, son principal objectif.148 Néanmoins, de nombreux autres pays qui ont mis en place des régimes d’incitations fiscales à la R&D dans les années 2000 ont suivi la France et adopté des régimes simples, basés sur le volume.149 Inde Des exonérations fiscales dans le cadre du programme Start-up India ont été introduites dans le projet de loi de finances 2016.150 Articles 31, 32 et 41, modifiant directement la Loi de l’impôt 146 OECD (2018). R&D Tax Incentives: France, 2017, http://www.oecd.org/sti/rd-tax-stats-france.pdf. 147 OECD (2016). R&D Tax Incentive Country Profiles 2015: France, http://www.oecd.org/sti/OECD-STI- RDTaxIncentives-CountryProfile_FRA.pdf; Correa, Paulo and Irem Guceri (2013), “Tax Incentives for Research and Development,” Innovation, Technology & Entrepreneurship Global Plactice Policy Note, (4), 18; Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. 148 Council on Economic Policies, In France, Evaluating Tax Expenditure Effectiveness Remains a Challenge, 16 November 2017, https://www.cepweb.org/in-france-evaluating-tax-expenditure-effectiveness-remains-a-challenge/. 149 Guceri, Irem, Andrey P. Zolotarev, and Aridi Anwar (2017), “Fiscal Incentives for Science, Technology, and Innovations Activities: Good Practice Review Report,” World Bank Group. 150 http://www.mise.gov.it/images/stories/documenti/Executive-Summary-of-Italy-s-Startup-Act-new- format-23_02_2017.pdf. 192 NOTES DE POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES sur le revenu. Dans les projets de loi de finances ultérieurs, de petites modifications ont été appor- tées. Le tableau présente les exonérations fiscales telles que définies en dernier lieu par le projet de loi de finances 2018.151 Startups Traitement fiscal des Les entreprises en démarrage peuvent reporter leurs pertes sur les sept pertes d’entreprise premières années. Autres Exonération (exonération fiscale de 100 % sur les bénéfices et les gains tirés d’une entreprise admissible, c.-à-d. une jeune entreprise admissible engagée dans l’innovation, le développement ou l’amélioration de produits, de services. ou un modèle d’entreprise ayant un potentiel élevé de création d’emplois) pendant trois années consécutives sur sept années à compter de l’année où l’entreprise admissible est constituée, tant que son chiffre d’affaires annuel est