54845 No. 152 Novembre 2000 Sénégal : Le rôle des femmes dans le secteur de l'énergie traditionnelle Prise en considération de la problématique hommes-femmes dans un projet énergie (traduit de l'anglais) Depuis de nombreuses années, la planification du secteur de l'énergie dans plusieurs pays de l'Afrique subsaharienne est un exercice quelque peu déconcertant dans la mesure où il implique la prise en considération d'éléments incompatibles, à savoir énergies traditionnelles et énergies modernes. Bien qu'elles soient essentielles au fonctionnement de toute société, ces dernières ne représentent qu'entre 15 et 40% de la consommation totale d'énergie. Toutefois, elles requièrent l'application de méthodes modernes de transformation qui absorbent pratiquement la totalité des coûts alloués au secteur de l'énergie. Quant aux énergies traditionnelles, elles tiennent une place prépondérante au niveau de la consommation totale d'énergie. En outre, elles représentent la totalité de la consommation énergétique des ménages. De manière assez paradoxale, elles influent peu en matière de prise de décision politique et de planification du secteur de l'énergie et reçoivent un très faible apport en investissements. Les énergies traditionnelles (bois de feu et charbon) représentent une part considérable de la consommation totale d'énergie. Dans les pays à revenus faibles tels que le Burkina Faso et l'Ethiopie, le secteur domestique absorbe 80% de la consommation totale de l'énergie. Les projections établies pour le 21ème siècle indiquent que ce pourcentage sera maintenu. La plupart des énergies traditionnelles sont consacrées aux besoins domestiques (préparation des repas et chauffage). Par conséquent, la qualité de vie des femmes résidant dans les zones rurales reste tributaire dans une large mesure de leur accès à ces sources d'énergie ainsi que de l'emploi qu'elles en font. Les sources d'énergie traditionnelle ont de sérieuses implications sur plusieurs aspects importants de la vie des femmes. Santé Plus de la moitié des ménages dans le monde entier cuisinent quotidiennement. Les méthodes de cuisson incluent bois de feu, déchets agricoles, et charbon de bois non-traité. Or, ces méthodes ont un effet polluant qui affecte essentiellement les femmes et les enfants du fait que ceux-ci passent plus de temps à l'intérieur de leur habitation. D'ailleurs, on constate que les femmes et les enfants sont les segments de la population les plus touchés par des infections respiratoires sévères, des maladies pulmonaires chroniques, des cancers du poumon et des problèmes de vision. De plus, on attribue à l'usage domestique de cette source d'énergie l'état chétif des nouveaux-nés. D'autres problèmes viennent se greffer sur cette situation. Dû au déclin de la production naturelle du bois de feu, les femmes consacrent beaucoup plus de temps à l'approvisionnement. Elles ont donc moins de temps à destiner à leurs tâches domestiques, notamment à la préparation des repas pour leurs familles. De ce fait, celles-ci doivent se contenter de consommer des plats froids, des restes de nourriture réchauffés et davantage d'aliments à base de produits artificiels. D'où un régime alimentaire moins sain. Par ailleurs, le ravitaillement en bois de feu est une tâche qui exige des femmes un effort physique démesuré. En effet, celles-ci sont obligées de transporter sur leurs dos et pendant plusieurs kilomètres des fagots qui peuvent peser entre 25 et 35 kg. Ce labeur est d'autant plus épuisant que le régime alimentaire de ces femmes est déficient. Temps/Productivité En général, les hommes ont accès plus facilement que les femmes aux activités lucratives. En effet, traditionnellement, les femmes sont chargées d'activités de subsistance, telles l'approvisionnement en bois de feu et en eau, l'entretien de leurs foyers, ainsi que la préparation des repas. Ces obligations occupant tout leur temps, elles ne sont donc pas disponibles pour entreprendre des activités rémunératrices. C'est ainsi que des familles démunies perdent l'occasion d'augmenter leurs revenus. Par conséquent, si l'on veut que les femmes aient accès à des activités lucratives, il est indispensable de prendre des mesures qui allégeront leurs travaux domestiques, c'est à dire leur permettront de gagner du temps. C'est dans cette optique qu'il parait important de développer des nouvelles technologies ainsi que des sources alternatives d'énergie. Cependant afin de pouvoir bénéficier de ces innovations, les femmes doivent être en mesure d'en assumer les coûts. C'est à dire qu'elles doivent disposer de leurs propres revenus et accéder aux services de crédits traditionnellement réservés aux hommes. Or, force est de constater que de nombreux obstacles subsistent. En effet, une forte discrimination prévaut au niveau de l'accès aux services financiers, tels les services de crédit, à l'encontre des femmes. De plus, en général, celles-ci ne peuvent fournir une garantie. En effet, dans la plupart des cas, les institutions financières exigent comme garantie l'existence de propriétés foncières. Or, en général, les femmes sont lésées du droit de propriété. Par ailleurs, elles se trouvent confrontées à d'autres difficultés en raison de leur faible niveau d'instruction de base et leur expérience limitée en terme de manipulation des chiffres. Le Programme PRPSET Le Programme de revue des politiques dans le secteur de l'énergie traditionnelle (PRPSET) a été lancé en 1993 à l'aide d'un Fonds Spécial octroyé par la Direction Générale Pour la Coopération Internationale des Pays-Bas. Le but de ce programme était d'assister les gouvernements des pays de l'Afrique subsaharienne à planifier le développement du secteur des énergies traditionnelles. Un groupe de cinq pays comprenant le Burkina Faso, la Gambie, le Mali, le Niger et le Sénégal a été choisi pour participer à la première phase du programme. Vers la fin de l'année 1996, lorsque les travaux effectués dans chaque pays furent achevés, les objectifs du Programme furent élargis de façon à procurer aux nouveaux pays sélectionnés des appuis d'ordre politique et opérationnel. Les cinq premiers pays qui bénéficièrent de ce support furent l'Ethiopie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie et le Mozambique. Le Bénin et le Togo devaient joindre le programme vers le milieu de l'année 1997 et le Zimbabwe vers le milieu de l'année 1998. Dès le départ, le PRPSET a préconisé une approche axée sur le principe de causalité. Le choix en faveur de cette démarche étant justifié par l'hypothèse selon laquelle le développement du secteur des énergies traditionnelles entraînerait des améliorations tangibles dans plusieurs domaines. Notamment, il fut estimé qu'une impulsion à ce secteur contribuerait à promouvoir un environnement local et global viable, freiner la désertification, réduire la pauvreté dans les zones rurales, stimuler une utilisation efficace des sources d'énergie ainsi qu'un développement économique adéquat et limiter la discrimination entre les sexes. La formation d'équipes nationales comprenant des membres clés du gouvernement, des chefs d'organisations non gouvernementales, et des représentants d'autres parties concernées a permis au pays de prendre conscience qu'il maîtrisait le programme. C'est d'ailleurs sur la base de cette approche que l'équipe du PRPSET a élaboré le Projet Gestion Participative des Sources d'Energie Viables pour le Sénégal (PGPSEVS). Actuellement, l'équipe du PRPSET assiste le gouvernement sénégalais à implanter un projet de 20 millions de dollars US, financé par l'IDA/FEM et approuvé par la Banque en 1997. Ce projet permettra aux communautés locales de contrôler directement 300.000 ha de forêts naturelles afin d'assurer la production viable d'énergie en feu de bois destinée aux centres urbains. Il est conforme au concept de développement rural qui intègre gestion forestière en vue de la production d'énergie et gestion d'autres ressources naturelles. Ce projet comprend une série d'activités cibles destinées à renforcer une opération de plus grande envergure axée sur le développement social et économique et prend également en considération les questions d'inégalité entre les sexes. Lancé dans 250 villages participants, il contribuera à assumer les besoins en énergie domestique provenant du secteur urbain (en croissance rapide) sans toutefois endommager la couverture forestière, le potentiel en charbon que renferme l'écosystème, ainsi que la biodiversité. Les objectifs de cette opération sont de : 1) mettre sur pied et assurer le suivi des systèmes de gestion de ressources forestières axés sur la participation de façon à créer une zone de protection autour du parc national de Niokolo-Koba ; 2) promouvoir les combustibles internes de substitution et les initiatives visant à améliorer la qualité des fourneaux utilisés pour cuisiner ; 3) renforcer la capacité des institutions qui participeront au fonctionnement du secteur et encourager la participation de la société civile (secteur privé, universités, et organisations non gouvernementales) ; et 4) continuer de disséminer le LPG et explorer le potentiel du kérosène en tant qu'énergie de substitution dans les villes secondaires du pays où la consommation de charbon augmente rapidement. Dès la phase d'identification du projet, une approche consultative fut adoptée à laquelle furent immédiatement associées les différentes parties prenantes. Une série d'ateliers fut organisée par le gouvernement du Sénégal entre les mois de décembre 1995 et d'avril 1996. Ces ateliers avaient pour objet d'obtenir les vues et recommandations des représentants de la société civile sur la stratégie globale du projet. Les femmes, les jeunes ainsi que les organisations non gouvernementales ayant tenu un rôle crucial au niveau de la gestion et du développement des ressources, se virent accordées la même place tout au long de la vie du projet. Il est prévu de conduire des évaluations des zones rurales conformément au principe participatif. Ces exercices auront pour objet de rassembler des données d'ordre démographique, socio-économique et culturel sur ces zones. En effet, de telles informations sont essentielles à la préparation, en collaboration avec les communautés locales, de programmes de gestion adaptés à chacune des situations. En particulier, ces évaluations s'attacheront à identifier les questions concernant la situation des femmes qui jouent un rôle dans le développement économique ainsi que les besoins en termes de formation et de renforcement des capacités nationales. Les instruments susceptibles d'être utilisés comprennent : entretiens partiellement formels, discussions en groupes sur des thèmes précis, classement selon ordre préférentiel, développement de carte et modélisation, et diagramme historique et saisonnier. Ces méthodes offrent de nombreux avantages. Elles permettront notamment de déterminer le rôle joué par les membres des communautés (en distinguant le rôle des femmes de celui des hommes) et de tracer l'historique des pratiques et traditions gouvernant les secteurs écologique, de l'environnement et agricole. Eléments spécifiques à la problématique hommes-femmes En juin 1998, une mission préliminaire fut organisée dans huit villages situés dans les régions de Tambacounda et Kolda. Conduite par un sociologue sénégalais et l'auteur de cet article, cette mission avait pour objet de rassembler des données. Des rencontres furent organisées entre les associations locales de femmes, des représentants des organisations non gouvernementales et des membres du gouvernement dans le but de recueillir des informations qui permettraient d'identifier les besoins des femmes vivant dans les zones rurales et les meilleurs moyens d'y répondre. Au terme de cette mission, le sociologue publia un rapport intitulé Rapport de Travail sur l'Intégration de la Problématique Hommes- Femmes dans le Secteur de l'Energie Traditionnelle. Ce rapport permettra de guider les travaux portant sur l'analyse de la problématique hommes-femmes et d'incorporer cette donnée au PGPSEVS. Situation des femmes résidant dans les régions où le projet sera mis en place La situation des femmes vivant dans les régions de Tambacounda et Kolda doit être améliorée. Un grand nombre d'interventions s'avère nécessaire. Les femmes représentent 50.9% de la population de ces régions et 75% d'entre elles sont analphabètes. Leur présence au sein des conseils régionaux et locaux demeure faible, avec un taux variant entre 10 et 15%. En dépit de cette situation, environ 29 associations de femmes ont déjà été créées. Elles enregistrent des niveaux de succès variés. Toutefois, seul un petit nombre de ces groupes est impliqué dans les questions relatives aux services de micro crédit (cette défaillance peut être attribuée au niveau de pauvreté particulièrement élevé de ces régions). Cependant, d'autres régions du Sénégal qui ont développé des services de micro crédit destinés aux femmes ont connu des résultants encourageants. Ainsi, en ce qui concerne la participation des femmes au secteur de l'énergie rurale, une enquête menée en 1997 a révélé que la plupart des commerces de charbon de petite taille (tant ceux installés à Tambacounda, Ziguinchor et Kolda que ceux situés le long des routes) sont tenus par des femmes vivant dans les zones rurales. Les hommes, quant à eux, contrôlent la phase production du charbon. De même, ils contrôlent les centres de vente importants situés dans les zones urbaines. Dans le cadre d'efforts visant à encourager une participation accrue des femmes au secteur de l'énergie rurale, l'étude recommande que les conditions suivantes soient préalablement remplies : · Sensibilisation du personnel de projet sur la problématique hommes-femmes. · Etablissement de cibles de base spécifiques afin d'assurer le suivi des résultats. · Renforcement des compétences des membres des associations de femmes dans les domaines de gestion et de calcul et raffermissement de leur niveau d'instruction de base. · Création de services de micro crédits et accès des femmes à ces services. · Mise à la disposition des femmes de moyens de transport qui leur permettront de récolter des produits forestiers (fruits, médicaments traditionnels, etc.) et de les acheminer vers des marchés. Les recommandations faites par ce rapport aideront à formuler des plans de gestion communautaire solides aux niveaux technique, que social et économique. De plus, il est essentiel que ces plans prennent en considération les rôles qui reviennent aux hommes et aux femmes. En octobre 1998, des séminaires sur le thème de l'inclusion de la problématique hommes-femmes et la gestion du secteur de l'énergie traditionnelle furent organisés dans plusieurs des régions où les projets avaient été lancés. Au Sénégal, le PGPSEVS sert de point de référence en terme de développement des communautés rurales selon un principe participatif. Il fournit également une illustration du principe de remise de plein pouvoir à la population. Par ailleurs, ce projet est considéré comme un modèle d'excellence en Afrique de l'Ouest et jugé exemplaire par le Programme de Formation sur la Problématique Hommes-Femmes de l'Afrique de l'Ouest. Pour toute information supplémentaire, veuillez contacter l'auteur de cet article, Mme Suzanne Roddis, à l'adresse suivante: srodis@worldbank.org.