Sénégal : Notes de politiques économiques et sociales AMELIORER L’EQUITE ET L’EFFICIENCE DES DEPENSES SOCIALES ET SUBVENTIONS PUBLIQUES Solène Rougeaux Contributeurs : Moussa Dieng, Maud Juquois, Wedoud Kamil, Moustapha Lo Contexte. Depuis 2012, le Sénégal a développé de nouvelles politiques sociales ambitieuses avec pour objectif de lutter contre la pauvreté, permettre à la population la plus vulnérable d’accéder aux services sociaux et les protéger des chocs. Le Sénégal met en œuvre cinq grand programmes sociaux et de subventions publiques. Ces programmes n’ont pas tous pour objectif premier de réduire la pauvreté mais ont été identifiés car ils sont les plus importants, tant du point de vue des volumes financiers mobilisés que du nombre de bénéficiaires touchés. Ce sont : le Programme National de Bourses de Sécurité Familiale (PNBSF), la Couverture Maladie Universelle (CMU), les subventions agricoles, les subventions à l’électricité et les bourses et œuvres sociales universitaires. Les dépenses de ces programmes ont fluctué entre 112 milliards et 202 milliards de CFA par an entre 2012 et 2015 et ont largement augmenté en 2017 et 2018. Objectif. L’objectif de cette note est de prendre la mesure de l’équité, l’efficience et de la pérennité de ces grands programmes sociaux et subventions publiques afin que les politiques nationales atteignent leurs objectifs d’émergence et de développement du capital humain. Premièrement l’analyse qui suit met en lumière le manque d’équité dans la définition de ces programmes (Partie I) étant donné qu’une grande partie des ressources de certains de ces programmes ne bénéficie pas aux plus pauvres et ont donc un potentiel limité à réduire la pauvreté, augmenter la résilience et encourager l’investissement dans le capital humain. Deuxièmement, le diagnostic s’arrête sur les problèmes de gestion et de financement qui mettent en péril la durabilité des programmes (et l’impact recherché sur les bénéficiaires) (Partie II) : la déperdition des ressources est identifiée comme un des problèmes majeurs, de même que l’inadéquation des financements et la mobilisation des ressources. Résultats attendus. Cette analyse conjointe de l’équité et de l’efficience des plus grands programmes sociaux et subventions publiques permet d’identifier les options de réformes systémiques (partie III) à mettre en œuvre par le gouvernement afin d’augmenter leur impact sur la réduction de la pauvreté, l’augmentation de la résilience et l’investissement dans le capital humain. Ces recommandations sont liées à (i) l’amélioration de l’équité des programmes (ii) l’amélioration de la gestion des finances publiques et (iii) l’amélioration de la gouvernance. Revue technique : Aline Coudouel, Moulay Driss El Idrissi, Sophie Naudeau, Christine Richaud 1 Table des matières Introduction…………………………………………………………………………………………………………………………………… ………………………………… 3 I. Le manque d’équité dans la définition de certains des grands programmes sociaux et subventions publiques........................................................................................................................... 5 i. Certains grands programmes sociaux et subventions publiques ne bénéficient pas aux pauvres............................................................................................................................................... 5 ii. Le potentiel de certains de ces programmes pour réduire la pauvreté, augmenter la résilience ou investir dans le capital humain est inégal et sommes toutes limité .......................... 7 II. Inefficacité et inadéquation des financements et de la mobilisation de ressources destinées aux programmes .................................................................................................................................... 9 i. Une déperdition des ressources publiques importante à cause de la faiblesse des systèmes de gestion des prestations met en péril leur durabilité et les effets escomptés............................. 9 ii. Le financement de certains programmes est systématiquement inadéquat .......................10 III. Recommandations ...................................................................................................................12 Recommandation 1 : Améliorer l’équité du système ....................................................................13 Recommandation 2 : Améliorer la gestion des finances publiques ............................................13 Recommandation 3 : Améliorer la gouvernance et la gestion des programmes ........................14 2 1. Introduction 1. Le Sénégal met en œuvre cinq grand programmes sociaux et de subventions publiques. Ces programmes ont été identifiés car ils sont les plus importants, tant du point de vue des volumes financiers mobilisés que du nombre de bénéficiaires touchés. Même s’il est important de noter que tous n’ont pas comme premier objectif de réduire la pauvreté, il est intéressant d’étudier leur équité et efficacité vu leur taille dans les politiques publiques du Gouvernement. Ce sont : le Programme National de Bourses de Sécurité Familiale (PNBSF), la Couverture Maladie Universelle (CMU), les subventions agricoles, les subventions à l’électricité et les bourses et œuvres sociales universitaires. Les subventions aux intrants agricoles, à l’électricité et les œuvres sociales universitaires sont tous les trois des programmes anciens. Ils ont été mis place il y a plus de 30 ans (60 ans pour les subventions aux intrants agricoles), alors que la CMU et le PNBSF datent de 2013. 2. Le PNBSF vise à encourager l’investissement dans le capital humain des enfants des 300 000 ménages les plus pauvres du pays et ainsi à rompre le cycle de la pauvreté intergénérationnelle. Les ménages reçoivent 25 000CFA par trimestre pendant cinq ans et bénéficient de séances de sensibilisation pour le changement de comportement sur la santé, la nutrition, l’éducation et l’état civil. 3. La CMU est composée d’une branche d’assistance médicale (politique de gratuité) et d’une branche d’assurance fondée sur un réseau de mutuelles de santé et vise ainsi à offrir une couverture des risques liés à la santé pour les ménages les plus pauvres et les populations évoluant dans le secteur informel. L’objectif est de couvrir 80 pour cent de la population cible avant la fin de 2021. La branche assurance au niveau des mutuelles de santé est subventionnée en totalité pour les bénéficiaires du PNBSF et de 3 500 FCFA par an pour les personnes du secteur informel non bénéficiaires du PNBSF (soit la moitié de la prime d’enrôlement annuelle dans une mutuelle de santé). L’assistance médicale (i.e., les politiques de gratuité) ciblent des groupes ou services de santé spécifiques : accouchement (césarienne) gratuit pour les femmes enceintes (depuis 2005), soins de santé gratuits pour les personnes âgées-Plan Sésame (2006) et soins de santé gratuits pour les moins de cinq ans (depuis 2013). 4. Le programme de subventions aux intrants agricoles a pour objectif de soutenir la production agricole. Le programme subventionne les semences, les engrais et les petits et gros équipements agricoles. Il bénéficie aux petits et gros producteurs agricoles. En théorie, le niveau de production doit être le critère d’octroi de la subvention aux intrants tout en tenant compte du ciblage des plus nécessiteux. En réalité, les intrants sont vendus et l’Etat accompagne en apportant une subvention 5. Le programme de subventions à l’électricité subventionne le prix de la production d’électricité à la Société Nationale d’Electricité (SENELEC). Ces subventions permettent de lisser le prix de vente de l’électricité en cas de fluctuation du cours du pétrole ce qui bénéficie directement aux consommateurs d’électricité. 6. Les bourses universitaires sont octroyées à plus de 80 % des étudiants universitaires tandis que les œuvres sociales universitaires (restauration, hébergement et de prise en charge sanitaires) sont destinées à tous les étudiants universitaires. Tous les étudiants universitaires au Sénégal ont droit à une bourse ou une aide lorsqu'ils fréquentent à plein temps une université publique. En 2018, 125 970 étudiants bénéficient d’une bourse. Les bourses sont payées mensuellement sous différentes formes et montants (entre 18.000 et 60.000 FCFA). En effet, l’Etat accorde aux étudiants 6 catégories d’allocations d’études : bourses entière, demi bourse, bourse de troisième cycle, subvention rapport de stage, bourse 3 étrangère, bourses sociales. Les étudiants non-boursiers bénéficient d’une aide annuelle de 60.000FCFA. 7. Les dépenses de ces programmes ont fluctué entre 112 milliards et 202 milliards de CFA entre 2012 et 2015 par an. Ils ont largement augmenté en 2017 et 2018, mais à cause de données incomplètes, il n’est pas possible de donner le total de leurs dépenses pour les trois dernières années. Pour information, les subventions à l’électricité culminent à plus de 108 milliards CFA en 2018 et le PNBSF dépense 30 milliards par an depuis 2016 (ce qui représente 0,16% du PIB). Les détails des dépenses sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous. Tableau 1- Dépenses de cinq grands programmes sociaux et subventions publiques du Sénégal entre 2012 et 2015 en millions de CFA dépenses des programmes en millions de CFA 2012 2013 2014 2015 PNBSF - 3,625 10,904 17,117 CMU branche gratuité 2,313 4,486 4,704 8,306 CMU branche assurance 58 5,000 6,000 6,292 Subventions agricoles 32,496 62,634 30,000 36,255 Subventions à l'électricité 15,000 - 82,022 7,437 Bourses universitaires 40,000 47,000 53,000 35,600 Oeuvres sociales universitaires 22,830 21,394 15,373 13,353 Total 49,867 75,745 133,630 75,407 PIB 9,100,359 9,367,088 9,775,039 10,508,650 % du PIB 0.55% 0.81% 1.37% 0.72% Source : SIGFIP 2012 à 2015, Ministère des Finances, Gouvernement du Sénégal et Commission de Régulation du Secteur de l’Electricité pour les données sur les subventions à l’électricité 8. Vu le volume des financement qu’ils représentent, il est utile d’évaluer leur situation en terme d’équité et de ciblage; d’efficience et de durabilité afin de faire des recommandations spécifiques pour améliorer ces différents aspects dans le futur. Premièrement l’analyse qui suit met en lumière le manque d’équité de certains de ces programmes (Partie I) vue le ciblage de leurs bénéficiaires non orienté vers les pauvres et leur potentiel limité à réduire la pauvreté, augmenter la résilience et encourager l’investissement dans le capital humain. Deuxièmement, le diagnostic s’arrête sur les problèmes de gestion et de financement qui mettent en péril la durabilité des programmes (et l’impact recherché sur les bénéficiaires) (Partie II) : la déperdition des ressources est identifiée comme un des problèmes majeurs, de même que l’inadéquation des financements et la mobilisation des ressources. Cette analyse commune de l’équité et de l’efficience des plus grands programmes sociaux et subventions publiques permet d’identifier les options de réformes systémiques (partie III) à mettre en œuvre par le gouvernement afin d’augmenter leurs impacts sur la réduction de la pauvreté, le développement de la résilience et l’investissement dans le capital humain. 4 2. Le manque d’équité dans la définition de certains des grands programmes sociaux et subventions publiques i. Certains grands programmes sociaux et subventions publiques ne bénéficient pas aux pauvres 9. Le PNBSF, le seul programme cherchant à cibler spécifiquement et uniquement les pauvres, arrive bien à les cibler. Le PNBSF identifie exclusivement ses bénéficiaires à partir du Registre National Unique. Le rapport d’analyse des résultats de l’enquête de référence du PNBSF réalisé en novembre 2016 sur la quatrième génération de bénéficiaires (Ferre, 2017) montre que les taux de pauvreté observés au sein du groupe de bénéficiaires du PNBSF sont élevés (93 pourcent)1 et témoignent d’un bon ciblage du programme. De plus, la couverture du PNBSF est une des plus grandes en Afrique avec une couverture de plus de 20% de la population. 10. Bien que le design de la branche assurance de la CMU implique qu’elle couvre toute la population, elle a dans les faits une très bonne couverture de la population pauvre du fait de la subvention totale des bénéficiaires du PNBSF pour l’adhésion dans les mutuelles. Du fait de la nature du risque maladie, l’assurance maladie a pour objectif de couvrir l’ensemble de la population, actuellement pauvre ou non, contre les risques financiers importants liés à la maladie qui les feraient soit entrer, soit s’enfoncer plus encore dans la pauvreté. Selon les données de l’ACMU, les bénéficiaires du PNBSF2 représentaient 65% des membres des mutuelles de santé fin 2016 (1 482 942 membres des ménages du PNBSF) et en 2017, 100% des bénéficiaires du PNBSF étaient enrôlés administrativement dans les mutuelles de santé et 89.5% d’entre eux avaient commencé à bénéficier des prestations des mutuelles de santé. 11. Du fait de leur conception et de leurs objectifs, la majorité des autres programmes et subventions publiques profite plus aux populations les plus nanties. Ces programmes ne visent pas à lutter contre la pauvreté, mais a pour objectif de répondre à des revendications de certaines catégories de populations : les étudiants, les agriculteurs, les personnes âgées de plus de 60 ans, etc… Le ciblage d’une certaine catégorie de population se fait souvent sur le postulat que cette catégorie est très vulnérable. Cependant, même si le taux de pauvreté est élevé parmi les catégories ciblées, il peut aussi y avoir de nombreux ménages ou individus non pauvres au sein de ces catégories. Par exemple, environ 60% des agriculteurs indépendants travaillant dans le secteur agricole sont pauvres (ESPS II). Ainsi, cibler toutes les agricultures revient à orienter 60% des ressources vers des pauvres, mais aussi 40% vers des non pauvres. De même, 44% des personnes de plus de 60 ans sont pauvres (ESPS II), ainsi cibler toutes les personnes de plus de 60 ans revient à orienter 44% des ressources vers des pauvres, mais aussi 56% vers des non pauvres. Aussi avec les vagues déferlantes d’abandons scolaires du préscolaire au supérieur, il est attendu qu’une bonne partie des 7 % de jeunes qui ont accès à l’enseignement universitaire sont issus de la classe moyenne et aisée supérieure. Donc l’octroi de bourses systématiquement à tous les étudiants profitent en grande partie à cette classe. 1 Au sein des bénéficiaires, la proportion de ménages en situation d’extrême pauvreté est de 58 pour cent, avec de grandes variations d’un milieu à l’autre : 24,8 pour cent des ménages du PNBSF sont en situation d’extrême pauvreté à Dakar, 54,8 pour cent dans les autres villes, et 80,4 pour cent dans les zones rurales. Cela reflète en partie la prévalence moindre de pauvreté extrême à Dakar et dans les grandes villes, mais peut aussi souligner un domaine d’amélioration potentiel. 2 Les bénéficiaires du PNBSF sont associées comme faisant partie de la population la plus pauvre par la CMU 5 12. Les résultats de différentes enquêtes sur le profil des bénéficiaires confirment cette concentration importante de ressources vers des personnes ou ménages non pauvres. Le volet gratuité de la CMU, (et notamment pour la prise en charge des soins de santé des moins de 5 ans) ne bénéficie pas principalement aux plus pauvres (comme l’illustrent les graphiques en annexe 1). Par exemple, alors que 49% des ménages de la région de Tambacounda appartiennent au quintile le plus pauvre, seul 11% des enfants de moins de 5 ans de cette région ont bénéficié de la politique de gratuité (cela peut être lié à des problèmes d’accès géographiques aux services de santé, ou autres contra intes pour accéder aux services dans cette région). D’après l’étude publiée par IPAR sur les subventions des intrants agricoles au Sénégal (2015), 59,7% des agriculteurs non pauvres ont bénéficié d’une subvention, contre seulement 49,4% des agriculteurs pauvres. Les subventions à l’électricité bénéficient principalement au quintile supérieur, étant donné que jusqu’à 90% des ménages de ce quintile bénéficie d’une connexion au réseau de la Senelec, contre seulement 19% dans le quintile inférieur. Sur la base des données de l’ESPS II, on peut voir que plus de 70% des bénéficiaires de la bourse de l’enseignement supérieur appartiennent aux deux quintiles les plus riches. Ces concentrations de ressources vers les personnes ou ménages non pauvres sont substantielles et appellent à prendre en compte les conditions de vie (pauvreté, consommation, insécurité alimentaire, etc.) comme critère explicite de sélection, en plus du secteur d’activité, du handicap ou de l’âge. 13. Les programmes susmentionnés, bien que n’ayant pas pour objectifs premiers de réduire la pauvreté, devraient adopter une approche spécifique pour s’assurer que les pauvres bénéficient autant (si ce n’est plus) que les autres des prestations offertes. Certains des programmes y arrivent, comme par exemple la branche assurance de la CMU. Cependant, l’analyse a montré que ce n’était pas le cas pour les autres programmes : le programme de subventions agricoles, le programme de subvention à l’électricité, le programme de bourses universitaires et la branche gratuité de la CMU. C’est cette opportunité manquée qui rend ces programmes inéquitables et les empêche de contribuer efficacement à la lutte contre la pauvreté et d’avoir l’impact recherché sur le développement du capital humain et l’augmentation de la résilience. 14. Le Gouvernement du Sénégal dispose, à travers le RNU, d’un outil pour faciliter l’identification des ménages pauvres et vulnérables. En effet, avec la construction récente du RNU, le Sénégal a fait un effort important pour identifier les ménages les plus pauvres du Sénégal. Le RNU est une base de données répertoriant les données sur 450 000 ménages du Sénégal, soit plus de 30% de la population totale du Sénégal. Le RNU est actuellement en train de mettre à jour l’ensemble de ses données et d’étendre sa couverture à 580 000 ménages (soit tous les ménages pauvres du pays). Ces ménages ont été pré-identifiés par des comités de quartier ou de village comme étant les ménages les plus pauvres de leur communauté. Ils sont répartis sur l’ensemble du territoire national. Chaque programme peut appliquer ses propres critères aux données sur les ménages contenus dans le RNU afin d’y puiser ses bénéficiaires en fonction de leurs objectifs particuliers. Par exemple, un programme qui vise les ménages sans accès à la terre, pourra aller chercher au sein du RNU les ménages qui correspondent en appliquant des filtres. Ainsi, le RNU peut garantir que les ressources disponibles soient mobilisées vers les plus pauvres. 15. Cependant, le RNU n’est pas encore utilisé à hauteur de son potentiel au Sénégal. Les dépenses des programmes de protection sociale (hors programmes d’assurance sociale) utilisant le RNU comme mécanisme de ciblage représentent seulement 9% des dépenses totales de protection sociale en 2015 (Rougeaux, 2017). Le Sénégal pourrait réaliser des économies substantielles, et un impact plus marqué sur les ménages pauvres, en assurant que les programmes ciblant ces ménages utilisent le RNU pour identifier leurs bénéficiaires potentiels. 6 ii. Le potentiel de certains de ces programmes pour réduire la pauvreté, augmenter la résilience ou investir dans le capital humain est inégal et somme toute limité 16. Le PNBSF a un fort potentiel pour réduire la pauvreté, augmenter la résilience des ménages et l’investissement dans le capital humain des enfants. Par sa couverture nationale et le nombre de ménages bénéficiaires, le PNBSF est dans une position unique pour toucher l’ensemble des ménages vivant en extrême pauvreté. Le montant transféré, 25 000CFA par trimestre pendant 5 ans, et les séances de sensibilisation organisées sur l’adoption des bonnes pratiques sur les thèmes de l’éducation, la santé, la nutrition et l’état civil sont une incitation à investir dans le capital humain des enfants des ménages les plus pauvres et interrompre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Ces mesures ne sauraient cependant à elles seules pas régler le problème de pauvreté de ces ménages. Une simulation sur les effets distributifs de la politique budgétaire au Sénégal (Martínez-Aguilar et Marzo 2018) estime que les montants alloués dans le cadre du PNBSF peuvent avoir un impact sur l’extrême pauvreté et sur la profondeur de la pauvreté3. Une évaluation d’impact est en cours et permettra d’évaluer précisément l’impact du PNBSF sur la pauvreté, la résilience des ménages et l’investissement dans le capital humain de leurs enfants en 2020. De plus, les évaluations d’impact menées dans d’autres pays Africains documentant les résultats des programmes de transferts monétaires sur la consommation des ménages sont encourageant sur l’impact de ce type de programme sur la pauvreté des ménages. En utilisant l'approche de la méta-analyse, les impacts de neuf programmes sont combinés en une mesure composite de l'effet des filets sociaux sur la consommation des ménages. En moyenne, la consommation des ménages augmente de 0,74 CFA par CFA transféré et la consommation alimentaire de 0,36 CFA par CFA transféré. Pour la plupart des programmes, il y a une augmentation de la consommation des ménages. Mais il existe une hétérogénéité considérable entre les programmes4 (Beegle, Coudouel et Monsalve, 2018). Ceci s’explique en partie par la différence entre les prestations offertes : allant du simple transfert monétaire mensuel ou trimestriel à un programme de filets sociaux productif offrant des formations et un transfert monétaire plus important pour pouvoir commencer une activité productive. Aussi, de nombreuses études ont montré que les programmes de transferts monétaires peuvent aider à renforcer la résilience des ménages face aux chocs économiques. Si les ménages pauvres peuvent compter sur un soutien régulier des programmes de filets sociaux, ils peuvent éviter de recourir à des stratégies d'adaptation coûteuses et souvent irréversibles, telles que la vente de leurs biens les plus productifs à des prix déflatés ou le retrait des enfants de l'école (Beegle, Coudouel et Monsalve, 2018). 17. La CMU a aussi un fort potentiel pour augmenter la résilience et l’investissement dans le capital humain des ménages, même s’il est difficile d’estimer ses effets immédiats sur la réduction de la pauvreté5. Il n’existe pas encore de données de l’impact de la CMU sur la réduction de la pauvreté des ménages au Sénégal (étude en cours sur la protection financière et l’équité, résultats disponibles mi- 2019). La simulation sur les effets distributifs de la politique budgétaire au Sénégal (Martínez-Aguilar et Marzo 2018) estime que l’impact de la CMU sur la pauvreté et les inégalités à ce jour est neutre. 3 80 % des extrêmes pauvres et 100% des pauvres modérés qui reçoivent les bourses familiales restent dans leur statut de pauvreté après les transferts. Banque Mondiale, 2016 4 Cinq programmes entraînent des augmentations significatives : le programme de transferts monétaires au Malawi, le programme de transferts monétaires pour les enfants en Zambie, le programme de filets sociaux contre la faim au Kenya, le programme pour les enfants et orphelins vulnérables au Kenya et le programme GiveDirectly au Kenya. 5 Une étude au Ghana a examiné, pendant l’expansion de l’assurance maladie, l’impact des chocs de santé sur le recours aux prêts et l’abandon scolaire/travail des enfants pour gérer les conséquences économiques de la maladie. Les résultats démontrent que les ménages couverts par l’assurance ont moins tendance à retirer leurs enfants de l’école en cas de choc de santé. 7 Cependant, la dernière évaluation de la pauvreté (Echevin 2012) montre que le choc le plus fréquent auquel les ménages sont confrontés est lié aux décès, maladies ou blessures d’un membre du ménage contribuant au revenu du ménage. Cela concerne 16,5 pour cent des ménages, et 18,2 pour cent des ménages pauvres. Cela suggère qu’un système de protection contre les risques liés à la santé peut augmenter considérablement la résilience des ménages. Ceci étant, les politiques de gratuité entrainent une augmentation de l’utilisation des services de santé (mais pas nécessairement de celle des plus pauvres) et l’impact sur les paiements direct des ménages (et donc sur la protection financière) n’est pas encore vérifié de manière empirique (OMS, 2017). Depuis 2012, on peut constater une augmentation significative de la couverture en protection financière contre les risques liés à la santé (toutes branches confondues) de la population au Sénégal. Le taux de couverture est passé de 20 pour cent en 2010 à 47 pour cent en 2017. Et la branche assurance est passé de quatre pour cent en 2010 à 17 pour cent en 2017 (dont 100% des BSF enrôlés dans les mutuelles, données ACMU 2017). 18. Cependant, si le PNBSF et la CMU peuvent encourager la demande d’utilisation des services sociaux et l’investissement dans le capital humain, l’offre de ces derniers doit être disponible et de bonne qualité pour pouvoir rompre le cycle intergénérationnel de la pauvreté. Or aujourd’hui, la qualité des services sociaux reste faible. Par exemple, les derniers résultats du PASEC (2015) révèlent que 40% des enfants en fin de primaire ne savent pas lire. Aussi, les structures de santé souffrent d’une pénurie de personnel de santé et leur répartition est très inégale entre les différentes régions au détriment des régions les plus pauvres (ANSD, 2016) : 68% des spécialistes sont à Dakar, 8 % à Thiès, 5% Ziguinchor et Diourbel et 14% répartis dans 10 autres régions. Ce qui explique notamment d’importantes disparités sur la couverture des services de santé : 45% des accouchements sont assistés en zone rurale contre 82 % en zone urbaine. De plus, les compétences des prestataires sont relativement faibles. Or la protection offerte par la CMU n’est réelle que si la qualité des services de santé au niveau des structure est satisfaisante. Et l’impact du PNBSF ne sera senti que si les services d’éducation et de santé sont de qualité. 19. Dans la manière dont il est actuellement mis en œuvre, le programme de subventions aux intrants agricoles a des effets limités sur la réduction de la pauvreté et l’augmentation de la résilience. Il est important de noter que cette subvention n'a pas pour objectif spécifique de réduire la pauvreté. Elle a néanmoins pour objectif de soutenir la production des petits agriculteurs, qui se trouvent être parmi les membres les plus pauvres de toute la population (62% des producteurs de produits alimentaires et 47% des producteurs de cultures de rente sont pauvres). Or, selon l’étude d’IPAR (2015), les subventions des intrants sont captées par les grands exploitants agricoles au détriment des petits producteurs pauvres6. Si, les subventions aux semences et à l’engrais ont contribué en partie à améliorer la productivité agricole au Sénégal, cette performance est encore très limitée, due en partie à la qualité médiocre des semences et l’accès difficile aux engrais du fait des difficultés de trésorerie des producteurs. 20. Quant aux subventions à l’électricité et aux œuvres sociales universitaires, leur octroi augmente les inégalités. Selon la simulation sur les effets distributifs de la politique budgétaire au Sénégal (Martínez-Aguilar et Marzo 2018), ces deux programmes sont les seuls à augmenter les inégalités. La subvention à l'électricité est régressive, son coefficient de concentration étant positif et supérieur au revenu de marché du Gini. En effet, 75% de ces ressources sont capturées par les trois déciles les plus 6 Le premier quintile, représentant la population paysanne la plus pauvre en termes de revenu par tête, consomme 12,05 milliards des intrants subventionnés soit 22,47%. Quant au cinquième quintile, correspondant à la population la plus riche, il reçoit 14,166 milliards des intrants subventionnés soit 26,42%. 8 riches. La réforme des prix de l'électricité en 2016 a contribué à réduire la dégressivité de cette subvention, les consommateurs les plus pauvres bénéficiant désormais de tarifs plus bas. Cependant, le problème d’équité lié à l’électricité ne concerne pas le prix mais l’accès : jusqu’à 90% du quintile supérieur bénéficie d’une connexion au réseau de la Senelec, contre seulement 19% dans le quintile inférieur. En d'autres termes, les subventions à la consommation d'électricité profitent principalement aux couches les plus riches de la population. L’augmentation des inégalités à travers les bourses universitaires s’explique de la même manière. Les deux déciles les plus riches reçoivent près de 80% des dépenses totales consacrées à l'enseignement supérieur, ce qui n’est pas surprenant si on considère le fait qu’à peine plus de 7% de la population en âge d’aller dans l'enseignement supérieur y est inscrite, la plupart d'entre eux se situant dans les déciles supérieurs de la distribution des revenus. 21. En conclusion, sur les cinq programmes revus, considérés comme les plus importants par leur poids financier et leur nombre de bénéficiaires, en 2015, seules 20% des dépenses étaient pro-pauvres (les dépenses du PNBSF et de la branche assurance de la CMU), alors que les ménages pauvres représentent 46,7% de la population. De plus, les dépenses de ces deux programmes bénéficiaient à très grand nombre de bénéficiaires (environs 2 millions d’individus pour le PNBSF et 2,8 millions pour la CMU (toute branche confondu)), alors que les dépenses des bourses universitaires bénéficient à un nombre plus réduit d’individus (107 632 individus pour les bourses universitaires) avec un budget équivalent à la somme des dépenses des deux programmes. Cela pose des questions importantes sur l’équité du système offert par le Gouvernement Sénégalais. Les chiffres disponibles pour 2018, bien qu’incomplets, ne changent pas ces proportions. Cette analyse montre le manque de ressources allouées et ciblées pour la réduction de la pauvreté. Le tableau en annexe 2 présente le résumé de l’analyse présentée ci-dessus. 3. Inefficacité et inadéquation des financements et de la mobilisation de ressources destinées aux programmes i. Une déperdition des ressources publiques importante à cause de la faiblesse des systèmes de gestion des prestations met en péril leur durabilité et les effets escomptés 22. Le manque de Système d’Information et de Gestion (SIG) au niveau de certains programmes permet l’attribution de prestations à des personnes non éligibles. Ces programmes ne disposent d’un SIG leur permettant de gérer efficacement leurs données sur les bénéficiaires et les prestations offertes. Quand le suivi de la distribution des prestations et subventions est fait par les programmes, cela se fait sur des fichiers Excel, ce qui rend la manipulation des données possible et ne garantit pas un niveau de transparence suffisant. Cette faiblesse dans le système de mise en œuvre entraine une grande déperdition des ressources publiques. Par exemple : bien que l’Agence de la CMU (ACMU) reçoive les données des bénéficiaires du PNBSF par le RNU au niveau central, elle n’a que peu de contrôle sur leur enrôlement par les mutuelles de santé. Ces dernières peuvent inscrire des individus non bénéficiaires du PNBSF dans cette rubrique pour les faire bénéficier de la subvention à 100% et de la gratuité des médicaments sans que l’ACMU ne le sache. Le volume de données est tel que le contrôle ne peut se faire de manière manuelle7. Aussi, le plan Sésame ne devrait bénéficier qu’aux personnes âgées de plus 7 Dans le cadre de la CMU, notons néanmoins que la mise en œuvre d’un programme de gestion informatisée est en cours : le SIGICMU (Système d’Information de Gestion Intégré de la CMU, voir Annexe 1 pour détails) et 9 de 60 ans sans couverture médicale, mais de nombreux rapports d’évaluation ont souligné l’utilisation de ce programme par les personnes âgées ayant une autre couverture médicale. Après cinq ans de mise en œuvre, le PNBSF gère encore sa liste de 300 000 bénéficiaires sur un fichier Excel. Les capacités organisationnelles et techniques de la Direction des bourses universitaires ainsi que la faiblesse du personnel ne favorisent pas une gestion efficiente des programmes des bourses octroyées aux étudiant(e)s. En outre, le système d'information et de gestion en place ne garantit pas une gestion transparente des bourses ; par exemple des bourses sont payées sur plus de 26.000 comptes bancaires inactifs ou dormants sans être réclamées par l'État (Banque Mondiale, 2015). 23. De plus, certains programmes ne sont pas transparents et ne disposent pas de critères clairs d’attribution des prestations ou de sortie des programmes. D’après l’étude d’IPAR de 2015, le système de distribution des intrants agricoles subventionnés n’affiche pas toujours clairement les notifications des modalités de choix des bénéficiaires ; d’autre part, la liste des bénéficiaires appelés « gros producteurs » inclue des responsables politiques, marabouts et hauts fonctionnaires. Pour certains de ces bénéficiaires, les dotations ne sont pas forcément destinées aux champs. Le trafic d’intrants subventionnés vers les pays limitrophes contribue également à une déperdition des ressources publiques. L’absence d’un système d’information et la difficulté de retracer la trajectoire des intrants compliquent la limitation des fuites constatées vers les pays voisins ainsi que la transparence. Aussi, les critères d’attribution des bourses universitaires aux étudiants ne sont pas clairs. Ils reposent sur un cadre juridique obsolète datant de juillet 1982. Enfin, le PNBSF a enrôlé ses premiers bénéficiaires en 2013 pour une période de cinq ans, sans prévoir les processus de sortie de ces derniers. Il se retrouve aujourd’hui avec un stock de 300 000 ménages, et devra cette année évaluer si ceux qui sont entrés il y a 5 ans doivent sortir du programme ou être maintenus, et en parallèle organiser l’entrée de nouveaux ménages pauvres. La mise en œuvre de ce processus, appelé processus de recertification, est un enjeu crucial pour ne pas instaurer le principe d’une rente à vie et mettre en péril les objectifs du PNBSF. ii. Le financement de certains programmes est systématiquement inadéquat 24. L’engagement du gouvernement pour financer le PNBSF sur le budget de l’Etat est remarquable en Afrique mais ne représente qu’une part minime du PIB et ne couvre pas les frais opérationnels de mise en œuvre du programme. Les dépenses relatives au financement du PNBSF ont augmenté considérablement depuis 2010 : les dépenses des programmes de transferts monétaires sont passés de 5 milliards en 2013, à 30 milliards depuis 2015. Le gouvernement du Sénégal finance le PNBSF sur le budget de l’Etat à plus de 85% (la part financée par les bailleurs de fonds représentant environ 15%). Seuls les Seychelles, l’Angola, le Bostwana, le Gabon, la Mauritanie et la Namibie financent une plus grande partie de leurs filets sociaux (100%) (Beegle, Coudouel et Monsalve, 2018). Malgré cet engagement financier important, cela ne représente que 0.24% du PIB en 2017, alors que les dépenses du Fonds National de Retraite représentent à elles seules 1% du PIB, de même que les subventions à l’électricité. De plus, le budget accordé par la loi de Finance depuis 2013 pour mettre en œuvre le PNBSF n’inclut qu’un budget d’investissement relatif aux montants des transferts aux ménages. Aucun des coûts de mise en œuvre et de fonctionnement n’est alloué au programme. Or, un programme de transferts monétaires nécessite des coûts opérationnels pour sa mise en œuvre : que ce soit pour l’accompagnement des bénéficiaires ou les coûts des transferts monétaires. Aujourd’hui, la quasi- totalité des coûts de mise en œuvre (enregistrement des ménages, organisation des séances de sensibilisation, traitement des réclamations, etc…) sont couverts par le financement de la Banque l’interopérabilité entre les différents systèmes (RNU -SIGICMU) pour garantir la transparence et la fiabilité des programmes à terme. 10 Mondiale dans le cadre du projet d’appui aux filets sociaux. Il est urgent de trouver un financement plus durable. De même en ce qui concerne les coûts de mise en œuvre du RNU. Le RNU est très dépendant des financements extérieurs pour mener ses campagnes d’identification des ménages les plus pauvres. Il ne dispose pas d’une ligne budgétaire propre ou d’un budget dédié dans le budget de la DGPSN. Bien qu’ayant connu un développement très rapide, le RNU est encore dans une position institutionnelle et financière précaire. 25. La conception du modèle financier de la branche assurance de la CMU (basée sur le volontariat pour l’adhésion) lui fait courir un grave risque financier qui met en péril tout le système . Avec un système d’adhésion actuellement volontaire, la mise en commun des ressources risque d’être relativement limitée ce qui est une contrainte majeure pour la pérennité du système. En effet, le risque est que les inscriptions soient trop lentes et pas assez larges en termes de nombre de personnes ou attirant principalement les débiteurs nets (sélection adverse : les personnes s’affiliant étant celles ayant besoin de soins importants) affectant ainsi la viabilité financière des mutuelles de santé communautaires et le système de couverture de la population. Aussi, l’inscription volontaire nécessite un niveau de qualité des soins satisfaisants. Peu de ménages vont s’inscrire dans les mutuelles de santé si la qualité des soins ne s’est pas améliorée au préalable. De plus, les premiers résultats des subventions totales pour l’adhésion et l’absence de participation au coûts liés à la consommation de services de santé pour les plus pauvres (PNBSF) montrent que le modèle ne sera pas viable financièrement pour les mutuelles de santé communautaires si les ressources mises en commun (le nombre des adhésions) n’augmentent pas de manière substantielle, étant donné que les mutuelles reçoivent des subventions uniquement pour l’adhésion. 26. La gestion des ressources affectées aux œuvres universitaires sociales souffre d’inefficience et constitue une des principales préoccupations dans la mise en œuvre des programmes. Avec une difficulté de plus en plus notoire à maîtriser la croissance des dépenses de fonctionnement, des tensions de trésorerie s’exercent annuellement sur le système causant ainsi des perturbations en fin d’année. En effet, le budget initialement prévu pour l'enseignement supérieur est toujours inférieur aux ressources nécessaires pour financer les salaires, les bourses et œuvres sociales universitaires. Chaque allocation supplémentaire est faite sous pression lorsque les enseignants ou les étudiants menacent de se mettre en grève. En conséquence, les dépenses sont constamment plus élevées à la fin de l'exécution du budget annuel. Par ailleurs, les subventions pour l’accès aux restaurants universitaires constituent une portion importante qui grève le budget des œuvres sociales universitaires. Un étudiant paye 150 FCFA pour son repas, alors que ce repas est facturé à 800 FCFA à l’état. Cette contribution a été ramenée récemment à 100 FCFA avec une incidence budgétaire de prêt de 8 milliards de FCFA. Cela pose ainsi la question de l’efficience des dépenses pour les œuvres sociales et bourses et de la rationalisation dans leur utilisation. 27. Tous les programmes sont affectés par la mobilisation tardive des financements, ce qui a des répercussions négatives sérieuses sur la mise en œuvre des programmes et donc sur les effets escomptés auprès des bénéficiaires. L’ACMU avait accumulé des dettes auprès des structures sanitaires et des mutuelles de santé communautaires dues aux difficultés de mobilisation des ressources nationales allouées à la CMU. L’accumulation des dettes crée un risque majeur pour la viabilité financière des structures de santé sur qui pèse le poids de la dette au final. Le programme des subventions agricoles est aussi impacté par la mobilisation tardive des ressources nationales. La caractéristique du système de subvention est la centralisation des commandes dans le but de faciliter les procédures d’appel d’offre et de simplifier l’octroi des subventions par l’Etat. Il faut noter que ce système ne fonctionne que si les subventions (les crédits) sont mises à la disposition des producteurs à 11 temps. Or la mise à disposition des crédits au niveau du compte de dépôt du programme chargé de l’exécution se fait avec des retards (IPAR 2015). Les bourses universitaires connaissent régulièrement le même problème de retard dans la mise à disposition des crédits alloués, ce qui engendre des manifestations estudiantines avec un coût politique, mais aussi financier, élevé. En effet, l'État verse des intérêts supplémentaires et des pénalités en raison des retards dans le remboursement d'ECOBANK pour avoir préfinancé le paiement des bourses (en 2012, ces pénalités de retard s’élevaient à 600 millions de CFA, Banque Mondiale, 2015). Le PNBSF est à peu près épargné par ces difficultés, mais il faut toutefois noter que la confirmation de la mise à disposition des fonds par le MEFP pour les transferts monétaires se fait systématiquement à la dernière minute à chaque période de paiement, laissant les équipes du PNBSF dans l’impossibilité de fixer une date précise du début du paiement et laisse les bénéficiaires dans un certain flou. 28. L’augmentation mal anticipée des effectifs rend la politique des œuvres universitaires sociales de l’enseignement supérieur et des subventions agricoles insoutenable. L’augmentation de la population et l’amélioration des taux d’achèvement du primaire et du secondaire font croitre chaque année le nombre d’étudiants et avec eux le nombre de bénéficiaires de bourses universitaires. Le nombre de bénéficiaires de bourses universitaires a doublé en huit ans. Il est passé de 62 000 en 2010 à 125 970 en 2018. Et ce nombre ne peut que continuer à augmenter si aucune réforme n’est menée, étant donné que depuis 2001, des bourses ont été accordées à la majorité des étudiants des universités publiques, quel que soit le domaine d’études, le niveau de revenu ou le degré de talent. Les œuvres universitaires au Sénégal constituent une proportion insoutenable des ressources publiques consacrées à l'enseignement supérieur. En effet, en 2017, les dépenses en bourses et œuvres sociales universitaires s’élevaient à soixante (75) milliards de FCFA soit près de 65% des dépenses courantes du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) en 20178. Sur la période 2013 et 2018, la politique des bourses et œuvres sociales a été l’une des principales causes de l’augmentation du budget du MESRI9. D’où la nécessité d’une rationalisation dans un contexte de budget limité et d’accroissement des besoins. Les ressources restantes sont essentiellement affectées aux postes de paiement des personnels administratifs et pédagogiques, laissant peu de disponibilité financière pour les activités liées aux missions des universités : l'enseignement, la recherche, et les services à la société. Concernant le programme des subventions agricoles, le coût des subventions (engrais, semences, matériel agricole, etc.) est élevé et s’accroit rapidement au fur et à mesure que la consommation augmente, ce qui pour la plupart des cas pose un problème financier sérieux pour l’Etat, compte tenu de ses ressources limitées. Ceci se traduit alors par des retards et des restrictions sur les fonds mis à la disposition des organes étatiques chargés de l’approvisionnement notamment en engrais, ce qui conduit à un rationnement des quantités mises à la disposition des agriculteurs. Dans ce cas, le système de subventions peut contribuer indirectement à limiter, plus qu’à encourager, la consommation finale de semences et d’engrais (IPAR 2015). I. Recommandations 29. Le manque d’équité du système des grands programmes sociaux et subventions publiques, leur potentiel limité pour réduire la pauvreté et augmenter la résilience, les problèmes de déperdition de 8 Sources : Rapport Coût et financement du PAQUET, 2018. 9 Celui-ci est passé de 132 à 191,5 milliards en 2018. Cette hausse se poursuivra également en 2019. En effet, le projet de budget de 2019 du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est arrêté à 195 milliards de FCFA, due principalement à la hausse du nombre de boursiers et bénéficiaires d’aide sociale. 12 ressources publiques et les ressources financières mises à disposition avec retard dressent un tableau relativement sombre des grands programmes sociaux et subventions publiques au Sénégal. 30. Des réformes sont nécessaires à deux niveaux pour qu’ils puissent avoir les effets escomptés sur la réduction de la pauvreté, l’augmentation de la résilience et le développement du capital humain. • Au premier niveau, trois grandes réformes doivent s’appliquer au niveau des programmes eux- mêmes. Il s’agit en particulier pour le Gouvernement de : 1) améliorer l’équité, 2) améliorer le financement, et 3) améliorer la gouvernance et la gestion. Ces réformes sont développées sous forme d’actions spécifiques ci-dessous. • En parallèle, un deuxième niveau de réforme est nécessaire, au niveau plus macro. Sans ces réformes, les grands programmes sociaux et subventions publiques ne pourront atteindre les effets recherchés. Il s’agit pour le Gouvernement de : 1) Améliorer la qualité des services de santé et d’éducation (voir la note sur l’éducation primaire), 2) Réformer le processus de planification et de mobilisation des dépenses au niveau du MEFP (voir la note sur la fiscalité), et 3) mettre en place un système d’identification unique au niveau national. 31. A ce titre, cette présente contribution suggère les recommandations ci-après : Recommandation 1 : Améliorer l’équité du système - Réorienter une partie des ressources vers les plus vulnérables (COURT TERME) : o Le programme de subventions des bourses universitaires devrait définir de nouveaux critères d’octroi de bourses qui se fondent sur le niveau de pauvreté et l’excellence o Le programme de subventions des intrants agricoles devrait utiliser le RNU pour orienter une partie des subventions vers les plus pauvres et développer des critères de ciblage géographiques o Le programme de subvention à l’électricité devrait faire une analyse de consommation et de capacité à payer des consommateurs afin d’engager une réforme de ces subventions et les cibler aux consommateurs les moins favorisés - Développer des programmes complémentaires à fort impact sur la réduction de la pauvreté (MOYEN TERME) : o Développer des programmes de filets sociaux productifs en réformant le programme de subventions agricoles en réorientant une partie vers plus d’investissements d’adaptation et de résilience aux chocs climatiques et offrir des mesures d’accompagnement productif aux bénéficiaires du PNBSF à l’échelle nationale o Développer un filet de sécurité saisonnier pour les ménages résidant dans les zones les plus affectés par les chocs conjoncturels en renforçant le système d’Alerte Précoce sur la sécurité alimentaire et en réformant le Programme d’Urgence à l’Insécurité Alimentaire Recommandation 2 : Améliorer la gestion des finances publiques : - Maîtriser les dépenses des programmes (COURT TERME) o Rationaliser l’octroi de bourses universitaires à tous les niveaux en mettant plus le focus sur les bourses sociales (pour les étudiants issus de ménages pauvres identifiés à travers le RNU ou autres critères) et les bourses d’excellence (pour les étudiants plus méritant) 13 o Réformer le programme de subventions agricoles pour contrôler le volume des dépenses o Réformer la branche gratuité de la CMU pour aller vers un achat plus stratégique des services de santé, par exemple intégration des gratuités dans les mutuelles de santé et achat/ contrôle renforcer de la qualité des prestations offertes et remboursées. - Assurer la pérennité financière des programmes (COURT TERME) o Poser les bases pour garantir la pérennité financière dans le temps de la CMU, en développant la proposition pour la soutenabilité financière (incluant la mise en commun des ressources en regroupant les mutuelles au niveau départemental et en assurant leur professionnalisation; les stratégies pour attirer des contributeurs nets dans l’assurance maladie, la révision des coûts du paquet de bénéfices; les études actuarielles), en pilotant et mettant à l'échelle les mécanismes d'intégration des financements (gratuités - mutuelles) et en passant progressivement et avec des mesures incitatives d’une adhésion volontaire à une adhésion obligatoire aux mutuelles de santé (par exemple, l’assurance maladie comme une condition d’accès à d’autres services). o Doter le PNBSF d’un budget de fonctionnement pour la mise en œuvre des activités o Doter le RNU d’un budget de fonctionnement pour la mise en œuvre des activités o Introduire un programme de prêts-étudiant pour la majorité des nouveaux étudiants avec des mécanismes de garantis et de suivi flexibles et transparents (en plus des bourses qui seraient réservées à une proportion plus restreinte de nouveaux étudiants et à ceux qui ont déjà commencé leur cursus) pour rendre plus équitable et plus soutenable la politique sociale de l’enseignement supérieur. Recommandation 3 : Améliorer la gouvernance et la gestion des programmes (COURT TERME) - Moderniser et rendre plus transparente la gestion des programmes à travers des systèmes d’informations et de gestion efficaces, dynamiques, robustes et transparents. Cela concerne tous les programmes (CMU, PNBSF, Bourses et œuvres universitaires, subventions aux intrants agricoles) - Revoir le cadre légal et institutionnel de chaque programme dans lequel des critères clairs de ciblage des bénéficiaires des prestations seront définis. Cela concerne tous les programmes (CMU, PNBSF, Bourses universitaires, subventions aux intrants agricoles) - Organiser la recertification des bénéficiaires du PNBSF - Procéder à un audit de la réforme et de la gestion de la politique des bourses universitaires et en réorganisant la direction des bourses. (MOYEN TERME) - Fusionner les trois dispositifs d’assurance maladie existant - Institutionaliser le RNU et les dispositions relatives à sa gestion, ses objectifs, sa mise à jour, etc… 14 Annexe 1 : Compléments d’informations sur la CMU Figure 1: Appartenance au quintile le plus pauvre et % enfants de moins de 5 ans bénéficiaires de la gratuité (EDS 2017) Figure 2: Système d’information de l’assurance maladie universelle (en cours de développement) 15 Annexe 2 : Résumé des programmes et subventions publiques revus Tableau 2 : Présentation synthétique des cinq programme et subventions publiques analysés Dépenses Impact sur la (2015) Nombre de Pro- réduction de la en millions bénéficiaire pauvres pauvreté ou des Objectifs CFA Population bénéficiaires s en 2015 inégalités 197 751 Ménages Encourager En 2016, 93% des (environ 2 l’investissement dans le bénéficiaires (de la 3ème millions capital humain des génération) étaient sous la d'individus) PNBSF enfants 17,117 ligne de pauvreté * Oui Réduit la pauvreté La CMU bénéficie à toute personne n'ayant pas de couverture médicale En 2016, 65% des Offrir une couverture des bénéficiaires de la branche 2016765 risques liés à la santé assurance de la CMU sont (gratuité pour les ménages les bénéficiaires du PNBSF moins de 5 CMU (branche plus pauvres et les Les statistiques montrent que ans) et assurance et populations évoluant la branche gratuité ne 792985 pour gratuité) dans le secteur informel bénéficie pas en majorité aux la branche 14,598 pauvres assurance** Oui Neutre Potentiel pour En 2015, 59,7% des réduire la agriculteurs non pauvres ont pauvreté, mais pas Subventions aux bénéficié d’une subvention, dans la conception intrants et contre seulement 49,4% des actuelle du équipements Soutenir la production agriculteurs pauvres non programme agricoles agricole 36,255 disponible Non 75% des ressources sont capturées par les trois déciles les plus riches. Jusqu’à 90% du quintile supérieur bénéficie d’une connexion au réseau de la Senelec, contre Augmente les Subventions à Lisser le prix de vente de seulement 19% dans le non inégalités et la l'électricité l'électricité 7,437 quintile inférieur. disponible Non pauvreté En 2011, 70% des bénéficiaires de la bourse de Bourses Faciliter l'accès à l’enseignement supérieur universitaires et l'enseignement supérieur appartiennent aux deux 107632 Augmente les oeuvre sociales 48,953 quintiles les plus riches étudiants Non inégalités * le nombre de ménages bénéficiaires du PNBSf est passé à 300 000 en 2016 ** le nombre de bénéficaires de la CMU (branche assurance) a énormément augmenté depuis. En 2017, l'ensemble des bénéficiaires du PNBSF étaient enrolés à la CMU et 87% d'entre eux avaient commencé à bénéficier des prestations Source : Auteur, Partie I note sur l’efficacité et l’équité des programmes sociaux et de subventions publiques 16 Bibliographie : Banque Mondiale, 2015, République du Sénégal, revue des dépenses publiques du secteur de l’Education, Rapport No : ACES 14246, World Bank Group, Washington, DC. © World Bank Beegle, Coudouel et Monsalve (editeurs, 2018), Les filets sociaux en Afrique : Comment réaliser pleinement leur potentiel? Collection l’Afrique en Développement. Banque Mondiale et Agence Française de Développement. Washington, DC. Gouvernement du Sénégal, Ministère de l’Education Nationale, 2017, Bilan de l’évaluation de la phase 1 du paquet, 2017 Gouvernement du Sénégal (MEN, MESRI, MFPAA), 2013, Rapport des consultations nationales pour l'avenir de l'enseignement supérieur (CNAES) 2013 Gouvernement du Sénégal (MESRI), 2014, Etude-diagnostic de l’efficacité des centres des œuvres universitaires du Sénégal 2014 Gouvernement du Sénégal, 2018, Rapport de projections des couts et du financement du paquet pour la période 2018-2030 Gouvernement du Sénégal, 2018, Programme d’amélioration de la qualité, de l’équipe et de la transparence – éducation / formation (PAQUET – EF) 2018 -2030 IPAR, 2015, Subventions des intrants agricoles au Sénégal : Controverses et Réalités, Initiative Prospective Agricole et Rurale, Dakar Martínez-Aguilar Sandra et Marzo Federica, 2018, The Effects of Fiscal Policy on Inequality and Poverty in Senegal, Maynor Cabrera, CEQ Institute Organisation Mondiale de la Santé, 2017, Les politiques de gratuités : opportunités et risques en marche vers la CSU Rougeaux Solene, 2017, Sénégal : revue des Dépenses de Protection Sociale 2010-2015, Banque Mondiale 17