GROUNDSWELL AFRIQUE LES MIGRATIONS CLIMATIQUES INTERNES DANS LES PAYS D’AFRIQUE DE L’OUEST RÉSUMÉ ANALYTIQUE Kanta Kumari Rigaud, Alex de Sherbinin, Bryan Jones, Susana Adamo, David Maleki, Nathalie E. Abu-Ata, Anna Taeko Casals Fernandez, Anmol Arora, Tricia Chai-Onn, and Briar Mills © 2021 Banque internationale pour la reconstruction et le développement / Banque mondiale 1818 H Street NW Washington DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 Internet : www.worldbank.org Ce document est l’œuvre des services de la Banque mondiale en collaboration avec des contributeurs externes. Les constatations, interprétations et conclusions qui y sont présentées ne traduisent pas nécessairement les opinions de la Banque mondiale, de ses Administrateurs ou des pays qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données contenues dans ce document. Toutes les cartes utilisées dans le présent ouvrage ont été approuvées par le service de cartographie de la Banque mondiale.. Les frontières, couleurs et dénominations et toute autre information figurant sur ces cartes dans le présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Le présent ouvrage a été initialement publié en 2021 en anglais sous le titre Groundswell Africa: Internal Climate Migration in West African Countries. En cas de divergence, la langue d’origine fait foi. Droits et autorisations Le contenu de cet ouvrage est protégé au titre du droit d’auteur. La Banque mondiale encourageant la diffusion des connaissances, la reproduction de cette publication est autorisée, en tout ou en partie, à des fins non commerciales, sous réserve d’indication de la référence. Le présent ouvrage doit être cité de la manière suivante : Rigaud, Kanta Kumari ; de Sherbinin, Alex ; Jones, Bryan ; Adamo, Susana ; Maleki, David ; Abu-Ata, Nathalie ; Casals Fernandez, Anna Taeko ; Arora, Anmol ; Chai-Onn, Tricia ; et Mills, Briar. 2021. Groundswell Afrique : Migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Washington, DC : Banque mondiale. Toute question relative aux droits et licences, y compris les droits subsidiaires, est à adresser au Bureau des publications de la Banque mondiale : The World Bank Group, 1818 H Street NW, Washington, DC 20433, États-Unis d’Amérique ; télécopie : 202-522-2625 ; courriel : pubrights@worldbank.org. Crédits photos (de haut en bas, de gauche à droite) : Vincent Tremeau, Andrea Borgarello 2 Groundswell Africa: Internal Climate Migration in West African Countries GROUNDSWELL AFRIQUE LES MIGRATIONS CLIMATIQUES INTERNES DANS LES PAYS D’AFRIQUE DE L’OUEST RÉSUMÉ ANALYTIQUE Kanta Kumari Rigaud, Alex de Sherbinin, Bryan Jones, Susana Adamo, David Maleki, Nathalie E. Abu-Ata, Anna Taeko Casals Fernandez, Anmol Arora, Tricia Chai-Onn, and Briar Mills Remerciements Ce rapport a été élaboré par le pôle Environnement des Pratiques mondiales de la Banque mondiale dans le cadre d’une activité de connaissances sur les migrations climatiques internes, sous la direction et suivant les conseils de Mark R. Lundell, Directeur régional, Développement durable, Afrique de l’Est et Australe, et de Simeon K. Ehui, Directeur régional, Développement durable, Afrique de l’Ouest et Centrale. Les travaux ont été dirigés par Kanta Kumari Rigaud, Spécialiste en chef de l’environnement, et David Maleki, Spécialiste de l’environnement. L’orientation stratégique et le soutien d’Iain G. Shuker, Responsable, ont joué un rôle essentiel dans la réalisation du rapport. Maria Sarraf, Ruxandra Maria Floroiu et Sanjay Srivastava ont fourni des conseils à des étapes clés. Benoît Bosquet a fourni des conseils dès le début. Ce rapport a été dirigé par Kanta Kumari Rigaud et David Maleki (Banque mondiale), avec une équipe de base composée d’Alex de Sherbinin, Susana Adamo, Tricia Chai-Onn, Briar Mills (Centre for International Earth Science information Network, CIESIN), Bryan Jones (City University of New York, CUNY), Nathalie E. Abu-AtA, Anna Taeko Casals Fernandez et Anmol Arora (Banque mondiale). Anne-Laure White (CIESIN), Analia Calcopietro, Charity Boafo-Portuphy, Ena Loureiro, Esther Bea et Yesmeana N. Butler (Banque mondiale) ont fourni un soutien tout au long du projet. L’analyse qui forme la base du rapport est le résultat d’une collaboration unique entre des effectifs du Groupe de la Banque mondiale et des chercheurs du CIESIN de la Columbia University Climate School et de son Earth Institute et de l’Institute for Demographic Research (CIDR) de (CUNY). Les contributions continues de l’Institut de Potsdam sur les effets du changement climatique (PIK) ont été très appréciées. Les travaux ont été financés par la Banque mondiale avec un soutien supplémentaire fourni par la Deutsche Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit (GIZ) au nom du ministère fédéral allemand de la Coopération et du Développement économiques (BMZ), le Pilier de la connaissance de la plateforme du Programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA), qui reçoit des fonds, entre autres, de la Facilité mondiale pour la prévention des catastrophes et le relèvement (GFDRR) et du Fonds nordique de développement, et le Mécanisme d’investissement de projets résilients aux changements climatiques : un partenariat de la Banque mondiale, de l’Union africaine et de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, avec un financement du Fonds nordique de développement. L’équipe est reconnaissante aux auteurs de plusieurs documents de référence qui ont éclairé la recherche. L’Institut africain du développement durable de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar au Sénégal, dirigé par Ahmadou Aly Mbaye et comprenant Aklesso Yao Grégoire Egbendewe, Fatou Gueye, Clément Sambou, Ndiaga Diop, Yusuf Abdul Malik Mohammed, Mamane Bello Garba Hima et Fama Gueye, a fourni des Andrea Borgarello / World Bank ii Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest rapports de pays et une synthèse régionale pour l’Afrique de l’Ouest afin d’aider à déceler les schémas et les moteurs de migration reposant sur une analyse documentaire. François Gemenne a contribué au rapport avec un document de politique générale qui a dressé un tour d’horizon des cadres et des options qui existent pour façonner les réponses politiques actuelles et à long terme en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Duygu Cicek a travaillé avec ses collègues du Département juridique de la Banque mondiale : Manush Hristov et Markus Pohlman, pour fournir un examen des cadres et processus juridiques pertinents à titre de contribution au rapport. Un examen du portefeuille préparé par Kanta Kumari Rigaud, Silke Heuser, Nathalie E. Abu-Ata et Anmol Arora a fourni des informations sur les expériences opérationnelles et les enseignements tirés des projets de la Banque mondiale concernant les liens entre climat et migrations. Le rapport a bénéficié d’un atelier à Accra en septembre  2019 et d’une consultation virtuelle en mars 2021 avec des parties prenantes de la société civile, des organismes publics et des universités, ainsi que des organisations internationales et des donateurs. Y ont participé des représentants du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Guinée-Bissau, du Mali, de Mauritanie, du Niger, du Nigéria, de Sao Tomé-et-Principe, du Sénégal et du Togo, ainsi que l’Agence française de développement (AFD), GIZ, la Commission européenne, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Fonds nordique de développement, la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (UNOWAS). Plusieurs collègues ont fourni des conseils en temps opportun au cours du processus d’examen de l’activité globale de connaissances et ont eu un rôle indispensable à cadrer le rapport afin d’en assurer son utilité pratique. Pour la Banque mondiale, il s’est agi des collègues suivants : Alex Mulisa, Arame Tall, Caroline Bahnson, Corey Pattison, Denis Rugege, Diego Arias, El Hadj Adama Toure, Erwin de Nys, Farouk Mollah Banna, Jane A. N. Kibbassa, Jian Xie, Michael John Hammond, Pablo Cesar Benitez, Peter Kristensen, Ragini Praful, Varalakshmi Vemuru, Viviane Wei Chen Clement et Sonia Plaza. Les examinateurs externes ont été Hind Aissaoui Bennani, Susan Martin (Alliance mondiale pour le savoir sur les migrations et le développement, KNOMAD), Lisa Lim Ah Ken (Organisation internationale pour les migrations, OIM), Atle Solberg (Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes) et Alex Aleinikoff (Zolberg Institute on Migration and Mobility, The New School). Les rapports ont bénéficié d’une série de consultations internes au sein de la Banque mondiale avec des spécialistes thématiques, des Chefs de secteur et des Directeurs-pays. Le rapport a bénéficié de services d’édition par Alex Behr et de conception par Owen Design Company LLC. L’unité de cartographie de la Banque mondiale a apporté son soutien à l’approbation des cartes. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest iii GROUNDSWELL AFRIQUE LES MIGRATIONS CLIMATIQUES INTERNES DANS LES PAYS D’AFRIQUE DE L’OUEST Jusqu’à 32 millions de migrants climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest d’ici à 2050 en l’absence de mesures concrètes en matière de climat et de développement. 0,3 à 2,2 millions d’habitants sur la côte de l’Afrique de l’Ouest pourraient être contraints de quitter la bande côtière de 5 km d’ici à 2050 en raison de l’élévation du niveau de la mer, aggravée par les ondes de tempête. Des foyers de migration climatique pourraient émerger dès 2030 et continuer de s’intensifier d’ici à 2050 dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest. Le modèle et l’analyse des populations migratoires combinent des facteurs climatiques et non climatiques, ce qui élargit l’approche Groundswell, afin de mieux informer le dialogue et l’action sur les politiques à mener. Disponibilité de Productivité Productivité de Élévation du niveau de la mer et ondes l’eau des cultures l’écosystème de tempête Conflit Sexe Risque Âge médian d’inondations iv Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest L’importance de la localité et du contexte L’impact des migrations climatiques internes n’est pas uniforme dans tous les pays. Il est plus marqué dans certaines régions que dans d’autres. Le scénario optimiste (développement inclusif et faibles émissions) produit un nombre plus faible de migrants climatiques internes que le scénario pessimiste (émissions élevées et développement inégal). Nombre de migrants climatiques d’ici à 2050 Niger Nigéria Sénégal Mali Bénin Pessimiste Optimiste Burkina Faso 0 2 4 6 8 10 millions L’étude incluait également inclus le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, la Mauritanie, Sao Tomé-et-Principe, la Sierra Leone et le Togo. PASSER À L’ACTION Solutions informées Climate-Smart par les Opportunities migrations for Migration et le climat with Proactive Orientationsand stratégiques Domaines d’action et(COMPASS) Sustainable Solutions Réaliser des analyses Adopter des approches à spatio-temporelles sur les longue échéance axées sur foyers de migration climatique la gestion du paysage et du territoire Améliorer Réduire les gaz la compréhension à effet de serre Intégrer les de la migration politiques dans le Exploiter la migration droit interne et climatique en faveur combler les lacunes Mener un de l’emploi et de la juridiques développement inclusif, Intégrer la migration transition économique résilient en matière dans le processus de climat et de développement d’écologie Favoriser les partenariats sur l’axe aide humanitaire-développement-paix Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest v Andrea Borgarello / World Bank vi Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest GROUNDSWELL AFRIQUE DE L’OUEST Comme le dit un proverbe africain, « nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants  ». Le réchauffement climatique, avec ses causes et ses effets, établit une étroite connexion entre générations et constitue un exemple éloquent de cette vérité. Les populations ouest-africaines ont une longue expérience de l’adaptation aux conditions climatiques difficiles. La mobilité a toujours été une stratégie clé au service des habitants de la région pour gérer les risques et saisir les opportunités, qu’il s’agisse de nomades parcourant le Sahel pour nourrir leur bétail, de pêcheurs bravant les mers déchaînées ou de marchands traversant le désert. Toutefois, si les perturbations et les contraintes liées au climat s’intensifient au cours des prochaines décennies, ces populations Ousmane Diagana pourraient être confrontées à des défis sans précédent. Malgré son Vice-président, Banque mondiale, empreinte carbone relativement faible, la région sera pourtant l’une des Pour l’Afrique de l’Ouest et centrale. plus touchées par les effets du changement climatique. Selon l’étude, si aucune mesure concrète n’est prise en matière de climat et de développement, jusqu’à 32 millions de personnes en Afrique de l’Ouest pourraient être contraintes à se déplacer à l’intérieur de leur pays d’ici 2050, en raison de la pénurie d’eau, de la baisse de la productivité des cultures et de l’élévation du niveau de la mer, exacerbée par les tempêtes. D’ici 2050, le Niger à lui seul pourrait compter jusqu’à 19,1 millions de migrants climatiques internes, soit près de 30,26 % de sa population, si aucune mesure n'est prise. Dans les petits pays du littoral ouest-africain, comme le Bénin, les migrants climatiques pourraient représenter 45 % de l’ensemble des migrants internes d’ici 2050. La localité a son importance. Les pays d’Afrique de l’Ouest pouvaient assister à l’émergence de foyers de migration climatique dès 2030, ce qui traduit à la fois l’évolution de la capacité des écosystèmes à assurer les moyens de subsistance et le risque d’inondation dans les zones côtières de basse altitude. Les foyers d’émigration climatique coïncident dans certains cas avec d’importants centres de croissance, notamment dans les villes côtières comme Lagos et Dakar. Dans le même temps, des foyers d’immigration climatique pourraient apparaître dans des zones où l’incidence de la pauvreté est déjà élevée, comme dans le nord du Nigeria ou à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. Cependant il est important de noter que ces chiffres ne sont pas prédéterminés et qu’ils pourraient être réduits au niveau régional de 60 %. Cette étude nous propose une analyse solide et convaincante, ainsi qu’un cadre de planification tourné vers l’action afin d’intégrer la migration induite par le climat au dialogue politique et de lancer une action préventive. Le rapport souligne aussi que les pays d’Afrique de l’Ouest doivent intensifier leurs efforts en faveur d’un développement inclusif et résilient pour pouvoir gérer avec succès les migrations climatiques internes. Dans le même temps, la communauté internationale doit accélérer et généraliser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin d’éviter ou de réduire les impacts à l’origine des migrations induites par le climat. En définitive, nous ne saurions nous permettre d’ignorer les migrations climatiques dans le contexte du développement si nous voulons préserver la stabilité et la sécurité de nos pays et les aider à atteindre leurs objectifs de développement durable. Le Groupe de la Banque mondiale s’est engagé à soutenir cette évolution nécessaire vers un développement vert, résilient et inclusif. C’est une promesse faite à nos pays clients et aux générations à venir en Afrique de l’Ouest et au-delà. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest vii Andrea Borgarello / World Bank viii Groundswell Africa: Internal Climate Migration in West African Countries Résumé analytique MESSAGE 1 Région déjà très mobile, l’Afrique de l’Ouest connaitra une augmentation des migrations internes en raison des effets du changement climatique. Il s’agit de l’une des régions les plus mobiles au monde dont le passé est caractérisé par le commerce, le pastoralisme nomade et la migration dans le but de diversifier les moyens de subsistance. Le schéma migratoire interne de la région est largement dominé par le mouvement des zones rurales vers les zones urbaines. Le pastoralisme nomade et la migration saisonnière des zones intérieures vers la côte jouent un rôle crucial dans la préservation des moyens de subsistance. Dans une grande partie de l’Afrique, les migrations sont des événements en rapport avec le passé colonial du 20ème siècle et les stratégies de l’après-indépendance, et elles sont profondément enracinées dans la géographie et le climat de la région. Les migrations sont motivées par divers facteurs tels que l’économie, la société, la religion, la politique, l’environnement et, de plus en plus aujourd’hui, par le climat. Le Sénégal, par exemple, est assimilable à la fois à un pays d’origine, de destination et de transit. Au Nigeria, l’enquête sur les migrations internes menée par la Commission Nationale de la Population (NPC) en 2010 a révélé que l’échantillon était composé à 23 % de migrants. Les mouvements de population des zones rurales vers les zones urbaines sont le principal phénomène migratoire observé dans ce pays où environ 60 % des migrants internes vivaient en milieu urbain en 2010 (IADD 2019). Les facteurs climatiques jouent depuis longtemps un rôle important et subtil dans la région, comme en témoignent les migrations saisonnières et celles à plus long terme entre la zone semi-aride du Sahel et la côte tropicale au sud. Ces mouvements permettent de faire face à la saison sèche du Sahel et constituent une stratégie de subsistance importante dans la région. Des études montrent que les variations climatiques entraînent des pics dans les déplacements saisonniers et de proximité. À l’inverse, on observe des flux migratoires importants vers les villes côtières exposées à l’élévation du niveau de la mer et aux ondes de tempête. Seules quelques rares régions, comme Saint-Louis (Sénégal) et Cotonou (Bénin), ont connu une émigration due à des facteurs climatiques. Au Ghana, on a assisté à une migration du nord vers le sud, influencée par le niveau et la variabilité des précipitations et par la dégradation des terres dans le nord. La sécheresse qui a sévi dans les années 1970 et 1980 a entraîné une migration à grande échelle des zones rurales vers les quartiers informels de Nouakchott (Mauritanie). Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 1 La présente étude consacrée à l’Afrique de l’Ouest confirme les résultats portant sur le rôle que peut jouer le climat dans l’essor des migrations internes (Rigaud et al. 2018 ; Clement et al. 2021). Les résultats décrits dans cette étude sont issus de l’application d’une version améliorée du modèle pionnier Groundswell, qui permet de réaliser une analyse plus granulaire et présente des caractéristiques supplémentaires mieux à même d’informer le dialogue et l’action politiques (encadré 1). Pris collectivement, les pays d’Afrique de l’Ouest1 pourraient connaître jusqu’à 32 millions de migrants climatiques internes d’ici 2050 (soit 4,06 % des estimations démographiques) dans le pire des scénarios (figure 1). Ces résultats sont le fruit de l’agrégation des analyses par pays. De tous les scénarios alternatifs modélisés, le scénario optimiste prédit le nombre de migrants climatiques internes le moins important, pour une moyenne atteignant 7,4 millions d’ici 2050. Les populations migreront des zones où la disponibilité de l’eau est moindre, où la productivité des cultures et des écosystèmes est en baisse, et des zones touchées par l’élévation du niveau de la mer aggravée par les ondes de tempête. Par conséquent, la poursuite d’actions concrètes et de développement pourrait permettre de réduire le nombre moyen de migrants de 11,9 millions (61,7 %) d’ici à 2050 (figure 1). Aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’est à l’abri des migrations climatiques internes, mais l’échelle dans chaque pays dépendra de la façon dont les facteurs climatiques interagissent avec les facteurs démographiques et socio-économiques au niveau local (figure 2). Le Bénin, par exemple, devrait compter jusqu’à 342 000 migrants climatiques internes d’ici à 2050 dans le pire des scénarios possibles, tandis que le nombre de migrants climatiques internes diminuera jusqu’à 72 %, pour atteindre 97 000 dans le scénario optimiste le plus bas. Le Niger, le Nigéria et le Sénégal devraient compter le plus grand nombre de migrants climatiques internes d’ici 2050 pour atteindre respectivement 19,1, 9,4 et 1 million de personnes dans le scénario pessimiste. 1 Les pays d’Afrique de l’Ouest ci-après ont servi de modèle à l’étude : Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Andrea Borgarello / World Bank 2 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest Encadré 1 Une modélisation Groundswell renforcée Les résultats décrits dans cette étude sont issus de l’application à l’Afrique de l’Ouest d’une version améliorée du modèle innovant Groundswell (Riguad et al. 2018). Le modèle amélioré comporte le scénario optimiste et des variables climatiques supplémentaires (la productivité primaire nette et le risque d’inondation) et des facteurs non climatiques (l’âge médian et le sexe). Les résultats de la modélisation présentés ici sont basés sur quatre scénarios plausibles - qui représentent différentes combinaisons d’impacts futurs du changement climatique et de trajectoires de développement - permettant de déterminer l’ampleur et la propagation de la migration climatique d’ici 2050. Projections de trajectoire de la migration climatique interne selon quatre scenarios plausibles Élevées Développement Pessimiste plus inclusif (reference) (RCP8.5/SSP2) (RCP8.5/SSP4) Émissions Optimiste Plus favorable au climat (RCP2.6/SSP2) (RCP2.6/SSP4) Réduites Inclusif Inégal Développement Remarque: 1. Les scénarios sont basés sur la combinaison de deux trajectoires socio-économiques partagées - TSP2 (développement modéré) et TSP4 (développement inégal) - et de deux trajectoires de concentration représentatives - TCR2.6 (faibles émissions) et TCR8.5 (fortes émissions) 2. Les estimations des migrants climatiques sont obtenues en comparant ces scénarios plausibles de migration climatique (TCR-TSP) avec les scénarios portant sur le développement uniquement (TTS) ou les scénarios "sans impact climatique Le modèle enrichi permet une analyse plus granulaire, mieux à même d’éclairer le dialogue et l’action politiques. Pour mesurer l’échelle des migrations internes, un modèle gravitaire de la population a permis d’isoler la partie des changements ultérieurs dans la répartition de la population et de les attribuer au changement climatique, en tant qu’indicateur de la migration climatique. Pour isoler les effets des facteurs climatiques faibles sur les migrations internes initiales, la méthodologie a procédé par des simulations poussées pour déterminer les risques sur la productivité primaire nette, l’eau, les récoltes, les modèles de risque d’inondations et l’élévation du niveau de la mer avec des ondes de tempête. Au nombre des facteurs non climatiques on peut également citer les variables démographiques (l’âge médian et le sexe) ainsi que les conflits. Ce modèle élargi a également servi à analyser les migrations climatiques internes dans les pays du bassin du lac Victoria (Rigaud et al. 2021a). Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 3 Figure 1 Projections de la totalité des migrants climatiques internes en Afrique de l’Ouest d’ici 2050 35 -8.3 -4.5 30 25 20 Millions -11.9 15 10 5 0 Optimiste Plus favorable Développement Pessimiste au climat plus inclusif Remarque : Les barres représentent le nombre le plus faible et le plus élevé de migrants climatiques internes dans ce scénario. Figure 2 Projections du nombre de migrants climatiques internes dans certains pays d’Afrique de l’Ouest d’ici 2050 selon le scénario pessimiste* Figure ES.2: Projected Number of Internal Climate Migrants in West African Countries under the Pessimistic Scenario Niger Nigéria Sénégal Mali Bénin Burkina Faso 0 2 4 6 8 10 Millions Les résultats pour le reste des pays d’Afrique de l’Ouest sont disponibles dans le rapport complet (voir Rigaud et al. 2021. * Groundswell Africa : Internal Climate Migration in West African Countries). 4 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest MESSAGE 2 Les migrations climatiques internes vont s’intensifier d’ici à 2050, le nombre de migrants climatiques se multipliant rapidement, si nous n’agissons pas vite afin de mener une action concertée pour le climat et le développement. La courbe de la migration climatique interne en Afrique de l’Ouest pourrait s’accélérer entre 2025 et 2050, avec toutefois quelques variations de rythme d’accélération entre les scénarios et les pays. On observe une tendance à la hausse de la migration climatique interne, les scénarios à fortes émissions (les modèles de développement pessimiste et plus inclusif) affichant des rythmes plus élevés d’accélération au fil des décennies. Les migrations climatiques internes dans les pays de la région pourraient s’amplifier, se multipliant par 3,3 ou par 5 entre 2025 et 2050 (figure 3). Des gains plus importants sont réalisés dans le cadre du scénario optimiste, qui associe faibles émissions et développement équitable. Ces projections mettent l’accent sur l’intérêt de mener une action rapidement sur les fronts à la fois du climat et du développement. Les migrations climatiques internes ne sont pas uniformes d’un pays à l’autre et dépendent des schémas démographiques et des tendances économiques, mais le climat est un facteur de plus en plus important. Parmi les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, c’est le Nigeria qui, selon le scénario pessimiste, devrait compter le plus grand nombre moyen de migrants climatiques internes d’ici 2050 (8,3 millions), loin devant le Sénégal (0,6 million) et le Ghana (0,3 million). Toutefois, des pays plus petits, tels que le Bénin, affichent également des chiffres élevés de migration climatique interne par rapport à leur population totale - 1,62 % pour le Bénin contre 1,93 % pour le Nigéria, le Sénégal atteignant la proportion la plus élevée avec 1,98 %. Les migrations internes dues au climat pourraient apparaître comme le type de migration interne le plus important dans les pays d’Afrique de l’Ouest d’ici 2050. Le nombre de migrants climatiques internes par rapport aux autres migrants internes devrait augmenter dans tous les pays, au fil des prochaines décennies et dans tous les scénarios, notamment dans les scénarios à fortes émissions, et de manière significative au Bénin, au Sénégal et au Nigeria. Au niveau régional, les migrants climatiques internes pourraient représenter le tiers de tous les migrants internes dès 2030 selon le scénario pessimiste. Projected Number of Internal Climate Migrants in West African Figure 3 Projections de trajectoires pour les migrants climatiques dans les pays d’Afrique de l’OuestCountries de 2025 à 2050 the High End of the Pessimistic Scenario by 2050 under 20 Nombre de migrants climatiques en millions 15 10 5 0 2025 2030 2035 2040 2045 2050 Optimiste Plus favorable Développement Pessimiste au climat plus inclusif Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 5 Des mesures concrètes et opportunes en matière de climat et de développement permettent d’ajuster l’ampleur de la mobilité humaine future induite par le climat, mais les possibilités d’en tirer le meilleur parti diminuent rapidement aujourd'hui. Le sixième rapport d’évaluation (2021) du Groupe d’experts intergouvernemental des Nations unies sur l’évolution du climat (GIEC), met en lumière le caractère croissant de la crise climatique et l’urgence d’agir. Les données scientifiques les plus récentes sur le réchauffement climatique et ses conséquences pourraient remettre en question les perspectives de réduction de l’ampleur des migrations climatiques dans le cadre du scénario optimiste. Les effets plus étendus et plus extrêmes du climat sur la disponibilité de l’eau, la productivité des cultures et des écosystèmes et l’élévation du niveau de la mer auront une incidence réelle sur les mouvements de population. Par exemple, le nombre de migrants climatiques au Sénégal pourrait, en 2050, passer de 603 000 en moyenne dans le scénario pessimiste à 92 000 en 2050 dans un scénario optimiste. Ces projections soulignent la nécessité aussi bien de recourir à un développement inclusif et à de faibles émissions pour moduler l’ampleur de la migration climatique, que de poursuivre des politiques hautement résilientes et de s’orienter à grande échelle vers des secteurs moins sensibles au climat. MESSAGE 3 L’émergence de foyers d’immigration et d’émigration climatiques en Afrique de l’Ouest dès 2030, nécessite des réponses intégrées et lucides destinées à garantir des résultats durables et viables. Les foyers d’immigration et d’émigration climatique en Afrique de l’Ouest pourraient émerger dès 2030, s’intensifier et se propager d’ici 2050 (figure 4 groupes spéciaux a et b). Ces foyers, agrégés sur la base d’une analyse par pays, sont des zones où les mouvements de population sont considérés avec une certitude élevée dans tous les scénarios modélisés. Par leurs mouvements, les populations sont appelées à se déplacer afin de soutenir leurs moyens de subsistance et apporter ainsi une réponse aux changements que les écosystèmes sont capables de connaitre, notamment en termes de modification de la disponibilité de l’eau, de la production des cultures, de la productivité primaire nette et de l’habitabilité des systèmes côtiers, dans un contexte d’élévation du niveau de la mer aggravée par les ondes de tempête. Les foyers d’émigration climatique sont l’expression d’un ralentissement ou d’une augmentation de la croissance démographique en réponse à des facteurs climatiques et ne sous-entendent pas nécessairement un déclin ou une croissance absolue du nombre d’habitants. L’augmentation de la fréquence, de l’étendue et de l’intensité des foyers migratoires dans les pays d’Afrique de l’Ouest, nécessite une appréciation contextuelle et une action rapide pour éviter et réduire les conséquences néfastes et tirer pleinement parti des opportunités de la migration climatique interne. Les foyers d’immigration climatique devraient voir le jour au Sahel en raison de l’augmentation des points d’eau et des pâturages disponibles. Le centre-sud de la Mauritanie, le sud-est du Mali et le nord du Nigeria seront les principaux points chauds de la migration climatique dans la région. Il importe d’interpréter ces résultats en tenant compte de la faible disponibilité de l’eau dans la région. L’émigration climatique pourrait devenir prépondérante dans le corridor Dakar-Diourbel- Touba d’ici 2050. Les pays à forte croissance démographique, tels que le Nigeria et le Niger, occupent une place de choix dans la cartographie des foyers, mais en appliquant un coefficient de normalisation de la population, des pays à faible croissance démographique, tels que le Bénin, la Sierra Leone, le Sénégal et la Mauritanie, afficheront des foyers importants d’émigration et d’immigration climatiques. 6 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest Figure 4 Projections des foyers d’immigration et d’émigration climatiques en Afrique de l’Ouest entre 2030 et 2050 a. 2030 b. 2050 IMMIGRATION ÉMIGRATION Certitude élevée de niveaux importants Certitude élevée de niveaux importants d’immigration climatique interne d’émigration climatique interne Certitude moyenne de niveaux importants Certitude moyenne de niveaux importants d’immigration climatique interne d’émigration climatique interne Certitude faible de niveaux importants Certitude faible de niveaux importants d’immigration climatique interne d’émigration climatique interne Remarque : La certitude élevée, modérée et faible reflète la concordance entre les quatre, trois et deux scénarios modélisés respectivement. Les foyers d’immigration et d’émigration sont donc des zones dans lesquelles au moins deux scénarios interviennent dans les changements de densité. Les données sont issues de la compilation des résultats obtenus dans les pays de l’Afrique de l’Ouest entre les scénarios climatiques et sans impact climatique d’un pays à l’autre en fonction des différences au niveau du 5ème centile supérieur et inférieur de la distribution de densité pour l’immigration et l’émigration climatiques respectivement. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 7 Mal gérés, les schémas de migration climatique ne vont pas seulement compromettre les efforts de lutte contre la pauvreté des pays, mais ils risquent aussi de réduire à néant les progrès réalisés en matière de développement dans les villes et les centres de croissance. De nombreux foyers d’immigration climatique en Afrique de l’Ouest souffrent des effets graves du changement climatique sur l’environnement, notamment les glissements de terrain, les inondations, les sécheresses et la dégradation des sols, qui viennent s’ajouter à d’autres défis de développement, à savoir les taux de pauvreté élevés, les établissements humains informels et la faiblesse des services et des infrastructures. Les foyers d’immigration climatique tels que prévus pour les États de Kano, Katsina et Sokoto, dans le nord et le nord-ouest du Nigeria coïncident avec des zones à forte incidence de pauvreté. À l’inverse, Dakar et le centre-ouest du Sénégal, où les niveaux de pauvreté sont plus faibles, sont en train de devenir des foyers d’émigration climatique. Ces tendances, dans de nombreux cas, vont à l’encontre de la trajectoire historique des migrations induites par le développement. Une meilleure gestion des ressources en environnement et en eau et des paysages ruraux est un élément essentiel de toute stratégie visant à lutter contre les conséquences néfastes des migrations. Le stress hydrique, la perte des récoltes et la baisse de la productivité primaire nette ainsi que l’élévation du niveau de la mer deviendront des vecteurs de plus en plus puissants de migration climatique interne dans les pays d’Afrique de l’Ouest au cours des prochaines décennies. Les zones où l’on observe des écarts positifs dans la productivité de l’eau, des cultures et des écosystèmes connaissent généralement une plus grande migration interne, comme en témoignent les changements dans la répartition spatiale de la population. Selon le modèle, le coefficient de disponibilité de l’eau dans les zones rurales est environ 2,7 fois plus élevé que celui de la production végétale et 2,8 fois plus élevé que celui de la productivité primaire nette. Le Sénégal devrait davantage se dessécher dans ses zones occidentales et côtières. D’après certains modèles, l’ensemble du pays deviendra plus aride, et de manière significative dans certains cas. Le Ghana pourrait assister à une fertilisation légère des sols et à l’assèchement de certaines zones dans le sud selon certains modèles. Le dessèchement pourrait y être important, avec la réduction jusqu’à 70 % de l’eau disponible dans la région métropolitaine d’Accra. Pour la plupart des modèles, la production agricole dans le sud de la Mauritanie va décliner d’ici 2050. Sur l’ensemble de la région, l’urgence climatique s’accentuera à mesure que l’on se rapprochera de la fin du 21ème siècle. Dans l’étude sur l’Afrique de l’Ouest, l’ajout de facteurs non climatiques (âge médian, sexe et conflit) appliqués à chaque pays offre une illustration plus complète de la manière dont les tendances migratoires induites par le climat vont se manifester dans chaque pays. À titre d’exemple, l’attrait que constitue un âge médian plus élevé dans les zones urbaines, en tant que modèle démographique sous-jacent en Afrique de l’Ouest, atténue les effets du stress hydrique qui, autrement, entraînerait une émigration climatique. Ce phénomène a été observé dans la région côtière de la Côte d’Ivoire jusqu’au Nigeria. Les foyers de conflits tendent à être associés à une croissance lente ou déclinante de la population rurale et à un déclin légèrement plus rapide de la population urbaine, car lorsque des conflits civils éclatent, il serait plus aisé de se réfugier en zone rurale qu’en zone urbaine. Les foyers de migration climatique ne sont pas prédéterminés, mais la concordance entre les scénarios d’immigration et d’émigration climatiques souligne la nécessité d’adopter des approches lucides et anticipatives pour faire face aux répercussions négatives des migrations liées au climat. À titre d’exemple, dans le foyer d’émigration climatique de la commune de Lomé au Togo, le nombre d’émigrants climatiques serait presque réduit à un tiers dans le scénario optimiste contrairement au scénario pessimiste. Ces approches peuvent nécessiter des mesures d’adaptation sur place pour protéger les communautés et les biens, fournir les services de base et créer des opportunités d’emploi. Il faudra faciliter une retraite encadrée dans les zones qui présentent des niveaux élevés de risques climatiques. L’encadré 2 est une synthèse des résultats d’un atelier organisé à Accra en septembre 2019 et d’une consultation virtuelle tenue en mars 2021. Le tableau 1 récapitule les résultats régionaux, agrégés sur la base de données et d’analyses compilées au niveau national. 8 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest Table 1 Récapitulatif des résultats agrégés pour les pays d’Afrique de l’Ouest Facteurs Résultats régionaux Populations en Augmente et passe de 430,1 à 676,1 millions (dans la TSP2) ou de 447,4 à 789,1 2025 et 2050 millions (dans la TSP4). Population totale à 306,9 millions. la base de référence (2010) Principaux facteurs Disponibilité de l’eau, ensuite productivité des cultures et changements dans la productivité primaire nette, des facteurs qui influenceront l’élevage du bétail. Nombre de migrants C’est le plus élevé dans un scénario pessimiste (de référence), avec une climatiques internes projection moyenne de 19,3 millions de personnes (soit 2,44 % de la population d’ici 2050 envisagée) et 32,0 millions de migrants climatiques (4,06 %) dans le pire des scénarios pessimistes possibles. Trajectoire à Augmentation relativement constante du nombre de migrants climatiques : environ l’horizon 2050 2,5 millions en plus par décennie de 2020 à 2050 selon le scénario pessimiste. Légère inflexion à la hausse après 2040 dans le cadre du scénario aux émissions élevées (scénarios pessimiste et de développement inclusif). Les foyers Au Sahel, des foyers d’immigration climatique relativement importants et contigus d’immigration - au centre-sud de la Mauritanie, au sud-est du Mali et au nord du Nigeria - climatique interne parce qu’une augmentation de la disponibilité de l’eau et des pâturages y était envisagée. Ces augmentations sont conformes aux projections des modèles climatiques qui établissent que les sols dans les parties orientales de l’Afrique de l’Ouest sont fertilisés, mais des incertitudes n’ont pas entièrement été prises en compte dans les deux modèles climatiques utilisés dans le présent rapport. Dans les pays situés sur le littoral, les zones côtières urbaines pourraient néanmoins se développer du fait des opportunités d’emploi et des commodités qu’elles offrent, mais les impacts climatiques sont susceptibles de déplacer les populations légèrement vers l’intérieur des terres. Les foyers Au Sahel : les grands foyers d’émigration climatique devraient se trouver dans le d’émigration sud du Niger et à la frontière entre le Mali et la Mauritanie. climatique interne Dans les pays situés sur le littoral : les foyers d’émigration climatique sont rattachés aux grandes zones urbaines, ce qui se traduit généralement par un afflux important de migrants, malgré la petitesse de ces zones, car il s’agit de zones urbaines. Forces qui animent La zone côtière (définie comme une bande de terre étendue sur 5 kilomètres le les côtes long de la côte) devrait voir émigrer en moyenne 1,8 million de personnes (et au maximum 2,2 millions) en 2050 dans un scénario aux émissions élevées. alors que ce nombre ne serait que de 0,5 million dans un scénario aux émissions plus réduites. Dans un scénario aux émissions faibles, ces valeurs pourraient être comprises entre 300 000 et 800 000 de personnes. Les principaux foyers d’émigration climatique devraient se situer sur la côte sénégalaise et le long de toute la côte du Golfe de Guinée (d’Abidjan à Lagos). Monrovia au Liberia, et Conakry en Guinée, pourraient devenir des foyers d’immigration climatique. Les migrants Le nombre prévu de migrants climatiques internes d’ici 2050 est de 19,3 millions climatiques par et celui des autres migrants climatiques internes est de 36,4 millions, dans le rapport aux autres scénario pessimiste migrants d’ici 2050 Remarque : Établie sur la base de données individuelles agrégées par pays. La TSP2 représente une trajectoire de développement modéré, et la TSP4 une trajectoire de développement inégal. PPN = productivité primaire nette ; SSP = Trajectoires Socioéconomiques Partagées. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 9 Encadré ES.2 : Consultation régionale sur les migrations climatiques internes Le présent rapport a été enrichi au terme d’une concertation régionale sur les migrations climatiques internes avec, comme participants, la société civile, les institutions gouvernementales, le monde universitaire et les organisations bilatérales et multilatérales (Banque mondiale, inédit). Les résultats de l’exercice de modélisation ont permis de dégager plusieurs points de consensus, notamment l’accord sur le rôle croissant du changement climatique en tant que moteur des migrations et des déplacements dans les pays d’Afrique de l’Ouest. La disponibilité de l’eau, la production agricole et l’élévation du niveau de la mer ont été largement considérées comme des facteurs de mobilité dans la région. Les participants ont également jugé probables les scénarios et les foyers d’émigration et d’immigration climatique présentés dans ce rapport et ont souligné l’importance de la préparation et de la résilience. La consultation a permis de mettre en lumière des points saillants en insistant notamment sur la nécessité d’évaluer d’autres facteurs affectant la vulnérabilité de certains groupes sectoriels et démographiques, le lien entre la migration, les conflits et l’instabilité, et la nécessité d’une approche précoce, intégrée et globale de la migration climatique. MESSAGE 4 Une intervention rapide au niveau mondial visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre est essentielle pour atténuer l’ampleur de la migration climatique interne. Les engagements mondiaux en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ne vont pas dans le sens des objectifs fixés à Paris. Dans son dernier rapport (2021), le GIEC estime que l’augmentation de la température mondiale moyenne dépassera 1,5°C au cours du 21ème siècle, à moins de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre au cours des décennies à venir. Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites immédiatement, rapidement et à grande échelle, il sera impossible de limiter le réchauffement à moins de 2°C. Au-delà des seuils de températures, les événements extrêmes se multiplieront et les risques liés au climat pour les systèmes naturels et humains seront plus élevés, impactant ainsi de manière disproportionnée la vie des plus pauvres et des plus vulnérables (GIEC 2021 ; PNUE 2020). Certains des impacts apparaissent désormais comme irréversibles. Le réchauffement climatique aura des conséquences sur l’évolution de la viabilité des écosystèmes et sur les villes côtières de basse altitude vulnérables à l’élévation du niveau de la mer, alimentant des niveaux accrus de migration. Sans une réduction agressive des émissions mondiales permettant d’atteindre les objectifs de Paris, la possibilité de réduire l’ampleur de la migration climatique interne telle que prévue dans les scénarios à faibles émissions sera difficile à concrétiser. En raison des conséquences considérables de la migration climatique interne, la communauté internationale ne saurait relâcher ses efforts. La résolution des problèmes liés aux migrations climatiques internes ne peut être déléguée aux seules communautés concernées, qui pourraient être amenées à se déplacer en raison de l’intensité et de la fréquence croissantes des effets du climat. La première ligne de défense face au blocage des actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre peut consister à promouvoir un développement fort, inclusif et résilient, mais cela seul ne suffira pas. Il est particulièrement difficile de gérer la dégradation de l’environnement et des sols, la vulnérabilité des systèmes côtiers et la précarité des conditions de vie des éleveurs. Malgré ce défi, les pays doivent poursuivre un développement écologique, résilient et inclusif qui transcende les échelles spatiales et temporelles. Les principaux pays responsables des émissions de gaz à effet de serre doivent trouver des moyens visant à compenser les efforts de lutte contre les migrations induites par le climat à travers l’appui aux technologies, le renforcement des capacités et l’octroi de financements. 10 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest MESSAGE 5 Les risques côtiers vont s’accélérer sur la côte ouest-africaine et deviendront un vecteur clef de la migration climatique interne, annonçant un renversement de l’attrait traditionnel en faveur des villes côtières. La bande côtière de l’Afrique de l’Ouest est particulièrement vulnérable à l’érosion, à l’élévation du niveau de la mer, à l’augmentation des températures et aux inondations. Les capitales ou les grandes villes du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Mauritanie, du Nigeria, du Sénégal, de Sao Tomé-et-Principe et du Togo sont toutes situées sur la côte. Malgré les risques, les villes côtières telles que Dakar, Abidjan, Accra et Lagos continuent de se développer et d’offrir des perspectives économiques aux migrants issus de régions économiquement déprimées. Plus de 6 millions de Nigérians vivent dans la zone côtière de basse altitude, suivis par les Sénégalais (1 million), les Mauritaniens et les Béninois (0,8 million chacun), les Ivoiriens (0,7 million), les Ghanéens (0,6 million) et les Togolais (83 000) (CIESIN et CIDR 2021). Un examen minutieux de la bande côtière de 5 kilomètres en Afrique de l’Ouest révèle qu’entre 0,3 million et 2,2 millions de personnes pourraient être amenées à se déplacer d’ici à 2050. La Mauritanie devrait faire face à la plus forte élévation relative du niveau de la mer en raison de la subsidence de son littoral. Dans certaines parties de Nouakchott, déjà sujettes à des inondations dues à l’intrusion des eaux de mer et à l’élévation des nappes phréatiques, on assistera probablement à une émigration climatique dès 2030. Les principaux foyers d’émigration climatique devraient se situer dans les zones côtières du Sénégal et le long de toute la bande côtière du golfe de Guinée. Au Nigeria, l’émigration climatique devrait concerner le sud et le sud-est du pays ainsi que les États côtiers, notamment Lagos, Ogun, Rives, Ondo, Delta, Bayelsa, Rivers et Akwa. D’ici 2050, le Sénégal pourrait atteindre jusqu’à 443 000 émigrants climatiques côtiers dans le pire des scénarios pessimistes possibles (5,58 % de la population côtière), tandis que le Bénin pourrait en compter jusqu’à 154 000 (4.97 %). Le Nigeria pourrait atteindre le plus grand nombre de migrants climatiques sur les côtes, avec près d’un million de personnes d’ici 2050 à l’extrémité de la distribution dans les scénarios pessimistes. En revanche, la Côte d’Ivoire devrait totaliser jusqu’à 26 000 émigrants climatiques (1 %). L’exposition et la vulnérabilité des activités et des infrastructures côtières d’Afrique de l’Ouest face aux risques liés au changement climatique augmenteront la probabilité d’une migration secondaire inverse. L’élévation du niveau de la mer, les ondes de tempête et la diminution de la disponibilité de l’eau sont susceptibles de réduire la croissance des zones urbaines côtières dans certains pays (notamment au Sénégal et au Ghana). De grandes villes comme Dakar, Abidjan, Accra et Lagos poursuivront leur croissance parce qu’elles offrent des perspectives économiques à ceux qui viennent de régions économiquement plus déprimées, mais la croissance démographique dans les foyers sera freinée en raison de facteurs climatiques. Il est essentiel de prendre des mesures précoces, réalistes et inclusives pour renforcer ces zones côtières par des infrastructures vertes et grises, le cas échéant, et par une planification globale de ces zones. MESSAGE 6 La migration climatique interne fait partie intégrante du développement, et étant la face humaine du changement climatique, elle doit être abordée de manière globale. La migration climatique interne en Afrique de l’Ouest est une réalité qui peut être transformée en une force positive en reposant sur un ensemble clé de politiques et de domaines d’action. S’appuyant sur des domaines d’action fondamentaux et sur des secteurs politiques essentiels, le cadre d’intervention et de solutions adaptées au climat et aux migrations (MACS) (figure 5) entend réduire l’ampleur des migrations liées au climat dans le temps et dans l’espace, favoriser les transformations sociales et économiques et réduire les vulnérabilités. Grâce à cette approche anticipative, les économies nationales seront préparées à faire face aux défis et seront tout aussi prêtes à tirer pleinement parti des opportunités de la migration climatique. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 11 Les principaux secteurs d’action, tels que préconisés dans le rapport Groundswell, restent d’une importance capitale pour : • Réduire dès maintenant les gaz à effet de serre. • Poursuivre des politiques de développement écologiques, inclusives et résistantes au climat. • Intégrer la migration dans la planification du développement. • Investir dans une bien meilleure compréhension de la migration. La diversité des contextes ouest-africains dans lesquels se produiront les migrations climatiques internes requiert plus d’attention et de solidarité au niveau mondial. Il conviendrait de s’appuyer sur les cinq domaines d’action ci-après afin de réduire les migrations dues aux effets néfastes du changement climatique : • Adopter une approche anticipatrice fondée sur la gestion des paysages et des territoires. • Tirer pleinement parti de la migration climatique pour les emplois et les transitions économiques. • Renforcer les partenariats pour le développement, l’humanitaire et la paix. • Combler les vides juridiques et intégrer les politiques migratoires dans le droit national. La mise en œuvre de ces domaines d’action se fera au moyen d’une action locale et nationale spécifique et une plus grande coopération régionale, le cas échéant. Malheureusement, un certain niveau de réchauffement est déjà à prévoir en raison d’émissions historiques de gaz à effet de serre, ainsi la mise en place de politiques de développement inclusives et résistantes au climat doit être une priorité. Les politiques doivent se concentrer sur l’ensemble du cycle de vie de la migration, notamment en prenant des mesures qui peuvent d’une part, aider les communautés le cas échéant à s’adapter sur place, et d’autre part faciliter la mobilité ou le déplacement des personnes loin des risques climatiques inévitables lorsque les limites de l’adaptation locale et des écosystèmes sont atteintes. Il importe de souligner qu’après la migration, les mesures politiques et autres soutiens doivent garantir que les zones d’origine et d’accueil, ainsi que leurs occupants, soient bien connectées et prêtes à y accueillir convenablement les flots d’émigrés et d’immigrés. Encadré 3 : Le cadre d’intervention MACS Le cadre MACS est le résultat des efforts déployés par la Banque mondiale à travers les rapports Groundswell, puis d’une analyse plus approfondie via Groundswell Africa, afin de mieux comprendre les implications de la migration induite par le climat et intégrer ce phénomène dans les plans, programmes et politiques de développement. Ce cadre découle du résultat de l’exercice de modélisation susmentionné, des schémas historiques de la mobilité, mis en contexte, d’une littérature évaluée par des pairs et des consultations multipartites. Un examen du portefeuille et des caractéristiques de conception de 165 projets de la Banque mondiale opérant sur le lien entre le climat, la migration et le développement permet de mieux comprendre ce cadre (Rigaud et al. 2021b). Il s’agit d’un cadre flexible et adaptatif qui repose sur le principe que la migration climatique est liée à des défis de développement plus larges, et ce à toutes les échelles d’espace. Il peut orienter les décideurs et les praticiens en leur fournissant des informations et des idées essentielles sur le développement et les implications politiques de la migration interne induite par le climat. Ces informations témoignent de la nécessité d’adopter des approches anticipatives sur des échelles de temps et d’espace plus larges afin d’éviter et de minimiser les conséquences négatives des migrations induites par le climat et de tirer pleinement parti des opportunités offertes par les migrations. 12 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest Climate-Smart Opportunities for Migration with Proactive and Sustainable Solutions (COMPASS) Figure : Cadre d’intervention MACS (pour des solutions adaptées en matière de climat et de migrations) Réaliser des analyses Adopter des approches à spatio-temporelles sur les longue échéance axées sur foyers de migration climatique la gestion du paysage et du territoire Améliorer Réduire les gaz la compréhension à effet de serre Intégrer les de la migration politiques dans le Exploiter la migration droit interne et climatique en faveur combler les lacunes Mener un de l’emploi et de la juridiques développement inclusif, Intégrer la migration transition économique résilient en matière dans le processus de climat et de développement d’écologie Favoriser les partenariats sur l’axe aide humanitaire-développement-paix Orientations stratégiques Domaines d’action L’ampleur, la trajectoire et l’étendue géographique des migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest exigent une attention particulière et une action politique urgente. La résolution des problèmes environnementaux de longue date est un impératif urgent en Afrique de l’Ouest, où la vie des populations et l’économie sont intimement liées aux moyens de subsistance influencés par le climat. La dégradation de l’environnement, les pressions exercées sur les moyens de subsistance des éleveurs, le stress hydrique, la baisse de la productivité des cultures et l’élévation du niveau de la mer doivent être abordés dans le cadre d’une approche fondée sur la gestion des paysages et des territoires. Si l’on ne prend pas garde, ces conséquences négatives entraineront des migrations induites par le climat, aggraveront les vulnérabilités existantes, tels que la pauvreté accrue, la fragilité, et pourront favoriser les conflits et la violence. En s’appuyant sur le cadre d’intervention MACS et en soutien aux stratégies et aux plans de développement des pays, l’ensemble des mesures politiques prises aujourd’hui en matière de climat et de développement peut contribuer à éviter les conséquences négatives de la migration induite par le climat en Afrique de l’Ouest tout en tirant pleinement parti des possibilités que celle-ci offre. Le plan de croissance économique et de relance du Nigeria, par exemple, vise à assurer la sécurité alimentaire, et à créer des emplois pour les jeunes qualifiés dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC). Il y a beaucoup de points communs entre ces objectifs et les priorités du cadre MACS. Les contributions déterminées au niveau national (CDN) admettent que les migrations induites par le climat sont une stratégie d’adaptation et un moyen de lutter contre les conséquences néfastes du phénomène. Les Cadres de Partenariat Pays (CPF), que la Banque Mondiale établit avec ses pays clients, pourraient comprendre des politiques et des investissements de long terme pour répondre à la migration climatique, à l’instar de la diversification des emplois, de la gestion des terres, de la gestion des paysages, de la résilience au changement climatique et de la gestion des risques environnementaux et la fourniture des services de base en zones urbaine et rurale. Le Rapport national sur le climat et le développement (CCDR) qui est un nouvel outil de diagnostic de la Banque mondiale, offre une occasion supplémentaire et cruciale pour les pays de comprendre et d’aborder les migrations induites par le climat afin d’identifier les trajectoires en matière de réduction des émissions de carbone et d’augmentation de la résilience d’une part et, d’autre part l’atteinte des objectifs de développement durable. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 13 La communauté de développement ne part pas de zéro. À titre d’exemple, afin de tirer des enseignements pratiques, la Banque mondiale a procédé à un examen de son portefeuille portant sur 165 projets axés sur le lien entre climat, migration et développement entre 2006 et 2019 et totalisant 197,5 milliards de dollars d’engagements (Rigaud et al. 2021b). Il ressort de cet examen qu’il est possible d’adopter une approche plus systématique et plus anticipative lors de la conception des projets visant à lutter contre les migrations climatiques. Non seulement les projets ne prennent plus uniquement en compte les besoins directs des migrants, mais ils appuient de plus en plus, des interventions de soutien (systèmes d’alerte précoce et filets de sécurité sociale) et s’attaquent à des causes profondes de la mobilité. Il est nécessaire de prendre rapidement des mesures concrètes dans ce domaine, en établissant des partenariats et en prenant de engagements avec les personnes directement concernées. MESSAGE 7 Les migrations climatiques, qui sont une question transversale, doivent faire l’objet d’une action politique éclairée et prospective dans son approche et sa mise en oeuvre. Les cinq domaines d’action du cadre MACS peuvent soutenir la mise en œuvre des politiques essentielles visant à réduire, éviter et minimiser les migrations climatiques internes provoquées par la détresse. L’appel à l’action dans le domaine des migrations climatiques internes est clair et convaincant. Pour soutenir la prise de décision, il sera essentiel de concevoir des réponses efficaces permettant d’investir dans la modélisation de scénarios itératifs à la lumière de nouvelles données et des progrès du développement. Si le rapport ne se concentre pas exclusivement sur les migrations transfrontalières, la modélisation identifie de nombreux foyers de migration dans les zones proches des frontières nationales. Le changement climatique peut être un frein ou un moteur de la migration transfrontalière, en fonction d’une série de facteurs qui poussent les individus à décider de rester ou de se déplacer. De tels investissements devraient faciliter une planification à long terme, à l’aune de la capacité d’adaptation par exemple, permettant de garantir la résilience climatique. Cela suppose une coopération à établir au niveau aussi bien international, que local. Le Projet d’appui au pastoralisme dans la région du Sahel, financé par la Banque mondiale, qui entend améliorer l’accès aux marchés, aux services et aux biens de production essentiels pour les éleveurs et les communautés agro-pastorales dans certaines zones transfrontalières et le long des axes de transhumance dans six pays du Sahel en est une illustration (Plante 2019). Réaliser des analyses spatio-temporelles afin de mesurer l’émergence de foyers de migration climatique dans les régions côtières, en particulier dans les villes comme moteurs de croissance (Dakar, Lagos, Cotonou, Accra, Nouakchott, São Tomé et Lomé) et dans les régions à forte incidence de pauvreté (Kano au Nigeria, Korhogo en Côte d’Ivoire et près de Matam au Sénégal), pour se préparer aux difficultés et aux opportunités. Des investissements supplémentaires sont nécessaires pour une meilleure mise en contexte et compréhension de la migration climatique, en particulier à des échelles allant du régional au local, où les impacts climatiques peuvent s’écarter des tendances mondiales plus larges. Renforcer les capacités nationales de collecte et de suivi des données pertinentes peut ainsi permettre de mieux comprendre les interactions entre les impacts climatiques, les écosystèmes, les moyens de subsistance et la mobilité, et aider les pays à adapter leurs décisions en matière de politique, de planification et d’investissement. Adopter des approches paysagères et territoriales permettant de planifier et d’anticiper l’action à des échelles spatiales et temporelles, et de concevoir des stratégies qui chevauchent les foyers migratoires (Accra et le bassin inférieur de la Volta au Ghana ; San Pedro et Yamoussoukro en Côte d’Ivoire) en réponse aux forces qui animent les localités d’émigration et d’immigration climatiques. Ces approches seront par exemple essentielles pour faire face aux taux élevés d’érosion côtière au Togo, lesquels devraient s’aggraver avec l’élévation du niveau de la mer, notamment dans les zones de faible altitude de Lomé. De même, Nouakchott, en Mauritanie, est exposée à de graves risques d’élévation du niveau de la mer et d’érosion côtière, qui nécessitent des approches paysagères. La partie urbaine de la ville, qui connait une croissance rapide, s’étend sur les bas-fonds, mettant ainsi en danger un plus 14 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest grand nombre d’habitants de la capitale. Au nord-est du Sénégal (zone sahélienne), les ménages dépendant de l’agriculture et de l’élevage sont sensibles à la dégradation des sols et à la désertification. À Saint-Louis du Sénégal, l’érosion côtière est devenue une menace existentielle et une relocalisation planifiée a eu lieu, ce qui a nécessité des aménagements au-delà des sites d’évacuation. Des pratiques locales de gestion des forêts et de l’eau, des programmes communautaires intégrés et des plans d’utilisation des sols, y compris pour les zones côtières, peuvent faire partie des approches paysagères pour les foyers émergents, y compris dans des régions très pauvres. Exploiter la migration induite par le climat pour l’emploi et les transitions économiques afin de tirer parti des opportunités de croissance et de développement basées sur l’explosion de la jeunesse des pays d’Afrique de l’Ouest, les transformations structurelles dans les secteurs sensibles au climat (par exemple, l’agriculture, les cultures pluviales), et l’investissement dans le capital humain pour la croissance verte, notamment par le développement des compétences et l’éducation. À titre d’exemple, Abidjan, en Côte d’Ivoire, présente une grande vulnérabilité sociale et un faible niveau d’éducation maternelle, une situation qui pourrait être exacerbée par l’immigration en l’absence d’un tel soutien. Pour la Mauritanie, le niveau de migration climatique hors de la zone côtière pourrait être relativement élevé, pouvant aller jusqu’à 300 000 personnes dans le scénario pessimiste. La zone la plus touchée pourrait être la plaine inondable située autour et au nord de Nouakchott, la capitale. Pour faire des migrations une force de transformation positive, il faut soutenir les transitions urbaines intelligentes sous l’angle du climat dans ces zones, en mettant en place des infrastructures et des services urbains économes en énergie, écologiques et résilients, et en faisant des villes secondaires ou des zones périurbaines de nouveaux pôles de croissance. Renforcer les partenariats pour le développement, l’humanitaire et la paix afin de tirer parti des avantages comparatifs pour répondre aux besoins des migrants et des communautés d’accueil. Des actions renforcées de la part des communautés du développement, de l’humanitaire, de la sécurité et de la gestion des risques de catastrophe dans tout le continuum de la mobilité aideront à surmonter les obstacles liés aux sources de financement, aux mécanismes de coordination et aux calendriers des projets. À terme, un tel engagement aiderait les pays à trouver des solutions durables et globales. Au Nigeria, par exemple, les conflits entre éleveurs et agriculteurs dans les États septentrionaux de Borno, Yobe et Adamawa, dans un contexte de terrorisme et d’insécurité lié à Boko Haram, appellent un nouveau regard sur les conflits entre agriculteurs et éleveurs et la prise en compte des efforts en faveur de l’humanitaire, du développement et de la paix. On ne saurait trop insister sur la valeur des cadres juridiques et politiques internationaux et régionaux pour informer les politiques nationales et créer un environnement favorable au cœur même des migrations liées au climat. La migration induite par le climat est au cœur des droits de l’homme, du changement climatique, du développement durable, de la réduction des risques et des catastrophes et des cadres sectoriels nationaux relatifs à l’environnement et à la gestion des ressources naturelles. Le protocole de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement (1979) ainsi que le protocole et le règlement de la CEDEAO sur la transhumance, adoptés respectivement en 1998 et en 2003, sont des avancées majeures pour les pays d’Afrique de l’Ouest visant à faciliter la mobilité des personnes et du bétail. La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (encore appelée Convention de Kampala), juridiquement contraignante, est un cadre régional essentiel pour la protection des personnes déplacées. Cette convention, qui a été signée ou ratifiée par les pays d’Afrique de l’Ouest, traite des déplacements internes causés non seulement par des conflits armés, mais aussi par des catastrophes naturelles ou d’origine humaine, et met l’accent sur les causes profondes des déplacements internes afin de fournir des solutions durables. Il convient de saluer ces efforts de collaboration et ces avancées au plan du droit, qui restent toutefois insuffisants face aux multiples raisons justifiant le déplacement des personnes à l’intérieur de leur propre pays et au-delà des frontières. La transposition dans le droit national de cadres et accords régionaux (comme la Convention de Kampala) et mondiaux (comme le Pacte mondial pour les migrations), et l’application de protocoles régionaux (CEDEAO) dans les procédures nationales, notamment pour protéger les communautés affectées, peuvent favoriser une concertation constructive sur les migrations temporaires et les réinstallations, tout en garantissant le maintien des personnes dans leur nouveau site de recasement où elles pourraient se voir offrir la possibilité de se déplacer dans la dignité. Des instruments de financement, de soutien au changement climatique et à la mobilité mis en place par la Banque mondiale, ainsi que d’autres appuis pourraient se concentrer sur les opportunités et les politiques de développement visant un déplacement sécurisé des personnes et sur les perspectives d’adaptation dans des conditions réelles. Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest 15 Les migrations induites par le climat sont une réalité en Afrique de l’Ouest, et l’urgence d’agir se fait ressentir, les enjeux étant chaque jour plus grands. Les pays de la région peuvent s’engager sur la voie d’un développement écologique, résilient et inclusif, en tirant pleinement parti des nouvelles opportunités économiques et en reconnaissant que les transformations structurelles doivent tenir compte du changement climatique et pouvoir y répondre. La prise en compte des migrations et des déplacements induits par le climat doit faire partie des plans et des actions climatiques des pays. La dimension spatiale et la prise en compte des foyers de migration climatique sont essentielles pour renforcer la résilience. Des mesures anticipatrices et transformatrices prises tout au long du cycle de migration contribueront à réduire la vulnérabilité. Il est urgent pour la communauté mondiale de contribuer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre, une condition essentielle à la réduction des migrations induites par le climat. Les migrations climatiques sont une réalité et agir maintenant permettra d’obtenir des résultats durables pour toutes les parties concernées. Ce nouveau rapport de la Banque mondiale sur les migrations climatiques en Afrique de l’Ouest est également un appel à l’action collective visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à la collaboration entre les communautés professionnels du développement, de l’humanitaire, de la gestion des catastrophes et de la sécurité. En répondant cet appel aujourd’hui, nous contribuerons à jeter les bases d’une région pacifique, stable et sûre pour les populations d’Afrique de l’Ouest, le continent africain et la communauté mondiale. 16 Groundswell Afrique: Les migrations climatiques internes dans les pays d’Afrique de l’Ouest RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES CIESIN (Center for International Earth Science Information Network) and CIDR (CUNY Institute for Demographic Research). 2021. “Low Elevation Coastal Zone (LECZ) Urban-Rural Population and Land Area Estimates, Version 3.” NASA Socioeconomic Data and Applications Center (SEDAC). Palisades, NY. 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