49046 LE DÉ VELOPPEMENT EN MARCHE Agriculture et développement rural Le réveil du géant assoupi Perspectives de l’agriculture commerciale dans les savanes africaines Le réveil du géant assoupi Le réveil du géant assoupi Perspectives de l’agriculture commerciale dans les savanes africaines BANQUE MONDIALE Washington Rome, Italie © 2011 FAO et Banque mondiale Tous droits réservés. 1 2 3 4 14 13 12 11 Publication de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement / Banque mondiale. Les appellations employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement / Banque mondiale aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites. La mention de sociétés déterminées ou de produits de fabricants, qu’ils soient ou non brevetés, n’entraîne, de la part de la FAO ou de la Banque mondiale, aucune approbation ou recommandation desdits produits de préférence à d’autres de nature analogue qui ne sont pas cités. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de la FAO ou du Conseil des administrateurs de la Banque mondiale. Droits et licences Le contenu de cette publication fait l’objet d’un dépôt légal. 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Table des matières Remerciements ix Sigles et abréviations xi Résumé analytique 1 Le bilan des expériences du Cerrado au Brésil et du Nord-Est de la Thaïlande 3 Analyse prospective des facteurs agissant sur la compétitivité de l’agriculture dans la zone de savane guinéenne en Afrique 5 Impacts sociaux possibles de l’agriculture commerciale 7 Impacts environnementaux possibles de la commercialisation de l’agriculture 11 Des perspectives encourageantes pour l’agriculture commerciale dans la zone de savane guinéenne en Afrique 12 Obstacles à surmonter 14 Interventions nécessaires : Politiques publiques, investissements et développement des institutions 16 Perspectives 21 v vi Table des matières Chapitre 1 Introduction et objectifs 23 Objectifs de l’étude 24 Contexte de l’étude : le retour de l’agriculture dans les questions de développement 29 Le concept de l’étude : une approche par études de cas et comparaisons 32 Définition des concepts de base : avantage comparatif et compétitivité 34 Notes 39 Chapitre 2 Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 41 Le Brésil et la Thaïlande 41 L’Afrique subsaharienne 50 Notes 54 Chapitre 3 Perspectives de l’agriculture commerciale en Afrique subsaharienne 57 Perspectives mondiales des produits agricoles considérés 57 Politiques commerciales internationales 62 Marchés nationaux et régionaux 64 Note 70 Chapitre 4 Analyse de compétitivité pour six produits de base 71 Manioc 80 Coton 81 Maïs 82 Riz 84 Soja 84 Sucre 85 Synthèse de l’analyse de filière 85 Notes 88 Chapitre 5 Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 89 Politiques publiques 89 Technologies 98 Infrastructures 112 Irrigation 117 Table des matières vii Institutions 120 Capital humain 131 Notes 135 Chapitre 6 Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 137 Conséquences sociales 137 Impacts sur l’environnement 163 Notes 173 Chapitre 7 Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 175 Des perspectives encourageantes pour l’agriculture commerciale dans la zone de savane guinéenne 175 Obstacles à surmonter 178 Interventions nécessaires : Politiques publiques, investissements et développement des institutions 181 Observations finales 192 Note 194 Annexe A Liste des documents de référence de l’étude sur la CCAA 195 Bibliographie 199 Encadrés 1.1 Caractéristiques de la zone de savane guinéenne en Afrique 25 1.2 Avantage comparatif, efficacité et compétitivité 35 5.1 La révolution du soja dans le Cerrado, résultat de multiples progrès techniques 102 5.2 Les coûts du transport de marchandises par la route sont plus élevés en Afrique qu’en Asie 117 5.3 Réduire les risques pour les petits producteurs de coton 126 Figures 1.1 Étendue de la zone de savane guinéenne, pays couverts par les études de cas et ensemble de l’Afrique 27 2.1 La région du Cerrado (Brésil) 43 2.2 Étendue de la zone équivalant à la savane guinéenne en Thaïlande 47 viii Table des matières 3.1 Cours mondiaux des produits agricoles, projections 2005–2018 61 4.1 Décomposition des valeurs de la production à la sortie de l’exploitation 73 5.1 Taxation nette de l’agriculture dans les pays couverts par l’étude sur la CCAA 90 5.2 Scores macroéconomiques des pays couverts par l’étude sur la CCAA, 1985–2007 92 5.3 Taux d’aide nominal, pays considérés dans l’étude sur la CCAA 99 5.4 Décomposition de la croissance de la production pour plusieurs produits de base considérés dans l’étude sur la CCAA 100 5.5 Indices des rendements des produits de base considérés 101 5.6 Dépenses de R-D agricole au Brésil et au Nigéria 108 5.7 Prix de gros du maïs en Afrique australe, 1994–2003 122 Tableaux 3.1 Perspectives commerciales pour les produits couverts par l’étude sur la CCAA 65 4.1 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse de filière : Manioc (2007) 74 4.2 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Coton (2007) 75 4.3 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse de filière : Maïs (2007) 76 4.4 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Riz (2007) 77 4.5 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Soja (2007) 78 4.6 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Sucre (2007) 79 5.1 Temps de trajet vers la ville d’au moins 5 000 habitants la plus proche dans les pays couverts par l’étude sur la CCAA 113 5.2 Superficies irriguées et irrigables au Mozambique, au Nigéria et en Zambie 119 Remerciements Cet ouvrage est l’un des rapports établis sur la base de l’étude sur la compé- titivité de l’agriculture commerciale en Afrique (CCAA). Cette dernière est le fruit de la collaboration de chercheurs de nombreuses organisations qui ont poursuivi leur travaux sous la direction d’une équipe composée de membres de services du Réseau pour le développement social (SDN) de la Banque mondiale et du Centre d’investissement (Département de la Coopération technique) de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimen- tation et l’agriculture (FAO). L’étude a bénéficié de financements de l’Italie, par l’intermédiaire de la Direction générale de la Coopération pour le déve- loppement du ministère des affaires étrangères (sous la forme de la contri- bution de l’Italie au Fonds spécial de la FAO pour la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire des aliments) ; de la Banque mondiale ; de la FAO ; du Royaume-Uni, par l’intermédiaire du Ministère du développement inter- national (DFID) ; et de l’Agence canadienne de développement interna- tional (ACDI). La traduction française a été permise grâce à l’appui du Ministère français de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la rura- lité, et de l’aménagement du territoire. Les membres des services de la Banque mondiale qui ont participé à l’étude générale sur la CCAA sont Michael Morris (Chef de l’équipe du projet), Hans Binswanger, Sergio Margulis, Loraine Ronchi, Chris Jackson, Derek Byerlee, Paula Savanti, Rob Townsend, Malick Antoine, Paavo Eliste, Eduardo da Souza, Pedro Arlindo, Lucas Akapa, Azra Lodi, Hawanty Page, et Patrice Sade. Les membres des services de la FAO sont Turi Fileccia, Claudio ix x Remerciements Gregorio, Guy Evers, Merritt Cluff, Holger Matthey, Jennifer Nyberg, Adam Prakash, Nancy Morgan, Gregoire Tallard, Abdolreza Abbassian, Conception Calpe, Peter Thoenes, et Marianne El Metni. Cette synthèse s’inspire dans une large mesure de la trentaine de notes et de documents de référence préparés par les auteurs suivants : John Keyser (Consultant, Lusaka, Zambie) ; Rudy van Gent (Agridev, Lusaka, Zambie) ; Colin Poulton, Geoff Tyler, Andrew Dorward, Peter Hazell, Jonathan Kydd, et Mike Stockbridge (Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London) ; Pasquale De Muro, Elisabetta Martone, Lucia Lombardo, Lucia Russo, Sara Gorgoni, et Laura Silici Riccardo Bocci (Université de RomaTre, Rome) ; Benchaphun Ekasingh, Chapika Sangkapitux, Jirawan Kitchaicharoen, et Pornsiri Suebpongsang (Université de Chiang Mai, Chiang Mai, Thaïlande) ; Geraldo Sant’Ana de Camargo Barros, Lucilio Rogerio Aparecido Alves, Humberto Francisco Spolador, Mauro Osaki, Daniela Bacchi Bartholomeu, Andreia Cristina De Oliveira Adami, Simone Fioritti Silva, Guilherme Bellotti de Melo, et Matheus Henrique Scaglica P. de Almeida (Université de Sao Paulo, Brésil) ; Aderibigbe Olomola (Nigeria Institute of Social and Economic Research, Ibadan) ; et Peter Coughlin (AgriConsultants, Maputo, Mozambique). Jeff Lecksell, qui est membre de l’Unité de cartographie de la Banque mondiale, a préparé les cartes à partir des informations communiquées par Zhe Guo et Stanley Wood, de L’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). La préparation de ce rapport de synthèse de l’étude sur la CCAA a été coordonnée par une équipe composée de Michael Morris, Hans Binswanger, Derek Byerlee et Paula Savanti (Banque mondiale) et de John Staatz (Michigan State University). Sigles et abréviations ADRAO Association pour le développement de l’agriculture en Afrique de l’Ouest BAAC Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives (Banque agricole et de coopératives agricoles — Thaïlande) CCAA Compétitivité de l’agriculture commerciale en Afrique CDC Agence de développement du Commonwealth CIAT Centre international d’agriculture tropicale CIMMYT Centre international d’amélioration du maïs et du blé DFID Department for International Development (ministère du développement international — Royaume-Uni) ECE Exploitations commerciales émergentes EMBRAPA Empresa Brasileira de Pesquisa Agropequaria (entreprise brésilienne de recherche agricole) FAM Exploitations familiales FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture FAOSTAT Base de données statistiques de la FAO FCRC Field Crops Research Center (Rayong, Centre de recherche sur les cultures — Thaïlande) GEC Grandes exploitations commerciales IFPRI Institut international de recherche sur les politiques alimentaires IITA Institut international d’agriculture tropicale xi xii Sigles et abréviations LUA Land Use Act (Loi sur l’utilisation des terres — Nigéria] NEPAD Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique NERICA Nouveau riz pour l’Afrique OCDE Organisation de coopération et de développement économiques ONG Organisation non gouvernementale PDDAA Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine PIB Produit intérieur brut R-D Recherche et développement RID Royal Irrigation Department (Département royal de l’irriga- tion — Thaïlande) SDN Réseau du développement durable (Banque mondiale) UE Union européenne USAID United States Agency for International Development (Agence des États-Unis pour le développement international) VIH/SIDA Virus de l’immunodéficience humaine / syndrome de l’immunodéficience acquise VP Valeur de la production à la sortie de l’exploitation Résumé analytique Pour aussi loin qu’on puisse prévoir, la réduction de la pauvreté en Afrique sera largement tributaire des possibilités de stimuler la croissance agricole. L’expansion de l’agriculture commerciale peut emprunter diverses voies, et pourtant de nombreuses régions en développement n’ont guère progressé dans ces directions. L’agriculture africaine reste à la traîne, comme en témoigne l’érosion progressive, au cours des 30 dernières années, de la compétitivité internationale de cultures d’exportation traditionnelles africaines et de la compétitivité de certaines denrées alimentaires pour lesquelles la région dépend de plus en plus des importations. En revanche, au cours de la même période, deux régions agricoles enclavées et quelque peu retardataires du monde en développement — la région du Cerrado au Brésil et la région du Nord-Est de la Thaïlande — ont connu un développement rapide et ont conquis d’importants marchés mondiaux. Leurs résultats ont infirmé les prédictions de nombreux sceptiques qui avaient fait valoir que les caractéristiques agroécologiques difficiles de ces deux régions, leur isolement et leur pauvreté profonde seraient impossibles à surmonter. Ce sont des perceptions similaires à celles qui ont motivé l’attitude pessi- miste rencontrée au Brésil et en Thaïlande il y a 30 ans qui sont à l’origine du pessimisme qui régnait encore récemment en Afrique. Toutefois, deux phénomènes récents ont amené à considérer le potentiel de l’agriculture africaine sous un nouveau jour. 1 2 Le réveil du géant assoupi Premièrement, de nombreux pays africains ont affiché une croissance agricole rapide au cours des 10 dernières années, ce qui permet de penser que le secteur peut effectivement être un moteur de la croissance lorsque les conditions s’y prêtent. Deuxièmement, la forte hausse des prix mondiaux des produits agricoles et des denrées alimentaires en 2008 a permis de comprendre que de nouvelles opportunités pouvaient se présenter pour les pays dotés de terres, de main-d’œuvre et d’autres ressources nécessaires pour répondre à une demande croissante de produits alimentaires et de plantes servant à produire des biocarburants. Ce rapport récapitule les conclusions de l’étude sur la compétitivité de l’agriculture commerciale en Afrique (CCAA). Cette dernière avait pour objectif d’examiner la possibilité de rétablir la compétitivité agricole et la croissance de l’agriculture africaine en identifiant des produits et des systèmes de production pouvant appuyer le développement rapide d’une agriculture commerciale compétitive. L’étude sur la CCAA examine le potentiel agricole de la zone de savane guinéenne située en Afrique. Celle-ci couvre environ 600 millions d’hectares, sur lesquels environ 400 millions d’hectares se prêtent à une exploitation agricole ; toutefois moins de 10 % de ces terres sont cultivées. La zone de savane guinéenne africaine est l’une des plus grandes réserves de terres agricoles sous-exploitées du monde. Sur un plan agroclimatique, elle présente les mêmes caractéristiques que la région du Cerrado au Brésil et la région du Nord-Est en Thaïlande : elle a un potentiel agricole moyen à élevé mais est aussi défavorisée par des sols peu fertiles et des pluies variables. En se fondant sur un examen approfondi des facteurs qui ont contribué aux résultats positifs obtenus au Brésil et en Thaïlande, ainsi que sur des analyses comparées des observations recueillies dans le cadre d’études de cas détaillées de trois pays africains — le Mozambique, le Nigéria et la Zambie — cet ouvrage fait valoir que les agriculteurs africains ont d’abon- dantes opportunités de rétablir la compétitivité de l’agriculture, en particulier si l’on considère les projections à long terme qui indiquent un accroissement de la demande en produits agricoles sur les marchés mondiaux. Un certain optimiste quant aux perspectives futures de l’agriculture africaine en tant que source majeure d’une croissance solidaire dans de nombreuses régions d’Afrique peut donc être de mise. L’ouvrage explique toutefois que la tâche ne sera pas aisée. Pour assurer la compétitivité de l’agriculture africaine, il faudra poursuivre des politiques performantes, renforcer les institutions, et aussi accroître et améliorer les investissements dans le secteur. Pour aussi encourageants qu’ils soient, les progrès récemment observés dans un certain nombre de pays africains restent fragiles et pourraient facilement être réduits à néant par des mesures mal venues. Les récentes crises alimentaires mondiales ont, certes, créé des opportunités pour les producteurs africains, mais elles ont aussi provoqué des appels à l’adoption de solutions d’urgence qui pourraient compromettre la compétitivité à long terme. Résumé analytique 3 L’étude sur la CCAA présente un bilan rétrospectif, visant à tirer les leçons de l’expérience, et une analyse prospective qui a pour objet d’exploiter ces enseignements dans le contexte de l’évolution du cadre économique. Le bilan rétrospectif comprend des analyses détaillées des « expériences concluantes » menées en Thaïlande et au Brésil ainsi qu’un examen général des succès et des échecs qui ont résulté des efforts antérieurement déployés pour mettre en place une agriculture commerciale dans différents régions d’Afrique. Les analyses prospectives examinent, notamment, les projections de l’évolution de l’offre et de la demande mondiales pour six produits agricoles faisant l’objet d’échanges internationaux revêtant de l’importance pour la savane guinéenne : le manioc, le coton, le maïs, le soja, le riz, et le sucre. Une analyse des filières a été effectuée pour les trois pays africains étudiés afin d’évaluer la compétitivité de la production d’au moins un des six produits agricoles considérés ; identifier les obstacles qui pouvaient réduire cette compétitivité ; et déterminer les domaines dans lesquels il serait possible d’améliorer la compétitivité par le biais de réformes de l’action publique, de transformations institutionnelles, et/ou d’investissements. L’étude évalue aussi, outre les questions de compétitivité, les impacts que pourrait avoir sur le plan social et environnemental l’agriculture commerciale dans les trois pays africains considérés. Les principales questions soulevées dans l’étude sur la CCAA sont indiquées ci-après : • Dans quelle mesure les pays africains présentant les mêmes caractéris- tiques agroécologiques que la région de Cerrado au Brésil et le Nord-Est de la Thaïlande peuvent-ils devenir plus compétitifs sur les marchés locaux, régionaux et mondiaux de certains produits agricoles ? • Quels sont les types d’investissements, de politiques et de transformations technologiques et institutionnelles nécessaires pour reproduire dans des régions d’Afrique ayant des dotations en ressources naturelles similaires, les résultats positifs donnés par l’agriculture commerciale dans les régions considérées du Brésil et de la Thaïlande ? • Sera-t-il possible d’améliorer la compétitivité agricole de la zone de savane guinéenne en Afrique, grâce à une expansion de l’agriculture commerciale, de manière à pouvoir considérablement réduire la pauvreté ? • Quels sont les impacts environnementaux et sociaux que pourrait avoir l’expansion de l’agriculture commerciale dans la zone de savane guinéenne en Afrique ? Le bilan des expériences du Cerrado au Brésil et du Nord-Est de la Thaïlande Les processus de commercialisation de l’agriculture dans la région du Cerrado au Brésil et dans la région du Nord-Est en Thaïlande présentent un 4 Le réveil du géant assoupi certain nombre de points communs frappants. Les deux régions avaient, au départ, un potentiel agricole limité et étaient considérées à la traîne sur le plan économique il y a encore relativement peu de temps. Elles ont toute- fois connu une croissance remarquable pendant 40 ans, qui leur a permis de devenir très compétitives sur les marchés mondiaux. Dans les deux régions, l’agriculture commerciale concernait, initialement, un petit nombre de produits de base échangés sur les marchés internationaux en grande quantité, pour lesquels les normes de qualité étaient relativement peu importantes. Au Brésil, le processus de transformation a été entraîné par le soja, dont la production est passée de 250 000 tonnes en 1961 à plus de 30 millions de tonnes en 2000. Dans le Nord-Est de la Thaïlande, l’essor des exportations a commencé avec le manioc, dont la production nationale (concentrée pour l’essentiel dans cette région) est passée de 1,7 million de tonnes en 1961 à 20,7 millions de tonnes en 1996. D’autres produits sont, par la suite, venu s’ajouter à la liste de ceux qui pouvaient être cultivés de manière profitable (comme le riz au Brésil, et le riz et le maïs en Thaïlande). Les deux régions sont devenues compétitives sur les marchés internatio- naux par étapes successives. Ce n’est que lorsque les produits à faible valeur économique sont devenus compétitifs sur le plan international que les produits à plus grande valeur ajoutée, notamment des produits transformés (comme le sucre, l’huile de soja, le coton égrené, la farine de manioc et les produits de l’élevage) ont pu le devenir. Les agriculteurs brésiliens et thaïlandais ont réussi, pour commencer, à développer leur production en ciblant des marchés particuliers sur lesquels ils jouissaient, de jure ou de facto, d’un accès préférentiel ; ce n’est que plus tard, lorsque les quantités produites exportées sont devenues suffisamment importantes pour permettre des économies d’échelle que les agriculteurs brésiliens et thaïlandais ont pu s’im- poser dans le monde entier en tant que producteurs à faibles coûts, et soutenir la concurrence sur pratiquement tous les marchés. Le Brésil a obtenu ces résultats en ayant recours à des technologies de production méca- nisées à grande échelle tandis que l’agriculture pratiquée dans la région du Nord-Est reste essentiellement le domaine des petits agriculteurs. Dans les deux cas, des facteurs agissant sur l’offre et sur la demande ont contribué aux résultats obtenus. Dans le Cerrado, les facteurs qui ont agi sur l’offre sont : a) les technologies agricoles améliorées mises au point par Empresa Brasileira de Pesquisa Agropequaria (c’est-à-dire l’organisation nationale de recherche agricole, EMBRAPA) ; b) les investissements publics consacrés à l’infrastructure, au crédit rural et aux services de développement des entreprises ; c) le savoir-faire d’entrepreneurs agricoles chevronnés venus du sud du pays, que la stratégie de colonisation de l’État a encouragé à s’installer dans le Cerrado ; et d) l’existence d’un cadre porteur dû aux réformes économiques et politiques adoptées vers le milieu des années 90, qui ont amélioré le climat de l’investissement et ont permis de transmettre directement les signaux des marchés internationaux aux agriculteurs du Cerrado. Ces différents facteurs, ainsi que la forte augmentation de la Résumé analytique 5 demande mondiale de soja et de ses produits dérivés à partir des années 70, ont contribué à la transformation spectaculaire du Cerrado en l’un des plus grands producteurs mondiaux de soja. La révolution des exportations de la région du Nord-Est de la Thaïlande a, elle aussi, été permise par un ensemble de facteurs agissant sur l’offre et sur la demande. Ceux qui ont agi sur l’offre sont : a) l’amélioration des technologies agricoles ; b) la disponibilité de terres non cultivées et la politique foncière laxiste de l’État qui a permis aux agriculteurs de mettre rapidement de nouvelles terres en culture pour profiter des opportunités offertes par le marché ; c) les investissements publics dans les infrastructures ferroviaires et routières qui ont réduit le coût de l’accès aux marchés ; et d) un secteur privé dynamique qui a été en mesure de réagir rapidement aux signaux du marché et de préparer le terrain à une rapide réaction au niveau de l’offre. Comme au Brésil, ces facteurs relatifs à l’offre ont été renforcés par une forte demande de produits d’exportation, qui, en Thaïlande a tenu à l’augmentation de la demande des pays de l’Union européenne (UE) désireux d’utiliser des granulés de manioc comme aliments de substitution bon marché pour leur bétail. L’expansion spectaculaire de la production de manioc qui en a résulté dans le Nord-Est de la Thaïlande a généré une croissance agricole et économique plus générale dans toute la région. Analyse prospective des facteurs agissant sur la compétitivité de l’agriculture dans la zone de savane guinéenne en Afrique L’analyse des filières a permis de déterminer les facteurs qui agissent sur la compétitivité actuelle des pays africains couverts pas l’étude sur la CCAA, et sur son évolution probable au cours des périodes à venir, pour six produits de base dont la culture est bien adaptée aux conditions de la zone de savane guinéenne — le manioc, le coton, le maïs, le riz, le soja et le sucre. Elle a permis de formuler six observations sur la compétitivité actuelle et future de ces pays : Les coûts de production au niveau des exploitations africaines sont compétitifs. Les coûts de production unitaires au niveau des exploitations dans les zones de savane guinéenne du Mozambique, du Nigéria et de la Zambie sont généralement comparables ou inférieurs à ceux enregistrés dans le Cerrado brésilien et dans la région du Nord-Est de la Thaïlande, même si les rendements à l’hectare sont nettement plus faibles dans les pays africains. La compétitivité des producteurs africains au niveau de l’exploitation tient essentiellement à l’existence d’une main-d’œuvre très bon marché (parce qu’il n’existe guère d’autres possibilités d’emploi dans les zones rurales) et à l’emploi limité d’intrants achetés (qui entraîne toutefois un appauvrissement notable des sols). Cette situation n’est toutefois pas tenable à long terme et ne permettra pas aux agriculteurs de sortir de la pauvreté parce que les niveaux de productivité actuels et la taille des exploitations ne pourront pas assurer la viabilité économique et technique de l’agriculture. Le défi que 6 Le réveil du géant assoupi doivent relever les pays africains consiste à investir dans un système plus durable et plus productif pouvant servir de base à l’établissement d’une agriculture commerciale compétitive à long terme. Les producteurs africains sont généralement compétitifs sur les marchés intérieurs. La compétitivité, au niveau des exploitations africaines, de la production des produits de base considérés signifie que les exploitants peuvent généralement soutenir la concurrence des importations sur les marchés intérieurs. Par exemple, les agriculteurs nigérians peuvent produire du soja et amener celui-ci à Ibadan pour un coût équivalant à 62 % de celui du soja importé, tandis que les producteurs zambiens peuvent amener leur production de sucre jusqu’au marché de Nakambala pour un coût égal à 55 % de celui du sucre importé. Le niveau élevé des coûts logistiques à l’intérieur et à l’extérieur des pays augmente le prix des denrées importées et assure un certain degré de protection naturelle que les producteurs locaux peuvent exploiter. Compte tenu de l’immensité des marchés intérieurs de nombreux produits considérés, de leur expansion et du volume déjà important des importations, il existe de vastes possibilités d’accroître la production locale afin de regagner ces marchés. Les produits offrant les meilleures perspectives à cet égard sont le riz, le soja, le sucre et le maïs. Les producteurs africains ne sont généralement pas compétitifs sur les marchés internationaux. Les producteurs des pays africains étudiés ne peuvent généralement pas exporter les produits considérés de manière compétitive. Le coton, le sucre et le maïs sont des exceptions notables, car ces produits peuvent être exportés de manière profitable, au moins certaines années, par certains des pays étudiés. Les mêmes coûts logistiques élevés, à l’intérieur comme à l’extérieur des pays, qui assurent une protection naturelle aux producteurs locaux, constituent un obstacle sérieux à l’exportation, car les producteurs africains doivent absorber ces coûts s’ils veulent être compétitifs à l’échelon international. Par exemple, les agriculteurs mozambicains, qui peuvent produire du manioc pour le marché intérieur de manière très compétitive, devraient réduire leurs coûts de production et de logistique de plus de 80 % pour pouvoir soutenir la concurrence sur les marchés d’exportation européens. Les marchés régionaux semblent offrir les meilleures perspectives de croissance à court et à moyen terme. L’analyse de filière de l’étude sur la CCAA n’a pas examiné de manière formelle la compétitivité sur les marchés régionaux, mais, compte tenu des coûts logistiques relativement élevés associés à la pénétration des marchés internationaux, il est clair que, en Afrique, les producteurs sont bien positionnés pour desservir les marchés régionaux par rapport aux pays qui dominent le commerce international des six produits de base. Il est probable que la demande des marchés régionaux augmentera rapidement du fait de la croissance démographique, de l’augmentation des revenus et de l’accélération du phénomène d’urbanisation. Les exportateurs pourront augmenter le volume de leurs échanges non seulement en exploitant la croissance de la demande globale, mais aussi en Résumé analytique 7 évinçant les importations, actuellement d’une ampleur considérable, en provenance des autres régions du monde. La compétitivité des pays africains étudiés est limitée par les problèmes de logistique à l’intérieur des pays. En règle générale, les coûts logistiques intérieurs sont plus élevés dans les pays africains étudiés qu’au Brésil et en Thaïlande. Cette situation traduit le manque patent d’infrastructures de transport, de transformation et de stockage ; l’absence de concurrence dans le secteur des importations de véhicules et dans celui du camionnage ; la lourdeur et le coût des réglementations régissant les transports ; et les fréquentes extorsions de fonds auxquelles sont exposés les camionneurs aux postes frontières et aux barrages de police. Les petits exploitants peuvent être un élément clé de la compétitivité des pays africains étudiés. Contre toute attente, l’analyse a révélé peu d’écono- mies d’échelle évidentes dans les systèmes de production des trois pays africains de l’étude sur la CCAA. Les exploitations familiales et les exploita- tions commerciales émergentes affichent généralement des valeurs de production moins élevées que les grandes exploitations commerciales à la sortie de l’exploitation et/ou au point de distribution final (ces valeurs incor- porent les coûts de production et d’expédition). Les grandes exploitations commerciales peuvent jouer un rôle stratégique important en permettant d’atteindre la masse critique de production nécessaire pour attirer des acheteurs locaux et internationaux, mais l’analyse de filière montre que les investissements dans la petite agriculture peuvent, eux-mêmes, être une source importante de compétitivité. Une croissance agricole tirée par les petits producteurs a un autre avantage : la hausse des revenus a des effets secondaires sur la demande qui sont bien plus importants lorsque ce sont les revenus des petits agriculteurs plutôt que ceux des exploitations commerciales qui augmentent. Impacts sociaux possibles de l’agriculture commerciale Les études de cas réalisées ont montré que les impacts sociaux associés à l’expansion de l’agriculture commerciale (notamment sur la condition des femmes) dépendent fondamentalement des facteurs suivants : • Les conditions macroéconomiques, en particulier les taux d’intérêt et les taux de change (qui influent sur les incitations à la mécanisation et donc sur l’emploi, non seulement dans l’agriculture mais aussi tout au long de la filière) • Le régime foncier et la répartition des terres (qui déterminent ceux à qui l’accroissement de la production primaire profite directement) • L’écart entre les prix paritaires à l’importation et à l’exportation (qui détermine dans quelle mesure l’augmentation de la production intérieure peut entraîner une baisse des prix alimentaires intérieurs — et ainsi augmenter les revenus réels des ménages pauvres) 8 Le réveil du géant assoupi • La flexibilité des systèmes de commercialisation (qui détermine la mesure dans laquelle les prix intérieurs ont baissé par suite de l’augmentation de la production) • L’accès des petits exploitants et des femmes agricultrices aux services agricoles proposés (vulgarisation, crédit, fourniture d’intrants, etc.) • La capacité et la volonté des autorités nationales et locales et des associations de producteurs d’utiliser une partie des ressources générées par la croissance due à l’agriculture commerciale pour financer des investissements collectifs dans la santé et l’éducation • L’impact de la croissance sur l’intégration politique et sociale de régions auparavant isolées du reste du pays. La situation étant différente à certains égards au Brésil et en Thaïlande, les conséquences sociales diffèrent également. Au Brésil, les politiques foncières qui ont permis à des propriétaires d’acquérir des propriétés de vastes superficies, les services de crédit et de commercialisation particulière- ment favorables aux entreprises et le subventionnement des machines agricoles par l’intermédiaire des programmes de crédit rural ont facilité l’émergence d’une grande agriculture mécanisée qui est devenue le principal mode de production. En Thaïlande, les politiques foncières qui ont facilité l’octroi de baux et la sécurité d’occupation des petits agriculteurs, dans un cadre en général plus favorable à ces derniers, a permis à la petite agriculture de devenir le mode de production prédominant. Dans les deux pays, l’aug- mentation des revenus a tenu à la baisse des prix des denrées alimentaires engendrée par les gains de productivité, mais son impact sur la réduction de la pauvreté globale a été nettement plus important en Thaïlande en raison de la prédominance des petits agriculteurs. Étant donné les différences qui caractérisent les sentiers de développe- ment brésilien et thaïlandais, il faut se demander quelle est, en fait, la taille optimale des exploitations permettant d’assurer une commercialisation rapide de l’agriculture. Il est impératif d’apporter une réponse à cette question face au nombre croissant d’investisseurs, pour la plupart étrangers, qui cherchent à entreprendre des projets agroindustriels de grande envergure en Afrique. Il ne ressort aucunement de l’examen détaillé des études consacrées à cette question et de l’analyse de filière présentée dans cet ouvrage que le modèle de la grande agriculture s’impose ou qu’il soit même particulièrement prometteur dans le cas de l’Afrique. Aux partisans de la grande agriculture, selon lesquels les exploitations des colons donnent de bons résultats en Afrique de l’Est et en Afrique australe, il est possible de répondre qu’une analyse plus poussée de la situation révèle que ces exploitations ont très souvent été créées sur des terres dont les populations autochtones ont été expropriées et qu’elles ont bénéficié de manière systématique de politiques préférentielles, de subventions et d’investissements. Les récents efforts déployés, notamment par la Commonwealth Development Corporation Résumé analytique 9 (CDC), pour promouvoir la grande agriculture en Afrique ne sont guère plus encourageants, sauf dans le cas de certaines cultures de plantation. Les documents de référence consacrés à l’agriculture commerciale en Afrique qui ont été préparés pour l’étude sur la CCAA ne font état d’aucun exemple de grande exploitation compétitive sur les marchés d’exportation de cultures alimentaires, en dehors de celles qui ont été établies par des colons. D’après l’analyse de filière de l’étude sur la CCAA, la grande agriculture semble avoir davantage de chances de réussir en Afrique lorsque trois séries de conditions particulières sont réunies : • Il existe des économies d’échelle : c’est le cas, par exemple, des cultures dites « de plantation » (par exemple la canne à sucre, le palmier à huile, le thé, la banane et beaucoup de plantes horticoles cultivées pour l’exportation). Ces plantes doivent être transformées très rapidement après la récolte et /ou être stockées dans des entrepôts réfrigérés car, sinon, leur qualité se dégrade très vite, et leur valeur chute. Sous réserve que les opérations d’ensemencement ou de plantation et de récolte puissent être coordonnées avec les opérations de transformation et d’expédition, les économies d’échelle réalisées au niveau de la transformation et/ou de l’expédition sont aussi enregistrées au niveau de l’exploitation. • Les producteurs africains doivent pouvoir soutenir la concurrence sur des marchés étrangers où les normes de qualité sont très rigoureuses, où il est nécessaire d’assurer la traçabilité des produits depuis l’exploitation d’origine et où le modèle de l’agriculture contractuelle n’est pas applicable (par exemple parce qu’il est difficile de faire respecter les clauses des contrats). • Des terres relativement fertiles doivent être mises en valeur dans des zones très peu peuplées (c’est le cas de vastes régions de la savane guinéenne). En l’absence d’une population agricole importante pouvant fournir de la main-d’œuvre, le développement de l’agriculture dans ces régions passe nécessairement par la mécanisation. Il est certes possible de mécaniser la petite agriculture au moyen d’animaux de trait ou en louant des machines, mais même dans ce cas, la mise en valeur de régions relativement peu peuplées peut nécessiter d’importants déplacements de populations en provenance de régions plus densément peuplées, qui pourraient se heurter à des obstacles politiques. Dans ces conditions, la grande agriculture mécanisée peut être le modèle le plus adapté, même pour la production de denrées alimentaires de base. Dans ces trois situations, dans lesquelles la grande agriculture peut être efficace par rapport à son coût, l’attribution de vastes superficies à des entreprises agricoles peut générer des problèmes liés aux droits d’occupation 10 Le réveil du géant assoupi des terres. En effet, il n’existe pratiquement pas de région qui ne soit utilisée ou revendiquée dans une certaine mesure. Les énormes enjeux fonciers que l’on peut anticiper soulèveront des questions qui seront aussi difficiles à résoudre que les problèmes politiques posés par l’immigration d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles originaires d’autres régions. Le fait que la grande agriculture ne soit probablement pas, dans la plupart des cas, le meilleur moyen de développer l’agriculture commerciale en Afrique ne veut pas dire que ce secteur n’offre pas de possibilités d’investis- sements importantes. Mais dans un avenir prévisible, les principales oppor- tunités qui se présenteront aux investisseurs privés, nationaux ou étrangers, continueront de concerner la mise au point de semences, la fourniture d’intrants, la commercialisation et la transformation. Il est toutefois possible que, à plus long terme, des possibilités intéressantes d’exploitation à grande échelle se présentent pour les cultures de plantation, notamment la canne à sucre et le palmier à huile, qui sont les sources les plus efficaces de matières premières pour la production de biocarburants. Si le modèle brésilien de la grande agriculture semble présenter de graves inconvénients en Afrique, qu’en est-il du modèle thaïlandais de la petite agriculture ? La stratégie de commercialisation entraînée par les petits agriculteurs lancée en Thaïlande est-elle adaptée à la situation des pays africains ? Il ne fait aucun doute que la petite agriculture peut générer une croissance agricole rapide et considérablement réduire la pauvreté ; on a pu le constater dans de nombreux pays d’Asie de même que dans plusieurs pays africains. Les études théoriques et empiriques montrent que la productivité plus élevée des petites exploitations s’explique principalement par le fait que la main-d’œuvre familiale a davantage intérêt à travailler de manière très intense et à gérer l’exploitation de manière efficace. La conclusion de l’analyse de filière de l’étude sur la CCAA, selon laquelle les exploitations familiales sont souvent celles qui produisent à moindre coût les six produits de base considérés, cadre avec les résultats d’études antérieures. Cela ne signifie pas, toutefois, que les petits producteurs sont plus efficaces pour tous les produits : comme on l’a vu précédemment, des économies d’échelle existent pour les cultures de plantation et certains produits extrêmement périssables qui doivent être transformés ou expédiés très rapidement après la récolte. Les stratégies de commercialisation entraînée par la petite agriculture peuvent toutefois avoir des conséquences négatives. Il arrive que la réparti- tion des revenus plus élevés résultant de la commercialisation défavorise les femmes au sein du ménage. Des études de cas ont montré que les condi- tions de vie des femmes et d’autres membres de la famille peuvent, dans certains ménages, se dégrader lorsque ceux-ci se lancent dans la production de cultures de rente pour l’exportation. La relation entre la commercialisa- tion de l’agriculture, la répartition des revenus au sein d’un ménage, et la nutrition des membres de la famille est complexe et dépend dans une très large mesure des facteurs sociaux-économiques. Il importe donc que les Résumé analytique 11 pouvoirs publics et les donateurs qui encouragent le développement d’une agriculture commerciale entraînée par la petite agriculture prêtent une attention particulière aux principaux déterminants des relations intrafamiliales dans différents contextes. Impacts environnementaux possibles de la commercialisation de l’agriculture Dans le monde entier, l’environnement a subi les conséquences de l’intensification de l’agriculture — notamment l’intensification associée au développement de l’agriculture commerciale. Ces conséquences sont souvent dépeintes par les médias en termes négatifs : on entend beaucoup parler de la déforestation et de l’appauvrissement de la biodiversité qui en découlent, de la dégradation des ressources pédologiques et hydriques, et des effets néfastes sur la santé liés à l’utilisation des produits chimiques agricoles. Cette perception ne correspond pas toujours à la réalité, du moins dans les pays analysés dans le cadre de l’étude sur la CCAA. Il est donc nécessaire de mieux comprendre l’impact environnemental potentiel de la commercialisa- tion de l’agriculture, ainsi que les enseignements du passé susceptibles d’aider à atténuer à l’avenir ses effets négatifs sur l’environnement grâce à des mesures mieux fondées et des interventions techniques mieux adaptées. Lorsque l’on évalue l’impact probable de l’agriculture commerciale sur l’environnement en Afrique, il est important de ne pas oublier les effets qu’aurait l’agriculture si elle demeurait uniquement une activité de subsistance. L’agriculture commerciale peut être une option valable lorsque celle-ci permet d’éviter l’expansion de cultures peu productives dans des zones très vulnérables, qui aurait des effets encore plus préjudiciables sur l’environnement. Il faut donc déterminer ses conséquences probables compte tenu des problèmes environnementaux plus généraux liés à l’agriculture, en particulier l’agriculture de subsistance peu productive et non viable pratiquée par les petits paysans contraints par les pressions démographiques de défricher les forêts, de raccourcir les jachères ou de s’installer dans des zones plus fragiles. Le cas du Brésil et de la Thaïlande (parmi bien d’autres) montre clairement que le développement de l’agriculture commerciale donne lieu à la conversion de vastes étendues de forêts et de savane arbustive à des usages agricoles, ce qui créée certains risques environnementaux. Ceux-ci résultent, par exemple, de l’emploi non optimal des engrais, de l’irrigation (parce que les barrages de retenue et de stockage de l’eau peuvent détruire des habitats naturels et appauvrir la diversité biologique en empêchant l’écoulement des nutriments en aval, et parce que les installations d’irrigation peuvent provoquer la salinisation des terres cultivées), de la libération de carbone dans l’atmosphère et de la pollution par des pesticides qui peuvent aussi être préjudiciables à la santé des populations. Même si ces problèmes ne se posent pas encore vraiment dans la plus grande partie de l’Afrique, où les 12 Le réveil du géant assoupi effets environnementaux négatifs de l’agriculture tiennent essentiellement à des niveaux d’intensification inappropriés et à un recours insuffisant à des intrants modernes, l’expérience du Brésil, de la Thaïlande et de nombreux autres pays peut néanmoins être riche d’enseignements et fournir des indications sur la manière d’éviter ou de réduire certains des écueils de l’intensification de l’agriculture. Le développement agricole a certainement eu un coût environnemental mais ce dernier aurait sans doute été plus élevé si l’agriculture avait été pratiquée de manière encore plus extensive. Des perspectives encourageantes pour l’agriculture commerciale dans la zone de savane guinéenne en Afrique L’examen approfondi des cas du Mozambique, du Nigéria et de la Zambie mené dans le cadre de l’étude sur la CCAA montre que les perspectives de l’agriculture commerciale dans ces pays sont aujourd’hui aussi bonnes, sinon meilleures, qu’elles ne l’étaient au Brésil et en Thaïlande à l’époque de leur révolution agricole. Les possibilités d’un développement dynamique de l’agriculture commerciale dépendent de cinq grands facteurs : • Une croissance économique rapide et une demande soutenue. L’accélération de la hausse des revenus en Afrique (où la plupart des pays affichent un taux de croissance par habitant supérieur à 3 % en moyenne), conjuguée au maintien d’un fort taux d’accroissement de la population et à une urbanisation rapide, crée des débouchés nombreux et divers sur les marchés intérieurs et régionaux. La dépendance toujours plus grande de nombreux pays africains à l’égard des importations de produits agricoles crée d’importants débouchés pour les produits de substitution aux importations, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle régionale ; or, il est moins difficile de vendre sur les marchés de la région que sur les marchés internationaux pour des raisons logistiques mais aussi parce que les normes de qualité y sont moins rigoureuses. Les débouchés mondiaux semblent également s’être élargis grâce à l’augmen- tation de la demande émanant des pays d’Asie et au développement de la production de biocarburants. • Des politiques nationales favorables. Dans beaucoup de pays africains, la situation macroéconomique est aujourd’hui, pour l’essentiel, favorable à l’agriculture ; elle est de surcroît, plus favorable qu’elle ne l’était au Brésil dans les années 60, lorsque la révolution agricole a été lancée dans le Cerrado. La croissance économique s’est accélérée grâce au renforce- ment de la stabilité économique, à l’adoption de régimes de taux de change déterminés par les forces du marché et à la libéralisation des régimes commerciaux. La charge fiscale pesant sur le secteur agricole a diminué dans toute l’Afrique, et la baisse des taux d’inflation et des Résumé analytique 13 taux d’intérêt réels est favorable à un accroissement des investissements dans l’agriculture. • Un meilleur climat des affaires. Le climat des affaires s’est nettement amélioré au cours des dernières années dans de nombreux pays africains — notamment (à des degrés divers) au Mozambique, au Nigéria et en Zambie. Ces pays donnent la priorité à l’investissement dans les infrastructures essentielles telles que les routes, les systèmes d’approvi- sionnement en eau et en électricité, et les réseaux de communications, et ils procèdent à des réformes institutionnelles pour alléger la charge admi- nistrative imposée aux entreprises et pour lutter contre la corruption. Grâce aux initiatives de décentralisation et au développement de la société civile, les populations rurales ont une plus grande voix au chapitre et peuvent mieux défendre leurs intérêts, ce qui leur a permis de former différents types d’organisation de producteurs et d’entrepreneurs indépendants. Un certain nombre de pays africains ont déjà entrepris, voire même mené à terme, une réforme de leur droit foncier pour protéger les droits coutumiers tout en améliorant la sécurité des droits d’occupation des investisseurs. • De plus fortes incitations à investir dans l’agriculture. Une demande soutenue, des politiques macroéconomiques et sectorielles plus rationnelles et un climat des affaires porteur contribueront à accroître les rendements agricoles en Afrique et, par conséquent, les investissements financés par des intérêts intérieurs et extérieurs. Les capitaux étrangers (y compris des fonds qui ont autrefois fui vers des refuges plus sûrs) commencent à entrer en Afrique et à s’orienter vers l’agriculture et ses filières, comme en témoignent la signature récente par la Chine de contrats de location de terres en Tanzanie et en République démocratique du Congo, la recherche par des entreprises européennes de production d’énergie de concessions foncières pour la culture des matières premières rentrant dans la fabrication des biocarburants et l’augmentation rapide des investissements étrangers dans les entreprises africaines qui exportent des produits agricoles à forte valeur économique. • Nouvelles technologies. Les nouvelles technologies offrent aux entrepre- neurs agricoles africains des avantages qui se sont matérialisés pour leurs homologues brésiliens et thaïlandais sur une période de 40 ans. Les méthodes aujourd’hui utilisées dans les zones de savane guinéenne pour exploiter les sols de manière plus productive et durable sont beaucoup plus perfectionnées qu’il y a trente ans, bien qu’il reste beaucoup à faire dans le domaine de la recherche pour adapter aux conditions locales les technologies mises au point dans d’autres régions. La révolution biotechnologique permettra d’adapter plus rapidement les pratiques aux contraintes qui freinent le développement des cultures commerciales en 14 Le réveil du géant assoupi Afrique, à condition toutefois que les pays du continent se dotent des capacités de réglementation et de recherche nécessaires pour exploiter ce potentiel. Grâce à la révolution de la téléphonie mobile, les agriculteurs et les négociants africains ont plus rapidement accès, et à moindre coût, à des informations sur des sources éventuelles d’offre et de demande. Obstacles à surmonter Bien qu’il existe manifestement des possibilités de développer l’agriculture commerciale en Afrique, cinq grands facteurs compromettent les chances qu’ont les entrepreneurs africains de connaître le même succès que leurs homologues de la région du Cerrado au Brésil et du Nord-Est de la Thaïlande : • Une concurrence internationale plus intense. En Afrique, les producteurs africains sont confrontés aujourd’hui à une concurrence internationale plus intense que ne l’étaient autrefois les producteurs brésiliens et thaïlandais. Les spécifications auxquelles doivent répondre les produits sont plus rigoureuses que dans le passé, même pour les produits non transformés, comme en témoigne le récent durcissement, pour certains importateurs, de la réglementation concernant la présence d’aflatoxines dans les céréales et les réglementations concernant le pourcentage d’organismes génétiquement modifiés acceptable dans les produits importés par certains pays. Les subventions agricoles et les mesures de protection des pays de l’Organisation de Coopération et de développement économiques (OCDE) continuent aussi de limiter les possibilités d’exporter vers ces pays et de produire des denrées pouvant remplacer les importations qui en proviennent. • Chocs exogènes : le VIH/SIDA, le changement climatique mondial et les marchés mondiaux. Malgré la généralisation des traitements antirétroviraux, l’épidémie de VIH/SIDA (virus de l’immunodéficience humaine/syndrome d’immunodéficience acquise) continue de faire des ravages en Afrique, et érode les capacités de la région dans de nombreux secteurs, notamment celui de la recherche et de la vulgarisation agricoles. La modification du climat de la planète, qui réduira probablement le niveau des précipitations dans les zones de savane guinéenne situées en Afrique de l’Ouest, tout en accroissant sensiblement la variabilité du régime pluviométrique sur l’ensemble du continent, créera de nouveaux problèmes dans bien des domaines, notamment la recherche, la gestion des cultures et des terres, et l’intermédiation financière. Enfin, les marchés agricoles mondiaux resteront probablement très volatils en raison, notamment, du changement climatique et de l’impact croissant de la production de biocarburants sur les marchés agricoles, qui a renforcé la relation entre les prix des produits agricoles et les cours du pétrole. Résumé analytique 15 • Manque de détermination des autorités nationales. Les responsables politiques mozambicains, nigérians et zambiens, comme ceux d’autres pays africains, prononcent des discours encourageants sur l’importance du développement agricole, ne serait-ce que parce qu’ils ont adopté le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Ces déclarations, toutefois, n’ont pas encore débouché sur des réformes et des investissements comparables aux efforts déployés au Brésil et en Thaïlande au cours des dernières décennies. Les États africains n’investissent actuellement que 4 % de la valeur de leur produit intérieur brut (PIB) agricole dans ce secteur, contre 10 % dans d’autres régions où l’agriculture a pourtant un poids économique beaucoup plus faible (Banque mondiale 2007c). • Manque de détermination des donateurs. Le manque d’intérêt porté à l’agriculture par les autorités nationales est tout aussi évident au niveau des donateurs. La plupart des principaux bailleurs de fonds ont, à l’instar de nombreux dirigeants africains, exprimé leur ferme appui au développement agricole (et notamment au programme du PDDAA du NEPAD), et leur aide à ce secteur, auparavant très faible, a légèrement augmenté au cours des dernières années. Mais, les montants engagés à cette fin par les donateurs sont, comme ceux des gouvernements africains, sans commune mesure avec les discours tenus. En particulier, contrairement à ce qui s’est passé au Brésil et en Thaïlande, les donateurs n’ont fourni aucun appui systématique aux principaux moteurs du développement agricole en Afrique (comme la recherche, l’infrastructure, et la valorisation du capital humain et institutionnel) au cours des vingt dernières années. • Absence de cohésion sociale, de stabilité politique, et de capacités administratives. Dans de nombreuses régions d’Afrique, le développement d’une agriculture commerciale prospère est entravé par l’absence de cohésion sociale qui crée un climat de méfiance sur le marché et alourdit les coûts de transaction. Il est donc plus coûteux de négocier un contrat entre agents du secteur privé et d’assurer un règlement équitable en cas de litige et il est plus difficile de mobiliser des investissements dans des biens publics essentiels à la croissance de l’agriculture. Contrairement aux fonctions publiques brésiliennes et thaïlandaises, qui ont toujours fonctionné de manière satisfaisante, les administrations africaines ne possèdent encore que des capacités insuffisantes pour gérer et faciliter la coordination des actions de différents acteurs d’une filière tout en main- tenant des conditions concurrentielles, de sorte que les partenariats public-privé, qui sont associés à la croissance de l’agriculture commerciale au Brésil et en Thaïlande, y sont moins nombreux. 16 Le réveil du géant assoupi Interventions nécessaires : Politiques publiques, investissements et développement des institutions Un certain nombre de mesures doivent être prises pour que les zones de savane guinéenne en Afrique puissent réaliser leur potentiel agricole : Poursuite des réformes macroéconomiques. Au cours des dernières années, de nombreux pays africains, parmi lesquels le Mozambique, le Nigéria et la Zambie, ont sensiblement amélioré leur cadre macroécono- mique, ce qui a favorisé le développement agricole. Toutefois, les taxes à l’exportation des produits agricoles restent plus élevées en Afrique que dans d’autres régions et les pays africains doivent poursuivre leurs efforts pour aligner les prix intérieurs sur les prix paritaires à l’exportation en remplaçant les taxes à l’exportation par d’autres instruments fiscaux créant moins de distorsions. Les pays doivent aussi chercher au plus tôt à mettre en œuvre les accords d’intégration régionale, notamment en interdisant l’imposition de restrictions arbitraires à l’exportation, en simplifiant la logistique aux fron- tières et en harmonisant les normes et les règlements, pour éliminer ces obstacles majeurs au commerce régional. Réformes de la politique foncière. La comparaison entre l’expérience du Brésil et celle de la Thaïlande montre que ce sont la politique agraire, la législation et les modalités d’application, plus que tout autre facteur, qui influencent le profil de la croissance agricole et son effet sur la répartition des revenus. Il est essentiel de garantir des droits fonciers transférables pour protéger les intérêts des populations locales tout en permettant aux entrepreneurs agricoles d’acquérir des terres inexploitées dans les régions à faible densité de population. Les terres peuvent ainsi changer de mains et revenir à ceux qui peuvent les exploiter de la manière la plus productive, ce qui encourage à son tour la réalisation d’investissements permettant d’accroître la productivité des sols. Les conséquences du regroupement des terres qui a accompagné l’expan- sion de l’agriculture commerciale dans le Cerrado brésilien devraient inciter à la prudence les pays africains considérés ici. Au Brésil, la poursuite de politiques foncières et de programmes de colonisation rurale inefficaces, l’offre de crédits bonifiés et les interventions de l’État au niveau de la commercialisation qui ont perduré jusqu’au milieu des années 80, ont entraîné une distribution asymétrique des propriétés foncières et des revenus agricoles à laquelle n’a pas remédié la série de réformes foncières adoptées à partir des années 90. La situation a été tout autre en Thaïlande, où les réformes foncières et les mesures de distribution de titres de propriété poursuivies de façon systématique par les pouvoirs publics au cours des 30 dernières années ont maintenu, voire renforcé, un régime foncier équitable et ont contribué à la croissance rapide et solidaire des zones rurales. En ce qui concerne les pays africains étudiés, il importe de déterminer s’ils pourront bâtir des institutions et des mécanismes d’application équitables qui permettront aux petits exploitants d’avoir accès à des terres Résumé analytique 17 et de pratiquer une agriculture commerciale de manière profitable. S’ils n’y parviennent pas, ils pourraient se trouver confrontés à des problèmes considérables, comme l’ont montré récemment les crises liées aux problèmes d’occupation des terres, notamment en Côte d’Ivoire et au Zimbabwe. Ces difficultés iront probablement en s’accroissant dans les années à venir sous l’effet de l’augmentation de la demande de terres pour l’agriculture commerciale. Le Gouvernement mozambicain est déjà confronté à des demandes de concessions foncières pour la plantation de produits permettant de fabriquer des biocarburants, qui portent sur des superficies supérieures aux surfaces cultivées dans tout le pays (Boughton, communica- tion personnelle). Des progrès importants ont également été accomplis par plusieurs pays africains sur le plan de la conception de bonnes politiques et législations foncières, et de la mise en place de mécanismes relativement peu coûteux de certification des titres fonciers des communautés et des individus. Toutefois, pour que les dispositions juridiques aient un effet concret au niveau local, il importe que les pouvoirs publics soient déterminés à assurer la protection des droits coutumiers, et qu’ils aient les capacités requises à cette fin. Comme en témoignent les ruées sur les terres récemment survenues dans un certain nombre de pays dotés d’une bonne législation, il est impératif de renforcer les capacités d’exécution. Sinon, le risque que le développement rapide de l’agriculture commerciale ait un effet préjudiciable sur la réparti- tion des revenus restera élevé. Des investissements publics de plus grande envergure. Le développe- ment d’une agriculture commerciale compétitive en Afrique ne pourra se concrétiser que si l’ampleur des investissements publics augmente considérablement. Le développement agricole ne peut se faire à moindre frais, abstraction faite des facteurs indispensables à l’obtention de gains de productivité dans la filière agroalimentaire, comme les pays africains et les bailleurs de fonds cherchent à le faire depuis vingt ans. L’un des plus grands obstacles au développement de l’agriculture africaine est la faiblesse des investissements dans la recherche agricole et la dispersion des travaux entre diverses petites institutions qui ne bénéficient pas de financements suffisants. Les efforts déterminés déployés pendant de longues années par le Brésil pour appuyer l’EMBRAPA, et les résultats produits par cet investissement sont particulièrement frappants. En Afrique, l’insuffisance du financement de la recherche est un problème général : les investissements dans cette dernière ont diminué en valeur absolue au cours des dix dernières années dans près de la moitié des pays africains. Si l’on considère l’envergure limitée de la plupart des systèmes de recherche africains, la coopération régionale est bien plus importante pour l’Afrique qu’elle ne l’était pour le Brésil et pour la Thaïlande. Le système de recherche agricole internationale n’a pas non plus remédié à ces insuffisances, et a produit bien moins d’innovations décisives qu’il ne l’a fait durant les révolutions vertes en Asie et en Amérique latine. Les réformes du système 18 Le réveil du géant assoupi international convenues vers la fin de 2008 devraient — lorsqu’elles auront été mises en œuvre — contribuer à recadrer les efforts du système sur les problèmes hautement prioritaires de l’agriculture africaine et à assurer leur coordination. Il importe également d’investir davantage pour renforcer l’enseignement agricole en Afrique à tous les niveaux : dans l’enseignement supérieur (pour recruter des jeunes capables de remplacer le personnel vieillissant des établissements de recherche agricole), dans la formation technique (pour former les nombreux techniciens qualifiés dont ont besoin une agriculture et des filières modernes) et dans la formation professionnelle (pour fournir aux ménages ruraux les compétences de base indispensables pour adopter et maîtriser les nouvelles techniques de production). L’une des grandes difficultés, à ce jour non résolue, consiste à mettre au point des services de conseil efficaces par rapport à leur coût et répondant à la demande, dans le cadre de partenariats productifs forgés entre les agriculteurs, les organismes publics et la société civile. De nombreux pays africains devront investir massivement dans la reconstruction d’infrastructures de base vieillissantes pour créer et appuyer une agriculture commerciale capable de soutenir la concurrence internationale. Il leur faudra donner la priorité à l’irrigation, aux routes, à l’énergie, à la logistique en général et aux infrastructures portuaires, en particulier. L’expérience du Brésil et de la Thaïlande montre que, pour être compétitifs sur les marchés internationaux, les pays doivent absolument investir dans les infrastructures portuaires et routières et prendre des mesures pour accroître la concurrence dans le secteur des transports. En Afrique, des progrès considérables ont été réalisés récemment dans le cadre de l’amélioration des routes principales et (dans une bien moindre mesure) des routes rurales, et aussi de la petite irrigation. Encourager l’investissement privé. Étant donné l’ampleur et la complexité des tâches à accomplir pour développer l’agriculture dans les zones de savane guinéenne en Afrique, qu’il s’agisse des investissements au niveau de l’exploitation ou de la commercialisation sur les marchés internationaux, le secteur privé doit mener la plupart des efforts d’investissement et prendre la direction des activités d’importance critique. Il est particulièrement important, pour promouvoir l’agriculture commerciale, de poursuivre des efforts systématiques afin d’améliorer le climat des affaires et faciliter l’entrée sur le marché d’entreprises semencières et agroalimentaires privées, qui ont joué un rôle important en Amérique latine et en Asie. Il est essentiel de permettre la constitution de solides organisations de producteurs et de promouvoir un secteur privé et des organisations de la société civile dynamiques, comme on l’a vu en Thaïlande. Réformer les institutions pour améliorer le fonctionnement des marchés. Le succès de la commercialisation de l’agriculture repose manifestement sur le bon fonctionnement des marchés. Le plus difficile, pour assurer l’essor de l’agriculture commerciale, est de mettre en place des institutions permettant d’accroître l’efficacité de ces marchés et de réduire les risques commerciaux. Résumé analytique 19 Étant donné le manque d’envergure des marchés privés dans la plus grande partie de l’Afrique, l’État devra fournir certains services essentiels que le secteur privé n’est guère incité à assurer. Les mesures requises dépendent des produits et des pays, et seule l’expérience permettra de mettre au point des modèles appropriés. Le principal problème sera de déterminer à quel moment l’État devra réduire la portée de ses interventions et faire une plus grande place au secteur privé, une fois que les marchés de ces services seront devenus plus mâtures, pour éviter que son action ne décourage l’initiative privée. La mise en place de bourses de marchandises utilisant des moyens modernes de communication électronique, dans le cadre d’un partenariat public-privé (sur le modèle de l’opération pilote menée en Éthiopie) facilitera dans une large mesure l’intégration des marchés nationaux. Les bourses de marchandises peuvent aussi contribuer à réduire les risques de prix, et certaines d’entre elles pourraient devenir de véritables marchés de contrats à terme au niveau régional et jouer le même rôle que South African Futures Exchange (SAFEX) pour les pays d’Afrique australe. Elles pourraient aussi gérer des systèmes de crédit-stockage pour limiter les ventes forcées après la récolte et encourager le stockage saisonnier. Le subventionnement des achats d’intrants dans le cadre de démarches propices au développement du marché connaît un regain d’intérêt, mais il doit être soigneusement évalué avant d’être plus largement employé. Une fois que les agriculteurs sont habitués à utiliser les intrants et que les volumes d’intrants utilisés ont suffisamment augmenté pour permettre de réaliser des économies d’échelle aux stades de leur fabrication et de leur distribution, il devient possible de réduire progressivement les subventions et, à terme, de les supprimer. Toutefois, lorsque les programmes de subventionnement prennent de l’ampleur, comme cela c’est produit, entre autres, au Malawi et en Zambie, pour les engrais, ces programmes peuvent devenir une trop lourde charge pour les finances publiques et, en raison de leur coût, peuvent aisément évincer d’autres investissements essentiels de l’État dans des biens publics. Il est nécessaire, dans tous les cas, de compléter le subventionnement des achats d’intrants par d’autres mesures pour accroître le nombre de fournisseurs privés, telles que l’offre de formations et de financements aux négociants, la réglementation de la qualité des intrants, et le développement des associations professionnelles. Si, de toute évidence, le développement d’une agriculture commerciale prospère dépend fondamentalement de l’accès à des financements, la mise en place de systèmes financiers ruraux indépendants, fiables et accessibles à un grand nombre d’agriculteurs n’a toutefois guère progressé dans la majeure partie de l’Afrique. Les autorités doivent poursuivre leurs efforts pour mieux intégrer les associations d’épargne et de crédit rurales dans le système général des banques commerciales pour accroître l’intermédiation financière et diversifier les risques. Par ailleurs, les banques agricoles d’État fonctionnent encore mal dans de nombreux pays africains, de sorte qu’il faut 20 Le réveil du géant assoupi se demander s’il sera possible de reproduire les résultats positifs permis en Thaïlande par la réforme de ces banques. Réforme et gouvernance du secteur public. Il est clair que l’État a un important rôle à jouer pour faciliter le développement d’une agriculture commerciale dynamique et équitable. L’un des grands problèmes consiste à créer des structures de gouvernance et des capacités qui permettent à l’État de jouer ce rôle. Les ministères de l’agriculture devront renforcer considérablement leurs capacités et leurs compétences, notamment dans le domaine des services de commercialisation et d’appui au développement des entreprises, et être en mesure de forger les différents partenariats entre le secteur public, le secteur privé et la société civile qui caractérisent aujourd’hui les nouvelles fonctions de l’État. Toutefois, ce ne sont pas seulement les ministères de l’agriculture qui doivent se doter de ces compétences, mais aussi les administrations locales chargées des services agricoles récemment décentralisés, ainsi que divers autres ministères qui jouent un rôle complémentaire important pour l’agriculture commerciale. Sur le plan de la gouvernance, le développement de l’agriculture commerciale pose un défi évident, qui consiste à coordonner les services fournis et les investissements réalisés par de multiples ministères et autres échelons des administrations publiques, ainsi que les investissements publics et privés. Comme on l’a vu au Brésil et en Thaïlande, il importe que les responsables de l’État, au plus haut niveau, soient déterminés à donner la priorité au développement agricole de régions particulières. Étant donné l’importance du rôle de direction et de coordination, l’action menée pour promouvoir l’agriculture commerciale devrait être organisée sur une base géographique, suivant des axes prioritaires de développement, et coordonnée au niveau du cabinet du premier ministre ou du président. Gestion des impacts sociaux. Pour que l’agriculture commerciale africaine contribue effectivement à promouvoir la croissance largement partagée et la réduction de la pauvreté que visent les politiques nationales, il est indispensable que la richesse créée profite au plus grand nombre. Bien que les modèles brésilien et thaïlandais puissent tous deux donner de bons résultats, la transformation de l’agriculture entraînée par les petits exploitants qui s’est effectuée en Thaïlande semble, dans l’ensemble , mieux cadrer avec les objectifs de création d’emplois de nombreux pays africains que le processus mené au Brésil par de riches exploitants qui avaient les moyens économiques et politiques d’acquérir de vastes propriétés et de mobiliser les capitaux nécessaires pour investir dans des modes de production hautement mécanisées. L’Afrique devra s’attaquer au problème crucial de la réforme des règles coutumières dans le domaine foncier pour permettre une répartition équitable des terres et assurer les droits d’occupation. Toutefois, l’exploita- tion des terres n’est pas la seule activité capable de produire des résultats positifs largement partagés sur le plan social. On a pu constater dans de nombreux pays, notamment au Chili et en Thaïlande, que, lorsque des poli- tiques propices sont adoptées, une agriculture commerciale dynamique peut Résumé analytique 21 créer de nombreux emplois en amont et en aval de la filière (dans la fourni- ture d’intrants et la transformation des produits, le conditionnement et la commercialisation) même lorsque l’échelle de la production de l’exploita- tion augmente avec le temps. Cette observation est particulièrement impor- tante pour le Mozambique, le Nigéria et la Zambie où il n’est pas certain que, en l’état actuel des technologies, les très petites exploitations familiales (notamment celles qui ont une superficie inférieure à deux hectares) soient suffisamment rentables pour permettre aux ménages ruraux d’échapper à la pauvreté s’ils produisent exclusivement des denrées alimentaires de base. Gestion des impacts environnementaux. Il ne sera pas possible d’établir une agriculture commerciale prospère dans les écosystèmes naturels de la savane guinéenne sans convertir des zones de forêts et de pâturages pour pratiquer une agriculture plus intensive, ce qui aura inévitablement un coût environnemental. Le développement, dans de nombreuses régions d’une agriculture extensive utilisant peu d’intrants, engendre des coûts particulièrement élevés pour l’environnement, tels que le déboisement et la dégradation des sols, la diminution de la diversité biologique et la libération dans l’atmosphère du carbone fixé dans le sol et les arbres. Une utilisation plus intensive des terres, donnant lieu au recours à des engrais et à d’autres méthodes d’amendement des sols peuvent contribuer à réduire le taux de conversion des terres. Toutefois, des stratégies d’exploitation plus intensives peuvent aussi accroître les risques pour les ressources en eau et avoir des effets préjudiciables pour la santé par suite de l’utilisation de plus grandes quantités de produits agrochimiques. On a pu constater, dans de nombreuses régions du monde, notamment au Brésil et en Thaïlande, qu’il est possible de réduire et de gérer les coûts environnementaux du développement de l’agriculture commerciale en utilisant des technologies appropriées et en procédant à un suivi attentif des impacts sur l’environnement appuyé par une application effective de la réglementation environnementale. Perspectives Il existe de bonnes raisons d’être relativement optimiste quant aux perspectives de l’agriculture commerciale dans la zone de savane guinéenne en Afrique, mais il est important de ne pas faire abstraction des défis qui restent à relever. Pour aussi décourageante que puisse être la liste des obstacles auxquels sont confrontés les agriculteurs africains, les exemples du Brésil et de la Thaïlande offrent d’importants enseignements sur la manière de les surmonter. Le plus important concerne probablement le rôle de l’État. Au Brésil et en Thaïlande, les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont joué un rôle crucial en créant un environnement porteur caractérisé par des politiques macroéconomiques favorables, des infrastructures appropriées, un solide capital humain, une administration centrale compétente et un climat de stabilité politique. Ces facteurs essentiels ont permis au secteur privé de mettre sa créativité, son dynamisme et ses ressources à profit de manière 22 Le réveil du géant assoupi à assurer la poursuite d’objectifs sociaux de vaste portée et la promotion des intérêts privés. Au lieu de recourir uniquement à une gestion étatique rigide et à des investissements publics massifs, les administrations centrales et locales brésiliennes et thaïlandaises ont réussi à collaborer de manière efficace avec les investisseurs privés, les groupes d’agriculteurs, les commu- nautés rurales et les organisations de la société civile. Après des dizaines d’années de domination de l’État, de nombreuses initiatives commencent à être menées sur ce modèle dans les pays africains. Grâce aux exemples du Brésil et de la Thaïlande, les dirigeants africains savent que le succès de l’agriculture commerciale peut être assuré de diffé- rentes manières. L’agriculture commerciale moderne n’est pas forcément synonyme de grande agriculture mécanisée. Si la Thaïlande et le Brésil ont prouvé que la révolution agricole peut être menée aussi bien par les petits agriculteurs que par les grandes exploitations commerciales, les faits montrent que, en général, les fruits de ces révolutions sont plus largement partagés lorsque les petits agriculteurs participent au processus. Le modèle de la petite agriculture a aussi probablement des retombées positives bien plus importantes sur l’emploi et le recul de la pauvreté parce que la hausse des revenus des petits agriculteurs a généralement pour effet d’accroître leur demande de produits locaux non échangeables. Il est cependant peu probable que les ménages agricoles qui cultivent des produits de base à faible valeur économique sur des parcelles d’à peine un ou deux hectares puissent tirer de leurs cultures des revenus suffisants pour sortir de la pauvreté. La forme que revêtira l’agriculture commerciale dans les zones de savane guinéenne en Afrique doit donc offrir aux cultivateurs de produits de base à faible valeur économique des possibilités de diversifier leurs activités. Il est aussi encourageant de savoir que, si le développement d’une agriculture commerciale entraînée par les petits agriculteurs s’amorce bien, le processus peut se renforcer de lui-même. Comme le montre l’expérience de la Thaïlande, les premiers bénéficiaires (par exemple, les exploitations commerciales, les organisations d’agriculteurs et les entreprises agroalimen- taires) seront incités à faire pression en faveur de politiques et d’investisse- ments propices à la poursuite du processus de commercialisation tout en générant une partie des ressources financières nécessaires. À mesure que ce processus s’étendra et s’intensifiera, des intervenants plus importants du secteur privé auront davantage de raisons d’investir dans l’infrastructure et les services d’appui nécessaires à la coordination de la filière, ce qui aura pour effet d’alléger la charge assumée par l’État tout en créant de nouveaux emplois non agricoles. Les dirigeants politiques devront, pour leur part, continuer de participer aux efforts en définissant les grandes orientations et les stratégies, en menant une action cohérente et en faisant preuve de l’engagement de longue haleine nécessaire pour concrétiser les promesses de cette transformation agricole. CHAPITRE 1 Introduction et objectifs Pour aussi loin qu’on puisse prévoir, la réduction de la pauvreté en Afrique sera largement tributaire des possibilités de stimuler la croissance agricole (World Bank 2007c)1. L’agriculture commerciale est souvent un puissant moteur de la croissance agricole. Son expansion peut emprunter diverses voies, et pourtant de nombreuses régions en développement n’ont guère progressé dans ces directions. L’agriculture africaine a en fait perdu du terrain, comme en témoignent l’érosion progressive, au cours des 30 dernières années, de la compétitivité internationale de cultures d’exportation traditionnelles africaines telles que le café, le palmier à huile, le caoutchouc et les arachides, et la dépendance croissante de la région par rapport à l’importation de nombreuses denrées alimentaires. En revanche, au cours de la même période, deux régions agricoles enclavées et relativement sous développées — la région du Cerrado au Brésil et celle du Nord-Est de la Thaïlande — ont connu un développement rapide et ont conquis d’importants marchés mondiaux. Leurs résultats ont infirmé les prédictions selon lesquelles les conditions agroécologiques difficiles de ces deux régions, leur isolement et leur pauvreté profonde seraient impossibles à surmonter. Ces arguments pessimistes, avancés il y a 30 ans au Brésil et en Thaïlande, étaient évoqués encore récemment en Afrique. Toutefois, deux phénomènes récents ont amené à considérer le potentiel de l’agriculture africaine sous un nouveau jour. 23 24 Le réveil du géant assoupi Premièrement, de nombreux pays africains ont affiché une croissance agricole plus rapide au cours des 10 dernières années, ce qui permet de penser que le secteur peut effectivement être un moteur de la croissance lorsque les conditions s’y prêtent. Deuxièmement, la flambée des prix mondiaux des denrées alimentaires en 2008 a permis de comprendre que de nouvelles opportunités pouvaient se présenter pour les pays dotés de terres, de main-d’œuvre et d’autres ressources nécessaires pour répondre à une demande de plus en plus forte de produits alimentaires et de plantes servant à produire des biocarburants. En se fondant sur un examen approfondi des facteurs qui ont contribué aux résultats positifs obtenus au Brésil et en Thaïlande, ainsi que sur des analyses comparées des observations recueillies dans le cadre d’études de cas détaillées de trois pays africains — le Mozambique, le Nigéria et la Zambie — cet ouvrage fait valoir qu’une importante région agroécologique de l’Afrique, la zone de savane guinéenne, offre d’abondantes opportunités qui pourraient permettre de rétablir la compétitivité de l’agriculture, en particulier si l’on considère les projections à long terme d’un accroissement de la demande en produits agricoles sur les marchés mondiaux. Un certain optimisme quant aux perspectives futures de l’agriculture africaine en tant que source majeure d’une croissance favorable aux pauvres peut donc être de mise. Objectifs de l’étude Ce rapport récapitule les principales observations et conclusions de l’étude sur la compétitivité de l’agriculture commerciale en Afrique (CCAA). Celle-ci avait principalement pour objectif d’examiner la possibilité de dynamiser la compétitivité agricole et la croissance de l’agriculture africaine en identifiant des produits et des systèmes de production essentiels pouvant appuyer un rapide développement d’une agriculture commerciale compétitive. Pour comparer la situation des trois pays africains, d’une part, et des régions du nord-ouest du Brésil et du nord-est de la Thaïlande, d’autre part, il a été décidé de cibler une zone agroécologique unique mais très étendue qui, de l’avis général, est largement sous-utilisée, à savoir la savane guinéenne (voir l’encadré 1.1). L’étendue de cette région est indiquée à la figure 1.1. Bien que le rapport tire des leçons importantes pour toutes les zones agroclimatiques d’Afrique, les produits de base et les systèmes de production agricoles analysés en détail sont propres à la savane guinéenne, de sorte que les observations et recommandations présentées ici revêtent un intérêt plus immédiat pour cette zone. La savane guinéenne, qui a un potentiel agricole moyen à élevé, couvre plus de 700 millions d’hectares en Afrique. Elle est pour la plupart peu peuplée, et seulement 6 % de sa superficie sont cultivés, ce qui offre de vastes possibilités d’expansion agricole. Les perspectives d’un regain de compétitivité agricole en savane guinéenne dépendent d’un certain nombre de facteurs, notamment la performance technique des filières Introduction et objectifs 25 Encadré 1.1 Caractéristiques de la zone de savane guinéenne en Afrique La savane guinéenne en Afrique se caractérise par un climat tropical chaud et par des précipitations de l’ordre de 800 à 1 200 mm par an qui assurent une période de végétation de 150 à 210 jours. Les précipitations varient toutefois considérablement d’une année à l’autre ce qui a des répercussions sur les activités agricoles. Les sols sont principalement des lixisols, qui contiennent des argiles à faible activité mais un taux élevé de saturation en base, des acrisols, qui sont plus acides et ont un taux de saturation en base plus faible dans les zones plus humides, et des arénosols, c’est-à-dire des sols sableux acides dans les régions plus sèches. Les arénosols sont faciles à travailler mais ils contiennent très peu de nutriments et conservent mal l’humidité. Les acrisols sont peu fertiles à l’état naturel et il est nécessaire, pour accroître leurs rendements, d’épandre de la chaux et des phosphates. Compte tenu de la variabilité annuelle des précipitations et de la piètre qualité des sols, les conditions agroécologiques sont difficiles. Trois grands systèmes de production se présentent dans la zone de la savane guinéenne : a) le système d’exploitation agricole axé sur les tubercules, b) le système d’exploitation agricole mixte axé sur les céréales et les tubercules, et c) le système d’exploitation agricole mixte axé sur le maïs. Tous offrent la possibilité d’accroître la production agricole. La savane guinéenne est l’une des grandes ressources africaines sous-utilisées. Elle couvre environ un tiers de la superficie de l’Afrique subsaharienne et offre un moyen de subsistance à plus d’un quart de tous les agriculteurs africains. Son étendue est décrite en quelques chiffres dans le tableau ci-après : Étendue de la zone de savane guinéenne dans les pays couverts par les études de cas et à l’échelle de l’Afrique Superficie de la savane Superficie guinéenne cultivée de la savane En % guinéenne En % de de la En % la superf. superf. de la totale de totale Superficie du pays superf. la savane cultivée Km2 Km2 totale Km2 guinéenne du pays Mozambique 793 980 541 215 68,2 21,242 3,9 63,5 Nigéria 913 388 581 620 63,7 176 000 30,3 64,9 Zambie 753 941 598 981 79,4 6 676 1,1 60,4 Ensemble de l’Afrique subsaharienne 20 626 624 7 072 281 34,3 481 338 6,8 40,2 Source : Chiffres calculés par les auteurs de la base des données communiquées par l’Institut international de recherches sur les politiques alimentaires (IFPRI). (suite) 26 Le réveil du géant assoupi Encadré 1.1 (suite) Le système d’exploitation agricole mixte axé sur les céréales et les tubercules est utilisé sur 13 % des superficies agricoles d’Afrique subsaharienne et fait vivre 15 % de la population agricole de la région. Ce système présente plusieurs caractéris- tiques qui le distinguent des autres : il est employé dans des zones qui se trouvent à faible altitude, ont des températures élevées, une faible densité de population, des superficies cultivables abondantes et des infrastructures de transport et de communication déficientes. Deux grandes maladies ont, par le passé, fait obstacle au développement de ce système d’exploitation agricole : une maladie humaine (l’onchocercose) et une maladie animale (le trypanoso- miase). Les efforts déployés pour lutter contre l’onchocercose (cécité des rivières) ont permis de libérer des terres cultivables sur une superficie estimée à 25 millions d’hectares. Les produits cultivés sur les terres mises en exploitation sont, notam- ment, le maïs et le sorgho, le mil (dans les régions plus sèches), le coton, le manioc, le soja, le niébé, l’igname (en particulier à proximité de la limite des zones de culture de tubercules) et le riz cultivé en zones humides (dans certaines parties des vallées ou des bassins fluviaux). Dans les zones où le trypanosome sévit dans une moindre mesure, le bétail est omniprésent et la région, dans son ensemble, nourrit environ 42 millions d’animaux. Dans les années 80 et au début des années 90, les petits producteurs de maïs et de coton ont rapidement développé ces cultures au détriment du sorgho et des tubercules, en particulier dans les zones plus sèches qui se trouvent plus au nord de la savane guinéenne, en raison de l’adoption de variétés améliorées de maïs précoce, elle-même permise par le versement de subventions au titre des engrais et l’octroi de crédits à la production. Le système d’exploitation agricole axé sur les tubercules est utilisé sur environ 11 % des superficies agricoles d’Afrique et emploie à peu près 11 % de la population agricole. Les précipitations ont un rythme bimodal ou s’étalent sur presque toute l’année, et le risque de mauvaise récolte est faible. Ce système se prête également à l’élevage de 17 millions d’animaux. Les zones exploitées de cette manière partagent un grand nombre de caractéristiques avec celles qui sont exploitées par le système mixte axé sur les céréales et les tubercules, bien que le palmier à huile soit, dans ce cas, une culture offrant des possibilités d’expansion considérables. Le système de production agricole mixte axé sur le maïs est le principal système de production alimentaire en Afrique de l’Est et en Afrique australe et est employé sur les zones de plateaux et de hautes terres situées entre 800 et 1 500 m. Il est utilisé sur 10 % des superficies agricoles et 19 % des superficies cultivées et il emploie 15 % de la population de la région. Depuis le début des années 90, l’utilisation d’intrants dans le cadre de ce système a chuté dans de nombreuses régions et les rendements stagnent par suite de la suppression progressive des subventions pour les engrais. Toutefois, les perspectives de croissance agricole à long terme sont bonnes et le potentiel de réduction de la pauvreté est élevé. Source : Dixon, Gulliver et Gibbon 2001. agricoles ; la situation de l’offre et de la demande sur les marchés intérieurs, régionaux et mondiaux ; et le contexte institutionnel et politique. En Introduction et objectifs 27 Figure 1.1 Étendue de la zone de savane guinéenne, pays couverts par les études de cas et ensemble de l’Afrique MAURITANIE MALI NIGER SÉNÉGAL TCHAD SOUDAN ÉRYTHRÉE BURKINA FASO GUINÉE BÉNIN NIGÉRIA CÔTE GHANA ÉTHIOPIE SIERRA RÉP. LEONE D’IVOIRE LIBÉRIA CENTRAFRICAINE CAMEROUN TOGO GUINÉE-BISSAU SOMALIE GAMBIE GUINÉE ÉQUATORIALE OUGANDA CONGO KENYA SAO TOMÉ-ET-PRINCIPE GABON RWANDA RÉP. DÉM. BURUNDI SEYCHELLES DU CONGO TANZANIE COMORES Mayotte ANGOLA (Fr) MALAWI AFRIQUE SUBSAHARIENNE ZAMBIE SAVANE GUINÉENNE ZIMBABWE MADAGASCAR SAVANE GUINÉENNE FRONTIÈRES INTERNATIONALES NAMIBIE BOTSWANA MOZAMBIQUE SWAZILAND AFRIQUE LESOTHO DU SUD Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur cette carte n’impliquent de la part du Groupe de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire et ne signifient nullement que le Groupe accepte ces frontières. Source : IFPRI. identifiant des filières ayant le potentiel requis pour soutenir la concurrence dans une économie de plus en plus mondialisée, l’étude sur la CCAA peut fournir d’utiles informations pour la conception de programmes intégrant les réformes de l’action publique, les transformations institutionnelles et les investissements nécessaires pour promouvoir l’implantation d’une agriculture commerciale prospère en Afrique. 28 Le réveil du géant assoupi Les principales questions soulevées dans l’étude sur la CCAA peuvent être récapitulées comme suit : • Dans quelle mesure les pays africains présentant les mêmes caractéristiques agroécologiques que la région de Cerrado au Brésil et le Nord-Est de la Thaïlande peuvent-ils devenir plus compétitifs sur les marchés locaux, régionaux et mondiaux de certains produits agricoles ? • Quels sont les types d’investissements, de politiques et de transforma-tions technologiques et institutionnelles nécessaires pour reproduire dans des régions d’Afrique ayant des dotations en ressources naturelles similaires, les résultats positifs donnés par l’agriculture commerciale dans les régions considérées du Brésil et de la Thaïlande ? • Sera-t-il possible d’améliorer la compétitivité agricole en Afrique, grâce à une expansion de l’agriculture commerciale, de manière à pouvoir considérablement réduire la pauvreté ? • Quels sont les impacts environnementaux et sociaux que pourrait avoir l’expansion de l’agriculture commerciale en Afrique ? L’étude sur la CCAA présente un bilan rétrospectif et une analyse prospective conformément à la stratégie consistant à tirer les leçons de l’expérience et à évaluer l’intérêt qu’elles peuvent présenter pour l’avenir. Le bilan rétrospectif comprend des analyses détaillées des « expériences concluantes » menées en Thaïlande et au Brésil ainsi qu’un examen général des efforts antérieurement déployés pour mettre en place une agriculture commerciale en Afrique. Les analyses prospectives examinent les projections de l’évolution de l’offre et de la demande mondiales pour six produits agricoles faisant l’objet d’échanges internationaux déjà importants ou pouvant le devenir pour la savane guinéenne : le manioc, le coton, le maïs, le soja, le riz, et le sucre. Des études de cas approfondies de la compétitivité des trois pays africains considérés ici ont en outre été réalisées sur la base d’une analyse des filières. Ces études de cas visaient : à évaluer la compétitivité actuelle, dans chacun des trois pays africains, de la production d’au moins un des six produits agricoles considérés ; à identifier les obstacles qui pouvaient réduire cette compétitivité ; et à déterminer les opportunités d’améliorer la compétitivité à une date future par le biais de réformes de l’action publique, de transformations institutionnelles, et/ou d’investissements. (L’Annexe A indique ces diverses études de référence.) L’étude sur la CCAA évalue, outre les questions de compétitivité, les impacts que pourrait avoir sur le plan social et environnemental la commercialisation de l’agriculture dans les trois pays africains considérés. Elle a procédé, à cette fin, à un examen des observations collectées en ce domaine au Brésil, en Thaïlande et dans certains pays d’Afrique subsaharienne, parallèlement à des évaluations théoriques des impacts probables sur le plan social et environnemental des différentes trajectoires de commercialisation dans les trois pays africains étudiés. Introduction et objectifs 29 Contexte de l’étude : le retour de l’agriculture dans les questions de développement Même si l’appui à l’agriculture en Afrique a chuté au cours des 20 dernières années, l’importante contribution que ce secteur peut avoir au développement n’est plus discutable. Le récent Rapport sur le développement dans le monde 2008 : (l’agriculture au service du développement) (Banque mondiale 2007c) présente un examen approfondi d’une vaste somme d’informations et fait valoir de manière convaincante qu’il est possible, et nécessaire, d’accorder à l’agriculture une bien plus haute priorité pour qu’elle contribue à relever au moins quatre défis fondamentaux: a) en déclenchant une croissance générale dans les premières phases de développement, en particulier en Afrique ; b) en devenant un puissant moteur de réduction de la pauvreté ; c) en contribuant à la sécurité alimentaire ; et d) en aidant à atteindre les objectifs environnementaux. L’agriculture peut-être un facteur de déclenchement de la croissance particulièrement efficace dans les premières phases du développement, non seulement en raison de la place importante qu’elle occupe dans l’économie (elle contribue pour plus d’un tiers au produit intérieur brut [PIB] dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne) mais aussi parce que, lorsque la croissance agricole est bien répartie, elle est étroitement liée à l’expansion d’autres secteurs de l’économie. Une croissance basée sur l’augmentation de la productivité des produits alimentaires de base et l’offre d’aliments à un prix abordable est essentielle à la compétitivité de l’économie dans son ensemble. Par ailleurs — et cela est très important pour la présente étude — l’agriculture est souvent le secteur dans lequel les pays africains peuvent jouir d’un avantage comparatif pour générer des devises, du moins à moyen terme, en attendant que l’infrastructure, le climat des affaires et le niveau de la demande des consommateurs permettent à d’autres secteurs de décoller. En fait, les observations accumulées au cours des dix dernières années témoignent du rôle moteur joué par l’agriculture dans la relance de la croissance globale dans les pays africains, qui les aide à sortir du « premier monde rural » (formé des économies à vocation agricole) pour entrer dans le « deuxième monde rural » des économies en mutation, dans lesquelles ce sont les secteurs non agricoles qui entraînent la croissance globale (Banque mondiale 2007c)2. Le Rapport sur le développement dans le monde 2008 a établi que la croissance engendrée par le secteur agricole contribue deux à quatre fois plus que la croissance d’origine non agricole pour accroître les niveaux de revenus dans le tiers inférieur de la distribution. En effet, 75 % des pauvres vivent dans les zones rurales et la plupart d’entre eux tirent leur subsistance de l’agriculture. Les cas bien connus de la Chine et de l’Inde montrent clairement le rôle crucial que la croissance agricole — et la croissance rurale de manière plus générale — peuvent jouer dans la réduction de la pauvreté. D’autres observations probantes proviennent d’Afrique (voir par exemple, Christiaensen et Demery [2007]). L’étroitesse 30 Le réveil du géant assoupi de la relation entre la croissance agricole et la réduction de la pauvreté dépend néanmoins dans une très large mesure de la structure agraire. Cette relation est beaucoup plus ténue dans des pays comme le Brésil où la croissance agricole a essentiellement été entraînée par une agriculture commerciale à grande échelle. La croissance générée par le secteur agricole a également pour effet d’accroître la sécurité alimentaire en donnant aux populations pauvres la possibilité d’avoir accès à de la nourriture. Dans de nombreux pays africains, les produits alimentaires locaux continuent de contribuer dans une mesure très importante à la sécurité alimentaire, non seulement parce que de nombreux produits de base produits localement ne sont, en fait, pas échangeables sur les marchés mondiaux (ils ne sont pas consommés en grande quantité en dehors de l’Afrique), mais aussi parce que, en raison de leur coût de transaction élevé, les denrées importées sont trop chères pour les consommateurs, en particulier dans les régions intérieures très difficiles d’accès. La pénurie de devises nécessaires à l’importation d’aliments et la forte variabilité de l’offre intérieure contribuent également à l’insécurité alimentaire dans de nombreux pays africains. C’est pourquoi, accroître la productivité des produits de base et stabiliser l’offre continuent d’être des priorités essentielles au renforcement de la sécurité alimentaire dans la plupart des pays du continent. La croissance agricole est importante non seulement parce qu’elle contribue directement à réduire la pauvreté et à améliorer la sécurité alimentaire mais aussi parce que l’agriculture est une grande consommatrice de terres et d’eau. Il est donc essentiel que cette croissance s’effectue sans porter préjudice à l’environnement. Le développement de l’agriculture extensive provoque la dégradation des sols et le déboisement dans un contexte caractérisé par une rapide expansion démographique et la diminution des espaces cultivables. Une intensification durable de l’agriculture est donc la seule stratégie viable permettant d’atteindre les objectifs de développement à long terme. Il est maintenant largement admis que l’agriculture doit être le moteur de la croissance et de la réduction de la pauvreté dans une grande partie de l’Afrique. Pour permettre à l’expansion agricole en Afrique de produire ses effets, il sera nécessaire de poursuivre des réformes des politiques publiques et d’effectuer des investissements agricoles plus importants et de meilleure qualité dans le cadre d’une double stratégie pour : a) accroître la compétitivité des petits agriculteurs dans les régions offrant des perspectives de croissance moyennes à bonnes, et b) améliorer les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et la capacité de résistance dans les environnements isolés et précaires où les retours sur investissement sont plus faibles. Les principaux éléments d’une stratégie de développement agricole fructueuse sont décrits dans le Rapport sur le développement dans le monde 2008 ; ils consistent à : Introduction et objectifs 31 • Entraîner une révolution au niveau de la productivité agricole fondée sur de meilleures pratiques de gestion des sols et des ressources en eau • Assurer une croissance équilibrée de la production de produits alimentaires de base, des exportations de produits traditionnels vendus en grandes quantités et de produits à forte valeur économique (y compris les produits de l’élevage), en donnant toutefois la priorité à l’augmentation de la productivité des produits alimentaires de base dans la plupart des pays • Établir des marchés et des filières pour assurer l’existence sur le marché d’une demande pour une production agricole plus importante • Accroître les exportations agricoles en renforçant leur compétitivité et en abaissant les barrières commerciales, en particulier entre les pays du continent • Assurer les moyens d’existence et la sécurité alimentaire de ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance en mettant au point des systèmes agricoles plus résilients grâce à l’amélioration de la gestion des ressources naturelles et à des processus de développement local • Accroître la mobilité de la main-d’œuvre et promouvoir un développement rural non agricole pour offrir d’autres options que des emplois agricoles peu rémunérateurs, en particulier dans les zones marginales • Améliorer la santé et le niveau d’instruction en mettant en place des filets de sécurité pour mettre les biens des ruraux pauvres à l’abri de la sécheresse, de la maladie ou du décès d’un membre de la famille. Lorsqu’il décrit les grands types d’investissements et les réformes de l’action publique qui seront nécessaires pour permettre à la croissance agricole d’exercer son pouvoir de transformation en Afrique, le Rapport sur le développement dans le monde 2008 (Banque mondiale 2007c) fait valoir qu’il importera de prendre en compte les caractéristiques structurelles propres à chaque pays pour pouvoir élaborer des programmes de stratégies et d’investissements appropriés. L’étude sur la CCAA s’inscrit donc dans le droit fil des principes sur lesquels repose le Rapport sur le développement dans le monde 2008 (Banque mondiale 2007c) : elle analyse les caractéristiques structurelles et uniques d’une zone agroécologique particulière — mais très importante — ayant un fort potentiel de croissance (la savane guinéenne) et elle évalue les éléments auxquels un programme de développement agricole doit donner la priorité pour produire de bons résultats dans cette région. Il faut toutefois noter que le rapport sur la CCAA a été conçu comme un guide offrant des orientations générales pour les programmes futurs et non pas comme un plan détaillé présentant des directives particulières pour la poursuite d’opérations adaptées à des pays déterminés. Ces directives devront être conçues, pour chaque pays, par des spécialistes locaux et promues par les responsables nationaux de l’action publique de manière à être respectées. 32 Le réveil du géant assoupi Le concept de l’étude : une approche par études de cas et comparaisons La démarche analytique retenue pour l’étude sur la CCAA a donné lieu à une série d’études de cas conçues de manière à permettre des comparaisons. Les situations de deux régions qui ont affiché d’importants succès agricoles — le Cerrado au Brésil et le Nord-Est de la Thaïlande — sont comparées à celles de régions agroécologiques du Mozambique, du Nigéria et de la Zambie qui offrent des possibilités similaires de produire de manière compétitive un ensemble de produits agricoles. Les produits retenus à des fins de comparaisons (manioc, coton, maïs, riz, soja et sucre) sont ceux qui ont contribué le plus au développement agricole des régions étudiées en Thaïlande et au Brésil. Les analyses détaillées des filières dans les différentes zones examinées servent à évaluer les facteurs qui ont permis d’améliorer la compétitivité dans le Cerrado et dans le Nord-Est de la Thaïlande, et qui pourraient stimuler la compétitivité dans les trois pays africains faisant l’objet de cas. Les études de cas peuvent fournir d’importantes informations — quantitatives et qualitatives — sur les principaux facteurs qui déterminent la croissance dans un pays particulier. Elles permettent de prendre aisément en compte ces facteurs (voir, par exemple, Rodrik [2003]), et de procéder à un examen pertinent de la croissance agricole en particulier (voir, par exemple Byerlee, Diao, et Jackson [2005]). Elles se prêtent également à la formulation de conclusions opérationnelles qui présentent un intérêt direct pour les pouvoirs publics. En revanche, il faut éviter d’agréger les informations produites par différentes études de cas pour en tirer des évaluations générales et de les appliquer à des pays qui ne sont pas directement couverts par les études en question. En raison de la nature différente des questions posées, des méthodes employées ou des conditions en vigueur, les conclusions établies sur la base d’études de cas sont généralement très étroitement liées à la période et au lieu considérés. L’analyse sur la CCAA a suivi une démarche conçue pour produire des informations détaillées par le biais d’études de cas tout en s’assurant de la comparabilité des données relatives aux différents pays considérés. Cinq études approfondies couvrant différents pays ont été réalisées suivant les mêmes termes de référence afin de permettre la constitution d’une base d’observations microéconomiques robuste, tout en garantissant la comparabilité des données des différents pays ; cette démarche permet de tirer des conclusions plus générales présentant un intérêt pour les politiques publiques et pouvant éventuellement s’appliquer de manière plus générale. Deux de ces études de cas — qui concernent les pays ayant eu une « expérience concluante », c’est-à-dire le Brésil et la Thaïlande — ont un caractère rétrospectif puisqu’elles examinent essentiellement les facteurs qui ont permis à ces deux pays de devenir compétitifs sur les marchés internationaux. Les trois autres — qui sont consacrées à des pays africains — ont une optique davantage prospective puisqu’elles examinent les facteurs Introduction et objectifs 33 qui pourraient permettre à ces pays de devenir compétitifs (ou, dans certains cas, plus compétitifs) sur les marchés internationaux. L’objectif étant de prendre en compte différentes expériences régionales, les études de cas réalisées en Afrique couvrent le Mozambique, le Nigéria et la Zambie. Ces trois pays affichent des niveaux de pauvreté élevés, sont largement tributaires de l’agriculture qui génère la majeure partie de leurs revenus et des emplois, et ont des zones étendues de terres sous-exploitées dans la région de la savane guinéenne. Bien que les six produits de base visés par l’étude sur la CCAA ne soient pas actuellement tous produits à grande échelle dans les pays considérés, au moins quatre d’entre eux le sont et les autres semblent offrir de bonnes perspectives. L’analyse des filières est le cadre retenu pour toutes les études de cas. Dans chacun des cinq pays considérés (Brésil, Thaïlande, Mozambique, Nigéria, Zambie), les études des filières existantes ont été identifiées et examinées. Les lacunes observées au niveau des données lors de l’analyse de ces études ont été en partie comblées par la collecte d’informations supplémentaires. Dans les pays africains, on a identifié les principaux produits, systèmes de production et stratégies de commercialisation qui pourraient servir de base au développement rapide d’une agriculture commerciale compétitive, et évalué les impacts sociaux et environne- mentaux que pourraient avoir les stratégies qui paraissent prometteuses. Lorsque l’on sait quels sont ces impacts, il devient possible de concevoir des politiques et des programmes de commercialisation agricole qui ne portent préjudice ni aux populations ni à l’environnement. Le fait que l’étude sur la CCAA vise une série particulière de produits ne signifie pas que ces derniers sont ceux pour lesquels les pays africains considérés ont le plus grand avantage comparatif. En fait, cette série de produits a été choisie essentiellement pour deux raisons : • Tous les produits visés dans l’étude sur la CCAA sont vendus en grandes quantités sur les marchés mondiaux. La plupart des pays à faible revenu ayant connu une croissance entraînée par les exportations ont commencé par exporter ce type de marchandises, pour lesquelles les dotations en ressources naturelles (et l’infrastructure des transports) sont des facteurs déterminants de l’avantage comparatif plus importants que ne le sont des investissements plus complexes dans le capital humain, la recherche et le développement (R-D) et la logistique (Abbott et Brehdahl 1994). • L’utilisation de la même série de produits de base pour toutes les zones étudiées peut produire d’importantes informations sur la manière dont les profonds changements réalisés aux niveaux des investissements et des institutions ont pu, au Brésil et en Thaïlande, créer progressivement de nouveaux avantages comparatifs et elle peut aider à déterminer dans quelle mesure des actions similaires permettraient d’accroître la compétitivité dans les pays africains considérés. 34 Le réveil du géant assoupi Cette démarche par études de cas pose un problème méthodologique car, si les dotations en ressources naturelles sont les mêmes dans toutes les régions étudiées, certaines caractéristiques (comme le patrimoine culturel et l’histoire politique) et l’environnement extérieur peuvent différer selon les régions et la période considérée (notamment si l’on compare la période durant laquelle le Brésil et de la Thaïlande ont connu leur essor agricole et la période actuelle). Il importe donc de faire preuve de circonspection en examinant dans quelle mesure les trois pays africains considérés pourront suivre des trajectoires similaires à celles empruntées par le Brésil et la Thaïlande pour créer de nouveaux avantages comparatifs. Il est important d’identifier clairement les similitudes et les divergences au niveau des études de cas, aussi bien sur le plan géographique que dans le temps avant de définir des lignes d’action pour les pays africains sur la base des faits observés au Brésil et en Thaïlande. Définition des concepts de base : avantage comparatif et compétitivité Il n’est pas possible de considérer les objectifs de l’étude sur la CCAA sans comprendre clairement la relation qui existe entre l’avantage comparatif et la compétitivité. La mesure dans laquelle un pays ou une région peut produire un bien particulier de manière compétitive à long terme dépend de son avantage comparatif ; ce dernier dépend, à son tour, du coût d’opportunité, pour le pays ou la région, de la production du produit considéré, c’est-à-dire la valeur de la production des autres biens et services auxquels il lui a fallu renoncer. Un pays est dit posséder un avantage comparatif pour la production d’un bien si le coût d’opportunité de la production de ce bien (valeur de la production d’autres biens et services auxquels il lui a fallu renoncer) est moins élevé pour lui que pour d’autres pays. Un pays est compétitif sur les marchés internationaux lorsqu’il produit à moindre coût que les autres fournisseurs, compte tenu du fait qu’il peut s’agir d’un produit d’importation ou d’un produit d’exportation. La compétitivité ne prend pas en compte de manière explicite le coût d’opportunité pour le pays de transferts et de subventions qui ont un impact sur les coûts directs de la production. À court terme, un pays peut être compétitif dans un domaine d’activité particulier si cette activité est subventionnée au moyen de ressources prélevées dans d’autres secteurs de l’économie ou provenant de bailleurs de fonds mais, à moins que ces transferts n’entraînent une baisse à long terme du coût d’opportunité de la poursuite de cette activité, cette compétitivité ne sera pas durable sur le plan économique. ’encadré 1.2 examine plus en détail les relations entre compétitivité, avantage comparatif et subventions. Introduction et objectifs 35 L’étude sur la CCAA repose sur l’idée que non seulement la compétitivité mais aussi l’avantage comparatif sous-jacent sont essentiellement des concepts dynamiques : • L’étude est fondée sur la comparaison des études de cas de régions du Brésil, de la Thaïlande, du Mozambique, du Nigéria et de la Zambie qui sont similaires sur le plan agroécologique. Le Brésil et la Thaïlande ont exploité leur dotation en ressources naturelles en modifiant leurs investissements et leurs institutions pour permettre à la région du Cerrado, au Brésil, et du Nord-Est en Thaïlande de jouir d’un avantage comparatif sur les marchés internationaux de certains produits de base. La question fondamentale posée par l’étude sur la CCAA consiste à Encadré 1.2 Avantage comparatif, efficacité et compétitivité Le coût d’opportunité — c’est-à-dire la valeur des opportunités auxquelles il faut renoncer lorsque l’on opte pour une stratégie plutôt qu’une autre — est un concept fondamental en science économique. Par exemple, le coût d’opportunité des terres consacrées à la production de maïs est la valeur de la production d’autres produits à laquelle il a fallu renoncer. Un pays a intérêt à produire les biens pour lesquels son coût d’opportunité est le plus faible parce qu’il renonce à une valeur moindre en choisissant ces biens de préférence à d’autres biens et services. Il s’agit là du concept de base de l’avantage comparatif qui a été exposé en détail pour la première fois par David Ricardo au XIXe siècle pour expliquer pourquoi il peut être profitable à un pays de participer à des échanges sur les marchés mondiaux même s’il peut produire tous les produits considérés à un coût absolu plus faible que ses partenaires commerciaux éventuels. Ricardo (1821) a montré que les pays peuvent tirer profit du commerce international s’ils se spécialisent dans la production de biens pour lesquels leurs coûts d’opportunité sont plus faibles que ceux des autres pays et achètent les produits pour lesquels leurs coûts d’opportunité sont plus élevés. Un pays a un avantage comparatif à produire un bien si son coût d’opportunité de la production de ce bien est plus faible (en termes de la production d’autres biens et services à laquelle il lui faut de ce fait renoncer) que celui des autres pays. Les économistes parlent des coûts économiques et financiers de la production d’un bien (Gittinger 1982). Le coût économique représente le coût pour l’ensemble de la société de la production du bien, abstraction faite de tout paiement de transferts entre les agents économiques, tels qu’impôts et subventions. Ces paiements ne font que redistribuer les avoirs au sein de l’économie mais n’augmentent ni ne réduisent le montant total de ressources disponibles. (suite) 36 Le réveil du géant assoupi Encadré 1.2 (suite) Il s’ensuit que le coût économique de la production de biens représente le coût d’opportunité pour le pays dans son ensemble de la production de ce bien. Un pays produisant des biens au coût économique le plus faible possible (en ce sens qu’il les produit de manière économiquement efficiente) exploite donc son avantage comparatif. En ce sens, l’efficience économique et l’avantage comparatif sont des expressions équivalentes. Le coût financier est, pour un agent économique particulier, le coût d’opportunité de la production d’un bien ou d’un service et prend en compte les transferts nets émanant de cet agent ou reçus par lui au titre d’impôts et de subventions. Si les transferts à l’agent considéré provenant d’autres acteurs économiques (par exemple par le biais de subventions) sont suffisamment élevés, cet agent peut être en mesure de vendre sa production sur une base compétitive sur les marchés internationaux (c’est-à-dire à un coût moindre que celui assumé par les autres fournisseurs) même si le coût d’opportunité de la production de ce produit pour le pays dans son ensemble est supérieur à celui des autres pays avec lesquels il se trouve en concurrence. Pour le pays dans son ensemble, les subventions ne sont simplement qu’un transfert de ressources entre agents économiques nationaux, et n’entraînent donc aucune modification du coût de la production du bien pour le pays et, partant, aucune modification de son avantage comparatif. Il s’ensuit que, à court terme, par suite des transferts et des subventions, un pays peut jouir d’un avantage compétitif sur un marché sans jouir d’un avantage comparatif. À long terme, toutefois, la subvention doit être financée par la renonciation à une production dans un segment quelconque de l’économie (ou à l’étranger si elle financée par des bailleurs de fonds). La viabilité de ce type d’avantage compétitif dépend donc de la mesure dans laquelle ceux qui financent la subvention (les autres secteurs de l’économie où les bailleurs externes) sont prêts à continuer d’en financer le coût. L’analyse précédente est essentiellement statique. Les coûts d’opportunité ne le sont toutefois pas (Abbott et Brehdal 1994). Ils dépendent non seulement de la dotation initiale en ressources naturelles du pays (par exemple, l’existence de sols particulièrement bien adaptés à la culture du coton plutôt qu’à d’autres produits), mais aussi à des facteurs d’origine humaine. En fait, si dans les pays moins développés la dotation initiale en ressources naturelles est généralement la principale source d’avantage comparatif, le rôle de cette dotation diminue généralement dans le temps pour trois raisons : • Les dotations en ressources se modifient dans le temps sous l’effet de la croissance démographique et de leur gestion par la population. Par exemple, par suite des pressions démographiques croissantes sur les terres, l’avantage comparatif se modifie généralement au profit de produits agricoles à forte intensité de main-d’œuvre au détriment de cultures nécessitant de vastes superficies (Boserup 1993). • Les investissements et les désinvestissements dans l’infrastructure et dans l’éducation modifient la base des ressources naturelles et humaines disponibles, et les nouvelles technologies modifient l’efficacité avec laquelle ces ressources peuvent produire différents biens, ce qui a pour effet de changer les coûts d’opportunité relatifs. (suite) Introduction et objectifs 37 Encadré 1.2 (suite) • Tous les coûts, y compris les coûts d’opportunité définissant l’avantage comparatif, sont en partie des concepts sociaux qui dépendent de règles institutionnelles établies pour déterminer, parmi les types de coûts et ceux qui les assument, ceux qui doivent être pris en compte dans le calcul économique dans un pays particulier (Bromley 1997 ; Unger 2007). Toute modification des règles régissant l’économie peut donc avoir un impact sur l’avantage comparatif, de même que les incitations à développer et adopter de nouvelles technologies. Par exemple, les institutions qui sécurisent les droits fonciers et les droits de propriété fournissent des incitations aux investisseurs privés. Michael Porter (1998) a élargi la notion de compétitivité pour prendre en compte des éléments plus dynamiques. Son analyse de la compétitivité d’un pays vise à expliquer pourquoi certains pays deviennent le site d’entreprises qui affichent systématiquement des bénéfices plus élevés que leurs concurrents. Porter identifie quatre grands déterminants de la compétitivité nationale : a) les conditions des facteurs (concept similaire à celui de la dotation initiale en ressources sur laquelle viennent toutefois se greffer des investissements — notamment sous forme de formation supérieure de la population active — ayant pour objet de valoriser davantage ces ressources) ; b) les conditions de la demande (par exemple, l’existence d’un marché local ou régional solide peut contribuer à la réalisation d’économies d’échelle, et ainsi permettre aux entreprises de soutenir plus efficacement la concurrence sur les marchés internationaux) ; c) les économies d’agglomération (permises par des investissements stratégiques dans les infrastructures) ; et d) les stratégies, structures et rivalités des entreprises (influencées par les politiques publiques). Sa définition de la compétitivité nationale cadre donc avec l’optique dynamique de l’avantage comparatif retenue dans le présent rapport. Si l’on considère que l’avantage comparatif dépend de règles institutionnelles, et peut donc être modifié par des investissements dans des technologies, dans l’éducation et dans l’infrastructure, il faut se demander si les dépenses publiques visant à accroître l’avantage comparatif d’un pays et sa compétitivité dans le cas d’un produit ou d’une branche d’activité spécifique sont des investissements ou bien des subventions. Si les investissements stratégiques de l’État (qui doivent manifestement être financés d’une manière quelconque — par exemple par le biais de la fiscalité, d’emprunts ou de l’inflation) peuvent abaisser les coûts relatifs de la production de différents biens (c’est-à-dire leur avantage comparatif ), quelle est la différence entre une subvention et un investissement public, puisque, dans les deux cas, il se produit un transfert d’une série d’agents économiques à une autre ? Dans ce rapport, nous définissons la subvention comme un transfert qui réduit le coût unitaire de production d’un produit pour l’entreprise tant que ladite subvention existe. Une subvention n’entraîne aucune modification structurelle des coûts d’opportunité sous-jacents de la production de biens différents. En revanche, un investissement public fructueux réduit le coût d’opportunité de la production du bien considéré même après que cet investissement a pris fin. Conformément à cette définition, le paiement par l’État à un agriculteur d’une fraction du coût des engrais qu’il utilise pour une culture est une subvention si, lorsque que ce (suite) 38 Le réveil du géant assoupi Encadré 1.2 (suite) paiement cesse, le coût d’opportunité de la production de ladite culture ne se modifie pas. Toutefois, si la subvention permet à l’agriculteur de considérer et d’adopter une nouvelle technologie permettant de réduire ses coûts (par exemple une nouvelle variété réagissant de manière positive aux engrais) ou aux fournisseurs d’intrants de réaliser des économies d’échelle au niveau de la distribution, le paiement de l’État représente un investissement parce que ces transformations modifient de manière permanente les coûts d’opportunité de la production d’un bien. Parce qu’il est difficile, ex ante, de faire la différence entre subvention et investissement, une certaine confusion caractérise le débat sur les subventions et l’avantage comparatif (Unger 2007). Il est essentiel de comprendre la nature dynamique de l’avantage comparatif et de la compétitivité pour suivre la logique de l’étude sur la CCAA. La principale question posée dans le cadre de cette étude consiste à déterminer si les pays africains examinés peuvent, en procédant à des investissements stratégiques et en modifiant leurs politiques, modifier leur avantage comparatif pour devenir plus compétitifs à terme sur les marchés de certains produits d’exportation agricole, comme l’ont fait le Brésil et la Thaïlande. déterminer si les régions étudiées en Afrique qui, au départ, ont des dotations en ressources naturelles similaires, peuvent apporter une série comparable de modifications à leurs investissements et à leurs institutions et reproduire les succès remportés par le Brésil et la Thaïlande sur les marchés d’exportation de ces produits. L’analyse vise donc à déterminer la mesure dans laquelle il est possible de créer de nouveaux avantages comparatifs au lieu de simplement s’appuyer sur un avantage comparatif « inhérent » découlant uniquement de la dotation en ressources naturelles. • L’analyse des impacts sociaux et environnementaux des « réussites agricoles » du Brésil et de la Thaïlande et des impacts correspondants que pourraient avoir les efforts déployés dans les pays africains considérés (à supposer qu’ils suivent une trajectoire de développement similaire) part du principe que l’avantage comparatif dépend des institutions dans le cadre desquelles l’économie opère. Par exemple, dans la mesure où la structure institutionnelle ne garantit pas les droits fonciers des populations autochtones, il est possible à de nouveaux arrivants déterminés à convertir les terres à des fins d’agriculture commerciale de déplacer ces populations autochtones à un coût relativement faible. La perte des moyens de subsistance des populations autochtones n’est pas considérée comme un coût pour l’économie, de sorte que le pays peut afficher un fort avantage comparatif (tel que défini par la société) pour la production de ce bien. Ce raisonnement vaut tout autant lorsque les règles institutionnelles permettent aux intervenants de faire abstraction des impacts environnementaux de leurs actions. Par contre, si les règles institutionnelles sont différentes et reconnaissent des droits de propriété effectifs aux Introduction et objectifs 39 populations autochtones et/ou à tous ceux qui subissent un préjudice environnemental par suite de l’expansion de l’agriculture commerciale, le pays a un degré d’avantage comparatif différent (tel que défini par la société) pour la production de ce bien. Les concepts de compétitivité de l’agriculture commerciale (basée sur l’avantage comparatif) et des impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale sont donc liés et ne peuvent pas être analysés indépendamment les uns des autres3. Notes 1. Pour plus de simplicité, le terme « Afrique » est utilisé dans tout le rapport pour désigner « l’Afrique subsaharienne ». 2. Durant la période 1993–2005, le taux de croissance agricole, soit 4,0 % par an, a été supérieur au taux de croissance non agricole (2,9 % par an) dans les pays à vocation agricole qui, pour la plupart, se trouvent en Afrique subsaharienne. Il est également important de noter que la croissance de l’agriculture s’accélère systématiquement en Afrique subsaharienne depuis 1990. 3. Un grand nombre des discussions liées aux négociations du commerce international concernent la détermination des séries de règles institutionnelles (par exemple la réglementation du travail et les normes environnementales) qui doivent être appliquées de manière universelle à tous les pays par opposition à celle qui relèvent de la souveraineté nationale. Ce débat est, en fin de compte, déontologique et non pas simplement technique (Singer 2002). CHAPITRE 2 Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne L’histoire offre de nombreux exemples dans lesquels les obstacles présentés par les conditions agroécologiques difficiles similaires à celles qui existent actuellement dans de nombreux pays africains ont été surmontés, et des résultats impressionnants sur le plan du développement agricole, de la croissance économique de la réduction de la pauvreté ont été obtenus. Deux de ces exemples ont été examinés en détail dans l’étude sur la CCAA et comparés à la situation observée dans trois pays africains, dans l’espoir de tirer de cette comparaison des informations pouvant servir de base à des stratégies de commercialisation agricole productives en Afrique. Le Brésil et la Thaïlande Au cours des 40 dernières années, deux régions agricoles enclavées et relativement sous développées — la région du Cerrado au Brésil et celle du Nord-Est de la Thaïlande — ont connu un développement rapide et ont conquis d’importants marchés mondiaux. Leurs résultats ont infirmé les prédictions selon lesquelles les conditions agroécologiques difficiles de ces deux régions, leur isolement et leur pauvreté profonde seraient impossibles à surmonter. 41 42 Le réveil du géant assoupi La région brésilienne du Cerrado Si l’on considère son climat et sa dotation en ressources naturelles, la région du Cerrado, qui se trouve au nord-ouest du Brésil (figure 2.1), ne semble pas être un site particulièrement propice à une révolution agricole1. Il pleut essentiellement d’octobre à mars tandis que les précipitations sont négligeables de mai à septembre. La majeure partie des sols de la région sont des oxisols altérés (46 %), des ultisols (15 %) et des entisols (15 %). Ces types de sols sont généralement adaptés à l’agriculture mais sont très perméables et, par conséquent, extrêmement sujets au lessivage, et ils contiennent peu de macro et de micronutriments essentiels. Les terres de la région du Cerrado sont aussi habituellement très acides, puisqu’elles ont un pH compris entre un peu moins de 4 à un peu plus de 5, ce qui réduit leur potentiel agricole à moins que les déséquilibres chimiques ne soient corrigés par l’épandage de chaux et d’engrais. Les cultures dans le Cerrado sont en outre exposées à la sécheresse en raison de la faible capacité de rétention d’eau des types de sols prédominants et de la fréquence des périodes de sécheresse intra-saisonnière. La topographie de la région, où le terrain est essentiellement plat, est tout à fait adaptée à une agriculture mécanisée. Pendant la plus grande partie de l’histoire moderne du Brésil, la région du Cerrado est restée un vaste espace isolé et peu peuplé qui ne contribuait que très peu directement à l’économie nationale. Le développement de l’agriculture dans cet « espace vide » a commencé dans les années 30 avec le programme Marcha para o Oeste (Marche vers l’ouest)2. La loi de 1940 portant création des colonia-nucloes (colonisation basée sur l’agriculture familiale), qui prévoyait de manière explicite la mise en place d’une structure agraire basée sur la petite exploitation, a donné un nouvel élan à cette expansion. Ces initiatives n’ont toutefois eu qu’un impact limité au cours des 20 années qui ont suivi. La population du Cerrado n’a que très peu augmenté et la majeure partie de l’expansion agricole s’est produite dans d’autres régions plus proches des zones industrialisées. La situation s’est nettement modifiée après le déplacement de la capitale fédérale en 1961. La demande alimentaire des populations urbaines a augmenté, ce qui a incité les pouvoirs publics à prendre des initiatives pour promouvoir la colonisation3 du Cerrado, notamment le Programa de Colonizacao Dirigida ; ces initiatives, qui visaient à installer un million de familles dans la région, ont bénéficié de la construction de routes reliant Brasilia au reste du pays. Des programmes spéciaux pour le développement d’États particuliers ont ensuite été lancés dans le but d’encourager la migration vers des zones peu peuplées et la transformation de l’utilisation des terres au profit d’une agriculture productive. Des mesures agricoles complémentaires ont été adoptées à l’appui de ces objectifs, parmi lesquelles le subventionnement des facteurs de production agricoles, l’offre de crédits concessionnels aux agriculteurs et le soutien des prix agricoles. Toutefois, l’amélioration des termes de l’échange agricoles due à ces mesures sectorielles a été en grande partie érodée par la poursuite de politiques macroéconomiques sources de distorsions (Schiff et Valdes 1998)4. Figure 2.1 La région du Cerrado (Brésil) 70°O 60°O 50°O 40°O R.B. DE GUYANA VENEZUELA Brésil Guinée SURINAM française OC É A N COLOMBIE (Fr.) CERRADO Boa Vista ATLA N TI QU E AMAPÁ CERRADO RORAIMA CAPITALES DES ÉTATS Macapá 0° 0° CAPITALE FÉDÉRALE Belém LIMITES DES ÉTATS São Luís Manaus FRONTIÈRES INTERNATIONALES Fortaleza AMAZONAS MARANHÃO RIO GRANDE PA R Á Teresina CEARÁ DO NORTE Natal PARAÍBA João PIAUI Pessoa PERNA Porto MBUC Recife ACRE O PÉROU Velho Maceió Rio Branco Palma 10°S ALAGOAS RONDÔNIA TOCANTINS Aracaju M AT O SERGIPE G R O S S O BAHIA Salvador BRASÍLIA F.D. Cuiabá GOIÁS BOLIVIE Goiânia MINAS GERAIS MATO GROSSO Belo ESPÍRITO DO SUL Horizonte SANTO 20°S Campo 20°S Grande Vitória SÃO PAULO RIO DE PARAGUAY JANEIRO CHILI São Paulo Rio de Janeiro O CÉ AN PARANÁ OC É A N Curitaba PACIFIQ UE AT LA N T I QU E 0 200 400 600 Kilomètres STA CATARINA Florianópolis A RG E N T IN E 0 200 400 Miles RIO GRANDE DO SUL Porto Alegre 30°S 30°S Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur cette carte n’impliquent de la part du Groupe de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire et ne signifient nullement que le Groupe accepte ces frontières. URUGUAY 43 70°O 60°O 50°O 40°O Source : IFPRI. 44 Le réveil du géant assoupi Durant les années 80 et 90, la libéralisation progressive de l’économie et un meilleur ciblage des politiques agricoles ont contribué à profondément transformer l’agriculture brésilienne. Le secteur agricole brésilien (y compris l’agroindustrie), qui est à présent extrêmement diversifié, est l’un des exemples les plus spectaculaires de réussite économique observé durant les dernières décennies dans le monde entier. Depuis 1990, la production de céréales a doublé et la production animale a presque triplé. Au cours de cette période, les exportations agricoles se sont rapidement développées et seul le Mexique a pu afficher des taux de croissance moyens des exportations plus élevés entre 1990 et 2003. L’essentiel de cette croissance s’est produite dans la région du Cerrado d’où provient maintenant plus de la moitié de la récolte nationale de soja, un tiers de la récolte nationale de maïs et de coton et un quart de celle de riz. La place de plus en plus importante occupée par le Brésil sur les marchés agricoles internationaux a tenu, au départ, à la transformation remarquable du sous-secteur national du soja. En 2005, 33 % du soja et de ses produits dérivés (huile, farine) échangés sur les marchés internationaux provenaient du Brésil. La production brésilienne de soja a connu deux périodes d’expansion rapide, la première essentiellement pilotée par l’État et la seconde par le secteur privé. Les superficies plantées sont passées de moins de 250 000 hectares en 1961 à presque 9 millions d’hectares en 1980. Au cours de cette période, la production est passée d’à peine plus de 250 000 tonnes par an à plus de 15 millions de tonnes par an. Elle a de nouveau doublé entre 1990 et 2000 tandis que les superficies cultivées n’augmentaient que d’environ 14 %. Cinq grands facteurs sont à l’origine de la transformation de la région du Cerrado en une puissance économique sur les marchés d’exportation internationaux. Premièrement, l’organisation nationale de recherche agricole, EMBRAPA, a mis au point la technologie nécessaire pour cultiver avec succès le soja dans le Cerrado, notamment en formulant différentes variétés à haut rendement adaptées au nombreux microenvironnements de production, ainsi que des pratiques de gestion des cultures améliorées et fondées sur l’utilisation d’engrais et le chaulage (nécessaires pour neutraliser l’acidité naturelle d’une grande partie des sols du Cerrado). Deuxièmement, après le déplacement de la capitale fédérale à Brasilia en 1961, d’importants investissements publics ont été consacrés à l’infrastructure, au crédit rural et aux services de développement des entreprises dans le cadre des efforts déployés par l’État pour encourager la migration vers la région, jusque-là sous-développée, du Cerrado. Troisièmement, les mesures prises par l’État pour encourager la colonisation du Cerrado ont attiré un grand nombre d’entrepreneurs agricoles chevronnés venus du sud du pays, qui ont apporté les capitaux d’investissement et le savoir-faire requis pour stimuler le développement des cultures de soja. Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 45 Quatrièmement, les réformes économiques et politiques adoptées vers le milieu des années 90 ont amélioré le climat de l’investissement et ont permis de transmettre directement les signaux des marchés internationaux, ce qui a fait ressortir l’avantage au plan des coûts de l’agriculture brésilienne. Le secteur privé, qui ne s’est heurté à aucun obstacle pour soutenir la concurrence sur les marchés internationaux, a commencé à piloter un processus de développement autrefois dominé par les organismes publics et paraétatiques. Les sociétés privées de transformation et de commercialisation ont effectué d’importants investissements dans les infrastructures, notamment pour les transports ferroviaires et fluviaux, qui ont fait baisser les coûts de transport et les frais portuaires et ont contribué à améliorer encore plus la compétitivité du soja. Ces quatre facteurs — technologie agricole, investissements publics dans l’infrastructure, savoir-faire des entreprises et cadre porteur de l’action publique — ont agi sur l’offre. Le cinquième et dernier facteur qui a contribué à faire de la région du Cerrado une puissance agricole est la forte augmentation de la demande mondiale de soja et de ses produits dérivés. Cette évolution a tenu essentiellement à la rapide croissance de l’emploi d’aliments pour animaux manufacturés, mais aussi à une série de mauvaises récoltes dans des pays comme les États-Unis. Ces mauvaises récoltes ont provoqué des flambées de prix internationaux du soja au début des années 70 et ont encouragé un grand nombre d’importateurs traditionnels à se tourner vers d’autres fournisseurs. Depuis 1960, la région brésilienne du Cerrado, jusque-là oubliée et assoupie, est devenu une zone agricole hautement productive et extrêmement compétitive à l’échelle internationale. Le plus frappant est que cette transformation s’est produite dans une région caractérisée par les problèmes agroécologiques typiques des zones de la savane guinéenne en Afrique. L’expérience du Cerrado offre un exemple de réussite agricole dans des conditions agroécologiques difficiles similaires à celles qui existent en Afrique. La région du Nord-Est de la Thaïlande À l’instar de la région brésilienne du Cerrado, le Nord-Est de la Thaïlande est une région qui ne laissait guère augurer d’une révolution agricole (figure 2.2). Elle bénéficie de pluies abondantes, mais ces dernières tombent pendant une unique saison de relativement courte durée, et même durant celle-ci, leur répartition est erratique et imprévisible. Les sols sableux de la région ont une piètre capacité d’absorption et exposent les agriculteurs à la sécheresse et aux inondations. La longue saison sèche est très chaude. Le terrain est relativement plat ce qui permet, en règle générale, de mécaniser l’agriculture. Il n’est possible de pratiquer l’irrigation que dans certains sites. Environ un tiers de la totalité des terres agricoles (approximativement 2,8 sur 8,6 millions d’hectares) peuvent être contaminés par le sel, ce qui réduit leur potentiel agricole. L’agriculture est essentiellement pluviale, bien que les investissements 46 Le réveil du géant assoupi dans l’irrigation augmentent depuis quelques années et que, à ce jour, environ 17 % des superficies cultivées soient irriguées ; la salinisation est toutefois devenue un problème dans de nombreuses régions irriguées, et touche une superficie estimée à 10 % des superficies irriguées. La région du Nord-Est diffère de celle du Cerrado (et des zones de savane guinéenne en général) parce que les pluies y sont abondantes mais extrêmement imprévisibles, ce qui pose des problèmes aux agriculteurs. L’abondance des pluies crée également des risques, et des inondations se produisent assez régulièrement. La région du Nord-Est de la Thaïlande a longtemps été considérée comme « sous-développée », à l’écart des pôles économiques plus dynamiques du pays et dans un état de stagnation perpétuelle. Toutefois, malgré son piètre potentiel agroécologique, elle soutient maintenant un secteur agricole prospère qui, lui-même, alimente une solide économie régionale. Le taux de croissance économique de la région s’est établi, en moyenne, à 6,7 % par an au cours des 20 dernières années, soit un taux comparable aux meilleurs résultats affichés par l’Amérique latine et l’Asie. Entre 1988 et 2005, le PIB a plus que doublé dans la région, et l’incidence de la pauvreté a été ramenée de 48 % en 1988 à 17 % en 2002 (Banque mondiale et NESDB 2005). En raison de sa prospérité, la région a attiré un nombre considérable de migrants. La densité de population dans le Nord-Est, autrefois relativement peu peuplé, est actuellement de 129 personnes au kilomètre carré, soit un niveau supérieur à la moyenne nationale. Les investissements publics dans l’infrastructure ont contribué dans une large mesure à ouvrir la région du Nord-Est de la Thaïlande à l’agriculture. Les premiers plans nationaux de développement n’avaient pas un caractère géographique et ce n’est qu’après le Cinquième plan national (1982–86) qu’une réelle attention a été portée au développement rural. À cette période, certains investissements, financés en partie par les États-Unis pour des raisons géostratégiques, avaient déjà été entrepris dans les infrastructures rurales. Le développement de ces dernières s’est initialement concentré dans le domaine des transports ferroviaires qui, outre les autres services qu’ils assurent, permettent d’acheminer facilement le riz produit localement vers les centres urbains du sud du pays. Dans les années 50 et 60, l’attention s’est portée sur l’amélioration de l’accès par les routes rurales pour encourager une agriculture commerciale plus diversifiée. La politique informelle visant à promouvoir l’agriculture commerciale a été officiellement énoncée dans le Sixième plan national (1987–91) qui, pour la première fois, faisait état d’un objectif de « production pour la vente ». Actuellement, la principale culture dans la région du Nord-Est continue d’être le riz, qui est produit en partie pour la consommation familiale et en partie pour la vente (60 % des 10 millions d’hectares de la région sont plantés en riz et la Thaïlande est le premier exportateur mondial de ce produit). La production exclusive de cultures de rente progresse toutefois régulièrement ; la principale est le manioc, qui a pris de l’importance dans les années 70. En raison, notamment, des mouvements des prix relatifs, les agriculteurs de la région du Nord-Est Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 47 Figure 2.2 Étendue de la zone équivalant à la savane guinéenne en Thaïlande 96°E 104°E 20°N Chiang 20°N Rai RÉ P. Golfe M YA NM A R Mae Hong Son DÉM. VIET NAM Phayao du Chiang Mai Nan P O P. L A O To nki n Lamphun Lampang Phrae N O RD Nong Khai Uttaradit Loei Nakhon Phanom Udon Sakon Nong Bua Thani Nakhon Sukhothai Lamphu Tak Phitsanulok Kamphaeng Mukdahan Phet Phichit Khon Phetchabun Kalasin Kaen Maha Roi Et 16°N Sarakham Amnat 16°N Chaiyaphum Chareon Nakhon N O RD- E ST Yasothon Sawan Uthai Thani Chai Nat Ubon Si Sa Ket Ratchathani Sing Buri Lop Buri Nakhon Buri Ram Surin Ang Thong Ratchasima Suphan Buri Saraburi Ayutthaya Nakhon Nayok Kanchana- buri Pathum Thani Prachin Buri Nakhon Nonthaburi Sa Kaeo Pathom BANGKOK Samut Sakhon Chachoengsao Mer Samut Ratchaburi Samut Prakan Chon Buri Songkram CENTRE CAM BODGE d’ A ndam an Phetchaburi Rayong Chanta Buri Trat 12°N Ko Rong 12°N Prachuap Khiri Khan Ko Kut THAÏLANDE Golfe Chumphon de Ranong Thaïlande Ko Phangan Ko Samui 104°E Surat Thani SUD Phangnga Nakhon Si Thaïlande Thammarat 8°N Ko Phuket Phuket Krabi 8°N ÉQUIVALENT DE Trang Phattalung LA SAVANE GUINÉENNE Songkhla 0 50 100 150 Kilomètres ÉQUIVALENT DE LA SAVANE GUINÉENNE Pattani Ko Tarutao Satun CAPITALE FÉDÉRALE Yala Narathiwat 0 25 50 75 100 Miles RIVIÈRES Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information LIMITES DES RÉGIONS figurant sur cette carte n’impliquent de la part du Groupe de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire et ne signifient nullement que le Groupe accepte ces frontières. FRONTIÈRES INTERNATIONALES 100°E MALAISIE AVRIL 2009 Source : IFPRI. pratiquent en alternance plusieurs cultures de rente (le sucre et, dans une moindre mesure, le maïs) mais le manioc continue de prédominer dans la région si l’on considère les superficies cultivées. La Thaïlande est le seul grand exportateur mondial de produits de manioc. 48 Le réveil du géant assoupi Le développement du sous-secteur du manioc dans la région du Nord-Est a été spectaculaire. Cette région est à l’origine de plus de 80 % de la production nationale, de sorte que les résultats affichés par la région ont un impact sur les statistiques nationales. À l’échelle de la Thaïlande, la production de manioc est passée de 1,7 million de tonnes en 1961 à 20,7 millions de tonnes en 1996. Cette expansion rapide a été entraînée presque exclusivement par l’augmentation de la demande sur les marchés d’exportation qui absorbent environ 80 % de la récolte (Ratanawaraha, Senanarong, et Suriyaphan 2000). Cinq facteurs principaux ont contribué à la transformation de la région du Nord-Est en une zone agricole prospère. Premièrement, les producteurs de manioc thaïlandais ont pu exploiter un marché favorable, à l’instar des cultivateurs de soja du Cerrado. Dans les années 70, les politiques commerciales et agricoles de l’Union européenne (UE) ont eu pour effet d’accroître les prix des céréales sur les marchés de l’Union ; lorsque de nombreux éleveurs européens ont décidé d’utiliser le manioc comme aliments de substitution bon marché pour leur bétail, les prix mondiaux de ce produit ont fait un bond (Hershey et al. 2001). Jusqu’en 1980, les cossettes et les granulés de manioc pouvaient être importés dans les pays de l’Union européenne sans être assujettis à des droits de douane ou à des contingents d’importation et, par la suite, ils ont continué de bénéficier d’un traitement tarifaire favorable à hauteur d’un quota établi par limitation volontaire des exportations (Ratanawaraha, Senanarong, et Suriyaphan 2000). Deuxièmement, les producteurs de la région du Nord-Est ont été en mesure de faire face à l’accroissement de la demande de manioc et d’autres cultures de rapport en étendant les superficies cultivées. Cette expansion a été permise par la disponibilité de terres non cultivées dans les zones boisées de la région du Nord-Est et par l’application laxiste par l’État des mesures visant à empêcher les défrichements illicites (Hershey et al. 2001). Si l’on considère que les rendements de la plupart des cultures de rente n’ont que faiblement augmenté, alors que les superficies plantées se sont étendues, il est clair que l’agriculture commerciale dans la région du Nord-Est a été rendue possible par l’accroissement des terres cultivées. Troisièmement, les accès aux marchés (et aux installations de traitement) étaient déjà bien établis lorsque l’agriculture commerciale a commencé à se développer. Conformément à la politique poursuivie de longue date par l’État pour encourager le peuplement de la région du Nord-Est dans le but de contrer la menace d’une avancée des communistes lao, les pouvoirs publics ont fortement investi dans un système routier de qualité reliant la région aux centres urbains du sud (Cropper, Griffiths, et Mani 1997 ; Hershey et al. 2001). Quatrièmement, un important programme de recherche dirigé par Rayong Field Crops Research Center (Rayong-FCRC), avec un appui notable du Centro Internacional de Agricultura Tropical (Centre international Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 49 d’agriculture tropicale — CIAT) basé en Colombie, a produit les technologies nécessaires aux agriculteurs pour pouvoir faire face aux changements des conditions culturales et à la demande du marché ; il leur a notamment apporté des variétés adaptées et de meilleures pratiques de gestion pour conserver les nutriments dans le sol et lutter contre l’érosion de manière à combattre la baisse de la fertilité des sols. Cinquièmement, un secteur privé dynamique a été en mesure de réagir rapidement aux signaux du marché et de préparer le terrain à une rapide réaction au niveau de l’offre. Le secteur privé comptait des négociants locaux dynamiques, capables d’organiser le regroupement des parcelles entre les agriculteurs pour leur permettre de se mécaniser dans une plus large mesure et d’accroître l’efficacité des activités de plantation et de production (Hershey et al. 2001). Le regroupement des terres est une question importante parce que le système agraire thaïlandais est dominé par les petites exploitations paysannes ou familiales et ne comprend que très peu de grandes exploitations agricoles ou plantations. Depuis 1960, la région du Nord-Est de la Thaïlande autrefois région peu développée et peu dynamique, est devenu un exportateur agricole hautement productif et compétitif sur les marchés mondiaux. Comme celle qui s’est produite dans la région brésilienne du Cerrado, cette transformation a eu lieu dans une région caractérisée par des problèmes agroécologiques typiques des zones de savane guinéenne. L’expérience de la région du Nord-Est est donc un deuxième exemple de production agricole satisfaisante dans des conditions agroécologiques difficiles similaires à celles qui règnent en Afrique. Le Brésil et la Thaïlande : rappel des faits Les processus de commercialisation de l’agriculture dans la région du Cerrado au Brésil et dans la région du Nord-Est en Thaïlande présentent un certain nombre de points communs frappants. Les deux régions avaient, au départ, un potentiel agricole limité et étaient considérées à la traîne sur le plan économique jusqu’à il y a relativement peu de temps. Dans les deux régions, l’agriculture commerciale concernait, initialement, un petit nombre de produits de base échangés sur les marchés internationaux en grande quantité, pour lesquels les normes de qualité étaient relativement peu importantes. Il s’agissait, pour l’essentiel, de produits à faible valeur économique (soja et riz au Brésil ; manioc, riz et maïs en Thaïlande). Ce n’est que lorsque ces produits sont devenus compétitifs sur le plan international que les produits à plus grande valeur ajoutée, notamment des produits transformés (comme le sucre, l’huile de soja, le coton égrené, la farine de manioc et les produits de l’élevage) ont pu le devenir. Dans les deux régions, les producteurs ont pu, pour commencer, développer leur production en ciblant des marchés particuliers sur lesquels ils jouissaient de jure ou de facto, d’un accès préférentiel ; ce n’est que plus tard, lorsque les quantités produites exportées sont devenues suffisamment importantes pour permettre 50 Le réveil du géant assoupi des économies d’échelle que les agriculteurs brésiliens et thaïlandais ont pu s’imposer dans le monde entier en tant que producteurs à faibles coûts, et soutenir la concurrence sur pratiquement tous les marchés. Dans les deux régions, l’ampleur des superficies disponibles, les investissements de l’État dans l’infrastructure des transports, un secteur privé très dynamique et de nouvelles technologies agricoles ont joué un rôle important. Toutefois, si les processus de commercialisation de l’agriculture dans le Cerrado brésilien et dans la région du Nord-Est de la Thaïlande présentent un certain nombre de similitudes, ils diffèrent fortement sur un certain nombre de points. La principale différence est que les systèmes de production agricole dans le Cerrado ont toujours donné lieu au recours à des technologies de production mécanisées à grande échelle tandis que l’agriculture pratiquée dans la région du Nord-Est reste essentiellement le domaine des petits agriculteurs. La région du Cerrado au Brésil et la région du Nord-Est de la Thaïlande sont, toutes deux, des exemples d’un développement agricole rapide qui a engendré une plus grande prospérité économique et une réduction généralisée de la pauvreté. Les efforts du Brésil et de la Thaïlande ne sont toutefois pas à l’abri de critiques. Les coûts environnementaux de la croissance économique, ainsi que la répartition des avantages de cette croissance entre différents groupes sociaux, ont été jugés préoccupants dans les deux pays. C’est pourquoi, il importe d’inclure dans l’analyse des leçons tirées des succès remportés au Brésil et en Thaïlande une évaluation approfondie et objective, non seulement des avantages économiques immédiats produits par la commercialisation, mais aussi des conséquences plus vastes de cette dernière sur le développement qui pourraient ne se manifester qu’à plus long terme. L’Afrique subsaharienne La réussite de la commercialisation de l’agriculture au Brésil et en Thaïlande fournit d’importantes informations sur les facteurs qui détermineront probablement la compétitivité future de l’agriculture dans de nombreux pays africains, en particulier les trois pays couverts par les études de cas sur la CCAA — le Mozambique, le Nigéria et la Zambie — qui comptent de vastes portions de savane guinéenne sous-exploitées. Cadre physique Les facteurs physiques — terres, main-d’œuvre, eau et énergie — ont été déterminants pour la croissance et la compétitivité au Brésil et en Thaïlande. Ces mêmes facteurs pourraient l’être au Mozambique, au Nigéria et en Zambie. Le Mozambique compte d’immenses superficies de forêts inexploitées et de zones de savane peu peuplées. Près de la moitié (46 %) du territoire national est cultivable, mais seulement 10 % sont actuellement en culture. Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 51 Environ 90 % des terres exploitées le sont par de petits agriculteurs. La superficie moyenne des exploitations rurales familiales n’est que de 1,7 ha, ce qui représente un peu moins de 0,5 ha par équivalent adulte. Il tombe, en moyenne, plus de 800 mm de pluie dans la plupart du pays. Environ 541 000 km², soit 68 % du territoire, peuvent être qualifiés de zone de savane guinéenne (seulement 21 000 km² de cette partie du territoire sont actuellement cultivés (3,9 %)). La majeure partie des sols, au Mozambique, sont peu ou moyennement fertiles ; les seules exceptions sont quelques petites poches de sols alluviaux. Une grande partie des terres cultivées ont souffert d’une extraction de nutriments moyenne à importante par suite du faible recours aux engrais. Le terrain est essentiellement plat et est donc adapté à une agriculture mécanisée. Le pays n’est pas enclavé mais cet avantage ne s’est pas traduit par un secteur d’exportation agricole prospère. Les provinces du centre et du nord, qui ont les terres les plus riches, exportent des produits agricoles mais les provinces du sud importent des aliments et d’autres produits de base du centre du pays et d’Afrique du Sud. Le Nigéria présente des conditions agroécologiques extrêmement diverses, allant de zones de savane aride et semi-aride dans le nord et dans le centre du pays à des forêts dans les zones sub-humides et humides du sud. Une superficie de l’ordre de 582 000 km², constituant environ 64 % du territoire national, peut être qualifiée de savane guinéenne. Une partie de cette zone couvrant 176 000 km² (30,3 %) est actuellement cultivée. Les pluies en savane guinéenne vont de 700 à 1 100 mm par an. Paradoxalement, la zone de savane guinéenne a une faible densité de population par rapport aux autres régions en raison de la prédominance de sols difficiles et de la gravité des problèmes associés aux maladies humaines et animales. Les produits qui y sont cultivés sont essentiellement le mil, le sorgho et le niébé ainsi que, dans une mesure non négligeable dans les régions plus humides, le maïs, les ignames et le riz. Le soja est devenu une culture commerciale au cours des 10 à 15 dernières années. La Zambie a, elle aussi, un potentiel agricole considérable, qui reste toutefois essentiellement inexploité. Environ 79 % de la superficie totale du pays, qui est de l’ordre de 754 000 km², présentent les caractéristiques d’une savane guinéenne. Près de 420 000 km² des terres classées comme terres arables sont considérées avoir un potentiel agricole moyen à élevé, mais seulement 15 % de ces terres sont actuellement exploitées et moins de 7 000 km² se trouvent dans la savane guinéenne. La densité de population dans la plupart des régions productives reste très faible, puisqu’elle va de 1 à 11 habitants au kilomètre carré. Les précipitations varient de 800 à 1 400 mm par an, et augmentent au fur et à mesure que l’on se dirige vers le nord. Les régions du nord reçoivent des pluies abondantes et sont très peu peuplées. Les régions du sud sont beaucoup plus sèches et souffrent de fréquents épisodes de sécheresse. C’est dans ces dernières que l’élevage est le plus répandu. Sur les plateaux situés aux alentours de Lusaka, Livingstone, Kabwe et Chipata, les sols sont généralement fertiles et les pluies suffisantes 52 Le réveil du géant assoupi pour permettre la production d’une large gamme de produits agricoles. Plus au nord, les sols sont moins productifs à l’état naturel, mais ce manque de fertilité pourrait être compensé par de faibles investissements dans des engrais et de la chaux. Cadre institutionnel Le Mozambique, le Nigéria et la Zambie, comme de nombreux autres pays africains, ont un potentiel agricole considérable, qui reste toutefois inexploité. Si l’on considère l’histoire de cette région au cours des 40 dernières années, il est clair que la création d’un secteur agricole commercial compétitif, non seulement dans les trois pays considérés, mais dans l’ensemble de l’Afrique, a été contrecarrée par des goulets d’étranglement institutionnels et la poursuite de politiques qui ont compromis la croissance économique en général et la croissance agricole en particulier. L’un des plus importants obstacles au développement d’une agriculture moderne et efficace en Afrique a été le manque de détermination politique. Pour assurer le succès de la commercialisation de l’agriculture, il est nécessaire d’avoir un soutien solide et durable de l’État sous forme de mesures de facilitation, appuyées par des investissements adaptés. Un tel appui ne peut être donné que si les dirigeants politiques estiment qu’il est dans leur intérêt de le faire. Par exemple, ils doivent considérer qu’il leur est nécessaire de répondre à un électorat d’agriculteurs déterminés ou penser que le développement agricole contribuera à promouvoir une priorité politique plus générale, comme la protection de l’unité nationale, en incluant les zones rurales plus éloignées, encourager des transformations économiques de plus vaste portée ou obtenir des bailleurs de fonds une aide extérieure plus importante pour lutter contre la pauvreté rurale. Au Brésil et en Thaïlande, depuis les années 50 et 60, les différentes équipes qui se sont succédées au pouvoir ont pris des engagements importants et durables en faveur du développement de l’agriculture dans le but d’assurer un approvisionnement alimentaire adéquat à l’appui de l’industrialisation, maintenir l’intégrité territoriale de la nation et/ou éviter des insurrections communistes (Thaïlande). Au cours des décennies suivantes, ces politiques ont bénéficié d’un appui politique de sources différentes, motivé par la volonté de mener une réforme agraire et de consolider la démocratie. Dans les deux pays, de puissants intérêts agroindustriels ont également contribué de plus en plus à promouvoir des politiques et des programmes porteurs. L’Afrique, pendant ce temps, a été le théâtre de luttes pour l’indépendance (souvent menées par les élites urbaines) puis, dans les années qui ont suivi la fin de l’ère coloniale, elle a procédé à la consolidation des nouveaux États. Les responsables de l’action publique se sont souvent principalement préoccupés de développer les infrastructures, d’accroître les services d’éducation et de santé et de fournir d’autres avantages sociaux à la population, tout en encourageant une rapide industrialisation. Les équipes Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 53 au pouvoir étaient fréquemment contrôlées par les partis politiques dominants qui n’avaient pas besoin de s’appuyer sur les électeurs des régions rurales pour rester au pouvoir, et étaient plus à l’écoute des consommateurs urbains et de l’armée. Trois autres facteurs ont également contribué à la poursuite de politiques discriminatoires envers l’agriculture en Afrique. Premièrement, la plupart des dirigeants africains, ayant les zones urbaines pour base, considéraient que la petite agriculture était un secteur peu développé incapable de contribuer à la transformation de l’économie, sauf en fournissant des aliments et une main-d’œuvre bon marché à un secteur industriel naissant (lui-même souvent protégé par des mesures qui aggravaient encore la discrimination envers l’agriculture)5. Deuxièmement, en raison de la précarité de l’infrastructure physique, de l’asymétrie généralisée de l’information et de la faiblesse des excédents commercialisés, les marchés agricoles fonctionnaient généralement mal, seule la production résiduelle y était vendue, de sorte que les coûts de transaction y étaient élevés et les prix volatils. Ces piètres résultats, conjugués à la méfiance qu’éprouvaient, après l’indépendance, de nombreux dirigeants à l’égard des marchés pour des raisons idéologiques, ont souvent amené les États à assumer un rôle très important dans toutes les sphères de l’activité économique. La création et l’expansion d’établissements paraétatiques et d’offices de commercialisation des produits agricoles et alimentaires pour remédier aux performances jugées insuffisantes des marchés de ces produits, n’ont pas permis de s’attaquer aux problèmes structurels sous-jacents expliquant ces mauvais résultats ; elles ont simplement remplacé les agents privés par des bureaucraties gouvernementales et ont fréquemment encore aggravé les problèmes rencontrés par les agriculteurs. Troisièmement, les pays n’ayant pas les capacités administratives nécessaires pour mettre en place une fiscalité créant moins de distorsions (par exemple l’imposition des revenus), l’agriculture d’exportation est devenue une importante source de recettes publiques. Les offices publics de commercialisation ont absorbé l’essentiel des rentes de situation produites par l’avantage comparatif dont jouissaient les pays pour la production des cultures d’exportation et, comme ils n’ont pas réinvesti une fraction quelconque de ces recettes pour maintenir ou accroître la compétitivité du secteur agricole, ils ont saigné le secteur à blanc. En l’absence d’un puissant électorat agricole ou agroindustriel, les dirigeants politiques, qui n’étaient nullement convaincus du caractère stratégique de l’agriculture face aux objectifs généraux du développement économique et de la stabilité politique, n’ont été guère incités à prêter attention à l’agriculture jusqu’à ce que les conséquences à long terme de leur négligence soient révélées par l’apparition de crises alimentaires périodiques ou d’un malaise économique plus général. Bien que des programmes aient été lancés de temps à autre pour appuyer la production de cultures alimentaires en réponse à ces crises périodiques, les incitations offertes dans le cadre de politiques visant 54 Le réveil du géant assoupi spécifiquement le secteur agricole n’ont généralement pas permis de compenser les effets défavorables de la surévaluation des taux de change, des mesures de protection du secteur industriel et des barrières commerciales. Après avoir été si longtemps négligée, l’agriculture attire depuis peu de temps l’attention de nombreux décideurs africains, et ce pour de multiples raisons. La démocratisation et la décentralisation permettent aux populations rurales de mieux se faire entendre, et la désillusion du public à l’égard d’un développement dominé par l’État a conduit à accroître l’attrait d’approches axées davantage sur le marché. Par ailleurs, compte tenu de l’expérience de la révolution verte en Asie et du succès remporté par l’agriculture d’exportation en Asie et en Amérique latine, il est devenu plus évident que l’agriculture peut contribuer dans une mesure cruciale à encourager la croissance économique en général. Sous l’égide du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), les chefs d’État africains ont entériné le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) et — dans le cadre de la Déclaration de Maputo en 2004 — se sont officiellement engagés à investir 10 % de leurs budgets publics à l’appui de l’agriculture. L’année suivante, lorsque le G-8 s’est réuni à Gleneagle (Écosse), les principaux partenaires de développement ont réaffirmé leur détermination à promouvoir le développement agricole en général (et le programme du PDDAA en particulier) et se sont engagés à tripler leur appui, ce qui n’a fait qu’accroître les retombées politiques positives du soutien accordé à l’agriculture par les dirigeants africains. Si ces engagements pris par les chefs d’État africains et les dirigeants des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sont encore loin d’avoir été honorés, les impôts frappants ce secteur ont été allégés et les investissements publics dans l’agriculture se sont accrus au cours des dernières années, ce qui témoigne d’un engagement plus résolu qu’il y a encore peu de temps. Notes 1. Pour des raisons de simplicité, la région du Cerrado est souvent désignée par « le Cerrado ». 2. En réalité, bien souvent, ces terres n’étaient pas inoccupées mais occupées par des populations autochtones. 3. Dans le contexte du Brésil, le terme « colonisation » désigne l’installation dans une zone considérée inoccupée de groupes de migrants venus d’autres régions du Brésil. En fait, des populations autochtones vivaient déjà dans ces zones, où la densité de population était toutefois très faible. 4. Schiff et Valdes (1998) présentent des données sur le Brésil couvrant la période 1969 à 1983. Durant cette période, des politiques spécifiquement axées sur le secteur agricole ont soutenu l’économie et accru les termes de l’échange agricole d’environ 10 % (par rapport au niveau auquel ils se Les leçons de l’expérience : l’Asie et l’Amérique latine comparées à l’Afrique subsaharienne 55 seraient établis en l’absence de toute intervention des pouvoirs publics). Toutefois, des distorsions indirectement engendrées par la surévaluation de la monnaie et d’autres politiques macroéconomiques ont, en fait, abaissé les termes de l’échange agricole de 18 %, ce qui réduit à néant l’impact positif des mesures sectorielles. 5. Félix Houphouet-Boigny, qui a pris les rênes du pouvoir en Côte d’Ivoire lors de l’accession du pays à l’indépendance, a été l’exception à cette règle. M. Houphouet-Boigny, planteur de cacao dont la base politique se trouvait dans les zones rurales, a clairement vu que l’agriculture serait un puissant moteur du développement économique du pays. Son gouvernement a mis en œuvre des mesures très favorables au secteur agricole, de sorte que, dans les années 60 et 70, ce dernier s’est développé bien plus rapidement en Côte d’Ivoire que dans la plupart des autres pays africains. CHAPITRE 3 Perspectives de l’agriculture commerciale en Afrique subsaharienne Les agriculteurs africains qui pratiquent une agriculture commerciale ne devraient pas manquer de débouchés, que ce soit au niveau national, régional, sous-régional ou mondial1. Bien que les marchés nationaux et régionaux offrent probablement les meilleures opportunités à court terme car leur proximité les rend plus faciles d’accès, les marchés mondiaux déterminent l’évolution générale et la volatilité des prix et sont donc examinés en premier. Perspectives mondiales des produits agricoles considérés Après une longue période de stabilité relative, les cours internationaux des produits agricoles sont récemment entrés dans une ère nouvelle caractérisée par une extrême volatilité à court terme. L’indice des prix internationaux des produits agricoles en valeur réelle (mesuré sur la base des exportations des pays industriels) a régulièrement diminué pendant environ 25 ans jusqu’en 1988, puis est resté stable au cours des 7 années suivantes. Toutefois, la situation a radicalement changé au début de 2005, lorsque l’indice a amorcé une hausse rapide due à un ensemble de facteurs (notamment l’explosion de la demande de céréales fourragères dans plusieurs grandes économies émergentes et les chocs exercés par des facteurs climatiques sur l’offre dans plusieurs pays exportateurs traditionnels). L’indice a plus que doublé en trois ans à peine et atteint un niveau record en 57 58 Le réveil du géant assoupi juin 2008. Les cours internationaux des produits agricoles se sont ensuite effondrés dans le sillage de la crise financière mondiale, et à la fin de 2008, l’indice était retombé à environ 150 % de son niveau moyen pour la période 1998–2000. Compte tenu des incertitudes qui continuent de peser sur l’économie mondiale, il est difficile d’établir des projections de l’évolution des cours internationaux des produits agricoles. Plutôt que de faire des prévisions hasardeuses, l’étude sur la CCAA a visé à dégager les grandes lignes de l’évolution future probable de ces cours en examinant les tendances à long terme de l’offre et de la demande à l’échelle mondiale. La présente analyse vise à répondre à trois questions importantes pour la compétitivité future de l’agriculture africaine : a) à quels niveaux les cours des produits agricoles sont-ils susceptibles de se stabiliser ? b) la récente période de volatilité extrême des prix va-t-elle se prolonger ? c) dans quelle mesure les politiques commerciales internationales peuvent-elles influencer l’évolution des prix et leur volatilité ? Évolution de la demande mondiale La demande mondiale de produits agricoles dépend essentiellement de trois facteurs : la croissance démographique, la progression des revenus et l’urbanisation. En Afrique subsaharienne, la croissance démographique devrait se poursuivre au rythme d’environ 2 % par an en moyenne dans un avenir prévisible et rester l’un des principaux facteurs d’augmentation de la demande, surtout pour les produits alimentaires de base. Dans toutes les régions en développement, notamment en Afrique subsaharienne, la rapide progression des revenus et l’accélération du phénomène d’urbanisation contribuent à la diversification du régime alimentaire, les aliments de base cédant la place aux produits d’origine animale (et aux céréales fourragères), aux huiles végétales et aux produits maraîchers ; de nouveaux débouchés se créent aussi pour les biocarburants. Les citadins consomment également davantage de produits alimentaires transformés et d’aliments préparés. Selon les modèles établis par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), la consommation alimentaire mondiale augmentera plus lentement à l’avenir. La consommation de céréales, qui s’est accrue de 1,9 % par an sur la période 1969–99, ne progressera que de 0,9 % par an sur la période 2000–30 ; le taux de croissance annuel de la consommation de viande retombera également de 2,9 % à 1,4 %. Ces révisions à la baisse tiennent à deux facteurs : le ralentissement de la croissance démographique mondiale dont le taux reviendra à 0,8 % par an (la croissance démographique sera presque totalement concentrée dans les pays en développement), et le niveau déjà relativement élevé de la consommation d’aliments de base par habitant dans certains des pays en développement les plus peuplés (la Chine, par exemple). Perspectives de l’agriculture commerciale en Afrique subsaharienne 59 Ces projections peuvent ne pas tenir pleinement compte des effets possibles de l’accroissement de la demande de céréales entrant dans la fabrication des biocarburants. Face au vif intérêt récemment manifesté à l’échelle mondiale pour ce type de combustible, encouragé par le niveau élevé des prix et les subventions accordées dans le secteur énergétique, le Brésil, l’Amérique du Nord et l’Union européenne ont réagi en encourageant résolument la production de biocarburants (à base de sucre, de maïs et de colza, respectivement), ce qui a eu un impact sensible sur les cours internationaux de ces produits. Le Brésil est le premier producteur mondial de biocarburants — et le plus efficace — en raison du faible coût de production de la canne à sucre. Si le cours du pétrole se maintient au-dessus de 50 dollars le baril en moyenne, comme l’indiquent la plupart des prévisions mondiales, la production de biocarburants sera rentable et stimulera la demande de matières premières énergétiques (céréales, sucre et graines oléagineuses). Les mesures prises récemment pour accroître la production de biocarburants à base de manioc et d’huile de palme, notamment en Afrique subsaharienne, pourraient également avoir un impact sensible sur les marchés mondiaux de ces deux produits de base. Au-dessus de 50 dollars le baril, les prix agricoles seront, selon toute vraisemblance, de plus en plus étroitement liés à ceux du pétrole et manifesteront la même volatilité (Banque mondiale 2009). Évolution de l’offre mondiale L’offre mondiale de produits alimentaires et agricoles devrait se contracter, et ce pour plusieurs raisons. Manque de ressources en terres et en eau. Dans les régions les plus peuplées du monde, les ressources foncières sont essentiellement épuisées. En Asie, le manque de terres est un problème très grave dans la plupart des pays, et l’urbanisation rapide réduit les superficies pouvant être mises en culture. En Amérique latine, il existe de vastes possibilités d’expansion des terres cultivées, mais dans bien des cas cette expansion entraînera la disparition de zones de forêts sous-tropicales et tropicales et d’autres zones boisées. Dans certaines régions d’Afrique, notamment dans la savane guinéenne, il existe de vastes possibilités d’étendre les superficies cultivées, mais le passage à une agriculture productive nécessite de gros investissements dans les infrastructures et des mesures de lutte contre les maladies humaines et animales. L’eau nécessaire à l’agriculture irriguée deviendra aussi de plus en plus rare dans la plupart des pays en développement, compte tenu des besoins toujours plus grands de la population urbaine et des entreprises. Dans de vastes régions de la Chine, de l’Asie du Sud, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, la production de cultures vivrières irriguées est déjà compromise car les eaux souterraines sont prélevées à un rythme 60 Le réveil du géant assoupi insoutenable. En Afrique et en Amérique latine, il subsiste des ressources en eau qui pourraient être utilisées à des fins agricoles, mais il faudra lourdement investir pour exploiter ce potentiel. Effets incertains du changement climatique. La modification du climat mondial fait peser d’énormes incertitudes sur l’agriculture. Au cours des dernières années, si certaines régions sont devenues plus humides sous l’effet du changement des régimes pluviométriques, d’autres régions de l’Afrique et de l’Asie du Sud sont devenues plus sèches, ce qui a eu de nettes répercussions sur l’agriculture. Le changement climatique entraînera également une plus grande variabilité des précipitations et des températures, ainsi que des sécheresses et des inondations plus graves et plus fréquentes, ce qui amplifiera fortement les effets des chocs climatiques sur l’agriculture. Cette évolution aura un impact négatif en Afrique. Hausse des prix de l’énergie. En dépit des fortes fluctuations enregistrées par les cours du pétrole en 2008, on s’accorde généralement à penser que les prix des combustibles fossiles seront, à l’avenir, supérieurs à leurs niveaux moyens des dix dernières années. Les coûts de production agricole seront donc plus élevés que dans le passé (en raison du renchérissement des combustibles et autres intrants tributaires de l’énergie, comme les engrais) et la demande de biocarburants augmentera, ce qui poussera les prix agricoles à la hausse. Les coûts des intrants et de distribution des produits alimentaires impliquant des transports sur de longues distances se ressentiront aussi de l’accroissement des coûts de transport et de réfrigération. Ralentissement des progrès techniques. La progression des rendements de céréales de base comme le riz, le blé et le maïs s’est ralentie depuis les années 80 dans la plupart des pays en développement, ce qui donne à penser que les gains faciles permis par la révolution verte se sont déjà concrétisés, sauf en Afrique. Le ralentissement des dépenses de R-D dans de nombreux pays, en même temps que le faible taux d’adoption de nouveaux produits biotechnologiques dû aux lacunes réglementaires et à la levée de bouclier des consommateurs, a remis en question le rythme des futurs progrès. Mais l’augmentation des prix alimentaires pourrait facilement inverser ces tendances et il subsiste d’importants écarts de rendement à combler dans les régions d’Afrique qui présentent un potentiel moyen à fort. En conclusion : Des prix en hausse et une plus grande incertitude Quel sera l’effet global, à moyen ou à long terme, de l’augmentation rapide de la demande mondiale de produits agricoles et de la contraction de l’offre ? Les projection effectuées par l’IFPRI à partir du scénario de base de son modèle IMPACTS indiquent une inversion de la tendance à la baisse des prix agricoles observée au cours des dernières décennies. Selon le modèle, les prix se stabiliseront à des niveaux plus élevés qu’au début des années 2000. Bien qu’il reconnaisse l’incertitude dont sont entachées les projections à long Perspectives de l’agriculture commerciale en Afrique subsaharienne 61 terme, l’IFPRI avance que, si les politiques en vigueur ne sont pas modifiées, les prix des céréales augmenteront de 1 % par an jusqu’à la fin de 2050 (Rosegrant et al. 2008). L’accroissement des investissements dans ce secteur — par exemple, l’augmentation des dépenses de R-D agricole — aiderait probablement à atténuer cet impact (Banque mondiale 2009) Ces projections mondiales ne font pas ressortir certains des déséquilibres importants entre l’offre et la demande qui devraient se manifester dans les pays en développement. Selon les projections, les importations nettes de céréales par des pays en développement d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine passeront de 85 à 285 millions de tonnes entre 2000 et 2050, ce qui confortera considérablement la position des pays en développement sur les marchés mondiaux des produits alimentaires, au niveau de l’offre comme de la demande. En Afrique subsaharienne, le creusement du déficit céréalier non couvert par les importations, qui devrait atteindre 75 millions de tonnes par an, présentera une occasion sans précédent de développer les marchés nationaux et régionaux, comme indiqué plus loin. La hausse des prix alimentaires ira probablement de pair avec une volatilité accrue des prix sur les marchés mondiaux en raison des changements de politique de stockage de certains gros exportateurs. D’autre part, le changement climatique risque de perturber de plus en plus souvent la production intérieure. Les pays devront donc prendre des mesures sur plusieurs fronts pour mieux gérer les chocs, notamment en atténuant les risques au niveau de la production (meilleure maîtrise de l’eau ou utilisation de variétés résistant à la sécheresse), en ayant recours aux marchés à terme, par le biais du commerce, voire même des assurances. Figure 3.1 Cours mondiaux des produits agricoles, projections 2005–2018 600 500 Cours mondial de référence, projections (dollars/tonne) Graines oléagineuses 400 Riz 300 Sucre non raffiné 200 Céréales secondaires 100 0 04 06 08 10 12 14 16 18 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 Source : OECD et FAQ 2008. Note : Les données pour 2005 sont les prix réels moyens pour la période 2003–07. 62 Le réveil du géant assoupi Les projections à moyen terme les plus récentes de l’OCDE et de la FAO (2008) cadrent avec celles de l’IFPRI. Selon ces dernières, les prix de tous les produits agricoles seront plus élevés en 2018 que pendant la période 2003–07, sans toutefois atteindre le niveau record de 2008 (figure 3.1). L’augmentation sera la plus forte pour les graines oléagineuses, qui sont utilisées à la fois pour l’alimentation humaine et animale et pour la fabrication de biocarburants. Il s’agit là d’estimations moyennes — l’OCDE et la FAO prévoient aussi une conjoncture plus incertaine et des prix plus volatils à l’avenir. Politiques commerciales internationales Les débouchés mondiaux des produits couverts par l’étude sur la CCAA (manioc, coton, maïs, riz, sucre et soja) dépendent étroitement des politiques commerciales internationales. Le commerce des produits agricoles est assujetti à un enchevêtrement de règles souvent très confus, qui peuvent influencer non seulement le volume des échanges mais aussi les prix acquittés et encaissés. Distorsions et réforme des politiques commerciales Les politiques internationales relatives au commerce agricole sont fréquemment critiquées parce qu’elles sont jugées inéquitables, inefficaces et sources de distorsions. En particulier, il a été démontré que les politiques appliquées de longue date par les pays de l’OCDE ont de nombreux effets préjudiciables pour les pays en développement : • Elles abaissent les prix perçus par les agriculteurs des pays en développement dont les produits sont destinés à l’exportation. Par exemple, selon les estimations de Sumner (2003), la politique suivie par les États-Unis a pour effet de faire baisser les cours mondiaux du coton de 10 % environ et donc de nettement réduire les recettes des producteurs de coton de bon nombre de pays africains où ce produit est une importante culture d’exportation. • Elles réduisent le volume des exportations des pays en développement. Par exemple, selon les estimations de Hassett et Shapiro (2003), les barrières commerciales mises en place par les pays de l’Union européenne ont réduit les exportations de viande des pays africains de quelque 60 % et leurs exportations de céréales de plus de 40 %. • Elles réduisent le coût des importations destinées aux pays en développement, ce qui expose les producteurs de ces pays à une concurrence accrue sur les marchés nationaux et régionaux. Par exemple, dans le cas du riz — produit importé en grande quantité dans toute l’Afrique — les cours internationaux sont inférieurs d’environ 4 % à ce Perspectives de l’agriculture commerciale en Afrique subsaharienne 63 qu’ils seraient si les pays de l’OCDE n’accordaient pas un soutien à leurs producteurs et ne versaient pas de subventions. Les politiques commerciales des pays de l’OCDE ne sont toutefois pas les seules à défavoriser les producteurs des pays en développement. Bon nombre de ces derniers pays imposent également des barrières commerciales et poursuivent des politiques préjudiciables aux producteurs nationaux, en particulier ceux qui produisent des graines oléagineuses, du sucre et du riz. La réforme des politiques qui faussent les échanges était l’un des thèmes des négociations commerciales de Doha, mais la dernière série de négociations s’est soldée par un échec, en grande partie parce qu’il s’est avéré impossible de parvenir à un accord sur la réforme des politiques agricoles. Le programme de réformes demeure cependant important : la libéralisation totale des échanges serait très avantageuse pour les pays en développement qui sont déjà de gros exportateurs de produits agricoles, notamment les pays présentés comme exemples de réussite dans l’étude sur la CCAA, c’est-à-dire le Brésil et la Thaïlande. Ces deux pays sont déjà compétitifs sur les marchés mondiaux, même sans subventions, en dépit d’un contexte commercial international défavorable. Moyennant des politiques et des investissements appropriés, de nombreux pays africains pourraient suivre l’exemple du Brésil et de la Thaïlande. Selon les estimations de Diao et Yanoma (2007), une réforme totale du commerce ferait gagner 5 milliards de dollars par an aux pays africains. La libéralisation des échanges ne serait cependant pas avantageuse pour tous les pays en développement. Ceux qui sont des importateurs nets de produits alimentaires, comme le Nigéria, souffriraient de la légère augmentation des cours des céréales qu’entraînerait probablement une telle ouverture (Banque mondiale 2009). Il convient toutefois de noter que les augmentations de prix consécutives à la libéralisation des échanges indiquées par les projections seraient sans commune mesure avec la flambée récente des prix des céréales causée par la hausse de la demande de produits alimentaires, la contraction de l’offre mondiale et l’essor de la demande de céréales pour la production de biocarburants. Politiques commerciales préférentielles en faveur de l’Afrique Les politiques commerciales internationales ont aidé plusieurs pays africains à s’implanter sur les marchés mondiaux des produits de base. L’accès préférentiel des pays africains aux marchés européen et américain a déjà créé des possibilités d’exportation intéressantes pour les pays faisant l’objet des études de cas. Par exemple, les exportations actuelles de sucre du Mozambique et de la Zambie sont fondamentalement tributaires de l’accès préférentiel de ces pays au marché de l’UE. 64 Le réveil du géant assoupi Les accords commerciaux préférentiels peuvent aider à développer les exportations à court ou moyen terme, mais ils ont un coût d’opportunité car ils mettent les producteurs à l’abri de la concurrence et contribuent à perpétuer des modes de production inefficaces. L’histoire montre que le coût de cette inefficacité finit par être prohibitif et conduit à l’adoption de mesures de libéralisation du marché sur lequel certains producteurs ne sont alors plus compétitifs. Par exemple, dans le nouveau régime de préférences commerciales négocié avec l’Union européenne qui doit entrer prochainement en vigueur, le sucre pourra être importé librement en Europe, mais à un prix moins élevé que par le passé à cause de la modification du régime sucre de l’Union européenne. À ces nouveaux prix, les producteurs de sucre mozambicains et zambiens risquent de ne plus être compétitifs. Barrières non tarifaires Au cours des dernières années, la réglementation phytosanitaire est devenue un obstacle important qui a contribué à freiner les exportations de produits agricoles et agroindustriels des pays en développement. Les normes phytosanitaires ont rapidement gagné en rigueur, souvent sous la pression des consommateurs, mais il faut reconnaître que les organismes de réglementation du commerce ont aussi la possibilité d’utiliser ces normes à la place de barrières tarifaires pour freiner les importations (Banque mondiale 2005a). Pour ne pas être évincés de l’arène commerciale internationale, les pays africains n’auront guère d’autre choix que de participer aux processus de normalisation et aux travaux des organismes responsables, tout en renforçant les capacités de leurs secteurs d’exportation pour leur permettre de se conformer à une réglementation en rapide évolution. Les petits pays se heurtent à des difficultés particulières dans ce domaine car les coûts fixes associés aux services requis seront relativement plus lourds pour eux. La collaboration régionale et l’adoption de normes communes faciliteront le respect de ces normes à un coût abordable. Marchés nationaux et régionaux Bien que les prix de la plupart des produits agricoles soient essentiellement déterminés sur les marchés mondiaux, ce sont probablement les marchés nationaux et régionaux qui offrent les possibilités les plus intéressantes pour les producteurs africains, du moins à court ou moyen terme. À cet égard, la situation actuelle des producteurs africains n’est pas comparable à celle dans laquelle se trouvaient les producteurs du Brésil et de la Thaïlande lorsque ces pays ont commercialisé leur secteur agricole, et ce pour deux raisons. Tableau 3.1 Perspectives commerciales pour les produits couverts par l’étude sur la CCAA Mozambique Nigéria Zambie Valeur moyenne Taux de croissance Valeur moyenne Taux de croissance Valeur moyenne Taux de croissance (2004–06) (1996–2006) (2004–06) (1996–2006) (2004–06) (1996–2006) MAÏS Superficie (milliers d’hectares) 1 494 2,7 4 314 1,1 843 –2,3 Rendement (tonnes/ha) 1,1 1,1 1,6 3,5 1,6 1,6 Production (milliers de tonnes) 1 607 3,9 7,112 4,7 1 334 –0,8 Échanges nets (milliers de tonnes) 16 — 57 — 182 — Importations/Consommation (%) 7,0 — 0,8 — 0,8 — Perspectives commerciales Hausse de la demande pour la Après une croissance rapide dans les Importante culture vivrière, dont la consommation humaine et animale. années 80, la demande alimentaire s’est demande est tirée par la croissance Bonnes possibilités d’échanges tassée mais la demande fourragère de la population et des revenus. régionaux. présente un fort potentiel de croissance. Fort potentiel de croissance sur les marchés régionaux. RIZ Superficie (milliers d’hectares) 203 1,9 2 410 1,7 13 1,4 Rendement (tonnes/ha) 1,0 –0,4 1,6 0,9 1,0 0,8 Production (milliers de tonnes) 201 1,5 3 608 2,7 12,0 2,2 Échanges nets (milliers de tonnes) –372 — –1 583 — –21 — Importations/Consommation (%) 71,7 — 41,7 — 72 — Perspectives commerciales Fort potentiel de substitution aux L’un des premiers importateurs mondiaux. Culture relativement secondaire, importations. Marché en expansion Demande en hausse : l’urbanisation crée mais possibilités de commercialisa- grâce à l’urbanisation. un marché quasiment illimité. tion sur les marchés régionaux. (suite) 65 66 Tableau 3.1 Perspectives commerciales pour les produits couverts par l’étude sur la CCAA (Suite) Mozambique Nigéria Zambie Valeur moyenne Taux de croissance Valeur moyenne Taux de croissance Valeur moyenne Taux de croissance (2004–06) (1996–2006) (2004–06) (1996–2006) (2004–06) (1996–2006) MANIOC Superficie (milliers d’hectares) 997 0,8 3 870 2,3 177 1,8 Rendement (tonnes/ha) 7,4 2,7 12,1 2,4 5,4 –0,6 Production (milliers de tonnes) 7 425 3,5 46 817 4,7 948 1,2 Échanges nets (milliers de tonnes) 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 Importations/Consommation (%) 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 Perspectives commerciales Marché intérieur de taille limitée. Principale culture vivrière, mais faible L’un des aliments de base qui connaît la Possibilités d’exportation sur les marchés élasticité-revenu de la demande. Bonnes plus forte croissance (substitut du maïs). régionaux et de création de nouveaux possibilités pour l’alimentation du bétail La demande dépend de la politique dans marchés locaux (par exemple, substitut et autres utilisations. le secteur du maïs et du développement à la farine de blé). du secteur de la transformation. SOJA Superficie (milliers d’hectares) — — 632 1,3 11 –0,1 Rendement (tonnes/ha) — — 0,7 0,6 1,2 –1,4 Production (milliers de tonnes) — — 467 2,0 12,5 –1,5 Échanges nets (milliers de tonnes) — — 0,0 — -5,0 — Importations/Consommation (%) — — 0,0 — 28,3 — Perspectives commerciales Hausse de la demande pour l’alimentation Hausse de la demande pour l’alimentation Marché petit mais en expansion pour l’alimen- du bétail. humaine et animale. tation du bétail, actuellement desservi par les grandes entreprises agro-industrielles. Possibili- tés d’exportation sur les marchés régionaux. SUCRE Superficie (milliers d’hectares) 177 2,9 48 2,1 24 0,0 Rendement (tonnes/ha) 14,7 0,0 21,1 0,0 104,2 0,0 Production (milliers de tonnes) 2 600 3,0 1 015 2,1 2 500 0,0 Échanges nets (milliers de tonnes) 280 — 60 — 304 — Importations/Consommation (%) 0,0 — 0,0 — 0,0 — Perspectives commerciales Possibilités d’expansion sur le marché Énorme potentiel de substitution La réforme de la politique sucrière européen, après la réforme de la politique aux importations, à condition d’être de l’Union européenne élargira les sucrière. compétitif. débouchés mais réduira les prix préférentiels. Bonnes perspectives sur les marchés régionaux, et éventuellement dans le secteur des biocarburants. COTON Superficie (milliers d’hectares) 190 –4,7 390 3,1 185 1,7 Rendement (tonnes/ha) 0,2 4,1 0,2 0,7 0,2 –1,2 Production (milliers de tonnes) 28,7 –0,9 84 3,9 36 0,5 Échanges nets (milliers de tonnes) 29 — 25 — 33 — Importations/Consommation (%) 0,0 — 23,6 — 0,0 — Perspectives commerciales Exportations en hausse et excellent La demande intérieure dépend de Secteur en pleine expansion représentant potentiel. la redynamisation du secteur textile. 40 % des exportations agricoles. Les répercussions de la réforme du commerce des produits textiles sur l’AGOA risquent de réduire la compétitivité. Source : FAOSTAT (http://faostat.fao.org/), consulté le 15/12/2008. Note : ha = hectares ; — = indisponible ; n.a.= non applicable ; AGOA = African Growth and Opportunity Act (loi des États-Unis en faveur de la croissance de l’Afrique et de son accès aux marchés) 67 68 Le réveil du géant assoupi Premièrement, les marchés nationaux et régionaux des produits alimentaires de base non seulement sont énormes en Afrique, mais ils connaissent aussi une expansion rapide due à la croissance démographique et à l’augmentation des revenus. Selon les projections, la demande d’aliments de base en Afrique se chiffrera à 100 milliards de dollars en 2015, soit deux fois plus qu’en 2005. En outre, la part de la production commercialisée augmentera au fur et à mesure de l’urbanisation du continent (Diao et Yanoma 2007). Deuxièmement, les capacités de production alimentaire ont diminué dans de nombreux pays. Bien que cette tendance se soit récemment inversée dans quelques cas, la plupart des pays africains sont de plus en plus tributaires des importations alimentaires, ce qui assure de vastes débouchés pour les cultures vivrières susceptibles de remplacer les importations. Les perspectives commerciales des trois pays africains couverts par l’étude sur la CCAA sont résumées au tableau 3.1. Sur les six produits étudiés, seul le coton est principalement cultivé pour l’exportation sur les marchés mondiaux. L’Afrique subsaharienne est un importateur net de riz, de maïs et de soja. Le sucre est un cas particulier : l’Afrique exporte pour près de 1 milliard de dollars de sucre par an, mais elle en importe aussi pour 825 millions de dollars par an, du fait des concessions spéciales accordées par l’Union européenne aux exportateurs de sucre africains. Bien que les mêmes plantes vivrières soient souvent cultivées dans de vastes régions du continent africain (par exemple, le maïs en Afrique orientale et australe, les tubercules en Afrique occidentale et centrale, et le sorgho et le mil dans les pays du Sahel), il existe de nettes différences entre pays en termes d’avantages comparatifs, ce qui crée des possibilités d’échanges régionaux. En se basant sur l’avantage comparatif révélé, Diao et Yanoma (2007) ont recensé 29 produits alimentaires importés et exportés en grandes quantités qui présentent un potentiel d’échanges régionaux. Le commerce sous-régional pourrait aussi aider à atténuer l’impact des sécheresses sur la production et les prix aux niveaux national et sous-régional en raison de la faible corrélation qui existe entre la production et le régime des précipitations, même à l’intérieur d’une sous-région (Badiane et Resnick 2005). Outre les autres avantages que présentent les marchés nationaux et régionaux, les exigences de qualité sont souvent moins rigoureuses sur ces derniers que sur les marchés internationaux. Malgré l’attrait du commerce régional, les mesures prises pour développer durablement les échanges intra-africains de cultures vivrières n’ont donné que des résultats limités. Le commerce intrarégional des cultures vivrières se chiffre à seulement 800 millions de dollars par an, comparé à 6 milliards de dollars d’importations de produits alimentaires. Les échanges importants se font avec les autres continents. Le maïs est le seul des six produits agricoles étudiés à faire l’objet d’importants échanges intrarégionaux. Perspectives de l’agriculture commerciale en Afrique subsaharienne 69 Les États africains sont conscients de l’importance du commerce régional. La libéralisation des échanges intrarégionaux est l’un des principaux objectifs du NEPAD et des organisations sous-régionales. Mais il subsiste de graves obstacles au commerce intrarégional des cultures vivrières et de leurs facteurs de production (semences et engrais, par exemple) : • Production dispersée, grandes distances entre les centres de production et les centres de consommation et problèmes d’infrastructure, notamment manque de coordination des connexions entre les réseaux de transport nationaux • Obstacles institutionnels (par exemple, absence de facilités de crédit, mauvais fonctionnement des systèmes d’information sur les marchés, différentes normes de sécurité et de qualité des produits alimentaires) • Coût élevé des transactions transfrontières, en raison des formalités à accomplir et de la recherche de rentes de situation • Comportement imprévisible des pouvoirs publics, qui interdisent les exportations chaque fois qu’ils craignent des pénuries alimentaires sur le marché intérieur. Peu de pays sont disposés à prendre des engagements crédibles à long terme pour lever les obstacles au commerce transfrontières des produits alimentaires tant qu’ils n’auront pas l’assurance que la région aura toujours de quoi subvenir à ses besoins alimentaires, en dehors des années catastrophiques. Bien que les marchés nationaux et sous-régionaux des cultures vivrières semblent les plus prometteurs à court ou moyen terme, les possibilités d’accès des pays africains aux marchés internationaux existent déjà et iront en s’accroissant. Mais lorsqu’on veut apprécier les perspectives d’exportation dans ce domaine, il est bon de rappeler que, jusqu’à présent, chaque fois que des pays africains ont réussi à exporter leurs produits agricoles, il s’agissait pratiquement toujours de produits à forte valeur économique et relativement non périssables, comme le cacao, le café, le coton, le tabac, le thé, l’arachide, la noix de cajou, le palmier à huile et le caoutchouc. La plupart de ces produits sont généralement cultivés dans des régions peu étendues qui présentent des caractéristiques agroclimatiques particulières, ce qui limite l’offre mondiale. Dans bien des cas, leur production ou leur transformation demande beaucoup de travail, ce qui donne un net avantage aux producteurs africains qui possèdent une main-d’œuvre abondante et bon marché. En revanche, aucun pays africain n’a véritablement réussi à exporter des produits bruts ayant une faible valeur économique, tels que céréales, légumineuses, graines oléagineuses et racines et tubercules. Ces produits nécessitent généralement des conditions agroclimatiques moins contraignantes et peuvent donc être cultivés dans différentes régions du monde. En outre, comme leur production peut souvent être mécanisée, ils sont économiquement attractifs même dans les régions où la main-d’œuvre 70 Le réveil du géant assoupi peut être insuffisante. Alors que bon nombre de pays africains pourraient soutenir la concurrence des importations de produits alimentaires parce que les frais de transport et de manutention alourdissent souvent le coût de ces produits rendus à destination, ces mêmes pays ont généralement d’énormes difficultés à franchir le cap pour passer d’une production de substitution aux importations à une production pour l’exportation compétitive sur les marchés internationaux. L’amélioration de la compétitivité des pays africains dans le domaine de la production de denrées de base pourrait contribuer, indirectement, à accroître la compétitivité de la production de produits alimentaires et non alimentaires parce qu’elle permettrait de réduire les problèmes que pose la sécurité alimentaire, tant au niveau des pouvoirs publics qu’à celui des producteurs. À long terme, compte tenu des perspectives plus favorables sur les marchés mondiaux, les pays examinés dans l’étude sur la CCAA pourraient tirer parti de leurs ressources en terres et en eau relativement abondantes et de leur faible densité démographique pour devenir d’importants exportateurs sur les marchés mondiaux de produits comme le soja, le sucre, le coton et le riz. Note 1. Ce chapitre s’inspire largement des travaux de la Banque mondiale (2007) et de Rosegrant et al. (2006). CHAPITRE 4 Analyse de compétitivité pour six produits de base Une analyse de filière a été réalisée dans les pays couverts par l’étude sur la CCAA afin de produire un ensemble d’indicateurs quantitatifs permettant de procéder à des comparaisons entre pays. Cette méthode permet également de repérer les domaines dans lesquels il serait possible d’améliorer la compétitivité internationale en réduisant les coûts ou en augmentant la productivité. L’analyse a été conduite au moyen d’une méthode originale utilisant un logiciel de calcul pour établir des indicateurs standardisés (pour plus de détails, voir Keyser [2006]). Elle a été effectuée, en Afrique, pour le Mozambique, le Nigéria et la Zambie, mais aussi, afin de permettre des comparaisons internationales, pour le Brésil et la Thaïlande. Comme l’étude sur la CCAA, l’analyse de filière a porté sur six produits de base (le manioc, le coton, le maïs, le riz, le soja et le sucre) et trois types d’exploitations (les exploitations familiales, les exploitations commerciales émergentes et les grandes exploitations commerciales). Ces trois catégories ont été définies non pas par rapport à la taille de l’exploitation ou à son statut juridique, mais en fonction du mode de gestion et de la main-d’œuvre. Dans tous les cas, on s’est intéressé à l’agriculture commerciale, par opposi- tion à l’agriculture de subsistance. • Les exploitations familiales (FAM) sont les exploitations qui sont gérées par les membres de la famille. Ces exploitations n’emploient pas d’ouvriers agricoles à plein temps de manière permanente, mais elles 71 72 Le réveil du géant assoupi peuvent embaucher temporairement des travailleurs saisonniers à temps plein ou partiel pendant la pleine période de production. • Les exploitations commerciales émergentes (ECE) sont aussi des exploitations gérées par des membres de la famille, mais elles emploient généralement un à trois ouvriers agricoles à temps plein. Du personnel supplémentaire peut aussi être recruté pendant la pleine période de production. • Les grandes exploitations commerciales (GEC) sont gérées par des professionnels qui peuvent être soit un membre de la famille, soit un administrateur professionnel recruté à cet effet. Ces exploitations ont au minimum trois ouvriers agricoles employés à temps plein, et embauchent du personnel supplémentaire pendant la pleine période de production. L’analyse de filière a produit une série d’indicateurs de performances clés qui fournissent des indications importantes sur la compétitivité internationale de chaque pays pour les différents produits de base étudiés. Ces indicateurs, présentés à la figure 4.1 et aux tableaux 4.1 à 4.6, sont les suivants : • Rendement moyen = rendement moyen (en kilogrammes/hectare) obtenu avec les pratiques de production recommandées et avec des niveaux d’intrants économiquement efficients. Le rendement moyen est un bon indicateur de la productivité physique des exploitations. • Valeur de la production (VP) à la sortie de l’exploitation = valeur finan- cière des intrants d’origine nationale ou étrangère par unité de production, mesurée à l’exploitation agricole. La valeur à la sortie de l’exploitation constitue un bon indicateur du coût unitaire de production du produit de base non transformé et est une valeur de référence importante pour les comparaisons internationales. Le coût unitaire de production est un meilleur indicateur que le rendement pour juger de la compétitivité car un rendement élevé n’est pas toujours synonyme de production à faible coût : il est parfois le résultat d’une grande consommation d’intrants onéreux. Les facteurs qui influent le plus sur la valeur de la production à la sortie de l’exploitation sont précisément ceux qui déterminent les avantages comparatifs : a) les conditions agroclimatiques dans la zone de production ; b) les investissements préalables dans les technologies et les modifications apportées au réservoir de ressources naturelles au moyen d’infrastructures ; et c) les institutions qui créent les incitations auxquelles les producteurs réagissent. • Coefficient de compétitivité intérieure = ratio de la VP au principal point de consommation intérieur et du prix paritaire à l’importation au principal point de consommation intérieur. • Coefficient de compétitivité extérieure = ratio de la VP à la frontière et du prix paritaire à l’exportation à la frontière. Ces coefficients de compétitivité peuvent être interprétés d’une manière très similaire aux Figure 4.1 Décomposition des valeurs de la production à la sortie de l’exploitation 100 a) Manioc b) Coton c) Maïs valeur de la production (dollars/tonne) 500 valeur de la production (dollars/tonne) valeur de la production (dollars/tonne) 200 90 450 80 400 70 350 150 60 300 50 250 100 40 200 30 150 50 20 100 10 50 0 0 0 FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE GEC ECE FAM ECE FAM FAM ECE GEC GEC FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE GEC GEC GEC e ria e e e ria e il e ria e il e és és qu bi nd qu bi qu bi nd gé gé gé m m m Br Br bi bi bi la la Ni Ni Ni Za Za Za aï aï am am am Th Th oz oz oz M M M semences engrais produits chim. semences engrais produits chim. semences engrais produits chim. mo embauchée mo familiale autres mo embauchée mo familiale autres mo embauchée mo familiale autres d) Riz e) Soja f) Sucre 250 valeur de la production (dollars/tonne) valeur de la production (dollars/tonne) valeur de la production (dollars/tonne) 250 25 200 20 200 150 15 150 100 100 10 50 50 5 0 0 0 FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE ECE FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE GEC GEC FAM GEC GEC Domai- 1e 2e 3e 4e 5e ECE (irr) nes e ria e il ria e il e ria e e e és és qu bi bi qu bi nd nd gé gé gé m m Br Br m bi bi la la Ni Ni Za Za Ni Za am aï aï am Th Th oz oz M M semences engrais produits chim. semences engrais produits chim. semences engrais produits chim. mo embauchée mo familiale autres mo embauchée mo familiale autres mo embauchée mo familiale autres machines 73 Source : calculs des auteurs. Note : FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC = grandes exploitations commerciales. Domaines = grands domaines agricoles (Zambie uniquement). MO = main d’œuvre. irr = irrigué. Tableau 4.1 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse de filière : Manioc (2007) 74 Mozambique Nigéria Zambie Thaïlande FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE GEC ECE Point de consommation intérieur Nacala Ibadan Kasama Khon Kaen Port d’entrée (importations) Durban Lagos Durban Bangkok Marché international d’origine (importations) via Rotterdam via Rotterdam via Rotterdam ports US du golfe du Mexique Rendements intérieurs (t/ha) 1,3 2,5 3,0 3,6 5,0 4,0 4,5 12,0 16,7 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 26 22 86 44 40 34 42 63 26 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 103 107 96 138 152 94 87 68 64 VP au point de consommation (USD/t) 129 129 183 183 192 128 128 131 90 Prix paritaire à l’importation au point 351 321 501 276 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du port au point 50 40 200 15 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du marché international 140 120 140 100 au port (USD/t) Prix de référence international (USD/t) 161 161 161 161 Coefficient de compétitivité intérieure 0,37 0,37 0,57 0,57 0,60 0,26 0,26 0,26 0,33 Point de production/transformation intérieur Nacala Ibadan Kasama Khon Kaen Port de sortie (exportations) Durban Lagos Durban Bangkok Marché international de destination (exportations) Rotterdam Rotterdam Rotterdam Rotterdam Rendements intérieurs (t/ha) 1,3 2,5 3,0 3,6 5,0 4,0 4,5 12,0 16,7 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 26 22 86 44 40 34 42 63 26 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 103 107 96 138 152 94 87 68 64 Coûts logistiques du point de collecte au 50 40 200 15 port (USD/t) VP au port de sortie (USD/t) 179 179 223 223 232 328 328 331 105 Prix paritaire à l’exportation au port (USD/t) 21 41 21 61 Coûts logistiques du port au marché 140 120 140 100 international (US$/t) Prix de référence international (USD/t) 161 161 161 161 Coefficient de compétitivité extérieure 8,5 8,5 5,4 5,4 5,7 15,6 15,6 15,8 1,7 Source : documents de travail de l’étude sur la CCAA. Note : t = tonne(s) métrique(s). ha = hectare(s). FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC= grandes exploitations commerciales. VP = Valeur de la production Tableau 4.2 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Coton (2007) Mozambique Nigéria Zambie Brésil FAM ECE FAM FAM ECE GEC (irr) GEC Point de consommation intérieur Nacala Rotterdam Katete Lusaka Santos Port d’entrée (importations) Durban Lagos Durban Santos Marché international d’origine (importations) via Rotterdam via Rotterdam via Rotterdam via Rotterdam Rendements intérieurs (t/ha) 0,6 0,8 0,9 0,8 1,3 3,0 3,8 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 120 84 255 182 234 409 447 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 921 957 843 865 813 936 919 VP au point de consommation (USD/t) 1 041 1 041 1 098 1 047 1 047 1 345 1 366 Prix paritaire à l’importation au point 1 638 1 530 1 772 1 722 1 465 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du port au point 60 — 194 144 — de consommation (USD/t) Coûts logistiques du marché international 168 120 168 168 55 au port (USD/t) Prix de référence international (USD/t) 1 410 1 410 1 410 1 410 Coefficient de compétitivité intérieure 0,64 0,64 0,72 0,59 0,59 0,78 0,93 Point de production/transformation intérieur Nacala Rotterdam Katete Lusaka Santos Port de sortie (exportations) Durban Lagos Durban Santos Marché international de destination Rotterdam Rotterdam Rotterdam Rotterdam (exportations) Rendements intérieurs (t/ha) 0,6 0,8 0,9 0,8 1,3 3,0 3,8 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 120 84 255 182 234 409 447 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 921 957 843 865 813 936 919 Coûts logistiques du point de collecte 60 — 194 144 — au port (USD/t) VP au port de sortie (USD/t) 1 101 1 101 1 098 1 241 1 241 1 489 1 366 Prix paritaire à l’exportation au port (USD/t) 1 242 1 008 1 270 1 313 1 355 Coûts logistiques du port au marché 168 120 168 168 55 international (US$/t) Prix de référence international (USD/t) 1 410 1 410 1 410 1,410 Coefficient de compétitivité extérieure 0,89 0,89 1,09 0,98 0,98 1,13 1,01 Source : documents de travail de l’étude sur la CCAA. 75 Note : t = tonne(s). ha = hectare(s). FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC= grandes exploitations commerciales. — indisponible. irr.= irrigué. VP = Valeur de la production Tableau 4.3 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse de filière : Maïs (2007) 76 Mozambique Nigéria Zambie Brésil Thaïlande FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE GEC GEC ECE Point de consommation intérieur Beira Lagos Kapiri Lusaka Santos Bangkok Port d’entrée (importations) Maputo Lagos Lusaka Santos Bangkok Marché international d’origine (importations) Randfontein via Rotterdam Randfontein via Rotterdam via Rotterdam Rendements intérieurs (t/ha) 0,75 2,5 1,3 2,5 5 2,75 3,9 5,8 4,5 3,7 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 51 54 151 130 105 136 152 177 101 79 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 63 60 122 143 168 9 67 54 75 18 VP au point de consommation (USD/t) 114 114 273 273 273 145 219 230 175 97 Prix paritaire à l’importation au point de 314 248 355 369 183 228 consommation (USD/t) Coûts logistiques du port au point 40 — 25 — — — de consommation (USD/t) Coûts logistiques du marché international 15 120 110 110 55 100 au port (USD/t) Prix de référence international (USD/t) 259 128 220 259 128 128 Coefficient de compétitivité intérieure 0,36 1,10 0,41 0,62 0,65 0,96 0,43 Point de production/transformation intérieur Beira Lagos Kapiri Lusaka Santos Bangkok Port de sortie (exportations) Maputo Lagos Lusaka Santos Bangkok Marché international de destination Randfontein Rotterdam Randfontein Rotterdam Rotterdam (exportations) Rendements intérieurs (t/ha) 0,75 2,5 1,3 2,5 5 2,75 3,9 5,8 4,5 3,7 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 51 54 151 130 105 136 152 177 101 79 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 63 60 122 143 168 9 67 54 75 18 Coûts logistiques du point de collecte 40 — 25 — — — — au port (USD/t) VP au port de sortie (USD/t) 154 154 273 273 273 170 219 230 175 97 Prix paritaire à l’exportation au port (USD/t) 244 8 110 149 73 28 Coûts logistiques du port au marché 15 120 110 110 55 100 international (US$/t) Prix de référence international (USD/t) 259 128 220 259 128 128 Coefficient de compétitivité extérieure 0,6 0,6 34,1 34,1 34,1 1,5 1,5 1,5 2,40 3,5 Source : documents de travail de l’étude sur la CCAA. Note : t = tonne(s) métrique(s). ha = hectare(s). FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC= grandes exploitations commerciales. — indisponible. irr.= irrigué. VP = Valeur de la production Tableau 4.4 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Riz (2007) Mozambique Nigéria Zambie Thaïlande FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE ECE Point de consommation intérieur Beira Ibadan Lusaka Bangkok Port d’entrée (importations) Durban Lagos Durban Bangkok Marché international d’origine (importations) Bangkok Bangkok Bangkok California Rendements intérieurs (t/ha) 1,0 3,0 0,9 1,8 2,5 1,5 2,0 2,8 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 51 47 130 168 183 129 174 192 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 282 286 548 511 495 362 335 124 VP au point de consommation (USD/t) 332 332 678 678 678 491 509 316 Prix paritaire à l’importation au point 433 459 503 645 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du port au point 50 40 120 — de consommation (USD/t) Coûts logistiques du marché international 64 100 64 120 au port (USD/t) Prix de référence international (USD/t) 319 319 319 525 Coefficient de compétitivité intérieure 0,77 1,48 0,98 1,01 0,49 Point de production/transformation intérieur Beira Ibadan Lusaka Khon Kaen Port de sortie (exportations) Durban Lagos Durban Bangkok Marché international de destination Bangkok Bangkok Bangkok Rotterdam (exportations) Rendements intérieurs (t/ha) 1,0 3,0 0,9 1,8 2,5 1,5 2,0 2,8 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 51 47 130 168 183 129 174 192 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 282 286 548 511 495 362 335 124 Coûts logistiques du point de collecte au 50 40 120 — port (USD/t) VP au port de sortie (USD/t) 382 382 718 718 718 611 629 316 Prix paritaire à l’exportation au port (USD/t) 255 219 255 400 Coûts logistiques du port au marché 64 100 64 100 international (US$/t) Prix de référence international (USD/t) 319 319 319 500 Coefficient de compétitivité extérieure 0,50 1,50 3,28 3,28 3,28 2,40 2,47 0,79 77 Source : documents de travail de l’étude sur la CCAA. Note : t = tonne(s) métrique(s). ha = hectare(s). FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC= grandes exploitations commerciales. — indisponible. VP = Valeur de la production Tableau 4.5 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Soja (2007) 78 Mozambique Nigéria Zambie Brésil FAM ECE FAM ECE GEC FAM ECE GEC GEC Point de consommation intérieur Namialo Ibadan Lusaka Santos Port d’entrée (importations) Durban Lagos Durban Santos Marché international d’origine (importations) via Rotterdam via Rotterdam via Rotterdam ports US du golfe du Mexique Rendements intérieurs (t/ha) 0,5 1,6 1 1,5 2 2 2,5 3,5 2,7 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 119 58 176 154 208 91 120 206 145 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 143 204 81 103 49 115 115 61 50 VP au point de consommation (USD/t) 262 262 258 258 258 206 235 268 195 Prix paritaire à l’importation au point 451 414 514 254 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du port au point 57 40 120 — de consommation (USD/t) Coûts logistiques du marché international 140 120 140 40 au port (USD/t) Prix de référence international (USD/t) 254 254 254 214 Coefficient de compétitivité intérieure 0,58 0,62 0,40 0,46 0,52 0,77 Point de production/transformation intérieur Namialo Ibadan Lusaka Santos Port de sortie (exportations) Durban Lagos Durban Santos Marché international de destination Rotterdam Rotterdam Rotterdam Rotterdam (exportations) Rendements intérieurs (t/ha) 0,5 1,6 1 1,5 2 2 2,5 3,5 2,7 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 119 58 176 154 208 91 120 206 145 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 143 204 81 103 49 115 115 61 50 Coûts logistiques du point de collecte au 57 40 120 — port (USD/t) VP au port de sortie (USD/t) 319 319 298 298 298 326 355 388 195 Prix paritaire à l’exportation au port (USD/t) 114 134 114 199 Coûts logistiques du port au marché 140 120 140 55 international (US$/t) Prix de référence international (USD/t) 254 254 254 254 Coefficient de compétitivité extérieure 2,80 2,22 2,86 3,11 3,40 0,98 Source : documents de travail de l’étude sur la CCAA. Note : t = tonne(s) métrique(s). ha = hectare(s). FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC= grandes exploitations commerciales. — indisponible. VP = Valeur de la production Tableau 4.6 Indicateurs de compétitivité produits par l’analyse des filières : Sucre (2007) Nigéria Zambie Brésil Thaïlande FAM GEC GEC Domaine GEC (première à cinquième récolte) ECE Point de consommation intérieur Numan Nakambala Tangará da Serra Khon Kaen Port d’entrée (importations) Lagos Durban Santos Bangkok Marché international d’origine (importations) New York Santos Santos New York Rendements intérieurs (t/ha) 35 50 110 116 114 96 82 75 74 63 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 17 14 18 23 18 15 17 18 17 13 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 261 189 221 245 160 143 154 163 159 215 VP au point de consommation (USD/t) 278 203 239 268 178 159 171 181 176 227 Prix paritaire à l’importation au point 461 438 246 401 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du port au point 60 72 — 15 de consommation (USD/t) Coûts logistiques du marché international 155 120 — 140 au port (USD/t) Prix de référence international (USD/t) 246 246 246 246 Coefficient de compétitivité intérieure 0,60 0,44 0,55 0,61 0,70 0,57 Point de production/transformation intérieur Numan Nakambala Tangará da Serra Khon Kaen Port de sortie (exportations) Lagos Durban Santos Bangkok Marché international de destination New York Santos Santos New York (exportations) Rendements intérieurs (t/ha) 35 50 110 116 114 96 82 75 74 63 VP à la sortie de l’exploitation (USD/t) 17 14 18 23 18 15 17 18 17 13 Coûts de collecte et de transformation (USD/t) 261 189 221 245 160 143 154 163 159 215 Coûts logistiques du point de collecte au 60 72 — 15 port (USD/t) VP au port de sortie (USD/t) 338 263 311 340 178 159 171 181 176 242 Prix paritaire à l’exportation au port (USD/t) 91 126 246 176 Coûts logistiques du port au marché 155 120 — 70 international (US$/t) Prix de référence international (USD/t) 246 246 246 246 Coefficient de compétitivité extérieure 3,72 2,89 2,47 2,70 0,70 1,38 79 Source : documents de travail de l’étude sur la CCAA. Note : t = tonne(s) métrique(s). ha = hectare(s). FAM = exploitations familiales. ECE = exploitations commerciales émergentes. GEC= grandes exploitations commerciales. — indisponible. VP = Valeur de la production 80 Le réveil du géant assoupi ratios des coûts en ressources utilisés dans les analyses des coûts en ressources intérieures (CRI). Un coefficient de compétitivité inférieur à 1 indique que le pays produit la denrée de base considérée de manière compétitive. Un coefficient de compétitivité supérieur à 1 indique que le pays ne produit pas la denrée de base de manière compétitive. Avant de présenter les résultats de l’analyse de filière, il convient d’en poser les limites. Trois points méritent d’être mentionnés. Tout d’abord, les études de cas sur les pays ont été préparées par différentes équipes d’analystes, ce qui a un impact sur la comparabilité des résultats. Bien que les tendances générales et les principales conclusions sur les coûts, les revenus et la compétitivité soient jugées fiables, les résultats individuels sont entachés d’une certaine marge d’erreur. Ensuite, les comparaisons internationales de la compétitivité n’ont qu’un intérêt limité si elles ne couvrent pas les mêmes produits de base aux mêmes endroits. Dans la mesure où peu de pays de l’étude sur la CCAA sont actuellement en concurrence directe les uns avec les autres sur les mêmes marchés, l’analyse des filières réalisée dans le cadre de l’étude sur la CCAA a forcément nécessité de partir de scénarios hypothétiques qui ne sont pas actuellement observables. Enfin, à une époque où les cours mondiaux des produits de base changent très vite, des résultats empiriques peuvent souvent cesser d’être d’actualité, parfois dans des délais très courts. Les synthèses présentées ci-dessous ont été établies sur la base des prix enregistrés vers le milieu de 2007, lorsque les travaux empiriques de l’étude sur la CCAA ont été effectués. Les prix futurs pouvant être plus favorables qu’en 2007 (voir plus haut), les estimations de la compétitivité sont probablement en deçà de la réalité. Manioc Au Mozambique et en Zambie, le manioc est une culture vivrière tradition- nelle. Il est apprécié pour sa résistance à la sécheresse et sa tolérance aux sols pauvres, et souvent cultivé pour diversifier la production dans les exploita- tions principalement maïsicoles. La quasi-totalité du manioc produit au Mozambique et en Zambie est consommée sans subir de traitement industriel ou après un traitement limité. Au Nigéria, premier producteur mondial de manioc, la situation est très différente. Le manioc est l’une des principales denrées de base dans certaines régions du pays, c’est pourquoi les niveaux de consommation par habitant sont plus élevés qu’au Mozambique et en Zambie. Le manioc est consommé soit frais, soit, le plus souvent, transformé en une semoule appelée gari. Outre la demande alimentaire, il existe également une forte demande pour des produits industriels fabriqués à partir du manioc, comme les amidons employés dans le secteur textile, les aliments transformés et les boissons, les produits pharmaceutiques et cosmétiques, et les pâtes à papier. On estime Analyse de compétitivité pour six produits de base 81 à plus de 40 millions de tonnes la quantité de manioc nécessaire pour satisfaire la demande intérieure totale au Nigéria. La figure 4.1 a) présente les valeurs de production du manioc produit dans les trois pays africains étudiés ainsi qu’en Thaïlande, qui est le pays retenu pour les comparaisons. Deux résultats se dégagent : Premièrement, le manioc peut être produit dans les trois pays africains étudiés à un coût qui n’est pas considérablement plus élevé qu’en Thaïlande ; or celle-ci exporte de longue date du manioc de manière profitable (les VP à la sortie de l’exploitation sont en fait plus faibles au Mozambique qu’en Thaïlande). Deuxièmement, bien que de nombreux analystes aient souligné l’immense potentiel de la culture du manioc à petite échelle au Nigéria, lorsqu’on affecte à la main-d’œuvre familiale un coût équivalant à 60 % de la rémunération de la main-d’œuvre embauchée, la production de manioc à petite échelle effectuée suivant des pratiques de production traditionnelles à forte intensité de main-d’œuvre et à faible rendement, semble beaucoup moins intéressante que la production à grande ou moyenne échelle. L’analyse de compétitivité pour le manioc présentée au tableau 4.1 montre que le manioc produit dans les trois pays africains est extrêmement compétitif sur les marchés intérieurs, mais ne l’est pas sur les marchés internationaux1. Ce résultat n’est pas surprenant compte tenu du faible ratio valeur/poids des produits à base de manioc, des coûts élevés du transport international, et de la demande généralement faible sur les marchés internationaux ; en effet l’utilisation du manioc pour l’alimentation du bétail a reculé suite aux réformes de la politique commerciale qui ont mis fin au marché européen protégé que la Thaïlande a si bien su investir dans les années 70 et 80. Il est intéressant de constater qu’aux prix de 2007, même la Thaïlande, de longue date premier exportateur mondial de manioc, n’est pas compétitive sur le marché européen, et qu’en fait, elle vend aujourd’hui son manioc presque exclusivement en Asie de l’Est, principalement en Chine. Même si les trois pays africains ne sont pas compétitifs actuellement sur les marchés internationaux du manioc, la situation pourrait changer si celui-ci était appelé à devenir une culture importante pour la production de biocarburants. Des études sont en cours, notamment au Mozambique et au Nigéria, sur les aspects économiques de la production d’éthanol à partir de manioc. Coton Le coton est l’une des plus importantes cultures de rente des petites exploitations africaines et une source majeure de recettes d’exportation pour beaucoup de pays d’Afrique. Du fait des coûts de production élevés dus à la forte consommation d’engrais et de pesticides, les petits producteurs de coton sont souvent organisés en groupements de petites exploitations sous contrat avec une entreprise d’égrenage qui leur fournit des intrants et des 82 Le réveil du géant assoupi services d’assistance technique. L’acheteur contrôle aussi la qualité : la contamination des fibres par les sacs en polypropylène constitue une menace sérieuse à la compétitivité du coton produit de manière artisanale en Afrique2. Les valeurs de production du coton présentées à la figure 4.1 b) font apparaître deux résultats importants. Tout d’abord, le coton peut être produit dans les trois pays africains pour un coût sensiblement plus faible qu’au Brésil. Ensuite, les coûts de production du coton sont moins élevés dans les petites exploitations que dans les grandes plantations mécanisées. L’analyse de compétitivité pour la fibre de coton qui figure au tableau 4.2 indique que le coton produit dans les trois pays africains est compétitif sur les marchés intérieurs, en particulier au Mozambique et en Zambie où des cotons d’excellente qualité sont produits à des prix extrêmement compéti- tifs. Cette conclusion présente toutefois un intérêt limité dans la mesure où, dans les pays de l’étude sur la CCAA, un très petit pourcentage seulement de la production nationale de coton est transformé dans le pays producteur. La véritable question est de savoir si le coton peut être compétitif sur les marchés d’exportation. Les indicateurs de compétitivité du coton à l’expor- tation affichent des résultats plus mitigés. Le Mozambique et la Zambie exportent et sont compétitifs sur le marché international, mais ce n’est pas le cas du Nigéria (même si le taux de compétitivité extérieure de 1,08 indique que les planteurs nigérians ne sont pas loin d’être compétitifs). En Zambie, les gros producteurs de coton semblent être moins compétitifs que les autres, ce qui s’explique par le faible coût de la main-d’œuvre dans les exploitations familiales (FAM) et les exploitations commerciales émergentes (ECE), ainsi que par le coût élevé de l’irrigation dans les grandes plantations commerciales (GEC). Fait intéressant, aux prix de 2007, le coton brésilien n’est pas compétitif sur les marchés internationaux, essentiellement à cause de la cherté des pesticides dont les producteurs de coton brésiliens font une très grande consommation3. Maïs Au Mozambique et en Zambie, le maïs blanc est une denrée stratégiquement importante car il est la principale culture de subsistance et la denrée agricole la plus cultivée. Les systèmes de production de maïs présentent une grande variété, allant des systèmes très simples à houe manuelle utilisant des semences recyclées et pratiquement sans aucun intrant acheté, à des systèmes commerciaux très intensifs reposant sur la mécanisation et, dans certains cas, l’application aérienne d’herbicides. Au Mozambique et en Zambie, les petits exploitants intercalent parfois le maïs avec d’autres cultures vivrières, mais pas autant qu’au Nigéria. Analyse de compétitivité pour six produits de base 83 Au Nigéria, le maïs jaune est une denrée de base parmi beaucoup d’autres et est généralement cultivé en intercalaire avec d’autres plantes comme le haricot, l’igname, la courge, la patate douce et des légumes. La pratique des cultures intercalaires diminue les rendements du maïs mais aide les exploitants à augmenter la productivité globale des ressources investies dans l’agriculture. Les valeurs de production du maïs présentées à la figure 4.1 c) appellent deux commentaires. Premièrement, les coûts unitaires de production pour le maïs varient considérablement entre les pays d’Afrique. Les VP à la sortie de l’exploitation sont en général élevées par rapport au Brésil et à la Thaïlande pour le maïs produit au Nigéria et en Zambie, mais elles sont très basses pour le maïs produit au Mozambique. Deuxièmement, les écarts existant entre les VP à la sortie de l’exploitation pour le maïs dans les différents pays d’Afrique semblent provenir en grande partie des différences entre les méthodes de production et les coûts d’intrants associés. Les coûts de production au Nigéria et en Zambie sont beaucoup plus élevés à cause du coût des engrais et des autres intrants. Au Mozambique, la consommation d’intrants achetés est habituellement très faible. Cela peut s’expliquer par les niveaux de fertilité des sols, en règle générale plus élevés au Mozambique où les agriculteurs peuvent, avec peu d’intrants achetés, obtenir d’assez bons rendements — qui restent néanmoins inférieurs à ceux de nombreux autres pays d’Afrique. L’analyse de compétitivité pour le maïs présentée au tableau 4.3 montre que, dans le groupe des pays d’Afrique, la production n’est clairement compétitive sur les marchés intérieurs qu’au Mozambique et en Zambie. Les coûts de production dans ces deux pays sont inférieurs au prix du maïs produit en Afrique du Sud, qui est la source de maïs importé la plus importante et la plus fiable, après ajustement au titre du transport. Le maïs produit au Nigéria n’est pas compétitif sur les marchés intérieurs, du moins pas aux principaux points de consommation situés au centre et dans le sud du pays. Au Brésil et en Thaïlande, le maïs est compétitif par rapport aux importations, bien que les producteurs brésiliens soient soumis à la rude concurrence des producteurs des États-Unis. En ce qui concerne les exportations de maïs, seul le Mozambique affiche un avantage comparatif indiscutable, principalement parce que les exploitations familiales et les exploitations commerciales émergentes ne consomment que peu d’intrants achetés. Le maïs produit au Nigéria n’est pas du tout compétitif sur les marchés internationaux. Fait intéressant, aux prix de 2007, même le Brésil a du mal à être compétitif sur les marchés internationaux, ce qui explique que le maïs brésilien soit aujourd’hui utilisé essentiellement pour l’élevage et l’aviculture d’exportation. Le même constat vaut pour la Thaïlande, où l’essentiel du maïs sert à l’alimentation animale, principalement des volailles. 84 Le réveil du géant assoupi Riz Au Mozambique et en Zambie, le riz est une culture relativement mineure, cultivée surtout par des petits exploitants et destinée à la consommation familiale. En revanche, le Nigéria est le premier producteur de riz du continent. Malgré cela, la production nationale ne parvient pas à suivre la croissance de la demande due à l’urbanisation rapide du pays, et le Nigéria fait partie des principaux importateurs de riz du monde. Les VP à la sortie de l’exploitation présentées à la figure 4.1 d) pour le riz produit au Nigéria et en Zambie sont similaires à celles du riz thaïlandais. On peut en déduire que les bons résultats de la Thaïlande sur les marchés internationaux du riz tiennent à la qualité supérieure de sa production et à sa maîtrise des coûts logistiques entre la sortie de l’exploitation et des destinations éloignées. Les VP à la sortie de l’exploitation pour le riz produit au Mozambique sont très basses, ce qui montre encore une fois que les producteurs mozambicains bénéficient de la fertilité naturelle des sols qui leur évite d’utiliser des engrais coûteux — tout du moins pour l’instant. Les indicateurs de compétitivité du riz indiqués au tableau 4.4 montrent que le Mozambique est le seul des trois pays africains manifestement compétitif sur le marché intérieur. En Zambie, les producteurs de riz ne sont pas loin d’être compétitifs par rapport aux importations (compétitivité intérieure), et les exploitations familiales ont un léger avantage sur les exploitations commerciales émergentes. Les producteurs de riz du Nigéria ne sont clairement pas compétitifs et n’ont réussi à survivre que parce que les restrictions sur les importations maintiennent les prix intérieurs à un niveau nettement plus élevé que les prix paritaire à l’importation. Aucun des trois pays d’Afrique n’est compétitif sur les marchés d’exportation du riz. Soja Au Mozambique, le soja est une culture nouvelle ; ce n’est que depuis peu que des organisations non gouvernementales et des organismes donateurs encouragent sa production pour remplacer le maïs et favoriser le développement d’un secteur de l’élevage commercial. En Zambie, le soja est généralement cultivé dans de grandes exploitations commerciales en alternance avec du blé ou du maïs. Au Nigéria, le soja est utilisé aussi bien pour l’alimentation humaine que pour nourrir les animaux, et l’huile de soja sert, dans le pays, à fabriquer des lotions cosmétiques, de la margarine ou d’autres produits. Les VP à la sortie de l’exploitation présentées à la figure 4.1 e) pour le soja produit dans les trois pays africains étudiés sont comparables à celles du soja produit au Brésil, ce qui signifie que ces trois pays peuvent être compétitifs sur les marchés internationaux. Toutefois, lorsque le soja est cultivé dans de grandes exploitations commerciales, le coût des machines agricoles compte pour une large part dans le coût de production total Analyse de compétitivité pour six produits de base 85 (le coût des machines agricoles apparaît à la figure 4.1 e) dans la rubrique « autres »). On peut donc penser que l’envolée récente des prix mondiaux de l’énergie améliorera la compétitivité relative du soja produit à moins grande échelle au moyen de technologies plus intensives en main-d’œuvre. Dans les trois pays africains, les producteurs de soja sont compétitifs sur les marchés intérieurs (tableau 4.5). Cette situation est due principalement aux faibles coûts de production, la majorité du soja étant produit par des exploitations familiales ou par des exploitations commerciales émergentes qui disposent d’une main-d’œuvre familiale bon marché. Aucun des pays africains n’est compétitif sur les marchés internationaux, où les prix sont déterminés par les deux grandes puissances exportatrices : le Brésil et les États-Unis. Sucre Dans les trois pays africains étudiés, la canne à sucre est produite dans de grandes exploitations commerciales et plantations paraétatiques. Les VP du sucre à la sortie de l’exploitation produit au Nigéria et en Zambie, présentées à la figure 4.1 f), ne sont pas sensiblement différentes de celles affichées pour le Brésil, et les pays africains pourraient donc être compétitifs, au moins pour la production primaire (c’est-à-dire la production de canne à sucre). La VP de la canne à sucre à la sortie de l’exploitation est légèrement plus faible en Thaïlande que dans tous les autres pays, essentiellement parce que les planteurs thaïlandais, qui sont en majorité des petits exploitants, ont des coûts de matériel très faibles. Les résultats affichés pour la compétitivité au niveau des exploitations se reproduisent aux étapes suivantes de la transformation. Dans les deux pays africains pour lesquels on dispose de données (le Nigéria et la Zambie), les producteurs de sucre raffiné sont compétitifs sur les marchés intérieurs ainsi que sur certains marchés régionaux. C’est le cas également au Brésil et en Thaïlande (tableau 4.6). La situation est cependant différente pour la compétitivité à l’exportation : le sucre raffiné produit au Nigéria et en Zambie n’est pas compétitif sur les marchés internationaux (européens) en l’absence de prix préférentiels. L’industrie sucrière thaïlandaise a vu aussi sa compétitivité s’éroder ; son sucre raffiné n’est plus compétitif sur le marché européen, de sorte que les producteurs de sucre thaïlandais se sont tournés vers l’est pour trouver de nouveaux débouchés (la Chine et le Japon). Synthèse de l’analyse de filière L’analyse des filières réalisée dans le cadre de l’étude sur la CCAA apporte un certain nombre d’indications sur la compétitivité actuelle des trois pays africains étudiés et sur son évolution probable au cours des périodes à venir. 86 Le réveil du géant assoupi Les pays africains étudiés sont compétitifs sur les marchés intérieurs d’un grand nombre des produits de base examinés. Le niveau élevé des coûts logistiques à l’intérieur et à l’extérieur des pays augmente le prix des denrées importées et assure un certain degré de protection naturelle que les producteurs nationaux peuvent exploiter. Compte tenu de l’immensité des marchés intérieurs, de leur expansion et du volume déjà important des importations, il existe manifestement de vastes possibilités d’accroître la production intérieure afin de regagner ces marchés. Les produits offrant les meilleures perspectives à cet égard sont le riz, le soja, le sucre et le maïs. Les pays africains étudiés ne sont généralement pas compétitifs sur les marchés internationaux des produits de base examinés. Ce n’est toutefois pas toujours le cas pour le coton, le sucre et le maïs, qui sont exportés de manière profitable, au moins certaines années, par certains des pays étudiés. Les mêmes coûts logistiques élevés, à l’intérieur comme à l’extérieur des pays, qui assurent une certaine protection naturelle aux producteurs nationaux, constituent un obstacle sérieux à l’exportation, car les producteurs africains doivent absorber ces coûts s’ils veulent être compétitifs à l’échelon international. Les marchés régionaux semblent offrir les meilleures perspectives de croissance sur le court à moyen terme. L’analyse de filière de l’étude sur la CCAA n’a pas examiné de manière formelle la compétitivité sur les marchés régionaux, mais compte tenu des coûts logistiques relativement élevés associés à la pénétration des marchés internationaux, il est clair que les producteurs africains sont bien positionnés pour desservir les marchés régionaux par rapport aux pays qui dominent le commerce international des produits de base. Il est probable que la demande des marchés régionaux augmentera rapidement du fait de la croissance démographique, de l’augmentation des revenus et de l’accélération du phénomène d’urbanisation. Les exportateurs africains pourront augmenter le volume des échanges non seulement en exploitant la croissance de la demande globale, mais aussi en remplaçant les importations, actuellement d’une ampleur considérable, en provenance des autres régions du monde. Les pays africains étudiés peuvent soutenir la concurrence malgré la productivité généralement faible des exploitations agricoles, en partie grâce au faible coût de la main-d’œuvre. Pour beaucoup des produits de base étudiés, les coûts de production unitaires obtenus dans les pays africains étudiés sont inférieurs à ceux obtenus dans les pays retenus pour les comparaisons. Les producteurs de ces pays africains sont capables d’obtenir des coûts de production unitaires comparables malgré des rendements très inférieurs, en grande partie parce que leurs coûts de main-d’œuvre sont généralement peu élevés. Si le fait que les pays africains produisent à bas coût soit une bonne chose, on peut néanmoins déplorer que ce soit la raison de leur compétitivité car le faible coût de la main d’œuvre en Afrique témoigne d’un surplus de main-d’œuvre et d’un manque d’emplois à l’extérieur de l’agriculture. Analyse de compétitivité pour six produits de base 87 Les pays africains étudiés peuvent soutenir la concurrence malgré la productivité généralement faible des exploitations agricoles, en partie parce qu’ils consomment très peu d’intrants achetés. Au Mozambique et au Nigéria surtout, les exploitations familiales et les exploitations commerciales émergentes ont encore la possibilité de pratiquer une agriculture extensive, et elles peuvent profiter de la fertilité naturelle des terrains récemment défrichés sans avoir à recourir à des engrais coûteux. Encore une fois, si l’on peut se réjouir que les pays africains produisent à plus bas coût, il ne faut pas oublier que la faible consommation d’intrants achetés entraîne un appauvrissement systématique des sols — une situation qui n’est pas viable à long terme. La compétitivité des pays africains étudiés est souvent — mais pas toujours — limitée par les problèmes de logistique à l’intérieur des pays et dans les ports. En règle générale, les coûts logistiques intérieurs sont plus élevés dans les pays africains étudiés qu’au Brésil et en Thaïlande. Ce résultat de l’analyse de filière traduit le manque patent d’infrastructures de transport, de transformation et de stockage. L’inefficacité des mécanismes de coordination dans les pays africains étudiés ajoute des coûts de transaction supplémentaires, officiels et informels. Les petits exploitants peuvent être un élément clé de la compétitivité des pays africains étudiés. Contre toute attente, l’analyse a révélé peu d’économies d’échelle évidentes dans les systèmes de production des trois pays africains de l’étude sur la CCAA. Les FAM et les ECE affichent généralement des VP moins élevées que les GEC à la sortie de l’exploitation et/ou au point de distribution final. Ce résultat découle principalement de trois facteurs : a) le large recours à une main-d’œuvre familiale bon marché dans les petites exploitations ; b) les taxes plus lourdes frappant les intrants utilisés par les grandes exploitations commerciales ; et c) la rentabilité marginale plus élevée des engrais et des produits chimiques agricoles lorsque ces derniers sont utilisés en quantités limitées comme c’est généralement le cas dans les petites exploitations. Les GEC peuvent jouer un rôle stratégique important en permettant d’atteindre la masse critique de production nécessaire pour attirer des acheteurs locaux et internationaux, mais l’analyse de filière montre que les investissements dans la petite agriculture peuvent, eux-mêmes, être une source importante de compétitivité. Une croissance agricole tirée par les petits producteurs a un autre avantage majeur : la hausse des revenus a des effets secondaires sur la demande qui sont bien plus importants lorsque ce sont les revenus des petits agriculteurs plutôt que ceux des exploitations commerciales qui augmentent. 88 Le réveil du géant assoupi Notes 1. L’utilisation de la méthode standardisée de la filière pour comparer des pays est un peu compliquée dans le cas du manioc en raison des différences importantes qui caractérisent la demande dans les pays considérés. Les prin- cipaux produits à base de manioc échangés sur les marchés internationaux sont les granulés (utilisés dans la fabrication d’aliments pour animaux) et l’amidon (utilisé comme additif industriel), alors que dans les pays africains, le manioc se vend essentiellement soit transformé sous la forme de gari (Nigéria), soit brut sous la forme de tubercules frais (Mozambique et Zambie). Pour prendre en compte ces différences dans l’analyse de la filière, on peut utiliser des facteurs de conversion et des séries de prix appropriées, mais ces correctifs introduisent un autre élément d’incertitude dans l’analyse. 2. Le polypropylène n’absorbe pas la teinture. La présence de quantités même infimes de cette fibre peut donc ôter toute valeur à de grands rouleaux de tissu. 3. La valeur de la graine de coton (et le pourcentage de cette valeur que les exploitants reçoivent) détermine dans une large mesure la rentabilité de la production de coton. La valeur relative de la graine de coton a augmenté ces dernières années avec le boum des graines oléagineuses. Dans l’étude sur la CCAA, la graine de coton a été évaluée à partir des prix locaux communi- qués, mais les mécanismes de commercialisation des graines de coton et les possibilités d’en tirer des montants plus élevés n’ont pas été étudiées en détail. CHAPITRE 5 Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine Politiques publiques Les politiques macroéconomiques et sectorielles ont, pendant longtemps, lourdement taxé l’agriculture dans les pays en développement (Krueger, Schiff et Valdés 1988). Jusque dans les années 80, ces politiques ont généralement encouragé l’essor de l’industrie par le biais de mesures de protection et de substitution des produits nationaux aux importations qui ont indirectement pénalisé l’agriculture. Les taux de change, surévalués dans la plupart des pays, ont abaissé les prix des biens échangeables, notamment agricoles. En même temps, les politiques agricoles ont empêché la hausse des prix à la production des denrées agricoles en réglementant les prix officiels, en taxant les exportations (principalement par l’intermédiaire des offices de commercialisation des produits agricoles), et/ou en imposant des quotas d’exportation. Bon nombre de gouvernements ont tenté de réduire l’impact négatif de ces mesures sur la production agricole en subventionnant les prix des intrants et en investissant dans l’irrigation et d’autres infrastructures, mais leurs efforts ont rarement suffi à compenser les pertes immenses causées à l’agriculture par les mécanismes de taxation indirecte, et surtout la surévaluation des monnaies. En fait, selon des estimations, l’imposition indirecte de l’agriculture par les politiques macroéconomiques était trois fois plus lourde que l’imposition directe du secteur (Krueger, Schiff et Valdés 1988). 89 90 Le réveil du géant assoupi Cette taxation nette de l’agriculture était particulièrement élevée dans les pays africains à vocation agricole où elle était de 29 % en moyenne, et atteignait même 46 % pour les produits exportables (Banque mondiale 2007c). La croissance du secteur s’en est trouvée gravement bridée ; selon une estimation effectuée pour un large échantillon de pays en développement, une diminution de 10 % du niveau d’imposition aurait permis d’accroître la croissance agricole de 0,4 % par an. Dans les années 80 et 90, des politiques d’ajustement structurel ont été mises en place pour remédier à la stagnation économique, au manque de viabilité des finances publiques et à l’instabilité macroéconomique. Ces politiques ont généralement donné lieu à l’adoption de systèmes de détermina- tion des taux de change par le marché, à la privatisation de nombreuses entreprises, à l’ouverture des frontières aux échanges et aux investissements, et à l’amélioration du climat des affaires, et elles ont souvent permis de nettement améliorer les incitations dans le secteur agricole. Le niveau de taxation global de l’agriculture dans les pays africains à vocation agricole est tombé de 29 % en 1980–84 à 10 % en 2000–04 ; les produits exportables sont, néanmoins, restés lourdement taxés (Banque mondiale 2007c). Effets nets des politiques publiques dans les pays couverts par l’étude sur la CCAA La tendance à l’allègement de la taxation de l’agriculture observée au niveau mondial s’est poursuivie à des degrés divers dans les cinq pays couverts par les études de cas (figure 5.1). Au Brésil comme en Thaïlande, l’agriculture a été lourdement taxée pendant de nombreuses années, mais pas toujours de Figure 5.1 Taxation nette de l’agriculture dans les pays couverts par l’étude sur la CCAA 20 Nigéria Brésil 10 taux de soutien nominal (%) 0 Thaïlande –10 –20 Zambie –30 –40 Mozambique –50 –60 –70 9 4 9 4 9 4 9 4 –6 –7 –7 –8 –8 –9 –9 –0 65 70 75 80 85 90 95 01 19 19 19 19 19 19 19 20 Source : base de données sur les distorsions créées par les politiques agricoles, à l’adresse www.worldbank.org/agdistortions (consultée le 2 janvier 2009) Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 91 la même manière. En Thaïlande, la politique publique était plus favorable au commerce, et l’agriculture était taxée principalement par le biais de restrictions sur les exportations de riz (qui visaient à maintenir à un faible niveau les prix à la consommation du principal aliment de base du pays). À l’inverse, le Brésil est resté une économie relativement fermée, imposant de lourdes mesures de protection à l’encontre des importations aussi bien de produits industriels que de denrées agricoles. Cette politique de fermeture n’a toutefois pas contribué à améliorer la stabilité car le pays s’est retrouvé dans une situation macroéconomique extrêmement volatile, caractérisée par des taux de change instables et une monnaie surévaluée. Durant cette période, le Brésil a par ailleurs continué d’encadrer les prix alimentaires afin de protéger les consommateurs. Au fil du temps, ces deux pays ont adopté des réformes qui ont supprimé les distorsions handicapant l’agriculture et, au début des années 2000, les prix intérieurs des produits importables et exportables étaient proches des prix à la frontière. Deux des pays africains étudiés — le Mozambique et la Zambie — ont taxé très fortement l’agriculture de différentes manières : encadrement des prix, lourde protection de leurs industries et surévaluation de leur monnaie. Au cours des années 80, le niveau de taxation implicite dans ces deux pays atteignait 60 % (figure 5.1). De son côté, le Nigéria avait mis en place d’importants dispositifs de protection contre les produits importables (notamment pour de nombreuses denrées alimentaires de base), tout en continuant à taxer les produits exportables. Ces mesures ont eu pour effet de protéger l’agriculture et, partant, d’imposer des prix élevés aux consommateurs et de compromettre la compétitivité du Nigéria dans tous les secteurs. Dans ces trois pays, les réformes macroéconomiques et sectorielles engagées à partir des années 90 ont sensiblement atténué les distorsions dues aux politiques (figure 5.1). Cependant, le niveau de taxation est resté élevé en Zambie, et les politiques suivies au Mozambique et en Zambie ont quelque peu fluctué durant la période de transition. La Zambie est le seul des cinq pays considérés qui taxe encore lourdement les produits exportables. Politiques macroéconomiques Dans tous les pays couverts par l’étude sur la CCAA, les politiques macroéconomiques nationales ont joué pour beaucoup dans le développement plus ou moins réussi de l’agriculture commerciale. Après de longues périodes de turbulence, les réformes ont finalement permis d’améliorer la stabilité macroéconomique si l’on en juge les résultats macroéconomiques établis sur la base de l’équilibre budgétaire, de l’inflation et de la stabilité du taux de change (figure 5.2). La Thaïlande est un cas un peu à part car les autorités nationales ont presque toujours appuyé un régime économique axé sur le marché et l’exportation, et maintenu une politique macroéconomique saine (tout du moins jusqu’à la crise financière qui a secoué l’Asie la fin des années 90). Le Brésil s’est trouvé dans une 92 Le réveil du géant assoupi Figure 5.2 Scores macroéconomiques des pays couverts par l’étude sur la CCAA, 1985–2007 10 9 8 score macroéconomique 7 6 5 4 3 2 1 0 85 87 89 91 93 95 97 99 01 03 05 07 19 19 19 19 19 19 19 19 20 20 20 20 Brésil Nigéria Zambie Mozambique Thaïlande Source : http://www.prsgroup.com/. Note : le résultat macroéconomique est la moyenne des scores pour l’équilibre budgétaire, l’inflation et la stabilité du taux de change publiés par International Country Risk Guide. situation macroéconomique plus incertaine mais connaît une relative stabilité depuis le milieu des années 90, surtout depuis la dévaluation de sa monnaie en 1999. Enfin, le parcours des trois pays d’Afrique a été remarquablement similaire. Après avoir suivi des lignes de conduite désastreuses au cours des décennies 70 et 80, ces trois pays ont mis en place des cadres de politique macroéconomique relativement sains, comme d’ailleurs la plupart des pays d’Afrique subsaharienne qui affichent aujourd’hui des excédents budgétaires et des taux d’inflation inférieurs à 10 % (Ndulu 2007). Les mesures macroéconomiques concernant les taux de change sont probablement celles qui ont eu le plus d’effets sur les incitations dans le secteur agricole (Schuh 1976). Cela vaut tout particulièrement pour les pays africains, surtout le Nigéria et la Zambie, où le taux de change parallèle a parfois atteint, voire dépassé, un niveau cinq fois supérieur au taux de change officiel, (Walkenhorst 2009 ; Robinson, Govereh et Ndlela 2009). Bien que tous les pays considérés dans l’étude sur la CCAA se soient orientés vers des politiques de taux de change déterminés par le marché, le Nigéria et la Zambie ont vu récemment leurs monnaies s’apprécier sous l’effet du syndrome hollandais provoqué par les entrées de devises massives générées par les exportations de matières premières (le pétrole au Nigéria, le cuivre en Zambie). Cette appréciation des taux de change menace la compétitivité des exportations et place les producteurs nationaux dans une situation plus difficile face à la concurrence des importations. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 93 Dans les économies de marché, les pouvoirs publics ont généralement peu de moyens de manipuler les taux de change pour encourager la compétitivité agricole, même si dans certains pays (par exemple le Chili) les recettes en devises sont conservées dans des fonds offshore pour atténuer les effets du syndrome hollandais. Plus généralement, l’expérience montre qu’une fois l’agriculture devenue compétitive, elle peut avoir du mal à le rester pour des raisons extérieures au secteur agricole. Politiques agricoles au Brésil et en Thaïlande Le Brésil et la Thaïlande ont utilisé toute une gamme de mesures d’intervention pour influer sur les incitations dans le secteur agricole. Politiques commerciales. Le Brésil comme la Thaïlande ont imposé des taxes sur les exportations agricoles, en partie pour générer des recettes budgétaires mais aussi pour maintenir des prix alimentaires peu élevés sur les marchés intérieurs. Pendant plus de vingt ans, le Brésil a taxé toutes les exportations agricoles au taux général de 13 % et n’a aboli cette mesure qu’en 1996. La Thaïlande, quant à elle, a taxé les exportations de riz au taux de 30 % durant les années 70. Les deux pays ont de surcroit protégé leurs produits de substitution aux importations en prélevant des droits de douane, toutefois assez faibles. La Thaïlande a aussi imposé des restrictions quantitatives aux importations et à certaines exportations, qui sont toujours en vigueur. Elle a réussi, par exemple, à protéger son industrie sucrière en fixant un « prix intérieur » pour le sucre consommé sur son territoire, tandis que ses exportations sont vendues à des prix moins élevés sur les marchés étrangers. Politiques des prix. Le Brésil et la Thaïlande ont eu recours à des mesures de soutien des prix pour encourager la production de denrées agricoles importantes, sans toutefois vouloir aller trop loin dans cette direction, leur objectif étant essentiellement de garantir la disponibilité de denrées alimentaires bon marché. Au Brésil, les mesures de soutien des prix ont eu une influence importante sur le développement agricole du Cerrado en assurant un minimum de rentabilité et en réduisant les risques. Pendant les années 70 et 80, les prix de soutien ont été appliqués sur tout le territoire ; l’État a donc fini par être le principal acheteur du soja, du maïs et du riz produits dans les régions excentrées car les coûts de transport ont découragé le secteur privé. En Thaïlande, les pouvoirs publics ont, en général, compté sur la discipline du marché pour promouvoir la compétitivité internationale. Ils ont eu largement recours à des mesures de soutien des prix intérieurs et ont poursuivi des politiques de stabilisation des prix, en suivant toutefois généralement l’évolution des cours mondiaux ; en d’autres termes, leurs interventions ont davantage contribué à stabiliser les prix qu’à en déterminer le niveau. Pour beaucoup de producteurs thaïlandais, la stabilité des prix du sucre est importante : elle les incite à cultiver la canne à sucre de préférence à d’autres cultures potentiellement plus lucratives mais dont le prix est aussi beaucoup plus variable. 94 Le réveil du géant assoupi Ces dernières années, le Brésil et la Thaïlande ont expérimenté de nouvelles méthodes pour soutenir et stabiliser les prix de denrées stratégiques telles que le riz et le maïs. La Thaïlande a lancé un programme consistant à verser aux agriculteurs un prix plancher garanti pour leur production, qui reste entreposée dans leurs installations de stockage jusqu’à ce que les prix du marché se redressent. Au Brésil, les négociants, les entreprises de transformation et les exportateurs, qui ont aujourd’hui tous la possibilité de conclure des marchés fermes avec les producteurs, ont de plus en plus recours aux contrats et aux marchés à terme. Même si ces diverses méthodes n’ont pas encore été officiellement évaluées, elles semblent avoir réussi dans une certaine mesure à atténuer les fluctuations de prix intrasaisonnières et à garantir des rentrées de fonds aux agriculteurs sans les obliger à écouler leurs stocks à bas prix juste après les récoltes. Quotas de production. La Thaïlande a eu largement recours au système des quotas de production pour de nombreuses cultures. Les pouvoirs publics sont parvenus à réduire la volatilité des prix intérieurs du sucre, notamment en mettant en place un système de quotas de production de canne à sucre et en offrant des incitations pour encourager l’installation des raffineries plus près des zones productrices du nord-est du pays. Ils ont aussi souvent préféré intervenir pour limiter la production de manioc et de maïs, dont les prix sont restés très bas durant plusieurs années, et pour encourager la diversification des cultures, plutôt que de continuer à soutenir les prix. Subventionnement des intrants. À partir des années 60 et jusqu’à la fin des années 80, l’octroi de crédits ruraux à des taux très bonifiés a été le principal instrument de la politique agricole brésilienne : les taux d’intérêt réels sont descendus jusqu’à -36 % par an au plus fort de la distribution de crédits. Selon les estimations d’Araújo, Janvry et Sadoulet (2002), les aides au crédit ont représenté 12 % du total des revenus agricoles certaines années. Plusieurs équipes gouvernementales thaïlandaises ont aussi eu recours au subventionnement des intrants et au crédit bon marché pour permettre aux agriculteurs de faire face aux prix internationaux. Néanmoins, ces subventions n’ont suffi ni au Brésil ni en Thaïlande à compenser la taxation résultant des mesures macroéconomiques et des politiques de prix. L’aide au crédit a peut-être fortement stimulé l’agriculture, mais elle a aussi eu des coûts importants sur le plan de la croissance et de l’équité. En résumé, au Brésil aussi bien qu’en Thaïlande, les pouvoirs publics sont intervenus pour favoriser le développement d’une agriculture commerciale compétitive. D’une manière générale, les politiques mises en œuvre ont été beaucoup plus suivies et cohérentes en Thaïlande qu’au Brésil : elles ont été marquées par des changements d’orientation moins nombreux et des variations moins extrêmes. Politiques agricoles des pays africains Dans quelle mesure les pays africains sont-ils parvenus à favoriser le développement d’une agriculture commerciale compétitive au moyen de Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 95 politiques de prix, de politiques commerciales et de subventions ? Selon les études consacrées à cette question, les exemples sont rares en Afrique d’un recours productif à des politiques agricoles ciblées pour pallier les défaillances du marché ou stimuler l’émergence d’une agriculture commerciale compétitive. Les études de cas portant sur les pays africains considérés confirment cette conclusion. Au Nigéria, les politiques agricoles ont traversé quatre phases distinctes (Walkenhorst 2009). Pendant la première phase (1960–70), l’agriculture était encore la première source de devises du pays. Les taxes à l’exportation des produits agricoles généraient une part significative des recettes publiques. Le principal objectif de la politique publique était donc d’appuyer la recherche et la vulgarisation agricoles et de promouvoir les exportations. La seconde phase (1970–86) a été caractérisée par des interventions importantes de l’État dans le secteur agricole, financées au départ par les revenus pétroliers. Dans un contexte de politiques budgétaires expansion- nistes, les autorités ont lancé toute une série de nouveaux programmes agricoles, notamment des subventions, des dispositifs d’aide au crédit agricole, et des prix minimum garantis, et ont créé une pléthore d’offices nationaux des produits de base pour les superviser. Ces mesures n’ont toutefois pas donné les résultats escomptés en termes de développement agricole, et le Nigéria, qui jusque là exportait des denrées sur une base nette, est devenu un gros importateur. Au début des années 80, la charge imposée par ces programmes coûteux (et les mesures du même type prises dans d’autres secteurs) est devenue de plus en plus difficile à supporter par suite de la diminution des revenus pétroliers. La troisième phase (1987–99) a été déclenchée par une crise budgétaire générale qui a entraîné une vague de réformes structurelles à l’échelle de l’économie. Les dépenses publiques ont été fortement comprimées, les dispositifs d’encadrement des prix ont été levés, le subventionnement des intrants a été suspendu, et les activités de commercialisation ont été libéralisées. L’autosuffisance alimentaire du pays est devenue un objectif gouvernemental déclaré et, à cette fin, les importations des principales denrées alimentaires de base ont été interdites — autant de mesures lourdes de conséquences protectionnistes. Le taux de protection nominal pour le riz et le maïs a dépassé 200 % pendant cette période. La quatrième phase (qui se poursuit depuis 1999) a coïncidé avec l’avènement de la démocratie et a été marquée par la volonté de créer un environnement des affaires propice à l’accroissement de l’investissement privé dans le secteur agricole. Les mesures de libéralisation ont été encore renforcées, avec notamment la suspension de nombreux droits de douane et restrictions aux importations. Par ailleurs, en 2002, pour donner un élan à la production, le gouvernement fédéral a lancé une série d’Initiatives présidentielles pour l’agriculture, ciblées sur différents produits de base. Bien que les Initiatives présidentielles aient parfois permis de stimuler la 96 Le réveil du géant assoupi production, elles n’ont pas rendu les agriculteurs nigérians compétitifs sur les marchés mondiaux et régionaux. L’agriculture du pays continue de souffrir de l’héritage de dizaines d’années d’un lourd protectionnisme. Les interdictions d’importation et les droits de douane ont non seulement coûté cher aux consommateurs nigérians, mais elles ont aussi gravement compromis la compétitivité des producteurs nationaux. La stratégie actuelle des pouvoirs publics, qui consiste à promouvoir très activement l’agriculture et à lui assurer une certaine protection dans le contexte de prix pétroliers élevés, est fondamentalement rationnelle à condition que les interventions mettent l’accent sur l’efficacité. Abaisser les niveaux de protection et soumettre les producteurs à une plus grande concurrence internationale pourrait générer des gains d’efficacité — le Brésil et la Thaïlande en sont la parfaite illustration. En Zambie, l’interventionnisme de l’État a également été très marqué dans le secteur agricole. Après l’indépendance, l’agriculture est restée pendant longtemps encadrée très strictement par l’État, par le biais d’institutions publiques tentaculaires, de programmes de subventionnement des facteurs de production et des prix sur le marché, et des mesures d’encadrement des taux de change et du crédit ; toutes ces interventions ont été financées par les revenus tirés du cuivre. Le secteur agricole, entravé par des entreprises paraétatiques hypertrophiées et le manque d’investissements privés, a affiché des performances affligeantes. Le processus de libéralisation s’est réellement amorcé en 1992. Les systèmes d’encadrement des prix et les subventions ont été supprimés et les entreprises paraétatiques ont été privatisées. L’environnement macroéconomique est aujourd’hui à peu près libre de toute entrave importante. Le désengagement soudain de l’État du secteur a créé un certain vide au niveau de la fourniture de services agricoles essentiels. La piètre qualité des services, les problèmes d’accès au marché (en particulier dans les zones reculées du fait du manque d’infrastructures — et surtout de routes de desserte), l’absence de financements et de crédits agricoles, les difficultés d’accès à la terre et les carences de l’administration foncière sont actuellement un frein au développement d’une petite agriculture dynamique. Si certains grands exploitants sont capables de surmonter ces obstacles, ce n’est pas le cas des petits producteurs qui sont particulièrement pénalisés. À l’heure actuelle, les autorités zambiennes continuent d’intervenir directement dans le secteur agricole, en partie pour compenser ces défaillances. Des programmes ont été mis en œuvre ces dernières années pour améliorer l’accès aux engrais et préserver la sécurité alimentaire, mais ils ont profité de manière disproportionnée aux grands exploitants, ce qui pose des problèmes d’équité. Le niveau élevé des subventions suscite également des doutes quant à la viabilité budgétaire de ces programmes (le subventionnement des engrais représente à lui seul plus de la moitié du budget de l’agriculture) et d’aucuns font valoir qu’elles évincent des Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 97 investissements extrêmement nécessaires dans des biens publics. La Zambie a aujourd’hui un cadre de politique agricole relativement cohérent qui vise à rendre l’agriculture nationale compétitive sur les marchés intérieurs et internationaux. Elle doit néanmoins encore élaborer des programmes bien conçus pour mettre en place des marchés des facteurs de production, stabiliser les prix du maïs et investir dans des biens publics essentiels. Au Mozambique, les politiques agricoles ont traversé trois phases depuis l’indépendance (Alfieri, Arndt et Cirera 2009). La première phase (1975–87) a correspondu à une période de planifica- tion très centralisée. L’État était propriétaire des grandes plantations, des installations de transformation et des organismes de commercialisation. Son principal instrument de politique agricole était alors l’encadrement des prix, fixés très en dessous des cours mondiaux afin de subventionner les consommateurs. La seconde phase (1987–98) a été marquée par la libéralisation et la privatisation progressives des marchés. Durant cette période, une politique macroéconomique rationnelle a été établie. La troisième période (depuis 1999) se caractérise par l’absence relative d’intervention directe de l’État dans le secteur des cultures vivrières, où les prix intérieurs sont maintenant étroitement alignés sur les prix à la frontière. L’intervention de l’État reste toutefois importante pour certaines cultures commerciales, en particulier le sucre (droits d’importation), la noix de cajou (droits d’exportation), le tabac (concessions géographiques) et le coton (prix minimum et concessions géographiques). Au total, le Mozambique a supprimé dans une large mesure les distorsions qui existaient dans l’agriculture sauf pour certaines cultures commerciales. Malgré cela, les graves carences des infrastructures et le manque de capacités de R-D et de vulgarisation représentent encore un frein au développement de l’offre qui aurait pu résulter de l’amélioration du cadre macroéconomique. Mesures d’incitation et croissance L’expérience concluante de la Thaïlande tient en partie à l’adoption de politiques relativement rationnelles, notamment des mesures d’améliora- tion de la stabilité macroéconomique et des politiques sectorielles créant des incitations plus ou moins alignées sur les prix des marchés internationaux. Le Brésil a mis plus longtemps à stabiliser sa situation macroéconomique et à libéraliser ses échanges agricoles, mais les mesures qu’il a fini par adopter ont provoqué un essor des exportations agricoles. Selon Lopes et al. (2008, 96–7), les performances remarquables de l’agriculture brésilienne entre le milieu des années 90 et 2004 ont résulté des réformes majeures menées dans le cadre des politiques macroéconomiques et sectorielles. En même temps, l’expérience de ces deux pays illustre les difficultés que rencontrent les pouvoirs publics lorsqu’ils s’efforcent de concilier le passage à une agricul- ture commerciale, la préservation de la sécurité alimentaire nationale et le 98 Le réveil du géant assoupi maintien des prix alimentaires intérieurs à un faible niveau. On a pu le constater récemment lorsque le Gouvernement thaïlandais a réagi à la crise alimentaire mondiale de 2008 en réinstaurant des quotas sur les exportations de riz. Si les effets stimulants de politiques publiques favorables ont été particulièrement visibles au Brésil et en Thaïlande, ils ont également été ressentis en Afrique. Les augmentations récentes des taux de croissance agricoles observées dans de nombreux pays africains sont corrélées à l’amélioration des scores macroéconomiques (Banque mondiale 2007c) et à un allègement du niveau d’imposition relativement élevé des importations par rapport à celui des exportations (figure 5.3). Les progrès constatés dans plusieurs sous-secteurs agricoles ont également été associés à la politique de libéralisation (par exemple dans le sous-secteur du coton en Zambie, où les exportations annuelles sont passées de 4 000 tonnes en 1990 à 54 000 tonnes en 2005). Il reste néanmoins d’importantes possibilités d’améliorer les incitations pour le secteur agricole en Afrique, notamment dans les nombreux pays où les produits exportables sont encore lourdement taxés. Il est probable que, si les réformes qui ont permis le décollage de l’agriculture commerciale au Brésil et en Thaïlande ont eu moins d’effets dans les pays africains, c’est parce que d’autres facteurs peuvent freiner la croissance de l’agriculture commerciale. Comme on le verra plus loin, il manque en Afrique bon nombre des éléments nécessaires pour que l’offre puisse suivre, en particulier les technologies, les infrastructures et les institutions du marché. Dans bien des cas, il faut des dizaines d’années pour que les investissements dans ces domaines puissent produire leurs effets. Les États doivent donc absolument déterminer comment faire, à court ou moyen terme, pour stimuler l’offre de produits agricoles. Comme l’ont fait en leur temps le Brésil et la Thaïlande, beaucoup de pays africains continuent d’intervenir de manière ciblée sur des produits de base essentiels, par exemple en subventionnant les engrais et en soutenant les prix. La question est de savoir comment améliorer ce type de programmes et faire en sorte qu’ils ne grèvent pas les budgets nationaux. Technologies Les régions sélectionnées pour cette étude couvrant des superficies relativement étendues, le principal moteur de la croissance a tout naturellement été l’expansion des terres cultivées dans les cinq pays inclus dans l’étude sur la CCAA. C’est aussi ce qui s’est produit au Brésil et en Thaïlande, en particulier dans les premières phases de leur montée en puissance en tant que grands exportateurs agricoles. Entre 1971 et 2006, la superficie cultivée en soja au Brésil a progressé de 4,6 % par an tandis que la superficie des plantations de canne à sucre en Thaïlande a augmenté de 4,7 % par an (figure 5.4). Un examen attentif de l’évolution de la production Figure 5.3 Taux d’aide nominal, pays considérés dans l’étude sur la CCAA 100 a) Brésil 100 b) Thaïlande 100 c) Mozambique 80 80 80 60 60 60 40 40 40 20 20 20 0 0 0 –20 –20 –20 –40 –40 –40 –60 –60 –60 –80 –80 –80 –100 –100 –100 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 –6 –7 –8 –9 –0 –6 –7 –8 –9 –0 –6 –7 –8 –9 –0 61 70 80 90 01 61 70 80 90 01 61 70 80 90 01 19 19 19 19 20 19 19 19 19 20 19 19 19 19 20 produits importables produits exportables produits importables produits exportables produits importables produits exportables 240 d) Nigéria 100 e) Zambie 200 80 60 160 40 120 20 80 0 40 –20 –40 0 –60 –40 –80 –80 –100 4 4 4 4 4 4 4 4 4 4 –6 –7 –8 –9 –0 –6 –7 –8 –9 –0 61 70 80 90 01 61 70 80 90 01 19 19 19 19 20 19 19 19 19 20 produits importables produits exportables produits importables produits exportables 99 Source : base de données sur les distorsions engendrées par les politiques agricoles, à l’adresse www.worldbank.org/agdistortions (consultée le 2 janvier 2009). 100 Le réveil du géant assoupi Figure 5.4 Décomposition de la croissance de la production pour plusieurs produits de base considérés dans l’étude sur la CCAA 10 8 taux de croissance annuel (%) 6 4 2 0 –2 maïs soja sucre soja manioc sucre maïs maïs riz soja manioc coton manioc coton Brésil Thaïlande Moz. Nigéria Zambie augmentation. rendements augmentation superficies récoltées Source : FAOSTAT (http://faostat.fao.org/). Note : le tableau ne prend en compte que les produits de base dont les taux de croissance ont été supérieurs à 3 % entre 1971 et 2006. Moz. = Mozambique. montre toutefois que les sources de croissance dans ces deux pays ont changé avec le temps et que l’augmentation des rendements génère une part de plus en plus importante de la croissance totale. Dans les pays africains considérés dans l’étude sur la CCAA, la production d’un grand nombre des produits de base examinés augmente de plus de 3 % par an depuis 1971. Dans la plupart des cas, cette croissance a tenu, jusqu’à très récemment, à l’expansion des surfaces cultivées ; cela vaut pour la production de maïs et de manioc qui a rapidement augmenté au Nigéria et, dans une moindre mesure, pour la production de riz au Mozambique et de manioc en Zambie. Le coton et le soja au Nigéria sont les seules cultures où l’augmentation des rendements a beaucoup contribué à la croissance de la production. L’écart entre les rendements obtenus au Brésil et en Thaïlande et ceux obtenus dans les trois pays d’Afrique est important, et se creuse pour presque tous les produits de base examinés, (figure 5.5)1. Il est donc essentiel pour les pays africains d’investir dans des technologies améliorées qui leur permettront de devenir compétitifs non seulement sur les marchés mondiaux, mais aussi sur les marchés intérieurs et régionaux. Le Figure 5.5 Indices des rendements des produits de base considérés (Brésil 1971–75= 100) 160 a) rendements du manioc 700 b) rendements du coton 180 c) rendements du maïs 140 600 160 120 140 500 120 100 400 100 80 300 80 60 60 200 40 40 20 100 20 0 0 0 il e e ria e il e ria e il e e ria e és és és nd qu bi qu bi nd qu bi gé gé gé m m m Br Br Br bi bi bi la la Ni Ni Ni Za Za Za aï aï am am am Th Th oz oz oz M M M 1971–75 2004–06 1971–75 2004–06 1971–75 2004–06 300 d) rendements du riz 180 e) rendements du soja 250 f) rendements de la canne à sucre 160 250 200 140 200 120 150 100 150 80 100 100 60 40 50 50 20 0 0 0 il e e ria il e ria il e e ria e és és és nd qu nd nd qu bi gé gé gé m Br Br Br bi bi la la la Ni Ni Ni Za aï aï aï am am Th Th Th oz oz M M 1971–75 2004–06 1971–75 2004–06 1971–75 2004–06 101 Source : FAOSTAT (http://faostat.fao.org/). 102 Le réveil du géant assoupi développement de l’agriculture commerciale au Brésil et en Thaïlande montre à quel point il est important d’adopter les technologies agricoles de base qui conviennent. Le choix des bonnes technologies au Brésil et en Thaïlande La compétitivité de l’agriculture brésilienne peut être attribuée pour une grande part à l’adoption généralisée de variétés modernes et de techniques améliorées de gestion des cultures et des sols, mises au point grâce à des investissements publics de longue durée dans la recherche agricole. Au Brésil, la sélection de variétés modernes de graminées fourragères a très tôt donné lieu à des progrès décisifs ; ces plantes couvrent aujourd’hui les 21 % de la région du Cerrado mis en herbe pour constituer de meilleurs pâturages. L’introduction de ces nouvelles variétés a été suivie par la mise au point d’une quarantaine de variétés de soja adaptées aux zones tropicales de basse latitude, qui ont marqué le début de la révolution du soja dans le Cerrado. Des variétés modernes adaptées à cette région, dont certains organismes génétiquement modifiés, ont également été mises au point pour le coton, le manioc, le maïs et le blé (encadré 5.1). Encadré 5.1 La révolution du soja dans le Cerrado, résultat de multiples progrès techniques Bien que la région du Cerrado soit connue pour sa production de soja, l’essentiel du soja brésilien provient toujours du sud du pays, où il a été introduit initialement. Le développement de la culture du soja dans le Cerrado s’est accompagné de toute une série d’innovations. On a tout d’abord cherché à adapter les cultivars à la longueur du jour dans les zones tropicales de basse latitude. Le soja brésilien a également profité des pratiques d’inoculation par des bactéries fixant l’azote qui ont été importées d’Amérique du Nord et affinées par les chercheurs locaux. À partir des années 80, la recherche a travaillé de plus en plus sur la résistance aux maladies. Le développement de pratiques de gestion intégrée des cultures a abouti à une réduction sensible de la consommation de pesticides. Des études sur la gestion de la fertilité des sols ont permis d’identifier des techniques plus efficaces d’épandage d’engrais et de chaulage. Grâce à la gestion des sols et à la rotation des cultures, l’ensemencement traditionnel a pu être remplacé par des techniques de travail sans labour qui améliorent la viabilité du système. Les partenariats constitués par l’EMBRAPA avec des associations d’agriculteurs ont permis de financer des programmes d’amélioration génétique. En 1997, la Loi sur la protection des cultivars a stimulé la recherche privée, dans la Fondation Mato Grosso et dans des sociétés telles que Monsoy, Syngenta, Pioneer et Milenia. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 103 La mise au point de cultivars améliorés a été un facteur important mais non suffisant. Les variétés modernes n’auraient pas produit de tels résultats si elles n’avaient pas été introduites en même temps que les pratiques améliorées de gestion des cultures et des sols qui ont rendu très productifs les sols du Cerrado, pauvres en éléments nutritifs. Les oxisols que l’on trouve dans environ la moitié de la région sont extrêmement acides et pauvres en phosphore, en calcium, en magnésium et en potassium. Les chercheurs de l’EMBRAPA, travaillant en collaboration étroite avec des collègues d’autres organismes nationaux et internationaux, ont conçu des techniques ayant un bon rapport coût-efficacité qui permettent de détecter les problèmes d’acidité et de fertilité, et ils ont formulé les mesures à prendre pour y remédier (notamment l’utilisation de gypse et de phosphore). Par ailleurs, un réseau d’innovation composé d’organismes de recherche publics, d’entreprises privées et d’associations d’agriculteurs a réussi à adapter aux conditions du Cerrado des méthodes d’agriculture de conservation mises au point dans le sud du Brésil. L’agriculture de conservation réunit un ensemble de pratiques visant à assurer une gestion viable des sols fragiles. Ces pratiques réduisent aussi de manière significative les coûts de production, surtout depuis la chute du prix de l’herbicide Roundup dans les années 90 (Ekboir 2003). Toutes ces innovations en matière de gestion des sols ont permis d’accroître considérablement les superficies plantées en soja, et ont donc contribué à faire du Brésil le premier exportateur mondial de ce produit2. La recherche a, de même, été le moteur du développement du secteur du manioc dans le nord-est de la Thaïlande. Des scientifiques de Rayong Field Crops Research Center (Rayong-FCRC), avec l’appui du Centre international d’agriculture tropicale (CIAT) basé en Colombie, ont mis au point les technologies dont les agriculteurs avaient besoin pour s’adapter à l’évolution des conditions de culture et de la demande des marchés. Six variétés améliorées de manioc introduites à partir de 1975 (sur les quelque 350 variétés mises au point par Rayong-FCRC et le CIAT) occupent aujourd’hui 64 % des surfaces plantées en manioc en Thaïlande. Ces variétés peuvent être récoltées tôt dans la saison (ce qui permet de faire deux récoltes par an), sont résistantes aux maladies et aux ravageurs les plus courants, et donnent des racines de bien meilleure qualité. Cette dernière caractéristique est particulièrement importante car il est difficile d’accroître les rendements bruts des tubercules à cause de la pauvreté des sols dans les régions où le manioc est cultivé ; c’est l’amélioration de la teneur en amidon et/ou en matière sèche qui permet d’accroître la production de produit transformé pour un rendement donné des tubercules (Hershey et al. 2001). Plus récemment, la recherche sur les techniques culturales a permis de mettre au point de meilleures pratiques de gestion pour préserver les éléments nutritifs du sol et lutter contre l’érosion afin de combattre la baisse de fertilité des sols. 104 Le réveil du géant assoupi Des succès ponctuels en Afrique En Afrique aussi, des technologies plus performantes ont été introduites pour cultiver les différents produits de base examinés dans l’étude sur la CCAA, avec un bilan néanmoins quelque peu contrasté : • Au Nigéria, des variétés améliorées de maïs résistantes aux maladies et à maturation précoce ont beaucoup contribué à accroître la production pendant les années 80. En Zambie, l’adoption à grande échelle de maïs hybride a également permis d’augmenter notablement les quantités produites. Toutefois, les programmes d’intensification de la culture du maïs dans ces pays étaient gérés par le secteur public et fondés sur un subventionnement important des engrais et du crédit qui ne s’est révélé ni productif, ni viable. Malgré tout, ces initiatives, ainsi que celles prises au Kenya, au Malawi et dans d’autres pays, ont démontré que les petites exploitations peuvent obtenir des gains de productivité significatifs lorsqu’elles disposent des technologies et des facteurs de production appropriés, ainsi que de débouchés garantis à des prix rémunérateurs (Byerlee et Eicher 1997). • L’adoption rapide de variétés de manioc plus résistantes au virus responsable de la mosaïque du manioc a permis d’augmenter considérablement la production de cette tubercule au Nigéria dans les années 90. La mise au point d’un programme régional de lutte biologique contre la cochenille a évité une catastrophe au Nigéria et, de manière plus générale, dans toute l’Afrique (Zeddies et al. 2001). Le développement de cette culture a aussi été stimulé par la demande croissante d’aliments à base de manioc comme le gari et le fufu, qui sont devenus des produits de consommation courante dans les zones urbaines. Au Nigéria, les râpes mécaniques utilisées pour la préparation du gari ont permis aux femmes de se libérer des tâches associées à la fermentation du manioc, pour planter davantage de manioc et augmenter sensiblement le rendement du travail (Nweke 2004). Mais contrairement à la Thaïlande, le Nigéria n’est pas encore devenu un grand producteur de produits transformés à base de manioc, tels que les aliments pour animaux et l’amidon. • La promotion de recettes utilisant du soja au Nigéria a entraîné une hausse des ventes locales de produits alimentaires à base de soja et permis ainsi d’améliorer l’état nutritionnel de nombreux Nigérians, en particulier les nourrissons et les enfants d’âge scolaire. L’augmentation de la demande de produits dérivés du soja a stimulé à son tour la production de graines de soja. Avec plus d’un demi-million d’hectares consacrés à la culture de ce produit, le Nigéria est en Afrique le seul producteur important de soja destiné à la consommation humaine. • Au cours des années 90, la recherche sur le riz a fait un grand pas en avant avec la mise au point des variétés de riz NERICA (Nouveau riz pour Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 105 l’Afrique), issues du croisement d’espèces de riz asiatique et africaine. Les variétés NERICA se caractérisent par une tolérance accrue à la sécheresse et aux plantes adventices, et donnent de bons rendements avec peu d’intrants. En 2007, les riz NERICA étaient cultivés sur environ 200 000 hectares, principalement en Côte d’Ivoire et en Guinée. Il convient de noter que les activités de recherche ayant conduit à ces grandes avancées technologiques n’ont pas été menées par des instituts nationaux africains de recherche agricole financés par des fonds publics. Bien que ces organismes nationaux aient été d’importants partenaires, toutes les technologies concernées, à l’exception du maïs hybride, ont été mises au point au départ dans des centres internationaux de recherche agricole, en particulier le CIAT et l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (ADRAO). Si l’introduction et la généralisation de variétés améliorées a engendré quelques belles réussites en Afrique, cela n’a malheureusement pas été le cas de l’introduction et de l’adoption de pratiques améliorées de gestion des cultures et des sols. Malgré les très graves problèmes de dégradation et d’épuisement des sols en Afrique, aucun progrès réalisé dans les techniques de gestion des sols n’est comparable aux innovations décisives dont a bénéficié le Cerrado au Brésil. Beaucoup d’États africains se sont efforcés de promouvoir la gestion des éléments nutritifs du sol en encourageant l’adoption de programmes de pratiques améliorées par l’octroi de subventions massives au titre des engrais et du crédit, mais l’efficacité de ces programmes par rapport à leur coût reste à prouver. Le succès peut-être le plus prometteur à ce jour a été l’introduction par quelque 80 000 agriculteurs zambiens de légumineuses arborées fixatrices d’azote pour enrichir les jachères dans le cadre de la culture du maïs. L’Afrique aura besoin de beaucoup d’autres avancées dans le domaine de la gestion des cultures et des sols pour améliorer durablement sa productivité. Compte tenu de la faible densité démographique et du manque de main- d’œuvre dans la savane guinéenne africaine, la mécanisation sera un autre facteur important pour le développement dans cette région, comme elle l’a été au Brésil et en Thaïlande. Aucune mesure d’incitation n’est nécessaire pour encourager la mécanisation, mais les agriculteurs ont besoin de pouvoir accéder à des financements pour acheter des matériels. L’expérience de nombreux pays montre que, là où l’emploi de machines est rentable, les marchés de location se développent rapidement et permettent aux petits exploitants de mécaniser efficacement beaucoup d’opérations. En règle générale, c’est la location de tracteurs pour la préparation du terrain et l’ensemencement qui se développe en premier (Pingali, Bigot et Binswanger 1992). Le recours à des mesures d’incitation, comme le crédit bonifié au Brésil, non seulement est inutile mais risque aussi de précipiter une mécanisation à grande échelle, qui aura des répercussions négatives sur l’emploi. 106 Le réveil du géant assoupi Si le développement des outils mécaniques peut être laissé au secteur privé et aux agriculteurs, la recherche publique a un rôle important à jouer dans la mise au point de pratiques de labour assurant une gestion durable des sols tropicaux fragiles. L’adoption de méthodes de travail du sol sans labour adaptées aux conditions locales dans différentes régions du Brésil est, à cet égard, exemplaire. Il est en revanche dangereux de promouvoir une agricul- ture mécanisée sans un accompagnement de la recherche, comme cela s’est passé à différents endroits en Afrique, car cette démarche conduit à une dégradation des sols et à une baisse des rendements — les systèmes semi- mécanisés d’agriculture non irriguée au Soudan en sont une illustration. Investir plus et mieux dans la recherche agricole La forte rentabilité des investissements dans la recherche agricole est attestée par une abondante littérature (Alston et al. 2000). Même s’il est bien connu que la recherche agricole a souvent des retombées de très vaste portée, cela ne signifie pas qu’un pays puisse se passer d’investir dans ce domaine sans en subir lourdement les conséquences. Les technologies agricoles doivent être adaptées aux conditions locales. Par conséquent, lorsqu’un pays choisit de miser principalement sur des technologies importées, il doit quand même être prêt à engager un minimum d’investissements pour s’assurer de l’adéquation des technologies importées, sous peine d’avoir de mauvaises surprises. La recherche adaptative est particulièrement nécessaire en Afrique, où les conditions agroclimatiques sont extrêmement complexes et variées et où l’incidence des ravageurs et des maladies est plus élevée que dans d’autres régions. Une étude récente de Pardey et al. (2007) a montré que la « distance technologique » entre les conditions de culture en Afrique et dans les pays développés est particulièrement grande, ce qui signifie que la transposition des techniques se fait encore moins facilement en Afrique que dans les autres régions en développement. Le Brésil dispose peut-être de la meilleure structure de recherche natio- nale du monde dans le domaine de l’agriculture tropicale. En 1973, la créa- tion d’une entreprise publique nationale de recherche agricole, l’EMBRAPA, a donné un cadre et une impulsion durable à la recherche brésilienne. Une vingtaine d’années plus tard, l’EMBRAPA affichait un budget annuel de plus de 300 millions de dollars et employait plus de 2 000 scientifiques, la plupart titulaires de diplômes universitaires supérieurs. L’EMBRAPA est un organisme d’un haut niveau professionnel, et elle jouit d’une autonomie et d’une marge de manœuvre considérables qui lui permet d’attirer et de garder les meilleurs chercheurs. Les États brésiliens ont également leurs propres organismes de recherche publics, et bénéficient d’un secteur de R-D privé dynamique. Dans les années 90, l’EMBRAPA a introduit un mécanisme national de financement compétitif pour exploiter les compétences complémentaires d’autres équipes de recherche, notamment dans les universités, et encourager une plus grande collaboration entre les différentes institutions. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 107 Par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique consacre très peu de fonds à la recherche agricole. En 2000, le budget de la R-D agricole pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne était inférieur à celui de l’Inde et représentait moins de la moitié de celui de la Chine (Pardey et al. 2007). De surcroît, la recherche agricole en Afrique est extrêmement fragmentée, en partie parce que les chercheurs sont dispersés dans un grand nombre de pays de petite ou moyenne dimension. Alors que l’Afrique, l’Inde et les États- Unis ont à peu près la même superficie de terres cultivées, l’Afrique compte 390 instituts de recherche publics, contre 120 en Inde et seulement 51 aux États-Unis. Le nombre total de scientifiques travaillant dans l’agriculture est identique en Afrique et aux États-Unis, mais l’effectif moyen des équipes scientifiques dans un institut donné n’est que de 30 personnes en Afrique alors qu’il est de 180 aux États-Unis. En raison de cette dispersion des compétences dans une multitude de petits instituts de recherche en Afrique, il est difficile de rassembler la masse critique de chercheurs nécessaire pour trouver des solutions aux problèmes généralement plus complexes de l’agriculture africaine. Si l’on compare l’organisation de la recherche agricole au Brésil et au Nigéria, un véritable fossé apparaît dans les capacités de R-D. Alors que le nombre d’exploitants et de travailleurs agricoles est bien plus élevé au Nigéria qu’au Brésil, le Brésil consacre des fonds 40 fois plus élevés à la recherche agricole, a 4 fois plus de chercheurs et dépense 4 fois plus par chercheur. L’écart actuel dans les capacités de R-D, déjà très important, s’accentuera probablement compte tenu de la tendance à la baisse des dépenses par chercheur au Nigéria (Beintema et Ayoola 2004) (figure 5.6). La situation est encore plus préoccupante dans les autres pays africains couverts par les études de cas. Durant les années 90, la recherche agricole publique en Zambie a perdu la moitié de ses spécialistes des plantes cultivées, tandis qu’au Mozambique, elle a dû démarrer, après l’indépendance, avec des ressources humaines extrêmement limitées. À part peut-être l’Afrique du Sud, aucun pays africain ne semble avoir eu la volonté politique requise pour financer durablement la recherche comme au Brésil. Les instituts de recherche publics n’ont pas seulement besoin de davantage de fonds pour obtenir des résultats. Il leur faut aussi des structures de gouvernance appropriées, ainsi que des mécanismes d’incitation qui permettent de tirer le meilleur du personnel scientifique et administratif, faute de quoi, même des niveaux de financement généreux auront peu d’impact. Au Nigéria par exemple, les capacités de la recherche agricole nationale diminuent malgré les déclarations de soutien répétées des pouvoirs publics et des injections de fonds massives des donateurs. En Zambie, les instituts de recherche publics ne sont pas autonomes : ils restent sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. La recherche agricole en Afrique gagnerait en efficacité si une bonne partie des petits programmes existants étaient regroupés dans un nombre restreint de programmes plus vastes capables de gérer les masses critiques de 108 Le réveil du géant assoupi Figure 5.6 Dépenses de R-D agricole au Brésil et au Nigéria (en milliers de dollars PPA) 1 200 Brésil 1 000 (milliers de dollars PPA) dépenses R-D agricole 800 600 400 200 Nigéria 0 1971 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 300 dépenses R-D agricole par chercheur 250 Brésil (milliers de dollars PPA) 200 150 100 Nigéria 50 0 1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 Source : www.asti.cgiar.org. chercheurs et de ressources nécessaires pour obtenir des économies d’échelle. Les organisations régionales et internationales peuvent largement contribuer à surmonter le problème des pays d’envergure limitée. Les organisations internationales jouent d’ailleurs déjà un rôle majeur puisque, parmi les succès enregistrés, bon nombre sont associés à des centres internationaux de recherche agricole tels que l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), le centre AfricaRice (ADRAO), et Centro Internacional de Mejoramiento de Maís y Trigo (Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé — CIMMYT). Toute la difficulté sera de coordonner les activités de recherche internationales, régionales et nationales afin de gagner en efficacité et d’éliminer les redondances. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 109 Développer des systèmes dans une optique pluraliste Il ressort clairement des exemples brésilien et thaïlandais que beaucoup des fonctions de la recherche agricole financées par des deniers publics peuvent être progressivement transférées à des entreprises privées. Dans le même ordre d’idée, les performances de nombreux instituts de recherche publics en Afrique pourraient sans aucun doute être améliorées par l’instauration de liens plus étroits avec des intervenants du secteur privé. Le passage d’une gestion publique à une gestion privée pose certains problèmes mais ils ne sont pas insurmontables. Lorsque la recherche est organisée par produit de base, une solution consiste pour les parties prenantes à assumer la gestion de l’institut de recherche correspondant en couvrant les frais de fonctionnement au moyen de redevances. C’est ce qui s’est produit par exemple dans le secteur du thé en Tanzanie, où l’Institut de recherche sur le thé passe aujourd’hui aux yeux de beaucoup pour être l’organisme de recherche le plus performant du pays (Kangasniemi 2002). De la même façon, le gouver- nement zambien a créé des associations de recherche afin de favoriser les partenariats public-privé susceptibles de répondre aux besoins des exploitants pratiquant une agriculture commerciale. Un domaine dans lequel le secteur privé pourrait presque certainement jouer un rôle plus actif est celui de la sélection de variétés culturales et de la production de semences. Tant au Brésil qu’en Thaïlande, la recherche phytogénétique s’appuie de plus en plus sur des partenariats public-privé, et un grand nombre de producteurs privés de semences forment à présent des alliances axées sur la recherche avec des instituts publics de sélection des plantes. Il est important de créer un environnement propice à l’initiative privée si l’on veut, comme le Brésil, tirer profit des progrès apportés par les biotechnologies à des cultures telles que le maïs, le soja ou le coton. Ces technologies ont également des répercussions majeures sur l’environnement (en favorisant par exemple l’adoption du labour de conservation ou la réduction de la consommation de pesticides), mais la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne sont encore dépourvus de mécanismes efficaces de réglementation des technologies transgéniques. Services de vulgarisation et d’appui L’expérience du Brésil et de la Thaïlande offre une dernière leçon impor- tante : la recherche ne suffit pas pour améliorer durablement la productivité. En plus des progrès technologiques, les pays doivent promouvoir de manière durable la vulgarisation agricole, la distribution des semences, et le dévelop- pement des marchés des intrants et des marchés de production. La Thaïlande, qui privilégie traditionnellement les petites exploitations, a toujours accordé une grande importance à la vulgarisation agricole. Le service créé en 1967 dispose d’un vaste réseau de bureaux régionaux, provinciaux et de district dans toute la région du Nord-Est. En 1999, ce service a mis en place un nouveau système dans lequel les agriculteurs défi- 110 Le réveil du géant assoupi nissent les priorités de développement et les agents de vulgarisation jouent un rôle de facilitation et de coordination, en plus de leurs fonctions de formateurs. Des centres de services et des centres de transfert de technolo- gies ont été ouverts dans chaque sous-district pour travailler avec les exploi- tants. Il est toutefois trop tôt pour savoir si ce nouveau système portera ses fruits. Au Nigéria et en Zambie, les activités de vulgarisation menées dans les années 80 et 90 ont été organisées dans le cadre du système « formation et visites » encouragé par la Banque mondiale. Si ce système a donné d’excellents résultats dans certaines régions d’Asie, il s’est révélé moins efficace dans les conditions hétérogènes de l’agriculture africaine, et n’est pas non plus viable sur le plan financier. Au Nigéria, la Banque mondiale a investi à elle seule plus d’un milliard de dollars dans les activités de vulgarisation réalisées dans le cadre des Programmes de développement agricole menés au niveau des États, avec des résultats généralement décevants. Plus récemment, d’autres initiatives ont été engagées pour redynamiser la vulgarisation, cette fois en donnant aux associations d’agriculteurs la possibilité de conclure des contrats de service de vulgarisation avec des ONG (au Nigéria) ou des prestataires privés de services de conseil (en Zambie et en Ouganda). Au Mozambique, les réformes du système public de vulgarisation agricole sont encore récentes, mais quelques résultats positifs ont été produits par la mise en place d’un système pluraliste auquel participent des agents de vulgarisation du secteur privé, des ONG et des organismes gouvernementaux. L’approche mozambicaine fait une large place à la collaboration avec les associations d’agriculteurs, qui est jugée permettre d’agir plus rapidement et plus efficacement par rapport aux coûts. Cette approche est certes prometteuse, mais il reste manifestement beaucoup à faire : selon une enquête récente, seulement 9,4 % des villages comptaient un bureau de vulgarisation, et même dans ces villages, pas plus de 20 % des ménages indiquaient avoir été en contact avec les agents de vulgarisation. Les distances importantes et les mauvaises infrastructures routières sont les principaux obstacles au développement de ces services (Gemo, Eicher et Teclemariam 2005). Le secteur privé peut aider à résoudre l’un des problèmes fondamentaux de l’agriculture intensive : la production et la diffusion de semences amélio- rées. Au Brésil et en Thaïlande, ces opérations sont aujourd’hui largement assurées par des intervenants privés, même pour les cultures auto-fécondables. Les semenciers privés produisent à présent de grandes quantités de semences de maïs hybrides au Nigéria, et commencent à percer en Zambie. Les exploitations agricoles commerciales ont, toutefois, encore du mal à se procurer des semences améliorées : les semenciers paraétatiques sont peu performants, et le secteur privé souffre d’un manque d’incitations et d’un climat défavorable aux investissements. Le manioc, qui se reproduit par multiplication végétative, présente des problèmes spécifiques de diffusion, mais quelques programmes de distribution de plants améliorés à grande échelle ont donné de bons résultats, notamment au Nigéria. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 111 Conclusions Six grandes constatations concernant la mise au point de nouvelles techno- logies et leur diffusion ressortent de ce panorama rapide des pays inclus dans l’étude sur la CCAA : 1. Il est indispensable d’adopter des technologies plus performantes, non seulement pour permettre le développement d’un secteur de l’agriculture commerciale compétitif, mais aussi pour protéger les ressources naturelles fragiles de la savane guinéenne. 2. D’une manière générale, les rendements agricoles des pays d’Afrique sont très inférieurs à ceux du Brésil et de la Thaïlande, et cet écart ne cesse de grandir. Cependant, des succès ponctuels dans chacun des trois pays africains étudiés montrent qu’il est possible de gérer les sols et les climats de ces pays de manière à générer des rendements du même ordre que ceux obtenus dans des régions équivalentes du Brésil et de la Thaïlande. 3. L’introduction de variétés culturales améliorées a partout joué un important rôle de catalyseur de la productivité agricole, mais les nouvelles variétés ont rarement suffi à permettre de réaliser des progrès décisifs durables : il faut aussi améliorer les pratiques de gestion des cultures et des sols. Trouver des systèmes de gestion viables adaptés à des conditions de production aussi hétérogènes qu’en Afrique reste un immense défi, mais l’exemple du Brésil montre les avantages considérables qui peuvent en découler. 4. Bien que la recherche agricole soit essentielle pour développer une agriculture commerciale compétitive, elle ne constitue pas à elle seule un gage de succès. De plus en plus, l’innovation passe par des interactions étroites entre différents acteurs : le secteur privé, les ONG, les services de vulgarisation et les associations d’agriculteurs. Au fur et à mesure que ces partenaires développeront et formeront des réseaux d’innovation dynamiques, le secteur public devra ajuster ses priorités et ses méthodes pour leur apporter un soutien complémentaire. 5. Le Mozambique, le Nigéria et la Zambie, comme la plupart des pays africains, investissent de manière très insuffisante dans la recherche agricole. Les investissements dans la R-D agricole doivent augmenter à tous les niveaux — international, régional, national et infranational. La recherche internationale et régionale est particulièrement importante en Afrique car elle peut permettre de réaliser des économies d’échelle. 6. Tout en augmentant les investissements, il est indispensable de déployer des efforts résolus pour procéder à des réformes afin que les systèmes de recherche et de vulgarisation deviennent plus dynamiques et pluralistes et soient pilotés par la demande. Pour le moment, aucun pays d’Afrique n’est allé loin dans cette voie. Le NEPAD et les organismes finançant la recherche, notamment les ministères des Finances, les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux, doivent mobiliser l’appui des politiques pour 112 Le réveil du géant assoupi qu’une nouvelle vague de fonds publics soit injectée dans la recherche agricole et la vulgarisation agricole africaines, et que les dirigeants politiques accordent une bien plus grande attention à la performance de leurs systèmes de recherche nationaux. Infrastructures Les investissements dans les infrastructures ont joué un grand rôle dans le développement initial de la région du Cerrado, au Brésil, et de la région Nord-Est de la Thaïlande. Les pouvoirs publics des deux pays ont investi massivement dans les routes, les voies ferrées, l’électricité, l’approvisionne- ment en eau et les communications, qui sont aujourd’hui très développés, même dans de nombreuses zones rurales. Jusque dans les années 60, la région du Cerrado n’était reliée avec le reste du Brésil que par le chemin de fer et par quelques routes, et ses petits centres urbains étaient situées sur différentes lignes ferroviaires. Après la fondation de Brasilia en 1961, les dépenses d’infrastructures ont augmenté. Le Second Plan de développement national comprenait une série de programmes d’investissements spéciaux dont le Cerrado a bénéficié. Ces programmes plurisectoriels ont permis le développement rapide d’équipements de transport et de stockage, de capacités de production et de transport d’énergie, d’installations de recherche et de vulgarisation agricoles, et d’infrastructures de communications. Les investissements publics dans les infrastructures se sont ralentis durant la crise économique. Actuellement, les autorités sont confrontées au problème de l’entretien des nombreuses infrastructures d’une région qui reste très peu peuplée et elles ont de plus en plus recours à des partenariats public-privé et à des concessions privées pour compléter les fonds publics. Dans la région du Nord-Est de la Thaïlande, les investissements dans les infrastructures ont affiché une nette progression à partir des années 50, et des milliers de kilomètres de routes ont été construites pour relier les grandes villes. L’autoroute de l’amitié, financée par les États-Unis au début des années 60, traverse toute la région et constitue la colonne vertébrale d’un réseau de routes secondaires et tertiaires créé petit à petit pour relier la plupart des centres des provinces et des districts et raccorder les villages isolés aux grands axes. En plus de son importance pour la sécurité nationale (l’un des objectifs déclarés du réseau routier était d’empêcher la propagation du communisme depuis le Laos et le Cambodge en favorisant le développement des communautés rurales), le réseau routier a facilité la migration des populations rurales en quête de travail vers Bangkok et les autres centres urbains du sud. En 1991, 44 % du réseau de routes rurales du pays se trouvait dans la région du Nord-Est. Le développement du réseau routier s’est accompagné d’investissements dans les infrastructures ferroviaires et aéroportuaires, qui ont permis de réduire considérablement le coût de transport des marchandises et des personnes. Des investissements Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 113 ont également été réalisés dans l’électrification des zones rurales, rendue possible grâce aux nombreuses sources locales d’hydroélectricité. Dans les années 80, rares étaient les villages de la région Nord-Est qui n’avaient pas l’électricité. Le cas du Brésil et de la Thaïlande est très différent de celui de la plupart des pays africains, où le manque d’infrastructures de transport et la qualité très insuffisante des équipements existants freinent considérablement la circulation des biens et des personnes. Les habitants des zones rurales des trois pays d’Afrique mettent beaucoup plus de temps que leurs homologues des deux pays d’Asie à rejoindre une ville d’au moins 5 000 habitants (tableau 5.1). Les coûts notoirement élevés du transport et de la logistique en Afrique sont dus principalement à l’absence de routes bien entretenues, mais aussi aux carences des procédures opérationnelles et à l’ampleur des coûts de transaction. Avant les années 80, la plupart des opérations de transport, tous modes confondus — rail, camionnage, autobus et aviation civile — appartenaient à l’État et se trouvaient sous gestion publique. Très réglemen- tées, elles étaient souvent lentes à réagir à l’évolution des besoins de trans- port, et facturaient des tarifs trop bas pour pouvoir être rentables. Le secteur des transports de nombreux pays africains a commencé à être en grande partie déréglementé et privatisé dans les années 90. Beaucoup d’entreprises de transport routier et d’autobus, de ports et d’aéroports sont aujourd’hui exploités dans le cadre de concessions. Les entreprises publiques restantes, qui sont peu nombreuses, jouissent d’une plus grande autonomie, et les réglementations imposées par l’État ont été remplacées par des contrats- plans négociés. Dans le secteur des infrastructures routières, les organismes viables (tels qu’agences routières autonomes et fonds routiers) mis en place pour assurer l’entretien des équipements existants prédominent, et une amélioration commence à se faire sentir. Si le coût de la construction et de l’entretien des infrastructures « matérielles » dans le secteur des transports a diminué, il n’en est pas de Tableau 5.1 Temps de trajet vers la ville d’au moins 5 000 habitants la plus proche dans les pays couverts par l’étude sur la CCAA Trajet court Trajet moyen Trajet long (0–1 heure) (2–4 heures) (≥5 heures) Total (% de la population rurale) Brésil 36,8 55,7 7,5 100,0 Thaïlande 69,2 26,9 3,9 100,0 Mozambique 18,4 39,5 42,1 100,0 Nigéria 24,5 63,7 11,8 100,0 Zambie 4,3 24,0 71,7 100,0 Source : J. Nelson, 2006, Market Accessibility Surfaces for Africa, Latin America and the Caribbean, and Asia. Données non publiées, communiquées directement. 114 Le réveil du géant assoupi même de nombreux coûts « immatériels », qui font peser sur les pays africains des coûts logistiques, en fin de compte, bien plus élevés. Les droits d’entrée illicites et les pots de vin exigés, entre autres, par la police aux postes de contrôle routiers et aux postes frontières restent un problème majeur dans beaucoup de régions d’Afrique. Selon une étude financée par la Commission économique pour l’Afrique : « Sur les corridors routiers d’Afrique occidentale reliant les ports d’Abidjan, Accra, Cotonou, Dakar et Lomé au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les chauffeurs de camions ont versé en 1997, 322 millions de dollars de frais indûs aux douanes et aux postes de contrôle de gendarmerie, en partie parce que la Convention inter- État relative au transport routier n’avait pas été appliquée » (Commission économique pour l’Afrique 2004). Dans la mesure où le niveau de ces prélèvements est souvent proportionnel à la valeur des marchandises transportées, il est tout à fait possible que, si les marges bénéficiaires commencent à progresser, les gains soient réduits à néant par l’accroissement des sommes extorquées. Il importe que les pouvoirs publics mettent fin à ces pratiques illégales. Les trois pays africains inclus dans l’étude sur la CCAA illustrent bien la situation qui règne dans l’ensemble du continent. Au Mozambique, durant le régime colonial portugais, des routes et des voies ferrées avaient été construites pour faciliter non seulement le transport des denrées agricoles depuis les zones de production intérieures, mais aussi le transbordement de marchandises depuis les pays voisins (Malawi, Zambie et Zimbabwe). Les échanges nord-sud à l’intérieur du pays étaient minimes. Les infrastructures de transport actuelles sont le reflet de l’héritage colonial ; même aujourd’hui, il n’existe pas de voies ferrées nord-sud au Mozambique. Les carences du réseau ferroviaire ne sont pas non plus compensées par des routes d’excellente qualité ; la densité du réseau routier (3,9 kilomètres de route aux 100 km² de territoire) est la plus faible de toute l’Afrique australe. Le transport par la route d’un conteneur normalisé de Maputo à Pemba coûte près de 7 000 dollars, soit presque 2,5 fois le montant demandé pour transporter le même conteneur depuis Dubaï (2 550 dollars) ou depuis Guangzhou, en Chine (2 550 dollars). Les services de transport maritime sont tout aussi déficients. Il n’existe pas de liaison directe par bateau entre Maputo et Durban. Compte tenu des obstacles et des coûts associés aux transports routiers, ferroviaires et maritimes entre le nord et le sud du pays, les produits agricoles circulent principalement à l’intérieur des deux régions, mais pas de l’une à l’autre. La situation pourrait toutefois changer prochainement grâce aux impor- tants investissements consacrés aux infrastructures depuis la fin de la guerre, qui devraient nettement réduire les coûts du transport intérieur. Ces inves- tissements, qui comprennent la construction d’un grand pont sur le Zambèze et la rénovation de la principale liaison routière raccordant le nord du pays à Maputo, devraient permettre de mieux relier les zones de production agricole excédentaire du nord (notamment la province de Zambézia) aux Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 115 importants marchés intérieurs situés au sud. Au cours des dix années précédant 2003, le pourcentage de routes revêtues en assez bon état ou bon état est passé de 10 % à 70 % et celui des routes non revêtues en assez bon état ou bon état de 20 % à 51 %, tandis que le pourcentage de routes imprati- cables a été ramené de 50 % à seulement 8 % (Banque mondiale 2004). Les radiocommunications et les télécommunications ont également fait d’énormes progrès. En 2005, le pays comptait 800 000 abonnés à la téléphonie mobile, dont beaucoup habitaient en dehors de Maputo, et la qualité des services s’était beaucoup améliorée par rapport aux premières années. Toutes les capitales des provinces et bon nombre de capitales des districts disposent aujourd’hui d’un accès à Internet. Au Nigéria, les infrastructures sont essentielles au bon fonctionnement des filières de tous les produits de base examinés dans l’étude, car les coûts de transport représentent une part significative de la valeur finale des cargai- sons. Les coûts élevés du transport peuvent être attribués en partie au prix du carburant et en partie au mauvais état de la plupart des routes. Plus d’un tiers (37 %) des routes du réseau fédéral, et près des deux tiers (60 %) des routes rurales sont considérées en mauvais état. La couverture du réseau routier national laisse encore beaucoup à désirer. À titre de comparaison, le Nigéria devrait multiplier par sept la densité de son réseau routier, actuelle- ment de 97 kilomètres de route pour 1 000 km², pour être au même niveau que l’Inde en 1950. La situation du transport maritime n’est guère plus encourageante. Les infrastructures portuaires du Nigéria et ses installations douanières sont sous-dimensionnées et surtaxées ; leurs capacités limitées et la lourdeur des procédures allongent beaucoup les délais de transit par rapport à la plupart des autres ports internationaux. En moyenne, il faut 17 jours pour dédouaner des marchandises importées au Nigéria, et 15 jours pour traiter les exportations. Le Nigéria a beau être un grand pays producteur de pétrole, les prix de l’énergie y sont très élevés par rapport au reste du monde. En règle générale, les entreprises établies au Nigéria payent leur énergie deux fois plus cher que les entreprises basées en Inde, à cause de la vétusté et du sous-dimensionnement des infrastructures de production et de transport de l’énergie. Parce que la Zambie est un pays enclavé, les coûts élevés du transport intérieur ont de lourdes répercussions sur les opportunités d’échanges et d’investissements. Ce n’est pas un hasard si les exportations agricoles de ce pays se composent pour une part relativement importante de denrées à assez haute valeur économique, telles que le sucre, le tabac, les produits horticoles (fruits, légumes, fleurs coupées), le café, le paprika et la fibre de coton car ces produits permettent aux exportateurs de faire plus de bénéfices malgré les coûts élevés du transport. Compte tenu de la faible couverture et du mauvais état général du réseau de routes rurales, les zones reculées de la Zambie offrent peu de possibilités d’investissements rentables. Les petits agriculteurs habitant loin des grands axes sont particulièrement défavorisés 116 Le réveil du géant assoupi car, à cause du coût élevé du transport des intrants jusqu’à la ferme et du transport de la production jusqu’aux marchés, ils n’ont guère d’autre choix que de produire principalement pour leur consommation personnelle. Les coûts de transport pénalisent également les exploitants commerciaux, qui doivent souvent entretenir à grands frais leurs propres routes de desserte. Le transport routier est le moyen le plus utilisé pour acheminer les produits agricoles vers et depuis la Zambie. À cet égard, il faut noter que des différences importantes existent entre les tarifs du fret aller et ceux du fret retour sur la plupart des grands axes empruntés par les camionneurs. Entre Lusaka et Johannesburg par exemple, les prix généralement indiqués pour l’expédition de fret dans le sens sud-nord tournent autour de 90 dollars la tonne, contre 45 dollars la tonne dans le sens nord-sud. Les tarifs moins élevés des chargements de retour offrent des possibilités intéressantes aux exportateurs. Le transport ferroviaire est possible aussi, mais son coût est du même ordre que celui du transport routier, et le service ferroviaire est beaucoup plus aléatoire. Les coûts de transport en Afrique sont, d’une manière générale, très supérieurs à ceux observés dans les autres régions, même lorsque le réseau routier est relativement bien développé (encadré 5.2). Cette situation peut être attribuée à un ensemble de circonstances : les coûts plus élevés des véhicules, les prix plus élevés du carburant, la plus grande fréquence des accidents, et toute une série de « taxes » et de droits de passage informels. Le coût élevé des transports assure un certain niveau de protection de facto aux producteurs africains vendant leur production sur les marchés intérieurs, mais il augmente aussi le coût des intrants importés (en particulier les engrais et les carburants et combustibles). En résumé, les infrastructures ne se sont pas développées dans la plupart des pays africains de la même manière qu’au Brésil et en Thaïlande. Dans ces deux pays, les pouvoirs publics ont investi massivement dans des réseaux de transport et d’énergie qui ont décloisonné les zones rurales, tandis qu’en Afrique, l’immense majorité des pays ont essentiellement pu mettre en place des infrastructures de transport et d’énergie à l’intérieur et autour des centres urbains et le long de certains couloirs ferroviaires. D’immenses parties de la savane guinéenne africaine restent mal desservies. Faute de services de transport et d’énergie, beaucoup de producteurs africains n’ont pas les moyens d’aller vendre ne serait-ce que sur les marchés urbains intérieurs, et encore moins d’exporter vers les marchés régionaux et internationaux. Les coûts élevés du transport intérieur et les problèmes logistiques constituent donc un obstacle énorme pour les producteurs africains qui compromet leur compétitivité sur les marchés d’exportation, en particulier pour les produits agricoles à faible valeur économique. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 117 Encadré 5.2 Les coûts du transport de marchandises par la route sont plus élevés en Afrique qu’en Asie En Afrique, non seulement les routes sont (en moyenne) de moins bonne qualité qu’en Asie et leur densité très inférieure, mais les coûts du transport de marchandises par la route sont beaucoup plus élevés en tonne par kilomètre, même sur des routes de qualité comparable (Platteau et Hayami 1996). D’après Hine et Rizet (1991), les coûts du transport routier longue distance en Afrique francophone (Côte d’lvoire, Cameroun et Mali) étaient quatre à cinq fois plus élevés qu’au Pakistan. Les coûts du transport routier de marchandises étaient également élevés en Afrique australe, tandis qu’en Inde et au Viet Nam, ils étaient similaires à ceux du Pakistan. Quatre facteurs expliquent ces écarts. Premièrement, les véhicules neufs sont dans l’ensemble beaucoup plus chers à l’achat en Afrique qu’en Asie ; à titre d’exemple, les prix en Tanzanie sont deux à trois fois plus élevés que pour des véhicules de même capacité en Indonésie. Cela tient en partie au fait que, en Afrique, les distributeurs détiennent souvent des droits exclusifs sur l’importation de véhicules et de pièces détachées, et au fait que, en Asie, les distributeurs importent généralement des véhicules bas de gamme qu’ils peuvent faire modifier sur place grâce à un artisanat local bien développé. Deuxièmement, les carburants sont souvent moins chers en Asie qu’en Afrique. Troisièmement, les camions roulent en moyenne un plus grand nombre d’heures par an en Asie qu’en Afrique. Cela s’explique très certainement en partie par le niveau globalement moins développé de l’activité économique sur le continent africain. Mais Hine et Rizet (1991) font aussi valoir le rôle joué en Afrique par les associations de transporteurs routiers, qui s’entendent entre eux pour répartir le travail entre les transporteurs locaux. En Asie au contraire, les transporteurs font beaucoup appel à des transitaires qui se livrent une concurrence féroce pour leur trouver des clients. Quatrièmement, les camionneurs asiatiques se voient confier une part de responsabilité bien plus importante que leurs homologues africains dans les résultats des opérations. Non seulement ils sont ainsi encouragés à utiliser les transitaires, mais cela signifie aussi que les véhicules roulent beaucoup moins vite ; ils font ainsi des économies de carburant et réduisent les coûts associés aux accidents. Irrigation Parce qu’une bonne maîtrise de l’eau augmente nettement la rentabilité des investissements réalisés par les exploitants dans les intrants agricoles, tels que les semences améliorées et les engrais, l’irrigation a largement contribué aux premiers succès de la révolution verte en Asie et en Amérique latine. 118 Le réveil du géant assoupi A contrario, le manque d’installations d’irrigation en Afrique a constitué un frein important à la diffusion dans cette région des technologies associant semences améliorées et engrais. L’irrigation est sans aucun doute un facteur essentiel de croissance de la productivité agricole, mais son importance varie selon le lieu. Dans les zones où les précipitations sont raisonnablement fiables et suffisantes, elle n’est pas aussi vitale. C’est essentiellement pour cette raison que l’irrigation n’apas joué un rôle déterminant dans la transformation agricole du Cerrado au Brésil, et qu’elle n’a revêtu de l’importance dans la région Nord-Est de la Thaïlande que pour la riziculture, très exigeante en eau. Au Brésil, seulement 2,95 millions d’hectares environ sont irrigués, soit à peu près 7 % de la totalité des surfaces cultivées. Environ 40 % des terres irriguées sont situées dans la région du Cerrado. Les infrastructures d’irrigation dans cette région sont financées avant tout par des fonds privés et sont principalement de petites installations de pompage ; les grands périmètres irrigués à financement public sont rares. Dans la région Nord-Est de la Thaïlande, l’agriculture est essentiellement pluviale, mais l’irrigation se développe et couvre actuellement environ 17 % des superficies cultivées. Le Gouvernement thaïlandais a commencé à investir dans l’irrigation au cours des années 60, en commençant par construire six grands barrages sur des affluents de la Mun, le principal fleuve de la région. En 1977, le Département royal de l’Irrigation (RID) a lancé un projet de mise en valeur des ressources en eau à petite échelle dans la région Nord-Est qui a permis de construire des barrages de dérivation et des petits réservoirs dont l’exploitation et la maintenance ont été confiées aux conseils des sous-districts. Le riz a été le principal bénéficiaire de l’irrigation dans cette région : sa production a presque doublé pour passer de 5,3 millions de tonnes en 1975 à 10,4 millions de tonnes en 2005, alors que la superficie de rizières n’a augmenté que de 25 % pour passer de 4 millions d’hectares à 5,2 millions d’hectares. L’irrigation est beaucoup moins importante pour les producteurs de manioc et de canne à sucre, ce qui explique que le développement de l’irrigation n’ait pas joué un rôle majeur dans l’essor des exportations de la région Nord-Est. En revanche, l’irrigation a indéniablement contribué pour une bonne part à améliorer le niveau de vie des ménages ruraux en aidant les paysans à diversifier leurs activités de production et en les protégeant des risques météorologiques. Les statistiques relatives à l’irrigation dans les pays africains couverts par les études de cas sont récapitulées au tableau 5.2. Au Mozambique, les installations existantes pourraient permettre d’irriguer environ 118 000 hectares, mais seulement un tiers d’entre elles sont aujourd’hui opérationnelles. Les pouvoirs publics accordent une haute priorité à la remise en état des installations hors service et au développement de l’approvisionnement en eau potable dans les zones rurales. La disponibilité en eau, en particulier pour la petite irrigation à faible coût, le bon fonctionnement et l’entretien des installations existantes contribueraient certainement à réduire la vulnérabilité du pays aux sécheresses. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 119 Tableau 5.2 Superficies irriguées et irrigables au Mozambique, au Nigéria et en Zambie Surfaces Surfaces Surfaces irriguées irriguées irriguées en % des en % des en % des Surfaces Surfaces Surfaces Surfaces surfaces surfaces surfaces cultivables cultivées irrigables irriguées cultivables cultivées irrigables (milliers d’ha) (milliers d’ha) (milliers d’ha) (milliers d’ha) (%) (%) (%) Mozambique 36 000 4 435 3 072 118 0,33 2,66 3,85 Nigéria 61 000 33 000 2 330 293 0,48 0,89 12,58 Zambie 16 350 5 289 523 156 0,95 2,95 29,81 Source : Banque mondiale 2007b. Note : ha = hectares. Au Nigéria, bien que le manque d’eau handicape lourdement la produc- tion agricole, l’immense potentiel d’irrigation du pays reste en grande partie inexploité. Entre 2 millions et 2,5 millions d’hectares pourraient être irrigués, mais seulement 290 000 hectares le sont aujourd’hui, soit moins de 1 % des terres cultivées. L’irrigation est assez largement utilisée pour la production de blé et de canne à sucre, mais beaucoup moins pour la rizicul- ture et les cultures maraîchères. Récemment, les Projets de développement des fadamas financés par la Banque mondiale ont permis de mettre en valeur ces terres basses inondables grâce à des installations de petite irrigation privées ou collectives. En Zambie, la superficie de terres techniquement irrigables pourrait atteindre 500 000 hectares selon certaines estimations. Jusqu’à présent, seulement 150 000 hectares ont été aménagés pour l’irrigation, en majorité sur de grandes exploitations commerciales. Dans l’ensemble, les équipements d’irrigation mis en place et gérés par les pouvoirs publics se sont révélés peu performants. Certains projets financés par des donateurs ont cependant aidé des petits exploitants à construire des barrages, creuser des rigoles alimentées par gravité et acheter des pompes à pédale de manière à avoir un accès plus fiable toute l’année aux ressources en eau dont ils ont besoin pour leurs cultures et pour leur bétail. L’irrigation n’est peut-être pas aussi cruciale dans la savane guinéenne que dans d’autres zones de production plus arides, mais sa contribution potentielle à l’agriculture africaine ne devrait pas être sous-estimée. Les agriculteurs d’Afrique australe savent depuis longtemps que même un unique apport d’eau avant les semis ou la plantation peut faire une énorme différence en permettant de semer ou planter à la bonne période et de garantir une croissance vigoureuse au départ, ce qui peut avoir un impact important sur les rendements finaux et réduire les risques. L’irrigation peut donc améliorer sensiblement la productivité des pays africains et, à terme, leur compétitivité. 120 Le réveil du géant assoupi Institutions Le développement de l’agriculture commerciale suppose l’existence de marchés qui fonctionnent bien. La tâche la plus ardue pour les pays qui poursuivent cet objectif consiste peut-être à mettre en place les institutions nécessaires pour que les marchés fonctionnent mieux et présentent moins de risques. Marchés des produits et des facteurs On a pu constater, dans le monde entier, qu’une agriculture commerciale compétitive a peu de chances de se développer si les marchés des intrants et des produits ne fonctionnent pas de manière efficace. Ces marchés doivent être capables d’assurer différentes fonctions essentielles : • Réduire les coûts de transaction de manière à rendre aussi attractifs que possible les prix des intrants et des produits tout au long de la filière, compte tenu des coûts de production et de transport ; • Assurer la correspondance des prix du marché et des prix économiques à long terme des intrants et des produits, pour que la structure de la croissance de l’agriculture commerciale soit viable ; • Transmettre, au moyen de signaux donnés, entre autres, par les prix (par exemple les conditions des contrats), les informations nécessaires pour assurer une bonne coordination des volumes et de la qualité des produits aux différentes étapes de la filière ; • Encourager l’adoption de nouvelles technologies efficientes et économi- quement intéressantes ; • Éviter de transmettre des risques excessifs dans le système (par exemple en répercutant sur les exploitants toute fluctuation à court terme sur les marchés mondiaux), car ceux-ci pourraient avoir un effet dissuasif sur les investissements à long terme dans la filière, en particulier de la part d’agents peu disposés à prendre des risques. Les processus de transformation de l’agriculture au Brésil et en Thaïlande ont clairement fait ressortir l’importance de marchés fonctionnant de manière satisfaisante. Ce n’est pas en confrontant les producteurs aux prix bruts des marchés mondiaux que ces deux pays ont réussi à développer leur agriculture commerciale. Comme indiqué précédemment, les responsables politiques brésiliens et thaïlandais se sont efforcés de créer des incitations et de réduire les risques de fluctuation des prix en fixant des prix de soutien minimum et en facilitant l’établissement de contrats à terme. Les réformes de la politique publique engagées au Brésil à partir des années 90 ont supprimé progressivement les soutiens des prix, qui ont été en grande partie remplacés par des primes versées aux négociants pour compenser tout écart entre le prix de soutien et le prix du marché. Les entreprises de transformation ont aussi commencé à proposer des contrats à terme associés Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 121 à des prêts, et ont réduit leurs propres risques en procédant à des opérations sur les marchés à terme. En Thaïlande, les équipes gouvernementales qui se sont succédé au pouvoir ont également pris des mesures ciblées de soutien des prix et poursuivi des programmes de stabilisation des prix, bien que leurs interventions aient été plus limitées qu’au Brésil et qu’elles aient laissé une plus grande latitude aux négociants privés. Dans les deux pays, l’intégration verticale et l’agriculture contractuelle ont contribué dans une mesure importante à réduire les risques de fluctua- tion des prix pour les agriculteurs et à leur assurer la fourniture d’intrants et des crédits. Ces structures se sont surtout développées dans les secteurs ayant un nombre assez restreint d’entreprises de transformation, comme le sucre et le manioc en Thaïlande et le soja au Brésil. En Afrique, les coûts de commercialisation sont souvent élevés à cause de l’étendue des zones de distribution, des petites quantités commercialisées par chaque exploitation et des carences des infrastructures. Seul un faible pourcentage de la production totale de nombreux produits alimentaires de base consommés principalement sur l’exploitation est commercialisée, de sorte que les marchés sont étroits et, donc, volatils. Du fait du volume limité des transactions, il est très difficile et coûteux de stabiliser ces marchés, en particulier dans les pays où les coûts de transport élevés créent un écart important entre les prix paritaires à l’importation et à l’exportation et où les pouvoirs publics n’ont pas, contrairement aux autorités thaïlandaises, la marge de manœuvre requise pour stabiliser les prix par des mesures de politique commerciale. Les trois pays africains ont parfois imposé des tarifs uniques pour certains produits de base sur l’ensemble de leur territoire. Cette tarification nationale a eu de graves effets sur la répartition spatiale de la production et a forcé les organismes publics à intervenir sur les marchés pour jouer un rôle d’arbi- trage. Le problème a été particulièrement visible en Zambie, où les prix relativement élevés fixés pour le maïs ont entraîné une augmentation généralisée de la production, même loin des grands centres de consomma- tion. Jusqu’au début des années 90, la responsabilité de la commercialisation et de l’entreposage du maïs est principalement incombée à un organisme paraétatique, le NAMBOARD, ce qui, bien évidemment, a créé une lourde charge budgétaire. Après avoir lancé une série de réformes pendant les années 90, la Zambie a créé une Agence des réserves alimentaires chargée de stabiliser les prix en effectuant des opérations d’achat et de vente sur les marchés intérieurs et en procédant à des importations. Mais les efforts déployés par les autorités gouvernementales pour stabiliser les marchés des produits ont parfois eu l’effet inverse car nul ne savait combien de temps les mesures prises resteraient en vigueur. Les opérations réalisées par l’Agence des réserves alimentaires ont souvent envoyé des signaux confus aux marchés et ont eu un effet dissuasif sur le secteur privé. Certaines années, elles ont même aggravé l’instabilité des prix parce que les agents privés étaient découragés 122 Le réveil du géant assoupi et que les agences gouvernementales n’ont pas rempli leur mission (Nijhoff et al. 2003). Au Mozambique, où les pouvoirs publics sont peu intervenus et où les frontières sont relativement ouvertes, les prix ont été moins instables qu’en Zambie (figure 5.7). Dans la savane guinéenne africaine où l’agriculture est extrêmement tributaire des précipitations, qui sont imprévisibles, et où le manque d’infrastructures empêche les marchés de faire face aux baisses de production dues aux aléas météorologiques, la volatilité des prix représente un risque majeur pour les agriculteurs et les dissuade d’intensifier la production (Byerlee, Jayne et Myers 2006). Des dispositifs pilotes ont été mis en œuvre au Malawi en vue de tester des instruments novateurs d’assurance basée sur des indices météorologiques ainsi que des techniques de contrats à terme (passant par le SAFEX, le Marché sud-africain des opérations à terme) ; ils pourraient offrir des possibilités intéressantes pour gérer ce type de risques à moindre coût et en utilisant davantage les mécanismes de marché. Même si les trois pays africains de l’étude sur la CCAA ont eu recours à des mesures de soutien, ils ont moins bien réussi que la Thaïlande à utiliser la politique des prix pour aligner les prix intérieurs sur l’évolution des cours mondiaux à long terme et lisser les fluctuations de prix à court terme. Gérer Figure 5.7 Prix de gros du maïs en Afrique australe, 1994–2003 (dollars/kg) 600 500 prix nominal en dollars/kg 400 300 200 100 0 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Randfontein, Afrique du Sud Lusaka, Zambie Lilongwe, Malawi Maputo, Mozambique Sources : Mozambique et Zambie : prix de gros du maïs communiqués par le ministère de l’Agriculture ; Malawi : prix de détail du maïs communiqués par le ministère de l’Agriculture ; Afrique du Sud : données du SAFEX (Randfontein) sur les prix de gros du maïs blanc. Note : kg = kilogramme. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 123 les prix de cette manière suppose des capacités d’analyse très poussées pour suivre le mouvement des cours mondiaux, mais exige aussi une certaine souplesse administrative et politique pour pouvoir ajuster les prix de soutien en fonction des évolutions indiquées par les projections. En Afrique, les trois pays de l’étude sur la CCAA ont subventionné les intrants pour stimuler le développement de l’agriculture commerciale. Le Nigéria et la Zambie, où les secteurs non agricoles occupent une plus grande place dans l’économie, ont eu plus de facilités à financer ces subventions que le Mozambique (le Nigéria, en particulier, a profité du boum pétrolier des années 80). Ces deux pays ont en outre dû dans une plus large mesure accorder des subventions pour contrebalancer les effets du syndrome hollan- dais provoqué par les cours élevés du pétrole et du cuivre. Mais les subven- tions ont généré des coûts d’opportunité importants pour l’économie. En Zambie, le subventionnement des engrais a absorbé 37 % du budget du ministère de l’Agriculture et des Coopératives en 2005/06, au détriment des activités de recherche et de vulgarisation qui auraient pu engendrer des hausses plus durables de la productivité agricole. Ces subventions semblent avoir profité pour l’essentiel aux exploitations de taille moyenne, ce qui a pu avoir comme conséquence involontaire de favoriser le remembrement des terres, de la même façon que les crédits bonifiés au Brésil (Jayne et al. 2006). Il ne semble pas non plus que l’emploi de subventions dans les pays africains ait eu un « effet d’apprentissage » en encourageant les exploitants à expéri- menter de nouvelles technologies dont ils ignoraient auparavant l’existence. En fait, les subventions ont donné aux agriculteurs la possibilité d’adopter des technologies, par exemple des engrais, qu’ils connaissaient mais qu’ils avaient choisi de ne pas utiliser parce que le rapport entre les prix des intrants et de la production ne leur était guère favorable. Les réformes engagées dans ces trois pays pendant les années 90 ont nettement diminué le niveau de subventionnement des intrants et des produits, à l’exception des engrais en Zambie. Le Nigéria et le Mozambique envisagent actuellement de recommencer à subventionner les engrais face au niveau élevé des prix alimentaires. La structure des marchés agricoles est un facteur essentiel qui peut affecter les performances et sur lequel les pouvoirs publics tentent souvent d’agir. Dans un contexte d’économies d’échelle, d’asymétrie de l’information et d’absence de biens publics, les agriculteurs africains sont souvent confrontés à des marchés inexistants ou incomplets (notamment pour les intrants, les produits et le crédit). Il est possible de remédier à cette situation en reliant les marchés d’intrants et de produits — c’est le principe même de l’agriculture contractuelle, très répandue, dans le cadre de laquelle de vastes oligopsones ou monopsones constitués par des organismes commerciaux assurent la coordination du système. En règle générale, ces organismes (par exemple les compagnies cotonnières dans l’Afrique francophone) achètent leurs récoltes aux agriculteurs et, en outre, leur fournissent des intrants, financent la recherche agricole, assurent des services de vulgarisation, 124 Le réveil du géant assoupi construisent des routes de desserte, et apportent même un soutien à des programmes d’alphabétisation fonctionnelle. Ces oligopsones et monopsones se voient souvent reprocher d’exploiter les agriculteurs et de ne pas être assez exposés à la concurrence. Mais une concurrence trop importante peut se révéler contreproductive, car les agriculteurs risquent de ne pas honorer leurs dettes et d’aller vendre leurs récoltes à un organisme autre que celui qui leur a fourni des intrants et d’autres services à crédit. Il importe de trouver le juste équilibre entre les avantages procurés par la coordination verticale de ces acteurs puissants et leur capacité à exploiter les agriculteurs en profitant des rentes du monopsone. Il est également nécessaire de constituer des associations d’agriculteurs dynamiques pour négocier les prix et les autres conditions des contrats, comme le montre clairement l’exemple du sucre au Brésil et en Thaïlande. Certaines filières agricoles sont organisées en monopoles locaux, soit parce que les produits sont très périssables une fois récoltés, et qu’il est donc intéressant de regrouper les activités de production et de transformation (c’est le cas, par exemple, pour le thé), soit parce que les pouvoirs publics ont choisi d’encourager cette forme d’organisation (comme dans le secteur privatisé du coton au Mozambique, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire). Dans ces circonstances, les entreprises de transformation ont normalement tout intérêt à investir dans la fourniture de services aux petits exploitants qui les approvisionnent, et le rôle de l’État peut se borner à : a) garantir l’exis- tence d’un programme de recherche pour accompagner le développement du secteur ; b) fixer les règles régissant les appels d’offres pour l’attribution (ou le renouvellement) du monopole local, de manière à donner aux inves- tisseurs la confiance et les incitations nécessaires pour investir dans la four- niture de services ; et c) mettre en place une « politique de concurrence » afin de garantir aux petits producteurs qu’ils obtiendront un prix équitable pour leurs récoltes, si les règles définies pour la concession du monopole ne le leur garantissent pas déjà. Il n’est pas facile de remplir ces fonctions mais un organe du gouvernement central suffisamment mobilisé peut y parvenir. D’autres filières sont organisées en oligopoles. Là encore, les entreprises de transformation sont normalement incitées à investir dans la fourniture de services aux petits exploitants qui les approvisionnent. Si l’on suppose qu’il règne une certaine confiance entre les oligopoles, ces derniers peuvent coor- donner leurs opérations de manière informelle pour obtenir le recouvrement des crédits contractés pour l’achat d’intrants et maintenir des incitations suffisantes pour assurer la fourniture de services de vulgarisation et le main- tien de contrôles de la qualité. Dans ces conditions, le rôle de l’État doit pouvoir se limiter aux fonctions a) et c) ci-dessus. Les marchés d’autres produits de base sont concurrentiels et comptent un grand nombre d’acheteurs. Il est très possible que ces derniers ne puissent pas coordonner leurs interventions dans le contexte du secteur privé ; il est donc probable qu’ils ne seront guère incités à offrir des programmes interdépendants de fourniture de services et d’achat de la production. Par Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 125 conséquent, à moins que l’État ne s’emploie à fournir des services essentiels, notamment de vulgarisation, ces derniers peuvent tout simplement ne pas être assurés ce qui aura pour effet de limiter le développement de l’agriculture commerciale. L’arrêt de la révolution verte du maïs dans l’est et dans le sud de l’Afrique, et la situation observée dans les secteurs hautement concurrentiels du coton en Tanzanie et en Ouganda en sont des exemples manifestes. Dorward, Kydd et Poulton (2005) se sont demandés, dans le cas de la filière du coton en Afrique, si les petits producteurs et les entreprises ont, respectivement, davantage intérêt à opérer dans un cadre plus concurrentiel ou bien dans un système plus concentré (mais mieux coordonné), sur le modèle de l’agriculture contractuelle, sachant que seulement dans le deuxième cas, les producteurs bénéficient de services ainsi que de crédits pour acheter leurs intrants. Les auteurs sont parvenus à la conclusion que les ménages qui peuvent obtenir des crédits auprès d’entreprises concentrées se trouvent dans une position plus favorable même si, en situation de monopole ou d’oligopole, ils reçoivent pour leurs graines de coton un prix jusqu’à 40 % plus faible que celui qu’ils obtiendraient sur un marché concurrentiel. En effet, ils bénéficient de meilleurs services, ils peuvent compter sur des approvisionnements en intrants plus fiables et ils obtiennent des rendements supérieurs. Cependant, la viabilité de ces systèmes « plus compacts » suscite aujourd’hui quelques interrogations ; ils sont depuis quelques temps en perte de vitesse en raison, notamment, du manque de discipline de leur gestion interne et des pressions politiques qui ont freiné l’ajustement des prix aux producteurs qui aurait du résulter de la baisse des cours mondiaux. La mise en place de systèmes adaptés à un contexte particulier exige souvent de nombreuses expérimentations et un long apprentissage, comme on l’a vu pour le coton en Zambie et au Malawi (encadré 5.3). Marchés financiers Les exploitants ont besoin d’avoir plus largement accès au crédit lorsque l’agriculture commerciale se développe. La demande d’intrants achetés, d’investissements au niveau des exploitations et de services après récolte augmente habituellement plus vite que la production elle-même. Les investissements qui accompagnent ce processus peuvent jusqu’à un certain point être financés par l’épargne, par les bénéfices d’autres entreprises ou par des emprunts, mais étant donné l’ampleur des investissements nécessaires, il n’est généralement pas possible de compter uniquement sur l’autofinancement. Faciliter l’accès au crédit pour l’agriculture commerciale pose un problème majeur, surtout en ce qui concerne les petits exploitants. Étant donné les risques et les asymétries d’information qui caractérisent les marchés agricoles, les institutions financières du secteur formel sont souvent réticentes à prêter aux petits agriculteurs qui peuvent rarement fournir des 126 Le réveil du géant assoupi Encadré 5.3 Réduire les risques pour les petits producteurs de coton La production cotonnière à petite échelle s’est développée rapidement en Zambie, surtout depuis que les deux grandes sociétés d’égrenage ont trouvé le moyen, non seulement d’éviter dans une large mesure que les agriculteurs ne vendent leur coton à d’autres acheteurs afin de ne pas rembourser les montants qu’ils ont empruntés pour acheter des intrants, mais aussi de réduire leurs coûts de transaction par unité de production. La principale société cotonnière opérant en Zambie, Dunavant Cotton Ltd, est passée d’un modèle basé sur des plantations satellites à un modèle basé sur les distributeurs : la société passe des contrats avec un réseau de distributeurs locaux qui travaillent à la commission. Le distributeur, qui est généralement un gros exploitant (mais pas un employé par Dunavant), est tenu de fournir une garantie dans le cadre de l’accord et il assume l’entière responsabilité du choix des planteurs avec lesquels il travaille, de la fourniture d’intrants et de services de vulgarisation, du recouvrement des crédits et de la collecte des récoltes. À la fin de la saison, le distributeur reçoit une commission de la société, qui est fonction du taux de recouvrement des crédits, des volumes récoltés et de la qualité du coton. Ce modèle a permis à la société d’abaisser ses coûts de transaction unitaires en réduisant le nombre d’agents de vulgarisation qu’elle emploie directement, en réduisant le nombre d’exploitants qui vendent leur production en dehors du circuit ou qui ne peuvent pas rembourser leurs emprunts, en augmentant le nombre d’exploitants mobilisés, et en favorisant la formation de groupes d’intérêt informels au niveau des villages. Ces derniers organisent en effet les livraisons et les collectes, et négocient avec le distributeur et la société, sans que cette dernière n’ait à assumer le moindre coût. Ce système est maintenant aussi utilisé au Mozambique par la société qui occupe désormais une place importante dans un secteur caractérisé par des équipements d’égrenage vétustes et des structures organisationnelles obsolètes. L’arrivée sur le marché de nouveaux opérateurs de ce type, ainsi qu’une supervision plus rigoureuse des concessions par l’État (rétablies à la fin de la guerre) et les associations de producteurs nouvellement créées, pourraient se traduire au final par une amélioration de la situation des agriculteurs qui ont toujours obtenu les prix les plus faibles de la région pour leurs graines de coton. Source : Keyser 2007. nantissements ou garantir d’autres manières leurs emprunts. Les mesures de subventionnement visant à abaisser le coût du crédit pour les agriculteurs réduisent souvent la capacité de mobilisation de l’épargne locale et génèrent une demande de financement excessive. Les prêts sont alors rationnés et attribués aux emprunteurs qui ont de l’influence ou qui ont les moyens d’absorber des coûts de transaction élevés, et il n’est pas rare que l’essentiel des fonds reviennent finalement aux exploitants les plus importants ou les Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 127 plus influents. Les banques contournent souvent les directives gouvernementales qui leur demandent de cibler certains secteurs ou groupes particuliers. Les organismes de prêt recevant un appui de l’État qui ont été créés pour remédier à ces problèmes enregistrent souvent des coûts élevés et des taux de recouvrement bas, qui compromettent la viabilité des programmes. Le Brésil et la Thaïlande s’y sont pris très différemment pour fournir des crédits aux exploitations commerciales. Leurs approches respectives reflètent des structures agricoles très différentes, qu’elles ont de surcroît renforcées. Au Brésil, surtout durant la période de promotion de cultures de substitution aux importations, l’État a financé des volumes considérables de crédits principalement pour compenser les effets de la taxation de l’agriculture due à la surévaluation des taux de change et aux autres mesures de remplacement des importations. Sur une base nette, ces différentes mesures ont assuré un soutien modeste à l’agriculture, mais ce sont les grandes exploitations mécanisées qui ont surtout profité des programmes d’achat des produits de base appuyés par l’État, des programmes de crédit bon marché et de politiques foncières anarchiques. En Thaïlande, l’État a aussi accordé des crédits aux agriculteurs, mais en ciblant principalement les petits exploitants. La Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives (BAAC) est la plus importante source de financement institutionnel au secteur agricole puisque, selon les années, de 55 à 70 % des agriculteurs s’adressent à elle. Aucun nantissement n’est exigé pour les prêts de faible montant sur un an, tant que les emprunteurs forment des groupes de caution solidaire. Les taux de remboursement des prêts de faible montant sont satisfaisants. Pour les prêts plus importants ou de plus longue durée, une garantie est demandée. Lorsque la BAAC gère ses propres programmes de crédit, elle aligne normalement les taux d’intérêt de ses prêts agricoles sur ceux du marché ; ces taux sont généralement compris entre 8 et 15 % selon la cote de crédit de l’emprunteur. Lorsqu’elle sert d’organisme d’exécution pour des programmes de financement spéciaux de l’État, les taux d’intérêt peuvent être bonifiés. Les prêts subventionnés représentent environ 10 % du total des prêts accordés par la BAAC. Le système de crédit agricole thaïlandais se distingue par son ampleur et sa viabilité. Dans les pays africains inclus dans l’étude sur la CCAA, les programmes de crédit agricole affichent des résultats généralement décevants. Au Mozambique, le crédit agricole est encore peu développé. La plupart des agriculteurs n’ont qu’un accès limité à des sources formelles de financement, sauf s’ils opèrent en collaboration avec des sociétés titulaires de grandes concessions pour des cultures de rente comme le coton. Seulement 3,5 % des ménages ruraux peuvent contracter des emprunts, qui leur sont accordés dans la plupart des cas non pas par des établissements financiers mais par les sociétés gérant de grandes exploitations de rapport. Certains clients institutionnels peuvent aussi emprunter des montants limités à des banques locales, mais en général à des taux élevés. En décembre 2006, ces banques 128 Le réveil du géant assoupi prélevaient des intérêts de base au taux de 20,8 % pour les prêts à long terme, alors que le taux d’inflation n’était que de seulement 8,1 % par an. Les conditions de nantissement sont rigoureuses ; la plupart des banques mozambicaines ne prennent d’hypothèques que sur les biens immobiliers. Les prêts au secteur agricole sont limités ; seulement 10 % environ du porte- feuille global des banques commerciales concerne l’agriculture, y compris les agroindustries, et les petits agriculteurs n’obtiennent que rarement des financements. La Zambie offre l’un des environnements les plus défavorables à la finance rurale parce qu’elle a une densité de population extrêmement faible, manque d’infrastructures et est exposée aux risques élevés inhérents à l’agriculture pluviale. C’est essentiellement pour ces raisons que le crédit continue d’y être excessivement cher, et souvent inaccessible non seulement pour les agriculteurs mais aussi pour les entreprises rurales non agricoles. La situation devrait être différente au Nigéria. La densité de population plus élevée et les immenses ressources pétrolières du pays devraient en principe permettre de bâtir un système financier de vaste portée et pouvant fonctionner pour l’essentiel sans intervention extérieure. Cela est encore loin d’être le cas. Le gouvernement fédéral et de nombreux États ont tenté à de multiples reprises au cours des 30 dernières années de rendre les services financiers plus accessibles aux agriculteurs. Ils ont, entre autres, mis en place des établissements financiers ruraux spécialisés, imposé des planchers de crédit agricole obligatoires, fourni un soutien direct au financement de l’agriculture par le biais d’institutions et dans le cadre de projets de développement publics, approuvé des mécanismes de rétrocession de prêt aux coopératives agricoles par l’intermédiaire des banques commerciales et d’organismes faîtiers de coopératives d’État, subordonné l’ouverture de nouvelles agences bancaires en ville à l’ouverture simultanée d’agences rurales, appuyé des mécanismes de garantie des prêts agricoles, et introduit un moratoire des dettes. En dépit de leurs bonnes intentions, les interventions des pouvoirs publics dans le domaine du crédit ont été infructueuses. Elles ont certes permis d’accroître les montants décaissés au titre des prêts, mais elles n’ont pas réussi, de manière générale, à assurer des niveaux de remboursement adéquats et n’ont finalement pas pu être poursuivies. En résumé, les systèmes de crédit agricole sont, dans l’ensemble, peu développés en Afrique, et ils n’ont que rarement été en mesure de fournir les liquidités nécessaires pour répondre aux besoins de l’agriculture commerciale. Les programmes de crédit agricole qui ont été lancés ont parfois permis aux producteurs d’obtenir des prêts à des taux bonifiés, mais leur impact sur l’agriculture commerciale reste minime. Un grand nombre d’institutions financières rurales financées par des fonds publics ne sont pas parvenues à être viables et ont dû être fermées ou entièrement réorganisées. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 129 Climat des affaires, climat de l’investissement et coûts de transaction Brésil. La politique de développement du Cerrado a reposé sur la création d’incitations pour les agriculteurs privés. À titre d’exemple, les investisse- ments publics massifs dans les infrastructures routières ont encouragé la réalisation d’investissements privés complémentaires dans la mise en valeur des terres. Au départ, la fixation des prix à l’échelle nationale a dissuadé les acteurs privés d’investir dans le stockage et la commercialisation, et le secteur public a dû jouer un rôle important dans ce domaine ; les réformes des années 90 ont toutefois davantage incité le secteur privé à investir dans la commercialisation. Les partenariats public-privé pour la recherche agri- cole se sont aussi développés à cette époque. L’expansion du secteur privé a été principalement freinée par la réglementation du travail et la législation fiscale. En 2007/08, le Brésil était 72e sur 131 pays au classement de l’indice de compétitivité mondiale, les quatre principaux handicaps cités étant la réglementation fiscale, les taux d’imposition, une législation du travail contraignante, et le manque d’efficacité de l’administration publique. Thaïlande. Les mesures prises pour développer l’agriculture dans la région Nord-Est ont donné lieu à la création d’étroits partenariats public- privé. À travers les Plans de développement national qui ont guidé les initiatives dans le pays, le Gouvernement thaïlandais a promu un marché relativement libre et fonctionnant de manière harmonieuse, et l’octroi d’un solide soutien au secteur privé. Des efforts ont été fait pour répartir les tâches entre les secteurs public et privé en fonction de leurs avantages comparatifs. L’État a porté ses efforts sur le développement des infrastructures, la recherche, l’éducation, la vulgarisation, la diffusion de l’information, et les mesures ayant un impact sur l’accès au crédit et à la terre. Il a également appuyé la création de groupes d’agriculteurs, et parfois même joué un rôle de médiateur entre ces groupes et le secteur privé (par exemple les entreprises sucrières). Les entrepreneurs et les négociants privés ont, de leur côté, assuré des fonctions essentielles en ouvrant des débouchés commerciaux et en effectuant les investissements privés nécessaires pour permettre à la région de réaliser son potentiel en matière de production et de commercialisation. Malgré les importants progrès réalisés par la Thaïlande sur le plan du climat des affaires (elle est actuellement 28e sur 131 au classement de l’indice de compétitivité mondiale), l’instabilité et l’application des politiques continuent de soulever des problèmes. Les quatre principaux freins à l’amé- lioration de la compétitivité mondiale sont l’instabilité de la politique publique, le manque d’efficacité de l’administration publique, l’instabilité gouvernementale, et la corruption. En revanche, les infrastructures physiques, la qualité de la main-d’œuvre et les taux d’imposition ne semblent pas remettre en cause le classement. Mozambique. Le climat des affaires au Mozambique montre des signes d’amélioration mais reste encore très mal noté par rapport à celui de beau- coup de pays en développement. Le rapport Doing Business 2009 d’IFC 130 Le réveil du géant assoupi (IFC 2008) place le Mozambique à la 141e place sur 181 pays en ce qui concerne la facilité de la poursuite d’une activité économique, tandis que le Global Competitiveness Report 2007–2008 (Forum économique mondial 2007) le classe 121e sur 127 pays pour la compétitivité des entreprises. Les infrastructures n’arrivent qu’en cinquième position des obstacles à l’activité économique, ce qui peut surprendre étant donné l’étendue du pays et l’insuffisance de son réseau routier ; l’accès à des financements, le manque d’efficacité de l’administration publique, la corruption et une réglementation du travail contraignante figurent en tête de liste. Nigéria. Le Nigéria affiche des résultats bien inférieurs à ceux de nombreux autres pays en développement pour différentes variables qui sont essentielles à la compétitivité du secteur agricole (Yee et Paludetto 2005). Ces variables sont la disponibilité et le coût du crédit, la disponibilité et le coût des services d’utilité publique (en particulier pour l’électricité et l’eau), la qualité et le coût de la main d’œuvre, la rigidité du marché du travail, le manque d’infrastructures, la lenteur des procédures portuaires, et la lourdeur de la réglementation. Le Nigéria est 118e sur 181 pays en ce qui concerne la facilité de la poursuite d’une activité économique au classement de Doing Business 2009 d’IFC (IFC 2008), et 84e sur 127 pays pour la compétiti- vité des entreprises au classement du Global Competitiveness Report 2007–2008 (Forum économique mondial 2007). Malgré les efforts récemment déployés par les autorités gouvernementales pour s’attaquer au problème, la corruption accroît encore considérablement le coût des activités des entreprises. Les entreprises nigérianes expriment plus souvent que les autres entreprises d’Afrique subsaharienne des doutes quant à l’application systématique de la réglementation par les représentants de l’État. La criminalité et l’insécurité contribuent aussi à créer un climat défavorable aux affaires, en particulier en aval de la filière (transformation, transport, entreposage). Le pourcentage d’entreprises estimant que la criminalité et le vol constituent des obstacles importants à leurs opérations et à leur croissance (36 %) n’est plus élevé que dans trois autres pays africains. Conjointement, ces différents facteurs handicapent lourdement les entreprises et sapent la compétitivité de l’agriculture nigériane. Les études de cas consacrées aux différentes filières confirment toutes l’existence de ces problèmes, qui pèsent sur le climat des affaires en général. Par exemple, l’étude de Mamman (2004) sur l’élevage dans l’État du Sokoto conclut que le bon fonctionnement de la filière est compromis par les facteurs suivants : insuffisance du capital et manque d’accès au crédit institutionnel ; absence de services de base (eau, électricité…) et manque de sécurité dans les marchés aux bestiaux ; insuffisances des aires d’exposition des animaux ; multitude de postes de contrôle policiers sur les routes de transport des animaux du nord vers le sud, où les camionneurs doivent verser des dessous-de-table pour pouvoir passer ; et niveau élevé des taxes et autres prélèvements imposés par l’État et les administrations locales. Dans leur étude, Nweke, Spencer et Lynam (2002) aboutissent à la conclusion que Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 131 des services mal organisés et coûteux fragilisent les chaînes logistiques de produits périssables comme le manioc, qui doit être transformé très rapidement après sa récolte. Zambie. Le climat des affaires en Zambie reste très mal noté par rapport à celui de nombreux autres pays en développement, mais la situation semble s’améliorer. La Zambie est 100e sur 181 pays en ce qui concerne la facilité de la poursuite d’une activité économique au classement de Doing Business 2009 d’IFC (IFC 2008), et 106e sur 127 pays au classement du Global Competitiveness Report 2007–2008 (Forum économique mondial 2007). Les principaux obstacles aux affaires sont le manque d’accès à des financements, les carences des infrastructures, la corruption et le niveau élevé des taux d’imposition. Il est important de noter le climat d’incertitude créé, en Zambie, par les interventions fréquentes et imprévisibles des pouvoirs publics sur les marchés de produits de base comme le maïs ou le riz, qui revêtent de l’importance sur le plan politique ; ces interventions peuvent donner lieu à des interdictions d’exporter ces produits ou à l’imposition de contrôles de prix arbitraires. Les grandes sociétés sudafricaines qui font le commerce des céréales hésitent à travailler avec la Zambie car elles ne sont jamais sûres que les produits qu’elles achètent existent bien ou peuvent être exportés. Capital humain Il ne peut y avoir d’agriculture commerciale sans capital humain. Les producteurs ne seront pas en mesure de passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale s’ils ne disposent pas des compétences, des connaissances et de l’expérience nécessaires pour accéder aux nouvelles technologies et en tirer parti, pour créer et gérer une entreprise, et pour repérer et exploiter les opportunités commerciales. Enseignement et formation agricoles L’expérience du Brésil et de la Thaïlande atteste du rôle essentiel de l’enseignement et de la formation agricoles dans le développement et le maintien d’une agriculture commerciale. L’enseignement et la formation agricoles couvrent des programmes de niveau universitaire et des formations professionnelles dans le domaine de l’agriculture ; ces dernières sont particulièrement importantes car tous les acteurs intervenant dans les filières ont besoin d’apprendre à utiliser les nouvelles technologies et les techniques de gestion plus complexes requises pour l’agriculture commerciale. L’enseignement et la formation agricoles accroissent la productivité agricole, directement en renforçant les capacités des exploitants et des autres acteurs dans toute la filière, et indirectement en générant les ressources humaines nécessaires aux services d’appui et en formant la génération suivante de chercheurs agricoles. 132 Le réveil du géant assoupi Grâce à l’important appui de bailleurs de fonds (en particulier l’Agence des États-Unis pour le développement international [USAID] et la Banque mondiale), le Brésil et la Thaïlande ont investi massivement dans l’expansion et le renforcement de leurs établissements supérieurs d’études agrono- miques durant les années 60 et 70. Entre 1950 et 1960, le Gouvernement brésilien a renforcé les programmes d’études supérieures du premier cycle en formant plus d’un millier d’enseignants-chercheurs universitaires. En 1970–71, plus de 900 Brésiliens titulaires d’un diplôme du deuxième cycle poursuivaient leurs études d’agronomie aux États-Unis. Les importants investissements publics dans le renforcement des capacités ont permis de relever le niveau académique des enseignants à l’Université d’agronomie de Fortaleza, dans l’État du Ceará, à l’est du Cerrado. En 1963, 2 % seulement du personnel enseignant était titulaire d’un diplôme universitaire supérieur ; 10 ans plus tard, ce pourcentage était passé à 82 %. L’EMBRAPA a aussi entrepris de relever le niveau professionnel de ses équipes peu de temps après sa création en 1973, soit en les envoyant se former à l’étranger, soit en profitant des nouveaux cursus de formation supérieur offerts au Brésil (Eicher 2006 ; Banque mondiale 2007a). À partir des années 50, la Thaïlande s’est également employée à relever le niveau de ses équipes universitaires avec l’aide généreuse de la Fondation Rockefeller et de USAID. Selon les estimations, entre 1950 et 1986, environ 15 000 Thaïlandais sont allés suivre des formations courtes ou des études universitaires supérieures de plus longue durée aux États-Unis (Eicher 2006). Pendant cette période, le Brésil et la Thaïlande ont adopté des barèmes de salaires et d’autres incitations pour réduire la fuite des cerveaux de leurs universités, et ont ouvert les laboratoires et les bibliothèques nécessaires à la poursuite de travaux productifs. Des efforts de renforcement des capacités ont aussi été engagés en Afrique, mais ils n’ont pas duré. Dans les années 60, quelques pays africains, dont l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et la Sierra Leone, ont profité de l’appui des bailleurs de fonds pour créer des centres universitaires d’agronomie sur le modèle des écoles d’agriculture américaines installées sur un domaine cédé par l’État. Après l’accession du Nigéria à l’indépendance en 1960, l’USAID a conclu des accords avec quatre universités américaines (Michigan State, Wisconsin, Kansas State et Colorado State) en vue de la mise en place de quatre universités d’agronomie au Nigéria sur le modèle précédent. Ce dernier — qui regroupe l’enseignement, la recherche et la vulgarisation au sein d’un même organisme — s’est toutefois révélé difficile à appliquer en raison principalement des structures institutionnelles qui, au Nigéria, rattachent les universités au ministère de l’Éducation sans établir de liaisons réelles avec le ministère de l’Agriculture. C’est pourquoi, même si ces efforts ont permis de renforcer le premier cycle de l’enseignement supérieur, ils ont beaucoup moins contribué à améliorer la recherche et la vulgarisation. Dans le nord du Nigéria, le programme de collaboration mis en place entre Kansas State et Amadou Bello University à Zaria a, au départ, donné de bons résultats parce que les dirigeants nigérians ont décidé de Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 133 transférer à l’université les fonctions de recherche assurées auparavant par le ministère de l’Agriculture, et d’affecter cinq chercheurs de haut niveau pour promouvoir des échanges d’informations entre agriculteurs et chercheurs ainsi que la présentation de technologies par les chercheurs aux agents de vulgarisation et aux agriculteurs. Après des débuts prometteurs, le programme a cessé de bénéficier de l’appui des dirigeants, distraits par la guerre civile nigériane, le boum pétrolier et les dissensions politiques. L’expansion des établissements d’enseignement supérieur africains a été, dans l’ensemble, remarquable ; le nombre d’universités publiques est passé de 20 en 1960 à 300 environ aujourd’hui, et au moins 96 d’entre elles enseignent l’agronomie et la gestion des ressources naturelles. La répartition de ces universités sur le continent est toutefois très inégale. Le Nigéria compte 26 universités proposant des cursus en agronomie ou en gestion des ressources. En revanche la Zambie a reçu des aides bien plus limitées dans les années 60 et 70 pour développer son programme d’enseignement supérieur agricole, et le Mozambique, qui n’a accédé à l’indépendance que beaucoup plus tard, n’a pratiquement obtenu aucun appui. L’africanisation de la plupart des organismes de formation et de recherche agricoles du continent, par suite du remplacement d’une grande partie du personnel expatrié par des ressortissants nationaux, a été l’un des grands accomplissements du développement de la formation universitaire en Afrique associée à la poursuite de diplômes de deuxième cycle à l’étranger (Beintema et Stads 2006). Les programmes de formation professionnelle en agriculture ont connu un développement bien plus limité puisqu’ils ne comptent que 3 à 5 % du nombre total d’inscrits dans des formations professionnelles en Afrique. Le nombre de programmes proposés dans le domaine agricole a régulièrement augmenté pendant un temps, mais les ressources nécessaires pour assurer des programmes de qualité se sont récemment taries. Le renforcement des institutions d’enseignement et de recherche agricoles qui avait nettement progressé dans les années 70 et 80 en Afrique s’est arrêté, en raison du manque d’intérêt porté à ce domaine à partir des années 90. Les bailleurs de fonds ont cessé à cette époque de soutenir l’agriculture africaine, et les financements des programmes officiels d’enseignement et de recherche agricoles ont considérablement diminué : ils ne représentaient plus que 0,7 % de l’aide au secteur agricole entre 2000 et 2004. Les autorités nationales alignant généralement l’allocation de leurs fonds sur les priorités des donateurs, les traitements des professeurs et les fonds consacrés à la recherche ont chuté et de nombreux universitaires ont été forcés de négliger dans une large mesure leurs fonctions d’enseignement pour pouvoir travailler, notamment comme consultants, afin de compléter leurs revenus. De surcroît, malgré la poursuite de politiques d’ajustement structurel dans les pays africains et la chute des offres d’emploi dans les centres publics de recherche agricole et des effectifs des services de vulgarisation, les programmes d’enseignement des écoles d’agronomie et des formations 134 Le réveil du géant assoupi techniques agricoles n’ont guère évolué et ne sont plus adaptés aujourd’hui aux besoins du marché du travail. Le désengagement des pouvoirs publics et des donateurs a eu pour ultime effet de couper les professionnels africains des réseaux mondiaux de savoir et des technologies de pointe et le pool de ressources humaines a considérablement diminué. Il faudra absolument recruter de jeunes experts pour remplacer les nombreux scientifiques africains spécialistes de l’agriculture qui ont été formés dans les années 70 et 80 et qui approchent de l’âge de la retraite. Il sera à cet égard crucial de mobiliser l’engagement politique et financier requis pour reconstituer les capacités et les ressources humaines de ces systèmes, sachant que le Brésil, la Thaïlande et la plupart des autres pays qui sont parvenus à transformer leur secteur agricole ont dû poursuivre ces investissements pendant plusieurs décennies. La structure optimale des établissements d’enseignement et de formation agricoles diffère toutefois selon les pays. En raison de son étendue, le Nigéria pourrait héberger plusieurs programmes de classe internationale, tandis que des programmes régionaux seront mieux adaptés à des pays de plus petite taille comme la Zambie ou le Mozambique. Associations de producteurs Le développement d’une agriculture commerciale moderne s’accompagne habituellement d’une montée en puissance des associations de producteurs, créées dans le but d’améliorer la coordination horizontale et verticale dans l’agriculture. En se regroupant, les exploitants peuvent réaliser des écono- mies d’échelle, accéder plus facilement à des services techniques et finan- ciers, et acquérir un plus grand poids politique. Il est souvent plus facile aux agriculteurs membres d’associations de producteurs d’emprunter auprès d’établissements financiers, d’acheter des intrants en grosses quantités en négociant des prix plus avantageux, d’augmenter leur offre de produits agricoles et d’imposer des prix plus élevés aux acheteurs, et de réaliser des économies d’échelle au niveau des transports et du stockage de manière à réduire leurs coûts unitaires. Outre qu’elles démarginalisent les exploitants individuels (par exemple en représentant leurs intérêts collectifs auprès des décideurs), les associations de producteurs peuvent participer à l’élaboration et à l’application de normes de qualité. Il existe encore relativement peu d’associations de producteurs puissantes en Afrique car, considérées comme des organisations de la société civile capables de remettre en cause le pouvoir de l’État, elles ont souvent été abolies, du moins avant les avancées de la démocratie au cours des vingt dernières années. Immédiatement après la fin de l’ère coloniale, de nombreuses tentatives ont été faites dans le but de constituer des coopératives agricoles ; ces dernières, souvent créées et imposées par l’État, ont toutefois rarement réussi à s’implanter. Ce n’est que récemment, grâce à la démocratisation en marche, qu’une nouvelle vague d’associations de producteurs a pu commencer à voir le jour, souvent avec l’appui des bailleurs de fonds. Facteurs influant sur la compétitivité de l’agriculture africaine 135 Même dans un contexte favorable, le développement d’associations formelles capables de procurer de réels avantages aux exploitants, en particulier aux petits agriculteurs, est généralement un processus long et complexe. Des groupes informels d’agriculteurs se créent souvent lorsque la production prend un caractère commercial, parfois presque spontanément, mais le développement d’associations de producteurs autogérées, puissantes et durables, exige beaucoup de temps, d’argent et de compétences. Les partenaires extérieurs peuvent parfois jouer un rôle important à cet égard. Les associations ont un impact initial important en donnant davantage accès à des services, notamment financiers. Elles ont toutefois peu de chances de produire des résultats durables, par exemple l’ouverture de l’accès au crédit, l’intégration des marchés et le renforcement des compétences, tant qu’elles ne parviennent pas à assurer leur viabilité financière et une gestion solide et transparente. En règle générale, les associations de producteurs efficaces se trouvent dans des environnements démocratiques qui sont favorables aux organisations de la société civile dans leur ensemble. Les associations de producteurs défendent aujourd’hui activement les droits des petits agriculteurs (notamment les droits à la terre) au Brésil et en Thaïlande, mais elles sont encore peu développées dans beaucoup de régions d’Afrique. Rares sont les associations de producteurs du continent qui ont maintenant suffisamment d’envergure et de savoir-faire commercial pour pouvoir assumer un rôle majeur dans la fourniture de services. Et, si dans certains pays africains, elles commencent à se faire mieux entendre dans les débats sur la politique agricole, elles se sont rarement montrées capables de susciter la volonté politique requise pour promouvoir l’agriculture comme celle qui a permis le développement accéléré du Cerrado brésilien et de la région Nord-Est en Thaïlande. Il n’en reste pas moins que, dans certains pays d’Afrique, comme le Nigéria et la Zambie, les associations de producteurs sont probablement plus développées aujourd’hui que ne l’étaient leurs homologues brésiliennes et thaïlandaises au début des années 60. Notes 1. La production zambienne de canne à sucre constitue une exception impor- tante : les rendements très élevés sont dus à des conditions de culture idéales et à la gestion des plantations par le secteur privé. 2. Les variétés et la gestion des cultures et des sols ont évolué de manière symbiotique. L’utilisation de variétés améliorées a dans une large mesure permis de concrétiser les progrès permis par l’intensification de la gestion des cultures, notamment l’augmentation de la fertilité des sols. Par la suite, les sélectionneurs ont cherché à mettre au point des variétés plus adaptées aux pratiques culturales sans labour. CHAPITRE 6 Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale L’agriculture commerciale ne pourra pas devenir le puissant moteur d’une croissance durable qui profite aux pauvres si elle est provoque des fractures sociales et soumet l’environnement à des pressions insoutenables. Les dirigeants africains devront par conséquent prendre garde aux répercussions sociales et environnementales que pourrait avoir le processus de commercialisation agricole et veiller à ce que le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture de rapport permette de promouvoir la réalisation des objectifs concernant le bien-être de la population et la protection de l’environnement. Conséquences sociales Pour que l’agriculture commerciale africaine contribue effectivement à promouvoir la croissance largement partagée et la réduction de la pauvreté que visent les politiques nationales, il est indispensable que la richesse créée profite au plus grand nombre. Il faudra pour cela que les responsables politiques portent une grande attention aux facteurs ayant une incidence sur l’ampleur et la distribution des avantages générés par le processus de commercialisation. 137 138 Le réveil du géant assoupi Création d’emploi, augmentation des revenus et accès à des services sociaux Que l’agriculture commerciale soit pratiquée dans le cadre de petites exploitations familiales ou dans celui de grandes entreprises agroali- mentaires, son expansion a des répercussions sociales principalement par trois circuits : a) l’emploi et les revenus des personnes directement concernées par la transformation de l’agriculture et des filières correspondantes ; b) les prix des denrées alimentaires et des fibres, qui comptent pour une part importante dans les paniers de consommation des plus démunis ; et c) l’augmentation des revenus qui peut être employée, par le biais de la fiscalité ou d’investissements volontaires, pour financer la fourniture de services sociaux de meilleure qualité (par exemple dans la santé ou l’éducation). Si les deux premiers circuits ne dépendent que peu de l’intervention des pouvoirs publics, le troisième — qui permet d’utiliser les revenus supplémentaires pour financer l’amélioration des services sociaux — est totalement tributaire de l’existence de marchés fonctionnant correctement, ainsi que de mécanismes de financement public efficaces et/ou d’organisations de la société civile capables de recouvrer une partie de l’augmentation des revenus agricoles pour l’investir à bon escient et remédier au manque d’infrastructures sociales. Dans quelle mesure les richesses générées par l’agriculture commerciale au Brésil et en Thaïlande ont-elles donné aux populations pauvres accès à de nouveaux emplois, à des revenus plus élevés et à de meilleures infrastructures sociales ? Comme nous l’avons vu plus haut, le dévelop- pement de l’agriculture commerciale dans ces deux pays a suivi des modèles radicalement différents : il s’est appuyé au Brésil sur les grandes entreprises agroalimentaires, et en Thaïlande sur la multiplication rapide de petites exploitations familiales à vocation commerciale. Les différences entre ces deux modèles ont-elles eu des répercussions sur l’efficacité et la répartition des gains obtenus ? Et quelles conclusions peut-on en tirer pour les pays africains couverts par l’étude sur la CCAA ? Brésil. L’essor de l’agriculture commerciale dans la région du Cerrado a eu des effets dans l’ensemble positifs sur le niveau de pauvreté et le bien- être de la population. La mise en valeur du Cerrado a créé de nombreux emplois, surtout dans les centres urbains qui se sont rapidement développés. Une part importante des populations pauvres, dans le Cerrado et dans d’autres régions du Brésil, ont vu leurs conditions de vie s’améliorer dans une large mesure, grâce à la baisse marquée du prix des denrées alimentaires de base qui a résulté de la forte expansion de la production agricole dans le Cerrado. L’indice des prix alimentaires à la consommation a diminué, au total, de 80 % en valeur réelle entre 1975 et 2005, ce qui s’est traduit par une forte augmentation du revenu réel des populations pauvres. Le secteur agricole a de surcroit généré un excédent commercial considérable pour le Brésil, qui est allé de 10 milliards de dollars par an pendant les années 90 à 40 milliards de dollars par an au début des années 2000. C’est grâce à cet Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 139 excédent que le pays est resté solvable et a pu éviter les graves récessions prolongées que beaucoup d’autres économies émergentes ont affronté durant cette période et dont les populations pauvres ont été les premières victimes. Depuis les années 60, la population a augmenté deux fois plus vite dans le Cerrado que dans le reste du pays. Cette croissance démogra- phique rapide, conjuguée à la mécanisation de plus en plus importante de l’agriculture, a engendré une forte urbanisation et le développement des activités non agricoles correspondantes. Les taux de croissance élevés des secteurs agricole et non agricole ont permis de réaliser d’importants investissements dans les infrastructures de santé et d’éducation. La part des équipements sanitaires brésiliens installés dans le Cerrado était de 7 % en 2000, soit un pourcentage correspondant à la proportion de la popula- tion totale vivant dans la région. Les pouvoirs publics ont également investi dans les écoles. Entre les années 70 et la fin des années 90, le nombre d’habitants par établissement scolaire dans le Cerrado est resté proche de la moyenne nationale, mais les gains ont fini par s’effriter, et en 2000 il était de nouveau fortement supérieur à la moyenne nationale (892 contre 579). Le taux d’alphabétisation est, par contre, passé de 56 % en 1970 à 87 % en 2000 dans la région, soit un niveau bien plus élevé que la moyenne nationale. En 2000, les résultats du Cerrado en matière de santé et d’éducation, tels que mesurés par les taux de mortalité infantile, l’espérance de vie et le taux d’alphabétisation, étaient comparables à la moyenne nationale. Les indicateurs de logement dans la région présentaient une situation plus favorable que dans l’ensemble du pays, malgré une immigration importante et les afflux massifs de population dans la région au cours des 30 années précédentes. Le pourcentage de favelas (taudis) est tombé de 0,58 % en 1980 à 0,44 % en 2000 dans le Cerrado tandis qu’il passait de 1,62 % à 3,04 % pour l’ensemble du Brésil. Ces gains sociaux ont toutefois eu un coût. Certains peuples autochtones de la région et un grand nombre des premiers pionniers (petits exploitants et ouvriers agricoles sans terre) ont perdu leurs terres, leurs moyens de subsistance et dans certains cas leur vie à cause de l’expansion de l’agriculture mécanisée à grande échelle. Les grandes exploitations commerciales ont aussi remplacé une partie de leur main-d’œuvre par des machines, encouragées par des crédits très bonifiés qui ont abaissé artificiellement le loyer de l’argent et a réduit l’impact du développement des zones rurales sur l’emploi. Enfin, bien que le processus de commercialisation de l’agriculture dans le Cerrado ait engendré un important accroissement du revenu global dans l’ensemble de la région, la répartition du revenu s’est caractérisée, comme ailleurs au Brésil, par un creusement des inégalités. Dans l’État de Goiás par exemple, le revenu agricole moyen par habitant a progressé de 138 % pendant la période 1970–80, mais le coefficient de Gini est aussi passé de 0,439 à 0,582. 140 Le réveil du géant assoupi Pendant cette même période, le taux de pauvreté absolue (pourcentage de la population agricole gagnant moins que le salaire minimum) est tombé de 82 % à 52 % avant de remonter à près de 60 % à la fin des années 80. L’inégalité croissante des revenus dans un contexte de forte progression des revenus s’explique par le regroupement progressif des propriétés foncières, ainsi que par le processus de mécanisation agricole favorisé par la politique publique, qui a entraîné une contraction prématurée de l’emploi de main-d’œuvre non qualifiée dans l’agriculture. Thaïlande. Le développement de l’agriculture commerciale en Thaïlande a eu moins de répercussions sociales négatives qu’au Brésil parce qu’il a été réalisé dans le cadre de petites exploitations agricoles et de l’occupation de terres jusque là inhabitées, et parce que la réforme foncière a garanti les droits des fermiers. Bien que l’inégalité des revenus se soit dans l’ensemble accrue sur la période 1980–2002 dans la région du Nord-Est (le coefficient de Gini est passé de 0,474 à 0,527), elle a diminué dans le secteur agricole (où le coefficient de Gini est tombé de 0,416 à 0,396, soit un niveau inférieur à celui enregistré dans les autres régions de la Thaïlande. Les revenus ont augmenté aussi bien pour les exploitants que pour les ouvriers agricoles : entre 1977 et 2001, les revenus réels des exploitations ont progressé de 119 % et les salaires agricoles réels de 103 %. Par suite de la hausse générale des revenus, l’indice numérique de pauvreté, qui atteignait 56 % dans la région du Nord-Est en 1988, n’était plus que de 17,2 % en 2004. Toutefois, les taux de pauvreté ont chuté encore plus vite dans les autres régions de la Thaïlande de sorte que la pauvreté s’est concentrée dans une plus large mesure dans la région du Nord-Est qui, en 2004, comptait 51 % des 7 millions d’individus pauvres du pays. Fait important, le processus de commercialisation de l’agriculture en Thaïlande a stimulé le développement rapide d’activités (hors exploitation) en aval de nombreuses filières agricoles. Contrairement à ce qui s’est passé au Brésil, les entreprises thaïlandaises opérant hors exploitation n’ont pas eu accès à des crédits fortement bonifiés ; elles n’ont donc pas adopté des technologies ne nécessitant pas de main-d’œuvre et ont de ce fait créé de nombreux emplois. Le nombre d’« usines » de la région du Nord-Est, dont 78 % étaient des rizeries, est passé de 1 908 en 1975 à 43 747 en 2000, date à laquelle elles employaient plus de 324 000 personnes. Le développement rapide de l’emploi tant agricole que non agricole a aussi engendré l’arrivée de travailleurs venant du Laos — principalement des jeunes femmes pauvres et célibataires. Bien que les mouvements migratoires de la région du Nord-Est vers la métropole de Bangkok se soient intensifiés sous l’effet de la poursuite de la croissance démographique de la région du Nord-Est, ils ont été moins prononcés dans les villages davantage tournés vers une agriculture commerciale. L’économie thaïlandaise était plus ouverte que celle du Brésil dans les années 60 et 70 de sorte que l’accroissement de la production agricole intérieure n’a pas engendré une baisse des prix alimentaires intérieurs Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 141 aussi spectaculaire qu’au Brésil. Néanmoins, la Thaïlande a imposé des quotas et des taxes sur les exportations pour empêcher le renchérissement des prix intérieurs des denrées alimentaires, en particulier du riz, protégeant ainsi les consommateurs pauvres. Bien que la santé et l’éducation aient compté parmi les grandes priorités de la Thaïlande à compter des années 60, la lutte contre la pauvreté en tant que telle est devenue un objectif majeur dans le contexte du Cinquième Plan national (1982–86). À partir de 1982, les villages pauvres ont été recensés et des projets de développement ont été proposés par cinq grands ministères publics (Agriculture et Coopératives agricoles, Éducation, Santé, Intérieur, et Commerce). La promotion de l’éducation avait commencé dans les zones reculées dès 1961. Bien que la région du Nord-Est reste en retard dans ce domaine par rapport aux autres régions, elle a indiscutablement progressé ces 40 dernières années. Cette amélioration est le résultat de la politique nationale et a été financée en grande partie par le budget de l’État, mais la croissance de l’agriculture commerciale dans la région du Nord-Est y a probablement aussi contribué. La hausse des revenus des ménages, entraînée notamment par la production de cultures commerciales, a permis aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école et de leur acheter les uniformes, les livres et les autres fournitures nécessaires. Le progrès social dans la région du Nord-Est s’est également traduit par l’amélioration d’autres indicateurs tels que le nombre de patients par médecin, le nombre de lignes téléphoniques pour 1 000 habitants, et le pourcentage de ménages raccordés à l’eau sous conduite et à l’électricité. On est encore loin toutefois des chiffres de Bangkok (NESDB 2006 ; Banque mondiale et NESDB 2005). Enfin et surtout, le développement de l’agriculture commerciale et l’intégration de la région du Nord-Est dans le système politique thaïlandais se sont mutuellement renforcés. Même si cette intégration avait à l’origine pour objectif de contrer l’insurrection communiste, la création d’associations de producteurs chargées de commercialiser les cultures commerciales a renforcé le pouvoir de négociation politique et économique des agriculteurs. La région du Nord-Est est devenue une puissante circonscription politique regroupant un électorat important pour de nombreux partis politiques. Du fait de son poids, la région du Nord-Est a toujours bénéficié d’appuis politiques et s’est souvent vue promettre des aides au développement. Les agriculteurs de cette région ont fréquemment exprimé leur mécontentement ces dernières années et présenté de multiples requêtes au gouvernement central ; certains de leurs leaders sont devenus des acteurs de premier plan sur la scène politique. Les exemples du Brésil et de la Thaïlande montrent que l’agriculture commerciale peut être une source importante de création d’emplois et peut entraîner une augmentation des revenus, une baisse des prix alimentaires et un recul de la pauvreté. Dans les deux pays, les conséquences sociales du développement de l’agriculture commerciale ont été influencées de 142 Le réveil du géant assoupi façon déterminante par un petit nombre de facteurs que les dirigeants africains devront absolument prendre en compte : • Les conditions macroéconomiques, en particulier les taux d’intérêt et les taux de change (qui ont influé sur les incitations à la mécanisation et donc sur l’emploi, non seulement dans l’agriculture mais aussi tout au long de la filière) ; • le régime foncier et la répartition des terres (qui ont déterminé ceux à qui l’accroissement de la production primaire a directement profité) ; • l’accès des petits exploitants et des femmes agricultrices aux services agricoles proposés (vulgarisation, crédit, fourniture d’intrants, etc.) ; • l’écart entre les prix paritaires à l’importation et à l’exportation (qui a déterminé dans quelle mesure l’augmentation de la production intérieure a entraîné une baisse des prix alimentaires intérieurs — et ainsi augmenté les revenus réels des pauvres) ; • la flexibilité des systèmes de commercialisation (qui a déterminé la mesure dans laquelle les prix intérieurs ont baissé par suite de l’augmentation de la production) ; • la capacité et la volonté des autorités nationales et locales et des associations de producteurs d’utiliser une partie des ressources générées par la croissance due à l’agriculture commerciale pour financer des investissements collectifs dans la santé et l’éducation ; • l’impact de la croissance sur l’intégration politique et sociale de régions auparavant isolées du reste du pays. Si certaines leçons ressortent assez clairement de l’expérience du Brésil et de la Thaïlande, d’autres résultats sont plus mitigés, et les avis sur la meilleure stratégie à suivre pour promouvoir une croissance rapide et solidaire peuvent diverger. Quatre questions méritent d’être analysés plus en détail, en raison notamment des récentes controverses sur le développement d’une agriculture commerciale en Afrique : a) la taille optimale des exploitations, b) le régime foncier et l’administration des terres, c) les répercussions de l’agriculture commerciale sur la condition des femmes, et d) l’impact du processus de commercialisation sur la sécurité alimentaire. Taille des exploitations : faut-il toujours vouloir faire plus grand ? Les média évoquent souvent, ces derniers temps, la ruée sur les terres agricoles en Afrique. Cette « main basse sur les terres » a été provoquée, au départ, par l’essor des biocarburants puis elle s’est intensifiée sous l’effet de l’explosion des prix alimentaires mondiaux. La première vague d’investissements, principalement le fait de spéculateurs intéressés par les biocarburants, a été analysée par Cotula, Dyer et Vermeulen (2008), tandis que la seconde, ciblée sur la production alimentaire, a fait l’objet d’une étude de Grain Briefing (2008). Ces deux documents Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 143 établissent une liste des nombreux achats de terrains réalisés, en cours ou en attente, principalement par des investisseurs étrangers, dans le monde en développement, notamment en Afrique. Il s’avère que, si les spéculateurs intéressés par les biocarburants viennent du monde entier, les investissements motivés par la sécurité alimentaire sont principalement le fait de la Chine, de la République de la Corée, de l’Inde, de différents États du golfe Persique, et de quelques autres pays dont les ressources en terres et ou en eau sont limitées. Ces pays ont indiqué qu’ils souhaitaient avoir accès à des terres sur lesquelles ils pourraient produire des dentées alimentaires pouvant compléter leurs productions nationales. Il est difficile de savoir combien d’achats de terrains prévus ou réalisés ont débouché sur des projets agricoles concrets. L’effondrement des cours mondiaux des produits de base au cours du second semestre 2008 a peut-être refroidi l’enthousiasme de certains investisseurs. Le débat sur les avantages et les inconvénients relatifs de la petite et de la grande agriculture en Afrique a également été alimenté par le célèbre économiste spécialiste du développement Paul Collier, qui a publié plusieurs articles frappants dans lesquels il qualifie les partisans de la petite agriculture en Afrique de romantiques qui ne veulent pas voir à quel point le système alimentaire mondial et les technologies de production agricole ont évolué en faveur des grandes exploitations (voir par exemple Collier 2008a, 2008b). Les informations et les analyses présentées dans ce rapport montrent clairement qu’il existe en Afrique d’immenses possibilités de mettre en place une agriculture commerciale compétitive et que la remontée des prix attendue sur le long terme accroîtra encore vraisemblablement à l’avenir l’attrait des investissements dans l’agriculture africaine. Il faut donc se féliciter du récent regain d’intérêt des investisseurs, mais il n’est pas évident que les modèles de grandes exploitations envisagés pour ces investisse- ments soient l’aboutissement d’une réflexion approfondie. L’exemple du passé n’est guère encourageant. Partout dans le monde, il s’avère que les grands domaines agricoles dont l’exploitation dépend d’un personnel d’encadrement et de travailleurs salariés sont moins productifs et moins rentables (à l’hectare) que les petites exploitations familiales où la gestion et l’exploitation sont essentiellement assurées par les membres de la famille. L’analyse des filières de l’étude sur la CCAA corrobore pleinement ces résultats généraux. Cela signifie que la production agricole au niveau des exploitations (production primaire) donne normalement lieu à des déséconomies d’échelle. Cette observation est contraire à l’intuition ; on pourrait penser, en effet, que l’emploi de grosses machines agricoles, un meilleur accès aux capitaux et au crédit, un plus grand pouvoir de négociation de prix favorables pour les intrants et les produits, de plus fortes incitations à suivre les progrès rapides de la technologie, et la capacité à assurer soi-même la fourniture d’infrastructures et de services, permettent de réaliser des économies d’échelle. 144 Le réveil du géant assoupi Le caractère contre-intuitif de cette conclusion explique sans doute que de très nombreuses études aient cherché à analyser la diminution des économies d’échelle dans l’agriculture et à identifier les raisons expliquant l’efficacité relative de l’exploitation familiale (se reporter à Binswanger, Deininger et Feder [1995] pour une synthèse de ces différentes analyses). Les études théoriques montrent que l’efficacité de la production des petites exploitations s’explique principalement par le fait que la main-d’œuvre familiale a davantage intérêt à travailler de manière acharnée. L’attention portée à la gestion et au suivi des travaux agricoles dans les exploitations familiales, où la maximisation des rendements est le souci de chacun, permet aussi de mieux adapter les opérations en fonction de la qualité des sols, hétérogène même dans les limites d’une petite exploitation, et de la forte variabilité des conditions météorologiques. Le niveau plus élevé de la productivité n’est donc pas tant associé à la petite taille des exploitations qu’à la motivation des dirigeants et de la main-d’œuvre. Le constat sans cesse renouvelé de déséconomie d’échelle de la production agricole primaire montre que les avantages conférés par cette plus grande motivation sont presque toujours supérieurs à ceux que procurent aux exploitations de plus grande taille des coûts moins élevés, notamment pour l’information, les financements et la commercialisation. Les cultures dites de plantation comme la canne à sucre, le palmier à l’huile, le thé, le bananier et les plantes horticoles cultivées pour l’exportation font toutefois exception à cette règle. Ces plantes doivent être transformées très rapidement après la récolte et /ou être stockées dans des entrepôts réfrigérés sinon leur qualité se dégrade très vite, et leur valeur chute. Sous réserve que les opérations d’ensemencement ou de plantation et de récolte puissent être coordonnées avec les opérations de transformation et d’expédition, les économies d’échelle réalisées au niveau de la transformation et/ou de l’expédition sont aussi enregistrées au niveau de l’exploitation (Binswanger et Rosenzweig 1986). La coordination des cultures de plantation est habituellement assurée par l’adoption de l’un des trois modèles suivants : a) la production a lieu sur une exploitation ou une plantation de grande dimension, contrôlée directement par l’entreprise de transformation ; b) la production est assurée dans de petites exploitations familiales travaillant sous contrat avec l’entreprise de transformation ; ou c) la production provient de ces deux types d’exploitation, le plus souvent un grand domaine entouré d’exploitations familiales. En Thaïlande, l’agriculture contractuelle est le modèle systématiquement employé pour les cultures de plantation. Les services de contrat-bail de machines permettent de réaliser les économies d’échelle procurées par l’emploi d’équipements agricoles en Thaïlande et dans beaucoup d’autres pays en développement. L’accès à l’information et au crédit est assuré par des établissements spécialisés qui proposent leurs services aux petits producteurs, et les infrastructures sont fournies par le secteur public. Au Brésil, les trois modèles Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 145 d’organisation (grande plantation, agriculture contractuelle et combinaison des deux) se côtoient, souvent dans la même filière agricole. Ces trois modèles sont aussi utilisés en Afrique pour la production de canne à sucre, de palmier à huile et de thé. Certains partisans de l’exploitation agricole à grande échelle ont fait valoir que, même si ce modèle n’est pas plus productif, il est plus facile à mettre en place et à développer rapidement, et permet donc mieux de lancer une phase d’expansion de l’agriculture. Cet argument ne résiste pas aux faits. Depuis au moins 15 ans, aucune corrélation positive n’existe entre la rapidité de la croissance de l’agriculture et l’application du modèle des grandes exploitations. Durant cette période, le taux de croissance de l’agriculture brésilienne, qui est de l’ordre de 4 %, est resté inférieur aux taux enregistrés en Chine, au Viet Nam, et dans au moins huit pays d’Afrique subsaharienne (Angola, Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Ghana, Libéria, Mozambique et Nigéria), autant de pays caractérisés par la prédominance de la petite agriculture (Hazell et al. 2007). Mais si la grande agriculture est moins efficiente, comment peut-elle perdurer ? Si les économies d’échelle qui peuvent être obtenues sont rares en dehors des cultures de plantation, comment peut-on expliquer l’existence de grandes exploitations apparemment florissantes dans l’est et dans le sud de l’Afrique (ainsi que dans d’autres régions du monde en développement, en particulier l’Amérique latine) ? Puisque les petites exploitations familiales sont si productives, pourquoi n’ont-elles pas évincé la grande agriculture ? Binswanger, Deininger et Feder (1995) ont montré que le développement précoce de l’agriculture commerciale en Amérique latine et dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, et le Zimbabwe où sont venus s’installer des colons, a donné lieu à une appropriation systématique des bonnes terres par les nouveaux arrivants et à la réinstalla- tion des populations autochtones sur des terres typiquement moins fertiles et moins bien situées. Pour affaiblir encore plus la concurrence qu’auraient pu exercer les paysans autochtones, il a souvent été interdit aux petits exploitants de produire des cultures de rente ou de recourir aux services des offices de commercialisation qui avaient le monopole des ventes. Les infrastructures publiques, les services de recherche et de vulgarisation, et le crédit subventionné étaient aussi essentiellement réservés aux grandes exploitations. Enfin, pour aider ces dernières à attirer de la main-d’œuvre, les peuples autochtones ont été assujettis à des impôts qu’ils ne pouvaient acquitter, faute de pouvoir pratiquer une agriculture de rente, qu’en travaillant comme ouvrier agricole ou fermier pour les grandes exploita- tions. C’est seulement grâce à l’imposition de règles du jeu discriminatoires qui ont conféré aux colons des privilèges considérables que les grandes exploitations commerciales d’Afrique et d’Amérique latine ont pu prospérer. Les subventions dont ont bénéficié ces fermes étaient généralement très élevées et ont lourdement grevé les finances publiques (elles ont en général été financées par les exportations de minerais). 146 Le réveil du géant assoupi Le cas des grandes exploitations agricoles en Afrique a été examiné dans plusieurs des rapports préparés en vue de l’étude sur la CCAA. Le rapport consacré à la Commonwealth Development Corporation (CDC) rend compte du soutien apporté pendant un demi-siècle à l’introduction de la grande agriculture sur l’ensemble du continent africain. La moitié environ des entreprises étudiées ont totalement échoué — pour des raisons techniques, économiques, ou les deux. La plupart de celles qui ont réussi pratiquaient des cultures de plantation (notamment de bois pour la production de bois d’œuvre et de produits ligneux). Certaines de ces exploitations prospères opéraient sur le modèle de l’agriculture contractuelle ou du grand domaine entouré de petites exploitations satellites. La CDC estimait qu’il était préférable de laisser les cultures vivrières aux petits exploitants et ne s’est généralement pas lancée dans ce type de cultures ; elle n’a par ailleurs que rarement obtenu de bons résultats lorsqu’elle l’a fait. Aucune grande exploitation bénéficiant de l’appui de la CDC n’est jamais parvenue à être compétitive sur les marchés d’exportations alimentaires, en raison, essentiellement, du coût élevé des machines et des frais généraux associés au personnel expatrié chargé de la gestion des opérations. Les seules grandes exploitations qui ont réussi à produire des denrées alimentaires pour l’exportation sont les grandes fermes commerciales créées à grand renfort d’aides gouvernementales à l’époque coloniale ou sous le régime de l’apartheid. Les revers essuyés par la grande agriculture en Afrique ne signifient pas toutefois qu’elle soit nécessairement vouée à l’échec. Les conditions de production et de commercialisation des denrées agricoles changent rapidement, souvent de manière qui semblent avantager les grandes exploitations. Les technologies évoluent toujours plus vite, les économies d’échelle générées par la mécanisation ne cessent d’augmenter, les normes de qualité deviennent de plus en plus rigoureuses, il devient plus important d’assurer la traçabilité des produits depuis l’exploitation d’origine, et le crédit reste inaccessible pour beaucoup de petits agriculteurs africains. Ces différents facteurs peuvent, notamment, faire pencher la balance en faveur des grandes exploitations. On commence à en voir des exemples en Afrique. Maertens et Swinnen (2006) et Maertens (2008) décrivent comment l’adoption de normes phytosanitaires plus rigoureuses a déplacé, au Sénégal, la production de fruits et légumes pour l’exportation vers les exploitations de plus grande taille. Dans les grandes plantations qui concluent des contrats avec des agriculteurs pour la production primaire et qui recrutent des ouvriers agricoles pour les opérations de collecte, de calibrage et de conditionne- ment, les agriculteurs participants et les ouvriers agricoles obtiennent des revenus beaucoup plus élevés que les non-participants. La hausse des revenus a sensiblement réduit la pauvreté dans les populations avoisinantes. Tyler (2008b) décrit une situation identique dans le secteur horticole au Kenya : la production s’est concentrée dans de vastes conglomérats Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 147 commerciaux travaillant avec des agriculteurs sous contrat. Bien que ces succès récents attestent de la viabilité potentielle des grandes exploitations agricoles commerciales en Afrique, il est bon de rappeler qu’ils concernent des cas particuliers de produits hautement périssables destinés à des marchés d’exportation extrêmement exigeants en termes de qualité. La culture irriguée de la canne à sucre est un autre domaine dans lequel les grandes exploitations commerciales affichent de bons résultats en Afrique. Tyler (2008a) montre que l’efficience technique qui peut résulter des grandes infrastructures d’irrigation permet d’obtenir de meilleurs ratios avantages coûts pour l’agriculture irriguée de canne à sucre à grande échelle que pour l’agriculture pluviale. C’est essentiellement pour cette raison que la culture irriguée est presque toujours pratiquée par de grandes exploitations. La culture non irriguée reste dominée par des petits agriculteurs qui travaillent souvent sous contrat pour une usine de traitement centrale. L’agriculture contractuelle est largement pratiquée pour la culture non irriguée de canne à sucre et donne de bons résultats dans beaucoup de pays, notamment les cinq pays de l’étude sur la CCAA. Les partisans de la grande agriculture font parfois valoir que, dans ce modèle, les coûts de nombreux services normalement assurés par l’État sont absorbés par les exploitations privées. Mais les faits contredisent cet argument. En fait, les grandes exploitations constituées en sociétés ont réussi à convaincre les pouvoirs publics de construire des infrastructures, de fournir des intrants et des crédits subventionnés, de leur accorder des privilèges fiscaux, et de leur donner accès à des terres, souvent d’une superficie considérable, à des conditions extrêmement avantageuses1. Un grand nombre des sociétés envisageant de créer de grands complexes agroalimentaires en Afrique souhaitent de même obtenir un appui des pouvoirs publics sous forme de terrains gratuits ou bon marché, de privilèges fiscaux, de financements concessionnels, et d’infrastructures telles que des routes d’accès et des installations portuaires. Lorsque cette aide ne s’est pas matérialisée, comme dans le cas des agriculteurs zimbabwéens qui ont émigré au Mozambique, les entreprises ont souvent fait faillite et les agriculteurs sont partis. Si les résultats obtenus par la grande agriculture commerciale en Afrique ont été mitigés, on peut en dire autant de la petite agriculture commerciale. Le continent a connu certains succès indiscutables, lorsque l’expansion de la petite agriculture a généré d’importants gains économiques et sociaux et constitué un puissant moteur de réduction de la pauvreté. Les exemples les plus notables sont les systèmes de production de coton en Afrique occidentale francophone. Grimm et Günther (2004) mettent en évidence la contribution majeure des petits producteurs de coton au recul de la pauvreté au Burkina Faso. Tefft, Staatz et Dioné (1997) ont expliqué comment l’expansion rapide de la petite production commerciale de coton et de riz au Mali durant l’essor des produits de substitution aux importations et des produits d’exportation qui a suivi la dévaluation du franc CFA en 1994, a 148 Le réveil du géant assoupi permis de construire de nombreuses écoles et centres médicaux, en partie grâce à l’augmentation des revenus locaux. Dans ces deux pays, les petits producteurs de coton sont aussi les principaux producteurs de cultures alimentaires non irriguées, et le développement de la production cotonnière a eu d’importants effets d’entraînement sur la production céréalière. Compte tenu de l’écart important qui existe entre les prix paritaires à l’importation et à l’exportation dans beaucoup de pays africains, il est fort probable que l’accroissement de la production de denrées alimentaires de base fasse baisser les prix réels pour les consommateurs qui, pour la plupart, sont pauvres2. On a pu observer, dans le monde entier, que le développement de l’agriculture commerciale fondée sur les petites exploitations a beaucoup plus de chances de réussir lorsque les petits exploitants ont facilement accès aux technologies et aux intrants, notamment au crédit, à des informations sur les marchés et à des services de commercialisation. Dans un système d’agriculture contractuelle, certains de ces services sont fournis par l’entreprise agricole et leurs coûts sont financés par des fonds privés. En dehors de ce système, ils doivent être en partie ou totalement financés par l’État, à l’échelon national ou à l’échelon local. De nombreux modèles peuvent être retenus pour assurer la fourniture de ces services : associations de producteurs, ONG, prestataires privés opérant dans le cadre d’un contrat conclu avec l’État, ou administrations publiques centrales ou locales. Que faut-il donc en conclure quant à la taille des exploitations et l’agriculture commerciale ? Il ne ressort aucunement des informations disponibles que le modèle de la grande agriculture s’impose ou qu’il soit même particulièrement prometteur dans le cas de l’Afrique. À l’argument selon lequel les exploitations des colons semblent donner de bons résultats en Afrique de l’Est et en Afrique australe, on peut répondre qu’une analyse plus poussée de la situation révèle que ces exploitations ont très souvent été créées sur des terres dont les populations autochtones ont été expropriées et qu’elles ont bénéficié de manière systématique de politiques préférentielles, de subventions et d’investissements. L’exemple récent de la CDC et les autres tentatives menées pour promouvoir la grande agriculture en Afrique ne sont guère plus encourageants, sauf en ce qui concerne les cultures de plantation. Les documents de référence consacrés à l’agriculture commerciale en Afrique et à la CDC qui ont été préparés pour l’étude sur la CCAA ne font état d’aucun exemple de grande exploitation compétitive sur les marchés d’exportation de cultures alimentaires, en dehors de celles qui ont été établies par des colons. La conclusion de la présente étude, selon laquelle les marchés les plus prometteurs pour les agriculteurs africains sont les marchés intérieurs et régionaux des cultures alimentaires de base et des produits de l’élevage va aussi à l’encontre de l’argument en faveur de la grande agriculture. Les principales opportunités qui s’offrent donc à la grande agriculture semblent Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 149 donc être les cultures de plantation, notamment la canne à sucre et le palmier à huile, qui sont actuellement les matières premières de biocarburants les plus efficientes. Dans les deux cas, le modèle de la grande plantation sera en concurrence avec l’agriculture contractuelle (sauf peut- être en ce qui concerne la culture irriguée de la canne à sucre) ou avec un système mixte d’agriculture contractuelle et de grands domaines associés à de petites exploitations satellites. D’après l’analyse des filières, la grande agriculture semble avoir davantage de chances de réussir en Afrique lorsque trois séries de conditions particulières sont réunies : • il existe des économies d’échelle : c’est le cas des cultures dites « de plantation » (par exemple la canne à sucre, le palmier à huile, le thé, la banane et beaucoup de plantes horticoles cultivées pour l’exportation). Ces plantes doivent être transformées très rapidement après la récolte et /ou être stockées dans des entrepôts réfrigérés sinon leur qualité se dégrade très vite, et leur valeur chute. Sous réserve que les opérations d’ensemencement ou de plantation et de récolte puissent être coordonnées avec les opérations de transformation et d’expédition, les économies d’échelle réalisées au niveau de la transformation et/ou de l’expédition sont aussi enregistrées au niveau de l’exploitation ; • les producteurs africains doivent pouvoir soutenir la concurrence sur des marchés étrangers où les normes de qualité sont très rigoureuses et où il est nécessaire d’assurer la traçabilité des produits depuis l’exploitation d’origine et lorsque le modèle de l’agriculture contractuelle n’est pas applicable (par exemple parce qu’il est difficile de faire respecter les clauses des contrats) ; • des terres relativement fertiles doivent être mises en valeur dans des zones très peu peuplées (notamment de vastes zones de la savane guinéenne). En l’absence d’une population agricole importante pouvant fournir de la main-d’œuvre, le développement de l’agriculture dans ces régions passe nécessairement par la mécanisation. Il est certes possible de mécaniser la petite agriculture au moyen d’animaux de trait ou en louant des machines, mais même dans ce cas, la mise en valeur de régions relativement peu peuplées peut nécessiter d’importants déplacements de populations en provenance de régions plus densément peuplées, qui pourraient se heurter à des obstacles politiques. Dans ces conditions, la grande agriculture mécanisée peut être le modèle le mieux adapté, même pour la production de denrées alimentaires de base. Dans ces trois situations, l’attribution de vastes superficies à de grandes entreprises agricoles peut générer des problèmes liés aux droits d’occupa- tion des terres. En effet, il n’existe pratiquement pas de région qui ne soit utilisée ou revendiquée dans une certaine mesure. Les énormes enjeux 150 Le réveil du géant assoupi fonciers que l’on peut anticiper soulèveront des questions qui seront aussi difficiles à résoudre que les problèmes politiques posés par l’immigration d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles originaires d’autres régions. Le fait que la grande agriculture ne soit probablement pas, dans la plupart des cas, le meilleur moyen de développer l’agriculture commerciale en Afrique ne veut pas dire que ce secteur n’offre pas de possibilités d’inves- tissements importantes. Mais dans un avenir prévisible, les principales opportunités qui se présenteront aux investisseurs privés, nationaux ou étrangers, continueront de concerner la mise au point de semences, la fourniture d’intrants, la commercialisation et la transformation. En même temps, les exploitations familiales ont diverses possibilités intéressantes de forger des partenariats agricoles, que ce soit dans le cadre d’une agriculture contractuelle ou via des associations de petits producteurs. L’avenir des petites exploitations est donc toujours souriant. Droits fonciers, propriété foncière et utilisation des terres Les conséquences du remembrement des terres qui a accompagné l’expansion de l’agriculture commerciale dans le Cerrado brésilien devraient inciter les dirigeants africains à la prudence. Au Brésil, la poursuite de politiques foncières et de programmes de colonisation rurale inefficaces, l’offre de crédits bonifiés et les interventions de l’État au niveau de la commercialisation qui ont perduré jusqu’au milieu des années 80, ont entraîné une distribution asymétrique des propriétés foncières et des revenus agricoles à laquelle n’a pas remédié la série de réformes foncières adoptées à partir des années 90. La situation a été tout autre en Thaïlande, où les réformes foncières et les mesures de distribution de titres de propriété poursuivies de façon systématique par les pouvoirs publics au cours des 30 dernières années ont maintenu, voire renforcé, un régime foncier équitable et ont contribué à la croissance rapide et solidaire des zones rurales. Pour les pays africains étudiés, il importe de déterminer s’ils pourront bâtir des institutions et des mécanismes d’application équitables qui permettront aux petits exploitants d’avoir accès à des terres et de pratiquer une agriculture commerciale de manière profitable. S’ils n’y parviennent pas, ils pourraient se trouver confrontés à des problèmes considérables, comme l’ont montré récemment les crises liées aux problèmes d’occupation des terres, notamment en Côte d’Ivoire et au Zimbabwe. Ces difficultés iront probablement en s’accroissant dans les années à venir sous l’effet de l’augmentation de la demande de terres pour l’agriculture commerciale. Le Gouvernement mozambicain est déjà confronté à des demandes de concessions foncières pour la plantation de produits sources de biocombustibles, qui portent sur des superficies supérieures aux surfaces cultivées dans tout le pays (Boughton, communication personnelle). Bien que les trois pays africains considérés ici aient des lois qui devraient, en théorie, empêcher l’exploitation des usagers traditionnels des terres et faciliter l’utilisation rationnelle et Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 151 équitable des ressources foncières, l’application concrète de ces lois nécessite des institutions administratives et judiciaires (qui pour l’instant manquent de solidité). Il sera aussi essentiel de veiller à ce que les petits exploitants puissent faire valoir leurs droits face aux autres acteurs économiques. Deux problèmes surgissent généralement lorsque l’agriculture commerciale connaît un essor rapide : • Comment garantir les droits fonciers des populations locales, pour permettre aux agriculteurs locaux de participer effectivement au développement de l’agriculture commerciale et de profiter des hausses des revenus qui en résultent, au lieu d’être expropriés ou marginalisés ? • Comment donner à des investisseurs nationaux et étrangers accès à des terres qui, en règle générale, sont déjà revendiquées et utilisées par des groupes autochtones ? Pour répondre à ces questions, il est bon de se repencher sur l’histoire des cinq pays couverts par l’étude sur CCAA et la manière dont ils ont organisé l’accès à la terre. Brésil. Le peuplement de la région du Cerrado a suscité des conflits bien avant les transformations agricoles survenues au cours des trente dernières années. Dans les années 50, les ventes de terrains ont explosé dans le Mato Grosso do Sul, mais faute d’un cadre réglementaire solide, le même terrain pouvait être vendu à maintes reprises à différentes personnes. En général, les paysans pauvres n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter une petite parcelle de terre en tant que posseiros (occupants sans titre de propriété). Au fur et à mesure de la mise en valeur de la région, les peuples autochtones ont souvent été déplacés, voire même exterminés. Au cours des décennies suivantes, le peuplement de la région du Cerrado s’est poursuivi et la structure agraire s’est modifiée. Le nombre et la taille des exploitations ont augmenté et le régime d’occupation des terres a évolué. Partout, le processus d’officialisation des titres de propriété des exploitations a progressé rapidement ; les posseiros ont été chassés et la pratique du fermage et du métayage a fortement diminué. L’expansion rapide des surfaces cultivées a coïncidé avec le développement de la propriété foncière et le recul simultané des autres types d’occupation des terres. Malgré la faiblesse relative des prix des terrains, les droits des occupants n’étaient pas bien protégés, et la présence dans la région de grileiros (personnes qui usurpent les terres) a aggravé la situation. Un grand nombre de posseiros ont dû quitter leurs terres à la suite de différends avec des grileiros et des grands exploitants. Nombreux sont ceux pour qui la mise en valeur du Cerrado a été une occasion manquée de développement social. La politique publique, qui visait à développer un nouveau type d’agriculture fondé sur des petites exploitations familiales produisant pour le marché intérieur, a dégénéré pour 152 Le réveil du géant assoupi déboucher sur une course à la terre largement incontrôlée et de plus en plus frauduleuse, et d’immenses espaces ont été revendiqués par des groupes d’intérêt riches et puissants qui ont engagé de massives actions en justice. L’échec de la politique foncière a de surcroît été aggravé par l’octroi de volumes considérables de crédits bonifiés aux grandes exploitations et par un système de commercialisation dominé par l’État. Les personnes qui devaient bénéficier de la politique foncière — non seulement les populations locales mais aussi les migrants pauvres venus d’autres régions du Brésil — n’ont jamais participé au processus dans la mesure prévue. Thaïlande. Le peuplement de la région du Nord-Est de la Thaïlande a, dans l’ensemble, suscité bien moins de conflits que celui du Cerrado. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que pendant les années 60, lorsque le développement de l’agriculture commerciale dans cette région a commencé à s’accélérer, les différends fonciers étaient relativement rares. L’expansion considérable des superficies cultivées dans la région du Nord-Est a résulté principalement du défrichage de zones forestières inhabitées. Environ trois millions d’hectares de forêts ont été défrichés dans cette région, d’abord par abattage puis par brûlage. Ces terrains ont alors été affectés à la riziculture et aux cultures de hautes terres. Par la suite, étant donné l’accroissement de la population et l’épuisement des terres vierges disponibles, beaucoup de paysans ne possédant pas de titres de propriété sur les terres qu’ils cultivaient ont été menacés d’expulsion. Les contestations politiques ont pris de l’ampleur car les paysans ont commencé à exiger qu’on leur attribue des droits sur les terrains qu’ils occupaient (Pinthong 1992). Le Gouvernement thaïlandais a lancé en 1975 un programme de réforme agraire sous l’égide de l’ALRO (Agricultural Land Reform Office), principalement pour résoudre les conflits fonciers devenus de plus en plus fréquents. Les agriculteurs ont d’abord obtenu le droit de cultiver un terrain ; après avoir exploité ce dernier sans interruption pendant une période déterminée, ils étaient autorisés à transférer légalement leur droit sur le terrain par un acte de vente. Entre 1975 et 1988, la superficie de propriétés agricoles est passée de 7,1 millions d’hectares à 8,7 millions d’hectares (OAE 1973–2005, 1981, 1985, 2001, 2006). Outre la sécurité qu’ils ont conférée à leurs détenteurs, les titres de propriété officiels ont permis à de nombreux ménages ruraux d’avoir accès à des crédits institutionnels. La réforme agraire en Thaïlande est entrée dans une seconde phase en 1984 lors du lancement du Programme de distribution de titres fonciers (LTP) par le ministère de l’Aménagement du territoire avec l’appui de la Banque mondiale et de l’Australie. Le LTP a procuré aux exploitants satisfaisant certains critères une garantie d’occupation qui devait leur faciliter l’accès à des crédits institutionnels et les encourager à investir sur le long terme pour améliorer leur productivité. En 2001, le LTP avait attribué 8,5 millions de titres couvrant quelque 4,87 millions d’hectares. Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 153 Les études d’évaluation ont établi l’existence d’effets positifs sur les prix des terrains (une hausse de 127 %), l’accès à des crédits institutionnels assortis de taux moins élevés (une hausse de 132 %), et le volume de crédits accordés (une hausse de 75 à 123 %). La consommation d’intrants achetés, le rendement par unité de superficie et la valeur de la production ont augmenté dans les cas des terres pour lesquelles un titre de propriété existait (Burns 2004 ; Leonard et Ayutthaya 2003). La sécurité d’occupation des terres, les réformes agraires et les autres mesures prises pour améliorer la productivité des terres ont manifestement joué pour beaucoup dans le développement d’une agriculture commerciale compétitive en Thaïlande. Les modes de faire-valoir des terres étaient donc relativement similaires au Brésil et en Thaïlande lorsque le processus de commercialisation de l’agriculture a commencé, mais ils ont ensuite évolué très différemment. Dans les deux pays, le flou qui caractérisait au départ les droits fonciers a encouragé l’occupation de terrains sans autorisation puis la réclamation de titres de propriété. Au Brésil, des intérêts puissants ont pris le contrôle du processus et ont réussi à obtenir des titres de propriété couvrant de très vastes superficies, au détriment des petits exploitants. En Thaïlande au contraire, les petits producteurs sont mieux parvenus à protéger leurs intérêts, et les titres fonciers ont donc été plus largement répartis — et selon de nombreux observateurs plus équitablement. Compte tenu de l’évolution très différente des politiques foncières brésiliennes et thaïlandaises, il importe d’examiner la situation telle qu’elle se présente actuellement dans les pays africains inclus dans l’étude sur la CCAA et de se demander de quelle manière évolueront probablement les régimes de propriété et d’utilisation des terres dans ces pays. Mozambique. Les répercussions de la commercialisation de l’agriculture sur les modes de faire-valoir des terres au Mozambique sont difficiles à prévoir avec certitude. La densité de population est encore très faible dans ce pays et de vastes régions ne sont pas cultivées de manière continue. La petite agriculture prédomine : en 2005, plus de 99 % du total des exploitations, dont le nombre était estimé à 3,28 millions, étaient des petites exploitations familiales. Bien que les conditions soient très propices, au Mozambique, à une révolution verte entraînée par la petite agriculture, l’expansion future de la grande agriculture commerciale porte en elle les germes de conflits fonciers et menace de déposséder les petits agriculteurs, comme cela s’est produit dans le Cerrado au Brésil lorsque les cultures commerciales sont devenues compétitives sur les marchés extérieurs. Conscients de ces risques, les dirigeants mozambicains ont mis en place une législation très progressiste et, pour l’essentiel, bien adaptée pour protéger les droits de propriété foncière des petits exploitants. Les modes de faire-valoir sont régis par la Politique foncière nationale de 1995 qui, fondamentalement, stipule que l’occupation coutumière confère des droits légaux officiels. Les législations ou les politiques foncières de nombreux 154 Le réveil du géant assoupi pays africains, comme le Malawi, l’Ouganda la Tanzanie, et la Zambie, ont des dispositions similaires. Au Mozambique, les communautés locales ont le pouvoir de décider des procédures régissant l’attribution de titres fonciers et l’utilisation des terres, tant que ces procédures ne sont pas contraires aux principes inscrits dans la constitution nationale (notamment la parité homme-femme). Dans la plupart des communautés, des droits d’usage peuvent être obtenus par les particuliers ou les groupes qui soumettent une demande officielle ou font valoir qu’ils occupent déjà les terres conformément aux règles coutumières. Un simple témoignage peut servir de preuve d’occupation, et aucun critère d’attribution ou type de preuve n’est jugé supérieur à un autre. La législation est également favorable aux investisseurs privés, nationaux et étrangers qui souhaitent obtenir des terres et, en pratique, les Mozambicains et les étrangers sont traités sur un pied d’égalité à une exception près : les ressortissants étrangers ne peuvent pas obtenir de droits d’utilisation au seul motif qu’ils occupent un terrain. Les investisseurs potentiels doivent préparer un programme de mise en valeur pour les terres agricoles qu’ils souhaitent acquérir, tenir des consultations avec les communautés sur lesquelles l’achat de ces terres aurait un impact, et s’entendre avec elles sur la manière dont elles profiteront des avantages procurés par l’opération de développement (ou au moins sur la manière dont elles seront indemnisées). Une fois ces accords conclus, un bail rural est accordé pour une durée de deux ans. Lorsque le programme de mise en valeur est dûment exécuté, des baux peuvent être accordés pour une période pouvant aller jusqu’à 50 ans, et ils sont renouvelables, transmissibles et cessibles sous réserve de l’obtention d’une autorisation de l’administration. La présentation et la bonne exécution d’un programme de mise en valeur est une condition nécessaire à l’obtention et à la conservation d’un bail rural. Bien que la Politique foncière nationale offre une solide base juridique à l’exploitation des terres à des fins commerciales, en réalité le processus d’attribution des baux n’est pas transparent et ouvre donc la voie à la corruption. Le processus de consultation est souvent superficiel, et les avantages convenus ne se matérialisent pas toujours. Les baux temporaires ne sont pas forcément convertis en baux permanents, et même lorsqu’il a expiré, un bail rural provisoire peut en fait constituer un droit de quasi- propriété. En pratique, les superficies attribuées sont souvent beaucoup plus vastes que celles qui peuvent raisonnablement être mises en culture. Il vaudrait mieux imposer un plafond aux superficies allouées pour éviter de devoir redistribuer les terres par la suite. Il est vrai que de nombreux exploitants pratiquant une agriculture commerciale (c’est-à-dire ceux qui cultivent plus de 50 hectares) se plaignent que la procédure d’obtention des baux ruraux est lourde et coûteuse en raison du processus administratif qui doit être suivi pour confirmer la viabilité du programme de mise en valeur. La Politique foncière nationale n’a pas non plus toujours permis de bien gérer les différends opposant les grands exploitants aux petits agriculteurs Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 155 pratiquant une culture extensive itinérante. Ces différends surgissent assez régulièrement dans les régions très productives, comme les plaines inondables fertiles du Limpopo et du Zambèze. Rares sont les partenariats forgés entre des petits et des gros producteurs qui produisent de bons résultats, et il arrive que des petits exploitants doivent quitter leur terres sans avoir été dûment consultés ou indemnisés. En résumé, le Mozambique a bien adopté des lois et des règlements conçus pour éviter les fractures sociales engendrées au Brésil par l’instaura- tion de l’agriculture commerciale, mais il n’est pas certain que les pouvoirs publics aient la capacité et la volonté de bien les faire respecter. Zambie. Comme le Mozambique, la Zambie a une faible densité démographique et un pourcentage élevé de petites exploitations familiales. Toutefois l’agriculture zambienne compte aussi un important secteur commercial, concentré principalement dans un couloir étroit le long de la principale liaison ferroviaire entre le nord et le sud. Depuis l’indépendance, la Zambie s’efforce à grand peine de réformer sa législation foncière. Les autorités ont entrepris d’élaborer une nouvelle politique et une nouvelle législation foncières. Actuellement, deux régimes fonciers sont encore en vigueur : le régime coutumier et la cession à bail. Le régime coutumier s’applique aux terrains détenus collectivement par les communautés. Ces derniers sont transmissibles et cessibles entre particuliers et familles, mais ils ne peuvent pas être vendus. La majorité des petits exploitants cultivent des terres rentrant dans cette catégorie, qui inclut 62 % du territoire national. Le régime de la cession à bail s’applique aux terrains qui ont été déclarés à l’État conformément aux dispositions de la Loi foncière de 1995. En théorie, tous les terrains peuvent être enregistrés auprès de l’État, de sorte que les terrains occupés en vertu du régime coutumier peuvent, en fait, passer sous le régime de la cession à bail. Comme au Mozambique, il est nécessaire à cette fin de préparer un programme de mise en valeur, de consulter les communautés concernées et de collaborer avec elles. Dans le système de cession à bail, le droit foncier peut être attribué à n’importe qui, tant que les procédures d’enregistre- ment foncier et de délivrance de titres fonciers sont respectées. Le droit d’occupation est accordé pour une période maximale de 99 ans, à l’issue de laquelle le détenteur du bail doit demander son renouvellement. La plupart des grands producteurs cultivent des terres sous le régime de la cession à bail. Les terrains occupés en vertu du régime coutumier passent peu à peu sous le régime de la cession à bail. Il n’est pas évident que les petits exploitants y gagnent. En théorie, les utilisateurs des terrains assujettis au régime coutumier sont en droit de déposer une demande d’enregistrement auprès de l’État, mais il faudra que la procédure soit facile à suivre par les petits exploitants pour éviter qu’ils soient marginalisés par le développement de l’agriculture commerciale. 156 Le réveil du géant assoupi Nigéria. Le Nigéria, qui a une densité de population moyenne supérieure à celle de la région du Nord-Est de la Thaïlande et un secteur agricole dominé par les petites exploitations familiales, pourrait s’inspirer avec profit de l’expérience thaïlandaise pour garantir la sécurité d’occupation foncière. Toutefois, étant donné l’application très inégale de la législation régissant l’accès à la terre, il faut s’attendre à ce que le pays se retrouve dans une situation plus proche de celle du Brésil. Au Nigéria, l’accès à des terrains rentre dans deux cadres juridiques distincts : le droit coutumier et le droit écrit. Le droit coutumier varie considérablement d’un groupe ethnique à un autre, voire même au sein d’un même groupe. Bien que la plupart des régimes coutumiers réglementent de façon satisfaisante l’accès à la terre à des fins de production, certains problèmes reviennent régulièrement ce qui permet de penser que ces régimes sont mal adaptés à des situations telles que la fragmentation croissante des parcelles au fil des générations, l’attribution de droits d’utilisation des terres à des « étrangers » nés en dehors des communautés locales, et la distinction entre droits sur une parcelle et droits sur les arbres qui se trouvent sur la parcelle. Sous l’effet de la croissance démographique et des pressions exercées par le processus de commercialisation, de nombreux régimes coutumiers évoluent spontanément pour renforcer la sécurité d’occupation des individus. En vertu du droit écrit, toute personne peut demander un certificat d’occupation des terres aux autorités locales. La Loi sur l’utilisation des terres de 1978 (LUA) confère des droits de propriété sur les terres à l’intérieur de l’État, permet l’attribution de droits d’utilisation aux personnes et charge l’administration d’attribuer les droits fonciers au lieu de laisser jouer les forces du marché. En théorie, toute personne ou société a le droit d’obtenir un terrain. Dans la mesure où l’acquisition de terres telle qu’elle est prévue par la LUA ne dépend pas de l’appartenance à un groupe de parenté ou d’un statut social, la LUA devrait normalement permettre à des investisseurs commerciaux d’obtenir des terres, mais cela n’arrive pas souvent en pratique car les procédures sont laborieuses et sources de confusion3. L’attribution de terres dans le cadre de la LUA semble se faire en grande partie en fonction des relations des demandeurs. Or, les pauvres n’ont souvent pas les contacts qu’il faut et obtiennent donc rarement des terres agricoles. Dans la plupart des régions rurales, les femmes ont accès à des terres agricoles par l’intermédiaire d’un mari, d’un frère ou d’un père. Elles n’ont donc que des droits dérivés, et leur accès à la terre, qui dépend du bon vouloir des hommes, est donc généralement très incertain. Les dispositions de la LUA étant appliquées de façon aléatoire, différents régimes fonciers parallèles perdurent sur le territoire national. Arua et Okorji (1997) notent que les propriétés individuelle, commu- nautaire et publique coexistent souvent. Les individus obtiennent des droits sur les terres par différentes voies autres que la soumission d’une demande officielle d’allocation de terrains aux autorités locales : Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 157 l’attribution par le chef de famille d’une partie de la parcelle dont la communauté est propriétaire, l’héritage, la location, l’achat en pleine propriété, un don ou une promesse de don, et le métayage. La LUA ne reconnaissant pas les contrats informels, la plupart d’entre eux n’offrent aucune garantie juridique. En résumé, en l’absence d’une politique d’occupation des sols claire et opérationnelle, il est difficile au Nigéria d’assurer une gestion durable des ressources foncières et d’éviter les types d’abus qui ont accompagné le remembrement des terres dans le Cerrado. L’examen de la situation des trois pays africains inclus dans l’étude sur la CCAA montre que, au Mozambique et en Zambie, les dirigeants ont mis en place des politiques et des législations foncières visant à concilier la protection des droits des utilisateurs traditionnels (notamment des femmes) et l’octroi d’un accès à des terres à de nouveaux utilisateurs ; au Nigéria, par contre, les dirigeants n’ont ni entrepris de réelles réformes de la politique foncière ni procédé aux réformes législatives correspon- dantes. Il faut toutefois noter que si la loi protège les droits coutumiers sur la terre et les droits des femmes au Mozambique et en Zambie, son application se heurte à des obstacles qui tiennent à l’insuffisance des capacités administratives, à l’absence de participation des populations locales à l’attribution des concessions sur les terres, aux carences des mécanismes de règlement de différends, et au manque d’accès aux tribunaux. C’est pourquoi l’attribution de terres à des exploitations commerciales continue de poser problème, soit parce que le processus reste complexe et incertain, soit parce qu’il continue de donner lieu à une ruée spéculative sur des terrains d’une superficie excessive. Il serait possible d’empêcher l’obtention de terrains à des fins spéculatives en assurant une participation active des communautés locales aux procé- dures d’attribution, en plafonnant la superficie que peut détenir un seul propriétaire et/ou en imposant des taxes foncières bien conçues mais aucun des pays de l’étude sur la CCAA n’applique de telles mesures. L’administration foncière reste également trop centralisée dans les trois pays, et est loin d’avoir les capacités requises pour s’acquitter des tâches qui lui incombent. Il est crucial que les dirigeants se montrent fermement résolus non seulement à assurer le respect de la loi mais aussi à décentraliser et à considérablement renforcer les capacités et la gouvernance de l’administration foncière. Sécurité alimentaire L’agriculture est essentielle à la sécurité alimentaire de nombreux ménages africains. Les marchés alimentaires fonctionnent souvent mal, surtout dans les régions reculées où les infrastructures font défaut, de sorte que leurs habitants doivent satisfaire leurs besoins de consommation au moyen de leur propre production. Les pouvoirs publics doivent trouver le moyen de s’attaquer au problème de la sécurité alimentaire à la fois directement 158 Le réveil du géant assoupi (par exemple en essayant d’améliorer l’agriculture de subsistance et/ou en mettant en place des filets de protection sociale) et indirectement (par exemple en ciblant les exploitations dynamiques qui opèrent dans des environnements de production favorables et qui pourraient donc produire moins cher et en plus grandes quantités, et offrir aux populations pauvres sans terre de meilleures opportunités de générer des revenus). Dans quelle mesure le passage à une agriculture commerciale va-t-il à l’encontre de la recherche de la sécurité alimentaire des ménages ruraux pratiquant une agriculture de subsistance ? Si l’on compare la rentabilité et les revenus tirés des cultures destinées à la vente et des cultures vivrières destinées à la consommation familiale, on constate généralement que, les années « normales », les cultures destinées au marché sont plus rentables. Mais alors, pourquoi les petites exploitations familiales ne se spécialisent- elles pas dans ce type de production ? Bien que certain ménages consacrent la totalité de leurs terres à une seule culture de rente (par exemple la canne à sucre et le thé au Kenya), la plupart des agriculteurs affectent la plus grande partie de leurs terres à des cultures vivrières destinées à leur propre consommation, même lorsqu’il semble plus rentable de produire pour le marché (von Braun et Kennedy 1994 ; Peters et Herrera 1994). Si beaucoup de ménages ruraux préfèrent produire pour leur propre consommation, c’est probablement pour les trois raisons suivantes. Tout d’abord, les traditions culturelles locales peuvent accorder une grande importance à la production de la nourriture que consomme la famille (la marque d’un bon chef de famille). Il peut aussi exister une division du travail entre les hommes et les femmes, ces dernières étant principalement chargées de produire ou de procurer les aliments consommés par le ménage, tandis que les hommes exercent des activités non agricoles ou produisent des cultures de rente. Les traditions et les institutions sociales évoluent lorsque les conditions du marché changent (par exemple lorsque des marchés alimentaires locaux se constituent), mais cela peut prendre un temps considérable (Binswanger et McIntire 1987 ; North 1990). Deuxièmement, les ménages peuvent avoir des difficultés à produire pour les marchés parce qu’ils ne possèdent que des terrains de taille limitée, parce qu’ils ne peuvent pas se procurer les fonds nécessaires à l’achat d’intrants, ou parce qu’ils manquent de ressources humaines. Il est aussi possible qu’ils n’aient que peu de latitude pour prendre des risques, et donc utiliser d’intrants achetés. Les débouchés ne sont pas toujours assurés (les prix peuvent être volatils et, de surcroît, rien ne garantit que les acheteurs viendront), surtout lorsque la chaîne d’approvisionnement commence juste à se mettre en place. Ce problème est particulièrement aigü lorsque les producteurs sont encouragés à investir dans des cultures arboricoles qui ne produisent qu’après plusieurs années, comme en témoignent les graves difficultés rencontrées par l’industrie de la noix de cajou au Mozambique après la libéralisation du secteur (McMillan, Horn et Rodrik 2002). Par ailleurs, les cultures de rente et les cultures vivrières Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 159 peuvent être touchées différemment par les aléas météorologiques, de sorte qu’il est judicieux de diversifier la production (Ellis 2000). Dans certains cas — notamment dans les régions de collines, des cultures de rente et des cultures vivrières peuvent être produites sur des parcelles différentes qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques agroécologiques (Poulton 1998 ; Pandey et al. 2006). Enfin, et c’est peut-être la raison la plus importante, pour laquelle de nombreux ménages pauvres hésitent à totalement cesser de produire des cultures vivrières de crainte que, s’ils se consacrent entièrement à produire des cultures de rente, ils soient confrontés à une hausse plus importante que prévue des prix alimentaires sur les marchés locaux, et qu’ils n’aient plus les moyens d’acheter assez de nourriture pour nourrir leur famille. Pour de multiples raisons — qu’il s’agisse des coûts de transport plus élevés, de la moindre intégration des marchés, de problèmes climatiques plus prononcés, de capacités d’irrigation moins importantes, et de l’absence de politiques publiques bien conçues pour stabiliser les prix des céréales — ces derniers sont beaucoup plus volatils sur les marchés africains que sur les marchés asiatiques (Dawe 2001 ; Hazell, Shields et Shields 2005). Quand les marchés alimentaires manquent de fiabilité, fonctionnent mal ou sont très volatils, les ménages ruraux préfèrent commencer par assurer leur subsistance et ne vendent que leurs excédents (Fafchamps 1992 ; Jayne 1994). Selon von Braun et Kennedy (1994, 3–4), les agriculteurs choisissent de produire pour leur propre consommation car cette solution leur semble être la meilleure, compte tenu de toutes les contraintes en jeu. Toutefois, à l’échelle de la planète, ce mode de fonctionnement traditionnel se traduit par l’allocation la plus inefficace possible des ressources humaines et naturelles et devient de moins en moins viable par suite de l’intensification des pressions démographiques et de l’amenuisement des ressources naturelles. Il semble particulièrement important d’améliorer le fonctionnement des marchés des aliments de base (c’est-à-dire des principaux biens de consommation courante dans la plupart des pays à faible revenu) pour inciter les petits exploitants à affecter un plus grand pourcentage de leurs ressources à la production de cultures de rente. En l’absence de marchés alimentaires stables, ces ménages cherchent avant tout à se nourrir et vivent de plus en plus en autarcie. La production pour le marché par ménage diminue, les coûts de collecte augmentent ; la concurrence diminue à ce stade, en raison de la réduction des volumes considérés, ce qui nuit à la compétitivité de la production commerciale des petits exploitants. Dans ces conditions, le développement de l’agriculture commerciale ne peut probablement plus s’effectuer que si la taille des exploitations des exploitations augmente. Très souvent, lorsque les coûts de transaction ne baissent pas, l’intégration verticale se renforce, ce qui avantage aussi les grandes exploitations. 160 Le réveil du géant assoupi Un certain nombre d’études empiriques ont tenté de déterminer si le fait d’investir dans des cultures de rente était toujours préjudiciable à la sécurité alimentaire. Govereh et Jayne (2003) montrent, par exemple, que les cultivateurs du coton dans le district de Gokwe North (Zimbabwe) produisent du maïs de manière plus intensive que les familles qui ne cultivent pas de coton. Bien que les premiers consacrent moins de terres au maïs que les seconds (parce qu’ils les affectent à la culture du coton), les deux types de ménages produisent des quantités d’aliments similaires. Govereh et Jayne (2003) concluent également que la généralisation de l’agriculture de rente peut avoir des retombées positives sur la production vivrière (par exemple en augmentant le nombre de stockeurs d’intrants). Au Sénégal, Goetz (1993) a constaté que la production d’arachide pouvait avoir d’importants effets positifs sur la production vivrière par suite d’un ensemble complexe de dispositions concernant les terrains, la main-d’œuvre salariée, et les semences d’arachide. Bien que ces conclusions semblent aller à l’encontre du sens commun, elles cadrent avec l’idée qu’il est nécessaire d’assurer la production vivrière avant de se lancer dans des cultures de rente. Si les exploitants ne commencent à produire des cultures de rente que lorsqu’ils sont assurés de leur sécurité alimentaire, il est probable que les effets négatifs de ces cultures sur la sécurité alimentaire disparaîtront. D’une manière générale, les études empiriques ne permettent pas de déterminer avec certitude si la crainte de l’insécurité alimentaire est, ou non, un obstacle à la poursuite d’une agriculture de rente par les petits exploitants. Il est toutefois intéressant de noter que certaines sociétés s’efforçant de promouvoir des cultures commerciales aident les petits producteurs à se procurer plus facilement des aliments, parce qu’elles savent que la crainte de l’insécurité alimentaire est un frein à l’adoption de cultures de rente. Par exemple, la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT), qui est un établissement paraétatique, a réussi à stimuler dans une certaine mesure la production de maïs, non seulement en procédant à des travaux initiaux de sélection des variétés, mais aussi en mettant des semences de maïs et les engrais nécessaires à cette culture à la disposition des producteurs de coton. Certaines entreprises appuyées par la CDC, qui gèrent des systèmes de petites exploitations, consacrent aussi une partie de leurs terres à la production d’aliments de base qu’elles mettent ensuite à la disposition des petits exploitants satellites et des ouvriers agricoles pour les encourager à affecter une plus grande partie de leurs terres la culture de rente qu’elles souhaitaient promouvoir. Ce que signifient ces observations pour la politique publique sera examiné plus loin. Dans l’immédiat, il est important de noter qu’il est possible d’encourager la généralisation des activités de production de cultures de rente (autres que des aliments de base) en améliorant l’efficacité des marchés des produits alimentaires et/ou en augmentant la productivité des cultures vivrières des ménages qui ne produisent pas suffisamment pour satisfaire leurs besoins. Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 161 Répercussions sur la condition des femmes Le développement de l’agriculture commerciale a-t-il des répercussions différentes sur les hommes et sur les femmes ? Son impact sur les relations intrafamiliales est analysé en détail dans les études sur les conséquences sociales du développement de la production de cultures de rente / d’exportation dans les petites exploitations. Il est souvent fait valoir dans ces études que l’expansion des cultures d’exportation peut compromettre l’accès des femmes aux ressources, en particulier à la terre, accroître encore la charge de travail de ces dernières, réduire l’autonomie dont elles jouissaient auparavant au sein du ménage en les mettant dans une plus large mesure à la merci du bon vouloir de l’homme qui est le chef de famille, compromettre la sécurité alimentaire de la famille, et accroître le travail des enfants. Des études réalisées, notamment, en Afrique montrent que le passage de la production de cultures de subsistance à celle de cultures de rente a parfois été associé à une aggravation de la malnutrition chez les enfants d’âge préscolaire (von Braun et Kennedy 1994). Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure ces constats peuvent être généralisés. La relation entre la commercialisation de l’agriculture et la nutrition est complexe, et les études qui fournissent des données de référence pour les périodes précédant l’introduction des cultures de rente sont rares. L’une d’elles est évoquée par Kennedy et Oniang’o (1990) dans leur analyse des effets de la production de canne à sucre sur la santé et la nutrition dans le sud-ouest du Kenya. Les chiffres semblent indiquer que la hausse notable des revenus des petits exploitants par suite de leur participation à un groupe de plantations satellites a entraîné une augmentation du nombre total de calories consommées par les ménages mais ne s’est pas traduite par une amélioration de l’état nutritionnel des enfants et des taux de morbidité et de croissance des enfants d’âge préscolaire. Des études menées au Mali (dont la synthèse a été faite par Tefft et Kelly [2004]) indiquent que la structure familiale, les droits des femmes sur les terres, l’organisation collective et l’efficacité des autorités locales sont autant de facteurs qui ont un impact sur la mesure dans laquelle la hausse des revenus des petits exploitants associée à l’agriculture commerciale entraîne une amélioration ou une détérioration de l’état nutritionnel des enfants. D’autres études consacrées aux implications du développement de l’agriculture commerciale sur la condition des femmes se sont également révélées peu concluantes. Au Kenya, une étude des petites exploitations produisant des haricots verts pour l’exportation montre comment les conflits entre les hommes et les femmes se sont soldés par une baisse de la qualité des haricots et, en fin de compte, par la résiliation des contrats de production conclus avec les petits agriculteurs (Dolan 2001). Selon une autre étude réalisée au Kenya, jusqu’à 30 % des parcelles consacrées à la culture du thé étaient mal entretenues en raison de désaccords concernant 162 Le réveil du géant assoupi le travail des femmes (Sorensen et von Bulow 1990). Des différends du même ordre ont été signalés dans d’autres études de la petites agriculture au Kenya (par exemple Davison 1988 ; Mackenzie 1993 ; Francis 1998), notamment dans le cadre de la production de thé (Sorensen et von Bulow 1990 ; Ongile 1999), de sucre (Oniang’o 1999 ; Kennedy et Oniang’o 1990 ; Rubin 1990), de produits horticoles (Dolan 2001, 2002), et de tabac (Francis 1998 ; Heald 1991). En Gambie, à la suite de conflits portant sur les terres et la main-d’œuvre, les femmes ont refusé de travailler dans les rizières irriguées que l’État et les donateurs s’efforçaient de mettre en valeur dans les zones humides du pays (Carney 1993). Ces conséquences ne sont toutefois peut-être pas inévitables. Dans une exploitation familiale, il est important que les membres du ménage coopèrent pour fonctionner de manière efficace. Lorsque la main-d’œuvre est rare ou que les prix à la production sont élevés, les femmes peuvent avoir une certaine latitude pour négocier leurs conditions de travail. Au Kenay, Heald (1991) observe que, dans le cas de la production de tabac, des prix plus élevés favorisent la coopération entre les hommes et les femmes. Toujours au Kenya, mais cette fois dans le domaine de la production de thé, Sorensen et von Bulow (1990) ont constaté que les femmes ont un certain pouvoir de négociation sur leur contribution et sur la manière dont sont dépensés les revenus tirés du thé parce que leur travail est essentiel à la production et qu’il est difficile de trouver de la main-d’œuvre. Dans certains cas bien particuliers, les inégalités entre les hommes et les femmes peuvent donc être quelque peu atténuées. Dans les trois pays africains considérés dans l’étude, les principales inégalités entre les sexes créées par la commercialisation de l’agriculture tiennent au manque d’accès des femmes à la terre, à la répartition des revenus au sein du ménage, et à l’importance que revêt l’emploi agricole informel pour les femmes et leurs stratégies de survie. Au Nigéria et en Zambie, les principes de base des droits coutumiers d’utilisation des terres — défavorables aux femmes — sont repris par les mécanismes réglementaires. Même au Mozambique, où la Loi foncière ne peut pas violer des principes constitutionnels tels que l’égalité des sexes, en réalité, les femmes ne jouissent toujours pas des mêmes droits que les hommes dans beaucoup de domaines. Elles perdent très souvent tous leurs droits sur les terres qu’elles ont cultivées et utilisées pour subvenir aux besoins de leur famille à la suite d’un divorce ou d’un décès. La stratégie actuelle de promotion des mécanismes de marché dans le domaine des droits fonciers ne prend pas non plus suffisamment en compte les préoccupations liées à la manière dont les femmes ont, en pratique, accès à la terre, par exemple dans le cadre d’un héritage (Ikdahl et al. 2005, xi–xii). En Zambie et au Mozambique, la main-d’œuvre informelle agricole est essentiellement féminine ; il importe donc de prêter attention au rôle des femmes dans le contexte de la commercialisation des activités de production et de transformation primaire. Enfin, on a aussi pu observer, en Afrique, que Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 163 l’augmentation des revenus n’entraînait pas toujours une amélioration des conditions de vie des ménages parce que les hommes contrôlent généralement les revenus tirés des cultures de rente. En fait, loin d’améliorer leurs conditions de vie, le développement de l’agriculture commerciale a accru la vulnérabilité des femmes, et celle des enfants, en réaffectant leurs moyens de production (la terre et leur travail) à des activités d’agriculture commerciale sur lesquelles elles n’ont guère de contrôle. Impacts sur l’environnement La conversion des terres à des usages agricoles et ses conséquences sur l’environnement suscite de nombreux débats, qui ne sont pas toujours fondés sur de solides informations. L’agriculture est le plus souvent ouvertement critiquée pour les nombreux effets négatifs qu’elle est jugée avoir sur l’environnement. Il est indéniable que l’agriculture — surtout l’agriculture commerciale intensive — peut avoir de tels effets. Par exemple, le développement de l’agriculture commerciale passe souvent par l’extension des superficies cultivées ; celle-ci résulte dans bien des cas de la conversion de forêts naturelles, de savanes ou de prairies, qui s’accompagne inévitablement d’un appauvrissement de la flore et de la faune locales. Le développement de l’agriculture commerciale est aussi fréquemment associé à une intensification des méthodes de production agricole qui peut entraîner une surexploitation des ressources en eau, être source de pollution si les produits chimiques sont mal utilisés, réduire la quantité et la qualité des ressources disponibles, et nuire à la santé des habitants. Toutefois, le développement de l’agriculture commerciale n’a pas que des effets négatifs sur l’environnement et peut même avoir des avantages pour celui-ci. En particulier, l’augmentation de la productivité qui caractérise les systèmes de production commerciale intensive contribue à éviter la mise en culture de zones marginales et, ainsi les protéger des dommages que pourraient causer des méthodes de production extractives insoutenables. Comment la situation se présente-t-elle dans le contexte de la savane guinéenne ? Quelles répercussions les processus de développement de l’agriculture commerciale ont-ils eu au Brésil et en Thaïlande, et quels enseignements les trois pays africains inclus dans l’étude doivent-ils en tirer ? Brésil. Jusque dans les années 60, deux principaux modes de produc- tion existaient dans le Cerrado. Un élevage extensif était pratiqué sur un pourcentage assez important des terres ; les éleveurs produisaient des bovins d’embouche qu’ils expédiaient ensuite vers d’autres régions du pays pour leur finissage. L’agriculture, essentiellement concentrée dans un petit nombre de régions, était pratiquée par des petites exploitations qui cultivaient essentiellement des produits alimentaires de base sur un mode de semi- subsistance. La poursuite d’investissements publics pendant de longues années pour développer la région a permis un essor considérable de l’agriculture, qui 164 Le réveil du géant assoupi a eu des répercussions sur la flore et la faune de la région ainsi que sur les sols et les ressources en eau. La conversion des espaces naturels du Cerrado à des fins agricoles est généralement associée à l’expansion de la production de soja mais, en réalité, les superficies défrichées dans le but précis de cultiver du soja sont relativement limitées. La méthode généralement suivie pour développer les terres agricoles dans le Cerrado commence par l’abattage d’arbres ; les zones défrichées sont ensuite brûlées puis ensemencées pour servir de pâturage. Au fil du temps, les sols se dégradent, la rentabilité de l’élevage diminue, et les éleveurs finissent par abandonner cette activité au profit de la production de soja et d’autres cultures en ligne. À l’origine, le paysage agroécologique du Cerrado se composait essentiellement de savanes et de savanes boisées couvertes d’arbres à basse futaie et d’arbustes dont le bois n’avait guère de valeur commerciale, mais il comprenait aussi de grandes étendues de forêt amazonienne de transition. Le développement de l’agriculture a entraîné la conversion à des fins agricoles d’importantes parties de ces bois et forêts. Dans le Mato Grosso, entre 1975 et 1983, c’est-à-dire la période durant laquelle les efforts de développement de cet État ont été les plus intenses, la superficie de forêt défrichée est passée d’environ 100 000 hectares à plus de 6 millions d’hectares. La conversion des terres s’est poursuivie à un rythme rapide de 1994 à 2000. Plus d’un tiers des terres est à présent utilisé à des fins agricoles. Le développement de l’agriculture commerciale non seulement a réduit l’aire de distribution de nombreuses espèces végétales locales, mais il a aussi eu un impact sur les populations animales autochtones. La région du Cerrado abrite environ un tiers des espèces animales du Brésil, soit quelque 5 % de la faune de la planète. L’intensité des activités humaines, étroitement liée à la transformation agricole de la région, a réduit la superficie des habitats de nombreuses espèces. Outre qu’elle a appauvri la biodiversité, l’intensification de l’agriculture dans le Cerrado peut aussi avoir dégradé les ressources pédologiques de la région. La culture en rotation du soja et du maïs, qui est très répandue, donne lieu à une utilisation très intensive des sols et accroît le risque de compaction et d’érosion superficielle. Les pertes de sol associées à l’intensification de l’agriculture dans le Cerrado varient essentiellement en fonction des pratiques culturales. La production de soja par les méthodes de labour traditionnelles entraîne une perte de terre moyenne de 25 tonnes par hectare par an, contre 3 tonnes seulement avec les méthodes de travail de conservation (notamment les méthodes sans labour) (Conservation International 1995). Les effets cumulés de ces pertes peuvent être considérables. Selon les estimations, dans le Cerrado, l’agriculture a causé une perte de terre moyenne de 20 tonnes par hectare par an, soit un milliard de tonnes par an au total (Ribemboim 1997). Le rythme de dégradation des sols dans la région s’est considérablement ralenti ces derniers temps grâce à l’adoption généralisée de pratiques culturales anti-érosives (Ekboir 2003). Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 165 L’intensification de l’agriculture dans le Cerrado a aussi eu des réper- cussions sur les ressources en eau. Il n’existe toutefois guère d’informations en ce domaine car les données sur les impacts hydrologiques sont très limitées. Cette absence de données est particulièrement étonnante si l’on considère que trois grands cours d’eau ont leurs sources dans le Cerrado : l’Amazone, le São Francisco et le Paraná. Les préoccupations suscitées par les effets de l’agriculture sur les ressources en eau concernent principale- ment l’envasement probable des rivières et le risque de déversement de produits chimiques agricoles dans leurs eaux. Thaïlande. Aucune évaluation détaillée des répercussions de l’agriculture commerciale sur l’environnement dans la région du Nord-Est de la Thaïlande n’a été réalisée. Les quelques études existantes sont principale- ment des expériences menées au niveau de parcelles et des analyses réalisées au niveau des villages. Malgré leur portée limitée, ces études font néanmoins apparaître une accélération des problèmes environnementaux associés au développement de l’agriculture commerciale. Cette dernière a principalement détruit des espaces forestiers et, par conséquent, appauvri la biodiversité. D’autres problèmes, notamment l’intensification de l’érosion, la diminution de la fertilité des sols et la dégradation des zones humides ont été notés en différents endroits. La région du Nord-Est était, à l’origine, essentiellement couverte de forêts d’arbres à feuilles caduques et de savanes, mais comptait aussi quelques forêts sempervirentes principalement à flanc de montagne. En 1961, la couverture forestière de la région était estimée à environ 70 000 kilomètres carrés, soit environ 42 % des terres de la région. Une politique d’abattage massif lancée au début des années 60 a considérablement réduit les espaces boisés. En 1980, plus de la moitié des forêts de la région du Nord- Est avaient disparu. Le déboisement s’est poursuivi même après l’entrée en vigueur, en 1989, de l’interdiction de procéder à des abattages sur tout le territoire national. En 1998, la couverture forestière ne représentait plus que 12,4 % des terres. Ce déboisement rapide a notamment été le résultat des mesures prises par le Gouvernement thaïlandais pour promouvoir résolument la production de cultures de rente en altitude dans la région du Nord-Est. Et s’il est vrai que le défrichage des terres vierges a aussi été poursuivi de manière stratégique pour combattre les insurgés communistes qui s’étaient réfugiés dans les forêts à l’époque, il est avant tout imputable au développement de l’agriculture commerciale. Entre 1950 et 1984, l’exploitation de terres agricoles a augmenté de 53 % dans la région (Hafner [1990], cité dans Neef et Schwarzmeier [2001]). Les superficies consacrées à des cultures d’altitude ont plus que sextuplé, pour passer d’environ 0,28 million d’hectares en 1961 à 1,75 million d’hectares en 1989 (Bello et al. 1998). La production de manioc a considérablement augmenté, principalement parce que les superficies consacrées à cette culture sont passées de 460 000 hectares en 1974/75 à 1 million d’hectares 166 Le réveil du géant assoupi in 1988/89. La population de la région du Nord-Est n’ayant que peu augmenté pendant ce temps, il est clair que la principale cause du déboisement n’est pas la croissance démographique mais le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture de rente encouragé par l’État. Le rapide développement des surfaces cultivées a probablement entraîné la disparition d’espèces forestières autochtones, notamment de plantes médicinales utilisées en Thaïlande par la médecine traditionnelle. Il n’est toutefois pas possible de déterminer l’ampleur exacte de l’appauvrissement de la biodiversité car les écosystèmes dominants de la région n’ont jamais été étudiés de manière détaillée (FAO 2001). Le développement de l’agriculture commerciale a également été une cause majeure d’érosion, en particulier en altitude. Selon les estimations, la perte annuelle de terre sur les plantations de manioc et de canne à sucre en altitude serait, en moyenne, de l’ordre de 20 tonnes par hectare, soit le double du niveau de tolérance de 10 à 12 tonnes par hectare établi par U.S. Soil Conservation Service. L’ampleur des pertes de terre dans le contexte des systèmes de culture en altitude tient à la minceur du couvert végétal qui caractérise ces systèmes ainsi qu’à des pratiques culturales impliquant un travail fréquent du sol. L’érosion est, en revanche, bien plus limitée dans les rizières des terres basses qui, pour la plupart bénéficient de flux de nutriments continus résultant de l’érosion des terres situées à une plus grande altitude (Vityakon et al. 2004). L’érosion a, elle-même, réduit la fertilité des sols. Le labour systématique des terres cultivées a provoqué leur dégradation chimique dans certaines régions qui s’est traduit par une baisse de la teneur en carbone organique et par une diminution de la capacité d’échange cationique. La matière organique des sols est particulièrement difficile à reconstituer dans ces environnements tropicaux et subtropicaux, où la préparation du lit de semence et la lutte contre les plantes adventices perturbent régulière- ment la texture du sol. Les études menées dans la région du Nord-Est montrent toutes que les quantités de matière organique dans le sol sont en général beaucoup plus faibles dans les champs d’altitude que dans les rizières des basses terres. En altitude, la dégradation de la matière organique est aussi souvent plus importante dans les champs de manioc que dans les plantations de canne à sucre qui recyclent une plus grande quantité de résidus organiques (Vityakon 2007). De nombreux agriculteurs compensent la baisse de fertilité du sol en altitude en utilisant des engrais chimiques dont l’épandage peut, toutefois entraîner des déséquilibres chimiques s’il ne s’inscrit pas dans une stratégie intégrée de gestion des nutriments du sol. Des produits chimiques agricoles (engrais minéraux, herbicides et insecticides) sont actuellement utilisés pour la plupart des cultures commerciales dans la région du Nord-Est. Les agriculteurs s’en plaignent car, si ces produits ont permis d’augmenter leurs rendements, leur emploi systématique renchérit leurs coûts de production et les rend plus tributaires de ressources externes. Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 167 Le développement de l’agriculture commerciale a également eu des répercussions sur la qualité et le volume des ressources en eau dans la région du Nord-Est. Le recours croissant à l’irrigation a entraîné une diminution du débit de plusieurs grands cours d’eau, ce qui a favorisé l’envasement des rivières et provoqué des modifications indésirables de la température de l’eau. L’infiltration des produits chimiques agricoles dans les eaux de surface et dans la nappe phréatique a entraîné une dégradation de la qualité des ressources en eau. Ces produits sont utilisés en grande quantité dans les cultures d’altitude, notamment la canne à sucre, de sorte que des résidus chimiques contaminent fréquemment les cours d’eau. L’utilisation de plus en plus répandue de produits chimiques agricoles a des effets négatifs sur la rizipisciculture qui contribue largement à l’alimentation des agriculteurs, et l’empoisonnement direct par les pesticides est devenu un grave problème de santé pour beaucoup de paysans de la région (Panyakul 2001). Malgré les problèmes liés à l’utilisation de produits chimiques agricoles, la qualité de l’eau reste bonne dans les principales rivières de la région du Nord-Est (OEPP 2002). Les changements intervenus dans la qualité et le volume des ressources en eau ont eu des conséquences imprévues ; la salinité des sols a nettement augmenté sur environ 12 % du territoire de la région (Williamson et al. [1989], cité dans Bell et Seng [2004]) car le déboisement accéléré a contribué à diluer les dépôts de sel souterrains et a favorisé la diffusion du sel par les cours d’eau naturels et artificiels (Bello et al. 1998). Au fil des ans, le Gouvernement thaïlandais a pris des mesures pour atténuer certains de ces impacts négatifs sur l’environnement. Des programmes de plantation d’arbres, par exemple, ont, permis de ralentir l’érosion des sols et d’arrêter, voire même d’inverser, le processus de salinisation dans certaines régions d’altitude. Différentes méthodes permettent de restaurer la fertilité des sols. L’adoption de certaines rotations de cultures peut aider à freiner l’appauvrissement du sol en nutriments tout en contribuant à maintenir les rendements agricoles. Les agriculteurs sont tout à fait conscients de la baisse de fertilité des sols, et beaucoup d’entre eux ont mis au point des méthodes pour inverser le processus de dégradation chimique en utilisant les matériaux des termitières et, plus récemment, en appliquant des vases draguées dans les lacs (Nobel et Suzuki 2005). Les producteurs sont aussi encouragés à pratiquer une agriculture biologique, respectueuse de l’environnement, plutôt qu’une agriculture conventionnelle qui exige de grandes quantités d’intrants. Pays africains considérés dans l’étude sur la CCAA. Dans beaucoup de régions d’Afrique, comme ailleurs dans le monde, l’environnement a subi les conséquences de l’intensification de l’agriculture — notamment l’intensification associée au développement de l’agriculture commerciale. Ces conséquences sont souvent dépeintes en termes négatifs : la déforestation et l’appauvrissement de la biodiversité qui s’ensuit, la dégradation des ressources pédologiques et hydriques, et les effets néfastes 168 Le réveil du géant assoupi sur la santé liés à l’utilisation des produits chimiques agricoles sont fréquemment mentionnés. Or, si l’on considère généralement que les impacts de l’agriculture commerciale sur l’environnement sont inévitablement négatifs, cela n’est en fait pas clairement établi. Il importe donc de mieux comprendre l’impact environnemental que peut avoir la commercialisation de l’agriculture, et de tirer les leçons de l’expérience pour tenter d’atténuer à l’avenir les effets négatifs sur l’environnement par l’adoption de politiques mieux conçues et de meilleures interven- tions techniques. Dans les trois pays africains considérés ici, le défrichage des terres à des fins agricoles a eu un impact sur la biodiversité, bien qu’il soit difficile de dire dans quelle mesure, parce que le processus n’a pas donné lieu à des études précises. Au Mozambique, la base des ressources naturelles est encore relativement inexploitée, de sorte que les possibilités de mise en valeur — et de destruction — sont aussi élevées. Les forêts, les prairies, les mangroves, les lacs d’eau douce et les rivières, le littoral, la zone intertidale et les eaux littorales, et la faune qui vit dans ces habitats, fournissent de nombreux biens et services et constituent le seul moyen de subsistance de beaucoup de Mozambicains. La plupart de ces ressources naturelles sont dans un état satisfaisant, en partie grâce aux faibles densités de population et à un développement économique limité (Hatton, Telford et Krugmann 2003). Les forêts naturelles couvrent environ 60 millions d’hectares, soit 75 % du total des terres et il existe aussi de vastes espaces de savanes et de broussailles. Le Mozambique possède une grande diversité biologique : 5 500 espèces de plantes, 205 de mammifères, 170 de reptiles, 40 d’amphibiens, et les deux tiers des espèces d’oiseaux présentes en Afrique australe (Chemonics International 2008). L’État a créé un nombre raisonnable d’aires protégées, notamment des forêts classées et réserves forestières et des zones protégées pour la flore et la faune sauvages, mais il est difficile d’assurer une gestion durable des ressources. Dans de nombreuses régions du pays, la récolte de bois et de plantes n’est assujettie à aucun contrôle, et la chasse est couramment pratiquée. Le rythme de conversion des terres à des usages agricoles est relativement plus lent que dans le reste de l’Afrique. Environ 4 % du couvert forestier du pays a disparu entre 1990 et 2005. Les taux de déboisement n’ont pas augmenté sensiblement ces dernières années, et sont restés de l’ordre de 0,3 % par an entre 2000 et 2005 (FAO 2005). Le Nigéria présente également une riche diversité biologique. Le pays compte 7 895 espèces végétales et plus de 22 000 espèces de vertébrés et d’invertébrés. Un grand nombre des plantes sont des espèces traditionnellement utilisées par la population, notamment à des fins alimentaires ou médicinales. Le Nigéria est également le site de variétés sauvages de plantes cultivées importantes telles que le niébé, le riz, l’igname, et les arachides (ARD 2002). L’appauvrissement de la biodiversité résulte principalement des activités humaines, notamment l’agriculture Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 169 (en particulier les cultures itinérantes sur brûlis), le ramassage de bois de chauffage, l’abattage et le pâturage. Contrairement au Mozambique, le déboisement est, au Nigéria, un grave problème environnemental. Entre 1990 et 2000, le taux annuel de déboisement s’est établi à 2,8 % en moyenne, soit un niveau très élevé par rapport à la moyenne pour l’Afrique (0,8 %) et pour les pays à faible revenu (0,7 %). Pendant la période 2000–2005, le Nigéria comptait parmi les 10 pays affichant les pertes annuelles nettes de couvert forestier les plus importantes. Les « réserves forestières » s’étendent sur plus de 9,6 millions d’hectares, mais elles sont tellement dégradées qu’elles n’ont plus de réserves que le nom : une bonne partie de leur couverture forestière a disparu et (dans certaines régions) le processus de désertification est déjà bien avancé. Les forêts restantes sont essentiellement des forêts secondaires, qui repoussent sur des terres agricoles abandonnées, ou qui ont été plantées, par exemple pour produire du cacao ou du caoutchouc. En Zambie, 14 écosystèmes sont répartis en 4 grands groupes : forêt, taillis, savane boisée et prairie. Ces écosystèmes abritent une flore et une faune d’une grande richesse. Le Plan national d’action de la Zambie pour la biodiversité recense 8 017 espèces d’organismes (MENR 1999). Sur ce total, au moins 170 sont considérées comme rares, et 31 autres sont considérées comme vulnérables ou menacées (Douthwaite, Chitalu et Lungu 2005). La Zambie possède de nombreuses espèces végétales sauvages apparentées à des espèces cultivées, notamment de riz, de niébé, de sorgho, de sésame et de diverses cucurbitacées. Les données sur le déboisement sont insuffisantes en Zambie comme dans les deux autres pays africains étudiés. Les savanes boisées et les forêts recouvrent environ 68 % du pays, et les zones humides 27 %. Les écosystèmes créés par l’homme ne représentent qu’environ 3 % de la superficie totale du territoire. Les écosystèmes naturels ont été fortement dégradés par les activités humaines, en particulier par le brûlage, les cultures itinérantes et le ramassage de bois de chauffage (Douthwaite, Chitalu et Lungu 2005). Dans les trois pays considérés dans l’étude sur la CCAA, l’agriculture — aussi bien de subsistance que de rente — a contribué à dégrader les ressources pédologiques et hydriques, bien qu’il existe des différences très importantes entre les pays. La dégradation des sols n’est pas aussi alarmante au Mozambique que dans d’autres pays voisins notamment parce que, sur les 36 millions d’hectares de terres arables, seulement 4,5 millions sont cultivés chaque année. Dans de nombreuses zones exploitées par des petits agriculteurs, l’appauvrisse- ment des sols en nutriments est modéré à élevé en raison de la faible quantité d’intrants utilisés. Les sols les plus menacés d’érosion sont souvent ceux qui sont en pente et situés plus en altitude (entre 200 et 1 500 mètres). Au Nigéria, la dégradation des sols est une grave menace environ- nementale. Le défrichage des terres à des fins agricoles a exposé les sols aux éléments et intensifié l’érosion. Selon les estimations des autorités 170 Le réveil du géant assoupi nationales, en 1997, plus de 90 % des terres agricoles du pays étaient soumises à l’érosion, qui a inévitablement entraîné une baisse de la fertilité des sols. Dans la plupart des cas, ce problème est imputable à la pratique d’une agriculture intensive par des méthodes de production traditionnelles à faible intensité d’intrants, ainsi qu’au brûlage de résidus de culture et/ou au surpâturage (FAO 2002). Il est difficile de s’attaquer aux problèmes de la dégradation de l’environnement au Nigéria parce qu’il n’existe pas de données détaillées sur la baisse de qualité et de productivité des sols, sur l’appauvrissement des réserves de pacage, et sur les taux de déboisement. Les efforts d’élaboration et de diffusion de techniques de production agricole durables ne progressent donc guère. Le taux d’adoption des techniques de conservation des ressources telles que la rotation des cultures, les pratiques agroforestières, et les systèmes combinant culture et élevage, reste faible, pour diverses raisons : les technologies peuvent ne pas être disponibles, elles peuvent être mal connues des agriculteurs, ou bien les agriculteurs ne sont guère incités à les adopter. En Zambie, l’ampleur et la distribution de l’érosion des sols n’a pas été quantifiée. Dans certaines provinces, les agriculteurs s’accordent à penser que le phénomène s’aggrave et ils reconnaissent que la fertilité de leurs champs a diminué au fil du temps. De nombreux scientifiques sont d’accord avec ces observations et attribuent la baisse de productivité à l’épandage systématique d’engrais minéraux sans chaulage et à la culture du maïs sans rotation des cultures. Il n’existe que peu d’informations sur les conséquences de l’intensifica- tion de l’agriculture sur les ressources en eau dans les trois pays africains étudiés. Au Mozambique, plus de 100 grands réseaux hydrographiques ont été recensés. Les ressources en eaux de surface sont abondantes et le potentiel hydrique souterrain est immense ; les prélèvements d’eau sont inférieurs à 1 % des ressources en eau renouvelables. L’agriculture est le principal consommateur d’eau et absorbe 87 % des volumes prélevés. Selon les estimations, 3 millions d’hectares pourraient être irrigués (FAO 2000), mais seulement 40 000 hectares le sont à présent. La pollution de l’eau ne constitue pas un problème majeur car la production agricole reste essentiellement le fait de petites exploitations qui utilisent en règle générale de très petites quantités d’engrais et de produits chimiques agricoles. Le Nigéria possède également d’importantes ressources en eau. Les estimations des superficies qui pourraient être irriguées vont de 1,6 million d’hectares (FAO) à 2,5 millions d’hectares (Gouvernement nigérian). Des projets de mise en valeur des ressources en eau, conçus et mis en œuvre sans aucune mesure de protection environnementale, ont dans le passé, provoqué la destruction de vastes étendues de fadama et, partant compromis l’importante flore et faune sauvage, notamment piscicole auxquelles ces terres basses inondables servaient d’habitat. Les projets de développement qui seront menés à l’avenir pourraient augmenter le Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 171 détournement des eaux des zones humides vers les régions irriguées en amont, et avoir des conséquences négatives sur la production agricole irriguée dans les plaines inondables. Le développement des cultures irriguées dans les fadama a abaissé la nappe phréatique dans certaines régions. Les données sur la pollution de l’eau liée à l’agriculture sont très insuffisantes, mais étant donné que la consommation d’engrais est faible, il est probable que la pollution due à l’agriculture est aussi limitée. En Zambie, le volume total des ressources en eau renouvelables est de l’ordre de 105 kilomètres cubes par an, dont environ 80 kilomètres cubes sont des ressources intérieures. Environ 160 000 hectares sont actuellement irrigués, soit approximativement 30 % des terres dont l’irrigation présente un intérêt économique. La plupart des infrastruc- tures d’irrigation en Zambie sont employées pour l’agriculture commer- ciale, et en particulier la production de sucre, de blé et de café. L’eau est souvent polluée à proximité des sites industriels, ainsi que dans les zones urbaines densément peuplées. La seule source agricole importante de pollution de l’eau est la sédimentation provoquée par les cultures à proximité des cours d’eau. Implications de l’analyse environnementale La zone de savane guinéenne, qui se caractérise par un potentiel agricole moyen à élevé, s’étend sur quelques 700 millions d’hectares en Afrique, soit près de trois fois la superficie du Cerrado brésilien. Seulement 48 de ces 700 millions d’hectares sont actuellement cultivés. Même si l’intégralité de la savane guinéenne n’est pas propice à l’agriculture, elle représente manifestement l’un des plus vastes réservoirs de terres agricoles inutilisés de la planète. Il ne fait aucun doute que pour nourrir la population mondiale, répondre à la demande croissante de matières premières agricoles et produire des plantes fourragères pour la fabrication des biocarburants, une part importante de cette zone devra, à terme, être convertie à des usages agricoles et, probablement, exploitée par des méthodes plus intensives que ce n’est actuellement le cas. Il n’est guère surprenant que la conversion des terres et l’intensification de l’agriculture associées au développement de l’agriculture commerciale aient des répercussions sur l’environnement. La croissance économique et le développement ont inévitablement des effets sur l’environnement. Les activités économiques, notamment l’agriculture commerciale, entraînent des modifications qualitatives de l’environnement physique dans lequel elles se produisent : il ne peut en être autrement. Les dommages causés à l’environnement dépendent des techniques employées et de la valeur attribuée aux différents aspects de l’environnement. Lorsque l’on évalue l’impact probable de l’agriculture commerciale sur l’environnement en Afrique, il est important de ne pas oublier les effets qu’aurait l’agriculture si elle demeurait uniquement une activité de subsistance. L’agriculture commerciale peut être une option valable 172 Le réveil du géant assoupi malgré les dommages environnementaux qu’elle peut causer dans un site donné parce qu’elle permet d’éviter des dégradations plus importantes dans d’autres sites en produisant les mêmes quantités sur des superficies plus réduites ou sur des terres de moindre valeur. Il faut donc déterminer ses conséquences probables compte tenu des problèmes environne- mentaux plus généraux liés à l’agriculture, en particulier l’agriculture de subsistance peu productive et non viable pratiquée par les petits paysans forcés par les pressions démographiques de défricher les forêts, de raccourcir les jachères ou de s’installer dans des zones plus fragiles. Le cas du Brésil et de la Thaïlande (parmi bien d’autres) montre clairement que le développement de l’agriculture commerciale donne lieu à la conversion de vastes étendues de forêts et de savane arbustive à des usages agricoles, qui créée certains risques environnementaux. Par exemple, l’emploi non optimal des engrais chimiques (en quantités insuffisantes ou excessives) peut dégrader les sols. Des problèmes environnementaux peuvent aussi résulter de l’irrigation à laquelle l’agriculture intensive a souvent recours ; les barrages de retenue et de stockage de l’eau peuvent détruire des habitats naturels et appauvrir la diversité biologique en empêchant l’écoulement des nutriments en aval, et les installations d’irrigation peuvent provoquer la salinisation des terres cultivées. Enfin, le mauvais emploi de pesticides peut appauvrir la biodiversité et polluer les cours d’eau et les eaux souterraines par infiltration. En plus des dommages qu’ils causent aux écosystèmes, les pesticides peuvent aussi être préjudiciables à la santé des producteurs et des ouvriers agricoles. Certains de ces problèmes ne se posent pas encore vraiment en Afrique, où les problèmes environnementaux liés à l’agriculture tiennent essentiel- lement à des niveaux d’intensification inappropriés et à un recours insuffisant à des intrants modernes. Il n’en reste pas moins que l’expérience du Brésil, de la Thaïlande et de nombreux autres pays peut être riche d’enseignements et fournir des indications sur la manière d’éviter ou de réduire certains des écueils de l’intensification de l’agriculture. Il ne faut toutefois pas oublier que, en augmentant les rendements des cultures vivrières de base, les révolutions vertes du XXe siècle ont permis de ralentir la conversion d’habitats naturels en terres agricoles. Le développement agricole a certainement eu un coût environnemental mais ce dernier aurait sans doute été plus élevé si la révolution verte n’avait pas eu lieu. Les éventuels impacts sociaux et environnementaux de l’agriculture commerciale 173 Notes 1. Les superficies demandées par les grandes entreprises agricoles sont souvent bien supérieures à ce qu’un seul exploitant peut raisonnablement cultiver. L’attribution de superficies trop importantes entraîne une sous-utilisation des terres dans les grandes exploitations qui, par la suite, provoque des demandes de réforme foncière. 2. D’un autre côté, l’écart important entre les prix paritaires à l’importation et à l’exportation ne facilite pas la stabilisation des prix car les prix peuvent varier à l’intérieur d’une très grande fourchette avant d’être stabilisés par les importations ou les exportations. 3. L’attribution récente de droits d’utilisation de terres dans l’État du Kwara à des exploitations commerciales zimbabwéennes montre que la procédure peut être accélérée. CHAPITRE 7 Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever Si les entreprises agroindustrielles et les agriculteurs africains ne parviennent pas à être compétitifs sur les marchés intérieurs et d’exportation, l’agriculture africaine ne pourra pas devenir le puissant moteur d’une croissance favorable aux pauvres. L’étude sur la CCAA a été réalisée dans le but d’examiner la possibilité de rétablir la compétitivité de l’agriculture africaine sur les marchés internationaux. L’étude, dont les résultats sont résumés dans le présent ouvrage, montre que, en Afrique, la zone de savane guinéenne offre d’abondantes possibilités de développer une agriculture commerciale et de promouvoir la prospérité. D’autres régions offrent aussi des perspectives de croissance, mais elles sont beaucoup moins étendues. Ce dernier chapitre récapitule brièvement les opportunités à saisir ainsi que les défis à relever, et présente les grandes lignes de l’action à mener pour y parvenir. Des perspectives encourageantes pour l’agriculture commerciale dans la zone de savane guinéenne La zone de savane guinéenne en Afrique a probablement la plus vaste superficie de terres agricoles sous-exploitées du monde. Or ces terres pourraient être utilisées pour produire des aliments, des intrants agricoles et des matières premières entrant dans la fabrication de biocarburants non seulement pour les marchés africains mais aussi pour ceux d’autres 175 176 Le réveil du géant assoupi régions. La savane guinéenne se caractérise, de manière générale, par un bon potentiel agricole et par des densités de population peu élevées dans de nombreuses régions, autant de facteurs propices au développement des systèmes de production intensifs nécessaires pour promouvoir une agriculture commerciale dynamique. Les agriculteurs y cultivent surtout des produits bruts relativement peu différenciés, comme le faisaient les producteurs de la région du Cerrado au Brésil et de la région du Nord-Est de la Thaïlande lorsque ces deux régions ont amorcé leur révolution agricole. Ces produits sont particulièrement bien adaptés à cet environne- ment physique, et les niveaux de qualité que doivent assurer les producteurs et les autres acteurs de la filière qui cherchent à s’implanter sur les marchés régionaux et internationaux sont peu contraignants. L’examen approfondi des cas du Mozambique, du Nigéria et de la Zambie mené dans le cadre de l’étude sur la CCAA montre que les perspectives de l’agriculture commerciale dans ces pays sont aujourd’hui aussi bonnes, sinon meilleures, qu’elles ne l’étaient au Brésil et en Thaïlande avant l’essor de leur agriculture. Les possibilités d’un développement dynamique de l’agriculture commerciale dans les pays africains dépendent de cinq grands facteurs. Une croissance économique rapide et une demande soutenue Pour la première fois depuis plus de 40 ans, les taux de croissance écono- mique en Afrique ont franchi le cap des 6 % (en moyenne), ce qui correspond à un taux de croissance par habitant supérieur à 3 %. L’accélération de la hausse des revenus en Afrique, conjuguée au maintien d’un fort taux d’accroissement de la population et à une urbanisation rapide, créée des débouchés aussi nombreux que divers sur les marchés intérieurs et régionaux. La dépendance toujours plus grande de nombreux pays africains à l’égard des importations de produits agricoles crée d’énormes débouchés pour les produits de substitution aux importations, et il est moins difficile de vendre sur les marchés de la région que sur les marchés internationaux pour des raisons logistiques mais aussi parce que les normes de qualité y sont moins rigoureuses. Les débouchés mondiaux semblent également s’être élargis grâce à l’augmentation de la demande émanant des pays d’Asie et d’Afrique et au développement de la production de biocarburants. De fait, la demande de graines oléagineuses et des plantes utilisées pour produire des biocarburants encourage déjà les investissements privés dans ces cultures en Afrique. Tout comme le Brésil est devenu le premier producteur mondial de soja et la Thaïlande le premier exportateur mondial de riz et de manioc, l’Afrique pourrait dominer la production mondiale de nombreux produits agricoles bruts au XXIe siècle. Des politiques économiques nationales favorables à l’agriculture Au Mozambique, au Nigéria et en Zambie — comme dans beaucoup d’autres pays africains — la situation macroéconomique est aujourd’hui, pour l’essentiel, favorable à l’agriculture. La croissance économique s’est accélérée Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 177 grâce au renforcement de la stabilité économique, à l’adoption de régimes de taux de change déterminés par les forces du marché et à la libéralisation des régimes commerciaux. Ces diverses mesures et la suppression de plusieurs taxes à l’exportation ont allégé la charge fiscale nette assumée par le secteur agricole sur l’ensemble du continent bien que plusieurs pays, dont la Zambie, continuent de taxer leurs exportations. L’amélioration de la situation macroéconomique et le ralentissement de l’inflation contribuent également à faire baisser les taux d’intérêt nominaux et réels, ce qui devrait encourager les investissements dans l’ensemble de l’économie et en particulier dans le secteur agricole où ils réagissent fortement aux mouvements des taux d’intérêt. La situation macroéconomique est aujourd’hui beaucoup plus favorable à l’agriculture dans beaucoup de pays africains qu’elle ne l’était au Brésil dans les années 60, époque pendant laquelle l’agriculture brésilienne était lourdement pénalisée par une monnaie très surévaluée. Un meilleur climat des affaires De nombreux pays africains — parmi lesquels le Mozambique, le Nigéria et la Zambie — ont lancé des programmes pour améliorer le climat des affaires. Ils donnent la priorité à l’investissement dans les infrastructures essentielles telles que les routes, les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, et les réseaux de communications. Ils procèdent à des réformes institutionnelles pour lutter contre la corruption, et selon un récent rapport de Transparency International, l’Afrique a fait plus de progrès en ce domaine que toute autre région. La plupart des pays africains sont déterminés à renforcer leurs systèmes éducatifs et sanitaires afin de valoriser leur capital humain et d’accroître la productivité du travail. Grâce aux initiatives de décentralisation et au développement de la société civile, les populations rurales ont une plus grande voix au chapitre et peuvent mieux défendre leurs intérêts, ce qui leur a permis de former différents types d’organisation de producteurs. Un certain nombre de pays africains ont déjà entrepris, voire même mené à terme, une réforme de leur droit foncier pour protéger les droits coutumiers tout en améliorant la sécurité des droits d’occupation des investisseurs. Nouvelles incitations à investir dans l’agriculture Une demande soutenue, des politiques macroéconomiques et sectorielles plus rationnelles et un climat des affaires plus porteur contribueront à rentabiliser l’agriculture africaine et, par conséquent, à accroître les taux d’épargne et d’investissement des producteurs, des transformateurs, des négociants et de tous les autres acteurs des filières agricoles. Cette évolution devrait aussi permettre de rapatrier les capitaux considérables sortis d’Afrique au cours des dernières décennies et stimuler les investissements intérieurs dans le secteur. Les capitaux étrangers nécessaires aux investissements dans l’agriculture commerciale — notamment dans les filières considérées — commencent, par ailleurs, à s’orienter vers les pays africains, comme en témoignent la signature 178 Le réveil du géant assoupi récente par la Chine de contrats de location de terres en Tanzanie et en République démocratique du Congo, la recherche par des entreprises européennes de production d’énergie de concessions foncières pour la culture des matières premières rentrant dans la fabrication des biocarburants et l’augmentation rapide des investissements étrangers dans les entreprises africaines qui exportent des produits agricoles à forte valeur économique. Nouvelles technologies Les nouvelles technologies offrent aux entrepreneurs agricoles de la savane guinéenne africaine des avantages qui se sont matérialisés pour leurs homologues brésiliens et thaïlandais sur une période de 40 ans. Les méthodes aujourd’hui utilisées dans les zones de savane guinéenne pour exploiter les sols de manière plus productive et atténuer la dégradation de l’environnement sont beaucoup plus perfectionnées qu’il y a trente ans, bien qu’il reste beaucoup à faire dans le domaine de la recherche appliquée pour adapter aux conditions locales les technologies mises au point dans d’autres régions. La révolution biotechnologique permettra d’adapter plus rapidement les pratiques aux contraintes biologiques qui freinent le développement des cultures commerciales en Afrique, à condition toutefois que les pays du continent se dotent des capacités de réglementation et de recherche nécessaires pour exploiter ce potentiel (Eicher, Maredia et Sithole-Niang 2006). Les progrès technologiques commencent à faire sentir leurs effets non seulement au niveau de l’exploitation mais aussi en aval des filières. Par exemple, grâce à la révolution de la téléphonie mobile, les agriculteurs et les négociants africains ont plus rapidement accès, et à moindre coût, à des informations sur des sources éventuelles d’offre et de demande. Obstacles à surmonter Bien qu’il existe manifestement des possibilités de développer l’agricul- ture commerciale dans les zones de savane guinéenne en Afrique, cinq grands facteurs compromettent les chances qu’ont les entrepreneurs africains de connaître le même succès que leurs homologues de la région du Cerrado au Brésil et du Nord-Est de la Thaïlande. Une concurrence internationale plus intense Les producteurs africains sont confrontés aujourd’hui à une concurrence internationale plus intense que ne l’étaient autrefois les producteurs brésiliens et thaïlandais, tant sur les marchés des produits agricoles que sur ceux des produits manufacturés1. Les spécifications auxquelles doivent répondre les produits sont plus rigoureuses que dans le passé, même pour les produits non transformés, comme en témoigne le récent durcissement, pour certains importateurs, de la réglementation concernant la présence d’aflatoxines dans les céréales et le pourcentage d’organismes génétiquement modifiés dans les Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 179 céréales et les graines oléagineuses. Les subventions agricoles dans les pays membres de l’OCDE continuent de limiter les possibilités d’exportation vers ces pays et de production de produits de substitution aux importations qui en proviennent, bien que la hausse des cours mondiaux des matières premières ait aussi contribué au problème. Chocs exogènes : le VIH/SIDA et le changement climatique mondial Malgré la généralisation des traitements antirétroviraux, l’épidémie de VIH/SIDA (virus de l’immunodéficience humaine/syndrome d’immuno- déficience acquise) continue de faire des ravages en Afrique, et érode les capacités de la région dans de nombreux secteurs, notamment celui de la recherche et de la vulgarisation agricoles. La modification du climat de la planète, qui réduira probablement le niveau des précipitations dans les zones de savane guinéenne tout en accroissant sensiblement la variabilité du régime pluviométrique, créera de nouveaux problèmes dans bien des domaines, notamment la recherche, la gestion des cultures et des terres, et l’intermédiation financière. Enfin, les marchés agricoles mondiaux resteront probablement très volatils en raison, notamment, du changement climatique et de l’impact croissant de la production de biocarburants sur les marchés agricoles, qui a renforcé la relation entre les prix des produits agricoles et les cours du pétrole. Manque de détermination des autorités nationales Les responsables politiques mozambicains, nigérians et zambiens prononcent des discours encourageants sur l’importance du développement agricole, mais leurs déclarations ne sont généralement pas fondées sur des prises de position de longue durée et ne débouchent pas sur des réformes et des investissements comparables aux efforts déployés au Brésil et en Thaïlande au cours des dernières décennies. Les États africains n’investissent actuellement que 4 % de la valeur de leur PIB agricole dans ce secteur, contre 10 % dans d’autres régions où l’agriculture a pourtant un poids économique beaucoup plus faible (Banque mondiale 2007c). La mise en valeur de régions peu développées comme le Cerrado au Brésil et le Nord-Est de la Thaïlande était l’une des priorités des pouvoirs politiques de ces pays et a été appuyée par des investissements publics considérables et durables. Et si le développement de ces régions n’était pas une fin en soi, il était néanmoins jugé indispensable pour atteindre des objectifs nationaux de plus vaste portée (par exemple, le développement de l’« intérieur vide » du Brésil et la nécessité de lutter contre l’influence communiste en Thaïlande). Manque de détermination des donateurs Le manque d’intérêt porté à l’agriculture par les autorités nationales est tout aussi évident au niveau des donateurs. La plupart des principaux bailleurs de fonds ont, à l’instar de nombreux dirigeants africains, exprimé leur ferme appui au développement agricole, et leur aide à ce secteur, auparavant très 180 Le réveil du géant assoupi faible, a légèrement augmenté au cours des dernières années. Mais, les montants engagés à cette fin par les donateurs sont, comme ceux des gouvernements africains, sans commune mesure avec les discours tenus. Le développement de l’agriculture commerciale au Brésil et en Thaïlande a, par contre, bénéficié d’une aide extérieure considérable, et en particulier d’un appui très important des États-Unis, directement sous la forme d’investissements dans des projets de développement agricole et indirectement par le biais d’investissements dans l’infrastructure, la recherche et la vulgarisation agricole, et l’enseignement agricole supérieur. Absence de cohésion sociale, instabilité politique et manque de capacités Dans de nombreuses régions d’Afrique, le développement d’une agriculture commerciale prospère est entravé par l’absence de cohésion sociale qui crée un climat de méfiance sur le marché et alourdit les coûts de transaction. Le Brésil et la Thaïlande ont, l’un comme l’autre, une seule langue officielle, une forte identité nationale et une religion dominante. Peu de pays présentent ces caractéristiques en Afrique. Dans de nombreux pays du continent, comme le Nigéria, l’appartenance à un groupe ethnique est souvent un atout plus précieux que l’identité nationale dans les relations commerciales. Le manque de cohésion sociale alourdit les coûts de transaction, non seulement lorsqu’il s’agit de négocier un contrat entre agents du secteur privé et d’assurer un règlement équitable en cas de litige mais aussi lorsqu’il s’agit de mobiliser des investissements dans des biens publics essentiels à la croissance de l’agriculture, tels que la recherche, l’éducation et l’infrastructure agricoles. De manière plus générale, le développement de l’agriculture commer- ciale est exposé à un risque chronique de troubles civils dans de nombreuses régions africaines. La Thaïlande et le Brésil ont également connu une certaine instabilité politique durant la période d’expansion rapide de l’agriculture commerciale, notamment une insurrection communiste en Thaïlande et plusieurs vagues d’affrontements armés entre gros propriétaires fonciers, petits propriétaires et groupes autochtones au Brésil. Toutefois les conflits dans ces pays n’ont jamais provoqué des violences aussi graves que celles qui ont éclaté dans certains pays africains, par exemple durant les guerres civiles au Mozambique et au Nigéria. Les pays africains n’ont pas encore les capacités administratives nécessaires pour faciliter la coordination entre les différents intervenants de la filière tout en maintenant des conditions concurrentielles. En Thaïlande et au Brésil, qui ont pourtant connu plusieurs remaniements gouverne- mentaux dans les années 60 et 70 à la suite de coups d’État militaires, la fonction publique a continué de fonctionner de manière satisfaisante, ce qui a permis de poursuivre les programmes de développement et de maintenir des conditions favorables à l’expansion du secteur privé. En Afrique, par contre, de nombreux fonctionnaires africains continuent de se méfier du secteur privé malgré l’adoption de politiques plus favorables à ce dernier au Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 181 cours des dernières années. C’est pourquoi les partenariats public-privé, qui sont associés à la croissance de l’agriculture commerciale au Brésil et en Thaïlande, y sont moins nombreux. Interventions nécessaires : Politiques publiques, investissements et développement des institutions Grâce à des politiques macroéconomiques et sectorielles bien conçues, à des investissements stratégiques bien ciblés et à la mise en place des institutions nécessaires, le Brésil et la Thaïlande ont pu accroître l’avantage comparatif de leurs zones de savane guinéenne, qui sont alors devenues beaucoup plus compétitives sur les marchés nationaux et internationaux. L’expérience de ces deux pays est aussi source d’enseignements, positifs et négatifs, qui pourraient aider les pays africains à gérer les impacts sociaux et environnementaux d’une telle transformation. En Afrique, les secteurs public et privé, les organisations de la société civile et les partenaires de développement devront exploiter l’avantage comparatif inhérent des zones de savane guinéenne en prenant des mesures indispensables pour créer de nouveaux avantages afin de renforcer la compétitivité de ces zones. Ces mesures peuvent être regroupées dans trois grandes catégories : a) l’élargissement de la portée et l’intensification des réformes en cours, b) l’accroissement massif des investissements publics et privés, et c) la mise en place du cadre institutionnel nécessaire pour assurer le bon fonctionnement des marchés et produire des résultats souhaitables sur le plan social. Toutes ces interventions sont nécessaires au développement de l’agriculture en général sur le continent africain ; celles qui sont décrites dans ce chapitre sont particulièrement importantes pour l’agriculture commerciale. Élargissement de la portée et intensification des réformes en cours Politiques macroéconomiques et sectorielles. Au cours des dernières années, de nombreux pays africains, parmi lesquels le Mozambique, le Nigéria et la Zambie, ont sensiblement amélioré leur cadre macroéconomique. La réforme des politiques publiques a généralement favorisé le développement agricole. Toutefois, les taxes à l’exportation des produits agricoles restent plus élevées en Afrique que dans d’autres régions en développement et les pays africains doivent poursuivre leurs efforts pour aligner les prix intérieurs sur les prix à l’exportation en remplaçant les taxes à l’exportation par d’autres instruments fiscaux créant moins de distorsions. Certains pays comme le Malawi, l’Ouganda et le Sénégal parviennent à dégager des recettes publiques par d’autres moyens, comme le prélèvement de droits de consommations simplifiés et de taxes sur la valeur ajoutée. Les pays riches en ressources naturelles devront également gérer leurs taux de change durant les périodes de forte hausse des prix des matières premières de manière à ne pas compromettre l’agriculture commerciale à vocation exportatrice. Le Chili a adopté un système novateur de gestion des taux de change, fondé 182 Le réveil du géant assoupi sur l’application de certaines règles, pour atténuer les fluctuations de ses recettes d’exportation de produits de base et constituer des réserves extraterritoriales durant les périodes de forte hausse des prix du cuivre et d’autres matières premières. Les trois pays africains étudiés ont déjà procédé à de nombreuses réformes macroéconomiques et sectorielles difficiles, mais les marchés régionaux, qui sont particulièrement importants pour l’expansion de l’agriculture commerciale, sont encore peu développés. L’intégration régionale est l’un des éléments fondamentaux des initiatives du NEPAD, et toutes les sous-régions ont accepté de prendre des mesures pour favoriser la création de marchés communs. De nombreux pays tardent cependant à mettre en place les réformes voulues, notamment l’interdiction d’imposer des restrictions arbitraires à l’exportation, la simplification de la logistique aux frontières et l’harmonisation des normes et des règlements, pour éliminer ces obstacles majeurs au commerce régional. Sachant que le développement de l’agriculture commerciale passe par la création de marchés régionaux, il est impératif d’accélérer la mise en œuvre des accords d’intégration régionale. Politique agraire et administration foncière. Le contraste entre l’expérience du Brésil et celle de la Thaïlande montre que ce sont la politique agraire et l’administration foncière, plus que toute autre forme d’intervention des pouvoirs publics, qui influencent le profil de la croissance agricole et son effet sur la répartition des revenus. Il est essentiel de garantir des droits fonciers transférables pour protéger les intérêts des populations autochtones tout en permettant aux entrepreneurs agricoles d’acquérir des terres inexploitées dans les régions à faible densité de population. Les terres peuvent ainsi changer de mains et revenir à ceux qui peuvent les exploiter de la manière la plus productive, ce qui encourage à son tour la réalisation d’investisse- ments permettant d’accroître la productivité des sols. La politique agraire et la législation foncière récemment adoptées au Mozambique fournissent un cadre novateur pour concilier des intérêts rivaux ; les cadres juridiques malgache et zambien sont aussi bien conçus. Le droit foncier de nombreux pays africains ne reconnaît pas le régime de la propriété libre et perpétuelle pour les terres affectées à l’agriculture commerciale. Les terres sont louées dans le cadre de contrats de bail renouvelables d’une durée de 50 à 100 ans, ce qui assure une sécurité de jouissance adéquate pour la plupart des investissements agricoles. Il n’est pas nécessaire, ni même souhaitable, d’encourager l’adoption de régimes de propriété perpétuelle et libre dans ces pays. La politique foncière du Malawi, par exemple, donne lieu à l’octroi de baux de 50 ans pour toutes les catégories de terres, qu’elles soient aux mains de petits exploitants ou de gros investisseurs. Des progrès importants ont également été accomplis en ce qui concerne la mise au point de mécanismes relativement peu coûteux de certification foncière des communautés et des individus. En Éthiopie, par exemple, une personne peut acquérir un titre de propriété foncière pour à peine plus d’un Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 183 dollar. L’évaluation de l’impact du programme éthiopien montre qu’il a sensiblement réduit les conflits, amélioré les droits et la condition des femmes, et accru la productivité agricole (Songwe et Deininger 2008). Ces programmes de certification foncière font largement participer la communauté à la délimitation des terrains auxquels s’appliquent les droits, au règlement des différends et, enfin à l’enregistrement des transferts de certificats. Au Mozambique, la loi autorise la certification des droits fonciers communaux, et selon une étude récente, un système de certification de groupe pourrait être mis en place au niveau national à peu de frais (Banque mondiale 2005b). L’étude sur la CCAA montre toutefois clairement que, si elle va dans la bonne direction, l’adoption d’une politique foncière et d’un régime d’administration foncière bien conçus ne suffit pas à garantir que l’agriculture commerciale aura des effets positifs sur le développement et sur la répartition des revenus. Pour que les dispositions juridiques aient un effet concret au niveau local, il importe que les pouvoirs publics soient déterminés à assurer la protection des droits coutumiers, et qu’ils aient les capacités requises à cette fin. Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, les groupes d’intérêts dominants parviendront à contrecarrer les objectifs des mesures et des cadres juridiques prévus, aussi valables soient-ils. Des ruées sur les terres se sont produites récemment alors même que les pays concernés étaient dotés d’une bonne législation. Au Mozambique, par exemple, un nombre excessif de titres de propriété provisoires a été accordé, et en Tanzanie, la production de biocarburants a motivé l’achat massif de terres. On pourrait envisager, pour éviter de tels excès, d’adopter un système de plafonnement de la superficie des propriétés foncières et d’imposer une taxe foncière pour décourager la détention de vastes superficies à des fins purement spéculatives. Étant donné que peu de pays africains ont à la fois une législation foncière appropriée et des capacités d’administration des terres, le risque que la mise en place rapide d’une agriculture commerciale ait un effet préjudiciable sur la répartition des revenus est élevé. Les programmes mis en œuvre pour appliquer la politique agraire et assurer l’administration des terres devraient donc comprendre : • Un cadre juridique pour l’allocation de terres aux petits exploitants, notamment aux femmes, et aux investisseurs nationaux ou internationaux, assorti de procédures bien définies de concertation, de participation et/ou d’indemnisation des communautés • Des dispositions juridiques qui autorisent la libre cession des terres données à bail ainsi que leur utilisation pour garantir un crédit, et les capacités requises pour enregistrer les transactions foncières • Un impôt foncier pour décourager l’acquisition de terres à des fins spéculatives • De solides capacités administratives aux échelons décentralisés pour appliquer les dispositions juridiques, et la volonté politique de les appliquer 184 Le réveil du géant assoupi • La certification des droits fonciers, collectifs ou individuels, s’appliquant aux terres communales, par des méthodes participatives peu coûteuses • Des dispositions qui reconnaissent et protègent les droits fonciers communaux et les droits des femmes à la terre • Le développement des capacités nécessaires aux administrations et aux communautés locales pour gérer et défendre leurs droits fonciers. Investir sur une plus grande échelle Le développement d’une agriculture commerciale compétitive au Mozambique, au Nigéria et en Zambie, comme dans bien d’autres pays africains, ne pourra se concrétiser que si l’ampleur des investissements augmente considérablement. Le développement agricole ne peut se faire à moindre frais, abstraction faite des facteurs indispensables à l’obtention de gains de productivité dans la filière agroalimentaire, comme les pays africains et les bailleurs de fonds cherchent à le faire depuis vingt ans. De nombreuses études ont montré que les trois grandes priorités pour les investissements publics sont les sciences et technologies agricoles, le capital humain et l’infrastructure (Fan 2008). Et, pour aussi indispensables que soient les investissements publics, il sera encore plus important à long terme de créer des conditions propices aux investissements privés. Domaines prioritaires pour les investissements publics. Sciences et technologies. L’un des plus grands obstacles au développement de l’agriculture africaine est le faible niveau des investissements dans la recherche agricole et la dispersion des moyens de recherche entre diverses petites institutions qui ne bénéficient pas de financements suffisants. Il ne peut y avoir de gains de productivité durables dans le secteur agricole sans progrès techniques réguliers, qui ne peuvent eux-mêmes se concrétiser qu’au prix d’investisse- ments systématiques dans la recherche agricole pendant plusieurs décennies. Les efforts déterminés déployés pendant de longues années par le Brésil pour appuyer l’EMBRAPA, et les résultats produits par le développement de la région du Cerrado permis par cet investissement en sont un exemple particulièrement éloquent. De fait, l’EMBRAPA continue d’élargir son action, et a annoncé le recrutement de 600 nouveaux chercheurs sur la période 2008–10. Les autorités mozambicaines, nigérianes et zambiennes ont pris l’engage- ment d’investir davantage dans les sciences et les technologies agricoles, mais leurs promesses ne se sont pas encore concrétisées. Le problème est en fait général : les investissements dans la recherche ont diminué en valeur absolue au cours des dix dernières années dans près de la moitié des pays africains (Beintema et Stads 2006). Pour accroître les financements en faveur des sciences et technologies agricoles, il faut augmenter les dépenses publiques allouées à l’agriculture, comme le prévoyait l’accord de Maputo signé par les membres du NEPAD, et donner, dans les budgets agricoles, la priorité aux Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 185 sciences et technologies qui sont souvent évincées par d’autres programmes qui donnent des résultats plus immédiats et plus tangibles (comme les subventions aux engrais). En outre, si l’on considère l’envergure limitée de la plupart des systèmes de recherche africains, les possibilités de faire des progrès rapides dépendent bien plus de la coopération régionale que ce n’était le cas au Brésil et en Thaïlande. À cet égard, il faut se féliciter des efforts déployés aujourd’hui pour renforcer les capacités des organismes de recherche infrarégionaux. Bien que le système de recherche agricole internationale alloue environ un tiers de son budget à l’Afrique, l’impact de ses travaux est moins sensible sur le continent que dans les autres régions en développement. Qui plus est, les résultats obtenus en Afrique ont été produits par un très petit nombre d’initiatives concluantes, comme la mise au point de variétés améliorées de maïs et de manioc, et l’élaboration de méthodes de lutte biologique contre la cochenille du manioc (Maredia et Raitzer 2006). Bien que de nouvelles technologies prometteuses soient en cours d’élaboration, notamment le développement de variétés de riz NERICA et de variétés de maïs résistant à la sécheresse, l’efficacité du système de recherche agricole internationale est menacée par la stagnation des budgets et la réorientation des travaux vers des activités de recherche-développement en aval qui, en fait, devraient être menées dans le cadre des systèmes nationaux ou infrarégionaux. L’accord récemment conclu pour redynamiser le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI) devrait accroître les moyens dont dispose le système international pour s’attaquer aux domaines prioritaires de la recherche en Afrique. Enfin, pour tirer parti des possibilités qu’offre la savane guinéenne, il faudra améliorer à la fois les variétés et les méthodes de gestion de l’eau et des sols, comme on l’a vu en Thaïlande et au Brésil. En dépit des nombreuses initiatives prometteuses récemment lancées pour promou- voir l’adoption de variétés améliorées, notamment l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), qui est financée par la Fondation Bill et Melinda Gates et par la Fondation Rockfeller, la priorité absolue doit être donnée à la poursuite d’une action concertée pour promouvoir des techniques de gestion durable des sols et de l’eau, et notamment l’adaptation des méthodes culturales antiérosives aux conditions africaines. Éducation et compétences. Dans les pays africains couverts par l’étude sur la CCAA, il importe également d’investir davantage dans l’enseignement agricole à tous les niveaux, que ce soit la formation professionnelle (pour fournir aux ménages ruraux les compétences de base indispensables pour adopter et maîtriser les nouvelles techniques de production), la formation technique (pour former le corps de techniciens nécessaire pour moderniser l’agriculture et les filières) ou l’enseignement supérieur (pour recruter des jeunes capables de remplacer le personnel vieillissant des établissements de recherche agricole). Pour développer l’agriculture commerciale, il faut aussi que les agriculteurs acquièrent de nouvelles compétences pour pouvoir 186 Le réveil du géant assoupi chercher des débouchés, obtenir des informations sur les marchés et respecter les normes de qualité. Trouver le moyen d’y parvenir sera peut-être le problème le plus difficile à résoudre, compte tenu des graves lacunes de la plupart des systèmes de vulgarisation. Certaines compétences pourraient être acquises grâce à une assistance technique fournie par des agents privés dans le cadre de contrats d’exploitation agricole, si c’est là le mode d’organisation retenu dans les filières. Mais d’autres mesures seront également requises, telles que l’amélioration des services dans le cadre de solides organisations de producteurs et le renforcement des capacités des services de vulgarisation publics et non gouvernementaux. Irrigation. L’agriculture pluviale jouera très probablement un rôle moteur dans le développement de l’agriculture commerciale en Afrique ; toutefois les petits systèmes d’irrigation et les systèmes d’appoint peuvent contribuer pour beaucoup à prolonger le temps des récoltes et à protéger les agriculteurs des aléas climatiques, notamment dans les zones sèches de la savane guinéenne. Les expériences concluantes récemment menées dans ce domaine (par exemple, au Nigéria et au Malawi) montrent que c’est possible. Infrastructures. Dans de nombreuses régions d’Afrique, il faudra investir massivement dans les infrastructures nécessaires pour créer et appuyer une agriculture commerciale capable de soutenir la concurrence internationale. De vastes régions demeurent sous-équipées et la plupart des ménages ont difficilement accès à des moyens de transport. Même lorsqu’il existe des routes, les coûts de transport sont nettement plus élevés que dans d’autres régions en développement. Il n’est pas certain que l’amélioration de l’infrastructure routière permette à elle seule d’abaisser les coûts de transport à des niveaux comparables à ceux observés en Asie. Il importe d’accroître au plus tôt la concurrence dans le secteur des importations de véhicules et dans celui du camionnage, et de réduire les prélèvements de taxes non officielles par la police et par les agents aux frontières. Il sera essentiel d’améliorer les liaisons routières et ferroviaires au niveau infrarégional pour tirer parti des possibilités qu’offrent les marchés régionaux ; il est donc crucial de mettre en œuvre du Partenariat pour le développement de corridors en Afrique, accord conclu sous les auspices du NEPAD entre des institutions financières publiques, privées et multilatérales afin d’investir dans les infrastructures nécessaires pour créer douze axes stratégiques plurinationaux d’échanges commerciaux et de développement. Les services logistiques et énergétiques sont insuffisants dans les trois pays africains étudiés. Les coûts logistiques élevés réduisent la compétitivité des producteurs sur les marchés d’exportation, notamment pour les produits agricoles à faible valeur économique. Le manque de fiabilité de l’appro- visionnement en électricité alourdit les coûts de transformation agricole car, faute de pouvoir compter sur le réseau électrique, les entreprises doivent souvent utiliser leurs propres groupes électrogènes. L’expérience du Brésil et de la Thaïlande montre que, pour être compétitifs, les pays africains doivent investir dans les infrastructures portuaires et dans celles des postes aux Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 187 frontières et améliorer leurs services logistiques. Malgré les progrès observés dans de nombreux pays africains au niveau des équipements portuaires et ferroviaires et des concessions, il n’est pas certain que ces progrès soient suffisamment rapides et importants pour réduire sensiblement les frais d’expédition de produits agricoles ou les coûts d’acquisition de facteurs de production agricole, notamment les engrais. Certains de ces investissements pourront être effectués par le secteur privé, mais la plupart devront être publics, en particulier si les pays africains adoptent un modèle de développement fondé sur la petite agriculture. Encourager l’investissement privé. Étant donné l’ampleur et la complexité des tâches à accomplir pour développer l’agriculture dans les zones de savane guinéenne, qu’il s’agisse des investissements au niveau de l’exploitation ou de la commercialisation sur les marchés internationaux, le secteur privé doit jouer un rôle moteur dans la plupart des investissements et des activités d’importance critique. La recherche du profit est un puissant facteur de motivation et encourage une utilisation efficace des ressources, rare dans l’administration. Mais le secteur privé ne peut être productif et contribuer à des objectifs sociaux plus larges que si les politiques publiques sont conçues de manière à faire cadrer les incitations qui lui sont offertes avec l’intérêt public, si elles sont effectivement appliquées et si elles sont jugées équitables, s’il existe des procédures transparentes de règlement des différends, et si le contexte politique permet la création de richesse et de pôles d’influence indépendants de l’élite politique au pouvoir. La lourde réglementation commerciale et les coûts de transaction intérieurs demeurent un obstacle majeur à l’investissement privé dans l’agriculture dans de nombreux pays africains. Il est particulièrement important, pour promouvoir l’agriculture commerciale, de poursuivre des efforts systéma- tiques afin d’améliorer le climat des affaires et faciliter l’entrée sur le marché d’entreprises semencières et agroalimentaires privées, qui ont joué un rôle important en Amérique latine et en Asie. Il est nécessaire de renforcer les associations d’agriculteurs et de négociants pour promouvoir les réformes. Le manque d’influence de ces organisations professionnelles explique en partie la poursuite de prélèvements de taxes illégales aux barrages routiers, qui constituent une grave entrave au commerce régional, ainsi que le manque de volonté politique de promouvoir une agriculture commerciale prospère. Il est essentiel de leur faire une place et de promouvoir un secteur privé et des organisations de la société civile dynamiques, comme l’a clairement montré l’expérience de la Thaïlande. Le nombre d’organisations d’agriculteurs et de négociants qui jouent un rôle actif en Afrique a toutefois fortement augmenté au cours des dix dernières années, ce qui laisse bien augurer de l’avenir. 188 Le réveil du géant assoupi Réformer les institutions pour améliorer le fonctionnement des marchés Le succès de la commercialisation de l’agriculture repose manifestement sur le bon fonctionnement des marchés. Le plus difficile, pour assurer l’essor de l’agriculture commerciale en Afrique, sera de mettre en place des institutions qui permettront d’accroître l’efficacité des marchés et de réduire les risques commerciaux. Il faudra, pour cela, mener des efforts concertés sur plusieurs fronts. Marchés des produits de base et gestion des risques. Dans la plupart des pays africains, les marchés sont inexistants ou incomplets et les coûts de transaction sont élevés. Les risques de prix sont également très élevés et le resteront probablement pour les produits d’exportation agricole, compte tenu de l’instabilité grandissante des marchés mondiaux. L’État devra donc fournir certains services essentiels que le secteur privé n’a guère de motif d’assurer. Les mesures requises dépendent des produits, et seule l’expérience permettra de mettre au point des modèles appropriés, notamment pour la diffusion d’informations sur les marchés et pour la conception et l’utilisation de nouveaux outils de gestion des risques et des incertitudes, qui sont appelés à s’accroître au fur et à mesure du développement de la commercialisation. Le principal problème sera de déterminer à quel moment l’État devra réduire la portée de ses interventions et faire une plus grande place au secteur privé, une fois que les marchés de ces services seront devenus plus mâtures, pour éviter que son action n’évince l’initiative privée. Le fonctionnement des marchés ne peut être amélioré que si certaines conditions préalables sont remplies. Il importera, premièrement, de standardiser les catégories et les normes de qualité et d’assurer leur respect et, deuxièmement, d’améliorer la circulation des informations sur les marchés. La mise en place de bourses de marchandises utilisant des moyens modernes de communication électronique, dans le cadre d’un partenariat public-privé (sur le modèle de l’opération pilote menée en Éthiopie) facilitera dans une large mesure l’intégration des marchés nationaux. Les bourses de marchandises peuvent aussi contribuer à réduire les risques de prix, et certaines pourraient devenir de véritables marchés d’options et de contrats à terme au niveau régional et jouer le même rôle que South African Futures Exchange (SAFEX) pour les pays d’Afrique australe. Elles pourraient aussi gérer des systèmes de crédit-stockage pour limiter les ventes forcées après la récolte et encourager le stockage saisonnier. La mise à l’essai de ces innovations et leur adaptation aux besoins locaux nécessiteront toutefois un appui initial considérable. Systèmes de distribution des intrants. L’agriculture commerciale moderne est largement tributaire de l’accès à des facteurs de production, en particulier des semences de variétés améliorées, des engrais, des produits agrochimiques et des machines et outillages. Étant donné la piètre performance des organismes publics et des établissements paraétatiques chargés d’importer et Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 189 de distribuer des intrants aux agriculteurs, il faut, en priorité, mettre en place des systèmes de distribution organisés par le secteur privé. En pratique, toutefois, il s’est révélé difficile de concevoir des politiques propices à la création de tels systèmes. Les tergiversations de l’État dans ce domaine suscitent de grandes incertitudes dans le secteur privé, ce qui décourage l’investissement et confirme ainsi, paradoxalement, l’opinion des pouvoirs publics selon lesquels le secteur privé manque de dynamisme. Le subventionnement des achats d’intrants dans le cadre de démarches propices au développement du marché connaît un regain d’intérêt, mais il doit être soigneusement évalué avant d’être plus largement employé. Les démarches en question consistent à promouvoir la participation du secteur privé (par exemple, au moyen d’un système de bons d’achat) et visent les agriculteurs et les régions qui, sans cette aide, n’utiliseraient pas les intrants considérés, c’est-à-dire, le plus souvent les agriculteurs pauvres et ceux qui vivent dans des régions isolées. Les tenants de ces démarches partent en effet du principe que, lorsque les agriculteurs seront habitués à utiliser les intrants et que les volumes auront suffisamment augmenté pour permettre des économies d’échelle, il sera possible de réduire progressivement les subventions et, à terme, de les supprimer. Mais l’expansion rapide des programmes de subventions (comme au Malawi) risque de recréer les problèmes posés par les programmes antérieurs qui, pour la plupart, sont devenus une trop lourde charge pour les finances publiques et ont évincé d’autres investissements publics essentiels dans la recherche, la vulgarisation et les infrastructures (Dorward et al. 2008). Il est nécessaire, dans tous les cas, de compléter le subventionnement des achats d’intrants par d’autres mesures pour accroître le nombre de fournisseurs privés ; ces mesures pourraient couvrir, notamment, l’offre de formations et de financements aux négociants, la réglementation de la qualité des intrants, et le développement des associations professionnelles. Les réseaux de distribution d’intrants mis en place dans plusieurs pays avec le concours de la Fondation Rockefeller et, aujourd’hui, de l’AGRA, témoignent du potentiel considérable de ce type d’activités. Systèmes financiers. Le développement d’une agriculture commerciale prospère dépend fondamentalement de l’accès à des financements, mais la mise en place de systèmes financiers ruraux indépendants, fiables et accessibles à un grand nombre d’agriculteurs n’a guère progressé en Afrique. En leur absence, divers systèmes ont été employés, notamment le crédit solidaire, l’interconnexion des marchés et le subventionnement de la distribution des intrants agricoles, avec des résultats mitigés. Par exemple, le modèle de l’agriculture sous contrat, dans lequel la distribution des intrants et le recouvrement des prêts sont liés aux marchés des produits, a parfois été le moteur de la croissance des exportations, en particulier lorsque le secteur comportait un unique circuit de commercialisation, dont les activités étaient étroitement coordonnées, comme le secteur cotonnier de certains pays. Mais 190 Le réveil du géant assoupi ce modèle se heurte à des difficultés dans les pays francophones par suite de difficultés financières croissantes et de la baisse de la productivité agricole. Les autorités doivent poursuivre leurs efforts pour mieux intégrer les associations d’épargne et de crédit rurales dans le système général des banques commerciales pour accroître l’intermédiation financière et diversifier les risques. C’est là un domaine dans lequel il reste beaucoup à faire. Par ailleurs, les banques agricoles d’État fonctionnent encore mal dans de nombreux pays africains. Sera-t-il possible de reproduire les résultats positifs permis en Thaïlande par la réforme de ces banques ? Des pays d’autres régions (par exemple, le Guatemala) y sont parvenus grâce au ferme soutien des responsables et les efforts résolus des partisans de la réforme (voir Banque mondiale 2007c). Gestion des impacts sociaux Pour que l’agriculture commerciale africaine contribue effectivement à promouvoir la croissance largement partagée et la réduction de la pauvreté que visent les politiques nationales, il est indispensable que la richesse créée profite au plus grand nombre. La transformation de la petite agriculture en Thaïlande est un meilleur modèle pour l’Afrique que le processus mené au Brésil par de riches exploitants qui avaient les moyens économiques et politiques d’acquérir de vastes propriétés et de mobiliser les capitaux nécessaires pour investir dans des modes de production hautement mécanisées. Il ne sera possible de produire des résultats socialement souhaitables que si les obstacles existant dans trois domaines cruciaux peuvent être surmontés. Pour cela, il faudra déterminer : Premièrement, comment réformer les règles coutumières dans le domaine foncier pour permettre une répartition équitable des terres et assurer les droits d’occupation ; Deuxièmement, comment s’assurer que les prix des facteurs sont fonction des coûts d’opportunité et ne sont pas faussés par le subventionnement du crédit et des machines agricoles qui encourage une mécanisation trop rapide ; Troisièmement, comment s’assurer que le développement des services agricoles ne pénalise pas les petits agriculteurs. En particulier, il importera de veiller à ce que les agricultrices puissent profiter des possibilités de développement de l’agriculture commerciale. La production primaire n’est naturellement pas le seul secteur capable de produire des résultats positifs largement partagés sur le plan social. On a pu constater dans de nombreux pays (comme le Chili et la Thaïlande) que, lorsque des politiques propices sont adoptées, une agriculture commerciale dynamique peut créer de nombreux emplois en amont et en aval de la filière. Cette observation est particulièrement importante pour beaucoup de pays africains où il n’est pas certain que les petites exploitations familiales qui utilisent les technologies actuellement disponibles soient suffisamment rentables pour permettre aux ménages qui les exploitent d’échapper à la Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 191 pauvreté, surtout s’ils produisent exclusivement des denrées de base. Pour ces agriculteurs, la diversification des sources de revenu ou (dans les régions où les terres abondent) le recours à des techniques économes en main-d’œuvre et, donc, l’accroissement de la taille de l’exploitation pourrait offrir des possibilités de sortir de la pauvreté. Gestion des impacts environnementaux Il ne sera pas possible d’établir une agriculture commerciale prospère dans les écosystèmes naturels de la savane guinéenne sans convertir les forêts et les pâturages en terres de cultures permanentes, ce qui aura inévitablement un coût environnemental. Mais les stratégies actuelles de développement d’une agriculture extensive utilisant peu d’intrants engendrent des coûts particulièrement élevés pour l’environnement, tels que le déboisement et la dégradation des sols, la diminution de la diversité biologique et la libération dans l’atmosphère du carbone fixé dans le sol et les arbres. Une utilisation plus intensive des terres, l’utilisation d’engrais et autres méthodes d’amende- ment des sols peuvent contribuer à réduire ces coûts en réduisant les superficies converties. Il est vrai que les stratégies d’exploitation plus intensives peuvent aussi accroître les risques de pollution des ressources en eau et avoir des effets préjudiciables pour la santé par suite de l’utilisation de plus grandes quantités de produits agrochimiques. On a pu constater, dans de nombreuses régions du monde, qu’il est possible de réduire et de gérer les coûts environnementaux du développement de l’agriculture commerciale en utilisant des technologies appropriées et en procédant à un suivi attentif des impacts sur l’environnement appuyé par une application effective de la réglementation environnementale. L’adoption de pratiques culturales anti-érosives, notamment le système de culture sans préparation du sol, a contribué pour beaucoup à maintenir et améliorer la qualité des sols et à réduire le ruissellement des eaux dans le Cerrado brésilien, et l’emploi de méthodes comparables semble offrir d’excellentes perspectives dans les zones de savane guinéenne en Afrique. Dans les régions à faible densité de population, caractéristiques de la savane guinéenne, la plus haute priorité doit être donnée à l'affectation de superficies suffisantes à des réserves naturelles pour préserver la diversité biologique. Comme c’est le cas pour la politique foncière, il ne suffit pas d’élaborer des réglementations environnementales appropriées, encore faut-il veiller à l’application de ces règles pour obtenir de bons résultats sur le plan environnemental. L’application des règles au niveau national doit s’accompagner d’une plus grande implication des collectivités dans la gestion de leurs ressources naturelles. La rémunération des services écologiques pourrait aussi contribuer à réduire le déboisement et la dégradation des sols, surtout si ces services sont intégrés au mécanisme d’échange de droits d’émissions qui doit être mis en place d’ici à 2010 dans le droit-fil de l’accord de Kyoto sur le changement climatique. 192 Le réveil du géant assoupi Réforme et gouvernance du secteur public Il ressort clairement de la liste de réformes précédente que l’État a un important rôle à jouer pour faciliter le développement d’une agriculture commerciale dynamique et équitable. L’un des grands problèmes consiste à créer des structures de gouvernance et des capacités qui permettent à l’État de jouer ce rôle. Les ministères de l’agriculture habitués à opérer dans le contexte de systèmes de distribution et de commercialisation des intrants placés sous le contrôle de l’État devront renforcer considérablement leurs capacités et leurs compétences, notamment dans le domaine des services de commercialisation et d’appui au développement des entreprises, et être en mesure de forger les différents partenariats entre le secteur public, le secteur privé et la société civile qui caractérisent aujourd’hui les nouvelles fonctions de l’État. Toutefois, ce ne sont pas seulement les ministères de l’agriculture qui doivent se doter de ces compétences, mais aussi les administrations locales chargées des services agricoles récemment décentralisés, ainsi que divers autres ministères, tels que les ministères des sciences et technologies, de l’aménagement du territoire, de l’environnement et du commerce, qui jouent un rôle important dans l’agriculture commerciale. Sur le plan de la gouvernance, le développement de l’agriculture commerciale pose un défi évident, qui consiste à coordonner les services fournis et les investissements réalisés par de multiples ministères et autres échelons des administrations publiques, ainsi que les investissements publics et privés. Comme on l’a vu au Brésil et en Thaïlande, il importe que les responsables de l’État, au plus haut niveau, soient déterminés à donner la priorité au développement agricole de régions particulières. Étant donné l’importance du rôle de coordination, l’action menée pour promouvoir l’agriculture commerciale devrait être organisée sur une base géographique, suivant des axes prioritaires de développement, et coordonnée au niveau du cabinet du premier ministre ou du président, éventuellement par un organisme de développement régional. Observations finales Le pessimisme manifesté à l’égard de l’agriculture il y encore peu de temps dans de nombreuses régions d’Afrique repose sur les mêmes arguments que ceux évoqués au Brésil et en Thaïlande il y a 30 ans. Mais les excellents résultats obtenus dans ces deux pays donnent toutefois à penser qu’un tel pessimisme pourrait être excessif. En se fondant sur un examen approfondi des facteurs qui ont contribué à la commercialisation de l’agriculture au Brésil et en Thaïlande, ainsi que sur des analyses comparées des observations recueillies dans le cadre d'études de cas détaillées de trois pays africains, cet ouvrage fait valoir qu’il existe d’abondantes possibilités de rétablir la compétitivité internationale de l’agriculture africaine, à condition de prendre les mesures voulues. De fait, les études de cas mettent en relief les résultats appréciables déjà obtenus en Afrique dans certaines régions et Conclusions et recommandations : Opportunités à saisir et défis à relever 193 pour certains produits (comme le coton en Zambie, le manioc et le soja au Nigéria, et le maïs au Mozambique). Si l’on peut se montrer relativement optimiste quant aux perspectives futures de l’agriculture africaine, il ne faut pas oublier les défis qui restent à relever. L’étude sur la CCAA a mis en évidence un certain nombre d’obstacles qui devront être surmontés pour qu’une agriculture commerciale compétitive puisse s’établir en Afrique. Pour aussi décourageante que puisse être la liste de ces différents obstacles, les exemples du Brésil et de la Thaïlande offrent d’importants enseignements sur la manière de les surmonter. Le plus important concerne probablement le rôle de l’État. Au Brésil et en Thaïlande, les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ont joué un rôle crucial en créant un environnement porteur caractérisé par des politiques macroéconomiques favorables, des infrastructures appropriées, un solide capital humain, une administration centrale compétente et un climat de stabilité politique. Ces facteurs essentiels ont permis aux autorités brésiliennes et thaïlandaises de mettre à profit la créativité, le dynamisme et les ressources du secteur privé. Au lieu de recourir uniquement à une gestion étatique rigide et aux investissements publics massifs qui caractérisent généralement la production de denrées de substitution aux importations dans les pays en développement, les autorités brésiliennes et thaïlandaises ont réussi à collaborer de manière efficace avec les investisseurs privés, les groupes d’agriculteurs, les communautés rurales et les organisations de la société civile. Il est encourageant de constater qu’après des dizaines d’années de domination de l’État, de nombreuses initiatives sont actuellement menées sur ce modèle dans les pays africains. Ces initiatives devraient permettre de ménager la marge de manœuvre nécessaire dans la sphère politique pour assurer le succès des partenariats public-privé, des investissements privés et d’initiatives menées par la société civile. Les dirigeants africains savent que le succès de l’agriculture commerciale peut être assuré de différentes manières. Les exemples du Brésil et de la Thaïlande montrent que l’agriculture commerciale moderne n’est pas forcément synonyme de grande agriculture mécanisée et que les effets de la commercialisation sur la répartition des richesses dépendront probablement de l’échelle des systèmes de production dominants. Les responsables pourront s’inspirer de ces exemples pour orienter le processus de commercialisation de manière à ce qu’il contribue le plus efficacement possible à la réalisation des objectifs nationaux. Si le Brésil et la Thaïlande ont prouvé que la révolution agricole dans les zones de savane guinéenne peut être menée aussi bien par les petits agriculteurs que par les grandes exploitations commerciales, la pleine participation des petits agriculteurs assure généralement des résultats plus équitables et plus favorables aux populations pauvres. Le modèle de la petite agriculture a aussi probablement des retombées positives bien plus importantes sur l’emploi et le recul de la pauvreté parce que la hausse des revenus des petits agriculteurs a généralement pour effet d’accroître leur demande de produits locaux 194 Le réveil du géant assoupi non échangeables. Les petits agriculteurs peuvent être compétitifs sur les marchés nationaux et internationaux, comme le montrent clairement l’expérience de la Thaïlande, la transformation radicale du secteur du manioc sur l’ensemble du continent africain, les systèmes de culture du coton et de céréales alimentaires en Afrique, et la production de thé et de café par les petits agriculteurs. Il est cependant peu probable que les ménages agricoles qui cultivent des produits de base à faible valeur économique sur des parcelles d’à peine un ou deux hectares puissent tirer de leurs cultures des revenus suffisants pour sortir de la pauvreté, à moins de diversifier leurs sources de revenu ou d’accroître la taille de leurs exploitations grâce à des techniques économes en main-d’œuvre dans les zones où des terres sont disponibles. Il est encourageant de noter que, si le développement d’une agriculture commerciale entraînée par les petits agriculteurs s’amorce bien, le processus peut se renforcer de lui-même. Comme le montre l’expérience de la Thaïlande, les premiers bénéficiaires (exploitations commerciales, organisations d’agriculteurs et entreprises agroalimentaires) seront incités à faire pression en faveur de politiques et d’investissements propices à la poursuite du processus de commercialisation tout en générant une partie des ressources financières nécessaires. À mesure que ce processus s’étendra et s’intensifiera, des intervenants plus importants du secteur privé auront davantage de raisons d’investir dans l’infrastructure et les services d’appui nécessaires à la coordination de la filière, ce qui aura pour effet d’alléger la charge assumée par l’État tout en créant de nouveaux emplois non agricoles. Les dirigeants politiques devront, pour leur part, continuer de participer aux efforts en définissant les grandes orientations et les stratégies, en menant une action cohérente et en faisant preuve de l’engagement de longue haleine nécessaire pour concrétiser les promesses de cette transformation agricole. Note 1. La concurrence dans le secteur des produits manufacturés a un impact sur les possibilités qu’offre l’agriculture commerciale, notamment la petite agriculture, de faire reculer la pauvreté par les circuits de consommation. Comme on l’a vu en Thaïlande, à mesure que leurs revenus augmentent, les petits agriculteurs consacrent une plus grande partie de leur revenu à l’achat de biens non échangeables qui sont produits localement, ce qui contribue à la création d’emplois locaux. Compte tenu de l’essor des produits manufacturés asiatiques très bon marché qui font concurrence aux produits africains non échangeables (comme les sandales en plastique venant d’Asie qui réduisent la demande de sandales fabriquées en Afrique), il faut s’attendre à ce que les retombées de l’expansion de l’agriculture commerciale sur la réduction de la pauvreté soient moins importantes en Afrique subsaharienne qu’elles ne l’ont été en Asie dans les années 60. ANNEXE A Liste des documents de référence de l’étude sur la CCAA Les auteurs de cette étude de synthèse se sont largement inspiré d’une série de documents de référence expressément préparés en vue de l’étude sur la CCAA. Ces documents sont disponibles à l’adresse : http://go.worldbank.org/ XSRUM2ZXM0. Méthode de la filière Description of Methodology and Presentation of Templates for Value Chain Analysis John C. Keyser, Consultant Synthesis of Quantitative Results John C. Keyser, Consultant Examen des expériences en matière d’agriculture commerciale en Afrique Commercial Agriculture in Africa: Lessons from Success and Failure Colin Poulton, Geoff Tyler, Peter Hazell, Andrew Dorward, Jonathan Kydd, et Mike Stockbridge, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni 195 196 Annexe A The Fall and Rise of the Colonial Development Corporation Geoff Tyler, Consultant Cotton Case Study Colin Poulton, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni An African Success Story — The Development of a Competitive Tea Export Industry Geoff Tyler, Consultant The African Sugar Industry — A Frustrated Success Story Geoff Tyler, Consultant Critical Success Factors in the African High Value Horticulture Export Industry Geoff Tyler, Consultant Case Study on Malawi Tobacco Colin Poulton, Jonathan Kydd, Dalitso Kabame, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni Case Study on Cashews Colin Poulton, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni Case Study on Food Staples Peter Hazell, Colin Poulton, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni Case Study on Livestock Peter Hazell, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni Case Study on Oil Crops Colin Poulton, Centre for Development, Environment and Policy, School of Oriental and African Studies, University of London, Royaume-Uni, et Geoff Tyler, Consultant Environmental Impacts Michael Stockbridge, Consultant Social Impacts Michael Stockbridge, Consultant Annexe A 197 Examen général des marchés internationaux Cassava: International Market Profile Adam Prakash, FAO Cattle and Beef: International Commodity Profile Nancy Morgan et Gregoire Tallard, FAO Cotton: International Commodity Profile Shangnan Shui, FAO Maize: International Market Profile Abdolreza Abbassian, FAO Rice: International Commodity Profile Conception Calpe, FAO Soybean: International Commodity Profile Peter Thoenes, FAO Sugar: International Market Profile Jennifer Nyberg, FAO Sugar-Based Ethanol: International Market Profile Jennifer Nyberg, FAO Études de cas sur la compétitivité The Brazilian Cerrado Experience with Commercial Agriculture: A Critical Review Geraldo Sant’Ana de Camargo Barros, Lucilio Rogerio Aparecido Alves, Humberto Francisco Soplador, Mauro Osaka, Daniela Bacchi Bartholomeu, Andreia Cristina De Oliveira Adami, Simone Fioritti Silva, Guilherme Bellotti de Melo, et Matheus Henrique Scaglica P. de Almeida, Universidade de Sao Paulo Competitive Commercial Agriculture in the Northeast of Thailand Benchaphun Ekasingh, Chapika Sungkapitux, Jirawan Kitchaicharoen, et Pornsiri Suebpongsang, Chiang Mai University Mozambique Case Study John C. Keyser, Consultant Nigeria Case Study Aderibigbe S. Olomola, Nigerian Institute of Social and Economic Research (NISER) Zambia Case Study John C. Keyser, Consultant 198 Annexe A Impacts environnementaux et sociaux Mozambique, Nigeria, and Zambia: Social and Environmental Impact Assessment Pasquale De Muro, Riccardo Bocci, Sara Gorgoni, Lucia Lomhardo, Elisabetta Martone, Laura Silici, et Lucia Russo, Universitd degli Studi Roma Tre Bibliographie Abbott, P. C, et M. E. Brehdahl. 1994. “Competitiveness: Definitions, Useful Concepts, and Issues.” Publié dans Competiveness in International Food Markets, sous la direction de M. E. Brehdahl, P. C. Abbott, et M. Reed, 1–13. Boulder, CO : Westview Press. Alfieri, A., C. Arndt, et X. Cirera. 2009. “Mozambique.” Publié dans Distortions to Agricultural Incentives in Africa, sous la direction de. K. Anderson et W. A. Masters, 127–46. Washington : Banque mondiale. Alston, J. M., C. Chan-Kang, M. C. Marra, P. G. Pardey, et T. J. 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Bureau des publications se conforme aux normes recommandées pour l’utilisation de papier par l’Initiative Green Press, programme sans but lucratif visant à encourager les éditeurs à utiliser des fibres ne provenant pas de forêts menacées. Pour plus d’information, se rendre sur le site www.greenpressinitiative.org. Il faudra que la croissance agricole s’accélère en Afrique pour réduire la pauvreté. Or l’agriculture ne cesse de perdre du terrain sur le continent. Au cours des trente dernières années, de nombreuses cultures d’exportation traditionnelles africaines ont perdu leur avantage comparatif sur les marchés internationaux, et la production de nombreuses denrées alimentaires consommées en Afrique se heurte de plus en plus à la concurrence des importations. En revanche, au cours de la même période, deux régions agricoles enclavées et peu prometteuses du monde en développement — la région du Cerrado au Brésil et la région du Nord-Est de la Thaïlande — ont conquis d’importants marchés mondiaux, et infirmé les prédictions de nombreux sceptiques. Quelles sont les raisons de leur succès ? Et quels importants enseignements pour l’agriculture africaine est-il possible de tirer de l’expérience de ces deux régions ? Le réveil du géant assoupi : Perspectives de l'agriculture commerciale dans les savanes africaines récapitule les conclusions de l’étude sur la compétitivité de l’agriculture commerciale en Afrique, qui a été réalisée en collaboration par la Banque mondiale et par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. L’étude examine la situation dans la zone de savane guinéenne en Afrique, vaste région encore peu exploitée qui a de nombreux points communs avec les régions du Cerrado au Brésil et du Nord-Est en Thaïlande. En se fondant sur des études de cas détaillées réalisées sur les trois continents, cette publication aboutit à la conclusion que d’abondantes opportunités s’offrent aux agriculteurs africains d’être compétitifs sur les marchés régionaux et mondiaux. Des obstacles considérables devront toutefois être surmontés, et les progrès récemment observés dans un certain nombre de pays africains pourraient facilement être réduits à néant par des mesures mal venues. Pour que l’agriculture africaine puisse devenir compétitive, il faudra poursuivre des politiques performantes, renforcer les institutions, et aussi accroître et recadrer les investissements dans le secteur. ISBN 978-0-8213-8706-1 BANQUE MONDIALE SKU 18706