Une exposition conçue par Simon Njami MAM GALERIE ART CONTEMPORAIN 1 27 5 “Aujourd’hui” Musée National 28 Bernard Ajarb Textes 32 Gabriella Badjeck 36 Moustapha Baïdi 5 Elisabeth Huybens 183 40 Bili Bidjocka 7 Mamma Alim Ahmed 44 Aurélie Djiéna 12 Simon Njami 48 Edie & Ngnogue 20 Simon Njami 60 Jean Emati 52 Sadrak (English) Rétrospective : Une 64 Louis Epée Mbounja 84 Marilyn Manga Bell 68 Angèle Etoundi Essamba Vision Contemporaine 114 Lionel Manga 72 Samuel Fosso 152 Sadrak (Français) 76 Bienvenue Fotso 186 2006 183 Marina Galvani 80 Justine Gaga 188 2009 208 Marème Malong 90 William Kayo 190 2013 94 Koko Komégné 192 2014 98 Salifou Lindou 194 2015 102 Alioum Moussa 196 2016 106 Joël Mpah Dooh 198 2017 110 Alain Ngann 202 2018 128 Abdias Ngateu 132 Jean David Nkot 136 Boris Nzebo 140 Maurice Pefura 144 Joseph-Francis Sumégné 148 Pascale Marthine Tayou 158 Barthélémy Toguo 162 Grâce Dorothée Tong 166 Guy Woueté 170 Hervé Yamguen 174 Emile Youmbi 178 Hervé Youmbi 3 A celebration of Cameroonian contemporary artists Elisabeth Huybens Country Director, World Bank From fine arts to fashion, from urban to rural culture, from music to design and film, African artists and designers are at the forefront of global artistic and cultural innovation and expression. For more than ten years the World Bank has hosted an annual exhibition in its Cameroon Office, reaching beyond its traditional role to the vibrant community of Cameroon’s contemporary artists. This year, we bring this celebration to the National Museum. Aujourd’hui, between yesterday and tomorrow, has the artists, sensitive and generous social barometers, tapping into the traditions that surround them while examining and influencing social and technological change. Nourished by their diverse cultural heritages and by their varied professional trajectories, the artists present in Aujourd’hui bring 5 unique cultural references, history and traditions. At the same time, the artworks resonate with shared transnational themes such as the search “If your dreams do not scare you, they are not big enough for identity, poverty, rapid urbanization, unfettered materialism, migration, social tensions, and injustice in all its forms. ” Ellen Johnson Sirleaf Yet these works are not dark. Au contraire, the art in Aujourd’hui is permeated by a joyful and ironic tone, a celebration of hope. The artists Mamma Alim Ahmed are not only working in constant dialogue with their peers and the reality Banque mondiale of Cameroon but engage with the global debates through works of extraordinary force, poetry, humor, and elegance. 2006 : l’exposition internationale itinérante Africa Remix, présentant un panorama de la création artistique contemporaine EH africaine, se tient à Stockholm, après Düsseldorf, Londres, Paris et Tokyo ; elle réveille les consciences et ennoblit les artistes. Le commissaire principal de cette exposition n’est autre que le Camerounais, Simon Njami… Yaoundé – Bureau de la Banque mondiale : Lorsque Markus Repnik, Représentant Résident de l’époque, entre dans mon bureau un matin, me parle d’ Africa Remix et m’annonce que nous allons promouvoir le travail des artistes Camerounais, je suis loin de m’imaginer que, treize ans plus tard, nous célèbrerons la dixième édition de notre exposition annuelle au Musée national de Yaoundé. J’imagine encore moins que Simon Njami en sera le directeur artistique. Et que nous nous retrouverions tous ici Aujourd’hui… 6 7 « On devrait donner plus de visibilité aux artistes », me dit Markus, « certains Tout d’un coup, cela devient une évidence : il est de notre devoir exposent partout dans le monde, mais sont peu connus du public dans leur de contribuer à leur rendre la reconnaissance qu’ils méritent. propre pays ». Il m’informe alors de la visite de Marina Galvani, curatrice C’est ici, chez nous, que tout devrait commencer. Je découvre de la Banque mondiale basée au siège à Washington et responsable du alors un Cameroun que je ne soupçonnais même pas, celui qui Programme d’art de l’institution. Elle prépare Africa Now, une exposition s’exprime dans les rues grouillantes de Douala ou encore dans qu’elle présentera en 2008 à Washington. Markus lui propose alors un ce lieu magique presque intime qu’est Bonendale. Aujourd’hui, partenariat entre le programme dont elle a la charge et le Bureau du c’est toujours par Bonendale que je me plais à clore mes visites. Cameroun. Marina vient acquérir des pièces pour la collection permanente Je découvre également Doual’art, sa Princesse et le combat de l’institution et va, à cette occasion, procéder à la sélection des œuvres qu’elle mène sans relâche pour que vive l’art et qu’émergent pour notre première exposition. J’exulte! L’art me comble, au point que de nouveaux talents. Et enfin l’élégante Galerie Mam de la très Markus doit me rappeler à l’ordre lorsque les magnifiques photos réalisées raffinée Marème Malong. Marème qui, comme elle le sait, joue par Angèle Essamba que Marina prévoit d’acheter me transportent dans un rôle primordial dans l’aboutissement de cette extraordinaire un ailleurs : «nous devons d’abord encourager les artistes dont le travail aventure. n’est pas reconnu ». C’est donc tout naturellement qu’au vu de mon enthousiasme pour ce projet, Markus me propose d’accompagner Marina Treize artistes sont sélectionnés par Marina. Nous leur offrons visiter les ateliers des artistes à Douala. un espace d’exposition, un public, un catalogue et de la visibilité sur notre site web. Toutes les pièces exposées sont mises Ce voyage s’avère une véritable révélation. J’apprends beaucoup de Marina en vente et plusieurs artistes voient leur travail entrer dans la et sors enrichie de nos longues conversations du soir et des échanges collection permanente de la Banque mondiale. Le vernissage de avec les artistes. Je fais des rencontres exceptionnelles : Goddy Leye, Guy la première exposition est très couru, nos partenaires viennent Woueté, Joël Mpah Dooh, Louis Epée, Salifou Lindou, Justine Gaga, les nombreux encourager les artistes. Mais pour autant, certains sont deux Hervé (Youmbi et Yamguen), Emati, Hako Hankson… Que de belles perplexes, des collègues au bureau s’interrogent : l’art relève- âmes ! Je prends ainsi conscience de la place cruciale qu’ils occupent t-il de notre domaine de compétence ? Est-ce vraiment notre dans la société et de la profondeur de leur travail, qui n’est rien d’autre que rôle de le promouvoir ? Les critiques fusent de toutes parts et le reflet de notre quotidien. Je suis surtout fascinée par le courage de tous remontent jusqu’à Washington. Un journal local titre même après ces artistes qui ont choisi de poursuivre leur passion et qui, envers et contre le vernissage : « La Banque mondiale justifie son intrusion dans tout, se surpassent pour nous offrir matière à rêver. l’art ». Ça semble donc mal parti. Mais Markus remet ça ! Il croit 8 9 fermement à ce projet : « l’art est un vecteur de développement », clame-t- aux femmes et à des sujets chers à notre institution, tels que la il. Vient alors la deuxième exposition en 2007, sans catalogue cette fois-là. marginalisation des albinos. Nous ratissons large pour trouver de Arrivé en fin de mandat, Markus quitte le Cameroun en 2008, me laissant ce jeunes talents et les exposer auprès de leurs aînés : les nouveaux projet sur les bras, la tête pleine d’idées et de doutes quant à la suite, mais crus de Doual’art, les écoles des beaux-arts de Foumban et surtout des souvenirs inoubliables comme la visite de l’atelier du célèbre Nkongsamba. Malgré certains obstacles, comme l’accident photographe Samuel Fosso au cours d’une mission à Bangui. survenu l’année dernière sur l’axe lourd alors que mes collègues Robert et Laurence me rejoignaient à Douala pour la préparation La passion est insidieuse. Comme le feu sous la cendre, elle sommeille en de notre exposition, nous pensons apporter notre modeste nous et n’attend qu’une occasion pour se révéler et s’imposer. Ce projet contribution à l’éclosion d’un marché de l’art au Cameroun. ne doit pas mourir. Il faut absolument en démontrer la pertinence. Je dois ici saluer la forte implication et le soutien sans faille de mes directeurs Aujourd’hui nous sommes au Musée national, peut-être un jour successifs qui en sont très vite convaincus : Mary Barton-Dock, Gregor nous retrouverons-nous au Pavillon du Cameroun à la Biennale Binkert qui dès son arrivée en 2013 trouve l’idée excellente et me donne de Venise. alors carte blanche pour une exposition annuelle. Il est toujours d’ailleurs très fier de reconnaitre des œuvres d’artistes camerounais au cours de ses Je souhaite ici exprimer ma profonde reconnaissance à Markus, voyages, comme lorsqu’il m’envoie des photos du travail de Joël Mpah Mary, Gregor et Elisabeth pour leur confiance, à Marina pour Dooh exposé dans le lounge de l’aéroport d’Abidjan. Quant à Elisabeth ses précieux conseils, à tous mes formidables collègues de la Huybens, elle adhère totalement au projet. Elle n’hésite d’ailleurs pas à le Banque mondiale qui ont contribué au succès de cette initiative défendre et le porter même lorsqu’il est fortement controversé en 2016, (ils se reconnaitront) − oui, nous récoltons aujourd’hui les fruits du avec l’introduction des peintres de la diaspora et notamment celle d’un travail d’une équipe soudée −, au public qui a toujours répondu certain Barthelemy Toguo dont les œuvres soulèvent un tollé au bureau et à notre petit rendez-vous annuel et a su jouer le jeu, à tous nos alimente les débats pendant plus d’une semaine. L’art ne doit pas laisser amis artistes qui ont pu s’approprier ce projet et rendu le rêve indifférent, il doit déranger si ce n’est perturber. Certains collègues font des possible. Enfin, à Simon … Chapeau bas, monsieur Njami ! recherches sur l’artiste, tout ceci suscite des questions et titille l’intérêt des uns et des autres. Comme pour désamorcer la bombe, Elisabeth suggère Je ne peux terminer mon propos sans une pensée particulière une présentation détaillée lors d’une réunion du personnel, ce qui marque pour ceux qui nous ont quitté trop tôt, Goddy Leye et Ginette un tournant décisif pour le projet. Nous introduisons progressivement Daleu, mais aussi pour celui qui a éveillé mon regard dès le la sculpture, la photographie et le design. Nous invitons chaque année départ : Arnaud d’Hauterives, Secrétaire Perpétuel de l’Académie un artiste de la diaspora. Je peux enfin voir les belles photos d’Angèle des Beaux-Arts (France) de 1996 à 2016. Essamba orner nos murs. Une place privilégiée est réservée aux jeunes, 10 11 Les temps gabonais ou nigérians sont-ils différents et si oui, pour quelle raison ? Existe-t-il une spécificité camerounaise et, le cas échéant, quelle serait-elle ? Voici autant de questions sur lesquelles les artistes de l’exposition sont invités à réfléchir. Simon Njami Cela reviendra donc à tenter de définir ce regard dont parle Merleau-Ponty sans lequel, le temps n’est qu’une notion vide. De quoi est fait ce regard qui seul est capable de nous « Le temps demeure le même parce que le passé est un ancien définir ? Dans quelle direction se tourne-t-il ? Que voit-il ? avenir et un présent récent, le présent un passé prochain et Tous les regards contiennent-ils la même ambition et la un avenir récent, l’avenir enfin un présent et même un passé même quête ? à venir, c’est-à-dire parce que chaque dimension du temps est traitée ou visée comme autre chose qu’elle-même, c’est-à-dire, L’artiste est, quoi qu’il puisse parfois penser de lui-même, un enfin, parce que il y a au cœur du temps un regard (...) » citoyen comme les autres, et, comme les autres, il se pose des questions qui ne relèvent pas uniquement de l’esthétique. Le Cameroun est en proie à une profonde mutation. S’il lui revient un rôle dans la société, c’est celui d’éclairer le Celle-ci, comme toutes les mutations, est le résultat d’un quotidien d’une lumière particulière qui transforme les choses, processus. Elle s’inscrit dans un ensemble de mouvements et les métaphorise et en capture l’essentielle moelle. d’événements qui ont égrené la vie et l’histoire du pays. Quelle part les artistes ont-ils pris dans cette évolution ? Quelle voix Penser aujourd’hui, c’est se souvenir d’hier et rêver à demain. a été la leur et quelles sont les idées ou les principes qu’ils se Car l’aujourd’hui contient en soi, toujours, et l’hier et le demain. sont appliqués à défendre ? Et chaque fois que mes pas me ramènent au Cameroun, c’est C’est, en quelque sorte, le temps du Cameroun que cette inexorablement la même histoire qui se décline. Aujourd’hui exposition se propose d’interroger, d’appréhender. devient solidaire d’un hier qui n’est plus et qui, cependant, Se développe-t-il en des termes différents d’ailleurs ? persiste sur ma rétine, en filigrane, en transparence. Aujourd’hui est le lieu du souvenir. Le lieu des images surannées qui se 12 13 superposent sur l’inconsistance des images d’un présent qui fait figure de qui se nomme désormais Institut. Le petit appartement de Tayou. mirage. Il y a des images. Le visage de ma mère, mes larmes. Il y a des rires Mon fils mordu par un babouin dans cet improbable parc à une aussi, des scènes au village, mes sœurs, mes frères, mon père. Il y a ce lien heure à peine de la capitale. Marème, qui me fait toujours revenir. étrange et persistant dont je ne suis jamais parvenu à me défaire et qui me Marème qui refuse de se laisser submerger. Une discussion avec plonge parfois dans une colère noire. Dany, à Douala. Hier, n’est pas affaire de nostalgie. Hier est une histoire de ruines L’art contemporain camerounais existe-t-il ? S’agit-il d’une de qu’aujourd’hui tente bravement de reconstituer. C’est l’histoire d’un cycle ces inventions fumeuses créées pour rassurer le gogo ? Poser imparfait dont les révolutions ne reviennent jamais à dates régulières. Quoi la question est déjà, en quelque sorte, y répondre. L’art ne se d’étonnant à cela ! Une année ne contient-elle pas trois cent soixante théorise pas. Il vit, ou il ne vit pas. Il est dans l’instant présent, cinq jours et un quart ? Nous réajustons tous les quatre ans. Pour faire des dans l’égrenage des jours qui passent, dans les angoisses comptes ronds. Mais Dieu ne joue pas aux dés, comme disait Einstein, le silencieuses, les peurs, les défis. Il est une évidence qui se temps se fiche bien des comptes ronds. déploie hic et nunc, ici et maintenant. Le reste n’est que de la mauvaise littérature. On ne crée pour personne d’autre que soi- L’immeuble de la mort à Yaoundé, qui me fascinait et m’inspirait des même. Et le bonheur d’avoir été entendu est éphémère ; histoires qu’Edgar Allan Poe n’aurait pas reniées, a disparu. À sa place un dommage collatéral avec lequel il faut apprendre à vivre. s’élève un immense pâté doré que font briller les rayons du soleil. Peu de chose à vrai dire change, si ce n’est dans d’imperceptibles détails, comme La chose, la seule qui compte, c’est de travailler. Encore et la maison de mon frère qui, dans son immuable présence, n’est jamais la encore. Remettre sur le métier l’ouvrage. Et se méfier comme de même lorsque je reviens. Les employés de l’hôtel me saluent toujours de la la peste de la satisfaction bavarde des gens repus. L’art est le lieu même manière. Ils connaissent mon nom. À chaque retour, j’ai l’impression du possible. De tous les possibles. Encore faudra-t-il que nous de ne jamais être parti. en prenions conscience. Aujourd’hui ? Peut-être demain. Peut- être un autre jour. Van Gogh ne comptait pas les jours. Il travaillait, Les bars et les discussions débridées avec les artistes, autour de Koko. comme l’indique cette lettre à son frère Théo : « Mon cher frère Les plans sur la comète. L’état de l’art contemporain au Cameroun. Didier – c’est toujours entre temps du travail que je t’écris. Je laboure et Marylin et leur rêve d’une ville réconciliée avec elle-même, avec son comme un vrai possédé, j’ai une fureur sourde de travail plus que fleuve. Une nuit blanche pour la Revue Noire au Centre Culturel Français jamais et je crois. » 14 15 Croire. Non pas en un hypothétique deus ex machina qui viendra nous Faisons feu de tout bois. Osons ce qui n’a pas encore été osé. sortir de notre misère, mais en soi, comme le seul et ultime recours. L’art Entrons dans l’expérimentation pure. Celle dont le résultat est est un regard posé au cœur du temps. Une subjectivité universelle qui a la moins important que le processus. L’aujourd’hui n’est qu’un singularité de se décliner dans toutes les langues, sans traductions. Et c’est passage qui nous conduit d’hier vers demain ; un espace là, parfois, que se niche la difficulté, pour certains, d’exprimer ce qui, au fond transitoire. Une charnière dont la fugacité et la force reposent d’eux-mêmes, se refuse à naître. Parce qu’ils regardent ailleurs. Parce qu’ils entièrement sur son caractère éphémère. C’est l’essence de cet répondent aux mauvaises questions. Ils semblent attendre, le nez vers le ciel éphémère qui se grave ensuite dans les mémoires. Aujourd’hui que leur soit donné le fameux pain quotidien du « Notre Père ». Mamma n’a est ce dont, plus tard, nous nous souviendrons. pas regardé vers le ciel pour se lancer dans cette aventure qu’elle poursuit obstinément depuis une dizaine d’années. Je me souviens. J’étais venu pour tourner un film sur la création contemporaine au Cameroun. Nous avions rencontré les artistes, La prière ramène le rêve à une réalité indépassable, à une matérialité sans les poètes, les musiciens. Nous essayions de saisir l’essence imagination qui ne vise qu’à satisfaire les besoins basiques. Or Aujourd’hui, même de la création dans son chaudron. Là où les choses comme nous l’avons vu, ne saurait se contenter d’un quotidien nu. Nous surviennent sans que l’on n’ait rien préparé. J’avais tenu à tourner devons le transformer, chaque fois qu’il nous en est possible, en une des séquences dans le palais de l’ancien président, comme une épiphanie qui transcenderait la misère du vivre. Cesare Pavese, le poète remontée dans le temps. Le voyage de Thésée à la rencontre italien, a eu cette intuition magnifique en décrivant le « difficile métier de vivre du Minotaure. Le Palais était désaffecté depuis des années. ». Car vivre est un métier. Un travail exténuant, de tous les instants. Et pour Les toiles d’araignée, les meubles vermoulus, les plafonds dont un artiste, vivre est l’expérience d’une schizophrénie ordinaire que Gilles les lambris se désagrégeaient, et parfois, posé à même le sol Deleuze a soulignée. Créer, c’est mettre à jour l’ultime dualité. Celle de comme le vestige d’un temps aboli, nous surprenait le portrait de l’art lui-même : « L’esthétique souffre d’une dualité déchirante. Elle désigne l’ancien président, couvert de poussière. d’une part la théorie de la sensibilité comme forme de l’expérience possible ; d’autre part la théorie de l’art comme réflexion de l’expérience réelle. Pour Aujourd’hui, ce bâtiment que je continue d’appeler le Palais, par que les deux sens se rejoignent, il faut que les conditions de l’expérience en une nostalgie qui ne manque pas d’ironie, est devenu le Musée général deviennent elles-mêmes conditions de l’expérience réelle ; l’œuvre National. Et c’est dans cet espace où l’on se cogne au passé à d’art, de son côté, apparaît alors comme expérimentation. » tous les angles, que nous allons faire advenir l’Aujourd’hui. SN 16 17 L’exposition 19 sont conçus pour cela. Nous ne parlerons donc pas ici d’art, Simon Njami mais d’humanité. Cette humanité que les unes et les autres se sont efforcés, avec leurs couleurs, leurs formes, leurs bricolages Le partage sensible 1 et leurs humeurs, de transcrire le plus honnêtement possible. Certains ont eu peur. D’autres se sont sentis défiés. Ils ont tous répondu présent, de la manière la plus magistrale. « Mon cher frère – c’est toujours entre temps du travail que je t’écris. Je laboure comme un vrai possédé, j’ai une La réussite, c’est parvenir à trouver la parfaite alchimie, à former fureur sourde de travail plus que jamais » 2 une équipe, un clan dont tous les efforts tendent vers le même objectif. Si réussite il y a, ce sera d’abord celle-là. Celle d’une Lorsqu’il m’a été proposé de concevoir cette exposition, énergie et d’une ambition retrouvée. Et pour cela, nous avons, j’avoue avoir un peu hésité. Non pas que le projet ne comme l’écrit Van Gogh à son frère Théo, tous été pris d’une me plût point. C’était le Cameroun. Ce pays cher et fureur sourde de travail. J’ai visité et revisité les studios. Ri et lointain. Et ses artistes, avec lesquels j’entretiens des parlé. Beaucoup parlé. J’attendais de chacun qu’il se surprenne. rapports plus ou moins fréquents, mais réels depuis près Qu’il donne à voir ce que, jusque-là, il n’avait pas osé montrer. d’une trentaine d’années. J’ai travaillé avec beaucoup, Peut-être par pudeur. Peut-être parce que les enjeux semblaient connu certains lorsqu’ils sortaient à peine de l’école… si dérisoires. L’enjeu n’est pas dérisoire. Il est le cœur même Je ne pouvais pas, pour la première exposition de cette de notre projet. Donner à voir, à sentir, partager les émotions. envergure, sur la terre de mes parents, laisser les choses Toutes les émotions : la peur, l’angoisse, la colère, la fatigue. Il au hasard. Il fallait que cette exposition fasse totalement fallait que tout cela s’exprime afin que le spectateur, quel qu’il sens. Non pas tant pour le qu’en dirait-on dont je n’ai soit, puisse entrer dans cette histoire. Puisse faire de toutes ces que faire, que pour moi-même, pour les artistes, pour singularités rassemblées un seul et unique cri. Puisse dire, en ce pays hagard et versatile, courageux et exsangue. quittant l’exposition, « c’est pour moi que ceci a été fait. Je m’y Une exposition ne se contente pas, qu’on le comprenne reconnais ». Car cette exposition n’entend pas s’adresser à une bien, de parler d’art. L’art est une évidence. Les musées frange particulière de la population, mais à l’ensemble de la Nation. Pour dire l’urgence de penser, d’agir, de rêver, de s’exprimer. 1 Titre emprunté à Jacques Rancière 2 Vincent Van Goh, Lettres à son frère Théo 20 21 Les artistes, j’en témoigne, ont travaillé. Ils ont fouillé au plus profond d’eux- raison pour laquelle je ne citerai, dans cette brève introduction, mêmes, sortant des lieux communs et de la routine dans laquelle, parfois, aucun nom. Car il n’y a plus d’individualités, dans cette aventure, ils peuvent se laisser entrainer. Ils m’ont surpris. Ils se sont surpris. Et le mais un chœur qui bat en mesure, et qui s’élève au-delà des sourire sur leurs visages, l’ébahissement devant ce qu’ils ont été capables contingentes matérielles, vers ces sphères auprès desquelles d’accomplir constituaient en soi, une victoire. Ils ont tous consenti à réfléchir l’humain retrouve sa place véritable. Ces sphères au sein à la place de l’art et de l’artiste dans nos sociétés. Ils ont mis en action les desquelles l’homme cesse d’être un loup pour l’homme. concepts et les théories pour devenir les passeurs d’un message, d’un rêve, Ces sphères, enfin, où se construisent des formes effectives d’un espoir. Ils ont produit du sens. Car c’est l’interaction de la production de communauté, comme le rappelle Jacques Rancière : artistique avec un milieu donné qui lui donne toute sa valeur, comme « l’art  construit des formes effectives de communauté: des nous le rappelle Deleuze : « Mais ce monde du sens n’implique encore ni communautés entre objets et images, entre images et voix, entre communauté de direction ni communauté d’organe, lesquelles exigent un visages et paroles, qui tissent des rapports entre des passés et appareil récepteur capable d’opérer un étagement successif des plans de un présent, entre des espaces lointains et un lieu d’exposition. » 4 surface suivant une autre dimension. Bien plus, ce monde du sens avec ses événements-singularités présente une neutralité qui est essentielle. Non Nous avons tenté d’activer ces rapports de proximité, en seulement parce qu’il survole les dimensions selon lesquelles il s’ordonnera montrant côte à côte des artistes qui sont encore des étudiants de manière à acquérir signification, manifestation et désignation ; mais qui esquissent leurs premiers pas hésitants dans l’âpre monde parce qu’il survole les actualisations de son énergie comme énergie de l’art (qui n’est en fait que le reflet du monde tel qu’il est), des potentielle, c’est-à-dire l’effectuation de ses événements qui peut être aussi artistes confirmés, des anciens également, afin de maintenir vive bien intérieure qu’extérieure, collective et individuelle, d’après la surface la chaîne de la transmission et ceux qui l’on situe, parfois avec de contact ou la limite superficielle neutre qui transcende les distances et une once de mépris, dans ce que certains nomment à tort la assure la continuité entre ses faces. » 3 diaspora. Notre ambition fut, enfin, de répondre à cette question insondable, cette question à laquelle jamais réponse toute faite Les faces représentent chacun d’entre nous tandis que la surface de ne conviendra, celle que Ernst Bloch nomma la question absolue, contact figure le contexte dans lequel nous évoluons. Et c’est mon intime le problème en soi du Nous : « ce qui s’élève au-dessus de conviction que l’art est cet outil irremplaçable qui seul peut assurer la tous les masques et de toutes les civilisations à bout de course, continuité, c’est-à-dire, pour employer un autre mot, le lien. Et c’est la c’est l’Un, ce qu’on a toujours cherché, l’unique pressentiment, 3 4 Jacques Rancière, Le travail de l’image, in Multitudes n°28, 2008 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969 22 23 l’unique conscience, l’unique salut. Venant de notre cœur néanmoins intact, du plus profond, du plus réel de rêve éveillé, il s’avance comme ce qui, en dernière instance, seul nous reste et seul mérite de rester. Ce livre nous introduit à notre figure et à notre unité en germe ; leur chant se fait entendre déjà déchiffré sur les flancs d’un simple pichet, déchiffré comme le thème latent a priori de tout art « plastique » et le thème central de toute magie de la musique, déchiffré enfin dans la dernière rencontre possible de soi- même, dans l’obscurité élucidée de l’instant vécu tel qu’il s’ouvre d’un coup et se perçoit lui-même dans la question inconstructible, la question absolue, le problème en soi du Nous. 5 Les artistes rassemblés ici m’ont rendu, l’espace d’un inoubliable moment, la fierté d’être Camerounais. Qu’ils en soient tous ici remerciés, du plus profond de moi-même. SN 5 Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, 1977 24 25 27 Bernard Ajarb B ernard Ajarb fait de l’emploi de la couleur un travail audacieux. Nourri de la ville et de ses tumultes, l’artiste reprend de mémoire, comme une impression vive, ce dont il a été témoin et imprégné sur le chemin de son atelier. Il peint ces images imposantes, dans de larges formats qui nous immergent dans la vie citadine et ses espaces publics. Mais l’artiste peint également les sons. Douala ville vibrante, bruyante, influencée par la musique congolaise et ivoirienne, chante à l’artiste qui l’entend. Toutes ces influences étrangères, ces passages de migrants, intéresse particulièrement Ajarb qui y voit là l’identité de la métropole camerounaise. Nation, Installation Avec cette œuvre pour l’exposition « Aujourd’hui », 2019 l’artiste se tourne vers une approche plus conceptuelle, Bernard Ajarb (1988, Kumba, délaisse son langage graphique emprunté à la publicité Cameroun) vit et travaille à Douala. et conserve sa palette flamboyante de couleurs qui lui Autodidacte, il commence la est propre. peinture en 2005 et se lie d’amitié avec Hervé Yamguem qui devient son conseiller artistique en 2012. Il présente ses peintures au public pour la première fois en 2009 dans plusieurs villes camerounaises et est aujourd’hui largement reconnu à l’étranger (Armory Show à New York, Jack Bell Gallery à Londres). 28 29 Nation, Installation 2019 30 31 Gabriella Badjeck Toujours dans un perpétuel apprentissage, Gabriella Badjeck axe son travail sur sa perception de son corps, témoin privilégié de son époque et spécimen des déchirements socio-culturels de son environnement. Une constante introspection qu’elle explique en ses propres mots dans cette phrase : « je suis en expérimentation de moi-même en moi avec et à l’intérieur des autres ». Une grosse pluie ce soir sous le ciel de Douala, et comme beaucoup Dégâts des eaux d’autres soirs, il a encore fallu se battre Performance collective, avec les fuites d’eau de mon toit pour ne déambulation pas tout perdre de ma maigre fortune. 20 participants Durée : 20 minutes. Attention aux « Dégâts des eaux » me 2019 diront certains, tout comme le titre de la Gabriella Badjeck (1987, Yaoundé, performance que je propose pour cette Cameroun) s’initie à la performance en exposition autour d’« Aujourd’hui » ; mon 2016 à la faveur des RAVY (Rencontre aujourd’hui solidaire de celui de la majorité des Arts visuels de Yaoundé). Elle de mes compatriotes camerounais, qui tous participe en 2017 et 2018 aux expositions les jours, dans un « chacun pour soi, Dieu internationales New Wars It Is the Game le pousse », chacun à son niveau cravache et Woman Power, aux côtés de Carolee Schneemann et Orlan à Bandjoun Station. Récemment, elle a exposé à la RIAC 2018 à Brazzaville. 32 33 pour son propre compte afin de maintenir à l’usage cette marmite neuve mais déjà pleine de trous qu’est notre chère république. L’échec des politiques qui nous gouvernent et nous endorment avec de jolis discours creux, combiné à la lassitude du peuple qui refuse de prendre en main son droit de souveraineté, nous renvoie en plein dans ce panier percé complètement hors d’usage dans lequel nous nous complaisons. Dégâts des eaux Performance collective, déambulation 20 participants Durée : 20 minutes. 2019 34 35 Moustapha Baïdi M oustapha Baïdi porte un regard visionnaire sur le monde en peintre conscient et humaniste. Il peint les Moustapha Baïdi (1997, Maroua, Cameroun) enfants de la rue, les femmes répudiées, la société termine ses études déshumanisée qui sous son regard acquière élégance et secondaires et est transcendée de la souffrance à la beauté. Moustapha travaille dans un Baïdi s’est engagé dans l’art afin de témoigner et militer atelier de sérigraphie pour un monde plus juste et plus ouvert. Sa peinture est à où il va pouvoir son image, positive et optimiste. développer son travail. Il s’oriente vers la (Aujourd’hui) peinture. En 2013, âgé de 17 ans, il obtient Pour un moment vivre l’instant présent le 3ème prix d’arts L’humanité dans le flou plastiques du festival En moi la conscience s’éveille Yawalta Maroua. En moi la joie de l’être affluent Aujourd’hui une nouvelle espèce vient de prendre naissance «les hommes fleurs » L’humain dans la complétude absolue, l’humain dans l’amour, l’humain dans l’extase Mes humains fleurs en quête de soi et d’affirmation, debout font face (assument, s’ouvrent, accueillent les multiples réalités de la vie et proposent un univers bleuté d’espoir, fleuris d’amour). Le waka Technique mixte Aujourd’hui recrée sa réalité. 130 x 100 cm 2019 36 37 Pop woman Technique mixte 150 x 100 cm 2019 Le waka boy Technique mixte 130 x 100 cm 2019 38 39 Bili Bidjocka U NOMOK U PARADISO BAGH 3 x 150cm x 280cm 2013 - 2018 Courtesy: Bili Bidjocka - Collection Mareme Malong Bili Bidjocka co-fonde en 1985 Les Frigos, ÑEM association parisienne consacrée à soutenir la création. Parmi les nombreuses expositions auxquelles il a pris part on peut compter : les biennales de Johannesburg, WON La Havane, Dakar, Venise ; le Off de Dapper (2018), Africa Remix (2005-2007), Documenta 14 (2017). Récemment, il a été exposé à la Fondation Donwahi (Where is … Bili?, 2016) et à la Galerie MAM (P.I.E.T.À. Le Plan prend forme, 2016). 40 41 PARADISO 3 x 150cm x 280cm 2013 - 2018 Courtesy: Bili Bidjocka - Collection Mareme Malong 42 43 Aurélie Djiéna A ujourd’hui dans mon pays l’unité nationale est fragilisée : au septentrion par la guerre occasionnée par la secte islamique Boko- haram, au nord-ouest et sud-ouest par la guerre fratricide et sur l’ensemble du territoire par le tribalisme et l’insécurité grandissante. Présenté comme havre de paix, le Cameroun perd de plus en plus ses lettres de noblesse. Ce projet est axé sur les questions d’unité face aux fléaux et a pour objectif principal de Unité, mettre en lumière la situation dans laquelle se Acrylique sur toile, trouve actuellement le Cameroun. A travers 200 x 300 cm, une représentation ludique faisant écho au 2019 jeu de cartes, de dame et/ou aux jetons Aurelie Djiéna (1993, ouest-Cameroun) étudie à d’abbia à miser, ce projet nous interroge sur l’institut des Beaux-Arts de l’université de Douala l’action à mener pour parvenir à l’unification à Nkongsamba. Elle s’intéresse aux techniques des diversités culturelles, indispensable à de tissage pour aborder la complexité de l’être l’expression de la paix. Ces travaux nous humain. Djiéna multiplie les références à l’art invitent à jouer tous ensemble afin de cinétique, rendant hommage à Vasarely et remporter la partie contre les maux sociaux Yaacov Agam tout en reprenant les motifs qui minent le triangle national aujourd’hui. et la technique de la vannerie locale pour créer ses variations hypnotiques. Elle a participé à plusieurs stages encadrés par les artistes Jean Jacques Kanté, Kristine Tsala et Hervé Youmbi. 44 45 Havre de paix, Quatriptyque A/T + tissage, 200 x 180 cm, 2019 Inquiétude, A/T + tissage, 230 x 200 cm, EGARES (Triptyque), 2019 Acrylique sur toile et tissage, 2019 46 47 Chantal Edie & Zacharie Ngnogue M y mother has been in Douala for 6 months now and it’s driving her crazy. In February after complaining for days and days; even to the point of trekking to Bangem if we don’t provide her with her transportation fare. My mom has played all the tricks so that we let her go back to her home. There are some mornings I have met her up, all dressed up with a wrapper tied around her waist. This particular morning the time was 5:50, she was sat on the chair, hands on her knees and head bowed down. She gently raised her head and said: I can’t anymore! Mom are you not glad to be with your grandchildren? Everyone was Missing Home, there including my sister’s children. That was always my 2019 last card to make her feel guilty but today, it didn’t seem to work. This was a week before the 11 February youth day Zacharie Ngnogue (1981, Bandjoun, national celebrations in 2018. It took Zach some time to Cameroun) découvre la photographie adapt to the internally displaced persons we had at home, à Douala. En 2013, il crée le studio XL four in total including one nonrelative who was physically où il travaille avec Chantal Edie (1981, violated before finding refuge here. A whole routine was Banguem, Cameroun). Ensemble, ils affected, financially, socially and psychologically not only ont participé au chapitre AtWork for us but for them as well. We have learned to tolerate Douala pour la fondation Moleskine each other for the past 2 years and today we have all (2017, Galerie MAM) et aux expositions adapted to the new routine, except for mom who still collectives « Vivre ! Photographie de la résilience » (Fondation Dapper, 2019) et wants to go home. « Rémanence » (Festival Yaphoto, 2019). 48 49 Television, 2019 Invasion, 2019 Avant l’invasion, 2019 50 51 My friend says that it makes her happy and it makes the Sadrak children very happy. I hear it on the phone. Her voice makes me feel good. I did not sleep enough. I’m hot and I do not remember my dreams... Since she introduced these children to dance, she lives amazing things. Some shy children who could not even say their names can Not easy the day after party. now make happy phrases just after 30 minutes of dance. Here is a big royal sun in Yaoun-day today. A fly caressed my forehead while my friend spoke to me about the virtues of these rhythms for souls in pain. Sitting in the shade of a Nkolmesseng mango tree I look at the horizon. A bird with blue wings touched my field of vision and disappeared at the second leaving me wanda by his lightning It is 01:04 pm. dance. I drank a good kossam just now. It refreshed my mind just I thought it’s a sign. The melodious blue of its wings reminds before a friend called me on the phone. me of the beauty of the day. She gives dance lessons. My eyes are in space. Even today she started her day dancing with children aged 4, Yaoundé shines with a thousand lights. The sun pours its fine 5, 6 years old. Wake the muscles, move your head, celebrate gold on the amazed city. The hills remain wise in their clothes your feet, move your back, tickle your shoulder, turn your of green silence. The caresses of the wind are rare but back, enjoy the neck, amuse the heart, move your bones, delicate. It is a good time to flirt with the luck of the present... enjoy your body, charge it with life, inflate it with joy. 52 53 The dancer woman who was talking to me a while ago on the phone school of beers, iced and not iced, lower schools, high schools, may see the blue bird dreaming tonight or tomorrow, who knows? art schools, magister schools, higher schools, truancy schools, Beauty animates the world. interior engineering schools of tragic and fantastic arts... Sadrak It is a species in the process of appearance... In short, all schools may have a problem today in Cameroon... Tomorrow bafia dance, bikutsi, assiko dance or any dance will I remember Simplice who told me that at the time, when he was perhaps save the bodies of other children tense by loneliness, last in his elementary class, he took his grade card from his abandonment and chaos. teacher and danced like the first in the class. He was dancing because he knew everyone had succeeded. He said “we had Today in the schools of Cameroon, children are forbidden to do all succeeded because we were all alive in the playground”. the work together. We must succeed alone by hiding the few things Everything was possible for all of us... we know. Make money by hiding and building a big house with a big fence crowned with ruffled barbed wire. Here is an image of I can still hear my friend dancer talking to me on the phone with success today in Cameroon. the assurance of a fairy. We never dance together in the morning in schools. These schools She tells me sometimes the children are agitated (e) s. Too from where all the good students whose houses look like prisons agitated. She tells me that she can sing lullabies to them when come out. they are too disturbed. Lullabies in a mysterious language of Ivory coast. As soon as she does, the children stop The country today is no longer Paris, it is selfishness at all costs. gesticulating in every way. They calm down and listen carefully. Tribalism kills. Many blacks remain stubborn, pray to Jesus and The mind is resting. It makes them feel good. I hear that on the refuse to believe that a big one can be small. Wash the feet of the phone and I say “Owé. Maa wôk waa à monn minga“... brothers? “Who’s who?” Here Yaoundé-nkolmesseng where I am, the streets are very To see the number of graduates who were sent up the river for rough. Large garbage cans adorn them religiously here and having confused the public with the private realms, it is easy to there. understand that the last schools, primary schools, imperial schools, 54 55 I need lullabies to soften my ill-bred child mind in mess, dirt, and There is no question of burying me with a sculpture or a painting fast money culture. ... Well, after all, why not? What is it? What is art? Sadrak Will have pretty lullabies. And perhaps a large-scale recognition Art today in Cameroon. Where is it? What does it mean to be testified at a prime time to those who make profession of picking an artist in a country where money is more loved than art and up garbage... people??? What does it mean to be a doctor, a farmer, an official, a taximan? What does it mean to be a poet, a cook, Is there more heroic than that? a banker? What does it mean to be a politician, plastic artist, sportsman, politician, pastor, feyman, benskineur or bayam 2:43 p.m. sellam... It is raining now. Who would’ve believed that? The sun was Art is who? What is art today? Who expires what? Who inspires indomitable just now. The rain must be a magician woman... who? Carrefour lycée bilingue Essos, I jump in a taxi while thinking I have The taxi driver drops me off at Ecole de police crossroad. interest in entering the dance today. Dancing the rain, singing the bird and its dream of trees all comfort. I’m hungry. I would eat a yellow sauce taro or a good eru. I got too much kilichi and 50-50 skewers yesterday at briqueterie. Imagine medicinal plants decorating the post place in Bonanjo, Douala... It always rains. The taxi drives to ”Ecole de police”. We go through Omnisports, I give 300 Fcfa to the taximan (still good good cfa franc) and I Elig Edzoa, NlongKak ... run to the house. I am in a good mood. Hamdoulilah! At the same time as the landscapes of the city, thoughts pass I arrive at home and start arranging my things thinking of all that through me. What is art? When I leave the world I will not hold I have experienced today. much in my hands. 56 57 The rain stops while I’m packing things. Tired, I fall asleep for a moment. Finally. Hosanna! Sadrak Around 7 p.m I am awakened by the rain. A very strong rain this time. The electrical power is shut down. All Tsinga is in the dark. It’s raining badly. And I wonder if the light will come back today. All the kwatt is wondering you know. The darkness of our days is as distressing as darkness of this heavy rainy night. But OK... Light is a strange species in the process of appearing too. It is a player and a good dancer. I know it will come back on the whole extent of the heart territory. We will still applaud and shout for joy on its return. It likes it. To not be here. And suddenly be there. The light. I know it’ll come back very soon. Maybe tomorrow morning or tonight. Who knows? Kel Laam / Cocoa Laam 58 59 Jean Emati J Jean Emati (1955, Ekodkang, Cameroun) ean Emati peuple ses toiles de vit et travaille à Douala. représentations allégoriques. « Le chien Il est l’un des artistes aboie, la caravane passe et le faible plasticiens camerounais trépasse ». Le personnage à la tête les plus actifs de sa de buffle représente les détenteurs de génération. Auteur d’une pouvoir. Il tire de toutes ses forces une collection d’œuvres corde, un rapport de force qui persiste importante, il explore la entre le peuple et les dirigeants en place. matière, le bois, la tôle, et Le mouton, d’habitude suiveur, ici résiste bien d’autres matériaux tant bien que mal à la brutalité qu’on lui rejetés par la société qui impose. Le chien, féroce, représente les réapparaissent dans ses voix étrangères qui pourraient avoir la compositions. Sa dernière puissance d’attaquer, mais qui limitent exposition collective leur pouvoir à de simples dénonciations, s’est tenue à la galerie aux aboiements. La jambe enfin, ni noire Bonaprisco Center of Art ni blanche, pousse l’homme-mouton, tel en 2018. le destin, vers ses responsabilités, mais ne l’aide pas. La main ne pouvant pas toucher ce qui est sale, on utilise le pied. L’artiste veut faire prendre conscience Le chien aboie, des actes absents du peuple face aux la caravane passe et le faible trépasse, maux qu’il subit. Pour lui, nous n’avons 2 x 2 m, que les dirigeants que nous méritons. 2019 60 61 Du fou, du poète et du médecin, nous avons tous un brin, 180 x 180 cm 2019 Autant en emporte le vent, 180 x 180 cm 2019 62 63 Louis Epée Mbounja L ouis Épée est bercé par les marées et les chants des pagayeurs Sawa de son enfance. Louis Épée Mbounja (1964, Douala, Après ses études, il retourne vers l’onde bleue Cameroun) étudie qu’il dépeint inlassablement, comme pour les arts plastiques en comprendre les mystères. Le Ngondo, qui et l’histoire de l’art à chaque année trouble et anime les berges, et le l’Université de Yaoundé fleuve Wouri à Douala, lui procurent l’ouverture à la fin des années pour une archéologie où se mêlent les souvenirs 90, qu’il enseigne de son enfance et les mythes de l’eau. Sur ses aujourd’hui. Il reste toiles, il surdimensionne les ambiances de la trois ans à l’atelier Kenfack et a largement mer privilégiant les sensations et les visions contribué à la création intérieures au réalisme purement descriptif. Il du collectif d’artistes s’agit pour lui de concevoir au gré de la matière PRIM’ART en 1993. Il et de la couleur, des sortes de paysages et expose régulièrement espaces de conciliabules que d’emblée il ne sur la scène nationale comprend pas toujours. Ce sont des moments et internationale et ses privilégiés pour interroger nos exigences œuvres sont vendues à vitales, nos héritages les plus ancestraux, notre des enchères telles que modernité et la postérité. Le mouvement de Sotheby’s à Londres. la mer suppose forcément l’aller et le retour, le donner et le recevoir. Et ses œuvres sont chargées d’abstractions et de réalités qui, en faisant appel à nos propres sensations, à nos souvenirs primordiaux ou immédiats, incitent L’arbre à palabres à communier avec elles. Ainsi, le dialogue Technique mixte 360 x 200 cm s’amorce avec l’artiste. 2019 64 65 Arbre Technique mixte 180 x 180 cm 2019 Lambo la tiki Technique mixte 130 x 130 cm 2019 L’arbre à palabres 2 Vice versa Technique mixte Technique mixte 200 x 180 cm 130 x 130 cm 2019 2019 66 67 Angèle Etoundi Essamba L es femmes constituent le sujet principal de l’expression artistique d’Angèle Etoundi Essamba. Artiste engagée, elle invite à une réflexion sur l’identité de la femme africaine. À travers les images esthétiques de la femme qu’elle propose elle donne à voir une nouvelle interprétation de l’Afrique contemporaine. Dans son travail, elle défie et rompt avec les représentations stéréotypées de la femme, Renaissance, mais choisit plutôt de donner à ses sujets Photographie, une aura, une grandeur. La femme est 2019 tour à tour mère, pourvoyeuse, croyante, endurante, mystérieuse, fragile. Les mots Angèle Etoundi Essamba (1962, Douala, clés du travail d’Essamba sont : fierté, force Cameroun) étudie à la Photo Academy et conscience. Près de 30 ans de voyages d’Amsterdam. Depuis sa première à photographier les femmes de part le exposition en 1985, elle a continué monde lui ont permis de nous parler de la d’exposer largement dans les musées, femme noire, de tous les pays, de toutes les institutions, foires d’art et galeries conditions. La photographie d’Essamba est d’Afrique, d’Europe, des Etats-Unis, d’Asie, faite de métaphores et nous laisse par des etc. Parmi ses expositions majeures : les compositions épurées libre de lire. biennales de Dakar (2008), La Havane et Venise (1994), le Festival des 3 Continents à Nantes (1996). Son oeuvre fait partie de plusieurs collections privées et publiques. 68 69 Renaissance, Photographie, 2019 Renaissance, Photographie, 2019 70 71 Samuel Fosso L a série African Spirits rend hommage aux figures de proue du mouvement noir en Afrique et aux États-Unis. Samuel Fosso (1962, Kumba, Cameroun) Le discours de l’artiste, qui était plutôt personnel dans est largement reconnu pour son travail les années 70, se tourne vers une position engagée et photographique. C’est aborde la question de la négritude. l’un des photographes africains les plus en Les personnages qu’il personnifie sont de nombreuses vue, célèbre pour ses figures iconiques qui ont influencé la scène intellectuelle autoportraits où il se et politique africaine : les grands leaders des travestit. Ses œuvres Indépendances Africaines et du mouvement des Droits font partie de plusieurs Civiques aux États-Unis. collections majeures comme à la Tate “ Comme dans toutes mes œuvres, je suis à la fois le Modern à Londres, personnage et le metteur en scène.(...) Je porte la vie au Centre Georges des autres, ce n’est pas du déguisement, c’est l’histoire Pompidou et au musée du malheur et de la souffrance. J’ai voulu commémorer du Quai Branly à Paris. ceux qui ont lutté pour les droits des Noirs, ceux qui ont eu le courage d’affronter l’avenir. Je l’ai fait pour que leur image ne soit pas oubliée, et qu’ils entrent dans l’histoire visuelle de l’Afrique à travers ma propre image.” Samuel Fosso. L’artiste à travers ses travestissements se désincarne pour laisser place à la conscience collective. A la manière d’un comédien, il vit plusieurs existences et s’efface progressivement pour ne faire qu’Un avec African Spirit l’image de l’Histoire, sa réécriture, sa voix. Autoportrait 72 73 African Spirit Autoportraits African Spirit Autoportraits 74 75 Bienvenue Fotso A ussi longtemps que je me souvienne, la médecine traditionnelle a toujours fait partie de mon environnement, puisqu’ issue d’une famille de gardiens de la tradition où certaines pratiques culturelles ont toujours cours. Les écorces et feuilles médicinales proviennet très souvent du fond de nos forêts tropicales primaires. L’Homme a besoin des forêts puisque 80% des populations des pays en développement dépendent des médicaments traditionnels dont 50% sont extraits de ces forêts et un quart des médicaments pharmaceutiques proviennent de ces plantes forestières. Healing the World Ce travail évoque le destin entre l’Homme Acrylique sur toile 100 x 80 cm, et les forêts. Car les forêts, comme le cœur 2019 de l’Homme jouent également un rôle purificateur, régénérateur. C’est la raison pour laquelle mes personnages ont la Bienvenue Fotso (1989, Bandjoun, Cameroun) forme d’une feuille. se rend à Douala en 2008 pour poursuivre ses études universitaires. Elle intègre en 2011 l’association Futur’Art où elle suit une formation en arts plastiques. Elle expose depuis 2015. 76 77 Bain thérapeutique Acrylique sur toile 146 x 114 cm 2019 La Croisée des chemins, Acrylique sur toile, 100 x 81 cm, 2019 78 79 Justine Gaga Justine Gaga (1974, Douala, Cameroun) vit et S on travail porte sur la notion de solitude avec les thèmes de l’exil, de l’immigration et de travaille à Douala. Après ses études secondaires, elle fréquente les ateliers l’isolement, en particulier psychologique. Elle de sérigraphie, de s’exprime à travers la peinture, l’installation, la photographie et d’arts vidéo, la photographie et la performance. Les graphiques et fait la évocations hybrides de Justine Gaga sont les rencontre des artistes signes de nouvelles identités, souvent transitoires, Viking et Goddy Leye qui peuplent les villes. Son personnage récurrent à Artbakery. Elle est à la recherche d’issues traduit son besoin de lauréate de la bourse comprendre la nature humaine. de Culturesfrance, de la bourse Unesco Aschberg, L’oeuvre présentée pour cette exposition, et du deuxième prix de la biennale de Dakar Indignation, est une installation de 100 peintures en 2014. qui évoque ensemble une carence du système social et politique en place. Cette carence est 2019 traduite sur les toiles par des images et des mots qui minent notre société et le monde en général : « racisme », « libéralisme », « fondamentalisme », « sexisme », « népotisme », « élection », « corruption ». Indignation 100 pièces 40 x 30 cm 2019 80 81 Indignation 100 pièces 40 x 30 cm 2019 82 83 Princesse Marilyn Emotions chaotiques, désordonnées, bouleversantes, chatoyantes … Douala Manga Bell Où seule la créativité va, au jour le jour, permettre de développer Aujourd’hui des stratégies de survie, d’agencer, d’ordonnancer, vaille que vaille, dans une recherche quotidienne et effrénée d’une réponse aux situations immédiates, qui ne peut être que précaire. Tous mes aujourd’hui(s) se ressemblent. Et s’ébauche ici l’origine de mon engagement pour l’art. Une quête infinie de trouver le sens … de donner du sens J’ouvre les yeux après une nuit onirique où les anges et les démons se sont parlé. J’entame la journée en AUJOURD’HUI JUIN 1991, NAÎT L’UTOPIE DOUAL’ART. fixant clairement la charge de travail et la dispense d’énergie de ce nouvel aujourd’hui. La rue vient de vivre le chaos des Villes Mortes de 1990, espoir d’une Conférence Nationale Souveraine. Le peuple saigne, les Et bien entendu, rien, absolument rien ne se déroule jeunes revendiquent en toute naïveté le droit à être entendu, plus comme prévu. précisément à participer aux décisions, dans un fantasme de démocratie… une démocratie à l’occidentale, celle du parlement, Comme pour tous les camerounais, chaque celle de mandats électifs, celle où l’on doit rendre compte … aujourd’hui baigne dans la confusion ambiante, dans un amalgame d’évènements et de non- Et s’impose alors la question fondamentale « la rue est-elle évènements parasites, de rencontres plus ou moins condamnée à n’être qu’un lieu d’affrontement ? ». fortuites et heureuses, d’obstacles où s’entremêlent complications, tensions et colères plus ou moins Et s’impose alors la nécessité de donner une fonction à théâtralisées, éclats de rires salvateurs, instants la rue. précieux de pur bonheur. 84 85 La fonction de (re-)présentation d’un imaginaire collectif, celle d’être Et très vite, chaque aujourd’hui nous rapproche de ceux des l’hôte de l’expression de la poétique d’un peuple en errance, en attente artistes qui prennent et assument le risque d’être créateurs d’un bonheur mythifié, en revendication de droit au consumérisme contemporains, qui partagent la quête, quelquefois malgré eux, modélisé depuis la période coloniale allemande qui nous a projeté d’un possible/potentiel changement de paradigme ; de ceux dans le monde globalisé, un aujourd’hui d’hier qui nous condamne qui refusent de se conformer au moule; de ceux qui recherchent définitivement à l’uniformisation de nos modes de vie – costume/cravate, leur singularité et expérimentent, en refusant la soumission, la bars/bière/champagne/whisky, voiture, maison à toitures en tôles et fatalité de s’oublier, l’amnésie de leur humanité etc… qu’imposent chambres étroites, salons en simili-cuir, jolies femmes filiformes… Avec les aînés aux cadets ; de ceux qui veulent sortir de l’entonnoir, l’espoir de devenir « évolués », d’avancer vers la ‘‘modernité’’, vers le du carcan et de l’asphyxie et, en apnée d’une identité qui leur ‘‘progrès’’ par lequel nous ne serons plus de simples et irrémédiables soit propre, se battent ici et maintenant, dans cet aujourd’hui témoins du confort et du bien-être des autres sous d’autres cieux. permanent... Nait alors le rêve AUJOURD’HUI DE MAINTENANT DIFFÈRE-T-IL DE L’ AUJOURD’HUI D’HIER ? Seul l’artiste est capable d’aider à sublimer ce quotidien terre-à-terre. Seul l’artiste est apte à faire prendre du recul, par l’enchantement. D’aucuns pensent que les lignes ont bougé aujourd’hui. Seul l’artiste peut élever la conscience de soi et des autres ! Certes nos villes et leurs espaces urbains se transforment. Elles montrent, dit-on, les signes d’un pouvoir d’achat en hausse : Mais très vite, chaque aujourd’hui aux cotés des artistes nous conduit mobilité améliorée par de nouvelles routes et leurs échangeurs; à la conclusion amère lucide qu’ils ne sont pas des êtres d’exception, accroissement des embouteillages, donc augmentation du qu’ils sont fruits et facteurs, comme tout un chacun, de ce que nous nombre de véhicules ; hypermarchés frappés aux enseignes sommes aujourd’hui. Ils ne sont pas extérieurs au contexte. Ils sont, eux de l’ailleurs fréquentés par de jeunes cadres de retour au pays; aussi, dans la survie, dans la construction d’une économie familiale, nouveaux immeubles de verre, carrelage et aluminium. dans le besoin d’une reconnaissance sociale. 86 87 S’il est vrai que l’esthétique urbaine de Douala sort peu à peu de son sur la beauté et la laideur, sur le quotidien quelquefois magnifié horizontalité, elle est aujourd’hui défigurée par une fébrile poussée de par un geste artistique. Des entretiens de proximité avec les verticalités, malheureusement dénuées d’une architecture singulière. La faiseurs de ville et la compréhension de l’art comme médiation ville devient également un grand centre commercial, avec ses panneaux dans les aménagements sans exclusions, des moments qui publicitaires qui remplissent à la fois la fonction rôle d’éclairage public et s’impriment dans l’être, et surtout chez les jeunes générations. de mobilier urbain. Les trottoirs deviennent de denses places de marché L’art révèle discrètement la part et la place de l’humain dans les où la débrouillardise s’exprime à l’envie. transformations de l’environnement. L’acte artistique commence aujourd’hui à être sollicité comme une partie intégrante du Si la parole publique semble plus libre, force est de constater que développement social urbain et humain. l’espoir d’hier s’est échoué sur les berges d’une impuissance au changement et de la vacuité du langage, en raison de doutes et Et, la ville s’étoffe de dynamiques et de lieux culturels tant d’autocensure, liée aux urnes muselées, aux douleurs, peurs et violences permanents qu’éphémères. accentuées. Et, certains artistes, plus nombreux qu’hier, opèrent aujourd’hui comme médiateurs. Changement de quoi au fait ? Malgré leur encore persistante réticence timide à énoncer une parole publique Malgré tout aujourd’hui voit un changement. Mais d’autres osent dire, se dire, nous dire. La transition d’aujourd’hui est réelle, clairement perceptible. Une histoire sans discontinuité, qui traverse tous mes aujourd’hui. L’enjeu reste de travailler à la construction de demain, en posant Une maturité qui prend du temps, qui prend son temps. aujourd’hui, par l’art, entre autre, les bonnes questions. Celui d’hier et d’aujourd’hui pour demain. Grâce à l’art qui inscrit délicatement des discours dans l’espace public, aujourd’hui, des plateformes de débats et d’échanges sur soi et sur Princesse Marilyn Douala Manga Bell le rapport à l’autre ont été ouvertes. Des discussions se produisent, Avril 2019 88 89 William Kayo L’ œuvre de William Kayo est pleine de fougue et d’enthousiasme, vivante et mobile par sa William Kayo façon d’organiser les espaces avec des lignes (1968, Garoua, épurées et une construction rigoureuse. Kayo Cameroun) effectue compose à sa manière les images d’un monde un apprentissage contemporain aux frontières inconnues. C’est la pictural solitaire, avant résonance d’une projection dans le temps. Une d’intégrer l’IFA (Institut esquisse de pensée positive dans un univers de Formation Artistique fait de violences et de résignation. Ici le spirituel de Mbalmayo). Ses entoure de ses bras des silhouettes frêles qui œuvres font partie de semblent résignées. Dans un monde où tout va collections privées et très vite, « Aujourd’hui » devient relatif et demain publiques : Présidence incertain. Quelles valeurs transmettons-nous de la république du à nos enfants ? Quelles sont les fondements Cameroun, Musée même de notre société actuelle ? Autant de National du Cameroun, questionnements sur le devenir de l’humain et Communauté Urbaine une projection dans le temps, dans le futur. de Garoua, Chine, France, Japon, Norvège, États-Unis, Canada, Italie. The Mask, 80 x 60cm, Acrylique sur toile, 2019 90 91 Silhouettes, 80 x 60 cm, Acrylique sur toile, 2019 About peace, 80 x 60 cm, Technique mixte, 2019 92 93 Koko Komégné K oko Komégné cherche ce qui n’est pas forcément ressemblant, ce qui n’est pas tellement beau, mais qui invite à la méditation. Les récits de ses peintures mêlent esthétique rituelle et spirituelle avec vie nocturne : les masques, la danse, côtoient la prostitution, la Au seuil de l’exil pauvreté, les buveurs. Le langage qu’il crée est Technique mixte alors influencé par les traditions des différentes 118 x 100 cm 2019 cultures d’Afrique et la contemporanéité propre aux villes vibrantes du continent comme Douala. Musicien et chanteur, Koko Komégné arpente la ville nocturne et nous invite par sa peinture à pénétrer le monde de la nuit où sont mis en scène avec humour les excès des noctambules. Koko Komégné (1950, Batoufam, Cameroun) est un peintre et sculpteur autodidacte appelé par ses pairs le « doyen » des plasticiens camerounais. Artiste militant, Koko Komégné tend à faire connaître les arts visuels de manière populaire via la radio et la télévision. Il a par ailleurs été à l’initiative de plusieurs aventures collectives : le Cercle Maduta (1979), le CAPLIT (1983) et le Kheops Club (1994). Il présente également de jeunes artistes lors de Squatt’art, hors des galeries, dans des maisons abandonnées de la ville. Ses travaux sont répartis dans plusieurs collections privées à travers le monde. 94 95 Indépendance cha-cha Technique mixte 114 x 77 cm 2019 Installation, 2019 Live Together Technique mixte 150 x 85 cm 2019 96 97 Salifou Lindou Le mouvement incessant des populations fuyant leurs terres pour chercher refuge vers une « Jérusalem » improbable. De l’Extrême nord, au sud-ouest en passant par l’Est du Cameroun, c’est la totale débandade. Et comme si cela ne suffisait pas à l’anarchie déjà galopante de notre pays, vient s’ajouter cette menace de guerre civile qui gronde dans les baffles de ma radio lorsque que je l’allume tous les matins en buvant mon café, dans mon petit atelier de Bonamoussadi, sous la chaleur accablante de Douala. « Le monde me tombe sur la tête » le diptyque que je Le monde me tombe sur propose pour cette exposition sur le thème « Aujourd’hui la tête (Diptyque), » soulève en moi la peur du déracinement, la crainte et le Acrylique sur toile, désespoir de voir mes enfants obligés de quitter un jour, 210 x 200 cm, (peut-être pas si lointain), le berceau de nos ancêtres ; 2019 pour fuir la misère, l’insécurité de cette société complètement à la dérive. Cette démocratie que nous avons échouée à mettre sur les rails, aux lendemains de cette indépendance qui a couté tant de vies à notre cher et beau pays. Quel avenir, quel monde je laisse à ma fille Salifou Lindou (1965, Foumban, Cameroun) vit et travaille à presque adolescente mais pas vraiment consciente du Douala. Les années 90 vont constituer un tournant dans son drame qui se joue aux portes de son insouciance. parcours avec en 1998 sa participation à la biennale de Dakar, puis à nouveau en 2002 (exposé par la Galerie MAM au Musée d’Art Africain de l’IFAN)l. Un peu plus tard, il participera aux Joburg Art Fair (2008-2010) mais aussi à la foire 1:54 avec la galerie MAM à nouveau (2015). 98 99 Le monde me tombe sur la tête (Diptyque), Acrylique sur toile, 210 x 200 cm, 2019 100 101 Alioum Moussa A travers la peinture, le dessin, le graphisme, le design d’objets et d’accessoires, Alioum Moussa nous parle du collectif. Le fil qu’il tisse, leitmotiv de son travail, relie, rassemble, réunie et coud les déchirures d’une fracture sociale. Pour admettre cet élan vers le nous, l’artiste souhaite initier le spectateur à un voyage intérieur et l’inciter à s’observer, à se remettre en question sur les évidences qui fabriquent son quotidien, l’acceptation de l’ère de la communication qui Fil rouge, n’en est pas une, l’ouverture du monde qui 70 x 100 cm, néanmoins reste clos et divisé. Pour au contraire 2017 réhabiliter la notion de partage, se réapproprier un quotidien qui a du sens, reprendre la parole et savoir la répartir, Moussa nous propose de tenir Alioum Moussa (1977, Maroua, Cameroun) est lauréat avec lui ce fil pour éviter le point de non retour. du prix de design « Illy art collection » (2018). Il Avec le textile, Alioum Moussa rejoint tout un pan participe aux résidences Villa Adellatif (Alger, 2017), d’artistes qui a traité des relations sociales et de Fondation Pistoletto (Biella, 2010), IAAB (Bâle, 2006). la thématique de marchandise et de propriété (le En 2017, il est invité à la biennale PERFORMATIK en neuf versus le vêtement usagé, une division que binôme avec l’artiste belge Maarten Vanden Eynde. l’on associe au Nord et au Sud). En tant que costumier, Moussa a conçu les costumes et accessoires de « En attendant Godot » (Samuel Beckett), mise en scène de Martin Ambara (2015) et « Cantate de Guerre » (Lary Trembley) mise en scène de Harvey Massamba (2014). 102 103 Tireur de ficelle, 150 x 120 cm, 2019 104 105 Joël Mpah Dooh Joël Mpah Dooh (1956, J oël Mpah Dooh est fasciné par la capacité de l’être humain à s’adapter à différents Cameroun) vit et travaille à Douala. Diplômé du Conservatoire Municipal des Beaux-arts de la milieux. C’est d’ailleurs en s’adaptant à ville d’Amiens, membre différents médiums que l’artiste retranscrit fondateur du Kheops le dialogue bouillonnant qu’il a entamé Club en 1994, il a participé avec lui-même : de la sculpture, à la à diverses expositions gravure, à la peinture, travaillant sur collectives et individuelles tôle, plexiglas ou acrylique et sur des et a collaboré avec la supports peu conventionnels, l’artiste Galerie MAM à Art X s’aventure toujours vers de nouvelles Lagos et Dubaï Art Fair ; expérimentations. Il explore la fragilité Ganaa Gallery à Séoul ; de la condition humaine dans un Gallery Momo Capetown environnement en perpétuel changement. à Armory Show USA ; Il ironise sur le rôle qu’exercent les Fondation Dapper au pouvoirs (politiques et financiers) sur les Sénégal. populations déjà fragilisées. Joël Mpah Dooh soutient la création camerounaise et est à l’initiative d’un projet de résidence d’artistes dans le village de Bonendale. Improbable rencontre, 200 x 200 cm, Acrylique et pastel gras fixés sur tôle gravée, 2016 106 107 In him we trust, 120 x 150 cm, Technique mixte, acrylique gravé et fils de coton, 2019 Dikalo, 120 x 120 cm, Technique mixte Graphite sur papier de soie maroufle sur contreplaqué, fil de fer et tissus, 2018 108 109 Alain Ngann (1975, Douala, Cameroun) est Alain Ngann connu pour sa photographie de mode et ses portraits. Influencé par son père ingénieur, Alain Ngann est sensible à la structure, la finition et la précision ; Architecte de formation, il est photographe une rigueur qu’il continue d’appliquer dans son autodidacte et travail. travaille notamment dans la publicité. Il déroge cependant Le Cameroun avec ses bruits de marchés, la à la règle du singularité de sa population, la poussière de la marketing et ville et la sérénité des villages inspirent l’artiste. se sert des Engagé pour l’avenir de son pays, il a à cœur de « campagnes » faire connaître la photographie et ses techniques pour aborder et à promouvoir la scène créative locale. des sujets qui lui tiennent Ngann envisage son travail artistique comme des à cœur. « campagnes » pour éveiller la conscience du pays, comme avec « It’s Just A Color » en 2016, dont le but était de sensibiliser la société à la condition de la population albinos au Cameroun. Avec WE ARE WE, Ngann dépeint les différences au sein du Cameroun et la valeur fondamentale du « Vivre Ensemble ». Depuis de nombreuses années, le monde a fait de la notion de « différence » un sujet de controverse, The Guardian, 125 x 90 cm, d’antagonisme et de haine. Alain Ngann 2019 veut montrer la beauté de la différence, de la singularité et surtout la beauté d’exister en symbiose, les uns avec les autres. 110 111 Providencia, 125 x 90 cm, 2019 Avant garde, 125 x 90 cm, 2019 112 113 Il est fort à parier, en revanche, que ces célébrités soient parfaitement inconnues, non seulement du tout-venant Lionel Manga de leurs compatriotes, mais même de l‘élite locale qui se veut et s’affiche pourtant cultivée, celle férue des Nous avons un si beau pays quotidiens et magazines de la presse française, arrimée à Jeune Afrique, à Newsweek, etc, branchée sur la BBC, RFI, et qui se gave de CNN, France 2, Canal, ou TF1, Le chauvinisme à bon compte peut se gargariser aujourd’hui d’une présence vert-rouge-jaune ces étroites lucarnes ouvertes sur le monde en proie aux affres du ressac systémique de la globalisation économique. sur la scène globale de la création artistique contemporaine, grâce à des artistes dont la qualité Si ces plasticiens sont toujours moins motifs de fierté du travail y est reconnue par la communauté de pour les uns et les autres que tel footballeur professionnel leurs pairs, qui y sont adoubés, alors même que adulé, si leur univers ésotérique de signes ne suscite pas ce domaine au Cameroun, et par extension la sur 360° autant de conversations et d’intérêt, encore, que culture, reste encore et de très loin, le parent les transferts du Mercato, il se pourrait bien cependant pauvre des politiques publiques poursuivies depuis que la situation évolue et que le vent tourne… l’Indépendance en 1960. Aux aficionados, point n’est certes plus besoin de présenter un certain Pascal Installées elles au Cameroun, la bonne fortune des Marthine Tayou, quelque vingt sept ans après sa jeunes pousses marchant sur les traces de ces première exposition déroutante au Centre Culturel devanciers illustres ne passera en effet pas longtemps Français de Yaoundé, son statut d’icône consacrée inaperçue dans et de leur entourage. Ne voilà-t-il sur la planète des monstrations étant acquis pas que le prometteur et paisible Bernard Ajarb vient désormais. Idem pour le Barthélémy Toguo, le Samuel d’exposer à l’Armory Show, à New-York, où toutes ses Fosso, Bili Bidjocka et j’en passe... toiles éclatantes de couleurs ont été acquises par des collectionneurs séduits ? Représenté comme lui en Whiteland par cette galerie Jack Bell à Londres basée, Boris Nzebo a récemment pendu in grand style la 114 115 crémaillère de son Studio Bobo conçu par le designer Jules requis et les conditions de la construction du soft power Wokam et à ce raout se pressait  le Tout Douala du white cube : vert-rouge-jaune et rendre hommage également dans la le freluquet féru des panneaux de coiffeurs qui déambulait hier foulée à cette brochette de preux intrépides qui tiennent par les venelles détrempées et fangeuses de ‘’Village’’ respire la flamme de l’art palpitante dans une société disloquée, aujourd’hui l’aisance. Ses grands tableaux striés trouvent « là- engluée dans un matérialisme affligeant, outrancier, et en bas » preneur à des prix en euros tels que sa vie a changé du délicatesse avec sa mémoire du passé récent, pour dire jour au lendemain. Pareille transformation suscite inévitablement le moins. Société « sans qualités » comme l’homme de « ici », à l’entour, des gorges chaudes au minimum envieuses Robert Musil et imbibée de populisme ? et de la perplexité. « Donc la peinture là, çà paye comme ça ? » s’étonnent désormais les railleurs et les sceptiques. La déprivation esthétique Avant ces « âmes bien nées » et imbues d’esthétique pop, Doyen de la scène contemporaine du cru, Koko Komegne aucun de leurs opiniâtres prédécesseurs du cru n’avait connu & Co sont les descendants par leur activité de plasticiens un tel succès en Occident et plusieurs d’entre eux pataugent des créateurs d’antan que la « mission civilisatrice » encore dans la stressante difficulté pécuniaire d’une aube à réduisit au silence et disqualifia en démantelant les cadres l’autre. Mais plutôt que de s’apitoyer vainement sur le destin des ataviques de l’expérience collective pour implanter pionniers qui ne récoltent pas souvent le fruit de leur bravoure sur cette tabula rasa les signes de sa domination sans à frayer une voie là où il n’y en avait pas avant, il vaudrait partage et les éléments d’une autre sur tous les paliers mieux creuser sous cette asymétrie et en esquisser une brève de l’existence. L’isolement relatif de la tribu des faiseurs archéologie de circonstance, tant qu’à leur tresser des lauriers et faiseuses de signes laisserait à croire que pas tout à mérités et en faisant la révérence devant le risque existentiel fait, sinon même pas du tout, tant l’inaccomplissement pris pour exercer cette passion, quand autour d’eux, jeunes de la promesse d’émancipation des peuples est criarde, alors sur fond d’Indépendance cha-cha, l’heure était surtout tant la déconvenue bat son plein aujourd’hui en Afrique pour les ex-indigènes à embrasser des métiers garants de la subsaharienne et le 237, au voisinage nord de la latitude sécurité matérielle et introduits par la colonisation : comptable, zéro, ne fait guère exception à ce tableau que les success électricien, plombier, planton, menuisier, chauffeur, infirmier, stories peinent à éclairer, malgré la bonne volonté des mécanicien, policier, militaire, etc. On ne saurait faire moins optimistes focalisés sur les « potentialités heureuses » dans ce cadre pour saluer et célébrer dix ans de soutien à l’art que recèlent cet état du réel sous nos cieux. contemporain par la Banque Mondiale, que d’examiner les pré- 116 117 Que l’homo sapiens sapiens ne soit pas seulement un tube exclusif de l’individu à la transcendance nommée Dieu. Le digestif, qu’il ne se nourrisse pas que de hamburgers, de ragoût champ mental laissé vacant avec ce détournement radical de porc-épic et de spaghettis, les millions d’objets rituels et des investissements symboliques a été investi par une de tous les jours ravis sur le continent africain et captifs des fascination addictive pour les « faitiches » occidentaux et réserves dans les musées de Whiteland depuis quelques siècles, signes repérables de distinction dans la lice mondaine dont les propriétés formelles auront fasciné les avant-gardes des apparences. Genre je porte au poignet une toquante artistiques européennes, le démontrent à l’envi : dadaïstes et coûtant les yeux de la tête pour impressionner mon cubistes auront à coup sûr du noir tiré toute la lumière, faisant prochain et moi-même d’ailleurs, donc je suis, mais ne suite à l’exhortation en 1917 de Tristan Tzara, le meneur suisse me demandez pas de débourser 500 000 francs cfa cash des premiers et un Pierre Soulages n’en est pas sorti, ce poète pour acheter un tableau de Salifou Lindou. sans concessions du monochrome version anthracite. Pendant ce temps, plus loin que vingt mille lieues du théâtre de ces Précieuses compétences appropriations culturelles revigorant des époques poussives par injection de contenus nouveaux dans l’imaginaire, les titulaires Au fil de l’odyssée altricielle dans l’écoumène terrestre, légaux de cette beauté intemporelle étaient précipités dans un des problèmes rencontrés et des solutions trouvées, vaste processus d’auto-dévalorisation et d’autodépréciation certaines compétences sont apparues précieuses du mené cloche battante par les missionnaires chrétiens qui fait de leur caractère exceptionnel et leurs dépositaires traquaient le péché avec une assiduité inquisitoriale, appuyés ont toujours été traités avec les égards ad hoc, à dans ce grand-œuvre par de zélés catéchistes indigènes acquis l’instar du forgeron en Afrique de l’Ouest. Adossée à à la cause du Crucifix. la trajectoire du cogito et plongeant dans les mythes grecs, l’aura grandissante de l’artiste a eu pour pendant L’Enfer ou le Paradis, il fallait choisir pour son âme le séjour la sécularisation progressive de la société européenne, après la mort, en se gardant de l’acedia ou négligence de sa vie dont le concept de « mort de Dieu » est la traduction spirituelle. Là où l’être-au-monde animiste reliait par l’initiation philosophique intempestive : en corrélation avec les Altriciels aux vivants non-humains, les insérant ainsi dans l’avènement du mythe du Progrès, la Raison prenait un univers étendu comprenant le végétal, l’animal et même le alors le dessus sur la Foi. Les églises se sont alors minéral, la foi monothéiste rétrécit de facto cette inscription inexorablement vidées au bénéfice des musées et immersive en installant ses ouailles dans ce rapport vertical et moyennant l’invention de la célébrité au 18ème siècle, 118 119 l’adoration liturgique a fait place, pour ainsi dire, à la célébration des investissements symboliques, rien moins que Dieu mondaine et séculière des créateurs dans le sillage de l’écrivain. en somme, l’embrigadement massif naguère des esprits du cru par les religions du Livre, parfois rude, étant allé D’une certaine manière, un culte polythéiste civil en remplaçait de pair avec la disqualification irrémédiable des registres un monothéiste et ça dure comme ça depuis lors de Monet à esthétiques ancestraux et leur abjuration sur les fonds Duchamp et Bansky en passant par Picasso, Basquiat, Hopper, baptismaux par les nouvelles ouailles de la Croix, à Hischorn, Kapoor et tous les autres poids lourds avérés du l’instigation des « bons pères ». Tout ce qui y touchait de domaine de l’Art, toutes époques confondues. Si donc le fameux près ou de loin étant assimilé à des œuvres du Diable et déicide aura ouvert la voie à l’adulation de nos « semblables »  donc faisait obstacle au chemin vers le Paradis. en chair et en os aux latitudes des sociétés intensément médiatiques, la domination de Dieu en zone d’incommodités, Troubler la routine sous ces cieux subtropicaux vite orageux, vibrant à temps plein de ferveur religieuse, assure qu’une défection métaphysique Ce n’est pas une mince prouesse que de s’obstiner, de cette magnitude est tout bonnement impensable au pays de contre les fauteurs zélés d’impossibilités, malgré les Mgr Albert Ndongmo. Papa God ? L’Assureur tous risques, sine morsures acides des quolibets et du doute qui guette, à qua non ? Le congédier, Lui, le Recours ultime ? Pure folie et aller et venir tous les jours au voisinage nord de la latitude blasphème scandaleux ! zéro en tant qu’artiste convaincu dans ce contexte perclus de foi et subjugué par le matérialisme, où le Il coule de source dès lors que les motifs d’exister des lucre fait la loi sans retenue sur tous les paliers du/au plasticiens/plasticiennes camerounais(e)s ne sauraient ressortir quotidien, la course à l’accumulation pécuniaire battant à priori de la même visée, ni de la même matrice intellectuelle son plein au détriment de plus en plus flagrant, scabreux, que leurs homologues de l’Occident, dressés depuis fort d’un projet tant collectif que partagé, intergénérationnel longtemps déjà « là-bas » contre le dogmatisme étouffant et aussi bien que transethnique. Tenir avec cette constance sclérosant des systèmes religieux, tandis que de ce côté du inébranlable le site ardent de la flamme qui ne devra monde vaseux de la post-Indépendance, « ici », la prolifération jamais plus s’éteindre, remonte de fait aux temps phénoménale des églises évangéliques révèle l’ampleur des immémoriaux de la domestication et de la conservation détresses individuelles en quête de réconfort moral et spirituel. du précieux feu et il y allait du sacerdoce, à l’instar plus Les artistes affrontent ainsi une rude concurrence dans le champ 120 121 tard dans l’odyssée des vierges vestales à Rome. René Char N’est-il donc pas temps que la société vert-rouge-jaune disait de la lucidité qui devrait, ajouterai-je, accompagner dans battant pavillon de Déconvenue et rendue aujourd’hui son geste improbable, unilatéral, tout créateur et toute créatrice, dans une visqueuse impasse éthique, imprégnée sur tous qu’elle est la brûlure la plus rapprochée du soleil. N’élisent les paliers par la culture de la prédation opportuniste et domicile en ce foyer incandescent que les âmes bien trempées, innervée par ses ramifications, assiégée par la laideur réfractaires. jusque dans ces replis, se regarde sans détours ni fard à la lumière de ses idiomes les plus courants ? N’est-il Imposante, elle trône au centre de la giration de Deido et ses pas urgentissime que l’art se fasse opérateur de réflexion effervescences composites qui mêlent corps et carrosseries, à cette échelle collective ? Ce programme passe par souriant désormais dans ce nouvel écrin urbain au nouveau pont la mise en œuvre d’une sémantique ad hoc, abolissant sur le Wouri, la Nouvelle Liberté de Joseph Francis Sumégné d’emblée les clivages linguistiques et dissolvant en fait désormais partie du décor. L’œuvre si contestée lors de son douce des résistances bornées. Fournisseurs attitrés de érection au crépuscule du siècle dernier, à l’initiative du centre griseries en haute fréquence à une aristocratie locale/ d’art contemporain douala’art, est devenue au fil des années globale du pouvoir d’achat et du goût partagé dans un un symbole incontournable de Douala et elle en a vu des chaos commode entre soi, est probablement le destin recherché automobiles déclenchés par un pépin sur le premier pont datant et enviable, mais il n’a vraiment rien d’extraordinaire. de 1955, thème naguère de représentations naïves et fort Je suis enclin à voir les artistes bien davantage comme prisées. Autant les riverains se sont accoutumés à cette sculpture des inverseurs d’entropie, ces insignes preux du mythe monumentale faite de déchets hétéroclites patiemment agrégés bassa de la Restauration, la légion qui sous l’égide pour produire cette forme, même si sous les passions refroidies de Koba, être primordial et figure du Temps, va à la désormais couve toujours certaine hostilité de principe, autant rescousse de son frère jumeau Kwan embourbé dans troubler la routine soporifique avec un geste artistique est aussi l’inaccomplissement piteux de sa création pour avoir en indispensable à la bonne santé d’une société que le symptôme amont brûlé quelques étapes, nonobstant les strictes d’une maladie au corps humain. L’œuvre fonctionnant alors consignes sur ce sujet hautement sensible de leur père comme un révélateur circonstanciel des tensions sourdes qui Hilolombi, l’Embrasé Irradiant. Leçon de synchronicité et travaillent sous la surface lisse des apparences tout « collectif éloge de la désobéissance créatrice s’entrelacent dans à succès », elle suscite des conversations on ne peut plus un saisissant récit d’édification qui tient tout entier dans éclairantes sur l’état des lieux, au point que les non-dits en cette formule de haut vol : le monde est une chute de viennent à sortir du bois. 122 123 chimpanzé, il se perturbe et il se restaure. Des veilleuses et des nous savons désormais ce qu’il en est de cette route veilleurs sont nécessaires à sa marche. périlleuse. Est-ce tant qu’ils/qu’elles n’en peuvent plus de la longue attrition, ou c’est la fascination pour Whiteland Translations qui les arrache au sol natal ? Ce n’est pas parce que ces déserteurs en tout genre sont un petit nombre en Si le pays de Castor Ossende Afana & Co demeure pour comparaison des myriades immobiles que leurs vies ne les observateurs même attentifs une énigme doublée d’un comptent guère et les nations sont comptables de ces paradoxe, à telle enseigne que d’aucun disent sans rire qu’il fins tragiques dans le Sahara ou la Méditerranée. ne faut pas aller chercher ailleurs la recette du gâchis, et une adepte des Témoins de Jéhovah que c‘est le repaire du Diable Le prestige des nations après qu’il ait bouclé sa journée dans le monde, le Cameroun reste un projet contrarié par les visées impériales crépusculaires La réinitialisation du projet Cameroun est le seul ordre de l’homme du 18 juin 1940 qu’ulcéra la retentissante claque de du jour pressant et pertinent aujourd’hui pour construire Dien Bien Phu administrée en 1956 par Giap à l’armée française. un soft power digne du pays d’Ernest et Marthe Ouandié D’où ce serrage de vis dont les conséquences tant humaines et de William Madiba, pionnier de la peinture naïve qu’économiques, politiques et culturelles se poursuivent à tous et tout court au voisinage nord de la latitude zéro. La les niveaux de la réalité quotidienne vert-rouge-jaune aujourd’hui notoriété ne s’accommode pas de faux-semblants et de encore, à toutes les échelles, tant et si bien que très peu de mystifications. Un zèbre ne peut pas passer pour un âne périmètres échappent aux inductions de cette initialisation rude, et s’il réussissait d’aventure à braire plutôt que hennir, ses si ce n’est aucun. Un filet aussi invisible que le fameux plafond rayures somptueuses le trahiraient. L’aura des nations ne de verre enserre les corps et bride l’impétuosité féconde à tombe pas du ciel étoilé et elle se nourrit s’une mémoire travers l’Histoire des énergies juvéniles ruant dans les brancards assumée, apaisée. Les saisons prochaines à partir de l’anachronisme et de la désuétude. L’inaccomplissement d’aujourd’hui au Cameroun s’inscriront inexorablement de la promesse que portait l’Indépendance exulte pourtant dans les affres d’une planète tiède dorénavant sous de toute sa splendeur sombre qui jette dans une translation Anthropocène, où l’intelligentsia occidentale batifole désespérée vers un espoir ténu plus proche du mirage qu’autre avec le fantasme excitant de l’effondrement à longueur chose, des garçons et des filles. N’en pouvant plus d’endurer de livres et de colloques sur la collapsologie. Fiché au l’impéritie ambiante « ici », ils se tournent vers « là-bas », dans creux du golfe de Guinée, le pays de Leonora Miano leur caboche clignote en rouge vif un seul mot, PARTIR, et aurait bien une maîtresse carte à jouer dans cette 124 125 donne nouvelle pour laquelle n’existe pas de bréviaire, mais la Favoriser l’éclosion d’une escouade artistique capable frilosité conservatrice exerce un fort effet de freinage sur l’essor de contribuer au rayonnement du Cameroun sur la d’initiatives audacieuses, désireuses de rompre avec les vieilles scène mondiale, revient à mettre en place toutes lunes poussives. affaires cessantes une stratégie de détection des talents en puissance et à investir dans une infrastructure de La création artistique, la poésie en général, est aux peuples formation où interviendraient moins des enseignants de tout temps ce que les fleurs sont à un jardin, leur must et la classiques que des « accoucheurs ». Une charte africaine raison principale de l’entretenir. Ayiti se targue de Jean Michel et sophistiquée du réel stipule expressément que nous Basquiat. La Côte d’ivoire est fière de son Frédéric Bruly Bouabré sommes au monde pour nous exprimer sur un registre disparu en 2014, et le Ghana de El Anatsui qui défraie la cote. Les allant du plus probable qu’est toute langue cousue de créateurs font le prestige des nations et une société sans égards clichés, au plus improbable qu’elle réfère dans son pour les poètes en son sein glisse inéluctablement sur une pente modèle, en l’occurrence la conversation, à ce que va me raide vers un gouffre où il n’y a que de la perdition au bout. Le dire mon interlocuteur et que j’ignore avant qu’il ne l’ait Cameroun en 2019, à l’heure du calcul quantique et du Big Data, proféré. La théorie physique de l’information n’énonce entre Kiro’o Games, le premier studio de jeux vidéo d’Afrique pas autre chose quant à la charge de sens d’une centrale de William Madiba et le Cardiopad d’Arthur Zang, ne proposition. mérite-t-il pas mieux pour sa jeunesse pétulante et inventive que cette perspective ténébreuse caressée et entretenue par les tenants hallucinés du chaos total plutôt que passer la main, de sorte qu’enfin advienne un temps radicalement différent du morose présent ? Michel Serres dit ceci au sujet de la bifurcation de civilisation en cours et que les adeptes du statu quo devraient méditer : « Ainsi, la route devant nous ne ressemble à aucune de celles que l’Histoire a suivies, de sorte qu’elle ne peut guère nous servir d’appui [...] ». Bienvenue dans l’hominescence. 126 127 Abdias Ngateu A u cœur de l’esthétique et de la démarche de Ngateu il y a d’abord une ville, Douala. Bouillonnante, chargée par la pollution sonore et visuelle, prise entre des constructions anarchiques et un désordre urbain, bruyante, embouteillée, surpeuplée. La ville que parcourt Abdias Ngateu est faite de « rues malades ». Il la Collège du bonheur, 130 x 110 cm, représente dans ses toiles et ses performances Acrylique sur toile, telle qu’il l’habite et telle que la ville l’habite. 2019 Son travail sur la polis (grec) engage une réflexion sur la déshumanisation de nos sociétés contemporaines, et plus particulièrement des mégalopoles africaines qui sont sujettes à de multiples changements économiques, politiques et sociaux à une vitesse dense. La ville écrase Abdias Ngateu (1990, Douala, Cameroun) l’individu et le collectif noie la ville. Sa démarche étudie la sociologie à la faculté des lettres revient à comprendre à nouveau le citoyen au et sciences humaines de Douala (2014). sens de civitas en latin : une ville habitée par son Il entretient un vif intérêt pour les arts visuels dès l’âge de ses 14 ans. À partir peuple où l’idée de citoyen se confond avec celle de 2011, il participe à de nombreuses de ville. expositions nationales et internationales (Dak’art off, 2018, Sénégal ; triennale S.U.D, 2017, Cameroun ; Segou’Art, 2016, Mali). 128 129 Matin bonheur, 100 x 90 cm, Acrylique sur toile, 2019 130 131 Jean David Nkot C onfinement questionne l’état actuel du Cameroun et le regard de la société sur la notion de mutation. Dans Jean David Nkot (1985, Douala, Cameroun) vit et travaille à Douala. cette série, l’artiste portraiture les préoccupés, les En 2010, il s’initie à la absorbés, les pensifs, les songeurs, les idéalistes, peinture à l’Institut de les rêveurs. Formation Artistique de Mbalmayo (IFA) puis Jean David Nkot sort les corps de l’ombre et de leurs intègre l’Institut des paroles blessées pour faire de l’acte même de peindre Beaux-Arts de Foumban. l’expression de la chair souffrante et le moyen de En 2017, il travaille sur redonner une voix, une visibilité. Les personnages de la notion de frontière à l’Ecole Nationale Nkot sont les invisibles d’une société : d’où ils partent, d’Arts de Paris-Cergy. En ils représentent « l’aventure », les histoires que les 2018, trois expositions frères raconteront au « kwatt » ; où ils arrivent, ils sont personnelles lui anonymes, apatrides, et n’ont pas le droit au partage de sont consacrées : la parole. Ils sont en survie. En tension. Cartographies mentales (Jack Bell Gallery, Nkot à travers ses cartographies denses, ses lignes Londres) ; Jeux de serrées, reprend cette idée de nervosité qui préoccupe Clowns (Galerie Carole les migrants, et nous offre toujours deux temps de Kvasnevski, Paris) ; lecture : le personnage au centre qui est portraituré et Jeux de maux (Cité qui raconte son histoire, et la cartographie qui le traverse internationale des arts, pour signifier la masse de migrants dans le même cas. Paris). Confinement invite le public à dialoguer sur l’état d’aliénation qui effrite la conviction d’un développement Confinement, Sculpture, et pousse la population vers un désir d’exploration de 250 x 200 cm, nouveaux espaces. 2019 132 133 Confinement Installation 134 135 Boris Nzebo N zebo a commencé comme peintre pour les enseignes de coiffure jusqu’à explorer le lien Boris Nzebo (1979, entre coiffure et espace urbain. Il y voit les Port-Gentil, Gabon) signes du rang social, de l’expression d’une vit et travaille à pensée et d’une appartenance culturelle. “Je Douala. Il se forme au vise à reproduire le questionnement qui est le contact d’artistes tels mien face à une société en quête de repères que Alex Mawimbe et en pleine mutation. Comment comprendre (Ato Malinda), Koko que notre environnement n’est pas aussi bien Komégné, Hervé soigné que nos têtes ? Quand nos cheveux Yamguen, Goddy Leye, sont malades nous les soignons, mais nous Tracy Rose. Il connaît ne faisons rien pour combattre la corruption, un franc succès et les détournements de deniers publics, les est représenté lors de massacres des populations civiles”. Boris plusieurs foires : Art Nzebo offre une réflexion sur sa ville : Douala, Dubaï, Art Miami, 1:54 mégalopole marquée par de nombreuses Londres, Art Paris Art architectures dégradées et une urbanisation Fair, Art X Lagos, AKAA cohérente freinée depuis longtemps. Ses Paris par la Galerie grands formats déploient l’immensité de la ville MAM et par la Jack Bell Gallery. et sa palette aux couleurs vives rappelle les façades d’immeubles à l’architecture informelle avec les maisons « en carabotte », les voiries sinueuses, et les scènes de vie quotidienne La Pression, du « kwatt » (bars, cafés, marchés, coiffeuses 200 x 200 cm, ambulantes, vendeurs à la sauvette, restaurants 2019 tourne-dos, etc...). 136 137 La Pression, 200 x 200 cm, 2019 138 139 Maurice Pefura Le Trône est d’un bleu Roi. Le sol terre sombre. Un tracé géométrique parfaitement ordonné se ponctue en son centre par une série de plans de Miroirs terre et miroirs d’inégales grandeurs. Trône des rois Bamoun, 2019 Les plans de miroirs organisent un espace ou la réalité physique est chahutée par la démultiplication de ses projections alentours. Que savons-nous des choses et des êtres ? Est-ce notre perception qui les font exister Maurice Pefura (1967, Paris, France) vit et travaille à Milan. ou existent-ils en dehors de notre perception Architecte de formation, il a néanmoins centré son travail forcément imparfaite ? autour de la peinture et de l’installation. Ses recherches portent sur la relation entre le corps et l’espace, la frontière entre Le dispositif met aux prises la réalité des choses et intérieur et extérieur, le physique, avec un accent particulier les perceptions qu’on en garde. sur les banlieues urbaines. Son travail a été exposé dans de nombreuses expositions personnelles et collectives, incluant : Ici c’est de la stabilité et non du réel dont il est African Metropolis, Rome, Italie (2018); I is another, La Galeria question en définitive. Nazionale Roma, Italie (2018) ; Afrique Capitales, La Villette, Paris, France (2017); la biennale de Dakar (2016, 2018); La Divine Comédie, Smithsonian Museum, Washington D.C, USA (2015). 140 141 Dessin, Miroirs terre et Criterium sur calque, Trône des rois Bamoun, 20 x 30 cm, 2019 2019 142 143 Joseph-Francis Sumégné (1951, Bamendjou, Cameroun), vit et Joseph-Francis travaille à Yaoundé. Enfant, il dessine Les notables, Sculpture de Jala’a, Sumégné 2/3m de hauteur inlassablement l’environnement de son village natal. Il s’initie alors à différents types de L es oeuvres de Sumégné sont marquées par les influences de la sculpture traditionnelle de sa région natale. Il fusionne pratiques artistiques et artisanales (sculpture, arts plastiques et arts appliqués pour inventer avec des bijouterie, vannerie, matériaux de récupération sa philosophie du JALA’A tissage) qui seront (le « sur-soi » en langue bamendjou). caractéristiques de son oeuvre. Il Avec son œuvre « Les neufs notables », Sumégné nous a exposé lors de parle de la pierre angulaire des sociétés traditionnelles. manifestations Ces notables sont les garants du contre-pouvoir au chef. majeures tel Art Fair Ils représentent en effet un organe qui tempère les pouvoirs London (2014), la du chef traditionnel dans les villages Bamiléké de l’Ouest triennale d’Arhnem Cameroun. Celui ci est constitué par les descendants des (2008), la biennale compagnons du fondateur du village, qui restent, générations de Dakar (2004) et la triennale après générations, titulaires de cette charge. L’harmonie d’Osaka (1998). des sociétés coutumières dépend de ce conseil de sages. Ces sculptures forment une sorte de balise dans le temps. Le modernisme tendant à faire disparaitre certaines valeurs de la société, l’artiste a souhaité matérialiser ce repère de l’histoire traditionnelle. Dans l’approche universelle, ils changent de casquette pour être vus comme les hommes à palabres et qu’on appellerait de nos jours, les juges. 144 145 Les notables, Sculpture de Jala’a, 2/3m de hauteur 146 147 Les bronzés Pascale Marthine L’essentiel se trouve en nous 2019 Tayou (1966, Nkongsamba, Cameroun) est Pascale Marthine autodidacte. Il délaisse le droit Tayou pour se consacrer à la création dans les années 90. Artiste prolifique, Tayou conçoit son œuvre C e projet est … mon petit « cahier de retour sur tous les médiums, allant du dessin, à la performance, à la photographie, au pays natal » , de la vidéo, à ma petite rétrograde pour l’installation, au graffiti. Sa renommée faire la reculade, internationale survient Simulations projet Pascale Marthine Tayou pour La Banque Mondiale - Yaoundé, Cameroun, 2019 Courtesy the artist and GALLERIA CONTINUA, San Gimignano / Beijing / Les Moulins / Habana une marche arrière pour sortir au début des années du « calé-calé » national, 2000 (Documenta 11, Kassel, 2002). cet embouteillage où finalement Représenté par la j’ai bâti mon home voulant Galleria Continua, ne voulant pas, il multiplie les expositions collectives volens nolens donc, et personnelles. j’affronte le front. Tayou est depuis 2013 professeur à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Shanghai colonial Faudra surtout pas dire demain que c’est la faute aux Chinois 2019 148 149 Breaking News ou l’urgence de l’urgence, Oser déconstruire, retracer la mire, reformer la courbe de l’horizon 150 151 Certains enfants crispés qui n’arrivaient même pas à dire leur nom se surprennent à aligner des phrases heureuses après 30 Sadrak minutes de bonne danse...  Une mouche m’a caressé le front pendant que mon amie me parlait des vertus de ces rythmes pour âmes en peine.  Un oiseau aux ailes bleues a effleuré mon champ de vision et a J’ai pas assez dormi. J’ai chaud et je ne me souviens pas de disparu à la seconde me laissant wanda par sa mes rêves ... danse éclair.  Pas facile les lendemains de fête.  Je me suis dit c’est un signe. Le bleu mélodieux de ses ailes me Aujourd’hui il fait un grand soleil royal à Yaoundé.  rappelle à la beauté vive du jour. Mes yeux sont dans l’espace. Assis à l’ombre d’un manguier de Nkolmesseng je Yaoundé brille de mille feux. Le soleil répand son or fin sur la ville look l’horizon.  ébahie. Les collines restent sages dans leurs habits de silence Il est 13h04.  vert. Les caresses du vent sont rares mais délicates. C’est un bon J’ai bu un bon kossam tout à l’heure. Ça m’a rafraîchi le mental temps pour draguer la chance au présent de l’invitatif...  juste avant qu’une amie m’appelle au téléphone.  La danseuse qui me parlait tout à l’heure au téléphone verra Elle donne des cours de danse.   peut-être l’oiseau bleu en rêve cette nuit ou demain, qui Aujourd’hui encore elle a commencé sa journée en dansant sait ? La beauté anime le monde.  avec des enfants de 4, 5, 6 ans. Réveiller les muscles, bouger C’est une espèce en voie d’apparition...  la tête, fêter ses pieds, remuer le dos, chatouiller l’épaule, Demain la danse bafia, le bikutsi, l’assiko ou n’importe quelle tourner les reins, amuser le cou, amuser le coeur, bouger les danse sauvera peut-être les corps d’autres enfants crispés par la os, kiffer son corps, le charger de vie, le gonfler de joie.  solitude, l’abandon et le chaos ambiants.  Mon amie dit que ça lui fait un bien fou et un bien fou aux enfants.  Aujourd’hui dans les écoles du Cameroun on interdit aux enfants Je l’entends au téléphone. Sa voix me fait du bien.  de faire le travail en commun. Il faut réussir seul Depuis qu’elle initie ces enfants à la danse elle vit des choses étonnantes.   152 153 en cachant le peu de choses qu’on sait. Gagner son argent en se J’entends encore mon amie danseuse me parler au téléphone cachant et se construire une grande maison avec une grande barrière avec l’assurance d’une fée.  couronnée de fils barbelés ébouriffés. Se cacher dedans. Voilà une Sadrak image de la réussite aujourd’hui au Cameroun.  Elle me dit des fois les enfants sont agité(e)s. Trop agité(es. Elle me qu’il lui arrive de leur chanter des berceuses quand ils sont Jamais on ne danse ensemble le matin dans les écoles d’où sortent trop perturbés. Des berceuses dans une mystérieuse langue de tous ces beaux premiers de la classe dont les maisons ressemblent à Côte-d’ivoire. Dès qu’elle le fait, les enfants arrêtent de gesticuler des prisons.  dans tous les sens. Ils se calment et écoutent attentivement.  Le pays aujourd’hui, ce n’est plus Paris, c’est l’égoïsme à tout prix. Le L’esprit se repose. Ça leur fait du bien. J’entends ça au téléphone tribalisme tue. Beaucoup de noirs restent têtus, prient Jésus et refusent et je me dis owé. Ma wôk waa à monn minga…  de croire qu’un grand peut être petit. Laver les pieds des frères ? “ Mof que qui est qui “ ?   Ici Yaoundé-nkolmesseng où je me trouve, les rues sont bien À voir le nombre de diplômés supérieurs qui se repose à l’ombre pour accidentées. De grandes poubelles les ornent religieusement avoir confondu le public et le privé, on comprend aisément que les ici et là. Faudra encore de belles berceuses pour adoucir écoles dernières, écoles premières, écoles impériales, école des mes moeurs d’enfant mal élevé dans la culture de l’agitation bières, glacées et non glacées, écoles inférieures, écoles secondaires, désordonnée, de la saleté et de l’argent vite !  écoles d’arts plastiques, écoles magistrales, écoles supérieures, écoles buissonnières, écoles intérieures d’ingénierie extérieures et d’arts Faudra de jolies berceuses. Et peut-être une reconnaissance tragiques et fantastiques ...  grande taille témoignée à une heure de grande écoute à ceux qui Bref toutes les écoles ont peut-être un problème aujourd’hui au font métier de ramasser les ordures...  Cameroun.  Vu le nombre de diplômés supérieurs qui sont en prison… Ya t-il plus héroïque que ça ?  Je me souviens de Simplice qui m’a raconté qu’à l’époque, quand il était dernier de sa classe de cours élémentaire, il prenait son bulletin 14h43. Il pleut maintenant. Qui l’eut crû? Le soleil était des mains de son enseignante et dansait comme le premier de la indomptable tout à l’heure. La pluie doit être une femme classe. Il dansait parce qu’il savait que tout le monde avait réussi. Il savante…  disait « nous avions tous réussi parce que nous étions tous en vie dans Carrefour lycée bilingue à essos, je saute dans un taxi en me la cour de récréation ». Tout était possible pour nous tous…  154 155 disant que j’ai intérêt à entrer dans la danse aujourd’hui. Danser la pluie, J’arrive à la maison et me met à arranger mes affaires en pensant chanter l’oiseau et son rêve d’arbres tout confort.  à tout ce que j’ai vécu aujourd’hui.  Imagine des plantes médicinales ornant la place de la poste à Bonanjo, La pluie s’arrête pendant que je range des affaires.  Sadrak Douala...  Fatigué, je m’endors un moment. Enfin. Hosanna!  Vers 19h je suis réveillé par la pluie qui reprend de plus belle. Elle Le taxi roule vers école de police. On passe par Omnisports, est très forte cette fois.  Elig Edzoa, NlongKak…  On coupe le courant. Tout Tsinga est dans le noir. Il pleut grave. En même temps que les paysages de la ville, des pensées me Et je me demande si la lumière va revenir aujourd’hui.  traversent. L’Art c’est quoi ? Quand je quitterai le monde je ne tiendrai Tout le kwatt se le demande tu sais.   pas grand chose dans mes mains.  L’obscurité de nos jours c’est angoissant comme l’obscurité de Il n’est pas question qu’on m’enterre avec une sculpture ou un tableau… cette nuit où il pleut à ne rien comprendre.   Bon, après tout, pourquoi pas ? Y a quoi ? L’art Mais bon...  c’est quoi ?  La lumière est une drôle d’espèce en voie d’apparition elle aussi.  L’art aujourd’hui au Cameroun. Il est où ? Que signifie être artiste dans Elle est joueuse et bonne danseuse. Je sais qu’elle va revenir sur un pays où l’argent est plus aimé que l’art et les gens ??? Que signifie toute l’étendue du coeurritoire.  être médecin,  agriculteur, fonctionnaire, taximan. Que signifie être On va encore applaudir et crier de joie à son retour. Elle aime ça. poète, cuisinier, banquier ?  Ça veut dire quoi être femme politique, Ne pas être là. Et d’un coup être là.  plasticien, sportif, homme politique, pasteur, feyman,  benskineur ou Je sais qu’elle va revenir. La lumière.  bayam sellam…  Peut-être demain matin ou cette nuit. Qui sait? L’ Art c’est qui ? L’art c’est quoi aujourd’hui là ? Qui expire quoi ? Qui inspire qui ?  Kel laam / Cocoa Laam  Le chauffeur taxi me dépose au carrefour école de police.  J’ai faim. Je mangerais bien un taro sauce jaune ou un bon eru. J’ai trop tchop le kilichi et les brochettes de 50-50 hier à la briqueterie.  Il pleut toujours. Je donne 300Fcfa au taximan (encore ce bon vieux franc cfa) et je fonce à la maison au pas de course. Je suis de bonne humeur. Hamdoulilah !  156 157 Barthélémy Toguo Barthélémy Toguo (1967, M’Balmayo, B arthélémy Toguo est un artiste pluriel. Il travaille aussi bien la vidéo, la gravure, Cameroun) vit et travaille entre Bandjoun et Paris. Il suit une la photo, la peinture, le dessin et la sculpture, formation artistique que l’installation et la performance. Le dessin aux Beaux-Arts est une constante de son œuvre et l’aquarelle d’Abidjan, à l’Ecole est le medium privilégié de la représentation supérieure d’art du corps et de la sexualité. de Grenoble, et à l’Académie Résidant sur deux continents et souvent des Beaux-Arts en voyage, Toguo s’inspire des différentes de Düsseldorf. traditions qu’il rencontre pour mettre en scène Barthélémy Toguo ces nouvelles constructions identitaires. est représenté par la galerie Artiste activiste, Barthélémy Toguo constate Nosbaum Reding qu’il n’y a pas de véritable marché de l’art sur au Luxembourg et le continent africain et un manque de volonté la galerie Lelong politique de la part des dirigeants en place & Co, à Paris et à pour créer des musées qui permettraient New-York. Il est à de conserver les œuvres sur le territoire. l’origine de l’espace L’artiste a donc monté son centre culturel artistique Bandjoun Station qui avec une importante collection d’oeuvres soutient la création et un programme de résidence renommé. contemporaine Ces questionnements et cet engagement se africaine. retrouvent dans les thématiques abordées par l’artiste au travers de ses œuvres. Cameroon Poker, 22 planches, Bois (Iroko), 175 x 70 cm, 158 2019 159 Cameroon Poker, 22 planches, Bois (Iroko), 175 x 70 cm, 2019 Cameroon Poker, 22 planches, Bois (Iroko), 175 x 70 cm, 2019 160 161 Grâce Dorothée Tong I nspirée par des artistes comme Frida Kahlo et Orlan, Grâce Dorothée Tong aborde la notion d’identité, plus particulièrement l’identité Grâce Dorothée généalogique. Elle invente les portraits de sa Tong (1992, Yaoundé, famille qu’elle n’a pas connue et s’approprie Cameroun) grandit par là une mémoire généalogique. L’oeuvre entre Yaoundé, Douala, qu’elle présente pour « Aujourd’hui » est la Bafoussam et Limbé. Elle représentation métaphorique de vœux que explore des médiums l’artiste aurait voulu voir se réaliser : elle tels que la peinture, le imagine les membres de sa famille, chacun dessin, le body paint et le doté d’une personnalité qu’elle aurait aimé graffiti. Après ses études qu’ils aient. Avec son travail, l’artiste entre à l’institut des Beaux Arts de Nkongsamba, elle dans une démarche d’art-thérapie. Les prend part à plusieurs personnages de ses toiles deviennent sa expositions collectives famille qui habitent sa mémoire. 2019 et à des ateliers tels que AtWork à la galerie MAM et Doual’Art, jeunes espoirs S.U.D (2017). Série 0100011001100001011011010110 1001011011000110110001100101 Technique mixte, 100 x 80 cm, 2019 162 163 Série 0100011001100001011011010110 1001011011000110110001100101 Technique mixte, 100 x 80 cm, 2019 Série 0100011001100001011011010110 1001011011000110110001100101 Technique mixte, 100 x 80 cm, 2019 Série 0100011001100001011011010110 1001011011000110110001100101 Technique mixte, 100 x 80 cm, 2019 164 165 Guy Woueté G uy Woueté ne se limite pas à un unique médium. Au moyen de la sculpture, de la peinture, de l’installation, de la vidéo et de la photographie, il questionne son environnement à la manière d’un reporter, enregistrant la réalité d’un quotidien doublée d’une narration personnelle. Son œuvre prend là une dimension performative. Guy Wouété n’entend pas délivrer de réponses par sa Dessin, critique sociale, mais ponctue sa démarche Installation, 2019 de points d’interrogations qu’il nous laisse résoudre avec notre réponse ontologique. L’artiste flotte entre intimité familiale et corps social, son travail questionne les valeurs en place et la façon dont celles- ci régissent notre rapport aux autres. Au cœur des problématiques qu’il aborde se trouve les flux migratoires actuels, le passé Guy Woueté (1980, Douala, Cameroun) vit et travaille à Anvers. Il colonial, les symboles de domination, la étudie la sculpture et la peinture à Douala, et a été artiste résident mémoire collective, les rapports Nord-Sud, au Rijksacademie van Beeldende Kunsten à Amsterdam. Il est diplômé la mondialisation. Habitant deux continents de l’Université Paris 8 et de l’École Supérieure des Arts de Bruxelles. aux réalités différentes, Guy Wouété rompt Son travail a été exposé à travers le monde : Addis Foto Fest (2018); dans son esthétique avec l’idée de frontière Biennales de Dakar (2018) et de la Havane (2009); International Film et ramène au même plan une humanité aux Festival à Toronto (2013); Film Black à Montréal (2012), Rotterdam identités multiples. (2010), Kampala (2007). 166 167 “La pépinière (qui travaille l’enchantement)” Installation, 2 photos, Une échelle sculptée (à partir de ferraille récupérée et soudée) 200 plantes (ananas, caféier, cacaoyer, bananier), Dimensions variables : 2 m de diamètre sur 3 m de haut, Guy Woueté, 2019 168 169 Hervé Yamguen N OUS SOMMES ICI Cela me revient de manière répétitive les images de l’actualité politique et du quotidien camerounais. Elles me hantent. En réalisant des toiles avec des dessins en La forêt désenchantée, blanc sur du noir, je vais à la rencontre des Acrylique sur toile, émotions qui me submergent lorsque je 95 x 65 cm, traverse les bruits, la grisaille, la mocheté 2019 urbaine. Ces toiles sont les écritures d’un corps transpirant qui porte des milliers de voix dans ses mouvements. En présence de l’ici, le jeu se fait avec les formes qui ouvrent à d’autres présences. Mes peintures parlent de danse dans les Hervé Yamguen (1971, Douala, Cameroun) a aussi paysages de corps meurtris. bien exploré la photographie, la peinture que la performance dans l’espace public, mais également Hervé Yamguen, Douala le 19 avril 2019 la scénographie pour le théâtre et l’écriture avec de nombreuses publications (poésies, nouvelles, livres- objets). Il a exposé en France, en Allemagne et plus récemment en Côte d’Ivoire. Il est à l’origine du collectif d’artistes le Cercle Kapsiki, engagé dans la vie politique, culturelle et sociale de son quartier. 170 171 Le royaume des gosses, Acrylique sur toile, 120 x 100 cm, 2019 L’enchanteur, Bronze, 65 x 33 x 24 cm, 2018 Nous sommes ici, Acrylique sur toile, 2019 172 173 Emile Youmbi Emile Youmbi (1969, A utodidacte, Youmbi explore la mémoire à travers les rites et traditions africaines. Batouri, Cameroun) vit et travaille à Yaoundé. Il commence par étudier Ses personnages se dépouillent en les mathématiques à silhouettes colorées qu’il appelle l’Université de Yaoundé « les ombres », reflets de l’homme avant de se consacrer entièrement à la peinture dans sa société. L’ombre se confond dans les années 90. entre société moderne et traditionnelle. Il fonde à cette époque L’ombre c’est la substance de l’être, le collectif Prim’art. Son c’est le souvenir qu’est l’ancêtre, c’est travail a été montré au une forme toujours évolutive. « Photo de Cameroun, au Sénégal, famille CMR » présente la grande famille en France, en Italie, en camerounaise d’aujourd’hui à travers Espagne, au Canada et cinq grands groupes : le grand Nord, en Martinique. le grand Sud, les grassfields, les côtiers et les anglophones. Dans un ensemble qui cohabite, cette foule aux visages anonymes devient un espace de mémoire et d’écriture. Photo de famille CMR 2, 250 x 250 cm, Acrylique sur toile, 2019 174 175 Photo de famille CMR, 470 x 250 cm, Acrylique sur toile, 2019 176 177 Hervé Youmbi L orsqu’on évoque la question du masque dans l’art, Hervé Youmbi s’impose comme une référence. Son travail suscite des interrogations quant à l’impact de la colonisation sur la production de masques rituels et culturels en Afrique, tout en nous invitant à la découverte d’une réalisation hybride qui associe visions traditionnelles et modernes de la culture du masque dans un monde de plus en plus globalisé. La colonisation a vu de nombreux masques fonctionnels arrachés de leur contexte d’utilisation pour être exposés dans des galeries et musées occidentaux, où ils Les trônes célestes, ne sont devenus que de simples objets de contemplation. Sculptures sur bois perlé, Youmbi propose le parcours inverse : d’abord le croquis, socle en bois recouvert de miroirs, 5 x 5 m2, puis la confection du masque par des artisans à Foumban, 2019 son perlage par des femmes de Baham, les masques sont ensuite exposés dans des lieux institutionnels pour Hervé Youmbi (1973, Bangui, République finalement trouver leur place au sein de sociétés secrètes centrafricaine) vit et travaille à Douala camerounaises où ils sont destinés à une vie rituelle et enseigne aux Instituts des Beaux-Arts et culturelle. de Nkongsamba et de Foumban. Artiste camerounais, il est membre fondateur du Un chemin emprunté à contre-courant de notre monde où collectif d’artistes le Cercle Kapsiki (1998). la spiritualité est diluée dans l’ère de la mondialisation, et Ses œuvres font partie de plusieurs le sujet du masque et de son héritage, et plus encore de sa collections parmi lesquelles le Smithsonian place contemporaine, qui sont au cœur des préoccupations National Museum of African Art à Washington actuelles entre Nord et Sud. et le Royal Ontario Museum au Canada. 178 179 Les trônes célestes, Sculptures sur bois perlé, socle en bois recouvert de miroirs, 5 x 5 m2, 2019 180 181 Marina Galvani Art Curator, World Bank Created in 1997 during a time when the Bank began taking a more holistic approach to its core business of fighting poverty, the World Bank Art Program and its partners have since advocated for role of art in shaping the development debate. What started as a unit whose main function was that of caring for a corporate collection has now grown into its official seat working at the intersection of global development, social justice and contemporary art. The Art Program’s work does not sit in a vacuum. Every project is crafted in synergy with the efforts of the people who work every day, forming the World Bank Group as an institution, to fight against poverty and promote a more stable, equitable and prosperous world for all. And sometimes, the efforts of colleagues working at different sides of the world come together creating something unique like in the wonderful case of the partnership born ten years ago 183 between the World Bank Group Office in Cameroun and the World Bank Art Program. What started as a seed planted by the visionary then Country Manager Markus Repnik has grown into a multi-year program spearheaded by wondrous Mamma Alim Ahmed, Senior Executive Assistant for the Yaounde World Bank Group Country Office. The commitment of this Office towards the contemporary artists of Cameroun and towards the space that art can have in deepening the engagement of the Bank with its hosting community, is one that, we hope, can only be replicated around the world. The now tenth edition of the Cameroon Country Office Art Exhibition dedicated to contemporary Cameroun has played an important role in contributing to the movement within the country to create opportunities for an international audience to reflect upon this region in more current terms and for the artists to challenge a limited image of their own country. Mamma Ahmed’s passion and unflinching dedication really speak volumes to the impact that one person can have onto to the world: thank you to her, her colleagues, and thank you to the Managers and Directors who have been at the helm of this very active Office and have shared the vision of a world where we can build bridges among people, we can imagine a different future, and we can celebrate our common humanity through the artistic expression of its people. 184 185 Jean Marc Siangué 2006 Goddy Leye Hervé Youmbi Mboko Lagriffe AchilleKà Komguem Jean Marc Siangué Salifou Lindou Emile Youmbi Justine Gaga Zambe Tiodjang Guy Wouete Louis Epée Hako Hankson Max Lyonga Sako (1975 Bangoua, Cameroun), vit et travaille à Douala, Jean Marc Siangué obtient sa maîtrise en arts plastiques et histoire de l’art à l’Université de Yaoundé I en 2004. Sa démarche est plus expérimentale que représentative. Son travail porte sur les interrogations de l’être humain sur son rapport à dieu, à l’Univers et à son prochain. Goddy Leye (1965 – 2011) - Formé à l’atelier de Pascal Kenfack, parallèlement à ses études, Goddy Leye obtient une maitrise en littérature africaine. Il fait partie des 80 artistes africains sélectionnés pour participer à la grande exposition Max Lyonga Sako internationale « Africa Remix ». Goddy Leye nous a quitté à l’âge de 46 ans. (1973, Douala, Cameroun), vit et travaille à Mboko Lagriffe Maroua, Cameroun. C’est à l’Université de Maroua où il obtient son Ph-D en Arts Plastiques, qu’AchilleKà enseigne l’art multimédia tout en poursuivant ses recherches. Son travail explore les environnements intermédias à partir des figures de la précarité urbaine. Achillekà Komguem (1968, Tiko, Cameroun) vit et travaille à Buéa où il a créé un espace d’art contemporain et forme les jeunes. Max lyonga s’initie à la peinture en participant aux ateliers de formation (1969) vit et travaille à Douala. Artiste autodidacte de l’Alliance Française de Buéa. et Designer, Mboko Lagriffe est Lauréat 2016 Son travail va de l’abstrait pur au du premier prix WAA/ RAM (concours habillage figuratif, dépeignant la vie sociale, Boeing de la Royal Air Maroc). Son œuvre très l’environnement, l’intimité, les colorée, exprime la joie de vivre et les défis de émotions. l’humain dans un monde en constante décrépitude. 186 187 2009 Alioum Moussa Elolongué Wedi Francis Bundin Ginette Daleu Hervé Yamguen Hervé Youmbi Jean Emati Louis Epée Salifou Lindou Sebastienne Berenyny Sarah Tchouatcha Sabastienne Berenyny Elolongué Wedi (1969, Douala, Cameroun}, vit et travaille à Douala. Sabastienne est formé par deux (1968, Douala, Cameroun), vit et travaille peintres ivoiriens qu’il rencontre lors d’un à Douala. C’est lorsqu’il perd son emploi séjour à Abidjan en 1994. Il parfait sa qu’Elolongué Wedi, comptable de formation, technique et son style à la faveur de ses s’adonne à la peinture, sa passion. Selon recherches et diverses expérimentations. lui, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons construire, ainsi assemble t’il des capsules et tout matériau de récupération pour représenter l’unité nationale dont il rêve pour son pays. Francis Bundin Sarah Tchouatcha (1969, Besancon, France) vit et travaille à Yaoundé. “Cette série nous (1965, Yaoundé, Cameroun), vit et immerge dans les souvenirs d’un instant travaille à Yaoundé. Autodidacte, il se photographique important : le portrait du consacre entièrement à la peinture, peintre Bato qui fut publié dans la Revue sa passion après avoir exercé Noire en 1994. Une image éditée sans son plusieurs petits métiers. Son travail, crédit photographique, élément de marquage abstrait et naïf, est une profusion de pourtant naturel et indispensable qui me couleurs sur des matières plonge aujourd’hui, encore dans l’anonymat. parfois surprenantes. Ce cliché initialement conservé sur un négatif, devient tour à tour cyanotype, pixels et estampes.” 188 189 2013 Francis Sumégné Hako Hankson Irène Megiane Epie Joel Mpah Dooh Kristine Tsala Louis Epée Irene Megiane Epie Kristine Tsala (1979 à Akono, Cameroun) vit et travaille à Limbé. Après son baccalauréat obtenu à l’IFA (Institut de formation artistique) de Mbalmayo, Cameroun, Kristine Tsala poursuit ses études à Kinshasa ou elle obtient une licence en arts plastiques. Selon elle, chacun porte un masque et joue un rôle. Il faut « paraitre pour être ». (1962, Bambui, Cameroun) vit et travaille à Dar es Salam, Tanzanie. Son travail porte sur la complexité de la vie, la beauté et la laideur, la joie et la peine, la culture et la modernité, la simplicité et la complexité. Selon Irene, il y a de l’art dans tout cela. Hako Hankson (1968, Yaoundé, Cameroun) vit et travaille à Douala, Cameroun. Autodidacte, Hako Hankson est originaire de la région de l’ouest du Cameroun. C’est en reproduisant les objets de rites d’initiation dont se servait son père, notable au palais royal, que Hako se forge une âme d’artiste. 190 191 2014 Boris Nzebo Emile Youmbi Louis Epée Ginette Daleu Hervé Yamguen Hervé Youmbi Justine Gaga Ginette Daleu Ginette Daleu (1977 - 2018). C’est à Dakar que la très discrète et sensible Ginette Daleu s’est éteinte. L’insalubrité des quartiers précaires qui la révulsait au prime abord a poutant poussé l’artiste à surpasser la laideur, pour y trouver de la beauté et finalement parvenir à l’acceptation de soi et des autres. 192 193 2015 Blanche Agoumé Merlin Tefolo Boris Nzebo Jean David Nkot Jean Emati Hako Hankson Salifou Lindou Max Lyonga Sako Merlin Tefolo Blanche Agoumé (1984, Yaoundé, Cameroun) vit et travaille à Dortmund, Allemagne. Formée par le photographe italien Stefano Zambuto, Blanche Agoumé capte dans son travail le charme et la beauté des personnes du troisième âge et ne se laisse pas piéger par le jeu des sophistications photographiques en camouflant leurs rides. Nos Vieux sont du millésime, dit-elle. (1977, Libreville, Gabon) vit et travaille à Douala, Cameroun. Merlin Tefolo fait ses classes à l’Entame (Ecole Nationale d’Art et manufacture de Melen) à Libreville. Son travail porte essentiellement sur la question du mal-être. La sciure de bois, utilisée en cuisine est la matière qu’il associe à l’acrylique pour créer le bas-relief. 194 195 2016 Carole Nkolo Abdias Ngateu Jean Emati Marc Padeu Barthelemy Toguo Jules Wokam Wanko Cubart Bernard Ajarb Koko Komegné Carole Nkolo Nicolas Evidi (1986, Akok, Cameroun), vit et travaille à Nkongsamba. Elle obtient un master de muséologie et de gestion du patrimoine à l’Institut des beaux- Nicolas Eyidi arts de l’Université de Douala à Nkongsamba. Son travail porte sur l’insalubrité de nos villes. Elle nous interpelle sur la mauvaise gestion des ordures et (1955, Douala, Cameroun), vit les affichages sauvages. et travaille à Douala. Ancien élève du studio Photo Georges à Douala, Nicolas Eyidi, par son travail, nous convie à la découverte de son Cameroun. Il nous propose en effet des Jules Wokam photos d’une sensibilité et d’une fraicheur qui nous plonge dans (1990, Melong, Cameroun), vit et travaille à Douala. une contemplation expectative. Marc Padeu obtient son master en arts plastiques et histoire de l’art à l’Institut des beaux-arts de l’Université de Douala à Nkongsamba. Son travail « QI Soup Cans », inspiré des fameuses Campbell Soup de Andy Warhol célèbre le quotient intellectuel (QI) des grandes figures du Cameroun. Marc Padeu Wanko Cubart (1966, Bafoussam, Cameroun), vit et travaille à Douala. Son travail présente une vue panoramique des mégalopoles africaines qui habitent son espace mental. (1972, Douala, Cameroun), Il nous promène dans un vit et travaille en France (Tain paysage qui nous est familier, l’Hermitage) et au Cameroun mais qui nous interroge sur le (Douala). « Mon travail de designer devenir de notre architecture, porte sur la capacité d’un objet qui très souvent n’est pas a transgresser son identité propre à notre identité. géographique et culturelle sans pour autant le nier, en l’interrogeant et en l’amendant dans une perspective d’inclusion de l’autre ». 196 197 2017 Angèle E. Essamba Joel Mpah Dooh Salifou Lindou Christian Djomagni Max Mbakop Serge Bokamba Rostand Pokam Ernest D. Oumarou Pascal Kenfack Tagné Williams Gaspar Goman Patrice Kemplo William Kayo Hervé Yamguen Rostand Pokam Hervé Youmbi Ruth Belinga (1984, Yaoundé, Cameroun) vit et travaille à Douala. Il étudie la peinture et les arts plastiques à l’Institut de formation de Mbalmayo au Cameroun Christian Djomagni puis l’histoire des arts africains à l’Université de Yaoundé I. Il utilise le couteau a palette pour nous proposer des paysages urbains aux couleurs (1973) vit et travaille à Douala. Autodidacte, chatoyantes et vives. c’est dans les livres et à l’occasion de résidences et workshops qu’il affine son travail. Pour faire la différence, il puise dans sa tradition bamiléké mais aussi d’autres cultures. C’est de ces « tiraillements » comme il se plait à le dire qu’émergent des formes innovantes. Serge Bokamba Patrice Kemplo (1986, Abong Mbang, Cameroun) vit et travaille à Douala. De l’Université de Douala où il obtient un (1980, Bafoussam, Cameroun) vit et master en psychopathologie, travaille à Douala. Apres l’Institut sa passion le mène dans de formation de Mbalmayo au l’atelier du peintre Boris Nzebo Cameroun, il fréquente l’atelier de qui le forme. « J’imprime l’artiste Zambe Tiodjang. Il prône directement sur la peau de le retour aux sources et dit puiser mes personnages des motifs son inspiration dans les valeurs africains pour rappeler nos élémentaires des coutumes et cultures et nos coutumes ». traditions africaines. 198 199 Ernest Dizhoume Oumarou (1983, Douala, Cameroun) vit et travaille entre Nkongsamba et Douala. Il obtient son master en arts plastiques à l’Institut des beaux-arts de Douala à Nkongsamba. S’inspirant du pop art et du street art, son travail porte sur les conséquences physiques et psychologiques de l’addiction aux paris sportifs. Max Mbakop (Ndoungué, Cameroun), Max Mbakop vit et travaille dans la ville de Douala. Il découvre l’art par le théâtre en 2004 et ensuite l’univers des arts visuels où il se fait former par le regretté Goddy Leye. Actuellement, il explore l’univers de la photographie, de la vidéo et du son à travers de multiples projets d’installations. Tagné William Gaspar Goman (1928, Santa Isabel, Guinée Equatoriale - 2016) découvert par l’administration (1983, Douala, Cameroun) vit Afane Ruth Belinga coloniale entre 1954 et travaille à Douala. C’est et 1960, Goman étudie (1976, Ebolowa, Cameroun) comme pour exorciser les les arts plastiques à vit et travaille entre Douala et traumatismes de sa propre l’école des beaux-arts Foumban.Elle est formée aux arts enfance qu’il illustre dans de Barcelone, Espagne. plastiques et a l’histoire de l’art sa série de tableaux “Enfance Ses mosaïques ornent à l’Université de Yaounde I. La volée”, les souffrances des les murs de plusieurs forêt est au centre de son travail enfants qui malgré eux, bâtiments de la qu’elle présente comme une font des petits boulots pour capitale du Cameroun expérience spirituelle. C’est un subvenir à leurs besoins alors (Afriland First Bank, espace « sacré », victime de nos que leurs camarades du Direction des impôts, péchés. Il faut le préserver. même âge s’épanouissent etc...). au quotidien. 200 201 2018 Alioum Moussa Boris Anje Jean-Jacques Kanté Aurélie Djiéna Godmark Fannyuy Kristine Tsala Beya Gille Gacha Grace D. Ntong Omraan Tatcheda Bidias Romaric Jean David Nkot Yvon Ngassam Bienvenue Fotso Jean Emati Godmark Fannyuy (1982, Buea, Cameroun) vit et travaille à Buea. Il a étudié la maçonnerie mais sa passion le rattrape et Beya Gille Gacha c’est à l’atelier de Max Lyonga qu’il se forme. Son travail porte sur un sujet tabou : la marginalisation (1990, Paris, France) vit et travaille à des albinos. L’artiste explique que dans sa région Paris. Après le lycée d’art appliqué, natale du sud-ouest du Cameroun, les albinos sont elle poursuit ses études à l’école du sacrifiés. Louvre. Elle puise son inspiration du Grassland camerounais dont est originaire sa mère. Elle se réapproprie les perles des sculptures bamilékés pour en faire l’épiderme de ses propres créations. Bidias Romaric (1983, Makon, Cameroun) vit et travaille à Douala. Il obtient son diplôme à l’IBAF, l’Institut des beaux-arts de Foumban (Cameroun). C’est au cours de deux résidences au Congo- (1995, Kumba, Cameroun) vit et travaille à Brazzaville qu’il s’intéresse à l’univers Buea. Il est formé par l’artiste Max Lyonga de la SAPE (Société des ambianceurs et et fait partie des jeunes espoirs repérés par personnes élégantes) caractérisé par le Doual’art en 2017. L’artiste défend les droits consumérisme et la superficialité. des enfants et invoque notre responsabilité à veiller sur ces visages d’innocence dans un monde de violence. Boris Anje 202 203 Omraan Tatcheda (1984, Douala, Cameroun) vit et travaille à Bologne, Italie. C’est en 2016 qu’il obtient son diplôme à l’Institut des beaux-arts de Bologne où il présente une thèse sur l’art zen. Son travail porte sur la spiritualité, les relations humaines et le rapport de l’Homme à son environnement. Yvon Ngassam (1982, Bangangté, Cameroun) vit et travaille a Douala. Son travail explore plusieurs champs thématiques, comme la mémoire (dans son versant historique et anthropologique), le corps, l’espace, le voyage, la résilience. Dans la série « I have a dream », il évoque l’univers onirique des moto-taximen ou Zemidjan de Cotonou. (1972, Bafoussam, Cameroun) vit et travaille à Yaounde. Il enseigne le dessin et la peinture à l’Institut des beaux-arts de Nkongsamba et consacre une bonne partie de son temps à former la jeune génération. A travers ses travaux, l’artiste nous convie à faire de la terre un lieu de tolérance. Jean-Jacques Kanté 204 205 Remerciements Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans la forte implication de tous nos amis artistes que nous saluons ici, et la précieuse contribution du personnel de la Banque mondiale à Yaoundé et en particulier, celle de Abdoulaye Seck, André Etemé, Anne Lise Fotso Mouafo, Armand Enganobel, Audrey Bouwe, Bienvenu Kamdoum, Carine Mbeido, Carole Ndjitcheu, Carlaise Tchinke, Chrystelle Isabelle Tapouh, Dieudonné Ekani, Dosseh Ihou, Ernest Onanena Evariste Noutcha, Gina Bowen, Honoré Ndi, Issa Diaw, Iya Asmaou Souleymanou, Jason Nzepang, Jeanne d’Arc Edima, Khadi Fall Lo, Laurence Hougue, Leonard Ngumbah, Mariam Baro, Mariam Lamizana, Marie Agnès Ndour, Maureen Ako Arrey, Monique Mogue Kamga, Mouche Mbaya, Moussa Njoya, Natalie Tchoumba, Ngange Ndamnsa, Odilia Hebga, Patrick Cowan, Robert Kamgaing, Salomé Abomo, Samia Bouba, Samuel Keo, Simplice Ntyame, Sylvie Ndze, Sunday Ebenezer, Valerie Ntjam-Moulet. Une mention spéciale à Alioum Moussa, Hervé Yamguen, Hervé Youmbi, Louis Epée, Lionel Manga, Nicolas Eyidi et Ruth Belinga, pour leur rôle ô combien déterminant pour la réussite de ce projet, à Marina Galvani pour ses précieux conseils et William Ursenbach pour sa patience et son immense talent. Notre profonde gratitude à la direction générale de l’hôtel Hilton de Yaoundé qui nous a toujours accompagné depuis une dizaine d’année dans cette démarche et plus particulièrement à monsieur Jean-François Nogue pour son excellente collaboration. 207 L’art est un investissement rentable également par des cotes très significatives pour des artistes africains Marème Malong vivants, trop souvent méconnus dans leurs pays. Pourtant, malgré ces signaux prometteurs, l’on compte encore bien peu de collectionneurs africains. Seuls quelques rares collectionneurs comme Oomoba Shyllon ou encore Sindika Dokolo, Voici maintenant plusieurs années que l’on évoque, dans le monde, affichent une prédilection dans leurs choix pour les artistes africains, l’essor de l’art contemporain africain sur le marché international. notamment contemporains. Mais qu’en est-il ici chez nous en Afrique et plus particulièrement Les avantages pour les HNWI (High-Net Worth Individuals) au Cameroun ? Les collectionneurs potentiels dont regorgent le d’une démarche d’investissement dans l’art sont patents et continent sont-ils conscients des enjeux politiques, culturels et nombreux : diversification, actifs libellés en devises, bonne liquidité, économiques qui sont à l’œuvre ? Force est de constater que la facilité de transmission d’une génération à l’autre, mais ce n’est pas plupart des œuvres majeures produites par des artistes africains se suffisant. En effet, il faudrait, pour que cette dynamique prospère, trouvent aujourd’hui dans des collections hors de notre continent et s’étende aux entreprises et institutions que l’environnement et dans les musées occidentaux. Cela n’est pas une fatalité. Il nous juridique et fiscal soit plus favorable et que les différents acteurs revient, à nous Africains, d’assumer pleinement notre rôle dans ce se mobilisent. Chacun a un rôle à jouer : galeries (promotion processus qui engage l’avenir de la création africaine. des artistes), entreprises privées et publiques, institutionnels Certes, le marché de l’art africain contemporain est en plein (lobbying, acquisition d’oeuvres…), wealth managers (éducation sur essor à l’échelle mondiale et devrait entre 2016 et 2026, passer selon l’attractivité de l’art africain en tant qu’actif patrimonial), conseils Deloitte (Art Tactic-Art&Finance report 2017 / 5th edition) de 12 à 20 spécialisés en gestion de patrimoine, banquiers (valorisation de l’art milliards USD. africain comme collatéral liquide …), pouvoirs publics ( adoption de Pour sûr, le nombre de foires/biennales consacrées à l’art textes juridiques et fiscaux, d’incentives favorables à la creation de africain contemporain a, au cours des dix dernières années doublé fondation et au mécénat…) (plus de quinze aujourd’hui). Cet essor se traduit par des flux annuels Il me plaît ici de croire que la Banque Mondiale impulsera cette financiers significatifs, de l’ordre de 200 millions USD, partagés pour démarche en jouant pour le moins un rôle de catalyseur, assurée que moitié entre les ventes publiques aux enchères (des grandes maisons l’initiative sera prise par la représentation de Yaoundé qui est d’ores Sotheby’s, Christie’s et Bonhams) et les ventes privées ; il se traduit et déjà moteur dans le développement de la création au Cameroun. 208 209 MAM GALERIE ART CONTEMPORAIN 211 AUTEURS Marylin Douala Manga Bell Lionel Manga Sadrak Elisabeth Huybens Musée National Mamma Alim Ahmed Yaoundé, Cameroun Marina Galvani Marème Malong EXPOSITION Sous la direction artistique CATALOGUE de Simon Njami Sous la direction de Assisté de Mohamed Cissé Simon Njami Assisté de Manon Barbe Project manager Mamma Alim Ahmed Photographe Banque Mondiale Nicolas Eyidi Scénographie Conception graphique Pierre-Marie Bissek William Ursenbach REMERCIEMENTS Suivi d’impression Armand Enganobel Lucie Touya Élise Atangana Bassek Ba Kobhio Imprimé par Marème Malong Brizzolis Art in graphics Bonaventure Soh Bejeng Ndikung Madrid, Espagne S.B. Njami Nwandi & tous les artistes 212 213