102021 v2 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized LA FORCE DE L’ELEPHANT Pour que sa croissance génère plus d’emplois de qualité. DÉCEMBRE 2015 | DEUXIÈME ÉDITION SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 TABLE DES MATIÈRES Avant-propos......................................................................................................................................iii Liste des abréviations........................................................................................................................iv Remerciements.................................................................................................................................. v Messages principaux........................................................................................................................vii PARTIE 1: LA SITUATION ECONOMIQUE DE LA CÔTE D’IVOIRE.... 1 1.1 Développements récents: une croissance soutenue par une bonne gestion et un environne- ment international favorable.....................................................................................................2 A. La radiographie de la croissance..............................................................................................3 B. La qualité de la gestion budgétaire et monétaire.....................................................................6 C. Un environnement international morose mais particulièrement favorable à la Côte d’Ivoire..10 1.2. Les perspectives économiques de court et moyen terme......................................................11 A. Le scénario de base.................................................................................................................11 B. Trois raisons d’espérer.............................................................................................................12 C. Les risques................................................................................................................................14 1.3. Le défi d’une croissance partagée passe par la création d’emploi.......................................17 PARTIE 2: COMMENT ASSURER UN EMPLOI DE QUALITÉ A LA MAJORITÉ DES IVOIRIENS........................................................ 21 2.1. Des emplois ? Oui, mais peu productifs................................................................................. 22 2.2. Une raison d’espérer: La transformation structurelle de l’emploi est en route................... 25 2.3. Comment augmenter la productivité du travail ?.................................................................. 27 2.4. Une vision pour l’avenir.......................................................................................................... 46 ANNEXES STATISTIQUES.......................................................... 49 i SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 TABLEAUX: Tableau 1: Le budget de l’État ivoirien par grandes fonctions............................................................. 8 Tableau 2: Le tableau de bord..............................................................................................................12 Tableau 3: Une ébauche de plan d’actions pour l’emploi...................................................................29 Tableau 4: Classement «Doing Business»...........................................................................................41 GRAPHIQUES: Graphique 1: Côte d’Ivoire: Une croissance parmi les plus rapides du continent africain............... 3 Graphique 2: A la Recherche d’une croissance perdue – le revenu par habitant en 2015 est équi- valent à celui de 1985.................................................................................................... 4 Graphique 3: Les secteurs porteurs de la croissance........................................................................ 5 Graphique 4: Une transformation graduelle des sources de croissance.......................................... 5 Graphique 5: Le déficit public est sous contrôle mais de plus en plus financé par des emprunts extérieurs.......................................................................................................................6 Graphique 6: Chute du prix du pétrole et maintien des prix du cacao, café et cajou.................... 11 Graphique 7: La hausse des Investissements Directs Étrangers (IDE) et de l’aide extérieure...... 11 Graphique 8: L’économie est moins vulnérable en 2015.................................................................15 Graphique 9: La situation de l’emploi en février 2014......................................................................22 Graphique 10: Un revenu moyen par travailleur, inférieur à la moyenne africaine et qui a augmenté lentement au cours de la dernière décennie...............................................................23 Graphique 11: Emploi et productivité en 2013...................................................................................24 Graphique 12: La transformation du marché de l’emploi à l’horizon 2025....................................... 26 Graphique 13: Les rémunérations augmenteront selon les gains de productivité........................... 26 Graphique 14: La majorité des travailleurs indépendants non agricoles n’ont pas ou ont peu d’édu- cation............................................................................................................................31 Graphique 15: Les entreprises non formelles sont moins productives que les formelles............... 31 Graphique 16: Les 10 Premières Contraintes de l’Environnement des Affaires............................... 39 Graphique 17: Le déficit de la Côte d’Ivoire est au niveau de l’éducation secondaire..................... 40 ENCADRÉS: Encadré 1: Comment la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial d’anacarde...14 Encadré 2: Les micro-entrepreneurs ne sont pas toujours de véritables entrepreneurs........... 30 Encadré 3: Développement urbain: Le contrat de confiance avec les autorités municipales ..32 Encadré 4: Programmes intégrés de formation et de financement.............................................35 Encadré 5: Le coup de pouce aux entrepreneurs innovants: l’expérience du Nigéria................ 38 Encadré 6: Formation des jeunes par l’apprentissage ou le stage en entreprise....................... 41 Encadré 7: Les partenariats pour accroître la productivité des petits producteurs................... 44 Encadré 8: L’utilisation du téléphone portable pour une meilleure productivité agricole.......... 45 ii SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 AVANT-PROPOS Ce deuxième rapport de la Banque mondiale sur la situation économique en Côte d’Ivoire a une double ambition. La première est d’informer une audience, pas nécessairement de spécialistes, sur les derniers évènements dans le pays, alors que la deuxième est de susciter le débat sur une ou plusieurs questions fondamentales qui pourraient déterminer l’avenir économique de la Côte d’Ivoire. Ces objectifs sont aus- si les miens car je suis convaincu que l’échange de connaissances et d’idées est le meilleur moyen pour faire avancer la réflexion et la prise de décisions. La première partie de ce rapport dresse un bilan positif de l’économie ivoirienne. Depuis 2012, l’éléphant est de retour avec une économie qui s’est accrue de près de 50%. Son taux d’inflation ainsi que ses équi- libres budgétaire et extérieur sont restés maîtrisés. Bien sûr, il faut rester vigilant car le pays demeure vulnérable à plusieurs risques tant externes qu’internes, à commencer par le maintien du prix de ses pro- duits d’exportation. Il lui faudra aussi concilier son désir d’accroître ses infrastructures, et la couverture de ses services sociaux avec l’obligation de contrôler son endettement. A cet effet, les autorités devront augmenter les recettes domestiques, notamment par une meilleure couverture de la TVA. Elles devront aussi cultiver les partenariats avec le secteur privé mais dans un cadre légal et institutionnel transparent qui assure les meilleurs résultats pour l’ensemble du pays. Pourtant le défi majeur du pays sera de transformer sa forte croissance économique en une réduction de la pauvreté. Aujourd’hui, presque la moitié des ivoiriens vivent en situation de pauvreté et cette pro- portion ne semble pas avoir diminué significativement ces dernières années. Si la Côte d’Ivoire veut atteindre l’émergence économique dans un proche avenir, il lui faudra croître vite mais aussi de manière juste. L’expérience internationale a montré que la création d’emploi de qualité est alors le meilleur moyen d’y parvenir. La deuxième partie de ce rapport propose plusieurs pistes de réflexion sur comment la Côte d’Ivoire peut créer des emplois de qualité pour une population active qui doublera au cours des 15 prochaines années. Ces pistes reposent sur trois axes principaux, qui incluent le soutien aux travailleurs indépendants et aux microentreprises, la promotion des entreprises à travers une amélioration du climat des affaires et l’aug- mentation de la productivité agricole. J’espère que ces pistes sauront motiver l’ensemble des parties prenantes dans le pays car résoudre la problématique de l’emploi nécessitera l’effort de tous. Pierre Laporte Directeur des opérations pour la Côte d’Ivoire , Burkina Faso , Benin , Togo et Guinée iii SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 LISTE DES ABRÉVIATIONS AfDB African Development Bank BCEAO Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest BFA Banque pour le Financement de l’Agriculture BTP Bâtiments et Travaux Publics CNCE Caisse Nationale d’Epargne et de Crédit IDE Investissements Directs Etrangers OCDE Organisation de Coopération et de Développement Economique ONG Organisation Non Gouvernementale PEFA Public Expenditure and Financial Accountability PETROCI Société Nationale d’Opérations Pétrolières de la Côte d’Ivoire PIB Produit Intérieur Brut PPP Partenariats Publics-Privés SIR Société Ivoirienne de Raffinage TSA Transportation Security Administration TVA Taxe sur la Valeur Ajoutée UEMOA Union Economique et Monétaire Ouest Africaine UNACOOPEC Union Nationale des Coopératives d’Epargne et de Crédit WAEMU West African Economic and Monetary Union iv SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 REMERCIEMENTS Ce rapport a été préparé par Samba Ba (première partie) et Wael Mansour (deuxième partie) sous la su- pervision de Jacques Morisset. Patrick Premand a contribué à la rédaction de la deuxième partie avec l’aide de Bienvenue Tien. L’équipe du FMI sur la Côte d’Ivoire, dirigée par Michel Lazare, est remerciée pour ses commentaires ainsi que Philippe English, Chadi Bou Habib et Luc Christiaensen. Taleb Ould Sid’ahmed a édité le rapport. Les rédacteurs du rapport ont également bénéficié des conseils et encou- ragements de Pierre Laporte et de Seynabou Sakho. v SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 vi SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 MESSAGES PRINCIPAUX 2015 a été une bonne année pour la Côte L’exigence du succès impose un contrat d’Ivoire. Championne d’Afrique de foot- de confiance. Ce contrat doit garantir une ball, des élections présidentielles dans un croissance qui se transforme en création contexte politique plus apaisé et une crois- d’emplois pour la majorité des citoyens sance économique, pratiquement la plus ivoiriens. Ce rapport propose des éléments forte du continent. Des politiques écono- de réponse qui peuvent alimenter le débat et miques efficaces ? Le talent et la force des aider à construire un plan d’actions pour ré- parties prenantes, dans un environnement pondre de manière optimale à cette urgence international morose mais particulièrement qui est de créer des emplois de qualité. favorable au pays ? PARTIE 1: La situation économique La réussite du pays est un peu la combinai- de la Côte d’Ivoire son de tous ces facteurs. Au niveau écono- mique, il est certain que l’État a continué à En 2015, la Côte d’Ivoire a continué sur sa stimuler l’expansion de l’économie par un lancée. La croissance s’est maintenue au- programme d’investissements ambitieux tour de 9% soutenue par des investisse- tout en conservant une approche prudente ments, tant publics que privés, avec l’essor qui a rassuré les marchés. L’engagement rapide des BTP, des transports et de la fi- des acteurs privés est visible dans le boom nance. Ce renouveau est visible pour celui des Bâtiments et Travaux Publics (BTP) et qui visite Abidjan avec ses grues, ses voi- la relance de l’agriculture, en partie à tra- tures et ses banques. vers de partenariats avec les pouvoirs pu- La bonne nouvelle est que cette croissance blics. Pourtant, il faut aussi reconnaître que semble s’être élargie au monde rural. En ef- l’économie ivoirienne a été épargnée par les fet, depuis 2014, la performance de l’agri- chocs externes qui ont heurté bon nombre culture s’est fortement améliorée, avec des de pays africains au cours de ces derniers croissances spectaculaires dans la produc- mois. Efficacité, engagement et providence tion du riz, du manioc et de l’anacarde. La sont les ingrédients de la réussite ivoirienne. filière cacao, tant importante pour le pays, Cette réussite reste toutefois fragile. Si la a vu une augmentation de la valeur de ses croissance a été rapide, elle n’a pas en- ventes, poussée par les prix internationaux, core contribué à réduire la pauvreté dans le un climat favorable mais également par pays de manière significative. Aujourd’hui, des traitements préventifs de la mouche presque la moitié des Ivoiriens continue blanche. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est de vivre en situation de pauvreté (avec une aussi devenue le premier producteur de consommation de moins de 737 FCFA par noix de cajou. Cette bonne performance jour), soit un taux pratiquement cinq fois d’ensemble de l’agriculture explique la supérieur à celui qui existait en 1985 et seu- hausse des exportations en 2015 – pour la lement légèrement inférieur à celui de 2008. première fois au-dessus de 10% depuis la En d’autres termes, les fruits de la crois- sortie de crise, un signe qui ne trompe pas sance n’ont pas encore été partagés équita- sur le regain de compétitivité de l’économie blement car la création d’emplois productifs ivoirienne. est restée limitée. vii SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Dans le même temps, le gouvernement a pays émergents tels que la Chine. La Côte poursuivi sa politique budgétaire volonta- d’Ivoire reste, cependant, vulnérable à la riste mais prudente. Le déficit de l’État a baisse de la croissance de ses partenaires augmenté autour de 3,7% du PIB, sous l’im- régionaux (Nigeria, Ghana, Burkina Faso) pulsion d’un programme d’investissement et à l’éventuel renchérissement du crédit ambitieux qui a été financé en grande par- sur les marchés financiers internationaux tie par des fonds extérieurs, notamment les qui proviendraient à la suite d’un change- bailleurs de fonds et un emprunt obligataire ment de politique monétaire de la part de d’un milliard de dollars des États-Unis (en- la Réserve Fédérale, la Banque Centrale des viron 570 milliards de FCFA). Malgré tout, la États-Unis. dette publique n’est qu’en hausse de 3-4% du PIB car l’endettement domestique a di- Les perspectives pour l’économie ivoirienne minué simultanément grâce à l’apurement restent positives, avec une croissance qui d’une bonne partie des arriérés intérieurs devrait se situer autour de 8,5% au cours accumulés quelques années auparavant. des 2 prochaines années. Cette croissance Pour autant, des faiblesses subsistent, no- devrait constamment être stimulée par les tamment autour de l’équilibre financier de investissements publics, notamment à tra- certains établissements et entreprises pu- vers des partenariats publics-privés. L’amé- blics dans les secteurs de l’énergie et ban- lioration du climat des affaires, après avoir caires ainsi que le faible recouvrement qua- évacué les incertitudes qui étaient liées aux si-chronique de la TVA qui reste parmi les élections, devrait renforcer la confiance des plus faibles au monde. investissements privés surtout si la ratio- nalisation des procédures administratives La politique monétaire continue bien évi- est poursuivie. La politique budgétaire de- demment d’être ancrée sur la politique ré- vrait rester maîtrisée, notamment avec une gionale, avec une croissance de la masse amélioration du recouvrement des impôts monétaire légèrement plus rapide que celle qui demeure nécessaire afin de financer une de l’économie. Autre bonne nouvelle : La part croissante des dépenses publiques et progression des crédits au secteur privé, donc limiter les besoins d’endettement de alors que ceux en direction de l’État ont di- l’État. La politique monétaire prudente de la minué. Ce changement qui traduit l’intérêt BCEAO permettrait de maintenir l’inflation croissant des banques pour les entreprises en-dessous de 3%, objectif cible de la zone devrait encore s’élargir aux entrepreneurs UEMOA. Du côté extérieur, les exportations jeunes et dynamiques. devraient continuer à croître alors que les importations d’équipements, de biens et de L’environnement international a aussi été capitaux devraient suivre la hausse des in- favorable à la Côte d’Ivoire avec le maintien vestissements. L’afflux de capitaux étran- des prix de ses principales exportations, gers devrait permettre de financer le déficit le regain de forme de l’Union Européenne de la balance en compte courant, notam- - son principal partenaire commercial ; et ment à travers les Investissements Directs la dépréciation du FCFA vis-à-vis du dol- Etrangers (IDE) et l’aide publique au déve- lar américain. Ces évènements contrastent loppement. avec la situation de la majorité des pays du continent africain. Ces pays ont souf- Les risques pour l’économie ivoirienne fert de la chute des prix de bon nombre de existent mais apparaissent maitrisables. leurs matières premières et du ralentisse- Le maintien de la stabilité politique et le ment de la croissance économique dans les contexte international favorable, notam- viii SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 ment les prix du cacao et de bonnes condi- les investissements en infrastructures qui tions climatiques (par exemple l’effet d’El n’ont pas forcément un effet immédiat sur Nino), restent primordiaux au bon fonction- le revenu des ménages. Les améliorations nement global de l’économie ivoirienne. Au en capital humain ont aussi un décalage, niveau interne, les principaux risques sont alors que la récente amélioration de la per- budgétaires ; à commencer avec la gestion formance de l’agriculture devrait surtout se des risques et des coûts de la dette publique refléter sur le revenu des petits producteurs dans un contexte où le financement sur les à partir de 2016 (la hausse du prix Bord- deux marchés, international et intérieur, est champ date d’Octobre 2015). Somme toute, susceptible de devenir plus cher. Une at- force est de constater que la croissance ra- tention particulière devrait également être pide n’a pas été accompagnée par la créa- portée sur les risques budgétaires liés aux tion d’emplois de qualité au cours de ces déséquilibres financiers d’entreprises pa- dernières années. rapubliques telles que la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR), Petroci et de plusieurs PARTIE 2: Le défi de l’emploi de banques publiques. D’autres risques pro- qualité viendraient de passifs non déclarés d’en- Il y a aujourd’hui environ 14 millions d’Ivoi- treprises parapubliques avec des garan- riens sur le marché du travail. La grande ties souveraines (explicites et implicites) majorité travaille, puisque le taux de chô- fournies aux emprunts des entreprises et mage y est inférieur à 7%. Le principal défi établissements publics et aux partenariats est d’assurer un emploi de qualité pour publics-privés (PPP) qui sont projetés de se tous, surtout que le nombre de nouveaux multiplier dans les années à venir. travailleurs est projeté de s’accroître de 350 Le principal défi de la Côte d’Ivoire, et pas 000 par an pour atteindre plus de 22 mil- des moindres, est celui de la croissance lions en 2025. partagée. L’expérience internationale rap- Aujourd’hui, le marché de l’emploi est hau- pelle qu’il ne suffit pas de croître vite, mais tement segmenté en Côte d’Ivoire. D’un encore faut-il croître juste. Jusqu’ici, les côté, deux tiers des travailleurs sont dans taux de croissance accélérés ne se sont pas l’auto-emploi ou l’emploi familial dans des encore traduits par une baisse significative micros entreprises, avec un revenu moyen du taux de pauvreté dans le pays. La réac- qui se situe autour de 65 000 FCFA par tion de la pauvreté à la reprise économique mois. De l’autre, ceux qui sont employés ou a été très faible - une baisse d’à peine 0,3 propriétaires d’exploitations agricoles, in- % du taux de pauvreté pour chaque 1% de dustrielles et de services parviennent à sé- croissance- depuis 2012. Il faut une crois- curiser un revenu moyen de 350 000 FCFA. sance favorable aux pauvres, celle qui induit Il y a parmi eux les privilégiés de la finance, la progression des revenus de la population du secteur minier et les fonctionnaires de vivant en dessous du seuil de pauvreté et l’État qui perçoivent plus de 2,3 ; 1,6 million qui se traduit par une réduction des écarts ou 500 000 FCFA respectivement par mois. de revenus entre les pauvres et le reste de la population. Il y a deux règles simples sur le marché du travail qu’il convient de rappeler, parce Le décalage entre le rapide taux de crois- qu’elles sont parfois oubliées. La première sance de l’économie et la baisse margi- est que la presque totalité des opportunités nale de la pauvreté s’explique par la nature d’emplois se trouvent dans le secteur pri- de la croissance. Elle a été alimentée par vé et qu’une demande de la part des entre- ix SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 prises doit exister pour créer des emplois. de la population ivoirienne. En 2025, il est La deuxième règle est que pour travailler projeté qu’un quart ou un tiers de la main et toucher un revenu décent, un travailleur d’œuvre continuera d’être occupée dans doit être productif et pour être productif, il l’agriculture, alors qu’environ 40% sera doit avoir des compétences. Malheureuse- dans l’auto-emploi ou une micro entreprise ment, ces deux règles ne sont pas encore familiale, principalement dans les villes. Il remplies en Côte d’Ivoire. En effet, l’expan- faudra donc accroître la productivité de ces sion des entreprises formelles existantes travailleurs pour que leurs revenus aug- et la création de nouvelles restent limi- mentent contrairement à la dernière ten- tées, proportionnellement 5 fois ou 10 fois dance qui semble être l’inverse durant ces moins rapides qu’au Nigeria ou au Rwanda. dernières années. Les compétences de la main d’œuvre sont restreintes avec environ 40% de la popula- Ce rapport propose une stratégie qui s’ap- tion qui n’a pas été à l’école et uniquement puie sur des actions visant à promouvoir la moins de 10% qui déclarent avoir terminé productivité dans les trois catégories d’em- leurs études secondaires. Même un titre plois suivantes : universitaire ne garantit pas que les com- • Auto-emploi et emploi indépendant : pétences soient adaptées au marché du sécuriser l’espace professionnel par des travail, car les entreprises n’y trouvent pas contrats simples ; promouvoir le sou- leur compte ; ce qui se traduit par un taux tien aux jeunes entrepreneurs, y com- de chômage relativement élevé pour les pris les femmes, par des programmes travailleurs titulaires d’un diplôme. combinant la formation et la fourniture L’économie ivoirienne est sur la bonne voie. de micro-crédits. Son marché de l’emploi est en train de vivre • Emploi salarié : encourager la création la transformation structurelle qui a marqué d’entreprises et le passage au formel celle des pays émergents. Celle-ci trans- par une simplification des procédures cende la dernière décennie et s’est accélérée administratives, encourager l’accès au depuis 2008. La part de l’emploi agricole a crédit par plus d’information et des ins- chuté de 12 points entre 2002 et 2015, alors truments innovants ; favoriser l’appren- que celles de l’emploi indépendant et des tissage et la formation continue par des salariés (hors de l’agriculture) ont chacune partenariats entre les pouvoirs publics augmenté de 8,8 et 3,7 points. Cette trans- et le patronat. formation est une bonne nouvelle car elle signifie qu’un nombre croissant de travail- • Emploi agricole : encourager la commer- leurs se déplacent en provenance d’activi- cialisation des produits de l’agriculture tés à faible rémunération (agriculture) vers en permettant l’émergence d’économie des activités avec des revenus plus élevés d’échelle pour les petits agriculteurs, comme l’emploi indépendant et l’emploi sa- faciliter la mise en réseau communau- larié dans l’industrie et les services, même taire et les partenariats le long de la si le secteur agricole va continuer à jouer chaîne de valeur ; promouvoir l’accès et un rôle central dans l’économie ivoirienne. l’utilisation de nouvelles technologies par les exploitants agricoles de manière La transformation, même rapide, du mar- à réduire leur coût de production et de ché de l’emploi ne sera cependant pas transaction. suffisante pour générer assez d’emplois productifs, rémunérateurs pour l’ensemble x SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Ces actions, non-exhaustives mais pro- marché de l’emploi deviendrait vite saturé. metteuses au vue de l’expérience interna- Ici aussi, le risque n’est pas négligeable car tionale, cherchent à prendre en compte les si les travailleurs de l’informel et des petits particularités de chaque catégorie d’emploi, boulots ne peuvent pas espérer en un ave- mais il serait erroné de croire que la poli- nir plus prometteur, leurs frustrations vont tique de l’emploi ne doit pas être globale. augmenter. Une politique de l’espoir est Si le pays ne parvenait pas à générer des donc nécessaire pour améliorer leurs reve- gains de productivité dans toutes les caté- nus et cultiver la cohésion sociale. gories d’emplois simultanément, le risque serait d’une Côte d’Ivoire à deux vitesses. Bref, la mise en œuvre d’une politique de Si la productivité agricole ne décollait pas l’emploi globale est urgente en Côte d’Ivoire. de manière soutenue, cet échec contribue- La force de l’éléphant, dont l’emblème fait rait non seulement à maintenir de nombreux la fierté de la Côte d’Ivoire, se trouve dans paysans en situation de pauvreté, mais af- sa capacité à trouver son équilibre dans fectera aussi la sécurité alimentaire dans un environnement écologique fragile ; c’est les villes et la production d’intrants de qua- ce même défi que se doivent de remporter lité nécessaires au développement de l’in- les dirigeants du pays pour assurer à l’en- dustrie de transformation qui devrait créer semble de leurs citoyens un développement de nombreux emplois urbains dans les an- rapide et harmonieux à l’horizon 2025. nées à venir. Cet échec pourrait aussi pré- cipiter un grand nombre d’agriculteurs vers la recherche d’un travail dans les villes où le xi SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 xii SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 PARTIE 1: LA SITUATION ECONOMIQUE DE LA CÔTE D’IVOIRE · La Côte d’Ivoire en 2015 se situe parmi les pays du continent africain ayant les meilleures performances économiques, avec une croissance de son Produit Intérieur Brut (PIB) proche de 9% qui s’explique par la combinaison d’une gestion budgétaire et monétaire prudente ainsi qu’un environnement international relativement favorable. · Les perspectives pour l’économie ivoirienne à court et moyen termes sont positives, tant que le contexte extérieur reste favorable, et que les autorités maîtrisent les risques liés à leur politique ambitieuse d’investissement, y compris de partenariats avec le secteur privé, et continuent leurs efforts visant à améliorer le climat des affaires. · Le principal défi pour la Côte d’Ivoire est de parvenir à une croissance plus équitable, ce qui impose la création d’emploi de qualité pour la majorité de la population. En 2015, la Côte d’Ivoire a continué sur sa lancée avec une performance qui situe son économie parmi les champions du continent africain. Cette perfor- mance est d’autant plus remarquable qu’elle a pris place dans une période Le principal défi pré-électorale pas toujours propice à une gestion financière et budgétaire de la Côte saine et prudente. Elle est également le résultat d’un environnement interna- d’Ivoire est de tional qui est resté favorable au pays. En effet, la Côte d’Ivoire n’a pas souffert parvenir à une des chocs exogènes, notamment la chute des prix de ses principaux produits croissance d’exportation , qui ont heurté les exportations des pays voisins. économique partagée. Les perspectives à court et moyen termes pour la Côte d’Ivoire restent favo- rables avec une croissance économique qui continuera d’être portée par les investissements privés et publics, notamment dans les infrastructures. Tou- tefois, cette trajectoire dépendra dans une large mesure de la maîtrise des in- vestissements publics, y compris des Partenariats Publics-Privés (PPP). La résolution des déséquilibres financiers persistants tant dans les secteurs de l’énergie que financier, avec la situation précaire de plusieurs établissements publics, reste également un facteur déterminant pour cette trajectoire. Bien en- tendu, ce pronostic favorable suppose aussi un maintien par le pays des prix des principaux produits exportés, en particulier le cacao. Le principal défi économique de la Côte d’Ivoire est de parvenir à une crois- sance économique partagée, celle qui garantit la progression des revenus de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté et se traduit par une ré- duction des écarts de revenus entre les pauvres et non pauvres. Or, la crois- sance rapide de ces dernières années ne s’est pas encore traduite par une baisse significative de la pauvreté. Les raisons sont multiples, mais force est 1 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 de constater que la création d’emplois de qualité n’a pas encore été suffisante, en particulier pour la majorité des Ivoiriens confinés dans l’auto-emploi et les entreprises familiales. Plusieurs expériences internationales rappellent que la création d’emplois productifs demeure le meilleur moyen pour non seulement ramener plus d’équité et de partage au sein du pays, mais aussi pour assurer une croissance plus pérenne à travers l’émergence d’effets induits tant sur la demande que l’offre globale. La création d’emplois de qualité doit donc devenir la priorité pour la Côte d’Ivoire. 1.1 Développements récents : une croissance sou- tenue par une bonne gestion et un environnement in- ternational favorable La performance économique d’un pays est généralement jugée par sa capaci- té à engendrer un accroissement de son Produit Intérieur Brut (PIB), à maîtriser son inflation et à équilibrer ses finances publiques et ses comptes extérieurs. Sur tous ces plans, la Côte d’Ivoire a continué de s’améliorer en 2015, non Sur tous ces seulement dans une perspective historique mais aussi par rapport aux autres plans, la Côte pays africains, à savoir : d’Ivoire a continué de s’améliorer en • Croissance économique : Avec un taux de croissance du PIB estimé à 8,4%, le pays se trouve au troisième rang du continent derrière la République 2015, non Démocratique du Congo et l’Ethiopie, mais devant les locomotives tradi- seulement tionnelles que sont le Nigéria et le Ghana. dans une perspective historique mais • Inflation : Son taux d’inflation de 1,5% le place au quatrième rang parmi les aussi par pays africains. rapport aux autres pays • Comptes extérieurs : Le déficit de sa balance en compte courant, en lé- africains. gère hausse de 2,3% du PIB, place le pays au sixième rang par rapport aux autres pays africains. • Déficit budgétaire : Il n’y a que pour son déficit budgétaire, autour de 3,7 % du PIB, que le pays se trouve au dix-septième rang continental, étant en- tendu que ce déficit a été financé par le recours à l’endettement extérieur dont une large part a été non-concessionnelle. Ces classements flatteurs illustrent le retour, peut être encore fragile, de la Côte d’Ivoire au premier plan de la gestion macro-économique après deux décen- nies d’incertitudes émaillées de crises sociopolitiques récurrentes. Cette re- connaissance est réelle et s’est traduite par une amélioration des évaluations effectuées par les agences internationales de notation. La Côte d’Ivoire est le seul pays africain, avec le Sénégal, considérés par l’Agence Moody’s avec une 2 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 perspective future positive.1 Elle contraste aussi avec la performance générale du continent où la crois- sance n’est projetée qu’à 3,7% en 2015, soit un ralentissement par rapport au taux de 4,5% en 2014. En somme, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays africains qui a amélioré sa performance économique en 2015 (cf. Graphique 1). Cette bonne performance de la Côte d’Ivoire est la combinaison d’une série de facteurs qu’il convient de comprendre, en commençant par un examen détaillé des sources de croissance pour ensuite s’intéresser à la qualité des politiques budgétaires et monétaires poursuivies par le gouvernement. Enfin, une analyse de l’impact des chocs extérieurs récents sur l’économie locale permettra de montrer que ceux-ci n’ont que peu affecté, au contraire, l’économie ivoirienne en 2015. Graphique 1: Côte d’Ivoire: Une croissance parmi les plus rapides du continent africain Source: Banque mondiale, Africa Pulse , octobre 2015. A. La radiographie de la croissance La croissance rapide observée au cours de ces dernières années est en partie un effet de rattrapage après plusieurs crises ayant secoué la Côte d’Ivoire, même si le revenu par habitant en 2015 n’a pas en- core atteint le niveau d’il y a 20 ans (cf. Graphique 2). Pourtant l’expérience internationale rappelle que cet effet de rattrapage n’est pas automatique puisqu’il s’estompe au cours du temps. Le fait que la crois- sance économique ivoirienne ait perduré en 2015 conduit à penser que d’autres facteurs ont été en jeu. 1 http://www.tradingeconomics.com/country-list/rating 3 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Graphique 2: A la Recherche d’une croissance perdue – le revenu par habitant en 2015 est équivalent à celui de 1985 1200,0 1000,0 1042,1 800,0 672,7 668,7 US$, 2000 600,0 574,6 528,1 525,5 400,0 200,0 0,0 1961 1963 1965 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015 Source: World Development Indicators, Banque mondiale. Au cours de ces derniers mois, la croissance ivoirienne a été portée par la ra- pide expansion des Bâtiments et Travaux Publics - BTP (en hausse de 25,5% en glissement annuel en Juillet 2015) et des transports aériens (22,8%) (Gra- phique 3). Le premier reflète la politique du gouvernement en investissements publics et la confiance retrouvée du secteur privé avec un secteur immobilier Au cours de ces en pleine ébullition, notamment à Abidjan. Le boom des transports aériens derniers mois, est une indication que le pays commence à retrouver son rôle de pôle régional la croissance en Afrique de l’Ouest. La certification en avril 2015 de l’aéroport international ivoirienne a été Félix Houphouët Boigny d’Abidjan par l’Agence nationale américaine de Sécu- portée par la rité dans les Transports (TSA) procède de cet objectif, en indiquant la mise en rapide conformité réussie de l’aéroport avec les meilleurs standards en matière de expansion des sécurité et de logistique. Bâtiments et Travaux Au-delà de ces secteurs porteurs et visibles, il convient de souligner la bonne Publics et des performance de l’agriculture ivoirienne, avec une forte hausse de la production transports dans les filières de l’anacarde, du café, du cacao, du coton, du riz et du manioc. aériens. Ces résultats appréciables s’expliquent par la combinaison de trois facteurs: (i) une action concertée du gouvernement et des acteurs privés dans certaines filières; (ii) une hausse des prix de certaines denrées, et (iii) de bonnes condi- tions climatiques. Si les deux derniers facteurs sont hors de la maîtrise du pays, il est à noter que le pays est devenu, en 2015, le premier producteur mondial d’anacarde, devant l’Inde. Par ailleurs, grâce à l’introduction de nouvelles tech- niques et de variétés ainsi que de l’accroissement des superficies emblavées, une très forte hausse de la production rizicole et de maïs a été enregistrée. Au niveau du secteur secondaire, en plus des BTP, les activités extractives minières 4 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 suivies par les industries manufacturières ont continué à enregistrer des taux de croissance satisfaisants, alors que dans les services, les télécommunications, le transport et le commerce avec respectivement 7%, 9% et 7,2% ont maintenu leur performance observée au cours des dernières années. Graphique 3: Les secteurs porteurs Graphique 4: Une transformation graduelle de la croissance des sources de croissance 30,0 huile depalme Trafic global martime -0,2 25,0 Gas naturel 2,6 20,0 Electricite 2,6 12,1 15,0 Tansport ferrovieres 3,8 2,6 4,8 caoutchouc 5,4 10,0 1,8 4,5 0,2 3,0 IHPI hors extraction 6,5 5,0 7,7 5,0 6,6 5,5 ICA 7,6 0,0 -0,8 -1,6 cacao 9,4 -2,6 -6,0 coton 9,9 -5,0 -12,6 Produits Petroliers 13,7 -10,0 café 20,6 -15,0 Ananacarde 22,7 Voyageurs aeriens 22,8 -20,0 BTP 25,5 2012 2013 2014e 2015f Petrole Brut 26 Consommation privee Consommation publique -5 0 5 10 15 20 25 30 Investissement Exportations Taux de croissance annuel Importations GDP Source: Direction Générale de l’économie, Juillet 2015 Source: Ministère des Finances Du côté de la demande, il faut noter la transformation graduelle des sources de croissance. Si les investissements restent la principale source de croissance, les exportations ont joué un rôle majeur en 2015 (Graphique 4). Au cours de l’année écoulée, l’investissement a encore compté pour plus du tiers de la croissance économique à la suite de la hausse rapide des investissements tant publics que privés. Pour le premier, il s’agit d’une volonté de l’État visant à Au cours de rattraper les retards accumulés par le pays en matière d’infrastructures. Pour l’année le deuxième, l’amélioration du climat politique, en dépit des incertitudes élec- écoulée, torales, et les progrès réalisés dans le climat des affaires ont contribué à res- l’investisse- taurer la confiance des investisseurs. Les efforts des autorités ivoiriennes ont ment a encore porté, d’une part, sur la simplification et la dématérialisation des procédures compté pour administratives et, d’autre part, sur la modernisation de l’environnement juri- plus du tiers de dique des affaires. Ces mesures ont permis au pays de gagner plusieurs places la croissance dans le classement de Doing Business. Au total, la formation brute de capital économique. fixe a progressé de 17,5% en 2015 contre 16,6% en 2014. Les exportations ont augmenté de 11% en 2015, soit trois fois plus vite qu’en 2014, alors que la hausse des importations a été moins rapide. Enfin, la consommation finale des ménages a augmenté de 8% soutenue par l’augmentation des revenus, notam- ment ceux des fonctionnaires, des planteurs du café, cacao et de la noix de cajou durant deux années consécutives. 5 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 B. La qualité de la gestion budgétaire et monétaire La bonne gestion macro-économique de la part des autorités ivoiriennes transparaît dans la conduite de leur politique budgétaire et monétaire au cours des 12 derniers mois. Les autori- tés sont restées relativement prudentes, même dans un contexte pré-électoral qui est souvent source de dérapage dans de nombreux pays à travers le monde, y compris ceux dans de l’OCDE. Il y a plusieurs façons de juger la politique budgétaire d’un pays. Mais elle est souvent évaluée selon trois critères : (i) Est-elle soutenable au cours du temps? (ii) l’allocation des ressources pu- bliques correspond-t-elle aux besoins du pays? et (iii) les fonds publics aboutissent-ils là où ils doivent aller? Sur tous ces plans, le gouvernement ivoirien a fait des progrès significatifs depuis la fin de la crise post-électorale même si des faiblesses demeurent, notamment en matière de transparence et d’efficacité financière. Par rapport au premier critère de soutenabilité, le gouvernement a maintenu un niveau de déficit public raisonnable, projeté à environ 3,7% du PIB en 2015 (Graphique 5). Bien que ce déficit repré- sente une hausse par rapport à 2014 malgré une performance satisfaisante en termes de collecte de recettes budgétaires, il reste finançable notamment par un apport plus important des finance- ments extérieurs. La performance de l’État en matière de recouvrement fiscal reste profondément déséquilibrée, avec un taux de recouvrement relativement élevé pour les impôts prélevés sur les transactions internationales, avec tout de même des insuffisances notoires en matière des im- pôts directs et indirects. Le taux de recouvrement de la TVA sur les transactions intérieures est seulement équivalent à 2,2% de la consommation totale (soit un taux d’efficience de 11,6%, ce qui est encore plus bas que la Tanzanie ou Madagascar, généralement pointés du doigt comme les mauvais élèves). Graphique 5: Le déficit public est sous contrôle mais de plus en plus financé par des emprunts extérieurs Source: Banque mondiale 6 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 D’aucun pourrait s’inquiéter de la dépendance accrue du budget de l’Etat au financement extérieur qui est passé de 2% à plus de 17% entre 2012 et 2015. En fait ce financement extérieur a majoritairement servi à financer des dépenses en capital plutôt que de fonctionnement, ce qui est a priori un bon signe de gestion financière. Une règle d’or de la politique budgétaire est que les recettes intérieures doivent être suffisantes pour couvrir les dépenses courantes, ce qui est le cas en Côte d’Ivoire puisque ce ratio est égal à 120% en 2015 (contre 108% en 2012). Néanmoins, ce n’est pas parce que les fonds extérieurs sont utilisés à financer des investissements que les risques disparaissent. Les rendements des investissements doivent être supérieurs au coût de l’endettement pour ga- rantir leur remboursement et un gain net pour l’État dans la durée. C’est pour- quoi la bonne sélection et exécution des investissements publics deviennent de plus en plus importante pour la Côte d’Ivoire. Si la dette extérieure a La contrepartie de cette politique budgétaire relativement maîtrisée est que le sensiblement niveau de la dette publique n’a augmenté que de 4,6% du PIB entre 2014 et 2015, augmenté, le pour atteindre un taux de 42,9% du PIB. Cette hausse traduit, d’une part, le re- Gouvernement tour de l’aide, qui a augmenté sensiblement en 2015, et d’autre part, l’accès du a réduit sa dette pays aux marchés des capitaux à travers l’émission réussie d’Eurobonds pour intérieure. une valeur d’un milliard de US dollars, remboursable sur 12 ans avec un taux d’intérêt de 6,625%. Si la dette extérieure a sensiblement augmenté, le Gouver- nement a réduit sa dette intérieure de pratiquement 2% du PIB en payant une partie de ses arriérés avec les fournisseurs de la commande publique.2 Tant que la croissance restera soutenue et le profil de la dette restera orienté vers le long terme, les risques d’endettement devraient rester limités pour la Côte d’Ivoire, classée comme un pays à risque modéré par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).3 Comme pour beaucoup de pays africains, la contrainte pourrait être budgétaire si le service de la dette extérieure viendrait à accaparer une part croissante des recettes de l’État, proche de 12% en 2015, limitant l’espace budgétaire pour d’autres utilisations. Suivant le deuxième critère, qui est celui de l’allocation des ressources pu- bliques, les autorités ivoiriennes ont continué de mener une politique budgétaire volontariste à deux niveaux. Premièrement, le montant total des dépenses pu- bliques a poursuivi sa tendance à la hausse en atteignant 24,8% du PIB en 2015 contre 22% du PIB en 2014, reflétant un accroissement de la demande globale car la hausse des recettes intérieures a été moins rapide. Deuxièmement, pour consolider les performances économiques et rendre la croissance plus inclu- sive et réductrice de disparités spatiales et sociales, les autorités ont privilégié les dépenses d’investissement et certaines dépenses sociales.4 Dans le même temps, le relèvement des salaires des fonctionnaires entamé en 2014 par un déblocage des avancements indiciaires gelés depuis 1988, a été complété. 2 Cette substitution de la dette intérieure par la dette externe a aussi permis le rallongement des maturités et donc de réduire le coût à court terme de l’endettement public. 3 Evaluation conjointe de la BM et du FMI de la viabilité de la dette (DSA – Décembre 2015). 4 Les initiatives récentes comme ‘’Ecole gratuite et obligatoire pour tous les enfants de 6 à 16 ans’’ et la ‘’Couverture Maladie Universelle» (CMU) vont encore accentuer cette tendance vers les dépenses sociales dans le budget 2016. 7 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Afin de mieux capter ces tendances dans la composition, nous proposons ci-dessous deux classifications de la dépense publique: (a) répartition des dé- penses de fonctionnement et d’investissement (en distinguant celles finan- cées sur ressources propres et sur ressources extérieures) et (b) répartition fonctionnelle de la dépense publique. Selon la première classification, les dé- penses d’investissement en 2015 ont été multipliées par 6 depuis 2011 et ont plus que doublé comparativement à 2012, l’année où la reprise de l’économie a été entamée, et sont en hausse de 36% par rapport à 2014. Ces dépenses d’in- vestissement se chiffrent actuellement à 1353 milliards de Francs CFA (7,3% du PIB). Dans le même temps, le financement des dépenses d’investissements a largement changé. En effet, moins du cinquième était financé sur ressources extérieures en 2012 alors que cette part est passée à 46,3% en 2015. Cette hausse reflète le retour des bailleurs de fonds come «financier» (incompré- Le hensible) du programme d’investissement ainsi qu’un éventuel recours aux Gouvernement emprunts extérieurs. a privilégié les Quant à la répartition par fonction de la dépense publique, elle montre que secteurs contrairement à la perception quasi-générale, le Gouvernement a privilégié les sociaux même secteurs sociaux même si la part consacrée aux infrastructures a augmenté si la part au cours du temps (Tableau 1). En 2015, les dépenses vers les secteurs de consacrée aux l’éducation et de la santé ont capté environ 27% des dépenses totales contre infrastructures approximativement 19% pour les infrastructures. La comparaison avec le bud- a augmenté get de 2014 indique que les parts des services sociaux et des infrastructures au cours du ont augmenté, respectivement de 2,1% et de 5%, au détriment des dépenses temps. allouées à la défense, au service de la dette et des services généraux des ad- ministrations publiques. Cette tendance positive traduit la volonté des autori- tés ivoiriennes à améliorer la fourniture de services sociaux et la mise en place d’infrastructures de qualité, tout en limitant les dépenses administratives de l’État qui sont perçues comme étant moins productives pour le pays. Tableau 1: Le budget de l’Etat ivoirien par grandes fonctions 2014 2015 Mia FCFA % total Mia FCFA % total Service de la dette 1167 27.5% 1295 24.9% Services généraux des administrations publiques 573 13.5% 504.5 9.7% Enseignement, Formation, et Recherche 851 20.0% 1044.2 20.1% Santé 228 5.4% 384.7 7.4% Affaires Economiques 277 6.5% 351.4 6.8% Défense, ordre, sécurité 417 9.8% 431.3 8.3% Administration et développement des infrastructures 596 14.0% 986.1 19.0% Autres Secteurs 134 3.2% 198.8 3.8% Total 4243.5 100% 5196 100% Source:http://budget.gouv.ci/assets/files/ccm/ccm-relative-au-projet-de-budget-2016.pdf 8 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Le troisième critère est celui de la gestion financière de l’État. Il s’agit sans nul doute du talon d’Achille du système de gestion publique en Côte d’Ivoire, même si certains progrès ont été réalisés depuis 2012. Le récent rapport PEFA a rappelé les principales faiblesses de la gestion financière publique en Côte d’Ivoire.5 Parmi celles-ci, il convient de noter la couverture imparfaite des comptes de l’État, qui se focalise principalement sur le gouvernement central en laissant de côté bon nombre d’entreprises publiques et d’agences de l’État. Il reste aujourd’hui extrêmement difficile d’évaluer les comptes de l’État dans leur totalité. Un autre domaine où la Côte d’Ivoire continue de souffrir de ca- rences profondes est celui des contrôles externes. Enfin, l’exécution budgétaire n’est pas toujours transparente et reste difficile à suivre, du fait de la persis- tance à utiliser de multiples comptes et le maintien de procédures de passa- tion de marchés complexes. Il faut toutefois noter que le montant des arriérés Enfin, de l’État reste comparativement faible (tant que les arriérés accumulés avant l’exécution 2012 sont exclus) et que la part des marchés utilisant les procédures de gré budgétaire n’est à gré a diminué de manière substantielle entre 2014 et 2015, démontrant que pas toujours cette problématique est maintenant au centre des préoccupations des pouvoir transparente et publics ivoiriens. Pour le contrôle externe, l’adoption en Juillet 2015 par l’As- reste difficile à semblée Nationale des textes portant création, organisation et fonctionnement suivre, du fait de la Cour des comptes constitue une avancée majeure dans les directives de de la l’UEMOA en matière de finances publiques. persistance à utiliser de mul- La politique monétaire continue d’être influencée par l’appartenance de la Côte tiples comptes. d’Ivoire à la zone monétaire de l’UEMOA. La marge de manœuvre est automa- tiquement limitée dans ce contexte et le taux de croissance monétaire traduit la politique prudente de la BCEAO, avec une croissance de la masse monétaire M2 autour de 15% en 2015. L’élément le plus prometteur de ces dernières an- nées réside dans les avancées en termes de monétisation et du crédit bancaire avec la forte augmentation des crédits à l’économie de 21,1% en 2015, qui fait suite à la hausse de 22,6% en 2014. Cette hausse des crédits à l’économie re- flète à la fois une plus grande demande du secteur privé en 2015, mais aussi la baisse de 0,5% des crédits accordés au secteur public dont la croissance avait pu jouer un effet d’éviction entre 2012 et 2014.6 Toutefois, force est de constater que le taux de pénétration des banques reste faible en Côte d’Ivoire puisque les crédits comptent pour environ 20% du PIB, ce qui est fort éloigné des taux atteints par d’autres pays africains comme le Kenya (42%) et le Nigeria (30%). Le système financier ivoirien continue d’être dominé par les banques commerciales qui contribuent à plus de 90% du crédit, alors que ce taux n’est que de 50% en Afrique du Sud. La diversification de son système financier reste un besoin pressant de la Côte d’Ivoire, notamment par le développement de la microfinance et de l’utilisation des téléphones mobiles pour réduire les coûts de transactions. Le développement de systèmes d’infor- mation (visant à réduire les coûts et les asymétries), tels que des bureaux de 5 Cadre de Mesure de la Performance de la Gestion du Système des Finances Publiques en Côte d’Ivoire, Rapport sur la seconde évaluation du système de la GFP (PEMFAR II), Juin 2013. 6 Les crédits bancaires au secteur public avaient augmenté de 3-5% par an entre 2012 et 2014. 9 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 crédits, ainsi que la facilitation de nouveaux instruments d’épargne et de cré- dits doivent être parmi les priorités des autorités ivoiriennes. Enfin, certaines banques publiques ont besoin d’être restructurées.7 C. Un environnement international morose mais particulière- ment favorable à la Côte d’Ivoire Alors que presque l’ensemble du continent africain a subi de plein fouet la détérioration du contexte international marqué par la baisse des prix de nom- breuses matières premières, le ralentissement de l’économie chinoise et la perspective d’un renchérissement du crédit suite à la hausse attendue des taux d’intérêts américains, la Côte d’Ivoire a été épargnée par ces chocs. Ses exportations ont augmenté de manière substantielle, alors que le pays a béné- ficié de l’afflux massif de financement externe en 2015. L’effet le plus visible de cet élément-chance se retrouve sans nul doute dans l’évolution des prix des principales exportations ivoiriennes qui se sont main- Si plusieurs tenus en 2015 (cf. Graphique 6). Cet effet prix a été amplifié par les hausses de pays africains la production, à la suite de bonnes conditions climatiques et la mise en œuvre sont exposés au de politiques de soutien, qui se sont à leur tour répercutées sur leurs acteurs. ralentissement C’est ainsi que le prix bord -champ aux producteurs de cacao a été augmen- de l’économie té de 17% en octobre 2015, pour atteindre 1 000 FCFA par kilogramme. Cette chinoise, ce hausse va augmenter le revenu d’environ 600 000 producteurs, qui vivent pour risque est la plupart en dessous du seuil de pauvreté. marginal pour la Côte d’Ivoire. La hausse du prix des exportations ivoiriennes s’est accompagnée par la baisse du prix mondial du pétrole. Dans la mesure où le pays est à la fois un importateur de pétrole brut et exportateur de produits pétroliers, cette baisse n’a eu qu’un effet marginal sur sa balance commerciale, surtout qu’elle a été neutralisée par la dépréciation de la monnaie locale, le franc CFA par rapport au dollar des États-Unis. Au niveau des prix intérieurs, la répercussion a donc été moindre, expliquant la stabilité des prix de l’essence et autres produits dé- rivés au cours des derniers mois. Si plusieurs pays africains sont exposés au ralentissement de l’économie chinoise, ce risque est marginal pour la Côte d’Ivoire car la Chine ne compte que pour 2% des exportations totales du pays. Au contraire, la reprise consta- tée dans les destinations traditionnelles, comme l’Union européenne, laisse penser que la conjoncture est plutôt favorable pour le pays. Il est cependant utile de rappeler que le ralentissement des économies africaines ne manquera pas de heurter les exportations ivoiriennes. 7 Pour plus de détails, voir le rapport de l’OCDE: Côte d’Ivoire, Examen multidimensionnel du pays, Centre de développement de l’OCDE, septembre 2015. 10 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Graphique 6 : Chute du prix du pétrole et main- Graphique 7 : La hausse des Investissements Di- tien des prix du cacao, café et cajou rects Étrangers (IDE) et de l’aide extérieure Source: Banque mondiale. Enfin, la Côte d’Ivoire a bénéficié du regain d’intérêt de la part des investisseurs internationaux, y compris les bailleurs de fonds. En 2015, l’afflux de capitaux étrangers a plus que doublé par rapport à 2012, totalisant 396 milliards de FCFA (cf. Graphique 7). Ce regain est en grande partie endogène aux résul- la Côte d’Ivoire tats encourageants de son économie mais est aussi le résultat de facteurs qui a bénéficié du sont plus difficiles à maitriser par le pays. Par exemple, le maintien des taux regain d’intérêt à des niveaux extrêmement bas sur les marchés internationaux a fa- d’intérêt de la cilité le succès de ses émissions obligataires en 2014 et 2015 ; et le retour des part des bailleurs de fonds a été en partie guidé par le besoin de rétablir les équilibres investisseurs financiers du pays après plusieurs années de crise.8 Néanmoins, la volonté de internationaux, la Côte d’Ivoire à accélérer ses réformes tant au niveau de sa gouvernance que y compris les de son climat des affaires, ainsi que les élections apaisées, devraient inciter à bailleurs de une croissance des flux internationaux de capitaux privés et publics. fonds. 1.2. Les perspectives économiques de court et moyen terme A. Le scénario de base L’économie ivoirienne devrait rester sur une trajectoire positive en 2016 et 2017, portée par les investissements tant publics que privés (Tableau 2). 8 Voir par exemple, Celasun O. et Walliser J. 2008. Predictability of aid: do fickle donors undermine aid effectiveness? Economic Policy 23(55): 545–594; Kharas H. 2008. Mea suring the Cost of Aid Volatility. Wolfensohn Center for Development, Working Paper 3. Brookings Institution: Washington, DC. 11 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Au niveau du secteur public, les autorités ont continué à afficher leurs ambitions en matière d’infrastruc- tures, ce qui va continuer à propulser le BTP vers des taux de croissance extrêmement rapides. Le regain de confiance à la suite du bon déroulement des élections devrait continuer à stimuler les investisseurs privés dans des secteurs tels que l’agro-alimentaire, tourisme, et les transports. La croissance écono- mique devrait se situer autour de 8-9% dans les années à venir, alors que l’inflation se maintiendra autour de 2% à travers la poursuite d’une politique monétaire prudente et la stabilité anticipée des prix alimen- taires et de l’énergie. Tableau 2 : Le tableau de bord (en % du PIB ou indiqué autrement) 2013 2014 2015 (e) 2016 (p) 2017 (p) Taux de croissance du PIB (%) 9,2 8,5 8,4 8,2 7,9 Inflation (CPI, %) 2,8 0,5 1,5 1,8 2,0 Solde budgétaire -2,2 -2,2 -3,9 -3,5 -3.3 Dette publique 34,2 38,3 42,9 41,4 40,9 Solde Commercial 9,6 9,6 8,7 8,5 8,2 Solde du Compte Courant -1,3 -0.6 -1,6 -1,8 -2,3 Source: Banque mondiale Ce scénario de base suppose la bonne maitrise des finances publiques. Le Gouvernement projette finan- cer sa politique d’investissement par une hausse de ses recettes domestiques (en particulier de la TVA), ce qui lui permettra de limiter ses emprunts tant intérieur qu’extérieur. Le déficit public devrait rester entre 3-3,5% du PIB, alors que le niveau de la dette publique devrait se maintenir autour de 40% du PIB en 2016 puis en 2017. Au niveau des comptes extérieurs, pas de changements majeurs attendus à court et moyen termes. Les importations devraient croître plus rapidement que l’économie à la suite de la demande accrue de biens d’équipement, de matériels, et des services ; mais cette hausse devrait être compensée par le bon com- portement des exportations traditionnelles tant que les prix internationaux se maintiendront. Les inves- tissements directs étrangers devraient augmenter, avec l’attrait croissant de la Côte d’Ivoire comme pôle régional, alors que l’aide officielle devrait se maintenir au niveau de 2015. B. Trois raisons d’espérer Ce scénario de base suppose une certaine continuité du Gouvernement dans la poursuite de ses poli- tiques économiques. Il existe pourtant une opportunité de propulser l’économie ivoirienne sur une tra- jectoire de croissance encore plus rapide – celle à deux chiffres. Le ratio investissement par rapport au PIB s’établit à 18,4% en 2015 et se situe encore en dessous de la moyenne de 22,8% de l’UEMOA et reste largement inférieur à celui du Sénégal qui est de 26,9%. Il subsiste des niches pour relever ce ratio et éga- lement améliorer l’efficacité marginale du capital qui pourrait ainsi soutenir un surcroît de croissance. Cette espérance pourrait se traduire en réalité si le pays parvient à stimuler l’expansion de son secteur privé, à encourager la mise en place de partenariats publics-privés, et compter sur des gains de producti- vité dans son secteur agricole. Les programmes de développement des infrastructures et d’amélioration de la formation professionnelle ainsi que la réforme foncière, s’ils sont mis en œuvre de façon adéquate contribueront à cette nécessaire expansion du secteur privé. 12 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 L’expansion du secteur privé passe par une amélioration du climat des af- faires. Ce constat a déjà été assimilé par les autorités ivoiriennes qui ont lancé un vaste programme de rationalisation des procédures administratives aux- quelles doivent faire face les opérateurs économiques. Des avancées notoires ont déjà été réalisées avec la progression de la Côte d’Ivoire dans le classe- ment Doing Business de la Banque mondiale. Toutefois, le pays reste sur une pente raide au regard de son ambition de pays émergent (142ème en 2016), d’où la nécessité de redoubler d’efforts, notamment dans le domaine de l’ob- tention des permis de construction et le paiement des impôts. La lourdeur de ces procédures traduit souvent des barrières à l’entrée qui limitent la venue de nouveaux compétiteurs. Ce manque de compétition est visible dans des secteurs prioritaires de l’économie ivoirienne qui ont des effets multiplicateurs sur la presque totalité des opérateurs économiques dans le pays. Il est ainsi établi que les coûts de communication, de transports, et d’emprunts bancaires restent très élevés et découragent l’initiative privée.9 Pour réussir, le gouver- nement devra introduire des mesures visant à réduire ces barrières à l’entrée La réussite de la et promouvoir davantage la compétition dans les secteurs de la finance, des Côte d’Ivoire va transports, et des communications. en large partie dépendre de sa La réussite de la Côte d’Ivoire va en large partie dépendre de sa capacité à capacité à gérer gérer les partenariats entre son secteur public et privé. Ses partenariats sont les la clef de voûte du programme de modernisation et de développement des in- partenariats frastructures du pays. En effet, plus de 100 projets potentiels ont déjà été iden- entre son tifiés pour un montant total avoisinant 11 000 milliards de FCFA.10 La mise en secteur public place de ces partenariats devrait permettre l’amélioration des infrastructures, et privé. tout en épargnant le budget de l’État, avec des effets d’entraînement majeur pour le pays. Bien que ces projets se concentrent autour de l’infrastructure, il existe des opportunités dans les services tels que l’éducation, notamment post-secondaire, et la santé où le potentiel d’Abidjan comme centre régional apparaissent intéressants. Enfin, bien que la part de l’agriculture dans le PIB ait diminué durant ces der- nières années, la performance de son secteur agricole reste influente. Le ralen- tissement de la croissance agricole avait été exacerbé par la crise politique qui avait divisé le pays et impacté sur les zones de productions agricoles.11 Pour- tant, une hausse de 1% de la production agricole se traduit par une augmenta- tion automatique de la croissance du pays de 0,25%. Cet effet ne prend pas en compte les effets induits qui ne manquent pas de prendre place à travers une hausse des intrants pour le secteur de transformation et l’obtention de revenus supérieurs pour les ménages vivant dans les zones rurales. Par exemple, l’aug- 9 Une comparaison des coûts sur le continent Africain avait montré que ceux-ci étaient particulièrement élevés en Côte d’Ivoire en matière de communication, de transport et de construction. Les coûts étaient respectivement 50%, 17% et 300% plus élevés en Côte d’Ivoire par rapport à la moyenne africaine en 2005. Seuls les coûts de l’énergie étaient moins élevés. Source: O. Chingaya et al. Comparative Analysis of Costs of some selected infrastructure components across Africa, Journal Statistique Africain, numéro 14, mai 2012. 10 Source : Présidence de la République, Fiche-Projects Sheets, Mars 2015. 11 Côte d’Ivoire: un agenda pour la croissance basée sur les exportations et les ressources naturelles – Rapport No. 62572-CI – PREM4 - Banque mondiale, Mars 2012. 13 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 mentation récente du prix du cacao bord champ de 17% constitue une raison d’espérer un impact appréciable sur la réduction de la pauvreté, surtout chez les petits producteurs. L’importance de l’agriculture est aussi visible dans le poids de ce secteur, dans les exportations du pays, autour de 40%, et du rôle de leader que joue la Côte d’Ivoire sur les marchés mondiaux du cacao, du café, d’huile de palme et de noix de cajou. La raison d’espérer et non des moindres peut s’illustrer par la performance remarquable enregistrée par la filière ana- carde depuis quelques années et des atouts dont elle regorge (voir encadré 1). Encadré 1: Comment la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial d’anacarde La filière anacarde en Côte d’Ivoire est devenue un levier important de développement no- tamment dans les régions du Nord. La production de la noix de cajou a enregistré de très fortes hausses durant ces 15 dernières années. En effet, d’un niveau d’à peine 64 000 tonnes en 2 000, la production est passée à 450 000 tonnes et 700 000 tonnes respectivement en 2012 et 2015. Ainsi, en 2015, le pays est devenu le premier producteur mondial de la noix de cajou avec 25% de l’offre mondiale, devant l’Inde, précédemment leader. Le pays est égale- ment premier exportateur de la noix de cajou avec comme principaux destinataires l’Inde, le Brésil et le Vietnam. La filière regroupe environ 250 000 producteurs et fait vivre près de 2,5 millions d’ivoiriens. En 2015, à peine 8% de la production de l’anacarde est transformée localement. Des oppor- tunités de transformation s’offrent au pays : amande rôties et salées, baume de cajou, huile de cajou, jus, fruits et confitures, combustible, peintures marines, vernis, élément de friction de frein et d’embrayage, intrants de cimenterie, etc. Ces opportunités pourraient générer de De manière nombreux emplois, en majorité féminins. Ainsi, parvenir ne serait-ce qu’à transformer 234 générale, 000 tonnes (le tiers de la production actuelle) pourrait contribuer à la création d’au moins l’économie 46 000 emplois. ivoirienne est moins Conscient des potentialités énormes de l’anacarde, le gouvernement a démarré la mise en exposée en œuvre d’un ambitieux programme de développement et de transformation, visant à (i) fa- 2015 qu’à la fin ciliter l’accès au financement pour la transformation (mécanisme de garantie pour couvrir de la 60% du montant des crédits d’investissement et d’exploitation octroyés par les banques et dernière système de récépissés d’entrepôt sous forme de tierce détention); (ii) à améliorer la qualité décennie. par un appui direct aux entreprises; (iii) à promouvoir la commercialisation (recherche de marchés internationaux); et (iv) à renforcer les capacités des acteurs. Sources: Ministère de l’Agriculture, Ministère de l’Industrie et des Mines, Communication en Conseil des Ministres du 6 Décembre 2013, Projet d’appui au secteur de l’agriculture (PSAC – Banque mondiale), Troisième Crédit d’appui à la réduction de la pauvreté (PRSC3 – Banque mondiale, 29 Sept 2015) C. Les risques De manière générale, l’économie ivoirienne est moins exposée en 2015 qu’à la fin de la dernière décennie. Les risques budgétaires, monétaires, externes apparaissent maîtrisables, notamment grâce à la baisse substantielle du ni- veau d’endettement (avec le point d’achèvement en 2012), la réduction des dé- penses courantes dans le budget de l’État et le profil des nouveaux emprunts 14 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 qui privilégient le moyen et le long terme (voir Graphique 8). Cette évolution favorable des risques macro-économiques en Côte d’Ivoire tranche avec celle des autres pays de la région qui ont vu leur vulnérabilité augmenter de manière considérable cette dernière année.12 Graphique 8: L’économie est moins vulnérable en 2015 (plus la ligne est proche du centre, moins le risque est grand) Risque Budgétaire Risque Monétaire Risque Externe Déficit Dépenses budgétaire (% courantes (% du PIB) Inflation (%) du total) Dette a court Dette a court Dette Dépenses Taux de Dette publique terme (% de terme (% publique (% courantes (% du change reel (% du PIB) reserves) total) du PIB) total) 2007-2010 2015 2007-2010 2015 2007-2010 2015 Source: Adapté de la publication Africa Pulse, Banque mondiale, octobre, 2015 Même si les risques apparaissent relativement réduits pour la Côte d’Ivoire, ils ne sont pas inexistants. En premier lieu, le pays reste exposé aux chocs ex- ternes. Ceux-ci incluent la variabilité des prix de ses principales exportations, les incertitudes régionales qui peuvent affecter son commerce, le renchérisse- ment des emprunts extérieurs sur les marchés régionaux et internationaux, et Au niveau les chocs climatiques notamment ceux liés au phénomène El Nino. Ainsi, à titre interne, au-delà d’illustration, une baisse du prix du cacao accompagnée par une hausse du des incertitudes prix du pétrole et des taux d’intérêt sur les marchés financiers ne manqueraient politiques qui d’ajouter une pression sur la balance extérieure du pays. se réduisent, les principaux Au niveau interne, au-delà des incertitudes politiques qui se réduisent, les prin- risques sont cipaux risques sont d’ordre budgétaire. Les autorités ivoiriennes ont adopté d’ordre une politique d’investissement ambitieuse car beaucoup d’insuffisances en budgétaire. infrastructure subsistent encore. En parallèle, la demande de services sociaux de qualité va aller en augmentant en raison de la pression démographique. L’État va devoir répondre à cette pression supplémentaire en augmentant ses recettes fiscales, notamment de la TVA dont le recouvrement reste très en deçà de son potentiel. Seule une augmentation des revenus de l’État pourra financer les dépenses publiques sans une augmentation non-contrôlée des emprunts. 12 Pour plus de détails au niveau du continent africain, voir Banque mondiale, Africa Pulse, octobre 2015. 15 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Au-delà de l’augmentation des recettes de l’État, des gains d’efficience devront être réalisés sur les dépenses publiques. Cela commence par une gestion ef- ficace des investissements publics, y compris des Partenariats publics–pri- vés (PPPs). Les autorités doivent pouvoir garantir que leurs projets soient les plus rentables pour le pays à travers la mise en place de procédures de sé- lection, de suivi et d’évaluation qui soient performantes et transparentes. Or, aujourd’hui, ces procédures ne sont pas encore en place. Une des faiblesses les plus visibles concerne la sélection des projets PPPs où les entreprises qua- lifiées sont choisies à travers des offres spontanées et des procédures de gré à gré, qui créent la suspicion sur la possibilité d’entente et de surcoûts pour le pays. Si, à la sortie de crise, de telles procédures étaient, en partie, justifiées pour des raisons de célérité face à l’urgence (les candidats ne se bousculaient pas au portillon), le contexte a changé à la fin 2015. Il est temps pour les au- torités ivoiriennes de mettre en place des procédures claires et transparentes, en adoptant un cadre légal et institutionnel aligné sur les meilleures pratiques internationales. Les autorités se doivent de gérer les risques associés à la situation financière fragile de plusieurs entreprises et établissements publics dans le secteur de l’énergie (électricité et pétrole). L’appréciation du dollar américain par rapport au franc CFA ainsi que la baisse brutale et continue des cours mondiaux du pétrole en 2015 ont contribué à exacerber la situation financière déjà fragile du secteur de l’énergie. Malgré les gains de 27 milliards de FCFA générés par le récent ajustement tarifaire pris par les autorités en juillet 2015, la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE) devrait reporter un déficit opérationnel autour de 53 milliards de FCFA à la fin 2015. Ce résultat s’explique, au-delà des facteurs Le risque conjoncturels, par la persistance de sa fragilité structurelle en raison de la forte financier dépendance de la production d’électricité au gaz naturel, l’insuffisance chro- apparait nique du recouvrement des recettes par la CIE ; et le passif des arriérés cumu- encore plus lés durant la période de crise. Le risque financier apparait encore plus grand grand pour la pour la Société Ivoirienne de Raffinerie (SIR) et la Société Nationale d’Opéra- Société tions Pétrolières de la Côte d’Ivoire (PETROCI), qui avaient déjà accusé des Ivoirienne de pertes très élevées en 2014. Si en 2015, l’État a fait des efforts appréciables Raffinerie (SIR) pour apurer partiellement ses arriérés par rapport à la fourniture de HVO faites et la par ces deux sociétés, des solutions plus radicales restent nécessaires pour la Société viabilité financière du secteur. Les résultats des audits stratégiques en cours Nationale devraient permettre d’identifier ces solutions, tant pour le court que le long d’Opérations terme. Pétrolières de D’autres risques doivent être mentionnés et sont relatifs à la situation des la Côte d’Ivoire banques publiques et établissements de microfinance qui ne remplissent pas (PETROCI). la plupart des ratios prudentiels et sont parfois sous capitalisés. Ainsi, sept banques publiques doivent être restructurées. En 2015, la Banque pour le Fi- nancement de l’Agriculture (BFA) a été liquidée. Certes, au niveau de la mi- crofinance, l’Union Nationale des Coopératives d’Épargne et de Crédit (UNA- COOPEC) et la Caisse Nationale d’Épargne et de Crédit (CNCE) sont sous administration provisoire, mais les restructurations doivent être poursuivies 16 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 en vue d’un assainissement adéquat du portefeuille de l’État et réduire la pres- sion sur le budget de l’État. Enfin, l’un des risques et non des moindres pour les autorités reste la ques- tion foncière. Cette question avait contribué à la période d’instabilité de ces dernières années. Aussi, serait-il important pour les autorités ivoiriennes de s’assurer du succès de la réforme du droit foncier en cours. Des droits fonciers clairement identifiés permettent aux familles de considérer leur terre comme un bien dont la transmission aux générations futures est facilitée par une do- cumentation écrite. La sécurisation des droits fonciers est un des droits fon- damentaux que se doit de garantir un Etat moderne. Il y a environ 1.3. Le défi d’une croissance partagée passe par la 935 500 plus de pauvres création d’emplois aujourd’hui Aujourd’hui la Côte d’Ivoire présente une économie avec une forte croissance qu’en 2008 mais un taux de pauvreté encore élevé. Bien qu’il soit difficile de quantifier avec dans le pays, certitude le taux de pauvreté et surtout son évolution au cours du temps, la avec une forte dernière enquête auprès des ménages apporte certains éclaircissements. Il concentration apparait qu’environ 46,3% de la population vit en situation de pauvreté, soit dans le monde avec une dépense de consommation inférieure à 737 FCFA par jour, alors que rural. ce taux était de 48,9% en 2008. Cette baisse du taux n’est pas suffisante pour compenser la hausse rapide de la population et il y a environ 935 500 plus de pauvres aujourd’hui qu’en 2008 dans le pays, avec une forte concentration dans le monde rural. Cependant, il est difficile de comparer les taux de pauvreté au cours du temps en Côte d’Ivoire, non seulement par l’utilisation de méthodes différentes, mais aussi en raison de la présence de deux périodes bien distinctes entre 2008 et 2015.13 La première période (2008-11) a été marquée par un environnement instable, caractérisé par une croissance économique de 0,85 % en moyenne, alors que la deuxième période (2012-15) est celle de la reprise avec un taux de croissance de l’économie qui a dépassé 8% en moyenne, soit presque 10 fois plus rapide. Par conséquent, il est probable que le taux de pauvreté ait aug- menté entre 2008 et 2011 pour ensuite diminuer à partir de 2011. L’absence d’enquête en 2011 ou 2012 empêche toutefois une vérification précise, ce qui oblige l’utilisation d’outils de simulation. La Banque mondiale a récemment procédé à cet exercice qui a suggéré que le taux de pauvreté était d’environ 2,8% supérieur en 2011 par rapport à 2008, soit approximativement un taux de 51,7%. Ces chiffres capturent des tendances et doivent donc être interprétés avec pru- dence. Ils permettent toutefois d’avancer que la croissance rapide qui a pris place entre 2012 et 2015 n’a pas entraîné une forte baisse de la pauvreté. En effet, durant cette période, la croissance du PIB par habitant a été d’environ 13 Pour une discussion des méthodologies, voir Banque mondiale, Côte d’Ivoire: Systematic Country Diagnostic, 2015. 17 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 33%, alors que le taux de pauvreté n’a diminué que de 9,4% – en jargon éco- nomique cela signifie que l’élasticité entre ces deux variables n’a été que de 0,28. Cette élasticité est très faible car l’expérience internationale montre que sa valeur doit se situer entre 1 et 5, avec une moyenne de 3 pour les pays en développement.14 L’explication de la faible réduction de la pauvreté à la croissance économique en Côte d’Ivoire se situe au moins à quatre niveaux. Premièrement, une partie de la croissance a été alimentée par les investissements, notamment dans les infrastructures et les services publics. Or, il existe un décalage entre ces investissements et leur impact réel sur les conditions de vie et les revenus des ménages. Selon cette explication, l’impact sur la pauvreté n’interviendra que dans la durée. Deuxièmement, la faible élasticité provient du niveau initial de pauvreté re- lativement élevé dans le pays. Les ménages vivant en pauvreté n’ont pas les ressources financières suffisantes pour accroître leurs dépenses à la hauteur de leurs aspirations. Ce «piège de la pauvreté» se traduit par une croissance moins rapide de la consommation, notamment des ménages les plus pauvres, par rapport à la croissance de l’économie ce qui a été le cas lors de ces der- La nières années en Côte d’Ivoire (à l’exception de 2012). croissance économique en Troisièmement, les vecteurs sectoriels de la croissance, comme les mines, la Côte d’Ivoire ne finance et la communication, ne sont pas directement générateur d’emplois et s’est pas donc n’ont que peu d’effets directs sur la vaste majorité des ménages. En outre, encore à l’exception de 2014 et 2015, la performance de l’agriculture a été en deçà de convertie en celle des autres secteurs, alors que la majorité des pauvres se trouvent dans une réduction les zones rurales. La récente embellie du secteur agricole, notamment avec majeure de la la hausse de 17% du prix bord-champ pour le cacao en octobre 2015, devrait pauvreté car conduire à une baisse substantielle de la pauvreté en milieu rural. Les prix elle n’a pas restent cependant tributaires des marchés internationaux et leurs fluctuations créé de affecteront, par conséquent, les conditions de vie des producteurs. nombreux emplois de Enfin, la croissance économique en Côte d’Ivoire ne s’est pas encore convertie en qualité. une réduction majeure de la pauvreté car elle n’a pas créé de nombreux emplois de qualité, tant pour la population urbaine que rurale. Cette observation sera confirmée dans la prochaine partie de ce rapport quand nous décrirons l’évolution récente du marché du travail en Côte d’Ivoire. Auparavant, il est utile de souligner que la création d’emplois productifs est le meilleur moyen pour réduire la pau- vreté rapidement et de manière irréversible dans un pays. Sur 10 des 16 pays qui ont abaissé le plus leur taux de pauvreté pendant la dernière décennie, la hausse 14 Ravallion and Chen trouvent que l’élasticité de l’écart de pauvreté vis à vis la croissance du revenu moyen en 2001 était de -1.3 en Afrique Sub-Saharienne, -1.8 en Amérique Latine, -3.3 en Asie de l’Est, -3.9 en Asie du Sud, -4.3 au Moyen Orient et l’Afrique du Nord. En moyenne, l’élasticité dans les pays en voie de développement était de -1.9 au début des années 80, et avait augmenté en valeur absolue jusqu’à -2.5. De même, Besley and Burgess (2003) trouve que la pauvreté est deux fois plus sensible à la croissance écono mique en Asie de l’Est. Sources: M. Ravaillon et S. Chen, How Have the World’s Poorest Fared since the Early 1980s”, World bank Research Observer, vol.19, 141-60, 2004; T. Bes ley et R. Burgess, Halving Global Poverty, Journal of Economic Perspectives, 17(3), 3-22, 2003. 18 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 de la rémunération du travail a contribué à plus de 40% de cette performance.15 Cette contribution est de deux sortes : (1) extensive, lorsque plus de travail- leurs sont utilisés dans les processus de production ; et (2) intensive, quand les travailleurs existants deviennent plus productifs. Les pays qui ont ren- contré le plus de succès sont ceux qui ont combiné ces deux contributions.16 Il est ainsi estimé que si le revenu moyen d’un ménage augmente de 2% par an, le taux de pauvreté d’un pays est réduit entre 1,2 et 1,7 %.17. La création La création d’emplois est le meilleur moyen pour que la Côte d’Ivoire puisse d’emplois partager les fruits de sa croissance, mais elle est aussi indispensable pour permettra aux générer le cercle vertueux qui va placer son économie sur une trajectoire de ménages les croissance accélérée. L’augmentation du revenu des travailleurs va accroître plus pauvres de leur demande pour les biens de consommation et d’investissement et ainsi dépasser créer un effet multiplicateur sur l’économie. Du côté de l’offre, les ménages un niveau vont davantage investir en capital humain et en équipements, ce qui ne man- minimum de quera pas de générer des gains de productivité. La création d’emplois permet- revenu, qui est tra aux ménages les plus pauvres de dépasser un niveau minimum de revenu, indispensable qui est indispensable pour leur permettre d’épargner et d’investir. Au-delà de pour leur l’effet économique, la création d’emploi génère un sentiment d’appartenance, permettre d’identité sociale et de bien-être de l’individu qui à son tour se transpose au d’épargner et sein de la société et augmente sa cohésion. d’investir. En conclusion, le succès de la Côte d’Ivoire à créer de nouveaux emplois de qualité pour la majorité de sa population va en grande partie déterminer si le pays va continuer à croître à un rythme accéléré et si cette croissance va être partagée équitablement dans les années à venir. C’est ce défi qui doit devenir la priorité pour les décideurs ivoiriens. 15 G. Inchauste, J. Pedro Azevedo, S. Olivieri, J. Saavedra, et H. Winkler, When Job Earnings Are behind Poverty Reduction, November 2012. 16 Des canaux autres que les revenus de travail pourront être utilisés pour alléger la pauvre- té, mais ceux-ci sont en général moins importants dans les pays en voie de développe- ment que dans les pays développés. Par exemple, la plupart des pays Africains, y compris la Côte d’Ivoire, n’ont pas de ressources fiscales suffisantes pour redistribuer le revenu à travers les transferts ou les réseaux de sécurité sociale. De façon similaire, la plus-value qui est un véhicule important d’accumulation du capital dans les pays déve- loppés, comme les Etats Unis, joue un rôle marginal dans le monde en développement car un petit nombre de ménages possèdent un tel capital. 17 Source: IFC Jobs Study, Assessing Private Sector Contributions to Job Creation and Poverty Reduction, January 2013. 19 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 20 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 PARTIE 2 : COMMENT ASSURER UN EMPLOI DE QUALITÉ A LA MAJORITÉ DES IVOIRIENS · En 2025, 22 millions d’Ivoiriens seront en âge de travailler, soit 40% de plus qu’en 2015. · Seul environ un Ivoirien sur quatre sera occupé dans l’agriculture car stimulée par l’urbanisation galo- pante. · La grande partie des emplois seront dans l’auto-emploi et les petites entreprises familiales en zones urbaines. La réponse au défi de l’emploi impose un programme de réformes qui doit conduire (i) à des gains de productivité dans les activités indépendantes tant agricoles que non agricoles, et (ii) à l’émer- gence d’entreprises dynamiques pourvoyeuses d’emplois. «Si vous mettez deux économistes dans une salle, vous obtiendrez deux opi- nions, à moins que l’un d’eux soit Lord Keynes et alors vous aurez trois opi- nions» a déclaré un jour Winston Churchill. Peu de sujets sont consensuels lorsqu’on parle d’économie, mais l’emploi est l’un d’entre eux. En fait, au-de- là des économistes, les politiciens et les simples citoyens s’accordent sur le Ce consensus fait que l’obtention d’un emploi décent est une préoccupation majeure, que ce n’est pas soit aux États-Unis ou dans le monde en développement, y compris en Côte surprenant car d’Ivoire. Ce consensus n’est pas surprenant car résoudre le défi de l’emploi résoudre le défi nécessite à la fois un effort collectif et individuel. de l’emploi nécessite à la Un effort collectif car la création d’emplois de meilleure qualité restera tribu- fois un effort taire d’une croissance économique accélérée et l’amélioration des conditions collectif et tant dans le climat des affaires que de la gouvernance, de la provision de biens individuel. publics telles que l’éducation et les infrastructures de base. Sans une amélio- ration généralisée, la création et l’expansion des entreprises resteront limitées et donc faiblement génératrices d’emplois. Une performance individuelle car la qualité d’un emploi est aussi dépendante de la productivité de chaque travail- leur, qui est elle-même corrélée à ses compétences. L’acquisition des compé- tences commence par une motivation personnelle, et un investissement vers le futur, qui doit être cultivée par un système éducatif motivant, facilitant un réel apprentissage, et fournissant une main d’œuvre productive. Cette deuxième partie va s’intéresser au défi de l’emploi en Côte d’Ivoire. Elle commence par rappeler que le marché du travail est aujourd’hui fortement segmenté avec, d’un côté, une majorité de travailleurs mal payés et, de l’autre, quelques privilégiés bien rémunérés. Cette structure du marché est toutefois en train d’évoluer grâce au déplacement graduel des agriculteurs vers des em- plois urbains qui sont en général plus productifs et rémunérateurs. Cette trans- formation, qui est à la base du succès de bon nombre de pays émergents, doit encore être accompagnée par des actions susceptibles de générer des gains 21 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 de productivité tant pour l’emploi indépendant que pour les salariés et les agriculteurs. Si, pour réussir, ces actions doivent tenir compte des spécificités de chacune de ces catégories d’emploi, il sera égale- ment important d’optimiser les synergies entre ces différentes catégories pour que le pays parvienne à garantir des emplois de qualité pour la majorité de ses travailleurs. 2.1 Des emplois ? Oui, mais peu productifs Les ivoiriens travaillent. Non seulement ceux qui sont en âge de travailler sont nombreux mais leur vaste majorité est active sur le marché de l’emploi (Graphique 9).18 Parmi ceux-ci 93% déclarent un emploi, alors que seulement 7% sont au chômage. Si ce dernier phénomène est important, notamment pour les jeunes diplômés,19 son ampleur reste relativement limitée notamment en comparaison des taux observés dans les pays industrialisés. Le taux relativement réduit du chômage en Afrique s’explique en partie par l’utilisation de définitions pas totalement appropriées à la réalité de ces pays mais aussi parce que le chômage est un «luxe» que ne peuvent pas se permettre beaucoup d’Africains.20 Ceux-ci doivent gagner leur vie, même avec des petits boulots précaires, surtout que les assurances-chômages sont totalement absentes sur ce continent. Graphique 9: La situation de l’emploi en février 2014 Population en age de travailler 14,5 m. Inactifs 3,4 m Actifs 11,1 m En emploi 10,4 m Au chomage 0,8 m Agriculture 5,3 m Hors Agriculture 5.1 m Auto-emploi 3,1 m Salarie 2 m Source: AGEPE et INS et Banque mondiale 18 La principale source de données sur l’emploi est l’enquête emploi 2013 collectée en février 2014. Les tendances historiques sont mesurées en faisant recours aux données additionnelles des enquêtes ménage 2002 et 2008, ainsi que de l’enquête emploi 2012. Pour plus de détails, voir AGEPE et INS, 2014, « Enquête nationale sur la situation de l’emploi et du travail des enfants (ENSETE 2013) ». Cette partie du rapport s’inspire des résultats préliminaires d’une étude multisectorielle sur l’emploi conduite par la Banque mondiale qui devrait être finalisée vers le mois de juin 2016. 19 Les ménages avec les revenus les plus élevés reportent un taux de chômage de plus de 11,6%, alors que ceux avec le revenu le plus faible uniquement 2,7%. 20 En effet, sur la base des normes internationales, le chômeur est celui qui recherche un travail et qui n‘arrive pas à travail- ler, plus d’une heure par semaine. 22 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 La principale difficulté pour un travailleur ivoirien n’est pas tant de trouver une occupation que de sécuriser un emploi de qualité. En effet, la plupart travaille, La principale souvent un nombre d’heures élevé, mais n’obtienne pas un revenu qui leur per- difficulté pour mette de vivre décemment. Le revenu moyen par travailleur en Côte d’Ivoire un travailleur est estimé autour de 97 266 FCFA ou seulement 197 US$ par mois, ce qui est ivoirien n’est inférieur à la moyenne du continent africain (Graphique 10). 21 Il est à noter pas tant de que ce revenu moyen n’a que peu augmenté au cours de la dernière décennie trouver une en raison du taux démographique relativement élevé et du taux d’expansion occupation limité de l’économie ivoirienne jusqu’en 2011. La reprise économique a permis que de d’engendrer une hausse qui était déjà visible en 2012 et qui s’est certainement sécuriser un perpétuée jusqu’en 2015 même si les données ne sont pas encore disponibles. emploi de qualité. Graphique 10: Un revenu moyen par travailleur inférieur à la moyenne africaine et qui a augmenté lentement au cours de la dernière décennie 7000 United States Hong Kong SAR,… Belgium Sweden Japan Switzerland 6000 Slovak Republic Cyprus Kazakhstan Peru Uzbekistan Moldova South Africa 5000 Kuwait Egypt, Arab Rep. Indonesia Ukraine India Bolivia 4000 Nigeria Mozambique Bangladesh Angola Cote d'Ivoire Uganda Burkina Faso 3000 Zambia Malawi 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Madagascar Congo, Dem. Rep. Cote d'Ivoire Nigeria 0 17500 35000 52500 70000 Senegal Afrique Sub-Saharienne Source: World Development Indicators. Note: Les revenus dans ces deux graphiques sont calculés comme le PIB par travailleur exprimé en US$ à valeur constante de 1990. L’enquête de l’emploi, effectuée au début 2014, apporte un éclairage plus pré- cis sur la situation de l’emploi en Côte d’Ivoire. Il y apparait que la majorité des travailleurs ivoiriens est confinée dans l’auto emploi ou l’emploi familial, tant dans l’agriculture (47,5% de la population en emploi) que dans les activités 21 Sauf préciser dans le texte, les revenus du travail sont mesurés comme le PIB réel aux coûts des facteurs en 2013 (à prix constant de 2009) divisé par l’ensemble de la popu- lation en emploi en Côte d’ Ivoire. Cette mesure est une mesure de la productivité moyenne des travailleurs, qui capture les tendances au niveau des salaires. Toutefois, il est impor- tant de préciser que ces deux concepts ne sont pas identiques car, en théorie, les salaires doivent être égaux à la productivité marginale et non moyenne du travail car un em- ployeur va utiliser du travail jusqu’à ce que la productivité de ce travail soit égale au sa- laire réel. En pratique, il existe souvent des différences entre les salaires et la productivité marginale en fonction de la structure des marchés et le pouvoir de négociations des in- tervenants. Cela ne conduit pas pour autant à rejeter le lien entre productivité moyenne et salaire qui a été vérifié dans de nombreuses études empiriques, tout au moins dans les tendances à long terme. 23 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 non-agricoles (29,7%). Or, ces activités ne sont que faiblement productives car elles rapportent en moyenne 63 944 FCFA (ou 129 US$) par mois. 22 Le deuxième fait marquant est que seul un travailleur sur 5 est employé dans une entreprise hors du cocon familial, gagnant un revenu moyen d’environ 306 Les secteurs 477 FCFA (ou 523 US$) par mois. Cette comparaison souligne les disparités avec les monétaires et inégalités qui existent sur le marché du travail en Côte d’Ivoire. rémunérations les plus Les mêmes disparités sont mises en avant par une analyse sectorielle de l’em- élevées sont ploi (Graphique 11). Près des ¾ des travailleurs ivoiriens sont occupés dans ceux qui l’agriculture et le commerce. Ils sont également parmi les activités les moins utilisent productives du pays. En effet, la rémunération des agriculteurs n’atteint en relativement moyenne que 39 612 de FCFA par mois, alors que celle du commerçant est de peu de main 52 125 de FCFA. Les secteurs avec les rémunérations les plus élevées sont d’œuvre, et ceux qui utilisent relativement peu de main d’œuvre, et occupent une taille mi- occupent une nime dans l’économie. Ils incluent les secteurs de la finance et de l’industrie taille minime extractive qui rapportent en moyenne plus de 2,3 et 1,6 million de FCFA par dans mois. Or, ces privilégiés représentent moins de 0,5% de la population active et l’économie. travaillent dans des secteurs qui ne constituent que 8,2% du PIB. Enfin, il existe des secteurs intermédiaires, comme la construction, le transport et la commu- nication, où les rémunérations mensuelles peuvent atteindre plus de 100 000 de FCFA. Ces secteurs emploient déjà environ 6% de la population active en Côte d’Ivoire et ont vu leur part dans l’emploi national augmenter de manière rapide depuis la reprise économique en 2012. Graphique 11: Emploi et productivité en 2014 FCAF/travaileur (000) 30 000 Finances, 0,2 27 000 24 000 21 000 Extractive, 0,3 18 000 Elect./Eau, 0,2 15 000 12 000 Immobilier, 2,2 9 000 Construction, 1,5 Administration Publique, 1,3 Transport Et Communication, 6 000 Fabrication, 2,1 Tourism, 3,6 3,6 Education, 2,1 Agriculture, 51,0 3 000 Peche, 0,3 Commerce, 22,5 0 Activités Collectives ou Sociales, 4,4 -3 000 Autres services, 1,9 -1 1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 (% of PIB) Note: La taille de la bulle indique la part de l’emploi. Source: AGEPE et INS, Comptes Nationaux, et Banque mondiale . Cette rapide description du marché du travail en Côte d’Ivoire met en évidence sa segmentation. La vaste majorité des travailleurs sont confinés dans l’emploi 22 L’auto-emploi inclut les employés qui travaillent pour leur propre compte et/ou avec des employés qui ne sont pas payés. 24 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 indépendant ou familial, tant dans le secteur agricole que non-agricole, avec des rémunérations relativement basses. Cette situation n’est guère soute- nable car elle revient à maintenir de nombreux ménages en état de pauvreté, surtout qu’au rythme actuel d’expansion démographique, la population en âge de travailler va continuer à s’accroître à un rythme soutenu, avec près de 350 A l’horizon 000 nouveaux venus par an, lors de ces prochaines années. A l’horizon 2025, il 2025, il est est ainsi projeté que la population active atteindra environ 22 millions de tra- ainsi projeté vailleurs, soit 40% de plus qu’aujourd’hui. que la population 2.2 Une raison d’espérer . La transformation struc- active turelle de l’emploi est en route atteindra environ La transformation structurelle de l’emploi en Côte d’Ivoire est en marche. Elle 22 millions de est visible dès 2002 mais semble s’être accélérée depuis 2008, en particulier à travailleurs, soit partir de la reprise économique opérée en 2011. C’est ainsi que la part de l’agri- 40% de plus culture dans l’emploi a chuté de plus de 13 points entre 2002 et 2013, alors qu’aujourd’hui. que celle de l’emploi indépendant non-agricole a augmenté de 8,8 points et celle de l’emploi salarié de 3,7 points. Ces changements traduisent une urba- nisation rapide et un dynamisme plus grand dans les secteurs non-agricoles. L’horizon 2025, en supposant que l’économie ivoirienne continue sur la même trajectoire que celle observée depuis 2011, la structure du marché de l’emploi présenterait les caractéristiques suivantes (Graphique 12) : 23 • La part de l’agriculture dans l’emploi va continuer à chuter, atteignant uni- quement 27% de l’emploi total en 2025 contre environ 51% en 2013. • Les travailleurs indépendants non-agricoles constitueront 43% de la force de travail en 2025, devenant la principale source d’emploi. • La part de l’emploi salarié augmentera sensiblement, mais ne dépassera pas 29% à l’horizon 2025. Ces projections, basées sur la performance économique récente du pays, doivent être interprétées avec prudence. Par exemple, une croissance plus ra- pide de l’agriculture augmenterait la demande d’emploi dans ce secteur ce qui aboutirait à une part plus importante dans l’emploi total en 2025 que celle mentionnée ci-dessus. De manière identique, une croissance moins rapide des services freinerait le mouvement des travailleurs vers ces activités qui demeureraient davantage dans leurs occupations agricoles.24 Toutefois, ces 23 Ce scénario repose sur l’hypothèse que la croissance du PIB sera maintenue autour de la trajectoire observée depuis la reprise économique en 2012, soit une croissance moyenne du PIB de 7,4 % sur la période 2015-2025, tirée par les services (8,8 % par an), l’industrie (6.7 % par an) et l’agriculture (3% par an). Les hypothèses sur les élasticités entre la croissance économique et l’emploi sont extrapolées à partir d’une étude récente de la Banque mondiale/FMI pour le continent africain (L. Fox et al, 2013, Africa’s Got Work to Do: Employment Prospects in the New Century, IMF Working Paper, WP/13/2013.), alors que celles portant sur la croissance de la population active proviennent des Na- tions-Unies. 24 C’est ainsi que si la croissance des services diminuait à 6% en moyenne pendant la période 2015-25 (contre 8,8% dans le scénario de base) et que les autres hypothèses sectorielles et d’élasticités restaient identiques, la part de l’agriculture dans l’emploi en 25 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 projections reflètent les tendances historiques en Côte d’Ivoire et se retrouvent d’ailleurs dans presque tous les pays à travers le monde. La transformation graduelle de la structure de l’emploi constitue une bonne nouvelle pour les Ivoiriens. En effet, leur déplacement vers des emplois en de- hors du secteur agricole devrait entrainer une hausse de leurs rémunérations. Le revenu moyen de l’auto-emploi et de l’emploi familial est en moyenne 60% supérieur à celui du petit paysan ou de l’ouvrier agricole, alors que celui du salarié est 7 fois plus élevé. Par conséquent, l’accroissement de la part de l’emploi indépendant et salarié devrait générer une hausse de la productivité et des revenus pour une part croissante des travailleurs en Côte d’Ivoire. Graphique 12: La transformation du mar- Graphique 13: Les rémunérations augmente- ché de l’emploi à l’horizon 2025 ront selon les gains de productivité 100% 8000 7603,1 90% 27% Revenu par travailleur, 1990 PPP 7000 80% 6328,2 51% 70% 63% 60% 6000 60% 5000 4633,2 50% 44% 40% 4000 3536 30% 2997 30% 22% 26% 3000 20% 29% 10% 15% 14% 19% 2000 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 2022 2024 0% 2002 2008 2013 2025 Gain de productivite de 3% par an Gain de productivite de 5.5% par an Salaries Auto-Emploi Agriculture Gain de productivite de 7% par an Source: Banque mondiale. Pour illustrer comment les gains de productivité vont influencer sur les rému- nérations des travailleurs ivoiriens, trois scénarios sont considérés (graphique 13). Le premier suppose que la Côte d’ivoire parvienne à augmenter sa produc- La transforma- tivité de 3% par an, ce qui lui permettra d’atteindre un niveau moyen de revenu tion graduelle par travailleur de 4633 US$ en 2025. Ce taux est relativement modeste car il de la structure correspond au taux moyen reporté par les pays africains pendant la période de l’emploi 2000-12. Le deuxième scénario suppose que la productivité s’améliore de 5,5 constitue une % par an, ce qui permettra au pays d’atteindre un niveau moyen de revenu par bonne travailleur de 6 328 US$ en 2025. Cette performance correspond à celle qui nouvelle pour a été enregistrée par les «champions» africains comme le Nigéria et le Gha- les Ivoiriens. na. Enfin, le troisième scénario montre que la Côte d’ivoire atteindra un niveau moyen de revenu par travailleur de 7 603 US$ en 2025 si sa productivité s’ac- croît de 7% par an. Ce dernier taux est celui qui a été enregistré par l’Asie du Sud Est mais il semble difficile à réaliser pour la Côte d’Ivoire en raison de la croissance rapide de sa population active. 2025 serait de 41% en 2025 (contre 27% dans le scénario de base). 26 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Le défi de l’emploi pour la Côte d’Ivoire est donc celui d’accroître la productivité des travailleurs de manière soutenue au cours du temps. Or, la transformation structurelle du marché du travail, si elle est utile, ne saura être suffisante pour engendrer les gains nécessaires. Pour réussir, la Côte d’Ivoire devra non seu- lement compter sur le déplacement de ses travailleurs vers les secteurs les plus productifs mais aussi être capable de générer des gains de productivité La réponse au dans les catégories d’emploi où seront encore occupés la majorité des Ivoi- défi de la riens. La raison est simple: plus des 2/3 de la population active travailleront en qualité de agriculture, même si sa part est en baisse, et dans des emplois indépendants l’emploi en Côte hors-agricoles en 2025. Parce qu’il est anticipé que ces derniers capteront ra- d’Ivoire doit pidement près de 40% des occupations, une attention particulière devra être reposer sur donnée à cette catégorie d’emploi. Sinon, le risque est que les travailleurs en une stratégie provenance du monde agricole se déplacent vers des activités peu rémuné- qui permettra ratrices en milieu urbain, générant un nombre croissant d’exclus dans les ci- d’augmenter la tés ivoiriennes. Leurs frustrations vont s’accumuler, accentuant les risques de productivité des conflits sociaux. travailleurs. En fait, le succès de bon nombre de pays émergents a été leur capacité à en- courager la transformation structurelle de leur marché du travail, tout en réus- sissant à accroître la productivité des activités où sont occupés la majorité de leurs travailleurs, tout au moins pendant la transition. L’Inde a réussi à aug- menter le revenu moyen de ses travailleurs par 6,3 % par an entre 2000 et 2012 grâce à cette double combinaison. Ses travailleurs se sont déplacés vers les secteurs plus productifs (notamment dans les services) mais des gains de productivité ont été obtenus dans les secteurs traditionnels à haute intensité de main d’œuvre, comme l’agriculture et la construction, grâce à une améliora- tion des compétences et l’essor des petites et moyennes entreprises.25 La Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer de cette réussite. 2.3 Comment augmenter la productivité du travail ? La réponse au défi de la qualité de l’emploi en Côte d’Ivoire doit reposer sur une stratégie qui permettra d’augmenter la productivité des travailleurs. Cette stratégie devra inclure des actions transversales qui permettront d’amélio- rer l’environnement économique du pays mais aussi des actions spécifiques qui prendront en compte les spécificités de chacune des catégories d’emploi qui existe en Côte d’Ivoire. En effet, les contraintes auxquelles doit faire face un petit exploitant agricole dans le Nord du pays sont différentes de celles que doit subir un travailleur indépendant à Abidjan ou un chef d’entreprise à San Pedro. Même quand les contraintes apparaissent identiques comme, par exemple le manque de compétences, les moyens pour les corriger ne sont pas forcément similaires. 25 Hanan G. Jacoby and Basab Dasgupta, Changing Wage Structure in India in the Post-Re form Era: 1993-2011, World Bank, Policy Research Working Paper 7426, septembre 2015. 27 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Tableau 3: Une ébauche de plan d’actions pour l’emploi Maximiser les effets croisés entre investissements, technologie et Axe 1: Augmenter la productivité des indépendants non agricoles par (i) leur légitimation avec contrats de confiance et (ii) programmes in- tégrés de formation et financement ciblant jeunes et femmes. Programmes de travaux publics et partenariats Axe 2: Faciliter la création d’emplois salariés en (i) stimulant la de- mande des entreprises (accès au crédit; assouplissement du climat Stabilité du cadre macro-économique des affaires et de la réglementation du travail) et (ii) mise à niveau des compétences par une réforme de l’enseignement secondaire et tech- nique ainsi que des partenariats avec le secteur privé. Sécurité et infrastructures Axe 3: Améliorer la productivité agricole pour de meilleurs revenus en encourageant la commercialisation et la diversification par (i) l’émer- gence d’économie d’échelle le long des chaînes de valeurs (asso- ciations et contrats-fournisseurs) et (ii) utilisation d’outils technolo- capital humain giques (mobile, solaire, irrigation). C’est dans cet esprit qu’un plan d’actions est ébauché dans le tableau 3. Il propose une combinaison d’actions transversales qui agissent simultanément sur le marché du travail avec des mesures spéci- fiques qui visent l’emploi indépendant, salarié et agricole. Si chacune de ces catégories d’emploi présente ses propres particularités, leur interdépendance devra aussi être cultivée par l’optimisation de synergies. Au niveau des actions transversales, il n’y a guère besoin de s’attarder sur le besoin d’améliorer les condi- tions dans l’environnement économique du pays. En effet, la mise en place d’un environnement stable et propice à l’investissement est indispensable pour stimuler la croissance économique et l’emploi. Au niveau des facteurs macro-économiques, il n’y a guère de doute que la forte croissance économique a agi et continuera à influer positivement sur la productivité du travail. Cet effet est d’abord mécanique à travers un effet de rattrapage des niveaux de capacités en raison de la hausse de la demande. La hausse de la demande engendre une hausse de la production par travailleur et donc de sa productivité. Cet effet a déjà pu être constaté dans les secteurs manufacturiers et de services depuis la reprise économique en 2011 où les gains de productivité ont été de l’ordre de 4,6 et 7,7% par an respectivement. Seul le com- merce, en grande partie informel, a enregistré une légère baisse de sa productivité, certainement à cause de l’arrivée massive de travailleurs dans cette catégorie d’emploi et la faible rentabilité du secteur. Au-delà de cet effet de rattrapage et de demande, plusieurs facteurs contextuels influent sur la producti- vité du travail. Les effets croisés entre investissements technologiques et productivité du travail ont été depuis longtemps mis en évidence par D. Acemoglu.26 Un travailleur devient plus productif avec une nou- velle machine, mais une nouvelle machine est utile uniquement si le travailleur sait s’en servir. Ces effets croisés se retrouvent à plusieurs niveaux, notamment dans la provision d’infrastructures et de services sociaux de base. Par exemple, une amélioration des services de la santé réduit le taux d’absentéisme au 26 D. Acemoglu, Technical Change, Inequality, and the Labor Market, Journal of Economic Literature, v:40,p:7-72, 2002. 28 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 travail. Une réduction du coût de transport augmente le temps disponible pour travailler. Une baisse de l’insécurité améliore le rendement du travailleur. L’im- portance de ces effets est bien comprise en Côte d’Ivoire et explique l’effort soutenu des autorités dans tous ces domaines. Le rôle de l’État est décisif non seulement pour optimiser ses effets croisés mais aussi pour créer des opportunités d’emploi à travers des programmes d’emploi et des partenariats avec le secteur privé. Le développement d’in- Le rôle de l’État frastructures, notamment de proximité, donne l’occasion de promouvoir des est programmes à haute intensité de main d’œuvre visant à fournir des emplois décisif non temporaires aux jeunes. La Côte d’Ivoire a expérimenté ce type de programmes seulement pour notamment dans le cadre du Projet Emploi Jeune et Développement des Com- optimiser ses pétences (PEJEDEC), dont l’évaluation en cours fournira des résultats sur l’ef- effets ficacité de cette approche. Très fréquemment, l’État doit faire appel à des en- croisés mais treprises privées pour ses achats de biens et services ainsi que la construction aussi pour créer d’infrastructures. Il est important ici de préciser que l’objectif du gouverne- des ment ne doit pas être la préférence nationale mais plutôt la création d’emploi opportunités pour les nationaux et les opportunités d’acquérir des compétences au cours d’emploi à du temps. Parfois les autorités choisissent de favoriser leurs entreprises na- travers des tionales même si celles-ci-pratiquent des prix plus élevés et proposent moins programmes de postes de travail et de programmes de formation. L’exemple de la Malaisie d’emploi et des peut servir d’inspiration car les autorités ont cherché à privilégier la formation partenariats de leurs nationaux au-delà de la nationalité des entreprises concernées. avec le secteur privé. Toutefois, la mise en place d’actions transversales et la facilitation directe d’emploi à travers le secteur public ont leurs propres limites. L’expérience internationale, en particulier des pays qui ont réussi leur émergence écono- mique, rappelle qu’un certain degré de spécificité doit exister dans les actions pour que celles-ci soient concrètes et efficaces. C’est dans cet esprit qu’est proposé ci-dessous un menu de mesures articulées autour de trois axes: • Augmenter la productivité des indépendants non agricoles. • Faciliter la création d’emplois salariés. • Améliorer la productivité agricole pour de meilleurs revenus AXE 1: AUGMENTER LA PRODUCTIVITÉ DES INDÉPENDANTS NON-AGRICOLES L’emploi indépendant non-agricole occupe environ 3,1 million de travailleurs en Côte d’Ivoire, et il est prévu une forte augmentation de cette catégorie d’em- ploi dans les années à venir. En 2025, le nombre de travailleurs indépendants pourrait atteindre 8,8 million, soit approximativement 40% de l’emploi total. Le travailleur indépendant est généralement mal payé, puisque sa rémunéra- tion moyenne se situe autour de 63 844 FCFA par mois, ce qui est quand même 60% supérieure à celle reportée dans l’agriculture, expliquant le déplacement des travailleurs agricoles vers les villes au cours de la dernière décennie. Il opère majoritairement dans le commerce, la production de produits alimen- 29 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 taires, la restauration et d’autres services. Il travaille le plus souvent seul (2/3 d’entre eux) et pour les autres dans des petites entreprises familiales. Il a moins de 40 ans (62%), sans éducation formelle (51%), et a autant de probabi- lité d’être un homme ou une femme. Il est presque toujours informel, même si 1/3 de ces travailleurs indépendants reportent être assujettis à une forme de La prépondé- taxe ou de fiscalité. rance de l’emploi La prépondérance de l’emploi indépendant et familial se retrouve dans la plu- indépendant part des pays du continent africain. Elle reflète l’absence d’alternatives sur le et familial se marché du travail pour la majorité des travailleurs (encadré 2). Si bien que ces retrouve dans travailleurs n’ont que rarement la compétence et la motivation pour devenir de la plupart des véritables entrepreneurs (Graphique 14). Pourtant, la réussite d’une minorité pays du d’entre eux suffirait à créer ce «chainon manquant» qui est celui de transfor- continent mer progressivement ces micro-entreprises en petites et moyennes puis en africain. grandes entreprises. Si un travailleur indépendant sur dix d’entre eux réus- sissait à embaucher un employé supplémentaire chaque année, cela pourrait créer plus de 200 000 nouveaux emplois par an. En outre, si leur productivité augmentait ne serait-ce que légèrement, elle entrainerait des gains de revenus pour une tranche très large de la population active. Encadré 2: Les micro-entrepreneurs ne sont pas toujours de véritables entrepreneurs Dans les pays industrialisés, les jeunes et nouveaux entrepreneurs sont une source de dy- namisme. Aux États-Unis, les petites et moyennes entreprises créent 2/3 des nouveaux em- plois et sont la principale source innovante du pays (Source: US Small Business Administra- tion, 2015). Cela est loin d’être le cas dans les pays africains, y compris la Côte d’Ivoire car la majorité des travailleurs indépendants ne le sont pas par choix mais parce qu’ils n’ont pas d’alternatives. Ils n’ont guère de compétences pour devenir de «véritables» entrepreneurs. Kouassi n’a qu’une formation limitée et des perspectives d’emploi réduites. Kouassi a mon- té un petit kiosque, il vend des denrées alimentaires et quelques biens de première nécessité dans son quartier. Les affaires vont tant bien que mal, et Kouassi gère son affaire avec le soutien de son frère et de sa femme. Ces micro-entreprises de commerce prolifèrent dans les zones urbaines en Côte d’Ivoire, sans grande perspectives de croissance tout en procu- rant un revenu plutôt limité à ses initiateurs. Marie a fini son école secondaire et obtenu son certificat. Elle s’est perfectionnée en in- formatique et est à la recherche d’un emploi de secrétaire dans une entreprise ou dans la fonction publique. Malgré ses efforts constants, ses recherches n’ont pas encore abou- ti. Pour joindre les deux bouts, elle effectue des travaux de couture pour sa famille et ses connaissances. La faible productivité des travailleurs indépendants trouve son origine dans de multiples causes. Eux-mêmes indiquent que leurs principales entraves sont (par ordre décroissant): (i) le manque d’accès au crédit; (ii) les interfé- rences des autorités locales (impôts et licences); (iii) l’accès au terrain et aux 30 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 infrastructures (transports et électricité); et (iv) les compétences.27 Plusieurs études ont aussi montré que, dans le contexte africain, leur manque de pro- ductivité provenait aussi de leur taille réduite et leur informalité, qui empêchait l’émergence d’économie d’échelles. Par exemple, au risque de généraliser, les entreprises ivoiriennes qui opèrent dans l’informalité apparaissent moins pro- ductives même s’il existe une grande variabilité parmi elles (cf. Graphique 15).28 Graphique 14: La majorité des travailleurs Graphique 15: Les entreprises non formelles sont indépendants non agricoles n’ont pas ou ont peu moins productives que les formelles d’éducation 51,3 18,5 16,1 14,2 Pas Primaire Primaire Secondaire d'Education Incomplet Complet Complet et + Source: Banque mondiale et OCDE. L’action doit donc porter sur la réduction, voire l’élimination des principales contraintes qui nuisent à l’épanouissement des travailleurs indépendants. La première action consisterait par leur offrir une reconnaissance légale et juri- L’amnistie fis- dique car ces opérateurs doivent le plus souvent opérer dans l’illégalité. Ils sont cale proposée vulnérables aux décisions des autorités ce qui les empêchent d’investir dans le par les autori- plus long terme.29 L’amnistie fiscale proposée par les autorités ivoiriennes aux tés ivoiriennes petites entreprises qui désirent s’immatriculer répond à cette logique et elle aux petites est salutaire. Elle n’est sans doute pas suffisante car la reconnaissance pour entreprises la plupart des opérateurs informels commence par la possibilité de sécuriser qui désirent s’immatriculer 27 Source: PEJEDEC, Apprenticeship Impact Evaluation baseline survey. répond à cette 28 Le lien entre productivité des entreprises et informalité est parfois ambigu, reflétant sans nul doute l’hétérogénéité du secteur informel. Celui-ci inclut des opérateurs qui n’ont ni logique et elle les compétences humaines, ni les ressources humaines pour s’enregistrer formellement. est salutaire. Il peut aussi inclure des opérateurs de taille respectable qui choisissent de rester dans l’informel. Par exemple, McKenzie et Sakho (2007) montrent que dans le cas de la Bolivie, les entreprises informelles sont plus productives car elles évitent les lourdeurs et les in convénients administratifs (source: D. McKenzie et S. Sakho, Does It Pay Firms to Re gister for Taxes? The Impact of Formality on Firm Profitability, World Bank, Working Paper Series, 2007) 29 Cf. par exemple, L. Fox et J. Kweka, The Household Enterprise Sector in Tanzania: Why It Matters and who Cares, World Bank, Working Policy Paper Series, 2011. 31 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 le lieu de travail. Il est ainsi montré que la productivité des travailleurs indépendants et des entreprises familiales ait augmentée à partir du moment où ceux-ci peuvent opérer à partir d’un lieu fixe (place de marché, local) plutôt que sur un mode ambu- latoire.30 Dans ce sens, le rôle des autorités municipales deviendrait central car elles peuvent procurer des contrats de confiance, qui constitueraient un premier pas vers la formalité de ces entreprises (voir encadré 3). Encadrer 3: Développement urbain: Le contrat de confiance avec les autorités municipales En Décembre 2011, le conseil municipal de Ilala (IMC) à Dar Es Salaam en Tanzanie a commencé la mise en œuvre de la première phase d’un programme d’assistance pilote pour promouvoir le développement des micro-entreprises et des entreprises familiales. Cette initiative faisait suite aux recommandations de l’étude diagnostique qui avait été menée par la Banque mondiale, en collaboration avec les autorités tanzaniennes. La phase pilote visait à abaisser les contraintes auxquelles devaient faire face les petites entre- prises lors de leurs opérations, notamment (i) l’absence de statut légal ; (ii) la difficulté à trouver des locaux commerciaux à des prix abordables  ; (iii) le manque de dialogue avec les autorités municipales ; (iv) les compétences réduites en matière de gestion des affaires ; et enfin, (v) l’accès au crédit abordable. La priorité a été de renforcer la légitimité de ces micro-entreprises car elles fonctionnent presque toujours dans l’informel, et sont donc illégales aux yeux des autorités. Des forums et des groupes de travail ont été organisés pour renforcer le dialogue entre ces opérateurs et les autorités mu- nicipales afin d’établir un climat de confiance et trouver des solutions communes. Celles-ci ont mis l’accent sur l’octroi de licences / réglementation simples de manière à légaliser ces activités. Ensuite, plusieurs initiatives ont été lancées pour identifier des espaces de travail sécurisés que pourraient utiliser ces opérateurs qui sont le plus souvent ambulants. Enfin, une évaluation a été effectuée afin d’identifier les compétences qui pourraient être les plus bénéfiques pour ces opé- rateurs. Les premiers résultats ont montré que la mise en place d’un dialogue entre le gouvernement mu- nicipal et les micro-opérateurs est un premier pas essentiel pour instaurer un climat de confiance. Ce premier pas n’est pourtant pas facile à réaliser car la défiance entre ces deux groupes était considérable au départ. La constitution d’une équipe spécialement dédiée à ce dialogue a per- mis de rendre les autorités locales et les directions municipales plus conscientes des problèmes auxquels doivent faire face les petites entreprises. Une des solutions concrètes a été d’autoriser des marchés «ouverts» selon des jours et des heures spécifiques, en accord avec les règlements municipaux. Cette initiative est encore en cours. Source: Banque mondiale (Juin 2012), “Promouvoir les entreprises ménages de Tanzanie: Initiative pilote à la municipalité de Ilala’’, Conseil Municipal Ilala. Rapport initial. 30 En Côte d’Ivoire, une micro-entreprise qui opère depuis une rue, un marché, ou un immeuble est généralement plus profitable que celle qui opère depuis une maison familiale ou celle qui ne possède pas un lieu fixe de travaille. Par exemple, une entreprise dans un marché reporte en moyenne un profit d’environ 35% supérieur à celle qui opère depuis une maison. 32 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Les travailleurs indépendants et les micro-entrepreneurs citent sans équivoque l’accès aux capitaux et au crédit comme la contrainte majeure à laquelle ils font face.31 Les politiques et programmes de soutien aux micro-entreprises du gouvernement ivoirien doivent donc aborder les contraintes de financement en priorité. Les initiatives ne manquent pas à travers le monde en développement, mais elles doivent s’attaquer tant aux problèmes du côté de l’offre que de la Une action demande de crédits. Du côté de l’offre, les banques ou autres établissements qui semble de crédits n’accordent qu’une attention limitée à ces clients car les coûts de avoir porté ses transaction ainsi que les risques sont élevés. Du côté de la demande, ces opé- fruits dans rateurs n’ont pas souvent la connaissance et les outils nécessaires pour de- de nombreux mander et gérer l’obtention de fonds extérieurs. Ces carences expliquent pour- pays est de quoi ces opérateurs utilisent uniquement leurs ressources propres (ou celles combiner des de leur proches) qui sont limitées par leur insuffisance d’épargne. Parce que programmes ces problèmes sont complexes, il est relativement difficile de trouver beaucoup de financement de programmes qui ont réussi à travers le monde et surtout de s’accorder s’ils avec l’apport de peuvent être mis à échelle et répliqués en Côte d’Ivoire. Parmi les réussites, compétences. il convient toutefois de mettre en avant le projet YOP en Ouganda.32 De ma- nière générale, l’utilisation de téléphones portables, notamment dans des pays comme le Kenya et la Tanzanie, semble être une piste intéressante car elle permet de réduire les coûts d’information et de transaction tant pour les opé- rateurs que pour les établissements financiers.33 Une action qui semble avoir porté ses fruits dans de nombreux pays est de combiner des programmes de financement avec l’apport de compétences (cf. encadré 4 pour des exemples). Ces programmes intégrés apparaissent plus efficaces que ceux qui cherchent à résoudre chacune de ces contraintes de manière individuelle.34 A l’inverse, les programmes de formation aux travail- leurs indépendants ne rencontrent pas le succès escompté car il est difficile de mettre à niveau des micro-entrepreneurs sans éducation en leur procu- rant quelques formations de base en quelques mois, même si les chances de réussite augmentent lorsque ces programmes cherchent à couvrir tant des connaissances techniques que cognitives.35 En fait, plusieurs études d’évalua- tion récentes estiment que les programmes de formation sont moins efficaces 31 Source: PEJEDEC, Apprenticeship Impact Evaluation baseline survey. 32 Des jeunes adultes de la région de conflit au nord de l’Ouganda ont été invités à former des groupes et de soumettre des propositions afin de recevoir des subventions et ainsi amélio- rer leur formation professionnelle et créer leur entreprise. Les subventions ont été attribuées à la hauteur de $382 par bénéficiaire, qui a pu utiliser cet argent pour se former et/ou acheter des outils et des matériaux nécessaires à son activité. Après quatre ans, la moitié des bénéficiaires de ce programme avait sécurisé un emploi ou créé leur propre entreprise. Par rapport au groupe de contrôle, le programme avait augmenté les actifs de l’entreprise de 57%, les heures de travail de 17%, et le bénéfice de 38%. Beaucoup ont aussi formalisé leurs entreprises et ont embauché de la main-d’œuvre. Source: YOP étude d’impact de program NUSAF appuyé par la Banque Mondiale en Ouganda: http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2015/1 0/09/090224b083134311/1_0/Rendered/PDF/Des0transferts0buer000la0stabilit00.pdf. 33 Le taux d’utilisation de comptes mobiles est de 58% au Kenya, alors qu’il n’est que de 24% en Côte d’Ivoire (Source: Banque mondiale, Global Findex, 2014) 34 Les programmes intégrés sont 1/3 plus efficaces que les programmes de formation selon S$YE, Toward Solutions for Youth Employment, A 2015 Baseline Report. 35 Plusieurs expérimentations sont en cours en Côte d’ivoire, comme par exemple à travers le projet PRISE ou le Fonds National de la Jeunesse, mais il est encore trop tôt pour évaluer leurs résultats. 33 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 que les assistances financières.36 Les programmes intégrés s’attaquent simul- tanément à deux des contraintes majeures auxquelles font face les micro-en- trepreneurs. L’accès au financement n’est pas suffisant si le bénéficiaire n’a pas les outils nécessaires pour établir ne serait-ce qu’une simple comptabilité. Les travailleurs De manière similaire, la formation n’est pas une motivation suffisante si elle indépendants n’est pas accompagnée par la possibilité de mettre en œuvre les nouvelles émergeants connaissances acquises par un appui financier. sont donc plus dynamiques et Enfin, une autre direction qui semble émerger des expériences récentes est créateurs que ces programmes intégrés sont plus efficaces quand ils ciblent les jeunes d’emplois que opérateurs (ceux qui viennent d’entrer sur le marché) et les femmes. Les pre- ceux qui sont miers sont en effet plus aptes à incorporer de nouvelles connaissances et à déjà établis innover, comme cela a été montré, par exemple, en Inde.37 Les travailleurs in- depuis dépendants émergeant sont donc plus dynamiques et créateurs d’emplois que plusieurs ceux qui sont déjà établis depuis plusieurs années. Il semble également que années. les programmes de soutien aux femmes-entrepreneurs ont des meilleurs taux de réussite car ces dernières sont généralement désavantagées par rapport aux hommes. Les programmes de soutien leur permettent donc de combler leur déficit initial en éducation et d’accéder à des ressources financières qui ne leur seraient pas disponibles autrement. 36 Pour un survol de cette littérature; voir par exemple, David McKenzie: http://wbro.oxford journals.org/content/early/2013/07/22/wbro.lkt007.) 37 E. Ghani, W.R. Kerr, and S. O’Connell, Who Creates Jobs? Economic Premises N. 70, World Bank, novembre 2011. 34 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Encadré 4 : Programmes intégrés de formation et financement Kenya: Projet Baobab est un programme géré par une ONG qui enseigne aux jeunes encore à l’école secondaire des compétences pour atteindre une indépendance économique, en partenariat avec des écoles secondaires. Il cible des jeunes, principalement des femmes, localisés en zone rurale. Il est arti- culé autour des trois éléments suivants: • Compétences générales: Formation introduite en 2ème et 3ème années du cycle secondaire vi- sant à promouvoir la communication, l’information et l’auto-assurance. • Compétences entrepreneuriales: Cours introduits en 4ème année du cycle secondaire visant à transmettre des connaissances sur la gestion d’une entreprise et de projets, y compris l’organisa- tion de stages et d’exercices concrets. • Appui financier: les participants peuvent soumettre des projets à un comité, composé de représen- tants du secteur privé pour obtenir des microcrédits et ainsi lancer une activité. En outre chaque année, 3 ou 4 prix de 100 dollars sont donnés en prime aux meilleurs étudiants de la promotion. L’évaluation de ce programme a montré que 50% des appuis financiers permettaient de développer des activités avec des marges de gains, même si environ 20% des autres cessaient leurs activités eu égard à un échec. Inde: Microcrédits pour la jeunesse. L’initiative menée en Inde appelée Commonwealth Youth Credit Ini- tiative (CYCI) propose des micro-crédits à travers un ciblage précis des bénéficiaires potentiels. Elle vise des jeunes gens sans emploi et offre également des mesures d’accompagnement comme de la forma- tion et de l’assistance technique. L’objectif est de créer des opportunités d’emploi à un coût moindre en promouvant l’auto-emploi et les petites entreprises tout en favorisant l’essor des jeunes et organisa- tions. Les crédits sont offerts à des taux subventionnés en partenariat avec des ONGs et des fournis- seurs de formation et d’assistance aux entreprises. Le programme est articulé en trois étapes succes- sives: (i) Pre-Crédit (ciblage et présélection) ; (ii) programme de formation (cours, assistance technique, etc.) ; et (iii) apport financier (crédit, programme financier, cours et suivi et évaluation). En Inde, le CYCI a commencé par un projet pilote de 3 années à travers lequel 82% des bénéficiaires ont réussi à démarrer et à établir une activité de manière pérenne. La participation des femmes a dépassé 75% du total qui a atteint 2 500 jeunes gens. Ce succès a permis l’extension de ce programme à plusieurs pays d’Asie et d’Amérique Latine. En Afrique, il a été initié au Ghana en 2005 et des contacts ont été pris avec les auto- rités du Cameroun, Mozambique, Seychelles et Sierra Leone. Source: S. Pezzullo, Project Effectiveness and Impact: Youth employability and Job Placement, Baltimore, MD, International Youth Fondation, 2005 et G. Betcherman et al, A Review of Interventions to Support Young Workers: Findings of the Youth Employment Inventory, 2007. AXE 2 : A LA RECHERCHE D’UN EMPLOI SALARIE Les salariés employés par une entreprise non-familiale représentent environ un travail- leur sur cinq en Côte d’Ivoire. L’emploi salarié présente les caractéristiques suivantes: • 6 salariés sur 10 sont informels, à savoir qu’ils sont payés par leur employeur sans contrat de travail et souvent en dessous du salaire légal minimum. 35 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 • Parmi les salariés avec un contrat de travail, la moitié d’entre eux sont des fonctionnaires public • Dans le secteur privé, la concentration des salariés est forte autour du com- merce (26%); transport et communication (16%), éducation (11%) et immo- bilier (10%). Les salariés sont en • Uniquement 12.4% des salariés sont employés dans des entreprises avec général mieux plus de 200 employés, alors que 50% travaillent dans des entreprises avec rémunérés que moins de 6 employés. les autres • 44.8% des employés salariés sont localisés à Abidjan et ses banlieues. catégories d’emploi. En Les salariés sont en général mieux rémunérés que les autres catégories d’em- moyenne, ils ploi. En moyenne, ils gagnent 7,7 fois plus qu’un agriculteur ou 4,8 fois davantage gagnent 7,7 que les travailleurs indépendants. Ceux qui sont embauchés par une entreprise fois plus qu’un formelle ou par l’État reportent des rémunérations mensuelles qui atteignent en agriculteur ou moyenne 306 477 et de 475 757 FCFA respectivement. Ces différences expliquent 4,8 fois que de nombreux jeunes Ivoiriens continuent à rêver de devenir un employé de la davantage que fonction publique ou d’une grande entreprise. les travailleurs indépendants. Le manque d’emploi salarié s’explique en grande partie par l’anémie de la de- mande, notamment en provenance des entreprises formelles. Si ces entreprises ne cherchent pas de travailleurs, il n’y a pas de création d’emploi salarié. Or, la création d’entreprises formelles, malgré une accélération depuis 2011, reste limitée en Côte d’Ivoire. En 2014, l’Agence de Promotion des Investissements (CEPICI) n’a reporté la création que de 2500 nouvelles entreprises, soit un taux de création de 17 entreprises formelles pour 1000 personnes en âge de travail- ler.38 Ce taux avoisine 127 dans les pays en développement et même 434 dans les économies à haut niveau de revenus.39 En Afrique, la moyenne n’est que de 63, mais supérieure à la Côte d’Ivoire. La faible demande pour des travailleurs salariés provient du manque de dyna- misme des entreprises formelles mais aussi du type d’entreprises qu’on retrouve actuellement en Côte d’Ivoire. Bien que le nombre d’entreprises informelles et formelles soit relativement élevé (autour de 3 millions), près de 90% d’entre elles sont soit de l’auto-emploi ou des entreprises de très petites tailles avec des perspectives de croissance (et donc d’emploi) relativement réduites.40 Les autres entreprises, celles qui incluent les petites et moyennes entreprises ne dépassent pas 200 000 dans le pays et encore il est raisonnable de penser que pas plus de 40 000 d’entre elles ont plus de 5 employés. Les grandes entreprises, avec plus 38 Source: Centre de Promotion des Investissements. En 2015, cette agence prévoit que le nombre de nouvelles entreprises va bondir à plus de 5000, soit un taux de création de 35 par 1000 personnes en âge de travailler. 39 Pour les comparaisons internationales, voir Entrepreneurship database, Banque mondiale. http://www.doingbusiness.org/data/exploretopics/entrepreneurship. 40 Ces estimations sont basées sur la dernière enquête de l’emploi, qui identifie le nombre d’entreprises en auto-emploi ainsi que le nombre d’employés en entreprises familiales et non fa- miliales. Le taux d’entreprenariat en Côte d’Ivoire se situe autour de 27%, soit autour d’un travailleur sur quatre. Ce taux d’entrepreneuriat est inférieur à celui de l’Ouganda (35%) mais plus élevé qu’au Burkina (18%) ou au Brésil (15%). Source: Global Entrepreneurship Monitor, 2015. 36 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 de 200 employés, sont autour de 2 000 avec une presque totale concentration à Abidjan et San-Pedro. Dans ce contexte, la priorité pour créer des emplois salariés est donc d’en- courager l’émergence de nouvelles entreprises ainsi que le développement de celles qui sont déjà en place. Or, les conditions ne sont pas remplies en Côte Pour d’Ivoire, comme le décrit l’ancien Directeur de l’Agence Française de Dévelop- embaucher, une pement, J.M. Sévérino: «les entrepreneurs sont des héros, et pas simplement entreprise doit en raison des défaillances du système fiscal et institutionnel ou de la corrup- grandir et pour tion. C’est bien d’avoir une usine, mais encore faut-il que la route ne soit pas grandir, elle doit inondée six mois par an et que l’électricité fonctionne plus de quelques heures vendre et être par jour». compétitive. Les contraintes au développement des entreprises privées sont nombreuses et diverses. Pour embaucher, une entreprise doit grandir et pour grandir, elle doit vendre et être compétitive. L’enquête des entreprises 2009 rappelle que la principale contrainte, telles que perçue par les entreprises, est le coût et le manque d’accès aux crédits (Graphique 16). Les entrepreneurs mettent aussi en avant la corruption, l’accès au foncier et aux infrastructures. La contrainte liée au manque de financement doit cependant être qualifiée car elle concerne surtout les jeunes entreprises, de taille réduite, et à capitaux domestiques qui ne font pas parties de grands groupes. Un examen du bilan des banques com- merciales montre, en effet, que les crédits aux grandes entreprises a été en constante progression depuis la reprise économique en 2012 même si la ma- jorité des crédits (près de 60% en 2014) restent de court terme. La facilitation de l’accès au financement pour les entreprises doit commencer par le système bancaire dont les règles pourraient s’assouplir (la Côte d’Ivoire se situe au 133ème rang de l’indicateur «obtenir un crédit» dans le classement de Doing Business) de manière à favoriser la prise de risque et le soutien aux petites et moyennes entreprises. Plusieurs initiatives sont en cours pour ré- duire les asymétries d’information (les centrales d’information mises en place par la BCEAO ont encore de nombreuses faiblesses) et simplifier les coûts de transaction (par exemple, e-banking). Le marché bancaire est aussi devenu plus concurrentiel avec l’établissement de 26 banques commerciales contre une vingtaine en 2010. Les efforts doivent continuer par la diversification des instruments, notamment le marché boursier (qui est en expansion) et les as- surances ainsi que le crédit-bail et l’affacturage qui permettent de réduire les coûts initiaux. Ces réformes sont en cours, peut-être à un rythme pas assez ra- pide, mais devraient graduellement améliorer l’accès au crédit en Côte d’Ivoire. 37 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Encadré 5 : Le coup de pouce aux entrepreneurs innovants: l’expé- rience du Nigéria 99,6 pour cent des entreprises nigérianes emploient moins de 10 travailleurs. Où sont les en- trepreneurs qui pourraient développer leur entreprise au-delà de 10 employés ? Peuvent-ils être identifiés? Comment les autorités pourraient-elles les aider à surmonter les obstacles faisant face à la croissance des entreprises ? La stratégie nationale visant à améliorer la compétitivité des entreprises au Nigéria, lancée en 2011, aborde ces questions. Elle a, entre Les retards autres initiatives, créé une compétition qui a attiré près de 24.000 participants, dont 6.000 du pays sont ont été qualifiés pour recevoir une formation de 4 jours pour les aider à formuler un plan d’af- visibles faires. Ensuite, 729 gagnants ont été sélectionnés parmi un groupe de 1.841 demi-finalistes surtout pour recevoir un prix de 50.000 US dollars en moyenne. pour les L’idée était d’explorer dans quelle mesure les décisions d’investissement de jeunes entre- indicateurs preneurs innovants étaient influencées par la mise à disposition d’un capital initial à tra- comme les vers l’obtention d’une bourse modeste. La réponse a été positive. Trois enquêtes de sui- permis de vi annuelles ont montré que la combinaison de gagner le concours pour ensuite acquérir construction, quelques compétences et du capital initial permettait d’accélérer l’entrée de ces nouveaux les paiements entrepreneurs sur le marché, d’accroître leurs chances de survie et d’embaucher davantage des impôts, d’employés. la protection des investis- Source: D. McKenzie, Identifying and Spurring High-Growth Entrepreneurship: Experimental Evidence from a Business Plan Competition, World Bank Policy Research Working Paper 7391, seurs, l’accès 2015 à l’électricité, et le commerce En parallèle, il apparaît utile de développer des initiatives qui mettent l’accent international. sur le rôle catalytique que peut jouer le soutien financier, même modeste. Une expérience récente au Nigéria a montré que l’accès au financement peut appor- ter le coup de pouce indispensable aux entrepreneurs innovants et qui ont déjà un niveau de formation relativement élevé (encadré 5). De telles initiatives se multiplient en Afrique, comme le Prix Alassane Ouattara décernés aux jeunes entrepreneurs en Côte d’Ivoire. Bien entendu, la réussite n’est pas toujours au bout du chemin mais il n’y a pas de gains sans risques et ce sont finalement ces entreprises qui vont embaucher les salariés de demain. Les entreprises sont également contraintes dans leur essor par la lourdeur et la complexité des démarches administratives. Le classement de la Côte d’Ivoire au 142ème rang du rapport Doing Business de la Banque mondiale rappelle que beaucoup de progrès reste à faire dans le climat des affaires (Ta- bleau 4). Les retards du pays sont visibles surtout pour les indicateurs comme les permis de construction, les paiements des impôts, la protection des in- vestisseurs, l’accès à l’électricité, et le commerce international. La réduction des procédures administratives est importante pour au moins trois aspects. Le premier est qu’elle réduit les coûts pour les entreprises qui deviennent plus compétitives. Le deuxième aspect est que leur réduction diminue les barrières à l’entrée, ce qui encourage la venue de nouveaux investisseurs, tant locaux qu’étrangers, qui seront les vecteurs de l’innovation technologique et d’emplois. Enfin, le troisième aspect est que les incitations à contourner ces procédures sont diminuées ce qui revient à réduire les risques de corruption. 38 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Graphique 16: Les 10 Premières Contraintes de Tableau 4: Classement «Doing Business» l’Environnement des Affaires 2016 2015 50 45,2 45 Démarrer une entreprise 46 42 40 35 Gérer les permis de construire 180 179 CIV 28,0 30 SSA Accéder à l’électricité 146 147 25 20 Enregistrer une propriété 109 120 15 7,5 Obtenir un crédit 133 128 10 5,5 3,9 2,9 1,6 1,3 1,2 1,1 5 Protéger les investisseurs minoritaires 155 154 0 Payer les impôts 176 175 Access to Finance Electricty Corruption Access to land Labor Regulations Political Instability Crime, theft, Disorder Transportation Tax Rates Practices of the Informal Sector Commercer internationalement 142 146 Garantir les contrats 120 125 Résoudre la faillite 76 81 Classement total 142 145 Source: Banque mondiale En plus de favoriser la création d’entreprises, le deuxième facteur déterminant pour obtenir un emploi salarié est celui de l’éducation et des compétences. Il y a en effet une forte corrélation entre le niveau de compétence et la probabilité de trouver un emploi salarié.41 Toutefois, une éducation universitaire ne ga- rantit pas un emploi puisque le taux de chômage atteint quand même 15% pour les titulaires de diplôme secondaire et post-secondaires. Paradoxalement, une vaste majorité d’employeurs reconnaissent ne pas trouver suffisamment de travailleurs qualifiés. Il est important de préciser que ces lacunes ne portent pas exclusivement sur les qualifications techniques, mais aussi comportementales (aussi appelées compétences douces) comme la fiabilité, l’autodiscipline, l’assiduité ou le caractère consciencieux.42 Ce problème s’est amplifié par la difficulté à accéder à l’information tant sur les offres de travail que sur la disponibilité de la main d’œuvre si bien que la recherche d’emploi se fait souvent par des canaux infor- mels tels que le «bouche à oreilles» et les liens familiaux. La réglementation relativement rigide du travail décourage aussi l’embauche des entreprises.43` Le premier pas vers une mise en adéquation des compétences acquises et les besoins du marché du travail passe par une refonte du système éducatif. La priorité est de permettre à un nombre croissant de jeunes, de compléter leur éducation secondaire et d’améliorer la qualité de cet enseignement. A titre de comparaison, il y a aujourd’hui seulement 20% des jeunes ivoiriens enregistrés dans le cycle secondaire contre plus de 34% en Thaïlande (voir Graphique 17). Les différences entre ces deux pays dans les autres catégories sont moins nettes, même si la proportion de la population sans éducation reste encore plus élevée en Côte d’Ivoire, et celle bénéficiant d’une éducation post-secondaire moins nombreuse. Le sys- tème éducatif ivoirien doit aussi davantage porter l’attention sur le développement de l’enseignement 41 Un individu avec au moins un diplôme secondaire reporte une probabilité entre 11 et 17 fois plus grande d’obtenir un emploi salarié qu’un travailleur sans éducation. Sa probabilité est entre 8 et 10 fois supérieure par rapport à celle d’un individu qui a obtenu son certificat d’études primaires. 42 D. Filmer and L. Fox, chapitre 3, op. cit. 43 A l’instar de la plupart des pays francophones, le poids des charges fiscales et sociales sur le facteur-travail est relati- vement lourd en Côte d’Ivoire. Le taux marginal d’imposition sur le travail est estimé à 0,67, ce qui est plus élevé par rapport à bon nombre de pays africains (Tanzanie et Kenya); émergeants (Tunisie, Chili et Malaisie); et même industrialisés (Corée, Etats Unis). Il n’y a qu’avec le Sénégal et la France que la Côte d’Ivoire se compare favorablement. 39 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 professionnel, y inclus la qualification et la certification des instituts d’ensei- La priorité est gnements privés, dont la couverture reste largement insuffisante. Non seule- de permettre ment, il semble exister une forte demande pour des emplois techniques mais à un nombre cette filière est aussi relativement courte par rapport au cursus universitaire. croissant de Elle correspond à une réalité du terrain car peu de familles ivoiriennes peuvent jeunes, de aujourd’hui financer de longues études universitaires pour leurs enfants. Ce compléter double problème de l’accès et de la qualité du système éducatif est bien com- leur éducation pris par les autorités ivoiriennes, mais il est au-delà des ambitions de ce rap- secondaire et port, de détailler les réformes du système éducatif ivoirien, sauf pour souligner d’améliorer la qu’elles doivent commencer aujourd’hui pour assurer la qualité des compé- qualité de cet tences de la prochaine génération. enseignement. Graphique 17: Le déficit de la Côte d’Ivoire est au niveau de l’éducation secondaire Côte d’Ivoire Thaïlande 100,0 100,0 90,0 90,0 80,0 80,0 70,0 70,0 60,0 60,0 50,0 50,0 40,0 40,0 30,0 30,0 20,0 20,0 10,0 10,0 0,0 0,0 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 Pas d'ecole Primaire Secondaire Tertaire Pas d'ecole Primaire Secondaire Tertaire Source: Barro et Lee, 2015. En parallèle de la réforme du système éducatif, plusieurs actions complé- mentaires peuvent être envisagées pour améliorer les chances de sécuriser un emploi salarié. Parmi ces actions, la promotion de la formation théorique et pratique, grâce à un partenariat intelligent avec le secteur privé, est perçu comme un outil indispensable, notamment à travers les formations continues sur le site de travail, les apprentissages et les stages au sein des entreprises. Toutes ces possibilités peuvent justifier une intervention de l’État car elles contiennent un élément de «bien public». Les entreprises privées ont tendance à sous-investir dans ces activités en raison de leurs contraintes financières, notamment celles avec une surface financière réduite, et simplement parce qu’elles craignent que leurs employés exploitent leurs nouvelles compétences ailleurs ou pour leur propre compte. En pratique, ces interventions ne sont pas 40 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 toujours réussies car elles souffrent de problèmes de gouvernance.44 L’accent pourrait cependant être mis sur les programmes d’apprentissage en entreprises qui ont l’avantage de mettre les étudiants en relation avec les employeurs. Cette expérience est bien établie dans les pays d’Amérique Latine (Jove- nes en Accion), en Inde (IL&FS) et a commencé à se propager à d’autres régions, y compris l’Afrique (cf. encadré 6). Encadré 6: Formation des jeunes par l’apprentissage ou le stage en entreprise Les programmes intégrés de formation utilisant des périodes d’apprentissage en entreprise pour mettre les étudiants en rela- tion avec les employeurs sont bien établis dans les pays d’Amérique latine et ont commencé à se propager à d’autres régions, y compris l’Afrique. Les programmes Jóvenes en Acción (Jeunesse en action) de la Colombie, par exemple, fournissent trois mois de formation théorique et trois mois de stage en entreprise à de jeunes de 18 à 25 ans, appartenant aux deux couches socioéconomiques les plus basses de la population. De même, le programme Juventud y Empleo (Jeunesse et emploi) de la République dominicaine offre aux 16 à 29 ans n’ayant pas achevé leurs études secondaires, une formation suivie d’un stage dans une entreprise privée. Les programmes de ce type requièrent une collaboration avec le secteur privé pour l’apprentissage en entreprise et la définition du contenu de la formation. Ils offrent généralement un ensemble de compétences, en complétant la formation professionnelle avec une formation aux compétences de la vie, destinée à améliorer l’interaction sociale et les pratiques et attitudes liées au travail. Des évaluations d’impact rigoureuses de plusieurs programmes Jóvenes en Acción montrent des résultats variables, mais prometteurs. En moyenne, ces programmes ont accru l’emploi salarié formel de quatre à six emplois supplémentaires pour 100 participants. Étant donné les faibles taux d’emploi salarié chez les jeunes Africains issus des milieux défavorisés, la valeur relative de cet impact pourrait être importante. Ces programmes ont également conduit à des revenus significativement plus élevés, mais si cet impact est marqué chez les femmes participantes, il n’est pas évident chez les hommes. Les éva- luations du programme Jóvenes en Acción et les récents programmes de formation indiens et jordaniens suggèrent qu’une formule plus complète, telle que la combinaison d’une formation aux compétences comportementales et d’une formation en entreprise, est plus efficace. Ces constatations suggèrent qu’un programme complet (formation plus apprentissages en entre- prises) et ciblé peut constituer un instrument efficace de promotion de l’emploi salarié productif chez les jeunes défavorisés. Des programmes de ce type sont en cours en Afrique, mais peu ont été évalués. Une expérience récente au Kenya montre un exemple d’un programme de ce type. Le programme a été piloté par le Khe Kenya Alliance du Secteur Privé et le Gouvernement Kényan. Le programme offre 3 mois d’entraînement technique en classe et 3 mois de stage dans une firme privée. Le pro- gramme admet des jeunes vulnérables âgés de 15 à 29 ans, avec une définition de vulnérabilité qui inclut toute personne en dehors de l’école et/ou qui n’a pas un emploi permanent. Les résultats d’une évaluation d’impact montrent que le programme avait réussi à augmenter les chances de trouver un emploi payant et permanent de près de 15 points. Cette évaluation a trouvé que le programme avait des effets positifs sur les salaires, surtout sur les participantes femmes et les hommes plus âgés. En effet les salaires ont augmenté de K Sh 7,500 pour les femmes et K Sh 5,00 pour les hommes. Avec un coût total par bénéficiaire de K Sh 97,000, et un salaire mensuel moyen de K Sh 9,623 pour les femmes et K Sh 6,768 pour les hommes, les avantages du programme ont dépassés leurs coûts. Sources: D. Filmer et L. Fox (2014), chapitre 6, op. cit. 44 Pour une critique de ces interventions, cf. le rapport de la Banque mondiale: L’emploi des jeunes en Afrique sub-saha- rienne, op.cit (pp. 94-96). Le principal argument est que ces programmes sont le plus souvent utilisés par les entreprises et les employés qui n’ont pas de véritables contraintes financières. La délivrance des programmes de formation est aussi souvent ina- déquate car accaparée par les pouvoirs publics. 41 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 AXE 3: UNE HAUSSE DE LA PRODUCTIVITÉ AGRICOLE POUR DE MEILLEURS REVENUS L’emploi agricole est presque exclusivement de l’auto-emploi et de l’emploi fa- Les exploi- milial puisqu’à peine 3% des travailleurs agricoles déclarent recevoir un salaire tations qui versé par un employeur qui n’est pas de sa famille. Le principal défi de l’emploi vendent leur dans le secteur agricole est d’augmenter les revenus des travailleurs qui se si- production tuent en moyenne autour de 40 000 FCFA par mois, soit largement inférieurs à sont en général ceux observés dans les autres secteurs. La rémunération peu élevée des travail- plus produc- leurs agricoles s’explique par leur faible productivité, qui est bien connue.45 Par tives car leurs exemple, le récent rapport de l’OCDE souligne non seulement que la productivité propriétaires moyenne agricole est faible en Côte d’Ivoire mais s’est aussi affaiblie à la suite des ont davantage crises politiques. En l’espace de 20 ans, alors que le Vietnam a augmenté la valeur de motivation agricole nette par hectare de 675 US$, la Côte d’Ivoire ne l’a augmenté que de 174 d’accroître la US$. quantité et la qualité de leurs Pour stimuler la productivité agricole, l’expérience tant internationale que nationale produits et donc a montré que la commercialisation de la production constitue une partie de la so- d’embaucher lution. Les exploitations qui vendent leur production sont en général plus produc- des travailleurs tives car leurs propriétaires ont davantage de motivation d’accroître la quantité et la supplémen- qualité de leurs produits et donc d’embaucher des travailleurs supplémentaires.46 taires. En outre, la commercialisation offre des opportunités de création d’emplois le long de la chaîne de valeur, notamment en termes de transport, de magasinage et de transformation. L’agriculture ivoirienne est déjà relativement commercialisée, mais l’accroissement de la commercialisation est un vaste et complexe chantier qui nécessite une com- binaison d’actions au sein et en dehors des exploitations agricoles. Au sein des exploitations, l’utilisation de meilleurs engrais et équipements ainsi que de tech- niques modernes d’irrigation sont souvent des facteurs déterminants. Cet effort doit s’accompagner par une réduction des coûts de transport et des frais d’inter- médiation par une meilleure infrastructure et transparence au niveau des prix. La sécurisation du foncier est aussi indispensable pour une politique d’investissement à long terme et un meilleur accès au financement externe. L’accent est mis ci-dessous sur deux dimensions de politiques économiques qui sont susceptibles de jouer un rôle déterminant dans l’effort de la Côte d’Ivoire à améliorer la productivité de son secteur agricole. La première souligne l’importance de promouvoir les économies d’échelle parmi les petits exploitants qui constituent la grande majorité des fermes en Côte d’Ivoire. Ces économies d’échelle peuvent 45 La rémunération des exploitants agricoles est aussi constituée de revenus non-moné- taires, comme l’auto-alimentation qui n’est pas inclue dans les statistiques, et elle fluctue au cours du temps car elle est aussi influencée par des facteurs qui sont en dehors du contrôle du pays, comme les prix internationaux et les changements climatiques. Par exemple, la hausse du prix du cacao sur les marchés internationaux depuis 2013 a contribué à une augmentation du prix hors champs d’environ 30% et donc à un revenu plus élevé pour les producteurs. 46 Si dans le long terme, il existe une substitution possible entre travail et capital, l’effet à court terme de la commercialisation se traduit le plus souvent par une hausse de l’emploi au sein des exploitations agricoles. Voire l’exemple de la Thaïlande ou de l’Inde où la hausse de productivi- té agricole a été accompagnée par une hausse de l’emploi au cours des deux dernières décennies. 42 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 être réalisées par la mise en place de réseaux, généralement à vocation communau- taire, qui sont efficaces pour réduire les coûts fixes car, individuellement, les petits producteurs n’ont pas le capital de départ ou le fonds de roulement suffisant.47 Ces réseaux sont aussi utiles pour attirer des commerçants ainsi que des prestataires L’avantage de services (banques, assureurs) car ils permettent d’augmenter la taille du marché de ces et de mieux répartir les risques. Peu de banques ou de transporteurs se déplacent partenariats, pour un seul fermier. Cette stratégie de mise en réseaux a été particulièrement ef- lorsqu’ils ficace en Inde, notamment sous l’impulsion des groupes de femmes. Elle semble sont bien souffrir de lacunes en Côte d’Ivoire car les associations sont très nombreuses et maitrisés, est n’offrent que peu de services concrets à leurs adhérents car sous-financées et in- qu’ils capables de réaliser de véritables économies d’échelle.48 permettent une meilleure Les économies d’échelle peuvent encore être optimisées par des partenariats entre répartition des les petits producteurs et les grandes exploitations. En Côte d’Ivoire, les groupes risques entre comme SIFCA, Nestlé, Olam, Cargill ou Unilever ont tous mis en place de tels par- partenaires et tenariats avec le double objectif d’accroître la productivité des petits producteurs, une diffusion en leur fournissant des intrants et des compétences, tout en s’assurant l’appro- des technolo- visionnement régulier et de qualité de leur filière de manière à augmenter leurs gies et ventes et bénéfices. L’avantage de ces partenariats, lorsqu’ils sont bien maitrisés, compétences est qu’ils permettent une meilleure répartition des risques entre partenaires et une le long de la diffusion des technologies et compétences le long de la chaine de production et de chaîne de commercialisation, assurant ainsi un contrôle de qualité. L’exemple de la Tanzanie production et de illustre que ces partenariats sont aussi utiles pour le développement d’infrastruc- commercialisa- tures, comme les magasins de stockage et les projets d’irrigation (cf. encadré 7). tion. 47 Par exemple, la plantation et l’entretien correct d’un hectare d’hévéa sur les sept pre- mières années a besoin d’un capital de départ de l’ordre de 1,2 millions de FCFA; une somme difficile à rassembler pour les petits agriculteurs ce qui réduit la rentabilité de leurs récoltes. 48 3125 coopératives existent en Côte d’Ivoire, dont 2134 dans la filière cacao-café. Pour un diagnostic plus approfondi, cf. IOS Partners, 2014, Etude de la compétitivité des entreprises ivoiriennes. 43 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Encadré 7: Les partenariats pour accroître la productivité des petits producteurs Grâce au Programme de Développement du Secteur Agricole (ASDP), le gouvernement tanzanien a introduit un système de récépissés d’entrepôt (WRS) pour aider les agriculteurs à accéder aux marchés. Dans ce système, les agriculteurs sont orga- nisés en coopératives qui gèrent les magasins en stockage. Ces sociétés coopératives reçoivent des prêts saisonniers de la part des banques commerciales, en utilisant les récoltes stockées comme garantie. Les prêts sont alors utilisés pour payer les agriculteurs 60 pour cent des prix de vente prévus au bout de 3-4 mois, selon la nature de la culture. Lorsque la récolte est vendue, les agriculteurs reçoivent la part restante moins les frais opérationnels. Ce programme a rencontré un certain succès car il a non seulement permis de stocker les récoltes, négociant ainsi de meil- leurs prix avec les commerçants, mais aussi de préfinancer un certain nombre d’activités pour les agriculteurs, comme l’achat de semences et d’engrais. Les zones qui ont montré les meilleurs résultats sont celles où l’organisation des agriculteurs était la plus forte (par exemple à travers SACCO ou associations des agriculteurs), et pour les produits les moins périssables comme le riz. Une évaluation récente des réalisations du programme de l’ASDP indique que le programme pourrait être amélioré dans diffé- rents domaines, surtout dans l’exécution et la gestion des entrepôts après leur construction. Cela inclus des procédures plus rigoureuses de suivi avec les autorités gouvernementales locales afin d’assurer (i) que les fonds ne soient pas réattribués à d’autres activités ; (ii) la transparence dans l’utilisation des fonds ; (iii) une meilleure planification pour les zones à faible rendement où les coûts de gestion (par exemple, contrôle de la qualité, récépissés) dépassent les rendements potentiels de la récolte ; et (iv) une meilleure planification pour l’emplacement de l’entrepôt (par exemple, auprès des réseaux de transport). Source: Programme de Développement du Secteur Agricole (ASDP) site web: www.agriculture.go.tz. Enfin, la deuxième dimension pour accroître la productivité du secteur agricole met l’accent sur l’apport des nouvelles technologies. La «révolution technologique» du téléphone mobile a changé la donne pour bon nombre d’exploitants agricoles, y compris en Côte d’Ivoire. Ceux-ci, longtemps isolés des marchés, n’avaient pas l’information nécessaire, notamment en termes de prix, pour prendre des décisions ra- tionnelles. L’absence de connectivité augmentait les coûts de transactions et décourageait toutes leurs initiatives d’accéder aux marchés. L’usage d’un téléphone portable leur permet aujourd’hui d’accéder à l’information et à de multiples services sans se déplacer. Par exemple, le transfert d’argent est possible sans aller dans une banque ou un établissement financier. Bien entendu, cet apport technologique n’ap- porte pas toutes les solutions car il faut encore comprendre l’information pour pouvoir l’utiliser conve- nablement. Toutefois, il existe aujourd’hui de multiples opportunités qui réduisent les coûts des transac- tions, offrent de nouvelles plateformes de financement, et améliorent la connectivité des marchés ; et qui peuvent être exploitées par les autorités en Côte d’Ivoire, à l’exemple de pays plus dynamiques comme le Kenya et la Tanzanie (cf. encadré 8). Les nouvelles technologies ne se limitent pas à la communication mais aussi à l’irrigation et aux nouvelles sources d’énergies, notamment le solaire dont le coût a diminué exponentiellement ces dernières années.49 49 Par exemple, IRENA (2014) a calculé que le prix des panneaux solaires photovoltaïques en 2014 étaient environ 75% plus bas qu’à la fin de 2009. Cette tendance est aussi observée en Afrique, même si le coût moyen de production d’électricité par le solaire photovoltaïque reste relativement élevé autour de 0,18US$/kWh. Source: http://www.irena.org/documentdownloads/publi- cations/irena_re_power_costs_2014_report.pdf 44 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Encadré 8: L’utilisation du téléphone portable pour une meilleure productivité agricole Tigo Kilimo (M-farmer): lancé en 2013 par Tigo (Millicom International Cellular S.A.) en Tan- zanie, Tigo Kilimo fournit des informations sur les prix du marché, l’agronomie, et les prévi- Les sions météorologiques pour un honoraire (actuellement 100 TZS par contenu, ou par tranche nouvelles hebdomadaires de 249/299 TZSs.). Le service couvre actuellement 9 cultures, et fournit des technologies informations sur les prix de 10-15 marchés, mis à jour trois fois par semaine. L’information ne se limitent peut être accédée sur tout appareil téléphonique à travers des textes ou des canaux vocaux. pas à la De plus, Tigo est sur le point de lancer un centre d’appel où les agriculteurs peuvent obtenir communication des conseils agronomiques de spécialistes (à des frais réguliers d’appels). Tigo Kilimo est mais sous l’initiative mFarmer, qui est un partenariat entre l’Association GSM, la Fondation Bill et aussi à Melinda Gates et l’USAID. Le Contenu et le design sont assurés au nom de Tigo par Techno- l’irrigation et Serve, une organisation internationale à but non lucratif. Le Ministère de l’Agriculture, de la aux Sécurité alimentaire et des Coopératives certifie les informations fournies. Selon les dernières nouvelles estimations (août 2013), 50 000 ménages ce sont enregistrés avec le service à ce jour, la ma- sources jorité d›entre eux ont cherché des informations sur les prix du marché, suivie par l›agronomie et la météo. d’énergies. Hypermarket Place: Un marché mobile pour les producteurs agricoles et les commerçants, développés par Vodafone en partenariat avec Oxfam en Tanzanie. La plateforme permettra aux agriculteurs de lister des cultures qu’ils sont prêts à vendre avec leurs coordonnées. Des commerçants reçoivent des alertes sur les cultures récoltées en fonction de leurs préférences et peuvent communiquer avec les agriculteurs pour négocier. Le service est actuellement dans la phase de conception et de pilotage. iCow: Destiné aux producteurs de lait à petite échelle au Kenya, cette application mobile de demande d’information agricole fournit des données sur les programmes d’alimentation, des conseils vétérinaires, les calendriers de gestation, et d’autres services. Les agriculteurs peuvent enregistrer tout leur troupeau et recevoir des informations adaptées spécifiquement au cycle de vie et de gestation de leurs propres vaches. Comme service additionnel, iCow permet aux agriculteurs de marchander le bétail et des sous-produits à travers les téléphones portables. iCow est un produit créé par Green Dreams TECH Ltd en partenariat avec safaricom. Source: Wane, W. and I. Gaddis (2013) 45 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 2.4 Une vision pour l’avenir A l’horizon 2025, la situation de l’emploi en Côte d’Ivoire sera différente de celle qui prévaut aujourd’hui dans le pays. Selon toute vraisemblance, la majorité Selon toute de l’emploi sera en dehors de l’agriculture, avec l’émergence rapide de l’au- vraisemblance, to-emploi et de l’emploi familial en milieu urbain. L’emploi salarié dans les en- la majorité de treprises va aussi s’accroître, mais plus lentement, et devrait capter environ 3 l’emploi sera travailleurs sur 10 d’ici 2025. Cette transformation ne doit pas surprendre, car en dehors de elle est déjà en marche depuis au moins 2002, mais elle doit être bien comprise l’agriculture, car elle modifie de manière substantielle la réflexion et l’action de politiques avec économiques telles qu’elles sont perçues aujourd’hui par de nombreux ac- l’émergence teurs et décideurs en Côte d’Ivoire. rapide de l’auto-emploi et de l’emploi Le défi majeur pour la Côte d’Ivoire est d’assurer un emploi de qualité pour la familial en majorité de ses travailleurs. Cet objectif va être atteint uniquement si le pays milieu urbain. parvient à accroître la productivité de sa force de travail, à travers la combinai- son du déplacement de ces travailleurs vers les secteurs les plus productifs de son économie et des gains de productivité dans les secteurs où sera occupée la majorité des travailleurs ivoiriens. Nous avons tenté d’argumenter que la transformation structurelle de l’emploi va aider, mais elle restera insuffisante si elle n’est pas accompagnée par des actions spécifiques tant sur l’emploi salarié que sur l’emploi indépendant, agricole ou non. Toutefois, au-delà de ces actions différenciées, il est important de rappeler que la politique de l’emploi se doit d’être globale et transversale, pour au moins deux raisons. La première raison est qu’une politique de l’emploi déséquilibrée présente des risques. Par exemple, une amélioration de l’emploi salarié sans une hausse des rémunérations au sein de l’auto emploi et des entreprises familiales contribue- rait à amplifier les inégalités, notamment en milieu urbain où les différences de richesse sont plus visibles. Une incapacité à hausser la productivité de l’agri- culture pourrait accélérer l’exode des travailleurs ruraux vers les villes et ajou- ter de la pression sur un marché du travail urbain qui deviendrait vite saturé. La bonne gestion de ces risques suppose une approche intégrée et globale. La deuxième raison est que même si chaque catégorie d’emploi a ses par- ticularités, il existe des contraintes transversales et des synergies entre les différents secteurs d’emploi. Par exemple, la facilitation de l’accès à la finance ou l’amélioration de la qualité de l’éducation peuvent avoir des effets posi- tifs sur la productivité de manière transversale. L’optimisation des synergies entre l’emploi rural et urbain a aussi été au centre du succès de bon nombre de pays émergents. L’amélioration de la productivité agricole permet d’augmenter le revenu des paysans, mais aussi d’assurer l’approvisionnement alimentaire des villes et la production des intrants qui aideront à l’essor d’une industrie agro-industrielle dans les zones urbaines. Simultanément, la création d’em- plois urbains de qualité permettra d’accroître la demande pour les produits 46 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 agricoles ainsi que favoriser l’émergence de flux financiers vers les cam- pagnes. Ces derniers flux ont été cruciaux dans la réussite chinoise au cours des deux décennies.50 Il est aussi utile de chercher à développer les synergies entre micro, petites et grandes entreprises à travers les réseaux de fournis- Il est aussi utile seurs et de distributeurs. Si souvent, ces différents types d’entreprises opèrent de chercher à dans des sphères parallèles, les grandes entreprises peuvent aider les fournis- développer les seurs locaux par des programmes de formation et de financement, y compris synergies entre de mise à niveau. L’avantage pour les grandes entreprises est alors l’appari- micro, petites et tion de fournisseurs moins chers car plus proche de leurs lieux de production grandes ou de distribution. Ce type de partenariats est particulièrement efficace dans entreprises à les secteurs de transformation, tels que l’agro-business, le bois et le textile. travers les De tels programmes peuvent aussi être envisagés avec les distributeurs dans réseaux de des secteurs comme la communication (avec l’explosion des kiosques) et le fournisseurs tourisme. Certains gouvernements, comme la Corée du Sud, ont mis en place et de des programmes visant à promouvoir ces interactions en subventionnant les distributeurs. coûts de formation que les grandes entreprises offrent aux petites entreprises. En conclusion, une politique de l’emploi, active et globale, se doit d’être au centre de la politique de développement de la Côte d’Ivoire. Elle seule garantira une croissance rapide et inclusive qui permettra à son tour un développement économique harmonieux et une paix sociale dans le pays. 50 En Chine, les immigrants ont renvoyé vers les campagnes environ 30 milliard de dollars américain en 2005. En comparaison, ce montant était supérieur à celui que la Chine ou tout autre pays reçoit à travers les flux internationaux durant cette année. Source: R. Murphy, les versements des immigrants domestiques en Chine: Distribution, instruments de transferts, et gains; IOM 2007. 47 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 48 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 ANNEXES STATISTIQUES 49 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 2010 2011 2012 2013 2014e Comptes Nationaux (% du PIB) Consommation Finale 79.3 78.8 80.7 78.2 79.0 Formation Brute du Capital 12.3 9.0 12.1 14.6 16.1 Variation de Stocks 1.1 -4.2 3.0 4.5 0.9 Solde Extérieur 7.3 16.5 4.1 2.6 4.0 Exportations 50.6 53.8 48.5 43.8 43.4 Importations 43.3 37.3 44.3 41.2 39.4 PIB (coût des facteurs) 90.7 93.7 89.3 88.4 88.0 Agriculture 24.5 26.7 22.5 22.1 22.4 Industrie 22.4 24.2 22.3 22.3 21.1 Service 43.8 42.8 44.4 44.1 44.6 Droits et Taxes net 9.3 6.3 10.7 11.6 12.0 Prix (% glissement annuel moyen) Déflateur du PIB 5.4 1.6 4.1 2.5 1.0 Indice des Prix à la Consommation 1.8 3.8 1.3 2.6 0.4 Indicateurs Fiscaux (% du PIB) Recettes totales et dons 18.1 14.4 19.0 19.7 19.4 Recettes Fiscales 15.6 12.5 16.0 15.6 15.2 Recettes non-fiscales 2.0 1.7 2.4 2.8 2.5 Dons 0.5 0.3 0.6 1.3 1.8 Dépenses Totales 20.3 18.4 22.1 21.9 21.7 Dépenses Courantes 17.2 16.1 17.6 15.9 15.8 dont Service de Dette 1.6 1.8 1.7 1.4 1.3 Dépenses d’investissements 3.1 2.4 4.5 6.0 5.9 Solde Primaire -0.5 -2.2 -1.4 -0.8 -1.0 Solde Global -2.1 -4.0 -3.1 -2.2 -2.2 Secteur Extérieur Balance Commercial 13.3 22.9 11.3 9.6 10.7 Exportations de marchandises (f.o.b) 43.3 48.5 44.8 38.5 38.6 Importations de marchandises (f.o.b) 30.0 25.6 33.5 28.9 27.9 Compte de Services (Net) -10.6 -8.3 -7.2 -6.6 -7.9 Autres (Net) -1.7 -2.3 -5.3 -4.3 -3.5 Solde du Compte Courant 1.0 12.3 -1.2 -1.4 -0.6 Compte de Capital et d’Opérations Financières -1.8 -11.3 -1.4 1.7 1.2 Compte de Capital 0.0 0.0 0.0 0.0 0.0 Investissements Directs Etrangers 1.4 1.1 1.2 1.3 1.9 Investissements de Portefeuille et Autres -3.2 -12.4 -2.6 0.5 -0.7 Memo           PIB (prix courant en milliards de F CFA) 12325 11977 13805 15459 16943 PIB (prix constant 2009 en milliards de F CFA) 11695 11182 12379 13520 14676 Taux de Change (F CFA:US$ - moyenne annuelle) 472 495 472 511 494 Population (millions) 20.1 20.6 21.1 21.6 22.2 50 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 % du PIB 2010 2011 2012 2013 2014e Prix Courant Demande Agrégée Consommation Finale 79.3 78.8 80.7 78.2 79.0 Privée 67.1 67.6 66.1 65.1 65.5 Publique 12.2 11.2 14.7 13.2 13.5 Formation Brute du Capital 12.3 9.0 12.1 14.6 16.1 Privée 8.9 6.3 6.7 7.1 9.9 Publique 3.4 2.6 5.4 7.5 6.2 Variation de Stocks 1.1 -4.2 3.0 4.5 0.9 Solde Extérieur 7.3 16.5 4.1 2.6 4.0 Exportations 50.6 53.8 48.5 43.8 43.4 Importations 43.3 37.3 44.3 41.2 39.4 Facteurs de Production PIB au coût des facteurs 90.7 93.7 89.3 88.4 88.0 Agriculture 24.5 26.7 22.5 22.1 22.4 Industrie 22.4 24.2 22.3 22.3 21.1 Service 43.8 42.8 44.4 44.1 44.6 Droits et Taxes net 9.3 6.3 10.7 11.6 12.0 Prix Réel (base 2009) Demande Agrégée Consommation Finale 82.4 80.5 83.6 80.9 82.0 Privée 69.5 68.5 68.8 67.7 68.4 Publique 12.9 12.1 14.8 13.2 13.6 Formation Brute du Capital 13.1 8.4 11.2 12.4 13.3 Privée 9.4 5.9 6.1 5.4 5.7 Publique 3.7 2.5 5.1 7.0 7.5 Variation de Stocks 0.9 -4.2 3.6 5.2 3.1 Solde Extérieur 3.7 15.3 1.7 1.6 1.6 Exportations 47.7 51.5 45.7 44.2 42.4 Importations 44.0 36.2 44.1 42.7 40.8 Facteurs de Production 90.2 92.9 87.9 86.9 87.1 PIB au coût des facteurs 19.9 22.2 19.5 19.1 19.7 Agriculture 23.6 22.8 20.3 20.3 19.3 Industrie 46.7 47.9 48.0 47.5 48.0 Service 9.8 7.1 12.1 13.1 12.9 Droits et Taxes net 90.2 92.9 87.9 86.9 87.1 51 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Glissement Annuel (%) 2010 2011 2012 2013 2014e Agriculture -4.0 6.5 -2.7 6.9 12.0 Agriculture, chasse et sylviculture -3.9 5.1 -4.6 6.9 n/a Pêche, pisciculture, aquaculture -25.2 -19.1 18.8 3.8 n/a Industrie -4.0 -7.3 -1.4 8.8 3.7 Activité extractive -6.6 2.8 -25.8 6.9 n/a Production et distribution d’électricité 19.6 -10.6 307.2 19.5 n/a Construction 12.2 -20.7 5.3 27.9 n/a Manufacturier -5.2 -9.5 24.5 6.7 n/a Services 9.6 -2.0 10.9 8.2 9.7 Transports et Communication 20.8 2.6 22.8 7.5 n/a Commerce, réparation auto et articles domestiques 4.2 -3.3 4.1 12.1 n/a Tourisme -1.8 -33.8 26.3 24.2 n/a Finances -2.7 -10.7 2.8 11.5 n/a Immobilier, location et services aux entreprises 10.4 -4.6 20.0 9.9 n/a Éducation 14.9 -1.6 2.2 2.4 n/a Administration publique 8.8 -14.0 15.1 3.1 n/a Activités à caractère collectif ou personnel 9.0 -6.3 73.1 6.0 n/a Autres services 11.3 9.0 16.1 5.0 n/a 52 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 % du PIB 2010 2011 2012 2013 2014 Recettes totales et dons 18.1 14.4 19.0 19.7 19.4 Recettes totales 17.7 14.1 18.4 18.4 17.6 Recettes Fiscales 15.6 12.5 16.0 15.6 15.2 Impôts directs 4.5 4.2 5.2 5.0 4.4 Impôts indirects 11.2 8.2 10.8 10.6 10.8 Recettes non-fiscales 2.0 1.7 2.4 2.8 2.5 Dons 0.5 0.3 0.6 1.3 1.8 Dépenses Totales 20.3 18.4 22.1 21.9 21.7 Dépenses Courantes 17.2 16.1 17.6 15.9 15.8 Salaire et Traitements 6.5 6.0 6.8 6.7 7.0 Subventions et autres Transferts courants 2.2 2.6 3.0 2.1 1.8 Autres dépenses courantes 5.7 5.0 5.8 5.2 5.4 dont: Ebola 0.0 0.0 0.0 0.0 0.0 Dépenses liées à la crise 1.2 0.6 0.4 0.5 0.4 Service de Dette 1.6 1.8 1.7 1.4 1.3 dette intérieure 0.5 0.7 0.6 0.7 0.7 dette extérieure 1.0 1.1 1.1 0.6 0.6 Dépenses d’investissements 3.1 2.4 4.5 6.0 5.9 financées sur ressources intérieures 2.1 2.0 3.7 4.0 3.6 financées sur ressources extérieures 1.0 0.4 0.8 2.0 2.3 Solde Primaire -0.5 -2.2 -1.4 -0.8 -1.0 Solde Global -2.1 -4.0 -3.1 -2.2 -2.2 Solde Global (excl. dons) -2.6 -4.3 -3.7 -3.5 -4.0 Variations des arriérés intérieurs 1.5 1.6 1.4 0.3 -1.0 Solde Global (base caisse) -0.6 -2.5 -1.7 -2.0 -3.2 53 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 % PIB 2010 2011 2012 2013 2014 Solde du Compte Courant 1.0 12.3 -1.2 -1.4 -0.6 solde du Compte Courant (excl. Dons) 0.3 12.2 -1.8 -2.7 -2.4 Solde Commerciale 13.3 22.9 11.3 9.6 10.7 Export (f.o.b) 43.3 48.5 44.8 38.5 38.6 dont Cacao 15.3 16.4 12.5 12.5 14.3 dont produits pétroliers 11.2 14.5 14.5 11.0 8.5 Imports (f.o.b) 30.0 25.6 33.5 28.9 27.9 dont pétrole 6.6 6.9 10.2 9.3 9.4 Services (net) -10.6 -8.3 -7.2 -6.6 -7.9 Revenus Primaires (net)* -1.7 -2.3 -3.4 -2.9 -3.3 dont intérêt sur la dette publique n.a n.a 1.1 0.6 0.6 Revenus Secondaires (net) 0.0 0.0 -1.9 -1.4 -0.2 Gouvernement Général n.a n.a -0.2 0.4 1.6 Autres Secteurs n.a n.a -1.8 -1.8 -1.8 Comptes de Capital et d’Opérations Financières -1.8 -11.3 -1.4 1.7 1.2 Compte du Capital 0.0 0.0 0.0 0.0 0.0 Compte des Opérations Financières -1.8 -11.3 -1.4 1.7 1.2 Investissements Directs Etrangers 1.4 1.1 1.2 1.3 1.9 Investissements de Portefeuille (net) -1.1 -12.6 0.5 0.6 0.3 Autres Investissements (net) -2.1 0.2 -3.1 -0.1 -1.0 Officiel, net -2.1 -1.7 -1.9 0.5 2.1 Prêt Projets 0.4 0.3 0.4 1.4 1.5 Autres Prêts 0.0 0.0 0.0 0.0 2.1 Amortissement -2.5 -2.0 2.3 0.9 1.3 Non-officiel, net 0.0 1.9 -1.2 -0.6 -3.1 Erreurs et Omissions 0.0 0.0 0.0 0.0 0.0 Solde Global -0.8 1.0 -2.6 0.4 0.6 54 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Glissement annuel moyen (%) 2010 2011 2012 2013 2014 Inflation Déflateur du PIB 5.4 1.6 4.1 2.5 1.0 Indice des prix à la consommation 1.8 3.8 1.3 2.6 0.4 Indice hors alimentation n/a n/a 1.8 2.8 1.4 Indice Produits Alimentaires n/a n/a -0.3 1.9 -2.1 Taux de Change (CFAF:US$) 495 472 511 494 494 Produits de Base Sélectionnés Pétrole ($/bbl) 79.0 104.0 105.0 104.1 96.2 Cacao ($/Kg) 3.1 3.0 2.4 2.4 3.1 Café ($/Kg) 4.3 6.0 4.1 3.1 4.4 Caoutchouc ($/Kg) 3.4 4.5 3.2 2.5 1.7 Source : Institut National des Statistiques, Ministère des Finances, Banque mondiale. Tableau 7 : Taux de Pauvreté 1985 1995 2002 2008 2015 Total 10 32,3 38,4 48,9 46,3 Urbain 5 42 49 62,5 56,8 Rural 15,8 19,4 24,5 29,5 35,9 55 SITUATION ECONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE - DÉCEMBRE 2015 Tableau 8: Indicateur du Secteur Monétaire et Bancaire   2010 2011 2012 2013 2014 A. Situation Monétaire Variation annuelle (%) Avoirs extérieurs nets 21.3 29.4 -14.2 0.2 13.7 Avoirs intérieurs nets 17.16 4.1 16 16.9 16.7 Crédits nets à l’État 5.3 8.3 29.6 15.3 14.1 Banque Centrale 1 9 19.1 2.2 -8.5 Banques 4.9 7.2 45.9 31.8 36.1 Crédits à l’économie 5.2 4.8 12.4 22.6 21.7 Masse monétaire (M2) 18.8 12.5 4.4 11.6 15.9 B. Solidité financière de l’ensemble du secteur bancaire (%) Adéquation des fonds propres Capital aux avoirs pondérés par le risque 12.5 9.7 8.6 9.2 10.1 Normes de fonds propres Total des crédits/total des actifs 59.02 52.22 52.12 55.4 58.29 Concentration: crédit aux 5 plus grands emprunteurs au capital 217.27 264.97 129.46 91.11 293.14 Crédits en souffrance bruts /total des crédits 17.11 16.87 15.53 12.3 10.44 Provisions générales/crédits en souffrance bruts 75.5 71.81 78.66 73.57 77.09 Crédits en souffrance nets des provisions/total des crédits 4.81 5.41 3.77 3.57 2.65 Crédits en souffrance nets des provisions/fonds propres 72.7 108.82 49.46 48.96 28.18 Résultats et rentabilité Rendement net d’impôt des actifs moyens (ROA) 0.01 0.1 0.49 1.21 n.a Rendement net d’impôt des fonds propres moyens (ROE) -9.3 1.6 7.08 17.36 n.a Traitements et salaires/revenu bancaire net 31.88 32.8 29.82 28.87 n.a Liquidités Actifs liquides/total des actifs 40.7 36.68 35.28 37.14 49.83 Actifs liquides/total des dépôts 53.28 46.22 46.11 49.97 67.52 Total des crédits/total des dépôts 88.95 74.87 77.59 81.96 78.97 56 www.banquemondiale.org/cotedivoire www.banquemondiale.org/cotedivoire