SITUATION ÉCONOMIQUE EN CÔTE D’IVOIRE QUE LA ROUTE SOIT BONNE Améliorer la mobilité urbaine à Abidjan JANVIER 2019 / HUITIÈME ÉDITION Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Table des matières Avant-propos 5 Liste des abréviations 6 Remerciements 7 MESSAGES PRINCIPAUX 9 Partie 1 : L’Etat de l’Economie 15 1.1  Les développements récents et les perspectives de court et moyen termes 16 1.1.1 Evolution économique récente 16 1.1.2 Les perspectives de court et moyen termes 18 1.2 Le défi d’une croissance plus intensive et plus inclusive 23 1.3 La bonne gestion des villes peut accélérer le développement économique 30 Partie 2 : Une ville qui bouge est une ville qui gagne 35 2.1  L’importance du transport urbain 35 2.2  Pourquoi le transport urbain est-il en souffrance en Côte d’Ivoire ? 39 2.3  La stratégie actuelle et propositions de réformes 45 ANNEXES STATISTIQUES 53 3 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Liste des tableaux Tableau 1 : Résultats et projections économiques, 2016-21 19 Tableau 2 : Le coût du transport sur la compétitivité des entreprises, l’insécurité et la pollution 39 Liste des graphiques Graphique 1 : Evolution des principaux indicateurs économiques et financiers de l’économie ivoirienne. 17 Graphique 2 : L’évolution de la demande et de l’offre globales, 2012-17 24 Graphique 3 : La croissance Ivoirienne n’a guère été portée par des gains de productivité 26 Graphique 4 : Malgré l’enrichissement du pays, la pauvreté ne s’est que faiblement réduite entre 2011 et 2015 28 Graphique 5 : L’urbanisation comme vecteur de développement 31 Graphique 6 : Les dépenses en transports en % dans le budget mensuel des ménages à Abidjan 37 Graphique 7 : Le coût élevé du transport, ainsi que le système de transport inefficace rendent difficile l’accès aux emplois, surtout pour ceux qui vivent loin du centre économique 38 Graphique 8 : Plus de routes à Abidjan que dans la plupart des villes africaines 40 Graphique 9 : Les routes bitumées sont concentrées au centre de l’agglomération 41 Graphique 10 : Les goulots d’étranglement dans la circulation routière à Abidjan 42 Graphique 11 : Répartition modale de transport par catégorie de revenu mensuel 43 Graphique 12 : La vision du Grand Abidjan et du réseau de transport 47 Graphique 13 : Augmentation prévue du pourcentage d’emplois accessibles avec la mise en œuvre de Metro 1 et BRT 49 Graphique 14 : Le transport lagunaire à Abidjan aujourd’hui 50 4 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Avant-propos Quand vous aurez ce rapport entre vos mains, il y a de fortes chances que vous ayez passé une partie de votre journée à vous déplacer. Si vous habitez Abidjan, il est même probable que cette durée dépasse 2 heures, probablement en marchant, dans un taxi collectif (woro-woro) ou à l’intérieur d’un minibus (gbaka), et pour les plus nantis dans votre voiture. Sachez que votre expérience est répétée par des millions d’individus chaque jour, ce qui explique l’importance du transport urbain sur le bien- être et sur l’ensemble de l’économie de la Côte d’Ivoire. Ce huitième rapport sur la situation économique en Côte d’Ivoire, après avoir passé en revue les excellents récents résultats économiques du pays, plaide pour une prise de conscience collective et urgente de la problématique de la mobilité urbaine. Sans elle, il est improbable que l’urbanisation en cours du pays génère les effets d’agglomération qui pourraient mener son économie plus rapidement vers l’émergence. Les entreprises perdent de leur compétitivité, alors que les ménages dépensent et gaspillent du temps tout en souffrant d’insécurité et de pollution. Il est estimé que chaque jour plus de 4 milliards de FCFA sont déboursés par les ménages pour leurs activités de transport, soit leur troisième catégorie de dépenses après la nourriture et le logement. L’enjeu est de taille car une amélioration de la mobilité à Abidjan de l’ordre de 20 % pourrait accroître la croissance économique du pays d’au moins 1%, avec des gains proportionnellement plus élevés pour les plus démunis. Cette amélioration produirait aussi des effets multiplicateurs sur les secteurs productifs ainsi que l’emploi dans la durée. Dans la tradition des précédents rapports, plusieurs pistes de réflexion sont proposées afin de stimuler les idées et la prise d’actions. Si les autorités ont commencé à agir, notamment avec l’adoption du schéma directeur d’urbanisme du Grand Abidjan en 2016 et les projets de transports de masse sur les grands axes, comme la ligne 1 du Train Urbain et certainement celle du Bus-Rapid-Transit (BRT), ce rapport suggère une stratégie plus ambitieuse et intégrée. Le statut quo serait dangereux car non seulement l’agglomération d’Abidjan va continuer à grandir, exacerbant les problèmes de mobilité si rien n’est fait, mais il représenterait aussi une occasion manquée au moment où le pays est à la recherche de nouveaux moteurs de croissance plus inclusifs et davantage porteurs d’emplois pour une jeunesse urbaine en quête d’espoirs. Pierre Laporte Directeur des Opérations pour la Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso et Togo 5 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Liste des abréviations ANRMP................................................................ Agence Nationale de Régulation des Marchés Publics BCEAO................................................................ Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest BNI...................................................................... Banque Nationale de l’Investissement BRT..................................................................... Bus Rapid Transit BTP..................................................................... Bâtiment-Travaux Publics DMP.................................................................... Direction des Marchés Publics CNCE.................................................................. Caisse Nationale des Caisses d’Epargne FMI...................................................................... Fonds Monétaire International MEF..................................................................... Ministère de l’Economie et des Finances PEFA................................................................... Public Expenditure Financial Assessement PIB...................................................................... Produit Intérieur Brut PPP..................................................................... Partenariats Publics Privés SDUGA................................................................ Schéma Directeur d’Urbanisme du Grand Abidjan SOTRA................................................................ Société des Transports Abidjanais TVA..................................................................... Taxe sur la Valeur Ajoutée UEMOA............................................................... Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine 6 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Remerciements Ce rapport a été préparé sous la direction de Jacques Morisset. Il a bénéficié des contributions d’Amina Coulibaly et de Frank Adoho pour la première partie. La partie consacrée à la mobilité urbaine a été rédigée par Anne-Cecile Souhaid et son équipe composée de Mahine Diop, Aiga Stokenberga, Laurence Ahiba et Marios Giouroukelis. Les auteurs voudraient remercier Christine Richaud, Andrea Coppola, Souleymane Coulibaly et Jean- Francois Marteau ainsi que l’équipe du Fonds Monétaire International (FMI) travaillant sur la Côte d’Ivoire pour leurs commentaires. Joseph Anoh, Saubie Rachel Ahimon, et Oumou Kassi-Coulibaly ont aidé au formatage du rapport. L’équipe communication de la Banque mondiale, notamment Marie-Ange Memel, Enoh Nguessan, Elena Queyranne et Erick Rabemananoro, ont contribué aux préparatifs de dissémination et de communication du rapport. Les rédacteurs du rapport ont également bénéficié des conseils et encouragements de Pierre Laporte, Lars Moller et Nicolas Peltier, respectivement Directeur des Opérations et Managers sectoriels pour la Côte d’Ivoire. 7 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Messages principaux Les pays les plus développés de la planète La situation et les perspectives économiques sont aussi les plus urbanisés, y compris ceux Après sept années d’expansion économique qui étaient initialement dépendants de leur galopante et ininterrompue, la croissance du agriculture. Deux prix Nobel d’économie, R. PIB ralentit progressivement, passant de 8,8 Lucas et P. Romer, ont ainsi décrit comment à 7,7% entre 2015 et 2017 et probablement l’urbanisation est à l’origine de la révolution autour de 7,4% en 2018. Toutefois, l’économie industrielle en Europe et aux États-Unis. ivoirienne demeure l’une des plus dynamiques Celle-ci a en effet favorisé des phénomènes de la planète. d’agglomération qui ont encouragé le développement des compétences et Plusieurs indicateurs semblent confirmer l’innovation technologique. L’urbanisation ce léger ralentissement pendant les onze rapide explique aussi dans une certaine mesure premiers mois de l’année 2018. Les secteurs le succès des tigres et dragons d’Asie au cours porteurs comme la finance, les industries des dernières décennies.  extractives, l’énergie et les télécommunications se sont montrés moins dynamiques, même si le La Côte d’Ivoire s’inscrit à son tour dans transport et la construction ont continué à bien cette trajectoire de développement se porter. L’Etat a également mieux maîtrisé économique et sociale. Déjà plus de la moitié ses dépenses durant cette période, tandis de sa population vit dans un centre urbain, que la balance commerciale s’est dégradée à essentiellement à Abidjan, et les deux tiers cause de termes de l’échange négatifs et d’une de ses habitants vivront en ville d’ici 2050. performance moins favorable des exportations Il faut donc que le pays puisse saisir cette agricoles. Au final, le secteur public et le secteur opportunité car si le lien entre l’urbanisation externe ont moins soutenu la croissance, et et le développement économique est réel, il la contribution du secteur privé a été plus est loin d’être automatique. En particulier, contrastée. mais pas seulement, les villes doivent garantir une certaine mobilité aux ménages et aux Les perspectives de court et moyen termes entreprises. Le transport est déjà un enjeu demeurent toutefois favorables. Le taux de majeur dans une ville comme Abidjan, où croissance devrait converger autour de 7% certains ménages dépensent plus de 30% de dans les prochaines années, à condition que leur revenu sur ce poste. Les embouteillages, l’environnement mondial reste relativement l’insécurité routière et la pollution de l’air stable et que le Gouvernement poursuive ses affectent la vie quotidienne et la santé de plus efforts d’encouragement du secteur privé de cinq millions d’Abidjanais. et de partage des fruits de la croissance. Le bond de la Côte d’Ivoire dans le classement Dans la tradition des précédentes éditions, ce de Doing Business en 2018 (+17 places) est un huitième rapport sur la situation économique signal encourageant, mais appelle des efforts en Côte d’Ivoire analyse la conjoncture et les supplémentaires pour simplifier les règles perspectives macroéconomiques en ce début et accroître la concurrence dans les secteurs d’année 2019, puis se penche sur les enjeux de prioritaires de l’économie. Le Gouvernement l’urbanisation, et en particulier de la mobilité devra aussi renforcer les comptes publics en urbaine.  abaissant son déficit budgétaire de 4 à 3% du PIB. Cela pourrait toutefois s’avérer difficile 9 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 dans un contexte d’incertitudes électorales la même période. Une croissance plus inclusive liées aux prochaines élections présidentielles est essentielle pour assurer la stabilité sociale programmées vers la fin 2020. Les autorités et politique mais également pour maintenir la devront recouvrer plus de recettes fiscales et forte croissance de l’économie. Les ménages améliorer l’efficacité de la dépense publique, qui sortent de la pauvreté consomment et notamment par une meilleure gestion des investissent davantage, ce qui stimule la projets d’investissement, en particulier sur demande et l’offre globales. fonds propres, et des dépenses en faveur des Face au défi de générer une croissance de ménages les plus défavorisés. Ces efforts meilleure qualité et mieux partagée, la Côte devront s’accompagner d’une gestion plus d’Ivoire peut compter sur un allié de poids : transparente des deniers publics, notamment l’urbanisation. Celle-ci peut en effet aider les des procédures de paiement et de passations entreprises du pays à devenir plus productives de marchés publics. et ses ménages à mieux vivre, en leur offrant La Côte d’Ivoire devra non seulement améliorer des opportunités d’emplois et d’éducation ainsi la qualité de sa croissance économique mais que de meilleurs soins de santé que dans les aussi la rendre plus inclusive. Une hausse campagnes. Ces effets positifs sont à l’origine de la productivité est indispensable au du succès économique de nombreux pays, développement des entreprises privées et à la comme le montre la théorie économique et hausse de la rémunération des travailleurs, en l’expérience historique des pays industrialisés particulier dans les grands secteurs d’emplois au XXe siècle et des pays émergents au cours comme l’agriculture, l’agroalimentaire, la des dernières décennies. construction et le commerce. Malgré un L’urbanisation rapide de la Côte d’Ivoire est rattrapage amorcé depuis 2012, la productivité donc une opportunité à saisir rapidement afin des travailleurs ivoiriens plafonne à son niveau d’organiser l’espace et de maximiser les effets de 1995 et est inférieure d’environ 20 à 30% à celle d’agglomération, alors que la densité de la observée dans les pays émergents. De tels gains population au sein de l’agglomération d’Abidjan de productivité permettraient d’accompagner reste relativement faible en comparaison de la le phénomène d’accumulation des facteurs de plupart des autres grandes villes africaines.  production, tant l’investissement que l’emploi, qui a été le moteur historique de la croissance en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire pourrait ainsi La contribution des villes et de la mobilité suivre le sentier de croissance des pays d’Asie urbaine au développement de l’Est, où les gains de productivité ont été le Une ville qui bouge est une ville qui gagne. principal moteur de la croissance au cours des Pour bénéficier d’économies d’échelle, les dernières décennies.   entreprises doivent pouvoir accéder aux Mais la croissance économique doit être aussi marchés. Si les travailleurs, fournisseurs et mieux partagée pour durer comme le reconnaît clients se concentrent dans une agglomération le Gouvernement qui a mis en place un urbaine, ces gains peuvent toutefois être nouveau programme social en 2019 et 2020. En annulés par les difficultés et la lenteur de leurs 2015, près de 46% des Ivoiriens vivaient encore déplacements. Cela est déjà malheureusement avec moins de 750 FCFA par jour. Il s’agit certes le cas à Abidjan, avec des ménages qui d’un progrès par rapport à 2011, mais qui reste dépensent beaucoup d’argent et de temps insuffisant au regard de la hausse de 80% des chaque jour dans les transports ou, pour les revenus de l’économie ivoirienne au cours de plus pauvres qui ne peuvent se déplacer qu’à pied.  10 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Si les enjeux de mobilité urbaine au sein de la européennes. La différence est qu’en Côte ville d’Abidjan sont perceptibles pour tous ses d’Ivoire, il s’agit plus d’un choix forcé que d’une habitants, il est utile d’en mesurer l’ampleur. option, en raison de la contrainte financière qui Chaque jour, on compte plus de 10 millions pèse sur les ménages les plus pauvres. Pour de déplacements à Abidjan et chaque ménage leurs déplacements motorisés, les usagers dépense en moyenne 1.075 FCFA et «  perd  » ont recours au transport artisanal (non- plus de trois heures dans les transports. En conventionné) comme les minibus (gbakas) et d’autres termes, plus de 4 milliards de FCFA les taxis collectifs (woro-woro) ou individuels. sont dépensés quotidiennement (en coût Si ce système privé a le mérite de combler une monétaire et d’opportunité), soit l’équivalent carence de l’Etat et représente environ 100.000 de 1.200 milliards de FCFA par an. Cette postes de travail, il souffre d’inconvénients. dépense est la troisième dans le portefeuille des D’abord, il contribue à l’encombrement des ménages (après la nourriture et le logement) et voies et donc aux embouteillages ainsi qu’à représente environ 4 à 5% du PIB.  l’insécurité et à la pollution. Ensuite, il n’assure qu’une couverture géographique imparfaite De plus, les frais de transports nuisent car il privilégie les routes les plus rentables à la compétitivité des entreprises. Les commercialement. Enfin, il reste relativement embouteillages provoquent aussi de coûteux ou peu accessible pour de nombreux l’insécurité routière et de la pollution. Ces fléaux ménages pauvres. devraient s’aggraver avec l’intensification de l’agglomération urbaine qui devrait atteindre Enfin, la troisième raison des difficultés de environ 10 millions d’habitants d’ici 2040. mobilité urbaine tient au manque de respect Selon les projections des Nations Unies, deux des règles, avec un nombre élevé d’infractions Ivoiriens sur trois vivront dans un centre urbain au Code de la route, qui sont en outre rarement en 2050. sanctionnées. De nombreux véhicules rejettent également plus d’huile que d’essence dans Trois raisons principales expliquent les l’atmosphère malgré l’inspection annuelle difficultés de mobilité dans la ville d’Abidjan. imposée par les autorités. L’occupation des La première tient aux déficiences des voies ne correspond pas à celle d’une ville infrastructures de transport. Si les routes y moderne. sont plus nombreuses que dans la majorité des grandes villes africaines, leur distribution est Cela étant, les difficultés de mobilité inégale sur le territoire et elles se dégradent urbaine trouvent en partie leur origine dans rapidement. Les embouteillages se concentrent des défaillances de gouvernance et une autour de quelques points névralgiques, qui fragmentation des responsabilités. Une sont aggravés par la morphologie de la ville meilleure gestion de la ville permettrait de coupée en deux parties sur une longue distance remédier à l’inadéquation de l’infrastructure par la lagune (Ebrié) et par une mauvaise routière, à l’absence de transport collectif de gestion de la circulation.  masses et au manque de respect des règles. Si plusieurs exemples sont donnés dans le texte La deuxième raison est la quasi-absence de principal, il suffit de rappeler ici que les coûts transport public à Abidjan, qui représente de construction élevés sont souvent le résultat moins d’un déplacement sur 10 (le bus de procédures de passation de marchés peu généralement), soit environ 4 fois moins que compétitives et transparentes. Il est aussi bien dans une ville de même taille en Europe. connu que le non-respect des règles par les Aujourd’hui, environ 40 % des déplacements se usagers et les conducteurs est souvent lié à font à pied, comme dans les principales villes l’absence de sanctions. 11 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Dès lors, que peuvent faire les pouvoirs budget, de la distance ou de l’urgence. Par publics ? Le gouvernement ivoirien a déjà pris exemple, un travailleur doit pouvoir rejoindre conscience que développer une ville connectée son lieu de travail en combinant la marche à est une priorité non seulement pour la ville pied, le bus ou le taxi. À Abidjan, deux carences d’Abidjan mais aussi pour atteindre l’objectif majeures empêchent cette intégration des de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent. moyens de transport. D’une part, l’offre de Assurer l’essor des entreprises et améliorer les transport de masses doit augmenter sur les conditions de vie des habitants qui sont de plus principaux corridors afin de répondre à la en plus concentrés dans les centres urbains du demande croissante et de proposer des tarifs pays est une priorité, en particulier à Abidjan. raisonnables. Les projets de lignes de métro Pour ce faire, la Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer (qui devraient s’achever en 2022) sur l’axe Nord- de la démarche suivie par d’autres villes, y Sud et de ligne de Bus-Rapid Transit (BRT) sur compris dans les pays en développement l’axe Est-Ouest seront déterminants à cet égard. comme la Colombie ou ceux d’Afrique de l’Est. D’autre part, même si ces moyens de transport collectif existaient, les usagers doivent pouvoir Trois directions sont proposées dans ce rapport. y accéder aisément depuis leur domicile, ce Elles visent autant à alimenter le débat qu’à qui suppose des réseaux de transports de soutenir les autorités dans leurs efforts. La quartiers plus développés et mieux organisés. première est de formuler une vision du transport En effet, une personne décide de se déplacer urbain qui s’inscrive dans le plan d’aménagement ou non en fonction de l’accessibilité du premier global du territoire, au sein mais aussi autour de kilomètre. La réorganisation et une meilleure l’agglomération abidjanaise. Cette vision a déjà coordination des systèmes de transport non été dessinée avec l’adoption du schéma directeur conventionnés (taxi et bus rapides) ainsi que de la ville en 2016 qui promeut deux corridors des bus de la SOTRA sont ainsi prioritaires. principaux : l’un sur l’axe Nord-Sud et l’autre sur l’axe Est-Ouest. Cette première étape doit être La troisième et dernière direction est suivie par l’adoption de plans plus détaillés au d’encourager l’utilisation des nouvelles niveau des quartiers pour en assurer la mise en technologies qui donneront forme à la ville œuvre. L’expérience internationale, notamment de demain. La Côte d’Ivoire ne doit pas dans une ville comme Medellin, a aussi montré manquer cette révolution dans ses choix de que cette vision doit s’appuyer sur un cadre développement des moyens de transport, institutionnel permettant une prise de décisions tant de masses qu’individuels. Cela permettra coordonnées et rationnelles des différents d’optimiser les déplacements au sein de acteurs impliqués dans les problématiques la ville d’Abidjan sans aggraver son bilan d’organisation. Aujourd’hui, il reste difficile carbone. La gestion des flux de personnes et de délimiter les responsabilités des autorités de marchandises peut être améliorée en temps centrales, régionales et municipales à Abidjan réel par l’usage de capteurs électroniques, et donc de bien coordonner les actions. qui permettraient aux autorités de gérer la circulation (et les feux) sur les voies et La deuxième direction vise à mieux intégrer d’optimiser les emplacements stratégiques le système de transport. Le fractionnement pour les parkings. Enfin, le système de transport actuel est non seulement coûteux mais aussi peut devenir plus accessible aux usagers par inefficace. Les ménages comme les entreprises le partage virtuel de l’information et par des doivent pouvoir utiliser plusieurs moyens de moyens de paiements digitalisés. La vie des transport en fonction de leur trajet, de leur familles serait améliorée si elles pouvaient 12 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 prendre leurs décisions en consultant leurs Le Gouvernement ivoirien devra donc définir téléphones mobiles pour prévoir en avance sa propre vision de la mobilité urbaine et se l’horaire des transports disponibles, étudier donner les moyens de la réaliser afin d’offrir les itinéraires et payer leurs tickets. L’arrivée de meilleures conditions de transport à récente des taxis connectés ivoiriens est un ses citoyens. Ce rapport plaide pour une pas dans la bonne direction mais il faudrait action urgente car l’histoire a montré que faire plus, avec l’introduction de billettique l’aménagement de l’espace urbain est plus électronique pour les transports collectifs et de facile avant que la densité de la population ne permis à puce qui permettrait de sanctionner devienne trop élevée et pour éviter de détruire ou récompenser les conducteurs. pour reconstruire à un coût extrêmement élevé. 13 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Partie 1 : L’Etat de l’Economie Alors que la Côte d’Ivoire continue d’enregistrer des résultats macroéconomiques positifs en 2018, le Gouvernement s’interroge sur non seulement comment maintenir l’économie sur cette trajectoire de croissance accélérée mais aussi comment mieux la partager. Ces deux préoccupations sont partagées par Son Excellence le Président Alassane Ouattara  : «  Notre  ambition est que l’économie ivoirienne génère davantage de recettes fiscales pour maintenir l’élan remarquable de la croissance économique, qui doit être de plus en plus inclusive. » 1 La première partie de ce rapport sur la situation économique en Côte d’Ivoire cherche donc à apporter des éléments de réponse sur les moyens de soutenir la croissance tout en optimisant son impact sur la pauvreté. Après avoir examiné les récents développements économiques, elle porte l’attention sur la nature de la croissance et la conduite de la politique budgétaire, qui est le principal instrument conjoncturel à disposition du Gouvernement, du fait que la politique monétaire est sous la responsabilité des autorités régionales. L’analyse suggère que la croissance devra devenir plus intensive dans le sens qu’elle devra s’appuyer non seulement sur une hausse des investissements en capital physique et humain mais encore sur leur meilleure utilisation, à savoir des gains de productivité. La croissance devra aussi devenir plus inclusive pour que les exclus de la croissance puissent participer et engendrer des effets supplémentaires tant sur la demande que l’offre globale. Quant à la politique budgétaire, l’attention devra porter sur l’amélioration de l’allocation des dépenses publiques et de leur gestion financière. Sur cette base, les perspectives de l’économie ivoirienne sont présentées pour le court et le moyen termes. Celles-ci restent positives surtout si le Gouvernement est capable de prendre et mettre en œuvre les réformes qui mèneront à une croissance plus intensive et mieux partagée. Si l’économie a montré sa résilience aux chocs tant externes qu’internes en 2017 et 2018, les risques ne sont pas à négliger notamment avec l’approche des élections présidentielles prévues en 2020. Les autorités devront résister à la tentation d’accroître les dépenses publiques dans un contexte où l’espace budgétaire s’est déjà fortement réduit et où les investisseurs privés pourraient adopter une attitude plus attentiste en raison des incertitudes politiques. Dans sa quête vers l’émergence, le Gouvernement devra apprendre à mieux gérer le processus d’urbanisation qui se met en place dans le pays. Tant la théorie économique que l’expérience empirique ont montré que les villes contribuent au développement économique par leur capacité à créer des effets d’agglomération qui améliorent à la fois la compétitivité des entreprises et le bien- être des populations. Ces effets ne sont pourtant pas automatiques si bien que la Côte d’Ivoire devra adopter des politiques adaptées, notamment en matière d’aménagement de l’espace et de mobilité urbaine.  Cette première partie est organisée autour de trois sections. La première commence par un tour d’horizon qui décrit l’évolution récente des principales variables économiques et financières du pays pour ensuite discuter des perspectives économiques pour les 3 prochaines années. La deuxième section s’intéresse aux sources et aux retombées de la croissance économique qui sont des éléments déterminants pour l’avenir de l’économie ivoirienne. Enfin, la dernière section examine la problématique de l’urbanisation du pays et son lien avec la croissance économique.  1 Extrait du discours du 31 décembre 2017. 15 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 1.1 Les développements récents et les perspectives de court et moyen termes 1.1.1 Evolution économique récente En 2018, les principaux résultats macroéconomiques enregistrés par la Côte d’Ivoire pourraient faire le bonheur de presque tous les Ministres de l’Economie et des Finances (Graphique 1). Pour la septième année consécutive depuis 2012, le taux de croissance du PIB devrait dépasser 7% et atteindre probablement 7,4% en 2018 grâce à la bonne performance du secteur de la construction et le maintien de l’expansion des services de transport ainsi que la forte consommation de produits pétroliers et de commerce de détail. Le PIB réel par tête a augmenté de 32% depuis 2012. Toutefois, les contributions respectives du secteur public et externe se sont réduites. En attendant, il faut se réjouir que ce taux soit l’un des plus rapides au monde et le plus élevé au sein de l’espace UEMOA. A ce rythme, la Côte d‘Ivoire pourrait rejoindre le groupe des pays à revenu intermédiaire dans une quinzaine d’années. La croissance soutenue de l’économie s’est accompagnée par la maîtrise de la plupart des variables monétaires et financières qui se sont bien comportées (Graphique 1). Le taux d’inflation est resté autour de 1%, car les prix des denrées agricoles, qui comptent pour presque la moitié du panier du consommateur ivoirien, sont restés stables. De plus, les prix ont bénéficié de la mesure du plafonnement des prix des denrées de première nécessité mise en place par le Gouvernement. Les prix de l’énergie n’ont que faiblement augmenté car les autorités ivoiriennes ont choisi l’option de ne pas pleinement transmettre la hausse du prix mondial (qui a augmenté de plus de 70% entre début 2016 et la mi-2018) du pétrole aux consommateurs locaux, même si les prix de l’essence sont passés de 570 à 640 FCFA par litre entre octobre 2017 et novembre 2018. La hausse du cours du pétrole sur les marchés internationaux a été principalement absorbée par une baisse de la fiscalité et une réduction des marges des importateurs et des transporteurs. La baisse observée des prix internationaux du pétrole depuis 3 mois pourrait avoir un impact positif sur les recettes fiscales si elle se poursuit. Au niveau monétaire, la politique de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est restée prudente de manière à éviter les pressions qui pourraient exister sur le taux de change. Les réserves en devises internationales au sein de la sous-région ont augmenté, alors que la hausse du crédit devrait se situer autour de 13% en 2018 contre plus de 15% l’année précédente. Les crédits au Gouvernement se sont ralentis car celui-ci a préféré emprunter sur les marchés financiers internationaux plutôt que domestiques. La croissance des crédits au secteur privé s’est légèrement ralentie, de 15% en 2017 à environ 10%, peut-être, à cause de l’onde de chocs provoquée par la faillite du quatrième exportateur de cacao, qui a mis au moins deux établissements bancaires de la place en difficulté. Toutefois, dans son ensemble, le système financier reste solide avec un taux de crédits en difficultés de 8,7% en juin 2018, ce qui est le moins élevé de la sous-région, et en baisse par rapport à fin décembre 2017 (9,8%). La légère baisse du rendement des banques reflète sans doute une intensification de la concurrence car non seulement il y a aujourd’hui plus de 25 établissements bancaires mais ceux-ci doivent aussi affronter les compagnies de téléphonie mobile. Un bon indicateur de cette concurrence est que le taux d’adultes possédant aujourd’hui un compte mobile est 2,5 fois supérieur (48%) au taux d’adultes détenteurs d’un compte bancaire (19,7%). 16 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Bien que le solde de la balance courante du pays reste déficitaire et se soit détérioré pour atteindre environ 4,0% du PIB en 2018 contre 3,5% en 2017, il devrait continuer à être aisément financé par les afflux de capitaux privés et publics (Graphique 1). Les exportations ont chuté, y compris celles des produits agricoles, principalement en raison de termes de prix internationaux défavorables. La valeur des importations a augmenté de l’ordre de 10% à cause du renchérissement du prix du pétrole. Ce déficit a été aisément financé grâce à la combinaison d’emprunts concessionnels et non concessionnels ainsi que de flux d’investissements directs étrangers estimés autour de 1,6% du PIB. Comme en 2017, le Gouvernement a pu emprunter plus de 2 milliards de US dollars en Eurobonds à des termes favorables en mars 2018. 30 30 28,5 28,5 12 12 10,1 10,1 Graphique 1 : Evolution 9,2 9,2des principaux 8,8 8,88,8 indicateurs économiques et financiers de l’économie ivoirienne. 10 10 8,8 7,97,9 7,77,7 7,47,4 2525 8 8 Une croissance économique qui reste élevée par L’inflation reste maitrisée grâce à une politique PIB, % par an PIB, % par an 6 6 rapport au reste de la région et de l’Afrique monétaire prudente 2020 17,3 3,33,3 17,3 4 4 % par an 2 2 15,2 % par an 14,6 28,5 15,2 14,6 2 30 30 15 28,5 13,3 1313 12 212 10,1 10,1 15 13,3 9,2 9,2 8,8 8,8 8,8 8,8 10 0100 10,1 10,1 7,9 7,9 7,7 7,7 7,4 25 25 8,8 7,4 1010 8,8 -28-2 8 -4,2 -4,2 PIB, % par an PIB, % par an -46-4 6 20 3,3 3,3 5205 17,3 17,3 -64-6 4 1,20,7 1,2 0,81,1 1,1 an par an 22 0,70,8 14,6 14,6 15,2 15,2 2009 2009 2010 2010 2011 2011 2012 2012 2013 2013 2014 2014 2015 2015 2016 2016 2017 2017 2018 2018 22 15 0150 13,3 13,3 1313 % par e e 00 Taux d'inflation Taux d'inflation M2M2 10,1 10,1 Credit Credit a a % Cote Cote d'Ivoire d'Ivoire UEMOA UEMOA 8,8 8,8 l'economie 10 10 l'economie -2 -2 Afrique Afrique -4,2 -4,2 sub-saharienne sub-saharienne 2015 2016 2015 2017 2018 2016 2017 2018e e -4 -4 55 -6 -6 1,2 1,2 1,1 1,1 0,70,8 0,70,8 20092010 2009 20112012 20102011 20122013 20132014 20142015 20162017 20152016 20172018 2018 ee 00 Taux Tauxd'inflation d'inflation M2 M2 Credit Creditaa Cote Coted'Ivoire d'Ivoire UEMOA UEMOA l'economie l'economie Afrique Afriquesub-saharienne sub-saharienne 2015 2015 2016 2016 2017 2017 2018 2018 ee Affaiblissement du compte courant en raison d’une Baisse du déficit budgétaire mais la dette publique balance commerciale moins positive augmente 5,05,0 4,5 4,5 5353 12,0% 12,0% 4,54,5 4,0 4,0 4,0 4,0 5252 9,6% 9,6% 4,04,0 10,0% 10,0% 5151 8,7% 8,7% 3,53,5 8,0% 2,8 2,8 5050 8,0% 3,03,0 4949 6,0% 2,52,5 5,0 5,0 53 53 6,0% 4,5 4,5 12,0% 12,0% 2,0 5252 4848 3,7% 2,0 4,5 4,5 4,0 4,0 4,0 4,0 52 52 3,7% 4,0% 4,0% 9,6% 9,6% 3,9% 3,9% 1,5 49,8 49,8 4747 10,0% 10,0% 3,5% 3,5% 1,5 4,0 4,0 51 51 8,7% 8,7% 48,4 48,4 1,6% 1,6% 1,01,0 3,5 3,5 47,3 4646 2,0% 2,0% 47,3 50 50 8,0% 8,0% 1,2% 0,5 2,8 2,8 4545 1,2% 0,5 3,0 3,0 0,6% 0,6% 49 49 0,0% 0,0% 6,0% 6,0% 0,00,0 2,5 2,5 4444 2015 2015 2016 2016 2017 2017 2018 2018 e e 2,0 2,0 2015 2015 2016 2016 2017 2017 52 52 2018( e) e) 48 2018( 48 3,7% 3,7% 4,0% 4,0% Balance Balance commerciale commerciale (%(%dudu PIB) PIB) 3,9% 3,9% Dette 49,8 49,8 publique 47 47 3,5% 3,5% 1,5 1,5 Dette publique (% (% dudu PIB) PIB) Deficit 48,4 48,4 46 46 Deficit dudu compte compte courant courant (%(% dudu PIB) 1,6% PIB) 1,6% 1,0 1,0 47,3 47,3 Deficit public (% du PIB) Deficit public (% du PIB) 2,0% 2,0% 1,2% 1,2% 0,5 0,5MEF. 45 45 Source : Calculs de la 0,6%Banque mondiale sur la base des données statistiques 0,6% du 0,0% 0,0% 0,0 0,0 44 44 2015 2015 2016 2016 2017 2017 2018 2018ee 2015 2015 2016 2016 2017 2017 2018( 2018(e) e) 17 Balance Balancecommerciale commerciale(% (%du duPIB) PIB) Dette Dettepublique publique(% (%du duPIB) PIB) Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Enfin, sur le plan budgétaire, le Gouvernement a réduit son déficit de 4,5 à 4% du PIB (sur une base «  engagement  ») entre 2017 et 2018 (Graphique 1). Cette consolidation, en ligne avec le programme soutenu par le FMI, s’inscrit dans la volonté d’atteindre la cible communautaire au sein de l’UEMOA d’un déficit budgétaire de 3% du PIB en 2019. Les objectifs en matière de recettes fiscales ont été globalement atteints, même si le taux de mobilisation autour de 16,5% du PIB reste l’un des plus faibles de la sous- région. En parallèle, les dépenses ont légèrement diminué de 0,5% du PIB entre 2017 et 2018 grâce à l’élimination des mesures exceptionnelles qui avaient été instaurées en 2017 à la suite des revendications financières d’une partie des forces armées et de la Fonction Publique. Le Gouvernement a financé son déficit sur les marchés internationaux à travers une émission d’Eurobonds plutôt que régionaux, en profitant de termes plus favorables. Le niveau d’endettement de l’Etat a augmenté de 2,8% du PIB entre 2017 et 2018 pour atteindre 52,6% du PIB à la fin décembre 2018, avec une substitution partielle de la dette intérieure (-3,4% du PIB) par la dette extérieure (+6,2% du PIB)2. 1.1.2 Les perspectives de court et moyen termes Les perspectives pour l’économie ivoirienne restent favorables même si les risques augmentent avec le rapprochement des échéances politiques nationales en 2020. Cet élément d’incertitude peut affecter à la fois la conduite de la politique budgétaire et les décisions d’investissements et de consommation des ménages ainsi que des entreprises. Ci-dessous est présenté le scénario de base – le plus vraisemblable- dans lequel l’économie ivoirienne est projetée converger graduellement vers un taux de 7%. Ce scénario suppose une stabilité tant économique que politique ainsi que des conditions extérieures qui sont alignées sur les prévisions de la Banque mondiale et du FMI. L’examen des principaux risques est ensuite proposé.  Le scénario de base L’expansion de l’économie ivoirienne devrait rester rapide mais ralentir graduellement au cours des 3 prochaines années, poursuivant en cela sa trajectoire depuis 2015. Le taux de croissance du PIB est projeté atteindre 7,2% en 2019 puis 7% dans les années suivantes. Cette baisse s’explique par la diminution de la contribution du secteur public car l’Etat continuera à consolider ses comptes. Quant à la contribution du secteur privé, elle restera positive mais affaiblie car il est vraisemblable que des projets d’investissements soient mis en veilleuse à l’approche des élections nationales en 2020. Toutefois, l’apport de « grands » projets d’infrastructures comme la construction du 4ème pont et du métro à Abidjan devraient stimuler le secteur de la construction. Plusieurs projets financés par la Chine devraient également voir le jour à la suite des contrats annoncés récemment par le Gouvernement. La politique industrielle du Gouvernement, visant à accroitre la transformation des produits agricoles, devrait contribuer à créer de nouveaux emplois dans les zones urbaines. Enfin, la contribution du secteur externe est projetée rester approximativement au même niveau que lors de ces années même si elle reste sensible aux chocs exogènes que sont les variations des prix internationaux et les changements climatiques. 2 Le montant de la dette publique inclut l’endettement des entreprises publiques garanti par le Ministère des Finances et le C2D. Le C2D est le contrat de Désendettement et de Développement avec la coopération française qui consiste à la reconversion de la dette remboursée en subvention pour des projets de développement en Côte d’Ivoire. 18 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Tableau 1 : Résultats et projections économiques, 2016-21 2016 2017 2018 2019 2020 2021 Taux de croissance du PIB (%) 8,0 7,7 7,4 7,2 7,0 7,0 Taux d’inflation (%) 0,7 0,8 1,1 2,0 2,0 2,0 Solde de la balance en compte courant (% du PIB) -1,2 -3,5 -3,9 -4,0 -3,8 -3,8 Déficit de la balance budgétaire (% du PIB) 4,0 4,5 4,0 3,0 3,0 3,0 Dette publique (% du PIB inclus C2D) 48,4 41,8 52,6 51,0 49,7 48,9 Source : Banque mondiale, décembre 2018. Les projections des principales variables financières et monétaires devraient demeurer sur leur trajectoire historique de ces dernières années. Le taux d’inflation devrait se stabiliser entre 1-2% dans la mesure où aucun changement n’est prévu dans la politique monétaire prudente poursuivie par les autorités régionales et que les prix des denrées alimentaires ainsi qu’énergétiques demeurent stables. L’expansion du crédit bancaire devrait graduellement converger vers le taux de croissance de l’économie, avec une demande réduite des entreprises à l’approche des élections. Le Gouvernement devrait finaliser les restructurations des banques publiques, avec l’ouverture prévue du capital de la BNI et de la CNCE aux capitaux privés. Le segment le plus dynamique du secteur financier devrait rester les services bancaires mobiles qui en réduisant les coûts de transaction devrait favoriser l’inclusion financière, notamment par la création de comptes mobiles auprès de compagnies de téléphonie. Le solde de la balance en compte courant se situera autour de 3-4% dans les prochaines années. Cette prévision est basée sur le maintien des prix du cacao et du pétrole à leurs niveaux de fin 2018 (ce qui correspond aux projections de la Banque mondiale et du FMI). Son financement devrait continuer à être une combinaison d’investissements directs étrangers et d’emprunts concessionnels et non- concessionnels. Il est probable que le Gouvernement ait moins recours au marché des Eurobonds, en raison du resserrement des conditions sur les marchés financiers mondiaux, pour favoriser les emprunts bancaires bilatéraux (Chine et France) associés à plusieurs grands projets d’investissements. Le déficit budgétaire devrait se réduire de 4 à 3% du PIB en 2019, puis se maintenir à ce niveau pour respecter la norme communautaire accordée au sein de l’UEMOA au cours des années suivantes. L’ajustement en 2019 devrait se partager entre une augmentation des recettes fiscales (+0,5% du PIB), une diminution des recettes non fiscales (-0,2% du PIB) et une baisse des dépenses (-0,8% du PIB) selon le budget qui vient d’être approuvé par le Parlement. Il est toutefois important de noter que les recettes devraient surtout augmenter à la suite de la réintroduction du droit d’enregistrement sur le cacao et à la hausse de ce droit sur l’anacarde, les gains d’efficience sur le recouvrement des impôts, notamment la TVA, pouvant être décalés dans le contexte de l’instauration de la digitalisation de la déclaration et du paiement des impôts et de l’opérationalisation du nouveau système d’information fiscale en 2019.3 Quant à la baisse des dépenses, elle devrait se concentrer sur les salaires et les achats de biens et services alors que les investissements devraient légèrement baisser de 6,9% du PIB en 2018 à 6,6% du PIB en 2019. La baisse prévue du déficit budgétaire devrait contribuer à une réduction de la dette publique de 52,6 % du PIB en 2018 jusqu’à 45,3% du PIB en 2021. La part des emprunts (en partie) concessionnels devrait augmenter avec le financement des grands travaux garanti par des agences bilatérales et, selon la nouvelle stratégie de gestion de la dette, aboutir à un rééquilibre entre l’endettement domestique et extérieur. 3 La hausse des taxes sur l’exportation est sujette à la critique car elle revient à prélever une partie de la rente des producteurs locaux en faveur des recettes de l’Etat étant donné que leur impact sur le prix mondial devrait être minimal. Pour une discussion générale, cf. J. Beckman et al., The Impact of export taxes on agricultural trade, Vox, CEPR Policy Note, Octobre 2018. 19 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 L’ajustement budgétaire prévu au cours des dernières années devra être en partie compensé par un effort pour améliorer l’efficience des dépenses publiques. Au-delà de garantir la soutenabilité des comptes de l’Etat au cours du temps, le Gouvernement devra chercher à mieux allouer les deniers publics pour optimiser le bien-être de l’ensemble de la population et s’assurer qu’ils parviennent à ceux à qui ils étaient destinés. En ce qui concerne l’allocation des dépenses publiques, le Gouvernement devra continuer à privilégier les dépenses en investissement pour réduire les déficits en termes d’infrastructure et celles dirigées vers les plus pauvres. D’importants efforts ont été faits pour accroître les ressources budgétaires orientées vers la lutte contre la pauvrété. L’effort ne devrait pas seulement être d’augmenter leurs parts dans le budget (qui sont déjà relativement élevées) mais aussi d’améliorer leur efficacité. Toutes les dépenses en investissement (27% du budget de l’Etat en 2018) ne sont pas productives comme l’a mis récemment en évidence un rapport de la Banque mondiale et du FMI4. Les critères de sélection ne sont pas toujours bien établis, les dépenses d’entretien négligées, et une partie des dépenses des investissements ne couvrent pas l’achat de bien de capitaux mais plutôt des dépenses courantes comme le paiement de consultants ou d’autres frais connexes. Une meilleure catégorisation des dépenses devrait aboutir dans le cadre du démarrage de budget-programmes. De même, il faudrait mettre en place un meilleur ciblage des dépenses en faveur des groupes vulnérables pour une meilleure efficacité et un meilleur impact. Plusieurs avancées ont été réalisées au cours des dernières années en matière de la gestion financière des comptes de l’Etat, comme mis en évidence dans le dernier rapport portant sur l’évaluation de la performance de la gestion des finances publiques en Côte d’Ivoire (selon la méthodologie Public Expenditure Financial Assessment-PEFA dont le score global est passé de 8 à 11 entre les deux dernières évaluations). Si les principales forces et faiblesses sont résumées dans l’encadré ci-dessous, trois préoccupations majeures méritent plus d’attention au cours des prochaines années : • Une part excessive des paiements est effectuée hors des procédures budgétaires ordinaires, environ 35% des dépenses non salariales selon le PEFA.5 Les avances de trésorerie totalisaient encore 324 milliards FCFA à fin août 2018. Le recours aux avances peut traduire des carences en termes de planification des dépenses ou de gestion fiaancière tout en imposant un travail administratif important car elles doivent être régularisées à posteriori. • Le Gouvernement a fait des efforts pour améliorer la transparence en matière de passation des marchés, mais des progrès suplémentaires doivent être réalisés. La direction des marchés publics publie sur son site internet les contrats signés et le Ministère en charge des marchés publics partage chaque trimestre une communication sur l’état des marchés publics. Il faut toutefois continuer à améliorer les modes de passation de marchés, car un récent audit publié par l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics a rappelé que plus de 40% des marchés audités ne respectaient pas toutes les règles en 2016 (contre 56 % en 2014). Aussi, l’usage du gré à gré plutôt que des appels d’offres ouverts continuait d’être pratiqué pour environ 1/3 des marchés. L’opérationalisation d’un système de prix de référence contribuerait à contenir la charge de la commande publique. • La troisième préoccupation porte sur le montant des arriérés. La définition utilisée par l’Administration ivoirienne, en ligne avec celle au sein de l’UEMOA, ne considère comme arriérés que les dépenses ordonnancées (prises en charge par le comptable) et pas encore payées dans un délai supérieur à 90 jours. En fait, cette définition est restrictive car elle ne 4 Banque mondiale et FMI, Côte d’Ivoire : Public Investment Management Assessment, 2016. 5 Conforme à la nomenclature budgétaire de l’UEMOA qui pourrait être l’objet de revision. 20 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 prend pas en compte l’ensemble des dépenses engagées et liquidées mais bloquées en amont de la chaine et qui devront être payées ultérieurement. Le montant officiel des arriérés (restes à payer) n’était que de 148 milliards FCFA en septembre 2018 mais il peut masquer des retards en amont de la chaine des dépenses. Cette définition explique aussi les disputes entre le secteur public et privé sur les montants d’arriérés car ils ne parlent pas toujours de la même chose. La revision de ce critère pourrait être envisagée notamment pour reduire les délais d’attente pour les PME. Principales forces/faiblesses selon le dernier rapport PEFA L’exercice PEFA a montré des progressions dans le système des finances publiques. Le développement d’un dispositif institutionnel robuste appuyé d’outils informatiques performants et d’une volonté politique ferme se conjuguent pour assurer une bonne discipline budgétaire globale mais des faiblesses persistent dans la gestion des dépenses, notamment en matière de contrôles. Forces -- Crédibilité de la stratégie des finances publiques et du budget avec des écarts minimes entre les budgets programmés et exécutés en recettes comme en dépenses. -- Bonne prévision des recettes. -- Un accroissement de la transparence dans la gestion des finances publiques avec des contrôles externes améliorés de la part de la Cour des comptes. -- L’encadrement administratif et financier à priori des établissements publics et des collectivités territoriales. -- Une bonne gestion de la dette publique. Faiblesses -- Ecart dans l’allocation des dépenses programmées par Ministère et celles qui sont exécutées. -- Couverture non-exhaustive des recettes et des dépenses dans les états financiers annuels de l’Administration budgétaire centrale avec des recettes et dépenses non comptabilisées représentant respectivement 22,1% et 14,4% en 2015. -- La supervision des entreprises publiques bien que récemment renforcée est encore insuffisante et leurs risques budgétaires et ainsi que leurs passifs éventuels ne sont pas quantifiés dans leurs rapports financiers. -- Un contrôle interne et externe faible avec aucune évaluation indépendante de la performance des ministères et de nombreuses entreprises et agences publiques réalisée au cours des trois dernières années. Les risques internes et externes La Côte d’Ivoire est exposée à des risques économiques qui sont relativement bien connus. Sur le plan extérieur, le pays reste vulnérable aux variations des prix de ses produits de base. En outre, le resserrement de la politique monétaire sur les marchés internationaux et régionaux rendrait les emprunts non concessionnels plus onéreux, ce qui pourrait affecter l’assainissement budgétaire prévu et la viabilité de la dette à moyen et long termes. Les risques climatiques ne sont pas négligeables sur la production et les exportations de produits agricoles. Le pays est aussi vulnérable aux menaces terroristes, qui avaient déjà frappé à Grand Bassam en 2016, et qui continuent à affecter plusieurs pays de la sous-région. 21 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Sur le plan interne, le risque porte surtout sur l’ajustement budgétaire. Si la maîtrise des comptes de l’Etat est globalement confirmée par le maintien de recettes domestiques supérieures aux dépenses courantes (une des règles d’or en finances publiques) et par un service de la dette inférieure à 15% des revenus, le niveau relativement bas des recettes fiscales de l’Etat autour de 16% du PIB constitue une contrainte majeure pour le financement des besoins de l’Etat, qui restent importants tant en matière d’infrastructures physiques que de dépenses sociales dans les années à venir. Ce bas niveau représente aussi un risque car même un retard léger en termes d’ajustement des dépenses pourrait mettre en péril l’ajustement budgétaire prévu. Dans ce sens, la réduction du train de vie de l’Etat passe par des coupes de sa masse salariale (tout au moins en pourcentage du PIB), qui peuvent s’avérer plus difficiles que prévues. Les gains d’efficience recherchés en termes de gestion des fonds publics peuvent se heurter à la résistance de groupes d’intérêt particuliers. En outre, même si le risque d’endettement du pays est modéré selon la dernière évaluation de la Banque mondiale et du FMI, les risques budgétaires et para-budgétaires ne sont pas à écarter. La dette publique est vulnérable à des facteurs exogènes comme les variations des taux d’intérêts et de change en raison du poids grandissant de la dette extérieure non concessionnelle. Les risques contingents sont présents dans les secteurs de l’énergie et des banques, notamment à travers le besoin de financer la restructuration de certaines banques publiques. La décision du Gouvernement d’ouvrir le capital de la CNCE et de la BNI est salutaire, car les levées de fonds permettront non seulement de respecter les normes de capitaux propres mais aussi de réduire les risques contingents. Enfin, le risque budgétaire lié aux projets de Partenariats Publics-Privés (PPP), fortement utilisés en Côte d’Ivoire, doit aussi être pris en compte. L’analyse des contrats PPP passés depuis 2012 a permis d’identifier plusieurs risques budgétaires réels ou contingents dans 34 contrats notamment à travers l’obligation pour l’Etat de combler les pertes des opérateurs privés lorsque les tarifs ne couvrent pas les coûts6. Bref, la réduction de l’espace fiscal dont a souffert le Gouvernement a fortement diminué sa marge de manœuvre, illustrée par le besoin de réduire le stock de dette publique par 4-5% du PIB, ce qui augmentera par conséquent les risques associés à la gestion budgétaire lors des prochaines années. Si les risques économiques ne sont pas à négliger, la principale incertitude pour l’économie ivoirienne est avant tout d’ordre politique. A l’approche des élections présidentielles prévues en fin 2020, les tensions entre les principaux partis politiques se sont ravivées, notamment avec la rupture entre le parti du Président Ouattara (RDR) et celui de l’ancien Président Bédié (PDCI). Alors que de nombreux scénarios sont aujourd’hui envisageables, des tensions sociopolitiques et sécuritaires pourraient non seulement décourager les investissements privés et ralentir la croissance économique mais aussi affecter négativement la consolidation budgétaire programmée. Les autorités pourraient être tentées de dépenser davantage pour répondre à des motivations électorales entrainant ainsi un accroissement du déficit et du stock de la dette publique qui pourraient à leur tour mettre en danger la stabilité macroéconomique et budgétaire du pays. 6 Banque mondiale, Rapport d’Évaluation des contrats PPP en Côte d’Ivoire, 2018. 22 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 1.2 Le défi d’une croissance plus intensive et plus inclusive La performance d’une économie est souvent jugée à travers le taux de croissance de son PIB. Suivant ce critère, la Côte d’Ivoire se distingue favorablement depuis 2012. Or, une économie ne croît pas toujours de la même manière et ses conséquences varient pour sa population. Toute croissance n’est pas capable de produire des emplois de qualité pour sa force de travail. De même, ses fruits ne sont pas toujours partagés équitablement. Ces questions sont d’actualité en Côte d’Ivoire à cause de la double volonté du Gouvernement de maintenir le pays sur une trajectoire de croissance accélérée ainsi que de mieux partager cette dernière avec les groupes les plus défavorisés. L’analyse ci-dessous propose trois messages. Le premier met l’accent sur le besoin de trouver un nouveau moteur de croissance qui devra provenir du secteur privé. Le deuxième message est que ce moteur devra générer des gains de productivité pour non seulement préserver la croissance mais aussi permettre la création d’emplois de meilleure qualité. Enfin, le troisième message souligne l’importance de parvenir à une croissance plus inclusive pour des motifs d’équité mais aussi pour garantir la marche en avant de l’économie ivoirienne dans la durée. Premier message : la croissance se doit de trouver un nouveau moteur Depuis la sortie de crise en 2012, les sources de croissance se sont sensiblement transformées au cours du temps. Bien que cette transformation ait été graduelle, il est utile de distinguer deux périodes. La première période, celle du rebond, couvre les années 2012-2015. Du côté de la demande, le principal moteur a été l’expansion du secteur privé. Après plus d’une décennie d’incertitude politique, la sortie de crise a provoqué un effet de « rebond », qui s’est traduit par le doublement du taux d’investissement entre 2011 et 2012, et par une hausse rapide de la consommation (Graphique 2). Le secteur public a aussi contribué à la croissance car l’expansion des dépenses a été financée par l’allègement de la dette externe du pays et l’augmentation des revenus domestiques. Cette relance a été financée par l’accroissement des crédits bancaires domestiques (qui ont atteint 30% environ en 2015) et par l’accès retrouvé du Gouvernement aux marchés financiers internationaux, y compris la première émission sur le marché des Eurobonds en 2014. Du côté de l’offre globale, la plus forte contribution est venue des services (3,8 points de croissance) avec l’expansion des activités modernes (communication, finance et transports) poussée par la forte demande intérieure et les innovations technologiques. La contribution de l’industrie a été de 2,8 points de croissance, notamment grâce à la construction qui a été stimulée par les projets publics et le boom immobilier à Abidjan. L’agriculture n’a joué qu’un rôle marginal (1,3 points) en raison de conditions climatiques et des prix internationaux peu favorables. La deuxième période a commencé en 2016 quand le secteur privé, notamment l’industrie, a commencé à montrer ses premiers signes d’essoufflement qui se sont accentués en 2017 (cf. Graphique 2). Sa contribution à la croissance économique a chuté de 6,9 points entre 2015 et 2017. Dans le même temps, l’expansion du secteur public a été freinée en raison du rétrécissement de l’espace budgétaire. En 2017, ces baisses ont été compensées par l’amélioration de la balance commerciale, induite par une hausse des exportations, qui a compté pour 3,6 points de croissance. Du côté de l’offre, l’élément moteur a été l’excellente performance du secteur agricole grâce à la combinaison de programmes de soutien mis en œuvre dans certaines filières et des conditions climatiques favorables. 23 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Graphique 2 : L’évolution de la demande et de l’offre globales, 2012-17 L’essoufflement de la demande du L’offre de services en hausse alors que le ralentissement secteur privé de l’industrie est remplacé par la performance de l’agriculture 12,00 5,0% 9,82 4,4% 10,00 4,5% 4,0% 3,8% 8,00 Contribution au PIB, % 3,4% contriubtion au PIB, % 3,5% 6,00 5,17 3,0% 2,8% 2,6% 3,59 4,00 2,90 2,5% 2,44 2,60 2,00 1,21 2,0% 1,5% 0,20 1,5% 1,3% - 1,1% 1,0% 0,6% (2,00) 0,5% (4,00) (3,01) 0,0% 2012-15 2016 2017 Primaire Secondaire Tertaire Secteur public Secteur prive Seteur externe 2012-15 2016 2017 Source : Banque mondiale sur la base des données du FMI. 100% les statistiques pour Bien que l’année 2018 soient encore incomplètes, les tendances recueillies sur 6,1 13 les 11 premiers mois de 10,3 l’année confirment l’affaiblissement de la contribution du secteur public 80% ln GDP per employed persone, 2016 à la croissance19,2économique16,6 à cause 12 de l’expansion des dépenses publiques. La du ralentissement 55,7 contribution, en % 60% contribution du secteur externe devrait aussi être faible car les exportations ont baissé de 11,5% par China 11 rapport à la même 40% 91,4 période en 2017, alors 7,4 que les importations étaient en hausse d’environ 6,8%. La 67,0 performance 20% du secteur privé reste difficile 20,4 à appréhender 10 car les tendances semblent mixtes, avec East un rebond de la construction et une16,5 42,7 Asiade transport, mais un ralentissement accélération des activités 0% 9 des secteurs de CIV encadré). la communication, de la finance, des mines, et de l’énergie (cf. -53,3 -20% 8 -40% nSDC UNHQD nSDC UNHQD RHDCDKRS} 7 @BHEHB Pourquoi la croissance a-t-elle ralenti en 2018 ? ¬´´¬§­«¬¬ ­«¬­§­«¬± ¬´´¬§­«¬¬ 6 6 8 10 12 Stock de Les estimations Travail que le taux de croissance de l’économie a graduellement baissé de capital montrent officielles Capital Humain Productivité Ln GDP per employed person, 1995 10,2% en 2012 à 7,7% en 2017 pour probablement se situer autour de 7,4% en 2018. Parce que la finalisation des comptes nationaux prend du temps, il est coutume d’utiliser des indicateurs conjoncturels qui sont non seulement fortement corrélés avec le taux d’activité économique, mais qui sont aussi mesurés de manière régulière pour évaluer l’évolution d’une économie. Sur la base de la théorie économique et de l’expérience historique en Côte d’Ivoire, les variables suivantes ont été retenues qui montrent une combinaison de tendances positives et négatives en 2018, alors que tous les voyants étaient encore au vert en 2015. 24 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Tendances Positives : -- L’indice de production industrielle a augmenté de 7,9% pendant les 11 premiers mois de 2018, ce qui est plus rapide que 1,8% en 2017 grâce à l’expansion du BTP (10,9% contre 7,2%). -- Les transports ferroviaires ont augmenté de 17,7% (contre une baisse de 4,2%) -- La croissance du commerce de détail s’est maintenue à un fort rythme (9,2%). Tendances négatives : -- Les exportations ont baissé de 11,4% pendant les 11 premiers mois de 2018 alors qu’elles avaient augmenté de plus de 16,4% pendant la même période en 2017. -- Les importations de biens d’équipements ont baissé de 11,6% pendant les 11 premiers mois de l’année. -- Le taux d’expansion du crédit bancaire au secteur privé a stagné autour de 12,7% pendant les 11 premiers mois de 2018. -- La hausse des consommations a ralenti pour l’électricité (3,4% contre 4,9%) ainsi que le pétrole (1% contre 8,8%) alors que le chiffre d’affaires des compagnies de téléphonie mobile a baissé de 0,7%. -- Le volume de production du cacao a baissé en 2018 (-6,5%) alors qu’il avait explosé en 2017 (+56,5). -- Le taux de croissance des dépenses publiques a ralenti à 3,8 % contre 6,7% en 2017 et 10% en 2016. -- Les recettes fiscales n’ont augmenté que de 3,1% pendant les 11 premiers mois de l’année contre 8,8% l’année précédente. En regardant vers l’avenir, les autorités devront identifier de nouveaux moteurs de croissance afin de maintenir un taux de croissance rapide du PIB. Ces moteurs devront mettre l’accent sur les gains d’efficience ou de productivité, qui devront en particulier émerger du secteur privé à cause de l’ajustement budgétaire prévu ces prochaines années et le besoin de créer davantage d’emplois. Ils devront aussi conduire à une plus grande inclusion car tant la demande que l’offre globales bénéficieront d’une plus grande participation des groupes les plus vulnérables au développement. Deuxième message : la croissance devra être davantage portée par des gains de productivité La croissance économique en Côte d’Ivoire devra devenir plus intensive, à savoir qu’elle devra reposer non seulement sur un accroissement des facteurs de production mais aussi sur leur meilleure utilisation. Historiquement, l’économie ivoirienne a surtout été portée par l’accumulation de capital physique et par la hausse de l’emploi plutôt que par des gains de productivité (OECD, 2016, et Bourguignon, 1996).7 L’économie se porte bien quand l’investissement augmente comme cela avait été le cas dans les années 1960 et 1970 et lors de la première partie des années 1990. A l’inverse, en période de crise, l’investissement ralentit fortement. Pendant l’actuel épisode de croissance rapide, ce modèle de croissance a continué d’exister puisque l’investissement s’est accru de 12,5 points du PIB (de 9% à 21,5%) et a contribué à 2/3 de l’augmentation du PIB entre 2011 et 2017 (Graphique 3). Similairement, le nombre d’emplois a augmenté avec l’arrivée de 400.000 nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année et le maintien d’un taux 7 OECD, Multi-dimensional Review of Côte d'Ivoire - Vol. 3, 2016 ou F. Bourguignon et J.C. Berthelemy, Growth and Crises in Côte d’Ivoire, World Bank comparative macroeconomic studies, 1996. 25 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 12,00 12,00 5,0% 5,0% de chômage à un 9,82 niveau faible.8 9 Cette forte augmentation des facteurs de production4,4% a toutefois 9,82 4,5% 4,4% 10,00 10,00 4,5% été accompagnée par une hausse de leur productivité comme cela est capté dans le Graphique 3 4,0% 3,8% 3,8% 8,00 comptant pour environ 6% de la croissance du PIB pendant cette période. Ce3,4% ci-dessous, 8,00 4,0% résultat, Contribution au PIB, % Contribution au PIB, % 3,4% contriubtion au PIB, % contriubtion au PIB, % corroboré par plusieurs études récentes, indique que 3,5% productivité multi-sectorielle a augmenté de la 3,5% 6,00 6,00 5,17 5,17 l’ordre de 5% par an depuis 2012 (OCDE, 2016, FMI, 2016,3,0% et Haile et 3,0% Moller, 2,6% 2,8% 2,8% 2018).10 Cette apparente 2,6% rupture doit cependant être nuancée 3,59 pour plusieurs 3,59 raisons. D’abord, la méthodologie utilisée 4,00 4,00 2,90 2,5%2,5% 2,44 2,60 2,60 2,90 2,44 pour mesurer la productivité inclut des facteurs explicatifs 2,0% qui ne captent pas nécessairement une 2,00 2,00 1,21 1,21 2,0% meilleure utilisation des facteurs 0,20 0,20 de production. 11 Ensuite, ce résultat 1,5% 1,5% prometteur correspond plus 1,5% 1,3% 1,5% 1,3% à une - remise - à niveau ou un rattrapage de la productivité qu’à une véritable 1,1% percée. En effet, la 1,1% 1,0%1,0% productivité moyenne d’un travailleur ivoirien en 2016 restait égale à celle qui existait 0,6% 0,6% en 1995, alors (2,00) (2,00) 0,5%0,5% que l’écart de productivité avec les pays asiatiques s’est creusé pendant cette période (Graphique 3). (4,00) (4,00) (3,01) (3,01) 0,0% 0,0% 2012-15 2012-15 2016 2016 2017 2017 Primaire Primaire Secondaire Secondaire Tertaire Tertaire Graphique 3 : La croissance Ivoirienne a plus été quantitative que qualitative au cours des deux Secteur Secteur dernières public public Secteur décennies Secteur prive Seteur prive Seteur externe externe 2012-15 2016 2016 2017 2012-15 2017 Les facteurs explicatifs de la croissance par Le revenu moyen par travailleur est presque identique à habitant selon la décomposition de Solow, celui qui prévalait en 1995 et l’écart s’est creusé avec les 1991-2016 pays d’Asie 100% 100% 13 13 6,16,1 10,310,3 80% 80% ln GDP per employed persone, 2016 ln GDP per employed persone, 2016 16,616,6 55,7 12 12 19,2 19,2 55,7 contribution, en % contribution, en % 60% 60% China China 91,4 11 11 40% 40% 91,4 7,47,4 67,0 67,0 20,4 20,4 20% 20% 10 10 East East 42,7 42,7 16,5 Asia 16,5 Asia 0% 0% 9 9 -53,3 -53,3 CIV CIV -20% -20% 8 8 -40% -40% nSDC UNHQD nSDC UNHQD nSDC UNHQD nSDC UNHQD RHDCDKRS} RHDCDKRS} 7 7 @BHEHB @BHEHB ¬´´¬§­«¬¬ ­«¬­§­«¬± ¬´´¬§­«¬¬ ¬´´¬§­«¬¬ ­«¬­§­«¬± ¬´´¬§­«¬¬ 6 6 6 6 8 8 10 10 12 12 Stock Stock de capital de capital Travail Travail Capital Capital Humain Humain Productivité Productivité Ln Ln GDPGDP perper employed employed person, person, 1995 1995 Source : Banque mondiale, 2018. 8 Le taux de chômage est relativement faible en Côte d’Ivoire, autour de 2 %, reflétant en partie la définition retenue par le Bureau International du Travail (BIT) ainsi que le fait que si la majorité des travailleurs sont occupés en Côte d’Ivoire, ils ne le sont pas forcément à temps plein ou dans une occupation productive. Pour une discussion plus approfondie, cf. Banque mondiale, Job Diagnostic in Côte d’ivoire, P. Premand et L. Christiansen (eds.), 2016. 9 La contribution de l’emploi aurait été encore plus forte si le pays avait réussi à maîtriser sa croissance démographique et ainsi réduire la part des inactifs dans sa population totale, qui à environ 50% reste l’une des plus élevées de la planète. Le dividende démographique n’a apporté que 0,17 point de croissance supplémentaire à la Côte d’Ivoire alors que sa contribution a dépassé 0,40 et 1,2 points en Afrique et en Asie de l’Est pendant les 15 dernières années (graphique 3). 10 IMF, Selected Issues papers, Fostering sustainable economic growth, 2016; F. Haile and L. Moller, Explaining the WAMEU Growth Spurt- The Role of Financial Deepening and macro Policy, 2018. 11 La productivité est mesurée par la décomposition de Solow. Celle-ci calcule les contributions respectives de l’accumulation de capital et du travail pour ensuite déduire le résiduel qui est définit comme le taux de productivité total associé aux facteurs de production dont on ne connait pas l’origine. Cette mesure reste donc approximative et est fortement dépendante de la capacité de bien mesurer l’évolution des stocks de capital physique et en capital humain, ce qui est extrêmement difficile pour une économie comme la Côte d’Ivoire. 26 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 L’expérience des pays asiatiques pourrait servir d’inspiration car ceux-ci-ont bâti leur succès économique sur la réalisation de gains de productivité des facteurs de production, qui ont contribué à plus de la moitié de leur croissance du PIB par an entre 1991 et 2011 (Graphique 3). Deux explications sont derrière le succès de pays émergents en Asie. La première a été le déplacement massif de leurs travailleurs vers des activités à plus forte valeur ajoutée, ce qui a engendré des gains intersectoriels de productivité du travail. La deuxième explication se trouve dans leur capacité à avoir rendu plus productifs leurs travailleurs employés dans les secteurs à forte intensité de main d’œuvre au cours du temps, notamment en agriculture. En parallèle, leur capacité à adopter et adapter le progrès technologique a permis cet envol graduel et soutenu de la productivité de leurs facteurs de production au cours du temps.12 Le Plan National de Développement de la Côte d’Ivoire (2016-2020) a mis en avant le besoin d’accroître les gains de productivité tant dans les activités agricoles que non agricoles. La transformation des produits agricoles s’inscrit dans cette logique d’accroitre la valeur nationale au sein de l’économie. L’amélioration du climat des affaires et le développement du capital humain et physique sont des éléments importants. Le propos n’est pas ici d’examiner les composantes de ce plan, mais de souligner le double rôle que peut jouer le processus d’urbanisation dans cette quête justifiant ainsi l’attention qui lui sera donnée dans la deuxième partie de ce rapport. L’urbanisation est souvent le miroir du changement structurel car les travailleurs quittent l’agriculture pour des emplois dans l’industrie et les services qui se trouvent généralement en ville. Elle contribue aussi à des gains de productivité par ses effets d’agglomération qui génèrent des économies d’échelle et un accès plus facile aux marchés et aux services de base. Troisième message : La croissance doit devenir plus inclusive Pour la première fois depuis 1984, le taux de pauvreté est à la baisse en Côte d’Ivoire. Le revenu national s’est accru de 80% entre 2012-2015 et le taux de pauvreté est passé de 51% en 2011 à 46% en 2015. Le revenu moyen réel par tête a augmenté de 32% depuis 2012 (Graphique 4). Cependant, l’épisode en cours de croissance accéléré n’a pas été suffisamment inclusive. Ces résultats peuvent être améliorés car ils indiquent que chaque accroissement de 1% du revenu par habitant dans le pays n’a réduit le taux de pauvreté que de 0,25 points en Côte d’Ivoire alors que cette élasticité est de 1,9 points en Afrique Sub-Saharienne et même de 3,3 points pour plusieurs pays en dehors du continent.13 Ils sont en général confirmés par l’évolution de variables non-monétaires puisque l’accès à l’eau potable, à un marché, à un centre de santé s’est dégradé pour les plus pauvres de 10,4%, 10,8% et 4,9% entre 2008 et 2015. Ceux-ci ont également enregistré une diminution du nombre de biens durables en leur possession (environ -1%), en revanche, leur accès à l’électricité s’est légèrement amélioré (+11,1% entre 2008 et 2015) ainsi que celui à l’assainissement (+7,4%) et surtout à l’éducation primaire (+21,3%) 12 Pour une discussion plus approfondie sur le rôle du progrès technologique et son importance pour la Côte d’Ivoire, cf. le sixième rapport sur la situation économique, Banque mondiale, Aux portes du paradis, comment la Côte d’Ivoire peut rattraper son retard technologique, janvier 2017. 13 Pour une discussion détaillée et une comparaison avec un échantillon de pays, cf. Banque mondiale, Accelerating Poverty Reduction in Africa, draft, Octobre 2018. 27 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Graphique 4 : Malgré l’enrichissement du pays, la pauvreté ne s’est que faiblement réduite entre 2011 et 2015 25,0 60% 21,2 50% 20,0 51% 49% 46% 40% 15,0 38% 11,8 10,8 30% 10,0 8,6 10,7 20% 9,5 10,7 5,0 6,7 10% - 0% 2002 2008 2011 2015 Nombre de pauvres (millions) PIB ( millliers de millards de FCFA) Taux de pauvrete Source : Institut Nationale de la Statistique. Les explications derrière la faible inclusion de la croissance économique sont au moins de trois ordres. D’abord, sa concentration autour d’un nombre restreint de secteurs modernes à Abidjan a limité les bénéfices de la croissance et son impact pour les pauvres, qui se trouvent majoritairement en zones rurales. Les secteurs porteurs d’emplois n’ont pas enregistré des performances suffisamment positives sur la durée pour engendrer des gains de revenus substantiels pour leurs travailleurs. Par exemple, les paysans ont eu une bonne année en 2017, alors que l’année précédente avait été relativement mauvaise. Le secteur informel urbain, en particulier le commerce, qui accueille de plus en plus de travailleurs a enregistré une baisse de sa productivité ce qui s’est traduit par des revenus moins élevés. L’exception semble être le secteur de la construction, qui a explosé depuis 2012, créant de nombreux emplois. Ensuite, de nombreux ménages restent extrêmement vulnérables à des chocs exogènes. Les inondations ou a contrario la sécheresse peuvent détruire les récoltes et anéantir le dur labeur des fermiers, qui ne sont généralement pas assurés. Un ménage peut perdre son logement pendant la saison des pluies. Au-delà des risques climatiques, de nombreux opérateurs sont exposés aux variations de prix sur les marchés mondiaux. Cette vulnérabilité est illustrée par l’exemple des producteurs de cacao qui doivent faire face aux variations des prix internationaux et à des conditions climatiques imprévisibles (encadré). Enfin, malgré des efforts importants pour améliorer l’accès aux services et aux infrastructures de base, leur impact est certainement décalé sur le portefeuille et le bien-être des ménages les plus pauvres. A cet égard, le Gouvernement, dans le cadre de son action sociale, a mené une politique de revalorisation des rémunérations avec le relèvement des salaires minimum, le déblocage des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat restés inchangés depuis 1989 et l’instauration des avancements indiciaires tous les deux ans. Les autorités ont mis en place un projet visant à connecter tous les villages d’au moins 500 habitants, qui a permis de donner l’accès à l’électricité à 2077 localités à fin 2018 et devrait atteindre la cible de 2531 localités en 2019, pour ensuite couvrir tout le territoire en 2025. Par ailleurs, en réduisant le coût d’accès aux branchements à 1000 FCFA au lieu de 150.000 FCFA, le Gouvernement a permis à 400.000 ménages pauvres d’avoir un branchement électrique. Tous ces efforts devraient s’accélérer en 2019 et 2020 avec l’annonce d’un nouveau programme social par le Président lors de son allocution de fin d’année. Ce programme vise à fournir aux populations des 28 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 services de santé de proximité, des conditions d’accès à l’école plus améliorées, à faciliter l’accès aux logements, à l’énergie et à l’eau potable, accroître l’employabilité des jeunes ainsi que le bien-être des populations en zones péri-urbaine et rurale. Le Gouvernement devrait continuer sur cette lancée dans la mesure où l’impact de certains investissements sur le quotidien des ménages peuvent être décalés. Par exemple, l’augmentation des taux de fréquentations scolaires ne se répercutera sur la qualité de la force de travail que lorsque les élèves arriveront au terme de leur cursus et entreront sur le marché du travail. La construction d’une route prend plusieurs années. Réduire la taille moyenne de la famille ivoirienne ou encourager les femmes à mieux s’instruire, qui sont des facteurs explicatifs de la réduction de la pauvreté, ne peuvent être que des actions graduelles à cause de résistances culturelles et sociales.14 La vulnérabilité des producteurs de cacao La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao, fournissant près de 40% de la production mondiale de cacao. Ce secteur constitue un moyen de subsistance pour environ un cinquième de la population, ainsi qu’une importante source d’exportation et de recettes publiques. C’est pourquoi tout développement dans le secteur du cacao a des conséquences importantes sur la réduction de la pauvreté et la prospérité de la population ivoirienne. Surtout que près de 75% du million de producteurs de cacao vivent toujours dans la pauvreté et la précarité avec une rémunération en dessous du seuil de pauvreté (en moyenne environ 568 FCFA par jour).1 Entre septembre 2016 et février 2017, les prix mondiaux du cacao ont fortement chuté d’environ 35%. Cette chute des prix s’était expliquée par les prévisions d’un accroissement de la production de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana due à d’excellentes conditions climatiques mais aussi à un ralentissement de la demande au niveau international. A la suite de cette baisse, le Gouvernement a décidé de réduire les prix aux producteurs de 1.100 FCFA à 700 FCFA en avril 2017. Cette baisse, justifiée en raison de la chute des prix mondiaux, n’a pas eu un impact significatif sur le revenu des producteurs en 2017. En effet, la baisse du prix bord champ a été compensée par une augmentation de leurs ventes. Un simple calcul permet de mettre en évidence que leur revenu a totalisé environ 1,7 milliards de FCFA pendant l’année 2017 ce qui est légèrement inférieur au montant (1,8 milliards de FCFA) obtenu en 2016. Bien entendu, ce calcul reflète une moyenne et ne capte par les variations qui ont existé entre les producteurs. Si les producteurs ont été relativement épargnés en 2017, cela n’a pas été le cas en 2018. Les prix bord champ sont restés bas, avec uniquement une légère remontée de 700 à 750 FCFA annoncée le 1er octobre, et les quantités vendues ont diminué d’environ 6% entre 2017 et 2018. Leur revenu en 2018 est projeté autour de 1,4 milliard de FCFA, ce qui est environ 20% inférieur à ce qu’ils avaient obtenu deux ans auparavant. La filière cacao fait vivre directement environ 4 millions de personnes en Côte d’Ivoire, dont beaucoup sont déjà en situation de pauvreté. La chute de leur revenu n’est donc pas sans conséquences tant économiques que sociales et humaines. Le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures visant à soutenir les producteurs notamment la politique de garantir au moins 60% du prix mondial aux producteurs et la recherche d’une politique d’harmonisation avec le Ghana. 14 Selon les résultats de l’enquête des ménages (2015), un ménage avec plus 6 enfants a trois fois plus de chances d’être pauvre qu’un ménage avec moins de 3 enfants. 29 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 L’enrichissement des plus riches a aussi contribué à accroître les inégalités. Ce résultat est mathématique : si le revenu du pays augmente et les pauvres en bénéficient proportionnellement moins, les plus aisés se sont donc enrichis. Ce constat peut être nuancé car la consommation des ménages les plus pauvres a augmenté de 0,74% par an entre 2008 et 2014, ce qui est positif et plus rapide que pour les plus riches, mais pas suffisant pour permettre à un grand nombre d’entre eux de sortir de la pauvreté.15 Concrètement, les inégalités ne sont pas faciles à mesurer car elles sont imparfaitement captées par les enquêtes des ménages.16 Celles-ci s’intéressent à la consommation, alors que les inégalités sont plus fortes lorsque les revenus et les actifs sont pris en considération. De plus, ces enquêtes portent sur un échantillon représentatif de la population, qui n’inclut guère les extrêmes les plus riches et les plus pauvres. Plusieurs études ont montré que les inégalités augmentent en considérant la fortune des plus riches – le fameux top 1% - dans de nombreux pays de la planète (y compris en Afrique Sub-saharienne), et il serait utile de déterminer si cela est aussi le cas en Côte d’Ivoire.17 En Côte d’Ivoire, les inégalités ne sont pas seulement économiques mais aussi géographiques. Le taux de pauvreté est supérieur en zone rural (56,8%) par rapport aux centres urbains (35,9 % dont 22,7% à Abidjan), même si cet écart tend à diminuer au cours du temps car si le taux de pauvreté s’est réduit dans les campagnes (-5,7%) entre 2008 et 2015, il a augmenté dans les centres urbains (+6,4%). Les zones du Nord et du Nord-ouest du pays sont aussi plus pauvres (plus de 60%) que celles proches du Littoral au Sud-ouest (moins de 40%). Ces écarts peuvent provoquer des sentiments de traitement différenciés entre régions dans un pays qui reste fragile face aux revendications politiques et ethniques. Ils expliquent aussi les flux migratoires de populations, en particulier l’urbanisation qui retiendra l’attention dans la suite de ce rapport. L’intégration des exclus de la croissance n’est pas seulement un impératif social, moral et politique mais aussi économique. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, presque la moitié de la population ne participe que marginalement à l’expansion de la demande et de l’offre globales. Si les pauvres recevaient plus de fruits de la croissance, ils consommeraient davantage ce qui stimulerait la demande intérieure, et cela dans une proportion plus grande que les classes aisées qui épargnent. A titre d’illustration, en extrapolant les résultats d’une étude de la Banque mondiale, une baisse du taux de pauvreté de 10 points grâce à une meilleure politique de redistribution et de protection sociale, permettrait d’accroître le revenu moyen par habitant de 0,8-1,1% en Côte d’Ivoire chaque année.18 De surcroît, une augmentation du revenu des ménages les plus pauvres devrait leur permettre d’investir plus tant en capital physique qu’humain, ce qui catalyserait à son tour l’offre globale dans la durée.19 La présence de ces doubles effets explique pourquoi les pays qui ont réussi à conserver une trajectoire de croissance accélérée sont ceux qui ont réussi à abaisser leur taux de pauvreté simultanément (M. Ravaillon).20 La quête vers l’émergence sera partagée ou elle ne sera pas : un résultat à ne pas oublier pour la Côte d’Ivoire, qui justifie d’ailleurs l’adoption récente d’un nouveau programme social par le Gouvernement et sa mise en oeuvre lors des prochaines années. 15 L’augmentation de la consommation a été encore plus rapide (1,6% par an) pour les ménages plus pauvres en milieu rural. 16 L’indicateur généralement utilisé est le coefficient de Gini qui mesure l’écart entre la consommation des ménages les plus pauvres (20%) avec celle des 20% les plus riches. Plus les inégalités sont faibles, plus cet indicateur est proche de 100. En Côte d’Ivoire, il était égal à 41,5 en 2015. Selon la Banque mondiale, le pays le plus inégal est l’Afrique du Sud avec un indice de 63 et le plus égal est l’Azerbaïdjan avec un indice de 16. 17 Voir, par exemple, le rapport du Credit Suisse : Global Wealth Report (https://www.credit-suisse.com/corporate/en/research/research- institute/global-wealth-report.html) qui montre que la fortune des plus riches augmente plus vite que celle des autres groupes dans le monde chaque année. 18 Voir, H. Lopez and L. Serven : Too poor to grow?, Policy Working Paper Series, World Bank, 2006. 19 Les ménages les plus pauvres sont le plus souvent incapables d’investir en éducation ou en capital physique, ce qui les maintient dans le « piège de la pauvreté. » 20 M. Ravaillon, Why we don’t see Poverty Convergence, American Economic review, 102(1) 2012. 30 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 1.3 La bonne gestion des villes peut accélérer le développement économique L’urbanisation est un vecteur de développement économique qui peut aider la Côte d’Ivoire dans sa quête pour une croissance plus intensive et plus partagée. Par ses effets d’agglomération elle aide à l’essor des entreprises qui peuvent ainsi réaliser des gains de productivité. Elle est aussi le miroir de la transformation structurelle d’un pays puisque le déplacement des travailleurs vers des activités à plus forte valeur ajoutée les poussent vers les centres urbains. Les villes contribuent aussi à l’amélioration du capital humain en raison des opportunités à mieux y apprendre et à y être mieux soigné (Lucas, 2015).21 Enfin, les agglomérations urbaines concentrent l’action de l’Etat en termes d’infrastructures et services sociaux (Gleaser et Henderson, 2017).22 Ces liens entre urbanisation et gains d’efficience sont aujourd’hui une évidence tant empirique que théorique (Graphique 5).23 Comme presque dans tous les pays de la planète, mais plus rapidement que la moyenne en Afrique sub-Saharienne, l’urbanisation est un phénomène en marche en Côte d’Ivoire. Le taux d’urbanisation du pays a grimpé de 17,7% en 1960 à plus de 50% en 2018 (Graphique 5, panneau de droite). La Côte d’Ivoire est aujourd’hui le 16ème pays le plus urbanisé du continent africain mais remonte à la troisième place après le Cameroun et le Ghana lorsque seuls les pays avec au moins 5 millions d’habitants sont considérés. Graphique 5 : L’urbanisation comme vecteur de développement Les pays urbanisés sont plus riches L’urbanisation rapide de la Côte d’Ivoire 60,0 60,0 54,8 54,8 1313 Population urbaine,(% totale) Population urbaine,(% totale) 50,0 50,0 1212 50,3 50,3 ln GDP per employed person, 2016 ln GDP per employed person, 2016 40,0 40,0 1111 30,0 30,0 39,5 39,5 1010 20,0 20,0 99 Cote d'Ivoire Cote d'Ivoire 10,0 10,0 88 0,0 0,0 77 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 66 0 0 20 20 40 40 60 60 80 80 100 100 Cote d'Ivoire Cote d'Ivoire MondeMonde Urbanization rate, 2016 Afrique Sub-Saharienne Urbanization rate, 2016 Afrique Sub-Saharienne Source : Banque mondiale. L’urbanisation de la Côte d’Ivoire est le résultat de deux forces conjointes. D’une part, les habitants quittent les zones rurales à cause de la mécanisation de l’agriculture et l’appauvrissement des terres (le « rural push »). En parallèle, les migrants sont attirés par la perspective de trouver des conditions de vie améliorées dans les centres urbains, notamment un accès à un travail et à une meilleure 21 R. Lucas, Human capital and Growth, American Economic Review, 105, 2015. 22 E. Gleaser and V. Henderson, Urban economics for the developing world: an introduction, Journal of Urban Economics, 98, 2017. 23 Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde : Repenser la géographie, 2009. 31 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 éducation (« urban pull »). Aujourd’hui, l’écart entre les conditions de vie en zones rurales et urbaines est manifeste : • Le taux de pauvreté est uniquement de 29% à Abidjan, alors qu’il dépasse 55 % dans le monde rural (et cela en tenant compte des différences en pouvoir d’achat). • Les taux de scolarisation dans le premier cycle secondaire atteignent 78% dans les villes et seulement 11% dans les campagnes. L’écart est encore plus important pour l’enseignement supérieur puisqu’il n’y a aucun établissement en dehors des villes. • On vit mieux et plus longtemps dans les villes (le taux de morbidité est de 10% à Abidjan ce qui est de deux points inférieurs à celui en milieu rural), ce qui explique aussi que la croissance des villes est aussi un phénomène endogène (cf. Luc Christiaensen, 2014).24 • L’attraction des villes est surtout monétaire. Pour un individu qui vit en campagne, sa stratégie pour optimiser son revenu est certainement de se déplacer en ville (encadré). Pourquoi la Côte d’Ivoire s’urbanise ? Adrien, 19 ans, commence sa vie professionnelle et est à la recherche d’un emploi. Sa première option est de rester à côté de son père et d’exploiter la ferme familiale. Son revenu mensuel devrait atteindre environ 50.000 par mois, qui est la moyenne d’un paysan en Côte d’Ivoire. Sa deuxième option est de migrer dans une ville. Là-bas, il peut espérer gagner autour de 100.000 FCFA par mois (à nouveau la moyenne d’un travailleur urbain en Côte d’Ivoire). En se déplaçant, il peut doubler ses revenus. A titre de comparaison, même si Adrien augmentait sa productivité de 5% chaque année, il lui faudrait 15 ans pour gagner autant. L’attraction des villes est donc indéniable pour Adrien, et ses amis. Toutefois, il faut comprendre que cette comparaison est une moyenne car, en réalité, tous les migrants n’arrivent pas à sécuriser un emploi productif. De plus en plus, ceux-ci doivent se cantonner dans des emplois informels qui ne rapportent que marginalement plus de revenus qu’un travail dans l’agriculture. En 2014, l’écart de rémunération entre ces deux occupations n’était que de 6.000 FCFA et il se réduisait au cours du temps. La bonne gestion des flux migratoires ainsi que celle des villes se trouve au centre des préoccupations des décideurs politiques en Côte d’Ivoire, surtout que ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter puisque 2/3 des Ivoiriens devraient vivre dans une ville en 2050 et avec Abidjan devrait une mégapole de plus de 10 millions d’habitants à partir de 2040.25 Non seulement ces derniers doivent s’assurer que les conditions soient remplies pour que les effets d’agglomérations soient maximisés mais aussi maîtriser les risques et inconvénients associés à une plus grande concentration économique et démographique. Si les bénéfices de l’urbanisation sont réels, ils ne sont pas automatiques et, surtout, ils peuvent être anéantis par l’émergence de fléaux tels que la pollution, la précarisation et le manque de mobilité. A l’évidence, la Côte d’Ivoire n’a pas encore réussi à optimiser les gains de son urbanisation. Avec une 24 L. Christiaensen et al., Demography, urbanization and development: rural push, urban pull and urban push, Policy Research Paper Series, 7333, The World Bank, 2015. 25 Source : UN, World Population Prospects, 2018. 32 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 population urbaine représentant la moitié de la population totale du pays, son revenu par habitant devrait se situer autour de 2.700 dollars É.-U. (au lieu de de 1 540 dollars en 2017) si les économies d’urbanisation opéraient comme le prédisent les théories de la géographie économique.26 Un tel écart avec la réalité signifie que les moteurs sous-jacents de l’urbanisation ne fonctionnent pas à pleine capacité en Côte d’Ivoire. De surcroit, les coûts de la congestion, de la pollution et de la précarité sont non seulement visibles mais plus que certainement en augmentation. Ainsi, le taux de pauvreté en milieu urbain a augmenté de 6 points entre 2008 et 2014, alors qu’il a diminué de 5,7 points dans les campagnes. Les emplois précaires se multiplient dans les villes, avec la prolifération du commerce informel qui est faiblement productif car les emplois formels sont rares. Selon l’enquête des ménages de 2015, environ 1/3 des habitants en milieu urbain n’ont jamais fréquenté l’école et seule la moitié des gens malades consultent un médecin. Les conditions de logement, et d’accès aux infrastructures de base, sont difficiles dans des quartiers entiers de la capitale économique du pays. En conclusion, il devient important de chercher à mieux gérer le processus d’urbanisation de la Côte d’Ivoire pour que celui-ci devienne vraiment le vecteur de transformation économique qui a été le sien dans la majorité des pays par le monde. Dans cette vision, une des recommandations a été de mieux équilibrer ce processus en développant les villes secondaires du pays.27 Cette recommandation permettrait de soulager la pression qui s’accumule sur les services et les infrastructures au sein de la capitale économique, qui abrite aujourd’hui plus de 40 % de la population urbaine du pays ce qui est élevé par comparaison internationale. L’écart de population entre Abidjan et la deuxième ville du pays (Bouaké) est de 8 alors qu’il n’est en moyenne que de 3,7 dans les pays en développement et 2,9 dans le monde industrialisé. Cependant, le développement des villes secondaires ne devrait pas se faire au détriment d’une bonne gestion de la ville d’Abidjan. Celle-ci est en effet le centre urbain le plus apte d’atteindre les niveaux de densité tant démographique qu’économique nécessaires à l’émergence d’effets d’agglomérations au niveau de l’appareil de production et des réseaux de commercialisation en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, si Abidjan concentre presque 80% des activités économiques du pays, la proportion d’entreprises (formelles) par habitant est encore 15 fois inférieure à celle observée dans les villes asiatiques. Son taux de densité de population est aussi l’un des plus bas parmi les grandes villes africaines, par exemple 2,6 et 3,2 moins élevés qu’à Dakar et Nairobi. Ces comparaisons suggèrent donc qu’il existe une marge de manœuvre indéniable pour accroître les densités au sein d’Abidjan et ainsi générer des effets d’agglomération supplémentaires. Parce qu’il est difficile d’imaginer que ces effets entre les entreprises et leurs clients ainsi que leurs travailleurs puissent émerger sans une bonne connectivité physique ou virtuelle, la problématique de la mobilité urbaine au sein d’Abidjan retiendra l’attention dans la deuxième partie de ce rapport. 26 Pour plus de détails sur cette comparaison, cf. Banque mondiale, L’Urbanisation diversifiée, Le cas de la Côte d’Ivoire, op. cit. 27 Pour plus de détails, cf. Banque mondiale, L’Urbanisation diversifiée, Le cas de la Côte d’Ivoire, Madio Fall et Souleymane Coulibaly, Éditeurs Banque mondiale, 2016 33 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Partie 2 : Une ville qui bouge est une ville qui gagne  « Il est 5 heures, Abidjan se lève ». Chaque matin Jean-Noel se réveille pour rejoindre son poste de travail dans le quartier des affaires sur le Plateau. Il doit passer d’un taxi collectif à l’autre si bien qu’il dépense environ FCFA 25.000 par mois ou environ le quart de son salaire. Gertrude, elle, a besoin de 90 minutes par jour pour voyager de sa maison située à Yopougon jusqu’à son école, qui se trouve dans le quartier de Cocody.  Ces expériences individuelles se répètent des centaines de milliers de fois chaque jour dans la ville d’Abidjan, qui regroupe près de 5 millions d’habitants. Ceux-ci se déplacent à pied, en taxi individuel ou collectif, en bus, ou en voiture, créant des embouteillages monstres et de multiples nuisances. A cela s’ajoute tous les déplacements commerciaux car Abidjan est le poumon économique de la Côte d’Ivoire, avec son port, son aéroport et ses zones industrielles et commerciales. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le transport influe fortement sur la vie des ménages, affectant leur bien-être, et sur la rentabilité des entreprises. Un ménage abidjanais dépense en moyenne, directement en frais de transport et indirectement en temps perdu, plus de 30% de son budget pour les plus pauvres.  Avec une pointe d’humour, les Ivoiriens ont coutume de dire : « quand tu cherches quelqu’un à Abidjan, il est soit au maquis ou en chemin pour arriver au maquis ».  Parce que le transport urbain joue un rôle central dans le développement économique de la Côte d’Ivoire, cette deuxième partie de ce rapport sur la situation économique du pays s’intéresse à cette problématique.  Elle commence par situer l’importance du transport urbain dans la vie économique des citoyens et des entreprises de la Côte d’Ivoire, pour ensuite examiner les multiples facteurs qui influencent la performance actuelle. Enfin, elle conclut en évaluant la pertinence de la stratégie poursuivie par le Gouvernement tout en proposant plusieurs directions qui pourraient mener à une meilleure efficacité. 2.1.  L’importance du transport urbain   La littérature économique a montré depuis longtemps que le développement économique est intimement lié au processus d’urbanisation. Celui-ci permet l’émergence d’économie d’échelle en raccourcissant les distances et en favorisant les échanges entre entreprises et avec les consommateurs. Sans surprise, les pays les plus développés sont presque toujours les plus urbanisés, et leurs villes y sont leur principal poumon économique. La bonne nouvelle est que la Côte d’Ivoire est en phase d’urbanisation. Déjà, plus de la moitié de sa population vit en milieu urbain et les projections indiquent que deux habitants sur trois vivront dans une ville à partir de 2035. Le pays est aussi plus urbanisé que la moyenne africaine et que ne laisserait prévoir son niveau de développement économique. Il est à noter que la population urbaine est fortement concentrée autour de l’agglomération d’Abidjan, ce qui correspond en partie à son poids économique dans le PIB national. Il est estimé qu’environ 80% du revenu national est produit dans et autour d’Abidjan. 35 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Pourtant, la relation entre urbanisation et développement économique, si elle est forte, n’est pas automatique. Il existe dans l’histoire de nombreux épisodes où la croissance des villes ne s’est pas traduite par une expansion économique. Il est possible que l’Afrique contemporaine soit l’un de ces épisodes comme l’a mis en évidence récemment un rapport de la Banque mondiale. L’argument principal est que les villes africaines ne sont guère efficientes à créer des effets d’agglomération en raison de nombreuses contraintes, à commencer par le manque de densité économique, car le taux d’entreprises (formelles) par habitant y est 10 fois moins élevé qu’en Asie. Le manque de disponibilité de main d’œuvre qualifiée est aussi un facteur déterminant car le succès des villes se situe en grande partie dans leur potentiel à développer des centres de connaissance et d’innovations qui eux-mêmes donnent naissance à des activités économiques de plus en plus sophistiquées. Les parcs technologiques se trouvent presque toujours à l’intérieur ou à proximité d’une ville. Abidjan dépense chaque jour 4 milliards de FCFA en transport L’attention est ici volontairement donnée à un troisième facteur  : la mobilité urbaine car une ville efficiente économiquement se doit d’être une ville en mouvement. Les marchandises, les services ainsi que les personnes doivent pouvoir se déplacer facilement, à moindre coût, pour assurer une allocation optimale des ressources donc sur la productivité des entreprises. Elle est aussi déterminante sur la qualité de vie des populations, influant sur leurs dépenses et l’allocation de leur temps. Malgré son importance, il n’est guère facile d’estimer quantitativement le poids du transport sur toutes les activités économiques et sur l’ensemble des habitants d’une ville. La principale difficulté est qu’il affecte une vaste panoplie d’agents économiques et cela pour de multiples activités. Au risque de simplifier, et en suivant l’exemple de nombreuses études internationales, le point de départ est de s’intéresser aux déplacements qu’effectuent les ménages, notamment pour rejoindre leur lieu de travail, ou le cas échéant leurs écoles ou les autres services sociaux comme les centres de santé. Le coût total de ces déplacements est alors estimé en coûts monétaires et en durée du trajet (qui est ensuite convertie en coût monétaire en supposant que les individus pourraient travailler pendant ce temps perdu). En suivant cette méthode, il peut être estimé que le coût total du transport urbain au sein d’Abidjan est à peu près égal à 4,1 milliards de FCFA par jour pour l’ensemble des ménages de la métropole, soit presque 1.200 milliards de FCFA sur une année (ou l’équivalent d’environ 5% du PIB national en 2017). Ces montants sont obtenus de la manière suivante : • Chaque jour ouvrable, un ménage de la ville d’Abidjan effectue en moyenne 6,09 déplacements,28 chacun d’entre eux ayant une durée d’environ 33 minutes (en comptant le temps d’attente). Il dépense quotidiennement 1.075 FCFA. • Dans la mesure où il y a environ 1.167.000 ménages dans l’agglomération d’Abidjan, le coût monétaire direct est donc de 1,26 milliards de FCFA par jour, soit l’équivalent de 376 milliards par an.29 • A ce coût monétaire direct s’ajoute le coût d’opportunité en supposant que chaque ménage perd 200 minutes par jour de temps de travail et que son salaire quotidien est 28 Un "déplacement" est défini comme un voyage complet et peut combiner plusieurs étapes et des transferts entre modes. 29 En supposant qu'il y ait 300 jours de travail par an. 36 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 égal 6.000 FCFA, ce qui revient à un total d’environ 2,9 milliards par jour ou 879 milliards par an.30 Comparaison avec Dakar : Les coûts de transport à Abidjan apparaissent similaires à ceux observés dans d’autres villes de la région, notamment Dakar où ils s’élèvent à 378 milliards FCFA par an ce qui représente approximativement 4,0% du PIB du Sénégal. Le calcul ci-dessus représente un ordre de grandeur du coût total qui pèse sur l’ensemble des ménages à Abidjan, mais il masque des inégalités marquantes selon les ménages. D’abord, le coût du transport est plus élevé pour ceux qui résident dans des quartiers éloignés ou moins accessibles car les déplacements sont plus longs – 78 minutes par déplacement alors que la moyenne est de 33 minutes. Ensuite, les familles pauvres sont proportionnellement plus pénalisées car le coût total du transport peut absorber jusqu’à 30% de leur revenu alors qu’il ne représente que 5% du budget pour les ménages les plus riches (graphique 6). Les plus pauvres n’ont même pas assez d’argent pour le transport et n’ont que le choix de se déplacer en marchant ou de rester chez eux. Graphique 6 : Les dépenses en transports en % dans le budget mensuel des ménages à Abidjan °«¸ ¯°¸ ¯«¸ ®°¸ ¸CTQDUDMTLDMRTDK ®«¸ ­°¸ ­«¸ ¬°¸ ¬«¸ °¸ «¸ NHMRCD¬«« ¬««§­«« ­««§¯«« ¯««§±«« ±««§³«« ³««§¬««« Ŭ««« DUDMTLDMRTDKO@QLDM@FD~DMLHKKHDQRCD   RSHL@SHNMHMEdQHDTQD RSHL@SHNMRTOdQHDTQD NXDMMD HMd@HQD‡NXDMMDˆ Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’Enquête Ménages dans le Grand Abidjan (INS, 2013). La lourdeur des coûts de transports réduit les effets d’agglomération et augmente les inégalités car elle pénalise davantage les ménages pauvres. En effet, elle rend difficile l’accès aux emplois, qui ne se trouvent pas toujours proches des lieux d’habitations. A Abidjan, la majorité des emplois sont concentrés dans les quartiers du Plateau et de Marcory. Or, les ménages pauvres habitent dans d’autres quartiers urbain et de plus en plus dans des quartiers en dehors mais à proximité de l’agglomération comme Grand Bassam, Dabou, Bonoua et Azaguié. Par conséquent, comme l’illustre le graphique ci- dessous, seulement 18,5% de tous les emplois au sein de la région du Grand Abidjan sont accessibles en moins d’une heure. Ce pourcentage diminue jusqu’à 5% lorsque cet exercice est étendu aux banlieues où vivent une majorité de pauvres et où les réseaux de transports sont limités. L’accessibilité est plus faible pour les emplois dans le secteur industriel (moins de 15%), alors qu’elle atteint environ 22% dans le secteur des services dont les activités sont mieux réparties géographiquement sur l’ensemble de la ville. Le même exercice pour les soins de santé illustre qu’uniquement 7% de la population se 30 Le revenu moyen d’un individu en milieu urbain est estimé autour de 4.000 FCFA par jour, soit environ 100.000 FCFA par mois. Il est supposé que tous les ménages travaillent. 37 ¯«¸ ®°¸ ¸CTQDUDMTLDMRTDK ®«¸ Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 ­°¸ ­«¸ ¬°¸ ¬«¸ °¸ trouve à moins d’une heure d’un centre hospitalier à Abidjan. «¸ NHMRCD¬«« ¬««§­«« ­««§¯«« ¯««§±«« ±««§³«« ³««§¬««« Ŭ««« Le manque de mobilité urbaine pénalise donc directement les ménages, qui doivent consacrer une DUDMTLDMRTDKO@QLDM@FD~DMLHKKHDQRCD   part importante de leur budget et de leur temps aux transports, et indirectement en les empêchant RSHL@SHNMHMEdQHDTQD RSHL@SHNMRTOdQHDTQD NXDMMD HMd@HQD‡NXDMMDˆ de tirer parti des avantages potentiels d’une ville, à savoir les opportunités de trouver un emploi ou d’accéder à une meilleure éducation et à des soins de santé. Graphique 7 : Le coût élevé du transport, ainsi que le système de transport inefficace rendent difficile l’accès aux emplois, surtout pour ceux qui vivent loin du centre économique Source : Calcul des auteurs à partir des données de l’Etude de faisabilité pour le Projet d’Intégration du Grand Abidjan (Banque mondiale) et de l’Etude de Trafic du Metro (STRATEC, 2015). De surcroit, les entreprises sont aussi pénalisées. Bien que les coûts de transport varient énormément d’une entreprise à l’autre, ceux-ci influent sur leur compétitivité. Dans des secteurs commerciaux, ils peuvent dépasser 20% du budget d’une entreprise.31 Il n’est donc guère étonnant que les opérateurs économiques ivoiriens placent la problématique du transport urbain comme une de leurs principales préoccupations. Pour 57% de ces opérateurs, le transport est la contrainte qui nuit le plus à leur compétitivité, ce qui est largement supérieur aux taux observés dans les autres pays de la région (Tableau 2). Par exemple, seuls 18 et 23% des opérateurs interrogés ont la même appréciation à Accra et Dakar. Enfin, la qualité de la vie est affectée négativement en raison de l’insécurité routière et l’accroissement de la pollution. Le nombre de décès sur les routes est plus élevé en Côte d’Ivoire (16,9 pour 100,000 habitants) qu’au Nigeria (9,7) et au Ghana (12,9). Les personnes à risques ne sont pas les conducteurs mais les piétons, en particulier les enfants. La pollution de l’air augmente avec l’accroissement du trafic motorisé et des embouteillages. Si ce phénomène est encore maitrisé, cela est surtout dû au fait que le nombre de véhicules privés reste marginal (environ 500.000 véhicules toutes catégories confondues, soit 0,1 véhicule par habitant). Toutefois, leur nombre est en rapide hausse, et l’émission de CO2 par véhicule est importante en raison du manque d’entretien, de contrôle et de l’âge moyen relativement élevé du parc automobile.32 31 Cf. MIGA, Cost benchmarking per industry, 2009. 32 Le taux moyen d’émission de CO2 à cause du transport est plus élevé en Côte d’Ivoire qu’au Nigeria même si le taux de motorisation est 20% plus grand dans ce dernier pays. 38 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Tableau 2 : Le coût du transport sur la compétitivité des entreprises, l’insécurité et la pollution Compétitivité Sécurité routière Pollution % entreprises des capitales Taux de décès dus aux accidents Emission de CO2 par le économiques pour lesquelles le de circulation, par 100.000 transport par habitant, transport constitue un obstacle habitant, 2016 habitants 2014 "majeur" ou "très grave"3 Cote d’Ivoire 57 16,9 0,128 Liberia 34 9,2 Cameroun 34 15,5 0,147 Nigeria 25 9,7 0,114 Sénégal 23 12,2 0,170 Ghana 18 12,9 0,271 Source: World Bank Enterprise Surveys: Côte d’Ivoire (2016), Ghana (2013), Nigeria (2014), Sénégal (2014), Cameroun (2016), et Liberia (2017); Global Burden of Disease (2016); World Economic Council (2014). En conclusion, les pertes économiques associées au manque de mobilité urbaine sont déjà importantes tant pour les ménages que pour les entreprises tout en engendrant des externalités en matière de pollution et d’insécurité. Si rien n’est fait, ces coûts vont rapidement s’accroître puisqu’Abidjan, au rythme actuel, abritera plus de 7 millions d’habitants en 2030 et environ 10 millions en 2040. Avant de rechercher les éléments de solutions, il faut encore comprendre pourquoi Abidjan souffre d’une mobilité urbaine déficiente. 2.2 Pourquoi le transport urbain est-il en souffrance en Côte d’Ivoire ? La faiblesse de la mobilité urbaine à Abidjan s’explique à travers l’existence de plusieurs contraintes. Certaines sont d’ordre naturel, telles que la morphologie de la ville avec ses nombreuses lagunes et quartiers séparés par des bras de mers. D’autres sont de nature humaine comme l’absence d’une infrastructure de transport de qualité, d’un accès limité aux moyens de transports, et le non-respect de simples règles de comportement par les usagers de la route. L’attention est ici donnée sur les contraintes humaines ou de politique économique. Avant de revenir sur les contraintes directement associées à la politique du transport, il convient de rappeler qu’Abidjan présentait un visage fort différent à la fin des années 1990. A cette époque, celui qui visitait cette métropole, ne pouvait être surpris par son développement par rapport à celui des autres grandes villes du continent. Aujourd’hui, le bilan est moins satisfaisant malgré les efforts entrepris ces dernières années pour rattraper le temps perdu après près de 15 ans d’instabilité politique et sociale. Ce rappel met en évidence que la problématique de la mobilité urbaine dépend du contexte politique et économique en vigueur dans le pays. Si le développement de l’infrastructure urbaine s’est ralenti dans les villes ivoiriennes pendant les années 2000, c’est en grande partie à cause de la baisse de l’investissement public et la réticence des investisseurs privés à s’engager dans des projets de longue durée dans un contexte incertain. Aussi, la problématique de la mobilité urbaine ne peut pas être comprise sans prendre en compte l’aménagement de l’espace et les options de connectivité virtuelle à la disposition des ménages et des entreprises. En effet, la notion de distance est fortement influencée par la distribution (ainsi que la densité) des logements et des commerces à l’intérieur de l’espace urbain. De surcroît, un certain 39 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 nombre de déplacements peuvent être remplacés par l’usage de téléphones mobiles tant pour échanger des informations que pour effectuer des paiements. Toutefois, ces deux aspects ne sont pas directement traités ici. Nous nous intéressons plus spécifiquement à la politique de transports. Ci-après sont avancées trois explications, qui sont autant de carences autour de la politique de transport urbain en Côte d’Ivoire. Elles portent successivement sur le développement inadéquat de l’infrastructure de transport, les moyens de transports insuffisants et pas assez diversifiés et le comportement des acteurs. Ces carences sont aussi exacerbées par la faiblesse de la gouvernance dans le secteur. Contrainte 1 : Le développement inadéquat de l’infrastructure de transport. Celui qui arrive à Abidjan ne peut être qu’agréablement surpris de prime abord : les routes existent. Plusieurs ouvrages importants ont vu le jour ces dernières années comme le troisième pont et des autoroutes ou voies rapides sur certains axes importants. La densité de routes bitumées y est d’environ 0,4 mètre par habitant ce qui est trois fois supérieur à celle de Dar es Salaam (0,15) et Conakry (0,17) et plus élevée qu’à Accra (0,34) comme le montre le Graphique 8. Graphique 8 : Plus de routes à Abidjan que dans la plupart des villes africaines ¬~°« @QDR@K@@L NM@JQX BBQ@ ¬~«« ¬~«« HKKDAHCI@M LO@QG@HS@MS @FNR Q@MCAHCI@M @XRDMCDUDKNOODLDMSLNXDMMDLNMCH@KD «~°« «~¯« «~¯­ «~®¯ «~®° «~¬° «~¬² «~«« Source: Calcul des auteurs à partir des données de Open Street Map; Mo Ibrahim Foundation, 2015; Kumar, 2008. Toutefois, il ne faut pas se fier complètement à cette première impression pour au moins trois raisons : • La première est que la densité du réseau routier est encore faible selon les normes internationales, égale à moins de la moitié de celle observée en moyenne dans le monde en développement qui est approximativement de 1 mètre de routes bitumées par habitant. MBNMMT Dans les villes modernes de l’OCDE, ce ratio dépasse en général 5 mètres par habitant (6,4 au HSTLd Royaume-Uni, 8,1 en Allemagne). NM§AHSTLd • La deuxième est que l’état de ces routes est souvent déplorable. Non seulement les conditions climatiques spécifiques du pays telles que les fortes pluies, endommagent l’infrastructure rapidement, mais l’entretien est aussi problématique avec peu de planification et de ressources financières. 40 «~°« «~¯« «~¯­ «~®¯ «~®° Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 «~¬° «~¬² «~«« • La troisième et dernière raison est que la répartition spatiale du réseau routier est fortement inégale, avec des quartiers favorisés comme le Plateau et Cocody, alors que d’autres souffrent de déficits importants (Abobo, Yopougon). Graphique 9 : Les routes bitumées sont concentrées au centre de l’agglomération Source : Banque mondiale pour l’évaluation du Projet d’Intégration Ville-Port du Grand Abidjan, Juin 2018. MBNMMT HSTLd NM§AHSTLd Il ne faut pas se méprendre sur le diagnostic. L’offre totale d’infrastructure routière n’est pas forcément éloignée de la demande actuelle sur l’ensemble de la superficie de la ville. En effet, le nombre de véhicules par habitant dans la ville d’Abidjan est d’environ 1 pour 10 ménages, ce qui est équivalent à 0,175 voiture par mètre de route bitumée. La principale contrainte se trouve plutôt concentrée sur un nombre limité de points névralgiques au sein de la ville, comme illustré dans le Graphique 10. On s’aperçoit que la circulation routière est en général fluide à l’exception de quelques goulots d’étranglement comme le deuxième pont, l’Autoroute du Nord et le Boulevard François-Mitterrand.33 Contrainte 2 : Les moyens de transports insuffisants et peu diversifiés. Abidjan est une ville piétonne, ce qui est certainement une bonne nouvelle pour l’environnement mais moins pour l’économie de la ville. Environ 40% des déplacements quotidiens se font en marchant, ce qui est la norme dans la plupart des villes africaines et ultimement guère éloigné des proportions observées dans les villes développées. On marche tout autant à Paris (42% en 2010) ou Berlin (34%). La différence est qu’à Abidjan ce mode de transport est plus imposé qu’un choix pour les individus, en particulier les plus pauvres qui effectuent 60% de leurs déplacements à pied, alors que cette proportion diminue à environ 25% pour les plus riches (Graphique 11). Plus pervers est que les plus pauvres renoncent souvent à se déplacer. En moyenne, à Abidjan, un ménage pauvre se déplace 5 fois par jour contre 7-8 fois pour les plus riches. 33 Les autorités ont commencé les ouvrages pour réduire ces déséquilibres, notamment de nouveaux ponts et l’amélioration de la voirie en zone portuaire. 41 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Graphique 10 : Les goulots d’étranglement dans la circulation routière à Abidjan Les embouteillages aux points Vitesse des déplacements en voitures sur le Boulevard stratégiques François-Mitterrand pendant l’heure de pointe du soir    Source : Googlemap. Source : Ministère des Transports et Swedfund (2018). Étude de Faisabilité du BRT. La spécificité d’Abidjan, à l’instar de nombreuses villes africaines, n’est pas tant dans la proportion de piétons mais plutôt dans l’usage proportionnellement élevé des transports collectifs non- conventionnés (appelés informels ou artisanaux), ce qui compense en grande partie l’absence de transport de masses dans la ville. Il est ainsi estimé que 4,1 déplacements quotidiens sur 10 s’effectuent par taxi individuel ou collectifs (Woro-Woro) et minibus (Gbaka) contre seulement 0,6 par bus de la SOTRA. Dans une ville européenne, en 2010, près de 40% des habitants utilisaient un transport public de masses à Zurich, plus de 30% à Londres et autour de 35% à Paris. Cette répartition des modes de transport met en évidence certains avantages et inconvénients pour la mobilité urbaine. Le principal avantage est que le secteur privé local a fait preuve d’adaptation et de dynamisme et a ainsi permis de combler une carence de l’Etat à fournir des moyens de transport collectif. La flotte de minibus et taxis communaux permet aux usagers de se déplacer, même si certains quartiers sont mal desservis (car peu rentables). L’insécurité est grande en raison du mauvais état de nombreux véhicules et du comportement de leurs conducteurs qui se livrent une concurrence sauvage sans respect des règles de sécurité. Le nombre mal maitrisé de ces véhicules de transport collectif non-conventionnés et de petite capacité contribue aussi à l’encombrement des routes. 42 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Graphique 11 : Répartition modale de transport par catégorie de revenu mensuel 3% 3% 3% 4% 6% 6% 5% 6% 7% 5% 20% 18% 20% 24% 19% 1% 4% 12% 3% 11% 1% 12% 9% 2% 2% 29% 10% 4% 7% 60% 55% 7% 53% 42% 26% Moyenne < 100 100-400 400-800 800< REVENU MENSUEL DU MÉNAGE (EN MILLIERS DE FCFA) A pied Taxi compteur Mini bus (Gbaka) VP Woro-Woro Bus SOTRA Autres Source : Calcul des auteurs à partir des données de l’Enquête Ménages dans le Grand Abidjan (INS, 2013).   La plus  grande difficulté pour les usagers est que les transports collectifs non-conventionnés représentent une alternative relativement coûteuse. En se rappelant qu’un ménage typique effectue environ 6 trajets quotidiennement en taxi ou mini-bus, cela lui coûte environ 2000-3.000 FCFA par jour.34 Ce coût n’est pas différent de celui des bus SOTRA, car avec les tarifs actuels un ménage gagnant moins de 100.000 FCFA par mois devrait dépenser en moyenne 30% de son revenu pour se payer un aller-retour par jour pour deux personnes. Ces chiffres sont supérieurs à ceux de Dakar et d’Addis- Abeba où les ménages les plus pauvres dépensent moins de 20% de leurs revenus mais comparables à ceux calculés pour Kampala, Ouagadougou, et Nairobi.35 Un système de transport est considéré comme « abordable » lorsqu’il n’absorbe pas plus de 10% des dépenses d’un ménage. L’expérience internationale a montré que les moyens de transport de masses (métro, tram, BRT) sont des éléments nécessaires à la mise en place d’un système accessible à tous. Malgré des coûts initiaux importants, ils génèrent des économies d’échelle qui permettent des tarifs modérés. Aujourd’hui, l’usage des véhicules privés reste marginal à Abidjan – environ 1 déplacement sur 10. A nouveau, cette proportion traduit la contrainte financière qui pèse sur de nombreux ménages. Toutefois, le nombre de véhicules explose puisqu’environ 1000 voitures par mois sont importées au port d’Abidjan. Si les déplacements sont plus rapides qu’à pied, l’augmentation incontrôlée du nombre de voitures risque d’accentuer les embouteillages ainsi que les nuisances sonores, et la pollution de l’air. L’évolution du nombre de voitures et, plus important, de leur qualité et de leur impact sur l’environnement devront être suivies par des inspections et des contrôles.   Contrainte 3 : L’incivisme et le non-respect des règles Le manque de mobilité urbaine à Abidjan est aggravé par les insuffisances civiques et l’irrespect des règles par de nombreux usagers et acteurs du transport. Par exemple, les routes sont souvent bloquées à cause de l’occupation illicite des voies par les petits commerçants. Les voitures ne sont pas toutes en 34 Le calcul est effectué en supposant que chaque trajet coûte 350-500 FCFA. 35 Kumar, A. et F. Barrett. (2008). Stuck in Traffic: Urban Transport in Africa. AICD Background Paper qui est citée comme étant la plus récente comparaison interurbaine disponible par Lall, S.V., J.V. Henderson, et A.J. Venables. (2017). Africa’s Cities : Opening Doors to the World, Banque mondiale. 43 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 règle car mal entretenues, et les sanctions rarement appliquées. La dégradation des voies s’accélère à cause des habitations construites sur les emplacements prévus pour l’évacuation des eaux, entrainant des inondations, des glissements de terrains et la dégradation des infrastructures. Peut-être le signe le plus visible est le non-respect du Code de la route et l’incivisme des conducteurs de taxis collectifs et des mini-bus, qui se sont inscrits dans la légende urbaine ivoirienne avec les chansons populaires des années 79-80 (par exemple, « les Gbakas de Daouda »).36 Le manque de gouvernance L’argument développé jusqu’ici est que le manque de mobilité au sein de l’agglomération d’Abidjan s’explique par les déficiences en termes d’infrastructures, de moyens de transport et de comportements. Chacune de ces contraintes joue un rôle mais c’est surtout leur combinaison qui explique les difficultés rencontrées par les usagers à se déplacer. De surcroît, ces contraintes doivent être vues comme des symptômes ou des conséquences, car elles sont en grande partie exacerbées par des défaillances dans la gestion de la ville. Le manque de gouvernance nuit à la mobilité urbaine, et cela à plusieurs niveaux, comme est illustré ci-après : 1) Le fractionnement des responsabilités réduit la coordination et la redevabilité  : les difficultés rencontrées à mettre en place un plan harmonisé et intégré de transport au sein de l’agglomération d’Abidjan proviennent en partie du manque de clarté dans le partage des responsabilités entre l’administration centrale, les autorités régionales, la ville et les municipalités. Il existe aussi une dichotomie entre les responsabilités assignées, notamment aux autorités locales, et leur capacité de financement. Par exemple, en pratique, qui est responsable de l’entretien d’une route dans un quartier d’Abidjan ? La réponse varie selon le type de route et son emplacement. 2) Les interférences dans les prises de décisions nuisent à la sélection des projets et à leur mise en œuvre : les récents rapports d’audit de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics ont mis en évidence de nombreuses défaillances dans les passations de marchés publics et dans l’exécution des contrats. Ces défaillances n’épargnent pas les projets d’infrastructure de transport, conduisant à des surcoûts et à des travaux qui ne correspondent pas toujours aux attentes. 3) L’application inégale des règles, notamment dans le foncier : souvent les déplacements sont rendus difficiles à cause des constructions « archaïques » sur des emplacements interdits. 4) La police et les contrôles : le mauvais état des véhicules, ou les conducteurs indisciplinés, sont des phénomènes répandus en partie à cause de l’absence de sanctions ou de la possibilité d’utiliser des moyens pour les contourner. 36 https://www.youtube.com/watch?v=veoAQn5thjE 44 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 2.3 La stratégie actuelle et propositions de réformes  Améliorer la mobilité urbaine représente un enjeu majeur pour la Côte d’Ivoire compte tenu de son importance pour l’accessibilité aux emplois et aux services, du poids du transport dans les dépenses des ménages, de son impact sur la compétitivité des entreprises et de son influence sur la qualité de vie. Si les dépenses que les ménages urbains consacrent à leurs déplacements diminuaient de 20%, le pays pourrait gagner près de 800 millions de FCFA par jour et avec les effets induits sur les coûts des entreprises, cela pourrait amener à un gain de 1,9% par an sur la croissance économique.37 Ces gains seraient proportionnellement plus importants pour les ménages les plus pauvres, qui pourraient en outre accéder plus facilement à des emplois et aux services sociaux de base. L’expérience internationale démontre que trois éléments sont essentiels pour améliorer la mobilité urbaine dans une ville comme Abidjan. En premier lieu, il faut définir une vision claire en matière d’aménagement du territoire dans laquelle doit s’intégrer la problématique du transport urbain. Le deuxième élément est de mettre en place un système de transport qui répond aux besoins de ses usagers à un coût abordable. Enfin, le troisième ingrédient est que ce système soit soutenable tant économiquement qu’écologiquement en incorporant les nouvelles technologies. Ces trois éléments sont discutés ci-dessous à la lumière des expériences internationales et des efforts fournis récemment par la Côte d’Ivoire. Le propos n’est pas de recommander mais plutôt de stimuler la réflexion pour que les idées se transforment en actions. Premier élément : La vision et le cadre de gouvernance Le point de départ est de s’accorder sur la vision. Cette étape est primordiale comme le rappelle le succès de villes comme Medellin en Colombie (cf. encadré), Colombus aux Etats-Unis, Toronto au Canada et Melbourne en Australie. 38 Dans chacune de ces villes, les autorités sont parvenues à formuler une stratégie globale et innovante grâce à une réflexion participative qui a inclu toutes les parties prenantes. Cette réflexion doit aussi tenir compte de la spécificité de chaque ville, à la fois historique et culturelle, économique, géographique et morphologique. 37 Les effets induits sur l’économie ont été estimés grâce à une matrice entrée-sortie élaborée par les auteurs sur la base des données fournies par l’Agence Nationale de la Statistique. Les effets les plus importants sont par ordre décroissant sur les secteurs des transports & communications, de l’agriculture vivrière, des industries extractives et des services fournis aux entreprises. 38 Pour une description de certaines de ces expériences, cf. The Deloitte City Mobility Index, August 2018 ou McKinsey, Urban Mobility at a tipping point, September 2015. 45 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 2019 Comment Medellin a réussi à étendre et intégrer son système de transport Medellin est la deuxième plus grande ville de Colombie. Elle est connue pour être une des villes qui a fait le plus de progrès en matière de transport urbain au cours des dernières années. Aujourd'hui, Medellin dispose d'un système de transport de masses composé de deux lignes de métro (34,5 km), quatre lignes de téléphérique Metrocable, deux lignes de BRT Metroplús, une ligne de tramway Tranvía (4,2 km) et des bus Metro feeder. Medellin dispose également d'un vaste réseau d'autobus publics. Ces autobus appartiennent à des sociétés privées et chaque autobus, comme ceux de Bogota, a un itinéraire spécifique dans la ville qui peut être facilement identifié. L'intégration réussie de tous ces modes de transport a permis de réduire le temps de trajet moyen des habitants de la ville de 90 à 30 minutes. Les autorités ont bâti leur vision en fonction de l’espace à leur disposition. Une des idées les plus originales a été son téléphérique aérien, le Metrocable, qui relie les quartiers précaires et denses des collines au reste de la ville, pouvant accueillir près de 100.000 passagers par jour. Le système BRT quant à lui, a été inauguré en 2011 et compte aujourd'hui deux corridors, chacun avec au moins un arrêt relié à une ligne du métro ou du MetroCable. Une des particularités de ce réseau est sa forte intégration, entre les différents modes de transport qui se complètent l’un à l’autre. La vision des autorités était simple. Il fallait mettre en place un système de transport de masses qui permettrait de faciliter les déplacements au sein et autour de la ville, en particulier entre les quartiers précaires et ceux denses en opportunités économiques. Le développement de moyens de transport de masses visait non seulement à réduire les coûts de transport mais aussi à encourager l’inclusion économique et sociale. La mise en œuvre de cette vision a pu compter sur un cadre de gouvernance qui a permis de réunir toutes les parties prenantes et de coordonner l’action. Le succès du système de transport de Medellin repose sur plusieurs facteurs, dont l’engagement politique fort, la mobilisation des parties prenantes et la confiance du public autour d'objectifs clairs et stables sur la durée. A Medellin, les deux maires successifs et le Directeur Général du Métro de Medellin ont tous soutenu le projet avec le même enthousiasme. La rapidité avec laquelle le système de téléphérique a été mis en place et son intégration dans l'ensemble du système de transport de la ville doit beaucoup à la structure institutionnelle et de gouvernance de la ville. L'entreprise publique Metro de Medellin et les autorités municipales ont collaboré étroitement sur les plans technique et financier. Bien qu'il y ait eu des problèmes de coordination entre les autorités municipales et l'entreprise, ceux-ci ont été progressivement résolus. Le projet a impliqué les usagers et les communautés, s’appuyant sur les principes de la budgétisation participative, selon lesquels les résidents locaux décident collectivement de l'utilisation de l'investissement public, ce qui a ultimement permis une meilleure acceptation du projet et a une plus grande redevabilité de la part des autorités. 2 https://www.itdp.org/2012/04/03/medellin-a-leader-in-sustainable-transport/ 3 https://brtdata.org 4 https://ecomobility.org Depuis 2015, Abidjan dispose de deux importants outils de gestion urbaine  : le Schéma Directeur d’Urbanisme du Grand Abidjan (SDUGA) qui lui-même, est adossé au Schéma Directeur des Transports du Grand Abidjan (SDTGA). Ces deux documents, approuvés par Décret pris en Conseil de ministres, constituent à l’heure actuelle les deux documents de référence qui encadrent le développement du Grand Abidjan. Les orientations stratégiques du SDUGA à l’horizon 2030 sont de répondre à la croissance prévue en habitat et en services sociaux, en zones d’activités économiques et en transports de manière à faciliter la circulation des marchandises et des services, ainsi que l’accès des résidents aux services publics de base, aux lieux de travail, aux commerces et aux loisirs. Le Gouvernement a aussi créé un Ministère en charge de la Ville ce qui traduit son action à prendre en compte la problématique de l’urbanisation. 46 3% 3% 3% 4% 6% 6% 5% 6% 7% 5% 18% 2019 Situation économique en Côte d’Ivoire - Janvier 20% 20% 19% 1% 24% 4% 12% 3% 11% 1% 12% 9% 2% 2% 29% 10% 4% 7% Afin de répondre à cette 53% vision, le SDUGA60% (qui a un statut 55%de loi) doit désormais orienter l’aménagement 7% 42% de la ville surtout en ce qui concerne l’occupation des sols, c’est-à-dire les titres fonciers 26% et les permis de construire. Les zones de productions, d’industrie, de services et d’habitation ainsi que les grands axes de circulation ont été définies