97607 v2 Résumé analytique Le dynamisme du commerce international a fortement contribué au développement et à la réduction de la pauvreté. L’activité économique s’est incontestablement mondialisée : depuis 1975, la part des échanges dans le PIB mondial a pratiquement doublé. Les marchés de biens et de services sont toujours plus intégrés, grâce au démantèlement des barrières aux échanges et à la technologie, qui réduit le coût du commerce. Mais le commerce n’est pas une fin en soi. La valeur des échanges se mesure notamment par leur aptitude à améliorer les moyens de subsistance en augmentant les revenus, à élargir la palette de choix et à garantir un avenir plus durable. Pour les plus démunis, qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour, la vertu cardinale du commerce réside dans sa capacité à transformer leur vie et celle de leur famille. De ce point de vue, nul ne peut nier que l’intégration des marchés mondiaux à travers l’ouverture des échanges a largement contribué à la réduction de la pauvreté. Alors qu’environ 1 milliard d’individus sont parvenus à s’extraire de l’extrême pauvreté depuis 1990, un tel résultat aurait été impossible sans la participation accrue des pays en développement au commerce mondial et les efforts constants pour démanteler les barrières à l’intégration des marchés. Le commerce reste un facteur primordial pour réduire la pauvreté. En 2011 (dernière année pour laquelle des données détaillées sont disponibles), environ 1 milliard de personnes vivaient toujours dans l’extrême pauvreté, soit un peu moins de 15 % de la population mondiale. Le Groupe de la Banque mondiale s’est fixé comme objectif de ramener cette proportion sous la barre des 3 % à l’horizon 2030, sachant que c’est aussi l’axe majeur des discussions en cours autour des objectifs de développement durable pour l’après-2015. Le présent rapport, coécrit par le Groupe de la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), se penche sur la poursuite des efforts entrepris pour réduire le coût des échanges et assurer l’intégration des marchés mondiaux du point de vue de leurs retombées pour les plus démunis. En s’appuyant sur les travaux de l’OMC et du Groupe de la Banque mondiale, il présente les stratégies pouvant être mises en œuvre pour favoriser une meilleure intégration des pauvres dans les échanges mondiaux, dans le souci de maximiser leurs gains et de minimiser les risques auxquels ils sont exposés. Les trois messages clés du rapport : 1) La poursuite des efforts visant à approfondir l’intégration économique et à réduire encore le coût des échanges est capitale pour mettre fin à la pauvreté. La lutte contre la pauvreté exige en effet des pays en développement qu’ils affichent une croissance solide, et les échanges sont essentiels pour alimenter cette croissance et offrir aux pauvres des emplois en plus grand nombre et de meilleure Ce rapport met en avant la qualité. Or, malgré les progrès obtenus en vue de nécessité de poursuivre les réduire le coût des échanges et d’améliorer efforts visant à préserver l’intégration des pays à faible revenu dans l’ouverture des échanges l’économie mondiale, il reste encore beaucoup à internationaux et à réduire faire. encore le coût du commerce à 2) L’abaissement des barrières tarifaires et non travers une intégration accrue tarifaires est à cet égard un objectif majeur. Mais, des marchés. pour que les plus démunis profitent effectivement des retombées positives des échanges, la libéralisation commerciale doit s’inscrire dans une démarche plus large qui tienne compte des obstacles spécifiques auxquels ces populations se heurtent (sachant en outre qu’elles sont, dans de nombreux cas, déconnectées des marchés). Ces difficultés concernent notamment les femmes, les pauvres ruraux, les travailleurs du secteur informel et les habitants de pays fragiles et en conflit. Pour avoir un impact maximal sur l’éradication de la pauvreté, les politiques commerciales doivent donc être élaborées et mises en œuvre parallèlement à d’autres domaines de l’action publique, ce qui suppose une coopération plus resserrée entre les ministères, les organismes publics et un large éventail de parties prenantes. 3) L’OMC et le Groupe de la Banque mondiale ont largement contribué à l ’essor des échanges et à la réduction de la pauvreté. Mais la pauvreté persiste et les deux institutions doivent, comme les autres partenaires, faire régulièrement un bilan de leurs actions dans ce domaine, pour vérifier leur adéquation à un environnement mondial en constante évolution. En alimentant la croissance, le commerce peut faire reculer la pauvreté. Au-delà des dimensions multifactorielles de la pauvreté, la croissance économique est la condition indispensable pour lutter durablement contre ce fléau. L’ouverture au commerce améliore la richesse d’un pays parce qu’elle lui permet d’utiliser de manière plus efficiente ses ressources, à travers une spécialisation dans la production à moindre coût de certains biens et services et l’importation du reste. Le commerce influe également sur la croissance à long terme puisqu’il facilite l’accès aux apports technologiques disponibles sur les marchés mondiaux et qu’il augmente les incitations à innover. Le commerce contribue directement à la réduction de la pauvreté en offrant de nouveaux débouchés professionnels — c’est le cas par exemple pour les producteurs agricoles qui bénéficient de l’expansion des secteurs exportateurs — et en introduisant des changements structurels dans l’économie qui développent l’emploi pour la main-d’œuvre peu qualifiée et pauvre jusque-là confinée au secteur informel. Le commerce peut aussi améliorer l’accès aux marchés extérieurs des biens produits par les pauvres. Une bonne compréhension de ces différentes influences permet de suivre l’impact des échanges sur les plus démunis. L’intégration continue de l’économie mondiale a joué un rôle décisif dans les résultats obtenus à ce jour sur le front de la réduction de la pauvreté. Et cette intégration sera tout aussi importante, voire plus déterminante encore, sur la voie menant à l’échéance de 2030. Ce rapport plaide pour la poursuite des efforts visant à préserver l’ouverture des échanges internationaux et à réduire encore le coût du commerce à travers une intégration accrue des marchés. La réduction du coût des échanges dans les pays où vivent les pauvres ne sera pas uniquement un facteur de croissance économique : elle peut également renforcer la compétitivité des biens et des services produits par les pauvres et faire baisser le coût des grands facteurs de production (par exemple, les engrais pour les agriculteurs). La relation inverse entre coût des échanges et revenus — plus un pays est pauvre, plus il se heurte à des coûts élevés — souligne bien la nécessité de redoubler d’efforts sur ce plan. La réduction du coût des échanges est particulièrement importante pour les pays désireux de tirer parti de la fragmentation de la production à travers les chaînes de valeur mondiales, qui offrent, par le biais du commerce, de nouvelles perspectives de croissance et de hausse des revenus. La croissance seule ne parviendra cependant pas à mettre fin à la pauvreté d’ici 2030. D’après des prévisions récentes de la Banque mondiale sur la croissance jusqu ’en 2030, celle-ci ne devrait pas être suffisamment soutenue dans tous les pays en développement pour ramener la pauvreté au niveau souhaité d’ici l’échéance. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que la croissance annuelle moyenne dans les pays en développement s’établisse à 4 %, soit plus que pendant les années 2000 et nettement plus qu’au cours des décennies 1980 et 1990. Même si la croissance perdure parallèlement à un recul constant de la pauvreté à l’échelle mondiale, certaines données tendent cependant à suggérer qu’elle aura encore plus de mal à se traduire par des gains de revenus pour les pauvres. L’extrême pauvreté tend en effet à se concentrer dans des pays et régions où la croissance globale semble avoir moins d’effets sur la pauvreté. Les plus démunis se heurtent à de multiples difficultés qui les empêchent de profiter de gains économiques plus importants. Dans ce contexte, l’intégration régionale importe non seulement par l’effet dynamisant qu’elle peut avoir sur la croissance mais aussi parce qu’il existe des marges de manœuvre pour contribuer à la levée des obstacles que rencontrent les individus plongés dans l’extrême pauvreté. Ce rapport offre une vision inédite de la situation, en établissant une corrélation entre les difficultés des plus pauvres et leurs capacités à bénéficier du commerce considéré comme un facteur essentiel de la croissance. Il s’attarde sur quatre caractéristiques majeures ayant un impact particulièrement marqué sur l’aptitude des pauvres à tirer pleinement parti des échanges : la pauvreté en milieu rural ; la fragilité et le conflit ; l’activité informelle ; et les disparités entre hommes et femmes. Chacune de ces quatre caractéristiques façonne l’environnement dans lequel vivent les plus démunis et les empêche d’exploiter les possibilités offertes par le commerce. Premièrement, dans de nombreuses régions du monde — et notamment en Afrique subsaharienne où l’éradication de l’extrême pauvreté sera particulièrement difficile — la pauvreté est avant tout un phénomène rural. Pour les pauvres ruraux, les barrières commerciales et les difficultés d’accès aux marchés agricoles intérieurs constituent des obstacles majeurs pour tirer parti des échanges. Deuxièmement, plus de la moitié des plus démunis vivent dans une région fragile et en conflit (où les recettes publiques sont souvent tributaires de ressources minières et naturelles importantes) et sont moins à même de profiter des opportunités qu’offrent les échanges, alors même que la diversification des exportations pourrait, en créant des moyens de subsistance alternatifs, être une solution cruciale pour sortir du conflit. Troisièmement, pauvreté et informalité vont souvent de pair ; les travailleurs du secteur informel et les microentreprises qui dominent l’économie parallèle rencontrent des difficultés particulières et sont vulnérables aux chocs économiques. Enfin, les échanges ont des retombées particulièrement positives sur les femmes, sur le plan de l’emploi et de l’émancipation, sachant par ailleurs que ces dernières sont souvent le fer de lance de la réduction de la pauvreté. Or, elles se heurtent elles aussi à des obstacles bien spécifiques, dans le cercle familial et à l’extérieur, qui peuvent les empêcher de prendre part aux échanges et d’en tirer profit. Les risques qui pèsent sur les pauvres peuvent également affecter leurs capacités à profiter des opportunités commerciales. Parmi les principaux risques auxquels sont exposés les pauvres, figurent les mutations économiques, les ajustements du marché du travail et la vulnérabilité aux événements météorologiques et au changement climatique. Or, les pauvres n’ont généralement pas accès aux instruments et au soutien qui permettent d’atténuer ces risques et que les populations des pays avancés considèrent comme acquis (assurance ou sécurité sociale, par exemple). Confrontés à un risque, les pauvres ne seront pas forcément capables d’adopter des stratégies pour tirer le meilleur parti des opportunités commerciales, même lorsqu’elles leur seraient bénéfiques. Ainsi, les menaces pesant sur ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance sont, du moins en partie, responsables de leur incapacité à investir dans des intrants de qualité (des semences ou des engrais), qui les aideraient pourtant à exploiter à plein les possibilités commerciales. De même, le manque d’accès aux financements limite souvent les capacités des microentreprises du secteur informel à investir de manière à compenser ces risques. Il faut comprendre ces risques et y remédier pour faire en sorte que les échanges profitent au maximum aux pauvres. Les défis et risques considérables auxquels sont confrontés les plus démunis ne doivent pas masquer les opportunités, bien réelles. Le commerce transfrontalier améliore les revenus des producteurs et des négociants de produits agricoles dans les pays pauvres. L’activité commerciale permet aux femmes de passer de l’agriculture à l’industrie et aux services avec, à la clé, des revenus supérieurs et une formalisation de l’emploi. Les échanges peuvent également contribuer aux processus de pacification. La mise en œuvre de stratégies d’intégration économique visant à résoudre les difficultés des plus démunis peut contribuer à maximiser les gains tirés du commerce. Seule une approche cohérente réduisant le coût des échanges de manière à maximiser les gains pour les plus pauvres aura un impact optimal sur la réduction de la pauvreté. Les politiques qui s’attachent à démanteler les barrières tarifaires et non tarifaires sont vitales, mais elles doivent s’inscrire dans une approche plus globale. Seule une stratégie d’ensemble, intégrant un large éventail de mesures adaptées au contexte, peut produire les effets requis pour mettre fin à la pauvreté dans le monde. Bien que les pays soient les « pierres angulaires » de la politique commerciale internationale, les défis auxquels se heurtent les pauvres varient grandement au sein d’un même pays et d’un pays à l’autre. Pour cette raison, les stratégies de réduction du coût des échanges internationaux devront être accompagnées d’initiatives visant à résoudre les difficultés que rencontrent les pauvres à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de leur pays. D’où l’importance des différents programmes que l’OMC et le Groupe de la Banque mondiale ont mis en place à cet effet et la nécessité de poursuivre ces efforts. Au regard de cette approche, le rapport propose cinq axes d’action publique, complémentaires et interdépendants, à l’intention des pays et de la communauté internationale : • Réduire le coût des échanges pour renforcer l’intégration des marchés. La facilitation des échanges (et notamment la mise en œuvre de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMC) et le démantèlement des barrières politiques et infrastructurelles au commerce de biens et de services sont des facteurs déterminants de croissance et de réduction de la pauvreté. 10 11 • Créer un environnement porteur. L’ouverture des échanges mais aussi la réduction des coûts sont essentielles pour améliorer la situation économique des pauvres. Il existe plusieurs politiques complémentaires qui permettent de maximiser les gains de la libéralisation des échanges pour les pauvres : elles portent notamment sur le capital humain et matériel, l’accès aux finances, la gouvernance et les institutions, et la stabilité macroéconomique. La création de cet environnement porteur peut se faire à travers des cadres politiques innovants qui améliorent les processus de consultation avec les populations pauvres et ciblent plus précisément leurs besoins. Cela passe par un renforcement de la coopération intersectorielle, le resserrement de la coordination entre ministères et organismes publics et la collaboration effective entre un large éventail de parties prenantes. • Intensifier l’impact des politiques d’intégration commerciale sur la pauvreté. Résoudre, à l’échelon local, la question de l’éloignement par rapport aux marchés et faciliter l’activité des petits négociants peut contribuer à renforcer les gains retirés par les pauvres, en particulier dans les zones rurales. Cela implique également des réformes pour gérer les coûts découlant du manque de compétitivité et d’autres facteurs intérieurs. La promotion d’une plus grande insertion des femmes et des mesures pour lever les défis spécifiques qu’elles rencontrent, différents de ceux des hommes, doivent être au cœur des efforts visant à intensifier l’impact des politiques d’intégration commerciale sur la pauvreté. • Gérer et atténuer les risques auxquels les pauvres sont confrontés. Il faut mettre davantage l’accent sur la gestion des risques qui empêchent les pauvres de tirer parti des possibilités commerciales quand elles se présentent à eux. Une gestion efficace des risques peut être un puissant outil au service du développement, en renforçant la résilience des individus aux chocs et en leur permettant de se saisir des opportunités de progrès. Il ne faut pas négliger non plus les ajustements liés au commerce, qui peuvent menacer les moyens de subsistance des pauvres. • Améliorer les données et l’analyse pour mieux guider les politiques. Les lacunes sont encore nombreuses en matière d’analyse de la pauvreté, de l’économie informelle, de la participation des femmes aux échanges et plus généralement des contraintes liées au commerce dans nombre de pays. Il est indispensable de collecter des données de meilleure qualité pour concevoir et mettre en œuvre des politiques efficaces qui maximiseront l’impact des échanges dans la lutte contre la pauvreté. L’OMC joue un rôle capital dans l’établissement d’un système commercial mondial ouvert et solidaire. La poursuite de l’ouverture des échanges à l’échelle multilatérale, parallèlement à une ouverture unilatérale et à la coopération régionale, de même que le soutien aux pays en développement et aux pays les moins avancés pour les aider à intégrer le système commercial mondial, sont des objectifs clés et plus que jamais d’actualité. Un système commercial mondial réglementé est vital pour réduire les risques qui pèsent sur les pauvres du fait de l’opacité et du manque de prévisibilité des politiques commerciales — à la fois parce que ce système facilite l’accès aux marchés des produits qu’ils fabriquent mais aussi parce qu’il crée un environnement commercial stable qui favorise, à l’échelon national et international, des investissements dans des activités commerciales qui sont créateurs d’emplois. L’actualisation des règles de l’OMC, les engagements qui seront pris sur le plan de l’accès aux marchés et les flexibilités qui en découleront, à travers la conclusion réussie du cycle actuel des négociations de Doha, permettront encore davantage aux pays en développement de tirer pleinement parti de leur intégration dans le système commercial mondial, au service de leur développement. L’OMC contribue fortement à la facilitation des échanges. L’Accord sur la facilitation des échanges reconnaît la nécessité d’aider les pays à exploiter tout le potentiel du commerce : il prévoit en effet qu’une assistance et un soutien seront dispensés en vue d’aider les pays en développement à se doter de la capacité nécessaire pour en mettre en œuvre les dispositions. Différentes initiatives sont en cours, y compris du côté du Groupe de la Banque mondiale, pour garantir que cet engagement est tenu. La ratification et l’application de l’Accord sur la facilitation des échanges devraient conduire à une réduction significative du coût des échanges, en particulier dans les pays les plus pauvres. La prise en compte des contraintes spécifiques que rencontrent les pauvres, y compris les petits négociants, et la priorité accordée au rapprochement entre les plus démunis et les marchés devraient maximiser l’impact de cet accord sur la réduction de la pauvreté. L’initiative de l’Aide pour le commerce, pilotée par l’OMC, a permis de mobiliser des ressources additionnelles non négligeables pour lever les contraintes liées aux échanges et pourrait garantir un suivi précis de l’impact de l’intégration commerciale sur la réduction de la pauvreté. Premier bailleur de fonds multilatéral de l’Aide pour le commerce, le Groupe de la Banque mondiale a un rôle clé à jouer à travers ses capacités de financement, son vaste réseau dans les différents pays, son aptitude à entreprendre des recherches ad hoc et à les diffuser largement, son expertise intellectuelle et analytique et sa force de frappe multisectorielle. De plus en plus, le Groupe de la Banque mondiale s’intéresse aux États fragiles et en conflit et à l’importance du développement agricole pour améliorer les revenus de la population rurale. Ses travaux actuels et à venir s’attachent à optimiser les instruments de suivi de l’impact de l’initiative de l’Aide pour le commerce et à intégrer des indicateurs commerciaux pertinents dans les systèmes de suivi de la réduction de la pauvreté et des avancées dans les États fragiles. Les deux institutions ont un rôle primordial à jouer dans la mise en œuvre du programme d’action proposé dans ce rapport.