Développement environnemental et social durable 237 Avril 2004 Findings est un rapport sur le travail opérationnel, économique et sectoriel actuel de la Banque mondiale et de ses États membres dans la Région Afrique. Il est publié périodiquement par le Centre pour le Savoir et l'apprentissage au nom de la Région. Les opinions exprimées dans Findings sont celles des auteurs et ne devraient pas être attribuées au Groupe de la Banque mondiale. http://www.wordbank.org/afr/findings Le secteur du café en Tanzanie Contraintes et défis dans un environnement global Le café est la plus importante culture d'exportation en Tanzanie. Il contribue environ 115 millions $US aux revenus de l'exportation, et emploie environ 400 000 familles. Près de 95 pour cent du café est cultivé par des petits propriétaires et 5 pour cent sur des plantations. Un quart seulement des petits propriétaires achète les intrants. Deux tiers du café produit appartient à la catégorie arabica, et un tiers robusta. Le café a été introduit en Tanzanie au début du 20ème siècle comme une culture de plantation mais a fini par devenir une culture de petits cultivateurs. Pendant les années 1960, les coopératives et le Conseil du café se sont impliqués dans la plupart des aspects de la commercialisation du café. Une telle implication a culminé avec la nationalisation de la majorité des plantations de café arabica dans le nord de la Tanzanie en 1973. Depuis, le secteur du café a été sujet à un transfert de pouvoir entre les coopératives et le Conseil du café, et ce sans que les besoins du secteur ne soient sérieusement pris en compte. La performance du secteur s'est détériorée et les réformes se sont imposées comme la seule option possible. Les premières étapes dans la restructuration du secteur eurent lieu en 1990 lorsque le Conseil du café a commencé à faire des paiements qui respectaient mieux les délais aux coopératives. Des réformes plus complètes ont été inclues dans le programme de réforme politique sous un crédit IDA et accompagnaient la dévaluation monétaire de 1992. Le conseil devint un agent commercial plutôt qu'un vendeur. Pendant la saison 1992/93, le gouvernement cessa d'annoncer le montant des avances payées par les coopératives aux producteurs, laissant la décision aux coopératives. En mars 1992, les marchés des intrants étaient ouverts aux commerçants privés. Quelques mois plus tard, les exportateurs étaient en mesure de conserver d'abord 10 pour cent, puis rapidement 100 pour cent, des revenus de leurs exportations en devises étrangères. D'autres réformes ont eu lieu en 1993 permettant la participation du secteur privé à la commercialisation et le traitement du café. Pendant la saison 1994/95, les acheteurs privés pouvaient commander et traiter le café dans leurs propres usines. Bien que quelques aspects du secteur se soient améliorés après les réformes, de nombreuses contraintes demeurent, y compris un code fiscal trop compliqué, des impôts trop élevés, une implication excessive de l'état et les ventes aux enchères obligatoires. Évaluer les réformes La proportion décroissante des prix à l'exportation accordée aux producteurs de café a été une motivation clé pour les réformes. La part moyenne du prix à l'exportation de la graine arabica accordée aux producteurs pendant les neuf saisons précédant la réforme était de 60 pour cent; elle est passée à 73 pour cent pendant les cinq saisons suivant les réformes. Ce chiffre s'élève à 59 et 69 pour cent respectivement pour la graine robusta. Cette augmentation considérable est une réalisation particulièrement significative dans une période de baisse des prix du café. En ce qui concerne la réponse de l'offre, une simple comparaison entre les moyennes avant et après la réforme est une indication. La production moyenne du café était de 50 918 tonnes pendant les neuf saisons précédant 1994 et de 45 065 tonnes pour les cinq saisons après 1994, une baisse de 13 pour cent. Selon cette simple mesure, l'impact des réformes sur la production a été décevant. Cependant, une décomposition par type de café indique un effet différent. La production de l'arabica doux a baissé de presque 20 pour cent alors que celle de l'arabica et du robusta fort a augmenté de près de 10 pour cent. Avant les réformes, les crédits pour les intrants étaient intégrés aux ventes de café. D'une certaine manière, le système a bien fonctionné parce que les coopératives étaient des acheteurs monopsones, ce qui éliminait la possibilité d'un défaut de la part des producteurs. Cependant, il a fallu financer la majorité des coopératives ce qui signifie que, du point de vue des coûts marginaux, le système de financement des intrants n'était pas durable. Les réformes ont brisé le lien entre les ventes d'intrants et de café et, du fait des taux élevés de défaut, les crédits pour l'utilisation des intrants étaient uniquement disponibles pour quelques agriculteurs (souvent importants) qui pouvaient recevoir les prêts. Les autres recevaient des crédits à des taux d'intérêt très élevés ou n'en obtenait aucun. Par conséquent, l'utilisation des intrants a baissé. Pour inverser cette tendance, le Conseil du café et l'Association du café a introduit un Plan national de bons pour les intrants initialement financés par l'Union européenne sur des fonds du Stabex. Bien que bien reçu au départ par l'industrie, il y a eu beaucoup de rapports de falsification et de revente à prix réduit des bons pour des utilisations autres que les intrants. Malgré les rapports selon lesquels la qualité du café s'est détériorée après les réformes, les données montrent que cette baisse en qualité s'est considérablement ralentie, reflétant surtout des questions de court terme (telles qu'une utilisation réduite des intrants, la présence de commerçants inexpérimentés, et une concurrence élevée liée à des capacités trop importantes.) Avant 1994, 75 pour cent du café était commercialisé par les coopératives, 19 pour cent par d'autres organisations gouvernementales, et 6 pour cent pour les plantations privées. Quatre saisons plus tard, les parts de marché étaient de 67 pour cent pour les acheteurs privés, 26 pour cent pour les coopératives, 7 pour cent pour les plantations, et 1 pour cent pour les autres organisations gouvernementales. Deux-tiers des acheteurs privés sont des exportateurs intégrés verticalement, des compagnies qui achètent le café auprès des producteurs, le traitent dans leurs propres usines et l'exportent elles-mêmes. Depuis le milieu des années 1990, beaucoup de plantations privées ont entrepris une réhabilitation extensive, y compris de nouvelles semences. Quelques plantations étatiques ont été privatisées (voir encadré.) Les capacités de traitement du café ont énormément augmenté. Avant 1988, seuls deux établissements de traitement du café appartenant aux syndicats existaient. En 1988, deux autres usines (appartenant également aux syndicats) de traitement de l'arabica étaient ajoutées. Depuis 1993, au moins 12 usines ont été construites. Aujourd'hui, la capacité de production du café en Tanzanie dépasse 72 tonnes par heure ­ 40 tonnes par heure pour l'arabica, et 32 tonnes par heures pour le robusta. Par ailleurs, la production totale du café en Tanzanie a été en moyenne de 51 000 tonnes entre 1980 et 1988 et de 43 300 tonnes entre 1993 et 1999, impliquant que les usines de café fonctionnent en moyenne au quart de la capacité existante. Les contraintes La charge fiscale du secteur du café est trop élevée et le code fiscal est trop compliqué. En 1997/98, par exemple, les impôts directs ont atteint 195 Tsh par kg pour l'arabica et 64 Tsh par kg pour le robusta, c'est à dire 16 pour cent des prix reçus par les producteurs pour l'arabica et 20 pour cent pour le robusta. Les parts étaient encore plus élevées pour la saison 1998/99, atteignant presque 19 pour cent pour l'arabica et 23 pour cent pour le robusta.. Lorsque tous les impôts indirects et autres taxes dues aux distorsions de l'ensemble de l'économie sont ajoutés, le taux fiscal va de 50 à 70 pour cent. Les plantations de café du Kilimandjaro Les plantations de café en Tanzanie ont été établies pendant la période coloniale, remontant parfois jusqu'aux années 1920. Leurs modes d'appropriation des terres étaient des titres au porteur obtenus auprès des colons allemands. Peu de temps après l'indépendance, tous les titres au porteur ont été convertis en contrats gratuits de 99 ans de la part du gouvernement. À la fin des années 1960, les plantations de café étaient à la base du quart des productions de café du pays, et selon de nombreuses sources, produisaient le meilleur café du pays, obtenant des prix supérieurs sur le marché mondial. Cependant, le succès était de courte durée. Le 23 octobre 1973, le Gouvernement de la Tanzanie a convoqué tous les propriétaires de plantations de café du district du Kilimandjaro dont les plantations étaient supérieures à 100 ha et les a informés que, à partir du jour suivant, leurs plantations, y compris la terre, les constructions, les machines, et les comptes bancaires, seraient rachetés par les sociétés principales les plus proches (membres du Syndicat coopératif local du Kilimandjaro) avec une «compensation complète et juste.» Pendant les six mois suivants, tous les propriétaires de plantations (avec une exception) ont quitté leurs plantations. Les négociations entre les sociétés principales et les anciens propriétaires de plantations sur le prix d'achat furent longues. En fin de compte, le prix «négocié» était moins du tiers de la valeur des plantations sur le marché, et lorsque la compensation a commencé (huit ans plus tard en tranches de six mois), l'inflation avait réduit la valeur du prix de vente de moitié. Les sociétés principales chargées de la gestion des plantations ont emprunté des fonds auprès du trésor pour compenser les anciens propriétaires. La raison pour laquelle seules les plantations du Kilimandjaro furent nationalisées. Il semblerait qu'il s'agissait d'une première étape vers la nationalisation de toutes les plantations de café, si l'«expérience du Kilimandjaro» donnait de bons résultats. Cependant, la production et le rendement du café ont baissé rapidement et brutalement. En moins d'une décade, presque toutes les plantations furent abandonnées, ne produisant plus de café du tout. Une seule société principale a réussi à rembourser sa dette au trésor. Peu après les réformes du secteur du café de 1993/94, le seul ancien propriétaire de plantation qui vivait dans la région a négocié puis obtenu un bail de 30 ans pour son ancienne plantation dont le propriétaire et «gestionnaire» était alors une société principale. Malgré le fait que cette plantation ne produisait plus de café du tout, elle fut complètement réhabilitée et recommençait à atteindre les rendements d'avant 1973. D'autres investisseurs ont suivi ­ aucun d'entre eux n'était propriétaire de plantation auparavant. De nouveaux investisseurs ont obtenu des contrats de bail pour près de 20 plantations de café qui ont toutes été réhabilitées. La modalité habituelle est un bail de 30 ans avec des frais de location allant de 60 $ à 300 $ par ha, ajusté à l'inflation. Les frais de location dépendent de l'état de la plantation ainsi que de la date à laquelle le bail a été signé. Les contrats signés récemment ont rapporté des locations plus faibles à cause du bas niveau des prix du café. Un obstacle pour la location du reste des plantations abandonnées vient du fait qu'ils sont la propriété de plus d'une société principale. Des différends sont apparus au sein de la direction des sociétés sur les termes des contrats et la manière de partager les revenus des locations. Quelques calculs préliminaires montrent qu'en moyenne, chaque acre de plantation réhabilitée crée l'équivalent de deux emplois à plein temps à salaire minimum pour les travailleurs manuels (1 000 Tsh par jour), alors que le transfert direct annuel à l'économie locale s'établit entre 500$ et 1 000 $ par acre. Ceci inclut les salaires, les loyers payés aux sociétés principales, ainsi que l'achat et la réparation de l'équipement, l'irrigation, les moyens de transport, et d'autres dépenses. Malgré le fait que les coopératives sont sensées être des entreprises privées, elles reçoivent souvent une assistance implicite par le biais de l'intervention publique. Par exemple, deux coopératives dans la région de Kagera avaient des difficultés financières lorsqu'elles ont commencé la saison du café 2000/01, en partie parce qu'elles avaient acheté du café auprès de cultivateurs et le conservaient alors que les prix mondiaux chutaient. Pour éviter de fermer leurs portes, les coopératives ont obtenu un prêt garanti par le gouvernement auprès de la Banque de développement des coopératives rurales. Pour garantir que le prêt serait remboursé, le gouvernement a demandé au Conseil du café de révoquer les licences d'achat des commerçants privés sans compensation ou droit de faire appel, accordant en effet un monopsonie aux coopératives. Les incertitudes du secteur du café furent exacerbées par «la règle de la licence unique» prononcée par le Conseil du café trois jours seulement avant le lancement officiel de la saison 2002/03 d'achat du café dans la zone occidentale du café. La réglementation limitait à une seule les requêtes pour des licences privées d'achat et traitement de café, et d'exportation du café vert, faisant une exception pour la combinaison de la licence pour l'achat privé de café et de son traitement. Quiconque détenait une licence d'exportation de café vert et déposait une requête pour les deux autres licences verrait sa licence d'exportation suspendue. Les requêtes devaient être soumises immédiatement, pour être prêtes avant que la saison d'achat du café ne commence. Les réglementations étaient clairement conçues pour aider les coopératives à augmenter leur part du marché aux frais des commerçants privés. Tout le café produit en Tanzanie pour l'exportation doit être commercialisé par vente aux enchères. La nature obligatoire des enchères augmente les coûts énormément. L'élimination de cette exigence permettra aux commerçants de vendre le café tanzanien aux pays voisins, spécialement au Kenya et en Ouganda. Les deux pays obtiennent des primes considérables pour leur café (robusta et l'arabica doux, respectivement), et, étant donné la petite taille des cultures tanzaniennes, de tels accords commerciaux devraient avantager les petits propriétaires. Le fait qu'une proportion substantielle du robusta tanzanien soit déjà exportée vers l'Ouganda est un argument supplémentaire en faveur d'une intégration régionale du commerce. Recommandations Pour que le secteur du café atteigne tout son potentiel, la priorité devrait être donnée aux éléments suivants. · Le code fiscal devrait être simplifié; les impôts devraient être réduits de manière substantielle, consolidés, rationalisés et uniformisés pour toutes les exportations. Ceci introduira une distribution plus équitable de la charge fiscale et provoquera une réponse de l'offre dans le secteur du café. · Les procédures d'accord des licences du Conseil du café devraient être revues. Les licences ne devraient être suspendues qu'en accord avec les réglementations et non pas en réponse aux requêtes des coopératives ou des ministères. Les licences devraient être renouvelées automatiquement et sujettes à des frais modestes pour couvrir les coûts administratifs et ne devraient pas être traitées comme un impôt. Ceci augmentera l'efficacité du secteur et créera un climat d'investissement plus prévisible. · La vente aux enchères du café devrait être volontaire. Ceci réduirait de manière significative les coûts des exportateurs intégrés verticalement et des plantations qui ont la capacité de commercialiser le café elles-mêmes. Ceci améliorera également le commerce régional de manière à ce que les producteurs de café tanzanien puissent bénéficier des primes du robusta et de l'arabica doux dont profitent leurs collègues en Ouganda et au Kenya. · Le Conseil du café devrait assumer la responsabilité complète pour la collecte, le suivi, et l'amélioration de la qualité de toutes les statistiques du café, spécialement la production, les exportations, et les prix à l'exportation, qui sont actuellement inacceptables. Ceci aidera le secteur public à prendre les mesures politiques adéquates et le secteur privé à prendre les décisions en investissement qui s'imposent. · Le pouvoir du Conseil du café et des ministères doit être réduit de manière significative et leurs rôles respectifs clairement définis. La sélection de l'équipe de gestion du Conseil du café devrait être le travail de l'industrie. Ceci augmentera l'efficacité du processus de prise de décision qui, en fin de compte, devraient refléter les besoins de l'industrie et non pas les souhaits de divers acteurs politiques. · Le cadre légal et réglementaire devrait faciliter le transfert des plantations nationalisées aux individus privés de manière à ce qu'elles puissent atteindre leur potentiel complet. Cet article a été préparé par John Baffes, Économiste principal, Groupe des perspectives en développement, ibaffes@worldbank.org. Cet article est extrait d'un document intitulé: Le secteur du café de la Tanzanie: Contraintes et défis dans un environnement global, Document de travail de la Région Afrique No 56, juin 2003, www.worldbank.org/afr/wps/wp56/htm. Pour plus d'information, prière d'écrire à jbaffes@worldbank.org