TUNISIE BULLETIN DE CONJONCTURE RÉFORMES ÉCONOMIQUES POUR SORTIR DE LA CRISE Hiver 2021 Région Moyen-Orient et Afrique du Nord RÉSUMÉ EXÉCUTIF La reprise économique est lente dans la mesure où le plan de relance Covid-19 en 2020 (estimé à 2,3% du PIB) se situe dans la même Après la récession spectaculaire de 2020 (baisse du fourchette que les autres pays de la région. PIB de 9,2 pour cent), la reprise économique de la En troisième lieu, la structure de l’économie Tunisie a été lente en 2021. La croissance est estimée tunisienne, notamment sa dépendance au tourisme, a à 3 pour cent, ce qui est bien inférieur aux attentes pu l’exposer au choc négatif de la demande plus que du début de l’année. Par conséquent, l’économie d’autres pays. En effet, les hôtels, cafés et restaurants tunisienne s’est contractée pendant la crise du et les transports sont les secteurs qui se sont le plus Covid-19 (2019–21) plus que les pays comparateurs contractés depuis le début de la pandémie. Bien de la région. La lenteur de la reprise a accru le qu’elles n’expliquent pas entièrement la lenteur de la taux de chômage, déjà élevé, de 3,3 points pour reprise, les pertes de ces secteurs expliquent une part atteindre 18,4 % au 3ème trimestre 2021. Ce taux est importante des effets négatifs de la crise en Tunisie, . particulièrement élevé pour les jeunes, les femmes et Les fortes restrictions sur les investissements les habitants de l’Ouest du pays. et la concurrence semblent être un autre facteur La partie A de ce Bulletin de Conjoncture déterminant de la mauvaise performance économique examine quatre facteurs potentiels de la lenteur de la Tunisie pendant la pandémie. Ces restrictions de la reprise en Tunisie. Premièrement, la chute limitent la réallocation intra- et inter-sectorielle des de la mobilité liée à la pandémie a peut-être été ressources, ce qui est particulièrement important à un plus dommageable en Tunisie. Cet argument est moment où de nouvelles activités doivent remplacer critiquable dans la mesure où la mobilité en Tunisie celles qui ont été négativement affectées par la a chuté dans des proportions similaires à celles des pandémie. La rigidité de l’économie tunisienne est une autres pays. Elle est aussi revenue aux niveaux pré- conséquence de la sur-réglementation des marchés pandémie suite à l’accélération de la campagne de biens et services et de facteurs. C’est l’objet de de vaccination depuis juillet. Aussi, la baisse de la la partie B de ce bulletin. Les réglementations de mobilité en Tunisie s’est traduite par une réduction de l’accès au financement illustrent ces difficultés dans la l’activité économique moins importante que dans les réallocation des ressources. Ces rigidités comprennent pays comparateurs comme l’Algérie et l’Égypte. des réglementations complexes en matière de Deuxièmement, il se peut que le niveau de restructurations et obsolètes en matière de faillites ainsi soutien gouvernemental aux entreprises et aux que le manque d’institutions qui facilitent l’évaluation ménages en difficulté ait été particulièrement faible. des risques de crédit et de produits financiers adaptés Ce second argument n’est pas valable non plus aux entreprises viables subissant des chocs. xi ..ce qui exaspère les pressions sur des efforts de vaccination ainsi que l’efficacité dans les finances publiques les mesures ciblant les nouveaux variants éventuels, tel que Omicron ; 2) Parvenir à financer les déficits La faiblesse de la reprise a exacerbé la pression sur publics et le remboursement de la dette et maintenir les finances publiques, malgré la réduction du déficit la stabilité macroéconomique du pays. Pour cela, budgétaire (7,6 % du PIB en 2021 contre 9,4 % en un climat politique, économique et social propice à 2020). L’augmentation des recettes fiscales — tirée la mobilisation des ressources et la confiance des par la TVA — a dépassé l’augmentation des dépenses investisseurs est nécessaire. C’est dans ce sens publiques, tirées par les salaires publics, les transferts que les négociations pour un programme avec le (notamment les subventions croissantes à l’énergie) FMI, indispensable pour le soutien des institutions et le service de la dette. Les déficits budgétaires qui internationales et régionales ainsi que la coopération se sont accumulés depuis 2011 ont entraîné une forte bilatérale, ont été entamées; et 3) Réduire les barrières augmentation de la dette publique, qui est passée à l’allocation optimale des ressources. de 52 % du PIB en 2015 à 84 % du PIB en 2021, et La partie B présente en détail ces barrières, qui dont la majeure partie est externe. L’augmentation de expliquent pourquoi, dix ans après la révolution, l’intensité la dette, l’absence de réformes et le retard dans les de la concurrence a diminué. La création d’entreprises négociations avec le FMI ont exclu le gouvernement dynamiques, a aussi décéléré par rapport à la période tunisien des marchés financiers internationaux, avec d’avant 2011. Ces barrières se répartissent en trois une dégradation de la notation souveraine en 2021. groupes. Premièrement, l’État fausse la concurrence En conséquence, le gouvernement a eu sur les marchés par le biais de contrôles à-priori. La recours au financement de la Banque Centrale pour réglementation tunisienne restreint la concurrence dans couvrir une grande partie du remboursement de sa la majorité des secteurs productifs, y compris ceux qui dette en 2021. Cela évince le crédit au secteur privé génèrent des externalités, limitant l’entrée de nouvelles et a contribué à une accélération de l’inflation, qui entreprises et facilitant la collusion entre les entreprises a atteint de 6,4 %. En revanche, la pression sur la établies. Deuxièmement, l’État supplante le secteur balance des paiements a diminué en 2021 malgré privé par la propriété directe d’entreprises publiques l’aggravation du déficit commercial (17 pour cent) et qui bénéficient, de surcroît, d’un traitement préférentiel. la baisse significative des exportations de services. Le gouvernement tunisien possède ou favorise des entreprises publiques dans un large éventail de secteurs La maîtrise de la pandémie ainsi productifs, dont trois des quatre secteurs couverts par la que les réformes structurelles sont CPSD. Troisièmement, malgré des progrès récents, le nécessaires pour sortir de la crise cadre institutionnel et réglementaire de la politique de la concurrence reste en cours de développement et ne Selon nos prévisions, la reprise restera lente en 2022– protège pas les acteurs du marché contre les pratiques 23, à moins que des réformes structurelles décisives commerciales anticoncurrentielles. n’abordent les rigidités évoquées dans ce bulletin. Il est indispensable de limiter les obstacles à La baisse progressive du déficit budgétaire devrait la concurrence et à la faiblesse de l’application des se poursuivre à moyen terme, pour atteindre 5 à 7 % règles pour aider l’économie tunisienne à sortir de la du PIB en 2022–23, compte tenu de la réduction crise, à retrouver une trajectoire durable et à profiter attendue des dépenses liées à la santé et à condition aux ménages via plus d’opportunités d’emplois et un que la trajectoire modérément positive des dépenses meilleur pouvoir d’achat. Une approche globale plutôt et des recettes soit maintenue. que sectorielle pourrait être nécessaire pour supprimer Ces prévisions sont assorties de risques les restrictions à la concurrence, comme le suggère importants de détérioration dans la mesure où la reprise l’expérience de la réforme du régime des autorisations sera tributaire de plusieurs facteurs, notamment de la de 2018. Le renforcement du Conseil de la Concurrence capacité du gouvernement à 1) Contenir l’évolution de est également crucial pour garantir l’application de la pandémie, à travers particulièrement, la poursuite pratiques de concurrence loyale dans tous les secteurs. xii TUNISIE BULLETIN DE CONJONCTURE – RÉFORMES ÉCONOMIQUES POUR SORTIR DE LA CRISE 1818 H Street, NW Washington, DC 20433