Page 1 R R a a p p p p o o r r t t N N o o . . 3 3 5 5 2 2 3 3 9 9 - - T T N N Tunisie Examen de la politique agricole Version finale 20 juillet 2006 Eau, Environnement, Développement social et rural Région Moyen-Orient et Afrique du Nord Document de la Banque mondiale Page 2 i Exerc ice budgétaire : 1 er janvier- 31 décembre 1 $EU = 1,36 dinar tunisien (DT) 1 DT = 0,73 $EU Abréviations, Acronymes AFA Agence f oncière agricole AFD Agence Française de Développement AISP Analyse d’impact social et sur la pauvreté AMC Association de microcrédit APIA Agence de Promotion des investissements agricoles ATE Agence tunisienne de l’Emploi AVFA Agence de vulgarisation et de formation agricole BNA Banque nationale agricole BPO Budgétisation par objectifs BTS Banque tunisienne de Solidarité CCGC Coopérative centrale des grandes cultures CCSPS Coopérative centrale des Semences et Plants sélectionnés CDMT Cadre de dépenses à moyen terme CFPA Centre de Formation professionnelle agricole CGE Modèle d’équilibre général CNEA Centre national d’études agricoles COCEBLE Coopérative centrale du blé COTUNACE Compagnie Tunisienne pour l’Assurance du Commerce extérieur CRA Cellule de rayonnement agricole CRDA Commissariat régional au développement agricole CSA Coopérative de services agricoles CTA Centre technique agricole CTAMA Caisse tunisienne des assurances mutuelles agricoles CTV Cellule territoriale de vulgarisation DGF Direction générale des forêts ESF Evaluation du secteur financier FAO Organisation pour l’alimentation et l’agriculture FNG Fonds national de garantie FODECAP Fonds de développement de la compétitivité dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche FOPRODEX Fonds de Promotion des Exportations GDAP Groupement de Développement de l’Agriculture et de la Pêche GFIC Groupement forestier d’intérêt collectif GIC Groupement d’intérêt collectif GIP Groupement interprofessionnel GT Gouvernement de Tunisie Page 3 ii IRESA Institut de Recherche et d’Enseignement supérieur MARH Ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques MDCI Ministère du Développement et de la Coopération internationale OEP Office de l’Élevage et des Pâturages ODESYPANO Office de Développement sylvo-pastoral du Nord-Ouest ONH Office national des Huiles PACFS Petite agriculture à caractère familial et social PAME Programmes actifs du marché de l’emploi PISEAU Projet d’Investissement dans le Secteur de l’Eau PMEACE Petites et moyennes exploitations agricoles à caractère économique PRSA Projet de Renforcement des Services d’Appui à l’Agriculture SIG Système d’information géographique UTAP Union tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche UTICA Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat Vice- président: Directeur du Département Directeur sectoriel Responsable du secteur Chef d’équipe/Responsable de la tâche Christiaan J. Poortman Theodore O. Ahlers Inger Andersen Luis F. Constantino Douglas W. Lister Page 4 iii REMERCIEMENTS Alors que la Banque mondiale à elle seule est responsable du contenu du présent rapport, un grand nombre d’organisations tunisiennes, trop nombreuses à citer, y ont contribué directement ou indirectement. En particulier, le rapport n’aurait pas été possible sans l’appui et la coordination de premier plan assurés par la Direction des Etudes et du Développement agricole du Ministère tunisien de l’Agriculture et des Ressources hydriques, en particulier son Directeur général, M. Badr Ben Ammar. Le présent rapport se fonde sur les conclusions d’une équipe conjointe Banque/FAO-CP/AFD qui s’est rendue en Tunisie en novembre et décembre 2005. L’équipe était composée de Douglas W. Lister (Chef d’équipe du projet), Alex Kremer (Economiste sectoriel senior), Jean-Philippe Tré (Economiste agricole), Yaa Oppong (Spécialiste du développement social), John D. Nash (Economiste principal), Michel Debatisse (Consultant), Eric Le Brun (Consultant), Catherine Cormont-Touré (Consultante), Jean-Marc Bisson (FAO/CP), Yves Rajat (AFD Tunis) et Jean-François Richard (AFD Paris). Luis Constantino (Responsable sectoriel – Développement rural et social, MNSRE) ont fait partie de la mission. Pierre Rondot (Economiste sectoriel senior), Nabil Chaherli (Economiste sectoriel senior) et Rory O’Sullivan (Consultant) ont fourni leur appui à la mission à partir du Siège. Les collègues examinateurs ont été Stephen D. Mink (Economiste principal, EASRD), Hans Lofgren (Economiste senior, DECPG) et John D. Nash (Conseiller, ARD). Marie-Françoise How Yew Kin (Assistante de programme bilingue a assuré l’appui administratif et le secrétariat. Nicole Wautiez de Blaye et Hélène Talon ont traduit le rapport en français. Page 5 iv TUNISIE – Examen de la politique agricole Table des Matières Page I. INTRODUCTION............................................................................................................1 A. Objectifs de l’étude .............................................................................................1 B. Approche…………………………………………... ..........................................2 II. LES PERFORMANCES PASSEES DU SECTEUR......................................................4 A. Priorités des Plans quinquennaux........................................................................4 B. Les performances du secteur ..............................................................................5 C. Bilan des échanges alimentaires..........................................................................6 D. Consolidation de l’emploi agricole .....................................................................7 E. Potentiel non réalisé……………………………………………………….........7 III. DEFIS ET OPPORTUNITES ........................................................................................15 A. Cadre de politique et institutionnel .....................................................................15 B. Associations professionnelles et services d’appui...............................................40 C. Gestion durable des ressources naturelles...........................................................47 D. Doter le secteur agricole de ressources ..............................................................52 E. Le foncier rural ....................................................................................................63 F. Perspectives sociales sur la libéralisation agricole ..............................................74 IV. Options pour l’avenir ....................................................................................................85 Page 6 v Liste des tableaux Tableau 1. Niveaux de production des principaux produits agricoles (1000 T).................6 Tableau 2. La contribution du bœuf et du lait à la croissance...........................................10 Tableau 3. Fruits et légumes : taux de croissance annuelle 1980-2000 (% par an)..........10 Tableau 4. Contribution des sous-secteurs à la croissance................................................11 Tableau 5. La performance est inversement corrélée à la compétitivité...........................11 Tableau 6 Structure tarifaire, 1994, 2004 et 2005.............................................................17 Tableau 7. Importations sous contingents tarifaires, 2001-04, et taux des droits de douane, 2005...................................................................................................................................18 Tableau 8.. Ventilations des dépenses des ménages.........................................................22 Tableau 9. Comment les bénéfices de la libéralisation des prix pour les consommateurs seraient alloués..................................................................................................................23 Tableau 10. Effets de la libéralisation du commerce agricole ..........................................23 Tableau 11. Effets économiques généraux libéralisation intégrale de l’agriculture.........24 Tableau 12 La superficie sous céréales répond à la libéralisation simultanée de tous les prix ....................................................................................................................................28 Tableau 13. Gagnants et perdants de la libéralisation des prix des céréales.....................28 Tableau 14 Recouvrement des coûts d’exploitation et d’entretien 1991-2000.................49 Tableau 15. Terres arables par personne employée dans l’agriculture, 2000...................65 Tableau 16. Main-d’œuvre et productivité des sols (2000) ..............................................66 Tableau 17 Disponibilité agrégée des terres .....................................................................66 Tableau 18. Evolution de la taille des possessions terriennes...........................................68 Tableau 19. Options de stratégie agricole de haut niveau pour le GT..............................85 Liste des figures Figure 1. Part de l’agriculture dans le PIB..........................................................................5 Figure 2. Valeur ajoutée par travailleur dans l’agriculture 1992-2004...............................9 Figure 3. Emploi agricole 1967-2004 .................................................................................9 Figure 4. Fin du monopole de l’ONH sur les exportations d’huile d’olive en 1994.........14 Figure 5. Quantités récoltées par l’Office des Céréales....................................................32 Page 7 vi Résumé analytique Le contexte sectoriel L’agriculture apporte-t-elle tout le potentiel de sa contribution à la nation ? C’est la question que se pose le Gouvernement tunisien alors qu’il se prépare pour les périodes des 11 ème et 12 ème Plans (2007-16). Le secteur agricole en Tunisie pénètre dans de nouveaux territoires, avec des revenus plus élevés, des taux de pauvreté plus faibles et des nouveautés dans les goûts des consommateurs, des structures du marché et des accords commerciaux. Les décideurs se heurtent à des défis qui n’existaient pas tout simplement il y a dix ans et se demandent si les solutions du passé sont encore d’actualité. Par conséquent, en 2004 le Gouvernement a demandé à la Banque d’examiner l’intégralité du secteur agricole et ceci pour la première fois depuis plus de 20 ans. Le présent rapport se fonde sur 11 documents de référence préparés pendant l’année 2005, avec l’appui de la FAO/CP et de l’Agence française de développement. La politique agricole de la Tunisie a fait un long parcours depuis les années 80 : du dirigisme de la période postindépendance, en passant par l’accent mis sur le contrôle des dépenses de la fin des années 80 et de la productivité au début des années 90, jusqu’à la préoccupation actuelle en matière de compétitivité internationale. Après près de deux décennies de libéralisation progressive, de nombreux prix clés du marché sont contrôlés et les tarifs douaniers sont élevés. La production agricole a obtenu des résultats remarquables, avec des rendements atteignant 2,8 % par an depuis 1989. L’agriculture s’est maintenue au rythme de la croissance économique globale. Elle a fourni un quart des nouveaux emplois en Tunisie dans les années 90, créant deux fois plus d’emplois par unité de PIB que l’économie dans son ensemble. Toutefois, si l’on gratte la surface, il existe de multiples exemples du fait que l’agriculture n’apporte pas pleinement sa contribution potentielle à l’économie. - Une offre de main-d’œuvre croissante cache la stagnation de son efficacité : la main-d’œuvre agricole a augmenté de 20 % entre 1993 et 2002, mais il n’y a pas de hausse tendancielle de sa productivité. - La réussite de l’agriculture est obtenue moyennant des coûts pour le reste de la société : 180 millions de DT par an en subventions de compensation, 4 % de plus sur le coût de la vie pour les consommateurs et les contribuables et 0,8 % du PIB en croissance perdue en raison de la distorsion des prix. - Deux cinquièmes de la croissance de l’agriculture représentent une perte pour l’économie parce qu’elle provient de produits qui coûteraient moins à importer – bovins et le lait. - Là où la Tunisie a le potentiel d’être compétitive, dans les fruits et les légumes, ses résultats sont insuffisants. Entre 1980 et 2000 la valeur des exportations a chuté de 0,3 % par an. Les quotas d’importation de l’UE sont sous-utilisés. Page 8 vii Les cas de s agrumes et de l’huile d’olive sont un exemple de la façon dont le potentiel n’est pas exploité. Le problème principal est celui de la qualité. Les circuits de commercialisation doivent être adaptés aux demandes spécifiques des consommateurs. Mais, afin de mettre sur le marché des oranges et de l’huile de première qualité, les agriculteurs ont besoin d’un appui technique et de commercialisation de première classe, de recherche, de vulgarisation et d’organisations de producteurs. Et les interventions gouvernementales, sous la forme de marges fixes de détail et l’encadrement par l’Office des Huiles sur les quotas et les contrôles techniques interviennent entre le producteur et le consommateur. Il en résulte qu’oranges et huile d’olive sont mal valorisés et que les quotas préférentiels de l’UE restent sous-utilisés. Inversement, lorsque le Gouvernement a entrepris des réformes partielles telles que l’élimination du monopole des exportations d’huile d’olive de l’ONH, le secteur privé a été en mesure de répondre. L’étape suivante de l’analyse consiste à demander comment les filières par produits peuvent devenir plus réactives. Elle examine les politiques commerciales, les politiques et les institutions nationales, les associations de producteurs, la recherche et la vulgarisation, la gestion des ressources naturelles, la mobilisation des ressources et le foncier. Des thèmes communs commencent à apparaître, à savoir : o Que la lourde présence de l’Etat dans les filières de mise en marché entrave leur capacité de réaction. o Que les filières requièrent un cadre de biens publics de haut niveau de qualité de la part de l’Etat : bonne recherche, bonne vulgarisation et réglementations phytosanitaires et sanitaires. o Que la logique qui prévaut est que le Gouvernement impose des prescriptions : par exemple pour les associations d’agriculteurs, les enveloppes de crédit, le régime foncier. Le Gouvernement pourrait faciliter plus efficacement les actions du secteur privé en cherchant à comprendre et à répondre aux besoins que ce dernier exprime. Institutions et politiques Quand il s’agit de rendre les filières par produits plus réactives, une série de réformes, l’élimination des distorsions des prix, importe plus que les autres. Permettre aux marchés d’établir librement les prix est une réforme qui doit prévaloir car elle rend les autres réformes plus efficaces. Par exemple, plus le système des prix récompense les agriculteurs qui cultivent des légumes de qualité élevée, plus les producteurs de légumes seront en mesure de bénéficier des améliorations dans la gestion de l’eau, les marchés fonciers, le regroupements d’agriculteurs, les services de vulgarisation, etc. La politique du commerce extérieur constitue le point de départ de l’analyse, parce que c’est elle qui est à la base des prix et de la rentabilité. Les tarifs douaniers agricoles de la Tunisie sont élevés par rapport aux références régionales et mondiales. Les tarifs les plus élevés concernent 69 % des lignes tarifaires agricoles et les taux appliqués sont en moyenne de 67 %. Selon l’OMC, les réformes des deux dernières Page 9 viii décennies mises en place par la Tunisie « n’ont pas substantiellement libéralisé les échanges. » Ceci a des implications pour les consommateurs et les contribuables dont le coût de la vie est augmenté de 4 % par la protection agricole. Et c’est également important pour l’économie dans son ensemble, qui perd ainsi 0,8 % du PIB. En fait, la protection des céréales tunisiennes est particulièrement onéreuse. Le fait d’utiliser la protection commerciale pour maintenir une personne employée dans le secteur céréalier coûte à la nation plus de quatre fois le revenu national par habitant en termes de production perdue. Ceci s’explique par le fait que la culture des céréales utilise peu de main- d’œuvre. Mais si le Gouvernement devait libéraliser le commerce extérieur de produits alimentaires, il devrait comprendre qui seraient les perdants. Les deux principaux sous-secteurs, l’arboriculture et les petits ruminants, ne seraient pas perdants. Les éleveurs y gagneraient même, du fait que les réductions tarifaires signifieraient du fourrage moins cher. Mais 16 % des exploitations agricoles couvrant 30 % de la superficie des terres, seraient perdantes. Il s’agit généralement d’opérations céréalières dans le Nord et le Nord-Ouest du pays, qui incluent des exploitations agricoles sur les terres publiques. Elles incluent aussi bien des exploitations à revenu élevé qu’à revenu faible. Les perdants à faible revenu sont concentrés à Kef et à Béja. Du fait que la culture céréalière utilise peu de main-d’œuvre, les impacts sur le revenu seraient plus prononcés que les impacts sur l’emploi agricole. Pour les échanges par conséquent, la recommandation est que le Gouvernement devrait progressivement réduire les tarifs douaniers céréaliers et le prix de soutien au producteur. Les tarifs de l’orge et d’autres intrants fourragers devraient être libéralisés dès que possible. Une analyse d’impact sur la pauvreté et d’impact social devrait identifier avec précision les perdants vulnérables et mettre au point des mesures d’atténuation. En ce qui concerne les politiques et les institutions nationales, l’étude porte sur trois questions : la commercialisation des céréales, la santé animale et la sécurité des aliments ainsi que la qualité des produits. Une conclusion commune émerge : l’Etat devrait se repositionner. Il devrait se retirer de l’intervention directe sur le marché. Il devrait plutôt se concentrer sur les règles de fonctionnement des marchés, la protection de la santé, des ressources naturelles et de l’environnement, et assurer la fourniture de biens publics véritables. Le Gouvernement utilise le monopole du marché céréalier de l’Office des Céréales pour maintenir le prix à la production élevé et le prix aux minotiers bas. Mais le coût de ses interventions est hors de proportion avec les avantages attendus. Pour un coût budgétaire de 180 millions de DT par an, les interventions de l’Office réduisent le prix aux minotiers de 2,9 % tout au plus. Il en coûte 12 $EU par consommateur par an pour donner un avantage au consommateur de 1,30 $EU. De plus, le monopole de l’Office a retardé la modernisation du contrôle de qualité, du transport, du stockage, des techniques de commercialisation, de la gestion des risques, etc. Page 10 ix Si l’on se réfère aux émeutes alimentaires de 1984, le recours de l’Etat à l’Office pour assurer la sécurité alimentaire est compréhensible. Toutefois, les causes de pénuries alimentaires observées dans le passé (pénuries de devises causées par des déséquilibres macroéconomiques) ne constituent plus une menace. Un petit stock de réserve stratégique, ciblé sur des groupes vulnérables spécifiques pendant les crises, serait suffisant et ceci à un coût bien moindre que les opérations actuelles de l’Office des Céréales. Ainsi, la recommandation sur ce point est que l’Etat devrait transférer l’importation et la commercialisation des céréales au secteur privé. L’Office des Céréales devrait se concentrer sur les services publics essentiels : assurer qu’un marché concurrentiel existe, maintenir un stock de sécurité et fournir un appui technique aux acteurs du marché. Un groupement interprofessionnel privé devrait promouvoir le développement d’instruments commerciaux, tels que la fixation des prix pour livraison à échéance éloignée et des contrats commerciaux standards. La sécurité des aliments en Tunisie n’est pas à un niveau suffisant. Par exemple, les modalités d’abattage des animaux constituent un risque pour la santé et les tests de résidus de pesticides sont incomplets. Afin de protéger le consommateur tunisien et les perspectives d’exportation, la Tunisie devrait développer un système complet de sécurité des aliments. Il devrait être appliqué aussi bien aux produits pour la consommation interne qu’aux produits d’exportation. Un nombre d’interventions gouvernementales dans les marchés de produits envoie systématiquement le message aux producteurs : favorisez volumes et bas prix plutôt que la qualité. Le Gouvernement contrôle les marges des ventes au détail, fait pression sur les grossistes pour qu’ils gardent les prix bas, importe parfois des légumes quand les prix sont à la hausse, paie des bonus de qualité inadéquats pour les céréales et plafonne les prix des aliments transformés. Dans le même temps, les chaînes de l’offre ont davantage besoin des services publics qui aideraient à améliorer la qualité : recherche, formation, régulations phytosanitaires et de sécurité alimentaire, et normes actualisées. Associations profession nelles et services d’appui Dan s les pays industrialisés, les exploitants agricoles s’appuient souvent sur des organisations de producteurs pour les services techniques et de commercialisation. En Tunisie, il existe 201 coopératives de service agricole, plus de 3.000 Groupements d’intérêt collectif (GIC - qui s’occupent principalement de l’eau), 171 Groupements de développement de l’agriculture et de la pêche (GDAP), 7 associations interprofessionnelles et l’UTAP, l’Union tunisienne de l’agriculture et de la Pêche. Il y a des réussites. Des coopératives vinicoles et laitières ont offert des services de commercialisation efficaces à leurs membres. Le transfert de la gestion de l’irrigation en aval du secteur public aux Groupements d’intérêt collectif a également contribué à améliorer l’exploitation et l’entretien. Toutefois, il y a encore place pour des améliorations. La couverture par le système coopératif est faible, nombre d’entre Page 11 x elles sont inactives, et le chiffre d’affaires des coopératives de lait, de vin et de légumes est à la baisse. Ni l’UTAP, ni les groupements interprofessionnels ni les Coopératives centrales ne sont considérés comme des représentants des intérêts des agriculteurs. Alors que la législation de 2004 redéfinit les GIC et les Coopératives en tant que GDAP, ils perdront leur capacité à développer des revenus. Le Gouvernement peut rendre les groupements professionnels plus efficaces en redéfinissant leurs modalités de gouvernance de sorte que les exploitants agricoles en soient véritablement responsables. Ceci améliorerait leur responsabilité devant leurs membres et leur redevabilité et dissiperait l’image qu’ils sont les instruments du Gouvernement. Il pourrait également encourager les GDAP à devenir des acteurs commerciaux. Ceci signifierait qu’il faudrait réviser le statut de 2004 ainsi que le renforcement de leurs ressources. La recherche et la vulgarisation sont des services essentiels du Gouvernement. Elles ne réalisent pas leur potentiel pour appuyer les filières agricoles dont le moteur est la qualité. Ceci est fortement ressorti des études de référence. Il y a deux grands problèmes. Le premier est que la vulgarisation et la recherche ne répondent pas aux problèmes dont font état les agriculteurs, par exemple, dans le cas de conseils pratiques d’après récolte. Le deuxième est que la vulgarisation et la recherche sont insuffisamment financées. Le Gouvernement devrait réformer la gestion de la recherche et de la vulgarisation, en institutionnalisant les consultations d’exploitants agricoles et en montrant un engagement ferme à la budgétisation par objectifs. A moins que la recherche et la vulgarisation ne soient en charge d’apporter aux agriculteurs ce dont ils ont besoin, les incitations à l’amélioration qui résultera de leur action seront minimes. Ressources naturelles Les ressources naturelles sont le fondement des filières agricoles. Comme dans d’autres domaines, le Gouvernement devrait améliorer son efficacité en accordant moins d’attention aux investissements quantitatifs et davantage d’attention aux systèmes agricoles et aux incitations. La Tunisie a été le chef de file de la Région dans la gestion novatrice de l’irrigation. La délégation de la gestion en aval de 150.000 ha aux GIC a amélioré les opérations. Le taux de recouvrement des coûts d’exploitation et d’entretien est globalement de 115 %. Le Gouvernement teste actuellement une fixation des prix en deux parties, de sorte que les exploitants agricoles soient conscient du coût marginal de l’eau. Grâce aux subventions publiques, 75 % de la superficie irriguée utilise de l’équipement économisant l’eau. Toutefois, il faut attirer l’attention sur certaines anomalies. La réduction tarifaire de l’eau de 50 % pour les céréales fausse les choix des exploitants. Egalement, il n’y a pas de raison réelle pour que le Gouvernement subventionne le remplacement de l’équipement économiseur d’eau quand il s’use. Page 12 xi En ce qui concerne l’allocation des ressources, l’accent demeure encore sur des programmes massifs de mobilisation de l’eau. Cinquante-cinq pour cent du Budget du 10 ème Plan du MARH sont consacrés à l’investissement dans l’eau, et 43 % à celui des grands réservoirs. L’allocation aux grands réservoirs pour 2005 correspondait à 61 % de l’ensemble du budget des coûts récurrents du MARH. Au vu du consensus selon lequel la vulgarisation et la recherche sont insuffisamment financées, ceci est regrettable. De plus, avec 90 à 95% de l’eau disponible déjà mobilisée, en détourner davantage ne peut pas résoudre les problèmes clés dans le secteur de l’irrigation : envasement des réservoirs, épuisement des eaux souterraines, pollution, salinisation, et faible intensité de l’usage de l’eau. L’outil clé pour corriger cette distorsion est l’analyse économique coûts-avantages. Le Gouvernement pourrait définir son objectif (par exemple volume ou stabilité de l’approvisionnement) et rechercher la combinaison à moindre coût des mesures pour le réaliser. Cette approche de la gestion intégrée de l’eau devrait être appuyée par de nouvelles compétences dans le MARH, en particulier en agro- et socio-économie. Doter le secteur agricole de ressources La capacité des secteurs public et privé à répondre au marché dépendra de leur capacité à mobiliser et gérer des ressources. Les systèmes de gestion du MARH penchent vers la gestion d’investissements matériels lourds. Les activités telles que la recherche et la vulgarisation, ne font dès lors pas le poids. Par conséquent, le Ministère peut tirer parti des approches du Projet de soutien aux services agricoles (PSSA) et de la budgétisation par objectifs pour améliorer sa gestion des activités moins demandeuses en investissements matériels et plus en connaissances,facteurs humains (« software »). L’approche de l’Etat des finances rurales a consisté à poursuivre des cibles d’investissement quantitatives avec subventions, plafonnement du taux d’intérêt et annulation de dette. Mais sur le terrain les gens ne se sont pas comportés comme prévu. L’investissement privé et le crédit agricole se réduisent rapidement, et le taux des arriérés de prêts se situe autour de 50 %. Si l’approche actuelle ne fonctionne pas, il n’y a pas d’alternatives faciles. Le Gouvernement devrait étudier la prise de décisions dans le marché du crédit, pour comprendre pourquoi les banquiers et les exploitants agricoles n’agissent pas comme le veut le Gouvernement. Sur la base de cette étude, le Gouvernement peut voir comment mobiliser le comportement des banquiers et des exploitants agricoles pour accroître l’investissement. Une option pourrait consister à accorder une plus grande liberté commerciale aux institutions de microcrédit. Une autre option pourrait consister à rendre les objectifs et la responsabilité de la BNA plus transparents. Les variations pluviométriques gâchent l’investissement rural. Le Gouvernement pourrait par conséquent vouloir encourager une assurance fondée sur un indice de précipitations. Toutefois, les exploitants agricoles tunisiens n’étaient pas disposés à Page 13 xii payer une assurance sécheresse dans le passé. La raison pourrait en être qu’ils s’attendent à une réduction de la sécheresse et à un allègement de la dette par l’Etat. Terre rurale Si l’on compare la Tunisie avec des pays méditerranéens développés tels que l’Italie et l’Espagne et les nouveaux pays de l’UE, on peut voir d’où proviennent les augmentations dans la productivité de la main-d’œuvre agricole. Elles proviennent en grande partie, non d’une productivité des terres plus élevée, mais de ratios plus élevés de terre / main-d’œuvre. L’exode rural et la consolidation foncière font partie de ce processus. En Tunisie, le morcellement des terres et l’absentéisme causent des préoccupations. Les exploitations de moins de 5 ha sont passées de 41 % à 53 % de la superficie totale des terres depuis 1976. En réponse, l’Agence foncière agricole (AFA) s’est occupée de reconsolider et de titrer les terrains (surtout les terrains irrigués) au rythme de 12.000-14.000 ha par an. Mais le morcellement des terres est-il réellement un problème pour la compétitivité ? Et, si c’est le cas, s’agit-il d’un phénomène social fortement enraciné ou bien le Gouvernement peut-il intervenir dans les marchés fonciers pour l’éviter ? Malheureusement, malgré toutes les analyses quantitatives et juridiques du régime foncier, il y a très peu de compréhension des prises de décision des agriculteurs. De plus, nous n’avons que des arguments anecdotiques quant à la façon dont le régime foncier affecte les méthodes culturales. Ainsi le premier pas pour définir une politique de statut foncier est de définir le problème du point de vue des exploitants agricoles, en étudiant les priorités dont ils font état. En fonction des conclusions de cette étude, le Gouvernement pourrait envisager des réponses de politique telles que les guichets uniques pour les transactions foncières, la simplification administrative, un code foncier intégré, les pénalités fiscales et l’entrée des baux emphytéotiques. Aspects sociaux de la politique agricole L’agriculture est une source de revenu ainsi qu’une source de croissance. Ceux qui dépendent de l’agriculture sont souvent les éléments les plus pauvres et les plus vulnérables de la société tunisienne : les personnes âgées, les personnes sans qualification, les agriculteurs sans terre, les habitants des zones rurales moins développées et les femmes laissées pour compte par la migration des hommes. Il faut comprendre comment le changement de politique les affectera. Le présent rapport suggère la reconfiguration des institutions et des processus pour les rendre plus réactifs aux besoins des agriculteurs. Cette approche s’appliquerait à la vulgarisation, la recherche, les organisations d’agriculteurs, la gestion budgétaire et les institutions de crédit et de régime foncier. Mais les agriculteurs tunisiens forment un groupe varié. Alors que le Gouvernement s’efforce de mieux répondre à leurs besoins, il y a un risque que le dialogue soit accaparé par les plus gros exploitants agricoles et les hommes, à l’exclusion des petits agriculteurs, des femmes et des Page 14 xiii paysans sans terre. Par conséquent, le Gouvernement devrait assurer que le dialogue exploitants agricoles/Gouvernement (par ex. consultations et recherche) incorpore la diversité des agriculteurs. Le présent rapport suggère également que les tarifs douaniers céréaliers et les prix à la production garantis devraient être réduits. Les impacts sociaux de cette réforme, à travers les marchés alimentaires et du travail, seront complexes et hétérogènes. A ce stade toutefois, nous pouvons faire la prédiction générale que les petits producteurs de céréales et les travailleurs dans les exploitations céréalières dans le Nord et le Nord- Ouest sont vulnérables en cas de libéralisation des prix des céréales. Il peut être difficile pour la main-d’œuvre de trouver une alternative à la culture céréalière. Quatre-vingt pour cent des producteurs de céréales ont plus de 40 ans, et peu d’entre eux (seulement 15 % à Le Kef) ont une autre source de revenu. Afin de comprendre la dynamique de manière plus précise, une Analyse d’impact social et sur la pauvreté (AISP) devrait accompagner toute réforme des prix des céréales. Lorsqu’il s’agit d’atténuer les impacts de la réforme, l’accent devrait être mis sur l’amélioration du ciblage du marché actif de l’emploi et autres programmes sociaux. En ce moment, ils se focalisent sur les hommes des milieux urbains avec une éducation de niveau secondaire et marginalisent les pauvres ruraux. Des pays comme le Mexique et la Turquie ont dissocié l’appui au revenu rural de la production agricole. De cette manière, ils réalisent l’objectif politique d’un transfert de revenu dirigé et prévisible à la société rurale – mais sans les distorsions du marché et les fluctuations dans les valeurs des transferts qui accompagnent les subventions à la production. Un point essentiel toutefois, est que les programmes sociaux bien conçus ne devraient pas simplement être considérés comme atténuant les impacts de la réforme. Ils sont souhaitables per se . La subvention aux produits, au crédit, aux arriérés de prêt et à l’eau est inefficace et socialement régressive. La plupart des avantages vont aux agriculteurs les plus aisés. Ainsi des programmes sociaux mieux ciblés réaliseront les objectifs sociaux du Gouvernement plus efficacement que les distorsions actuelles du marché. Page 15 1 I. INTRODUCTION A. Objectif de l’étude 1. Il est impossible de considérer le développement économique en Tunisie sans considérer l’agriculture. Elle génère environ 13 % du PIB et emploie environ 16 % de la population active. L’agriculture a contribué à créer 25 % d ’emplois nouveaux pendant la période du 9 e Plan (1997-2001). Environ la moitié de la consommation des ménages tunisiens est consacrée à leur alimentation. 2. La préparation des 11 e et 12 e Plans, qui couvre la période 2007-16, est une opportunité historique pour le Gouvernement tunisien de jeter un regard nouveau sur l’agriculture. Des revenus plus élevés, des taux de pauvreté plus bas et le nouvel environnement des échanges internationaux offrent aux décideurs des opportunités et des défis qui n’existaient pas tout simplement il y a une décennie. Au seuil de la nouvelle période de planification, le Gouvernement tunisien pose des questions fondamentales. Qu’est-ce qui peut rendre l’agriculture compétitive ? L’agriculture donne-t-elle toutes ses possibilités à la nation ? Comment l’agriculture peut-elle tirer parti des accords commerciaux avec l’UE et d’autres partenaires ? 3. En 2004, après plus de 20 ans sans une étude détaillée faite par la Banque mondiale, le Ministère du Développement et de la Coopération internationale a demandé un examen de la politique agricole. L’examen a été réalisé par la Banque mondiale avec comme interlocuteur tunisien le Ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques. Outre sa contribution à la préparation des 11 e et 12 e Plans, le rapport a pour objet de provoquer un débat sur le rôle de l’agriculture dans l’avenir de la Tunisie. Documents de référence 4. Le présent rapport se fonde sur 11 documents de référence sur des thèmes identifiés en consultation avec le Ministère du Développement et de la Coopération internationale (MDCI) et le Ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques (MARH). Ont également apporté leur appui l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO/CP) et l’Agence française de Développement (AFD) sans lesquelles l’examen du secteur aurait été impossible. Ces études couvrent les domaines suivants : - la compétitivité agricole de la Tunisie ; - les céréales ; Page 16 2 - les fruits et légumes ; - les produits de l’élevage ; - les pêches; - la conservation des sols et des eaux, des forêts et des parcours ; - l’eau d’irrigation ; - les terres rurales ; - les organisations agricoles ; - les finances agricoles ; et - les aspects sociaux, dont le genre. Les 11 études ont fourni une abondance de données, qui sont maintenant disponibles pour le Gouvernement. 1 L’objectif du présent rapport n’est pas de reproduire les études de référence avec une autre description encyclopédique du secteur agricole. Il est plutôt une réponse à la demande du Gouvernement d’explorer les grandes orientations susceptibles de réorienter les politiques du Gouvernement tunisien. B. Approche 5. Les objectifs de la politique du Gouvernement tunisien, tels qu’exprimés dans le Plan et d’autres déclarations officielles, constituent le point de départ de l’examen. Le présent rapport décrit brièvement les réalisations passées du secteur, en termes d’objectifs, et présente ensuite des preuves du fait qu’il pourrait encore mieux faire. Ceci soulève la question de savoir : comment le Gouvernement pourrait- il aider le secteur agricole à réaliser son potentiel de manière plus complète ? Pour répondre à cette question, l’étude examine en détail les différents éléments de la compétitivité agricole : la politique commerciale, les politiques et institutions internes, les groupements de producteurs, etc. 6. Alors que l’étude examine chaque facette du secteur agricole, certains thèmes communs commencent à émerger clairement, à savoir : - la croissance des résultats de l’agriculture ont été impressionnants ; - il existe un potentiel non réalisé ; - les défis du passé ne sont pas les défis du futurs : à la production s’ajoutent maintenant des questions de qualité et de commercialisation mondiale ; - la relève des nouveaux défis de la qualité et de la commercialisation mondiale est une question de réactivité au marché. Les chaînes de l’offre doivent être 1 Malheureusement, les conclusions de l’étude sur les pêches n’étaient pas disponibles en temps voulu pour être incorporées dans le présent rapport. Il été également estimé que la conservation des sols, les forêts et les pâturages étaient couverts de manière satisfaisante par l’étude de référence, et que leur inclusion dans ce rapport de synthèse aurait détourné l’attention de ses principaux messages. Page 17 3 agiles et flexible s pour donner au consommateur/trice moderne ce qu’il/elle veut ; - la présence lourde de l’Etat génère des distorsions qui entravent le fonctionnement des filières et freinent leur réactivité. Donner des facilités au secteur privé pour qu’ils répondent mieux aux demandes des consommateur pourrait aider l’agriculture à réaliser son potentiel no réalisé ; - pour l’Etat, aider le secteur privé à être efficace c’est être plus réactif à ses demandes et être moins normatif. 7. Toutefois, les objectifs de la politique agricole ne concernent pas uniquement la maximisation du potentiel de croissance. Ils se rapportent également à la stabilité sociale et la sécurité alimentaire. Lorsque l’Etat tunisien intervient dans le secteur agricole, la raison première est souvent sociale. Il y a donc des compromis entre les différents objectifs de la politique agricole : il s’agit de maintenir la stabilité sociale et la sécurité alimentaire avec des impacts négatifs sur la compétitivité du secteur. Il n’entre pas dans les intentions de cette étude d’accorder la priorité à un objectif de politique plutôt qu’à un autre, les aspects sociaux et économiques des décisions de politique y sont traités avec une importance égale. Toutefois, l’étude soutien que le ciblage des instruments de la politique agricole sur les préoccupations sociales a créé une inadéquation entre les instruments et les objectifs. Le résultat est que ni les objectifs sociaux ni les objectifs économiques ne sont traités de manière optimale. 8. Par conséquent, l’étude dans son approche globale recommande des politiques qui assureront la croissance agricole, en donnant des moyens au secteur privé de répondre à la demande des consommateurs. Dans le même temps et en parallèle, l’étude recommande la mobilisation d’instruments de politique mieux adaptés pour répondre aux besoins des pauvres et des vulnérables. 9. Le but à ce stade est de donner des conseils sur la direction stratégique globale de la politique agricole tunisienne. Avec une ambition aussi vaste et en l’absence de travail analytique et historique récent, il serait imprudent de proposer un modèle de mise en œuvre. Lorsque le Gouvernement identifie des domaines de réformes spécifiques le chemin de la transition devra être tracée de façon détaillée en profitant de l’expérience d’autres pays. Page 18 4 II. LES PERFORMANCES PASSEES DU SECTEUR 10. Cette section examine les performances du secteur agricole sur les 20 dernières années. Son but est d’identifier les acquis mais également les domaines dans lesquels le potentiel agricole ná peut être pas été pleinement réalisé. Cette analyse conduira à l’analyse des choix de stratégie politique dans les sections qui suivent. A. Les priorités des Plans quinquennaux 11. Le Gouvernement tunisien met en œuvre la politique du secteur agricole dans le cadre des Plans quinquennaux de développement. Les objectifs des Plans sont exprimés en volumes quantifiés de moyens de production et de production. Bien que le Chapitre III.D « Doter le secteur agricole de ressources » soutienne qu’une nouvelle approche de l’établissement des objectifs pourrait améliorer l’efficacité du Gouvernement, le cadre du Plan actuel sera utilisé dans cette section pour évaluer la performance passée du secteur. 12. Il est important de reconnaître que la politique agricole de la Tunisie a fait beaucoup de chemin depuis la fin des années 80. Pendant ces deux dernières décennies, la Tunisie a poursuivi une double stratégie de développement agricole orientée vers la croissance économique et la stabilité sociale. Les buts étaient la productivité durable, l’accès aux marchés étrangers et l’amélioration des conditions de vie des exploitants agricoles. 13. Pendant le 7 e Plan de développement économique et social 2 (1987-1991), la Tunisie s’est lancée dans des réformes structurelles, appuyées par un Programme d’ajustement du secteur agricole 3 (PASA). Le programme de réforme visait l’amélioration de la balance des paiements, des finances publiques et de l’emploi. Il portait sur les rôles des organismes publics et privés, le climat de l’investissement et l’usage des ressources durables. Un nombre de réformes sectorielles ont été exécutées, principalement dans le secteur de l’irrigation, afin d’améliorer l’utilisation des ressources. De nouvelles technologies d’économie de l’eau et de nouveaux systèmes tarifaires ont été introduits afin d’encourager l’efficacité et de réduire le gaspillage de l’eau. 14. Pendant le 8 e Plan (1992-1996), d’autres efforts ont été accomplis pour renforcer la productivité. Ceci impliquait des investissements dans la recherche et la vulgarisation agricoles appliquées, et la prestation de services d’appui aux agriculteurs. Des réformes du régime foncier, du crédit agricole et des systèmes budgétaires ont également été entreprises pour encourager l’entreprenariat privé. 2 VII e Plan de d éveloppement économique et social (PDSE) 3 Programme d’ajustement du secteur agricole (PASA) Page 19 5 15. A la fin des années 90, un accès accru aux marchés internationaux a donné lieu à de nouvelles priorités. La période du 9 e Plan (1997-2001) a été dominée par un nouvel Accord d’association avec l’Union européenne, la libéralisation de l’OMC et la création de la Zone de libre-échange arabe. Ceci a déclenché des réformes internes des politiques des prix et des subventions. Les subventions aux moyens de production ont été coupées et la majorité des prix des produits ont été libéralisés. Toutefois, les prix sont restés fixés pour certaines cultures telles que le blé dur et le blé tendre , les tarifs externes sont restés élevés et le Ministère du Commerce a maintenu des contrôles formels et informels sur les prix à la consommation. Dans le même temps, la Tunisie a poursuivi une partie de son agenda antérieur : (i) la poursuite de la mobilisation des ressources en eau ; et (ii) l’autosuffisance accrue dans des produits tels que l’huile d’olive, les céréales, les pommes de terre, les tomates, le lait, la viande rouge et les produits de la mer. 16. Le 10 e Plan (2002-2006) a poursuivi ce que le 9 e Plan avait commencé, tout en mettant l’accent sur l’investissement privé et le rôle des petits exploitants agricoles dans le développement social et régional. B. Les performances du secteur 17. L’agriculture a progressé au même rythme que la croissance économique de la Tunisie dans son ensemble. Dans une économie se développant à un taux moyen de 4,3 %, le secteur a montré des taux moyens de croissance de respectivement 10 %, 2 %, 2 % et 5,6 % pendant les 7 e , 8 e , 9 e et 10 e plans. Ainsi la contribution du secteur agricole au PIB est restée sur une tendance plate, avec une moyenne de 13,4 % sur les 20 dernières années. Ceci est assez inhabituel. Souvent la part de l’agriculture dans le PIB chute régulièrement lorsqu’un pays à revenu intermédiaire se développe régulièrement. 18. Toutefois, la croissance agricole a montré des fluctuations importantes, en raison surtout de la variation de la pluviosité. Le taux de croissance de la valeur ajoutée agricole a varié de 8,6 % sur la période 1987-1991 à 2,1 % sur la période 1991-1996, avec une moyenne de 3,5 % sur la période des 9 e et 10 e Plans. Figure 1. Part de l’agriculture dans le PIB Agriculture Other sectors 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Years S h a r e o f G D P Source : IDM, BIRD Page 20 6 19. Une part de la croissance de l’agriculture provient des augmentations de la productivité des terres. La croissance des rendements moyens a été substantielle, estimée à 2,8 % pour la période 1989-2003, grâce à un plus grand usage des engrais chimiques, de la mécanisation et de semences améliorées, grâce aussi à des agriculteurs plus compétents et à l’expansion des cultures irriguées. Tableau 1 . Niveaux de production des principaux produits agricoles (1000 T) 7 e Plan 8 e Plan 9 e Plan 10 e Plan * C éréales 1408 1607 1394 1867 Olives 563 740 915 628 Agrumes 240 209 223 229 Dates 71 77 102 118 Pommes de terre 197 217 305 326 Tomates 487 507 759 905 Viande 124 238 325 401 Lait 387 526 806 905 Pêches 95 86 93 104 Source : Rapports d’évaluation des 7 e , 8 e , 9 e et 10 e Plans de la Tunisie * Estimations des auteurs basées sur les valeurs de la production moyenne 2002-2005 à des prix constants de 1990 20. Si l’on regarde le bilan de différents produits, les cultures céréalières ont chuté pendant la période du 9 e Plan avec deux années consécutives de sécheresse (Tableau 1). Les estimations préliminaires de la production pour la période du 10 e Plan montrent une reprise. L’arboriculture contribue dans une large mesure aux exportations agricoles. Il s’agit principalement des olives, des dattes et des agrumes. La part de l’huile d’olive dans les exportations agricoles totales était en moyenne de 34 % pendant la période du 10 e Plan. Les dattes suivaient avec 13 %. La part des agrumes n’a été que de 2 % seulement, et leur contribution au total des exportations de produits est en baisse. 21. Le secteur de l’élevage s’est développé rapidement de manière générale. Le lait et la volaille ont eut une croissance annuelle particulièrement élevée. Les politiques d’incitation se sont traduites par une forte augmentation de la production laitière et une grande diminution des importations de lait, en dépit de l’augmentation de la demande nationale. L’offre locale de lait satisfait actuellement plus de 90 % de la demande interne. Les produits de la pêche, qui représentent 18 % des exportations, ont pratiquement stagné au cours des dernières années. Néanmoins, leur valeur de leur exportation a augmenté de façon considérable. C. Bilan des échanges alimentaires 22. Le 10 e Plan (e.g., volume 2, par. 1) vise explicitement l’autosuffisance alimentaire comme objectif national. La Section III.A du présent rapport soutient que Page 21 7 la recherche de l’autosuffisance alimentaire en elle-même gêne la croissance et est un moyen inefficace de promouvoir la sécurité alimentaire. Toutefois, il est intéressant d’évaluer les progrès par rapport à l’objectif d’autosuffisance que la Tunisie s’est fixé. 23. Le bilan des échanges alimentaires de la Tunisie est resté négatif pendant les deux dernières décennies à l’exception des années 1999 et 2004. Il est chroniquement dépendant des importations de céréales, qui représentent environ 40 % du total des importations alimentaires. Cependant, le taux de couverture globale est passé d’environ 64,8 % au cours de la période 1987-1991, à 69,1 % en 1992-1996, 81,5 % en 1997-2001 et 78,4 % durant la période 2002-2006 4 . La raison en est que le lait et la viande ovine couvrent maintenant la demande intérieure. D. Consolidation de l’emploi agricole 24. La part du secteur dans l’emploi national a considérablement chuté au fil des ans. De 46 % en 1960 et de 23 % en 1995-2000, le secteur contribue maintenant à 16 % seulement de l’emploi national. Pendant la période 1989-1994, la création d’emploi net dans le secteur agricole a été négative. Pendant la période 1994-1997 sa contribution brute a été estimée à 23,5 % du total de la création des nouveaux emplois et est passée à 25 % en 1997-2001. En d’autres termes, sur les dernières 12 années, l’agriculture a créé deux fois plus d’emplois par unité de PIB que l’économie prise dans son ensemble. E. Potentiel non réalisé 25. On pourrait donc se demander en toute honnêteté s’il existe un problème de politique agricole en Tunisie. Avec ce bilan respectable de croissance et d’emplois, il semble à première vue que le statu quo est parfaitement satisfaisant. Mais si l’on gratte sous la surface, on trouve de nombreuses preuves que l’agriculture tunisienne travaille en deçà de son potentiel. 26. Que signifie le mot « potentiel » dans ce contexte ? On peut penser à la compétitivité par rapport au coût : la capacité à produire un produit meilleur marché que la concurrence. « Réaliser le potentiel » signifie augmenter la valeur des produits compétitifs achetés dans le pays et à l’étranger. 27. L’indentification du potentiel agricole de la Tunisie a été réalisé en utilisant les données de la Carte agricole du MARH pour comparer les coûts de la production économique (« coût des ressources domestiques ») avec les prix à la frontière. Si le coût économique est plus élevé que le prix à la frontière, ceci signifie que la Tunisie ne serait pas un exportateur compétitif et économiserait des ressources en important ce produit. Si le prix à la frontière est plus élevé que le coût économqiue, ceci signifie que la Tunisie est potentiellement un exportateur compétitif – à condition que 4 L’écart entre le solde des échanges alimentaires en 2002-2006 se doit principalement à la sécheresse de 2002, qui s’est traduite par un taux de couverture de 48,7 % seulement la même année. Page 22 8 les questions d e qualité et d’organisation des filières soient résolues. Les principales conclusions sont les suivantes : · L’arboriculture et les fruits et les légumes sont potentiellement compétitifs. Le coût des ressources nationales de la production de légumes et de melons varie de 10 % à 55 % du prix aux frontières. Pour l’arboriculture, il varie de 30 % à 85 %. · La production laitière et la production bovine ne sont pas compétitives, à cause des coûts de production internes aussi bien que des subventions à l’exportation offertes aux producteurs de certains pays développés. L’activité la moins anticoncurrentielle est la production laitière dans une exploitation agricole mixte [lait intégré], pour laquelle les coûts économiques sont de 125 % des coûts à la frontière. L’activité la plus anticoncurrentielle est la production bovine, dont les coûts varient de 175 % à 260 des prix à la frontière, dépendant de la qualité génétique du bétail. · La production de viande ovine est potentiellement concurrentielle, avec un coût de ressources intérieures de 65 % du coût à la frontière. · La compétitivité des céréales est la plus élevée dans le Nord et l’Ouest où la pluviosité est la plus favorable, et la plus faible dans les zones plus arides. Le blé dur est vraisemblablement plus compétitif et le blé tendre et l’orge moins compétitifs. Plus grande est la taille de l’exploitation, plus compétitive est la production céréalière. Sur cette base, la Tunisie réalise t elle son potentiel de croissance ? Plusieurs indications montrent que ce n’est pas le cas. 28. Tout d’abord, une part de la croissance agricole provient simplement du fait de l’affectation de plus en plus de main-d’œuvre à la même superficie de terre. Ceci est inhabituel pour une économie à revenu intermédiaire avec une croissance démographique lente, et peut s’expliquer par le fait que le secteur industriel est incapable d’absorber la croissance de l’offre du travail. 5 L’emploi agricole a augmenté de 20 % entre 1993 et 2002, alors qu’il n’y a pas de hausse de tendance dans la productivité de la main-d’œuvre (Figure 2). Sur les périodes des 9 e et 10 e Plans, la productivité du travail dans l’agriculture n’a pas augmenté, mais elle a augmenté de 4,4 % et de 4,7 % par an dans les industries manufacturières et les services respectivement (Banque mondiale, 2004a). Cela est préoccupant, parce que cela veut dire que la croissance de l’offre du travail déguise une faible croissance de l’efficacité. 5 Il n’y a pas de simple corrélation toutefois entre le taux de croissance de l’emploi agricole et le bilan global de croissance et d’emploi de la Tunisie. Page 23 9 Figure 2. Valeur ajoutée par travailleur dans l’agriculture 1992-2004 agriculture: value-added/worker 0 500 1,000 1,500 2,000 2,500 3,000 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 year $ ( 2 0 0 0 ) / w o r k e r Figure 3. Emploi agricole 1967-2004 % growth in agr. employment -2% -2% -1% -1% 0% 1% 1% 2% 2% 3% 3% 1 9 6 7 1 9 7 0 1 9 7 3 1 9 7 6 1 9 7 9 1 9 8 2 1 9 8 5 1 9 8 8 1 9 9 1 1 9 9 4 1 9 9 7 2 0 0 0 2 0 0 3 Source : Base de données BM / Investissement intérieur brut 29. Deuxièmement, une grande part du succès de l’agriculture est due aux sacrifices faits par le contribuable, le consommateur et le reste de l’économie. Le coût de la croissance de l’agriculture comprend : - 170 millions de DT par an du budget de l’Etat pour la compensation des prix : pour le blé, le coût est de 145 millions de DT (voir par. 81) ; - une augmentation de 4 % du coût de la vie pour les consommateurs tunisiens (voir par. 54) ; - une perte de 0,8 % du PIB grâce à la distorsion des prix (voir par. 57) ; - des dépenses publiques en investissements dans l’irrigation valant 9 % de la valeur ajoutée totale du secteur des cultures sur la période 1997-2004. Si l’argent Page 24 10 public dépensé dans les projets d’irrigation depuis 1992 avait été investi à 6 %, le revenu de l’intérêt aurait valu un tiers de la croissance du secteur des cultures. 6 30. Troisièmement, une grande part de la croissance de l’agriculture a été induite par les subventions et la protection de produits pour lesquels la Tunisie n’est pas concurrentielle. Comme l’a montré le Tableau 1, les productions bovine et laitière comptent pour une grande part de la croissance de la valeur ajoutée du secteur : l’agriculture a augmenté de 47 % sur la période 1989-2003, dont plus du tiers (18 %) grâce au bœuf et au lait. Mais la Tunisie est non concurrentielle dans les deux produits. Il en coûte 1,8 à 2,6 fois autant pour produire du bœuf en Tunisie qu’il n’en coûte pour l’importer (Ideaconsult, 2005a) et 1,2-2,1 fois autant pour produire du lait. Ainsi, la croissance de l’industrie du bœuf et du lait est actuellement une perte nette pour la nation tunisienne et une grande part du bilan de la croissance du secteur agricole de la Tunisie est fausse. Tableau 2. La contribution du bœuf et du lait à la croissance Contribution à la croissance agricole 1989-03 Croissance 1989-2003 Part de la production agricole 1989-03 En % de la production agricole 1989 En % de la croissance agricole 1989- 03 Bœuf 64% 5,8% 4% 8% Lait 179% 7,8% 14% 30% Les deux 13,7% 18% 38% Toute l’agriculture 47% 100,0% 47% 100% Source : Ideaconsult (2005a) 31. Quatrièmement, là où la Tunisie est concurrentielle en fruits et légumes, elle ne capitalise pas à son avantage. Comme le montre le Tableau 3, bien que les exportations de fruits et de légumes se portent bien en termes de volume, la valeur des exportations en dollars des E.U. courants est à la baisse, non à la hausse. Tableau 3. Fruits et légumes : taux de croissance annuelle 1980-2000 (% par an) Superficie cultivée Volume de production Volume des exportations Volume de l’offre interne Valeur des exportations( $EU courants) Tunisie -2,2 3,8 9,2 3,5 0.3 D onnées : FAOSTAT 32. Si l’on regarde le principal marché d’exportations de la Tunisie, l’Union européenne, il y a d’autres signes qui montrent que l’avantage concurrentiel potentiel dans le secteur des fruits et légumes n’est pas réalisé intégralement dans les exportations (CNEA, 2005b). La Tunisie n’utilise que 55 % seulement de son quota 6 Attribuant à l’irrigation 80 % du coût de l’investissement en eau du MARH. Page 25 11 d’exportations d’agrumes, et il n’y a pas d’exportations de tangerines et de clémentines parce que les exploitations agricoles tunisiennes peuvent seulement approvisionner le marché local. Le point culminant des exportations d’abricots de la Tunisie a été de 338 tonnes en 1998, par rapport à un quota de l’UE de 2.240 tonnes. La Tunisie n’utilise seulement que 1.000 tonnes de son quota de l’UE de 4.000 tonnes pour le concentré de tomates. (Le prix des tomates fraîches livrées à l’usine est plus élevé qu’en Italie, en Espagne, au Portugal et en Turquie). La Tunisie est agronomiquement adaptée pour mettre des amandes sur le marché un mois avant les fournisseurs de l’UE, et pourtant, elle est incapable d’utiliser son quota de l’UE de 1.120 tonnes. Même le quota pour l’huile d’olive, qui est une réussite, est inutilisé à hauteur de 21 %. 33. En fait, dans le secteur pris dans son ensemble, les produits compétitifs de la Tunisie ne sont pas suffisamment performants alors que ses produits non compétitifs sont sur performants. L’arboriculture, l’horticulture et la pêche, les sous-secteurs les plus compétitifs, ne contribuent qu’à 34 % de la croissance, même s’ils représentaient 53 % des résultats du secteur en 1986-90 (Tableau 4). Dans l’ensemble, les produits non compétitifs contribuent à 40 % de la croissance, même s’ils ne constituaient que 26 % des résultats durant la période 1986-90 (Tableau 5). Tableau 4. Contribution des sous- secteurs à la croissance % de production 1986-1990 % de croissance entre 1986-90 et 2001-05 C éréales 12 % 16 % Arboriculture 28 % 19 % Horticulture 16 % 16 % Elevage 32 % 49 % Pêche 9 % -1 % Autre 3 % 1 % Source : MARH Tableau 5. La performance est inversement corrélée à la compétitivité Produits % de la production en 1986-90 Part de la croissance 1986-90 à 2001-05 Compétitif Blé dur (50 %), arboriculture, horticulture (excepté pommes de terre), petits ruminants, pêches, autres produits (50 %) 73 60 Non comp étitif Blé tendre, céréales hors blé, pommes de terres, viande bovine, lait, autres produits (50 %) 27 40 Source : MARH Page 26 12 34. Qu’est-ce qui empêche la Tunisie de réaliser son potentiel et comment le Gouvernement peut-il aider le secteur à être plus performant ? L’Encadré 1 présente les cas des agrumes et de l’huile d’olive. Comme il le montre, une grande partie de la réponse réside dans le fait que les filières ne montrent pas de souplesse et de réactivité pour donner aux consommateurs le produit de qualité qu’ils sont prêts à payer. Ceci mène à la question de savoir comment le Gouvernement peut aider au mieux les filières agricoles à devenir réactives. Dans les cas des agrumes et de l’huile d’olive, la réponse est la même : le Gouvernement devrait porter ses efforts sur la fourniture des biens publics essentiels, éliminer les distorsions du marché et encourager les associations commerciales (les inter professions) privées à rechercher des profits en développant des technologies et des marchés. 35. Malgré ses difficultés au niveau de la qualité, le secteur de l’huile de l’olive est la preuve que les filières peuvent mieux répondre aux politiques du Gouvernement. En 1994, lorsque le Gouvernement a retiré le monopole des exportations d’huile d’olive à l’ONH, le secteur privé a répondu. Le ratio des recettes des exportations d’huile d’olive par rapport à la production d’huile d’olive a atteint de nouveaux niveaux après 1994 (Figure 4). La valeur des exportations d’huile d’olive en 2004 était de 569 millions de $EU (FAOSTAT), soit 6 % des exportations totales du pays. Encadré 1. Potentiel non réalisé dans les agrumes et l’huile d’olive Potentiel non réalisé : agrumes La filière des agrumes illustre la façon dont les filières tunisiennes pourraient capitaliser davantage sur leur coût-compétitivité. La production des agrumes a stagné pendant plus d’une décennie et la demande interne croissante absorbe plus de 90 % de la production locale. Les exportations actuelles d’agrumes vers l’UE se montent à 20.000 tonnes et ne représentent que 50 % du quota préférentiel du pays. Pour tirer parti de cette opportunité, la Tunisie doit augmenter la quantité et la qualité de sa production. Les agrumes tunisiens sont de qualité « moyenne ». De nombreux vergers d’agrumes sont vieux et improductifs. La conversion de vergers vieux en vergers plus jeunes et plus productifs se fait lentement. Les rendements sont faibles et les fruits sont trop petits pour avoir des bons prix. La négligence à la récolte abîme les fruits. Les fruits qui sont cueillis sur les arbres et ceux qui sont ramassés sur le sol sont souvent mélangés. Par conséquent, il faudrait consacrer plus d’efforts dans la recherche appliquée et le service de vulgarisation pour développer des techniques appropriées de récolte et d’après récolte pour assurer une qualité élevée des fruits pour l’exportation. Ces techniques doivent être développées à tous les stades de la filière et doivent être faciles à appliquer par les producteurs d’agrumes, les centres de transformation des fruits et les négociants. Malgré la libéralisation des prix, les marges des prix de détail sont toujours réglementées par un décret de 1988 : les marges des prix de détail sont établies sur la base du prix officiels d’achat. Les producteurs et les collecteurs sont requis de vendre leur produit sur le marché de gros officiel et les détaillants sont tenus d’acheter leurs produits sur le même marché. La marge du prix de détail permise est faible, encourageant les détaillants à éviter le marché de gros formel et à acheter directement les fruits aux producteurs ou aux collecteurs locaux. Cette tendance Page 27 13 s’accompagne de pratiques n’encourageant pas la production de fruits de qualité, les fruits de tous les niveaux de qualité et de toutes les tailles étant mélangés et vendus en vrac, indépendamment de leur taille et de leur qualité. Qu’est-ce qui pourrait améliorer la qualité des agrumes tunisiens ? o Le Gouvernement devrait se focaliser sur les « biens publics » tels que la réglementation de la qualité, la recherche et la vulgarisation appliquées sur la manipulation des fruits après récolte. o Le Gouvernement devrait réduire ses interventions qui créent des distorsions sur le marché. Les marges de détail devraient être établies par le marché plutôt que d’être régulées par l’Etat. Ceci encouragerait les agriculteurs et les négociants à rechercher la qualité. o Des interprofessions privatisées devraient donner aux producteurs et aux négociants des informations sur les techniques et les prix du marché dont ils ont besoin pour fournir ce que demande le consommateur. Potentiel non réalisé : huile d’olive 7 La Tunisie est le quatrième producteur mondial d’huile d’olive derrière l’Espagne, l’Italie et la Grèce et elle exporte plus de 70 % de sa production. Les prix de l’huile d’olive dépendent de la qualité. Alors que l’huile d’olive vierge, la qualité la plus élevée de l’huile d’olive, représente actuellement environ 70% du marché international, les exportations d’huile tunisienne concernent essentiellement le degré le plus bas de cette huile vierge, l’huile d’olive lampante , qui représente environ 60% des exportations d’huile. Seulement 25 % à 30 % de l’huile d’olive tunisienne est de qualité élevée, par rapport à 70 % - 86 % observés chez les concurrents des pays européens. Ce faible taux de qualité est le résultat de divers facteurs tels que : (i) la méthodes de récolte, de stockage et de transport inadéquates ; (ii) un long cycle de récolte et de stockage ; et (iii) un équipement d’extraction périmé, qui représente 42 % de la capacité. Les unités moderne de trituration d’olives représentent actuellement 31 % du potentiel alors qu’il s’élève à 70 % à 80 % en Italie, en Grèce et en Espagne. Il en ressort qu’environ 97 % de l’huile d’olive tunisienne est encore commercialisée sans marque et en vrac. Alors que 12 labels d’origine existent en Espagne, 12 en Italie et 27 en Grèce, les producteurs d’huile d’olive en Tunisie n’ont pas développé de marque commerciale ni de label de qualité. Les laboratoires existants pour tester la qualité (trois laboratoires : Tunis, Sousse et Sfax) appartiennent à l’Office national des Huiles (ONH) de l’Etat, qui les met à la disposition des opérateurs pour faire des analyses payantes. Très peu de centres privés de transformation de l’huile d’olive ont accès aux installations d’analyse et de contrôle de la qualité. La Tunisie bénéficie actuellement d’un quota préférentiel avantageux de 56.000 tonnes pour exporter vers l’UE. L’ONH alloue une partie du quota à des opérateurs privés selon des procédures qui ne sont pas publiques. Il garde le reste, traitant 50 % des exportations d’huile d’olive directement, et les profits de la propriété de ce quota par l’ONH fournissent des subventions croisées à d’autres de ses activités, même si l’ONH ne fixe pas directement les marges de commercialisation. Qu’est-ce qui améliorerait la qualité et la rentabilité de l’huile d’olive tunisienne ? o Ici aussi, le Gouvernement devrait se focaliser sur la fourniture de « biens publics » tels que la recherche appliquée et la vulgarisation de techniques appropriées concernant la récolte, le stockage et le transport des olives. 7 Source : CEPI (2000) Page 28 14 o Ici aussi, le Gouvernement devrait réduire ses interventions qui créent des distorsions sur le marché. L’allocation des quotas devrait être transparente. Un produit d’exportation rentable ne devrait pas fournir des subventions croisées à d’autres activités. Les installations d’analyse et de contrôle de la qualité devraient être plus accessibles au secteur privé. o Ici aussi, des inter professions privatisées ont un rôle à jouer : sensibilisation technique et développement de marques, de nouveaux produits (e.g., huile et savon de marc) et éventuellement des appellation d’origine. Figure 4 . Fin du monopole de l’ONH sur les exportations d’huile d’olive en 1994 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1 9 6 1 1 9 6 4 1 9 6 7 1 9 7 0 1 9 7 3 1 9 7 6 1 9 7 9 1 9 8 2 1 9 8 5 1 9 8 8 1 9 9 1 1 9 9 4 1 9 9 7 2 0 0 0 2 0 0 3 $ US$ oil exported per kg olives produced Source : FAOSTAT 36. Le phénomène des supermarchés fait monter les enchères. Soixante-dix à quatre-vingt dix pour cent des ventes alimentaires dans l’UE passent par les supermarchés. Leur volume de transaction est élevé, leur système d’achat centralisé leur permet de battre la campagne dans le monde entier pour trouver des fournisseurs fiables et ponctuels livrant des volumes élevés et de haute qualité. Afin de gérer les incertitudes, ils développent des normes privées de qualité, des modalités d’achat avec des fournisseurs préférés ou un fournisseur unique et des modalités d’achat centralisées (Shepherd, 2005). Les supermarchés ne représentaient que 5 % seulement des ventes alimentaires de la Tunisie en 2002, mais l’expérience internationale montre que ce chiffre pourrait atteindre 18 % avec la libéralisation des investissements étrangers directs (Traill, 2006). L’expérience d’autres pays de la région montre que les supermarchés essaieront de réduire leurs risques en centralisant les achats et en passant de l’achat sur les marchés à des contrats de production (Codron et al., 2004). 37. Les rémunérations des producteurs qui peuvent pénétrer ce marché sont élevées 8 . Mais « la tendance majeure du marché mondial de l’agro-alimentaire est évolution vers les agents économiques qui ont du capital, des compétences organisationnelles et de commercialisation élevées, et une compréhension pointue des 8 Par exemple, le prix à la production des fraises et des tomates cerises de Gaza destinées à l’UE peut être de 4 à 6 fois plus élevé que le prix à la production pour les ventes locales. Page 29 15 besoins des clients » (Banque mondiale, 2004f). Le défi est de rester dans le jeu, parce qu’il n’y a pas de place pour les seconds, pour le petit grossiste, le fournisseur non fiable, pour la livraison de produits de qualité mélangée ou pour des délais de livraison bureaucratiques. Au fur et à mesure que les supermarchés et les marchés d’exportations se développeront en Tunisie et la rémunération de l’excellence augmentera ainsi que le coût de la médiocrité. III. DEFIS ET OPPORTUNITES A. Le cadre politique et institutionnel 38. La conclusion du Chapitre II est que le secteur agricole de la Tunisie, malgré son bilan de croissance, est bien au-dessous de son potentiel. La présente section examine comment l’Etat intervient dans les marchés agricoles et comment les réformes à faire pourraient dynamiser la contribution de l’agriculture à l’économie nationale. Elle commence par examiner la politique commerciale, qui aide à déterminer les prix que reçoivent les agriculteurs. Elle se poursuit par une analyse de la façon dont les réformes de la politique commerciale affecteraient l’économie nationale, les consommateurs et différents types d’exploitations agricoles. Elle se tourne ensuite vers les interventions gouvernementales dans les marchés agricoles nationaux. La section conclut que des mesures spécifiques de politique commerciale pourraient donner un élan à la croissance tout en minimisant les impacts sur l’emploi, et que le Gouvernement peut améliorer l’efficacité et la compétitivité de l’agriculture en remaniant son propre rôle dans le secteur. 39. Cette section porte sur la façon dont la politique commerciale et d’autres interventions gouvernementales affectent les prix. Eliminer les distorsions de prix est la réforme qui importe plus que les autres lorsqu’il s’agit de rendre les filières plus réactives. Permettre aux marchés d’établir les prix librement est une réforme « cadre » parce qu’elle rend les autres réformes plus efficaces. Plus le système des prix rémunèrera les agriculteurs qui cultivent des légumes de qualité élevée, plus les producteurs de légumes sauront valoriser les améliorations concernant la gestion de l’eau, celle des marchés fonciers, des regroupements d’agriculteurs, des services de vulgarisation, etc. La politique commerciale 40. Pendant des décennies, la politique commerciale tunisienne a encouragé la substitution des importations par des barrières importantes aux importations, avec des régimes spéciaux de promotion des exportations et des interventions directes de l’Etat dans la commercialisation. Dans le cas de l’agriculture, cette approche générale s’est doublée par des politiques visant l’autosuffisance, par des prix bas et la protection de certains agriculteurs. Depuis les années 80 l’ajustement structurel a apporté la stabilité macroéconomique. Mais les réformes « n’ont pas substantiellement Page 30 16 libéralisé les échanges » et le régime commercial reste « dans le besoin d’une libéralisation plus poussée » (OMC, 2005, p. vii). Régime de politique des importations 41. Pour l’agriculture, les tarifs appliqués par la Tunisie sont élevés comparés aux normes régionales et mondiales. Les taux appliqués sont actuellement en moyenne de 67 % pour les produits agricoles (comparés à 31 % pour tous les produits – voir Tableau 6), avec un taux maximum de 150 %. Le taux moyen actuel est environ le double de la moyenne à l’époque du dernier examen des politiques commerciales de l’OMC en 1994, bien qu’une grande part de l’augmentation soit associée à la « tarification » des barrières non tarifaires depuis 1994. Les « tarifs records » (ceux supérieurs à 15 %, selon la définition de l’OMC) représentent environ 69 % des lignes tarifaires agricoles, par rapport à 59 % pour les produits non agricoles. Parmi les catégories de produits agricoles, les tarifs globaux les plus élevés (en moyenne aux environs de 100 % en 2004 et 2005) sont dans le sous-secteur des fruits et des légumes « exportables » (Tableau 6). La protection de ces produits sur le marché local non seulement réduit le choix du consommateur 9 , mais empêche également le développement d’un secteur orienté vers la qualité, plus en mesure d’être concurrentiel sur les marchés mondiaux. 42. Les tarifs « limites » (à savoir les taux plafonnés au-dessus desquels la Tunisie s’est engagée devant l’OMS à ne pas augmenter ses taux) sont beaucoup plus élevés que les taux appliqués, en moyenne proches de 117 % pour les catégories de produits dans l’agriculture et l’alimentation. Cette situation crée une incertitude considérable quant à savoir si les taux appliqués peuvent ou non être augmentés à l’avenir. Le taux consolidé moyen pour ces deux catégories de produits est environ le double de celui de la troisième catégorie la plus élevée, l’habillement et les textiles (OMC, p. 29). 43. Le recours à des barrières non tarifaires a été réduit avec le temps: 6,7 % seulement des biens importés requièrent actuellement une licence, par rapport à environ 13 % en 1994, et la plupart des conditions restantes sont ostensiblement imposées pour des raisons techniques (OMC, p. 39). Mais les importations d’environ 1,6 % de toutes les lignes tarifaires – dont un nombre de produits agricoles importants – sont sous un régime de quota tarifaire (OMC, p. 75), avec des tarifs hors quota atteignant 98 % en moyenne. (Voir Tableau 7). Les quota sont alloués par un comité interministériel dans une procédure qui est discrétionnaire et moins que transparente (OMC, p. 75). 9 Par exemple, les fabricants tunisiens de pâte de tomate paient un prix plus élevé pour les tomates crues que leurs homologues en Italie, en Espagne, au Portugal et en Turquie (CNEA, 2005b). Page 31 17 T ableau 6 Structure tarifaire, 1994, 2004 et 2005 (Pourcentages et millions de $EU) Tarifs NPF Tarif préférentiel pour l’UE 1994 2004 2005 2005 Importations 2004 Description Simple Marge des droits Simple Marge des droits Simple Marge des droits Simple Marge des droits (Millions$EU) droit moyen droit moyen droit moyen droit moyen droit moyen droit moyen Total 30,7 0-43 32,7 0-200 31,7 0-150 18 0-150 12,727,10 Agriculture 35 10-43 69,3 0-200 66,8 0-150 63,6 0-150 1182,7 Animaux vivants : produits animaliers 38.5 10-43 97,4 20-180 91,8 20-150 91,8 20-150 40,5 Produits laitiers 23.5 15-43 92,1 15-180 95,3 15-150 94,2 0-150 42,2 C afé, thé, cacao, sucre, etc. 38 15-43 73,1 0-200 72,1 0-150 67,7 0-150 178,5 Fleurs coupées et plantes 27.3 20-43 37,3 0-180 36,9 0-150 34,7 0-150 10 Fruits & légumes 42.1 15-43 104,3 0-200 96,8 0-150 94,6 0-150 61,7 Céréales 29 15-43 45,3 0-100 45,3 0-100 45,1 0-100 342,3 Source : Organisation mondiale du Commerce, Organe d’examen des politiques commerciales WT/TPR/S/152, 7 septembre 2005 Examen des politiques commerciales : Rapport du Secrétariat, Tunisie Page 32 18 T ableau 7. Importations sous contingents tarifaires, 2001-04, et taux des droits de douane, 2005 (Pourcentages, à moins qu’il en soit exprimé autrement) Contingent tarifaire 2001 2002 2003 2004 Description du produit Taux moyen de contingent Taux de droit hors engagement Taux d’utilisation Taux d’utilisation Taux d’utilisation Taux d’utilisation contingent (tonnes) Veaux et bœufs 27 82 3.000 0 0 0 97 Viande bovine 27 88 8.000 0 0 0 100 Viande de mouton et de chèvre 27 125 380 0 0 0 100 Lait en poudre 17 76 20.000 10 19 35 43 Beurre 35 100 4.000 60 88 48 49 Fromage 27 139 1.500 100 100 100 100 Haricots 25 60 1.300 0 0 0 0 Blé dur 17 73 300.000 100 100 0 0 Blé tendre 17 73 600.000 100 100 85 100 Orge 17 73 200.000 100 100 100 100 Sucres 15 42 100.000 100 100 100 228 Amandes écalées 43 60 1.335 70 100 0 0 Concentré de tomate 43 100 155 0 0 0 100 Source : Organisation mondiale du Commerce, Organe d’examen des politiques commerciales WT/TPR/S/152, 7 septembre 2005 Examen des politiques commerciales : Rapport du Secrétariat, Tunisie 44. En Tunisie, comme dans de nombreux pays, la forte protection accordée à l’agriculture a pour but de compenser le protectionnisme d’autres pays – en particulier les pays industrialisés. L’argument veut que la libéralisation mondiale augmente les prix mondiaux, et que jusque là, une protection temporaire évitera le coût d’ajustement et des dommages irréparables à la base productive. Alors que cet argument est douteux sur un plan économique, il est attirant sur le plan politique. Dans tous les cas, si ce raisonnement est appliqué, l’ampleur des tarifs appliqués devrait à tout le moins se fonder sur une analyse solide. De nombreux travaux de modélisation indique que pour la plupart des produits, les augmentations de prix avec la libéralisation mondiale devraient être de l’ordre de 10 % ou moins bien qu’il existe une large variation dans ces estimations 10 . Pour certains des marchés souffrant le plus de distorsions – le sucre et les produits laitiers en sont de bons exemples – les augmentations due à la libéralisation seraient plus importantes, mais il est peu probable que ces produits sont complètement libéralisés rapidement . Les tarifs devraient être relativement modestes s’ils ont pour but de « compenser les prix 10 Voir Aksoy et Beghin (2004) pour une analyse produit par produit des effets de la lib éralisation dans les marchés agricoles mondiaux. Page 33 19 mondiaux souffrant de distorsion. » Il est évident que le niveau élevé de protection en Tunisie ne peut pas se justifier sur cette base. La politiques de promotion des exportations 45. Dans les années 90, la Tunisie a libéralisé son régime des exportations et éliminé les taxes sur les exportations d’huile d’olive, de fruits et de légumes, de cuirs et peaux et de liège (OMC, p. 55). Mais un nombre de produits ne peut être exporté qu’avec la permission du Ministère du Commerce. Ces produits incluent les céréales et les préparations céréalières, le fourrage et les aliments du bétail, la mélasse et les tourteaux (OMC, p. 55). Le but est de maintenir à un bas niveau de prix intérieurs pour ces produits dont certains sont subventionnés, mais dans la pratique cela peut donner aux exportateurs tunisiens une réputation de manque de fiabilité, réduisant ainsi leur compétitivité. Les subventions aux exportations sont largement répandues,, comme la subvention de 50 % des coûts du transport (Ideaconsult, 2005b, p. 32), administrée à travers le Fonds de Promotion des Exportations (FOPRODEX). FOPRODEX fournit également d’autres aides aux exportateurs, dont la recherche de marché, la formation du personnel, et des subventions (pendant trois ans) pour les salaires des nouveaux diplômés qui travaillent pour des exportateurs. Le cadre institutionnel 46. Plusieurs entreprises d’Etat jouent des rôles importants dans le commerce agricole. L’Office des Céréales a le monopole des importations du blé dur, du blé tendre et de l’orge. L’Office peut également s’il le veut importer du maïs et des tourteaux de soja. L’Office du Commerce a un monopole de facto sur l’importation du sucre et importe également plusieurs autres produits alimentaires, comme le thé, le café et les pommes de terre. L’Office national des Huiles importe des huiles comestibles et exporte de l’huile d’olive. Il n’a pas de droit exclusif sur les exportations d’huile d’olive, mais contrôle l’accès aux quota de UE, et utilise ceci pour maintenir son monopole sur ce marché. Les « rentes » provenant du contrôle de l’accès aux prix élevés de l’UE donnent des subventions croisées à ses autres activités ; le manque de transparence dans la façon dans laquelle ces quota sont alloués entre producteurs peut décourager l’investissement. 47. La lenteur des procédures douanières a été identifiée dans plusieurs études comme un obstacle majeur au commerce et à l’augmentation de la compétitivité internationale de la Tunisie 11 . La Banque mondiale (2004) note que le dédouanement de nombreux produits fait intervenir de multiples institutions, avec des inspections physiques et des contrôles techniques à plusieurs stades. Les produits agricoles et alimentaires – qui ont de loin les plus hautes exigences en matière de contrôle technique des importations (OMC, p. 46) – sont particulièrement susceptibles à ces problèmes. La durée de temps pour dédouaner des marchandises, de leur arrivée en 11 L’OMC (2005) cite les Cahiers de l’IEQ, « Compétitivité de l’économie tunisienne », no. 18, janv. 2004 ; et le compte-rendu de la troisième réunion de l’UE-Conseil d’Association de la Tunisie, 29 janv 2002, disponible à http://wwweuroparl.eu.int/meetdocs/delegations/magh/20020313/012.pdf Page 34 20 Tunisie jusqu’à leur livraison varie actuellement de 7 à 20 jours ; le deuxième Projet de développement des exportations de la Banque vise à réduire cette durée de 3 à 7 jours. Encadré 2. Le gaspillage de la protection des prix agricoles Diaz-Bonilla, Diao et Robinson de l’IFPRI donnent les résultats d’un exercice de simulation intéressant dans lequel une stratégie de protection à travers la politique commerciale est comparée à une stratégie d’investissement agricole comme moyen de promouvoir le développement agricole et la sécurité alimentaire. Ils utilisent un modèle d’équilibre général avec 47 pays et régions et 37 secteurs de production. Dans un scénario, ils modélisent les effets d’un tarif de 50 % sur les importations de céréales imposé par tous les pays et les régions en développement. Ce tarif stimule la production de ces produits, tout en agissant comme une taxe implicite à la consommation. Dans le deuxième scénario, la taxe implicite est transformée en une taxe explicite et les montants utilisés pour financer la recherche agricole accrue. En utilisant les taux de rentabilité de cette recherche dans des pays et des régions spécifiques (qui ont été estimés sur la base de l’expérience historique), ils modélisent les effets sur le bien-être global, le PIB, la consommation alimentaire, l’emploi de la main-d’œuvre et les exportations agricoles. Avec chacune de ces mesures, la deuxième stratégie réussissait beaucoup plus largement à atteindre les objectifs que la stratégie de protection. Alors que la Tunisie n’était pas considérée comme un pays séparé dans le modèle, le Maroc lui l’était et avec presque chacune des mesures, le Maroc et la région « Reste de l’Afrique du Nord » étaient parmi les plus grands perdants du protectionnisme. 48. Pour décider si la libéralisation a du sens sur le plan économique et politique, il est utile de comprendre les impacts et de voir grosso modo leur importance. Il est également important de savoir qui sera gagnant et qui sera perdant. C’est ce que se propose d’analyser la section suivante. Le coût du protectionnisme – les effets de la libéralisation 49. Le résultat des taux élevés de protection est que les prix alimentaires sur les marchés tunisiens sont considérablement plus élevés que ceux sur les marchés mondiaux – même si le marché intérieur est apparemment libéralisé. Nous pouvons prendre l’exemple de deux produits, le blé et les tomates, l’un contrôlé par le Gouvernement et l’autre échangé librement en Tunisie. La figure ci-dessous montre des mouvements depuis le début des années 90 sur le marché du blé. Alors que l’UE a abandonné ses prix à la production pour les prix mondiaux, le prix à la production du blé tunisien est resté bien supérieur au prix mondial, de 43 % plus élevé en 2002 et en 2003. Pour les tomates, les usines de transformation tunisiennes paient davantage que leurs contreparties en Italie, en Espagne, au Portugal et en Turquie (CNEA, 2005b), même s’il est soit-disant de 55 % moins cher de cultiver des tomates en Tunisie que de les importer. Ainsi, une forte protection tarifaire suffit pour maintenir les prix élevés, que le produit soit compétitif ou non et que le Gouvernement fixe ou non les prix. 50. Des prix élevés à la production peuvent sembler bénéfiques dans un pays qui se préoccupe du bien-être rural. Toutefois, il y a des coûts importants attachés à la protection agricole et ces coûts sont généralement plus importants que les avantages. L’Annexe 1 explique en termes économiques le pourquoi de cette situation. Elle Page 35 21 décrit également comment les modèles économiques ont estimé les effets de la protection. 51. L’Annexe 1 décrit également comment la présente étude a utilisé des modèles pour estimer les effets de la protection. Les lecteurs qui souhaitent une explication technique détaillée sur ces modèles peuvent se référer à Ideaconsult (2005), qui fournie la base de l’analyse dans les paragraphes 52 à 73. W heat: buying price for domestic wheat, implicit import price, i mplicit export price for selected exporting countries. $0 $50 $100 $150 $200 $250 Implicit price of imports ($/t) $164,1 $122,5 $116,1 $136,4 $145,8 $159,9 $185,6 I mplicit price of exports by Ukraine ($/t) $69,7 $129,9 $129,2 $81,7 $82,2 $89,5 113,1 Implicit price of exports by F rance ($/t) $142,7 $123,4 $114,2 $115,3 $120,9 $141,3 $171,4 Implicit price of exports by US ($/t) $137,5 $125,9 $121,5 $131,2 $149,8 $155,7 $164,0 Buying price for domestic common wheat $ 208,0 $208,0 $208,0 $208,0 $208,0 $208,0 216 1 998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Sources : Base de données FAO et MARH L’impact de la libéralisation du commerce agricole sur les consommateurs . 52. Les prix agricoles élevés rendent les aliments plus chers pour les consommateurs. Comme le montre le tableau 8, les denrées alimentaires restent de loin la plus grosse catégorie de dépenses pour les ménages tunisiens. Elles représentent 38 % des dépenses des ménages pour le pays pris dans son ensemble, et 44 % pour les ménages « non communaux » (i.e., ceux qui ne se trouvent pas dans des municipalités désignées – la différence se doit probablement aux revenus plus faibles et au logement moins cher dans les zones rurales). 53. Les aliments seront une grande part des dépenses des ménages pendant encore longtemps. La part des denrées alimentaires dans les dépenses des ménages a chuté très légèrement au cours des vingt dernières années, de 41,7 % en 1980 à 38 % en 2000. Les dépenses réelles des ménages par habitant ont augmenté de 42 % sur la même période. Ceci est conforme aux estimations globales de l’élasticité du revenu Page 36 22 de la demande alimentaire pour les pays à revenu intermédiaire, qui sont généralement de l’ordre de -0,5 à -0,7 (Seale et al. 2003). Tableau 8. Ventilations des dépenses des ménages TD / personne /an % des dépenses Ensemble Communal Non communal Ensemble Communal Non communal Alimentation 505 579 382 38,0 36,1 44,2 Logement 296 364 154 21,5 22,7 17,8 Habillement 148 178 95 11,1 11,1 11,0 Hygiène et soins personnels 133 162 83 10,0 10,1 9,6 Transport et télécommunications 129 164 70 9,7 10,2 8,1 Education, culture et loisirs 115 144 68 8,7 9,0 7,9 Autres dépenses 13 13 12 1,0 0,8 1,4 Total 1329 1604 864 100,0 100,0 100,0 Source : Enquête nationale sur les budgets, la consommation et les niveaux de vie des ménages, INS (2000) 54. Des tarifs plus bas signifieraient des aliments moins chers – tant tunisiens qu’importés. L’effet net de la libéralisation totale serait équivalente à environ 4 % des dépenses des consommateurs, le même ordre de grandeur qu’une bonne année de croissance. Comme l’illustre le Tableau 9, les dépenses alimentaires sont en outre plus élevées que la proportion moyenne des dépenses des ménages à faible revenu, de sorte que les avantages de la libéralisation des prix seraient les plus grands pour les ménages les plus démunis. Si les consommateurs réaffectent leurs dépenses en réponse aux changements des prix relatifs, les avantages de la libéralisation sont plus élevés : 5,6 % à 5,8 % des dépenses. 55. Une partie de l’avantage de la libéralisation des prix pour les consommateurs découle des subventions à l’agriculture des pays industrialisés, qui font baisser les prix alimentaires mondiaux. Si l’UE devait libéraliser en même temps que la Tunisie, le gain pour le consommateur tunisien serait en moyenne de 2,6 % des dépenses en moyenne, au lieu de 3,8 %. 56. Il faudrait garder quelques points à l’esprit quand on interprète les chiffres du Tableau 9. Tout d’abord, le modèle assume que les consommateurs sont concrètement affectés par les changements dans les prix à la production. Toutefois, le prix au consommateur du blé est contrôlé par l’Etat, à travers l’Office des Céréales. Aussi longtemps que cette politique reste en place, les bénéfices d’un prix tunisien plus bas à la production pour le blé iraient au contribuable et non au consommateur. Ensuite, quelques prix alimentaires locaux, en particulier les prix de la viande, sont plus bas que les prix mondiaux. Ceci n’est pas à cause de la politique commerciale mais parce que les produits tunisiens sont de plus faible qualité que les produits échangés internationalement et à cause d’une série d’obstacles aux exportations. En assumant que la libéralisation des prix agricoles effectue une péréquation des prix Page 37 23 nationaux et internationaux, le modèle assume que ces prix alimentaires locaux augmentent réellement. En réalité, ceci ne se produira pas, en raison des contraintes de qualité, ainsi le Tableau 9 sous-estime le bénéfice de la libéralisation pour le consommateur. Tableau 9 . Comment les bénéfices de la libéralisation des prix pour les consommateurs seraient alloués. Classe de dépenses (DT/tête/an) % de la population tunisienne % des dépenses des ménages affectées aux denrées alimentaires Bénéfice de la libéralisation des prix (en % des dépenses) < 400 9,3 53,5 4,3 400-600 14,7 51,0 4,5 600-800 14,7 49,1 4,6 800-1200 22,8 45,1 4,4 1200-1600 13,9 41,2 4,3 1600-2400 13,4 36,6 3,8 2400-3600 6,8 31,5 3,4 >3600 4,4 31,3 3,5 Global 100,0 38,0 3,8 Source : Ideaconsult (2005) L’impacts de la libéralisation des échanges agricoles sur l’économie nationale 57. Une autre façon de saisir les coûts du protectionnisme est de regarder ses effets sur la croissance économique. La protection des prix agricoles encourage l’allocation de main-d’œuvre et de capital à l’agriculture quand elle pourrait être utilisée plus efficacement dans d’autres secteurs. En rendant les aliments plus chers, elle augmente également le coût de la main-d’œuvre, ce qui décourage l’emploi et rend l’économie moins concurrentielle sur les marchés d’exportation. Le modèle CGE (voir Annexe 1) estime que la libéralisation du commerce agricole augmentera le PIB de 0,8 % (Tableau 10), faisant sortir environ 87.000 emplois de l’agriculture et produisant des bénéfices totaux de 7,1 milliards de DT sur 25 ans. Ceci laisse un bénéfice net positif de plus de 6,1 milliards de DT sur 25 ans, quand les coûts de l’ajustement de 1,0 milliard de DT 12 ont été pris en compte. Tableau 10 . Effets de la libéralisation du commerce agricole L’agriculture se comprime 1,4 % du PIB Le reste de l’économie s’étend 2,2 % du PIB Gain global 0,8 % du PIB Source : Idealconsult (2005) 58. L’augmentation du PIB est de 0,5 % au lieu de 0,8 % si les subventions agricoles de l’UE sont levées en même temps que la libéralisation tunisienne. Ceci s’explique par le fait que les consommateurs tunisiens ne bénéficieraient plus des 12 Ceci est le coût estimé du recyclage de la main-d’œuvre et de la mise à niveau des investissements. Page 38 24 importations alimentaires subventionnées par le contribuable européen. Ce que ce modèle suggère par conséquent, c’est que le protectionnisme d’autres pays n’est pas un argument économique pour le protectionnisme tunisien 13 . Quoi qu’il en soit, comme le mentionne l’analyse antérieure de la politique commerciale, le retrait des subventions agricoles globales ne ferait que pousser les prix mondiaux à la hausse d’environ 10 % pour de nombreux produits. Ainsi les niveaux de protection tunisiens sont bien plus élevés que ce qu’il faut pour les contrebalancer. Tableau 11. Effets économiques généraux de la libéralisation intégrale de l’agriculture Scénario de libéralisation totale Variables et paramètres Scénario de référence Avec les subventions agricoles de l’UE Avec le retrait des subventions agricoles de l’UE Croissance économique (% p.a. dans l’année qui suit la libéralisation) 5,7 6,5 6,2 Main-d’œuvre agricole (% de la population employée) 20,2 17,4 18,3 Main-d’œuvre agricole passant à d’autres secteurs (milliers d’emplois) - 87 67 Coûts d’ajustement (millions de DT jusqu’à 2025) - 984 874 Gains d’ajustement (millions de DT jusqu’à 2025) - 7107 4441 Source : Ideaconsult (2005) 59. La moitié des bénéfices de la libéralisation intégrale peut être réalisée en libéralisant les cultures de plein champ (essentiellement les céréales). La libéralisation des céréales a également un coût très faible en termes d’emplois agricoles perdus. En admettant que la libéralisation des cultures de plein champ augmenterait l’efficacité de la production de 7,5 %, la libéralisation intégrale du sous- secteur des cultures de plein champ produirait une augmentation isolée du PIB de 0,4 % 14 . Ceci implique un bénéfice brut de 3,6 milliards de DT sur 25 ans, ou un bénéfice net de 2,9 milliards de DT après que les coûts d’ajustement aient été pris en compte. Ceci serait réalisé à un coût de 9.000 emplois seulement, parce que les cultures de plein champ requièrent une main-d’œuvre relativement peu nombreuse. 13 Ceci ne veut p as dire que la Tunisie devrait nécessairement libéraliser unilatéralement à n’importe quelle condition. Lier la libéralisation tunisienne à des concessions d’autres pays pourrait être en principe une stratégie efficace pour obtenir l’accès au marché pour des produits pour lesquels la Tunisie a un avantage comparatif. Toutefois, cette considération ne pourrait que tromper les avantages d’une libéralisation unilatérale dans laquelle la Tunisie a un levier considérable en soi, ce qui n’est probablement pas le cas pour les négociations de Doha en cours. Et, dans tous les cas, l’atout des négociations multilatérales est le tarif consolidé, de sorte que la réduction unilatérale des taux appliqués ne diminue pas les quelconques leviers qu’un pays peut avoir. 14 Ce chiffre comprend une augmentation de 7,5 % de la productivité des cultures de plein champ, qui s’élève à environ 7,5 % fois la part des céréales dans la production agricole (12 %) fois la part de l’agriculture dans le PIB (14 %) i.e., 0,1 %. Page 39 25 Ceci signifie que le coût annuel de la protection d’un emploi dans le secteur des céréales est plus de quatre fois le revenu national par habitant. 60. Une raison pour laquelle la libéralisation des céréales a un impact aussi faible sur l’emploi est qu’elle encourage les agriculteurs à passer à des cultures qui utilisent davantage de main-d’œuvre. Ceci a des implications importantes pour la politique gouvernementale. Le traitement de la politique préférentielle des céréales, à savoir l’augmentation des prix augmentés, la réduction du prix de l’eau et l’accès réservé aux terres publiques, peut être nuisible pour l’emploi agricole ainsi que préjudiciable à la croissance. 61. En fait, les réformes de politique qui encouragent le secteur agricole à passer à des cultures de fruits et légumes de plus grande valeur peuvent créer de l’emploi hors agriculture en stimulant l’activité dans les secteurs du conditionnement et de la transformation des produits agricoles. Au Chili par exemple, les emplois hors agriculture liés à l’agriculture contribuent davantage que l’agriculture elle-même (Valdes et Foster, 2003). Par contre, le secteur céréalier tunisien offre très peu d’opportunités d’emplois après récoltes supplémentaires. 62. Jusqu’à présent, nous avons discuté des effets dits « statiques » de la libéralisation, qui dérivent de l’allocation de facteurs de production à des activités plus productives. On pourrait également s’attendre à des effets « dynamiques » : améliorations dans la compétitivité de l’agriculture du fait que les exploitants agricoles répondent à la pression de la concurrence étrangère. L’impact de la libéralisation du commerce agricole sur le secteur agricole tunisien . 63. Mais avant que les décideurs ne choisissent les bénéfices de la libéralisation commerciale, ils doivent savoir exactement où les changements seront ressentis. Ceci les aidera à comprendre les conséquences politiques et sociales de leurs décisions et à penser à des mesures d’accompagnement. Ainsi les modèles de programmation linéaire (voir Annexe 1) vont un peu plus loin avec les données de la Carte agricole, en simulant les changements dans les méthodes culturales et la rentabilité, type d’exploitation par type d’exploitation, qui suivraient la péréquation entre les prix des produits locaux et mondiaux. 64. Les exploitations peuvent être divisées en trois catégories : celles qui bénéficient de la libéralisation, celles dont la rentabilité serait plus ou moins la même et celles qui se trouveraient dans des conditions plus mauvaises. a) Les types d’exploitations classés comme bénéficiant de la libéralisation auraient des augmentations des marges brutes allant de 55 % à 294 %. Elles représentent 41 % des exploitations de la Tunisie en nombre et 30 % en superficie. Les types d’exploitations prédominants dans ce groupe sont celles qui produisent de l’huile d’olive et des ovins, de l’horticulture géothermale hors saison dans la région de Gabès et des agrumes dans la zone de Nabeul. Page 40 26 Comme noté ci-dessus, l’hypothèse selon laquelle les prix à la ferme vont se rapprocher des prix mondiaux implique que certains prix tunisiens vont augmenter. Ceci ne serait probablement pas le cas sur le court terme parce que c’est la qualité plutôt que la politique commerciale qui maintient le prix de l’huile d’olive, de la viande ovine, des fruits et des légumes en-dessous des prix mondiaux. Il serait plus sûr de conclure par conséquent que le résultat de la libéralisation serait que ces exploitations pourraient s’en sortiraient mieux. Sur le moyen terme, la libéralisation devrait générer des investissements dynamiques des secteurs privé et publics dans l’amélioration de la qualité des produits d’exportation. b) Les types d’exploitations classés dans le groupe dont la rentabilité demeure plus ou moins la même apparaissent comme ayant des augmentations des marges brutes pouvant aller jusqu’à 47 %. Ces exploitations représentent 42 % des exploitations de la Tunisie en nombre et 41 % en superficie. Elles sont généralement mixtes avec de l’arboriculture et de l’élevage ovins dans le Centre et le Sud et des exploitations des périmètres irrigués. En fait, 60 % des exploitations irriguées font partie de ce groupe. c) Les exploitations perdantes subiraient des pertes des marges brutes variant de 1 % à 79 %. Elles représentent 16 % des exploitations en nombre et 30 % en superficie. Toutefois, un seul type d’exploitation, représentant 4 % des exploitations en nombre et 5 % en superficie, subiraient une chute des marges brutes de plus de 34 %. Les exploitations de la catégorie 3 sont généralement des exploitations céréalières dans le Nord et le Nord-Ouest du pays. C’est la zone où les pluies sont les plus abondantes. Une proportion élevée d’exploitations publiques sur les terres domaniales sont essentiellement céréalières et situées dans le Nord et le Nord-Ouest fertiles ; elle tomberaient par conséquent dans cette catégorie. 65. Ceci permet de tirer quelques conclusions sur l’étendue de l’impact de la libéralisation. Au moins soixante-dix pour cent des exploitations ne perdraient pas de la libéralisation et pourraient même y gagner. Ces exploitations seraient réparties dans le Centre et le Sud plus arides du pays productrices d’ovins, d’olives, de fruits et de légumes. Les sous-secteurs « gagnants », l’élevage, l’arboriculture et l’horticulture, représentent entre eux environ 60 % de la main-d’œuvre agricole et sont géographiquement dispersés. Les exploitations qui seraient perdantes à cause de la libéralisation seraient généralement celles qui produisent des céréales dans le Nord et le Nord-Ouest mieux arrosé, y compris les exploitations d’Etat sur les terres domaniales. 66. Il n’y a pas de corrélation entre la rentabilité d’un type d’exploitation et l’impact de la libéralisation. Les types d’exploitations qui subiraient une baisse des marges brutes concernent toutes les catégories de taille ; à cet égard, la libéralisation n’est pas spécifiquement « anti-pauvres ». (Avant la libéralisation, les exploitations se trouvant dans le quartile du bas par marge brute auraient une marge brute totale d’environ 100 millions de DT. Après la libéralisation, les exploitations dans le Page 41 27 quartile du bas auraient une marge brute totale d’environ 110 millions de DT). Ceci s’explique par le fait que les types d’exploitations au revenu le plus bas dans la Carte agricole ont tendance à produire des olives, d’autres cultures arboricoles, des ovins et seulement un peu de blé et d’orge. 67. Les types d’exploitations les plus vulnérables seraient celles qui ont pour commencer des marges brutes faibles et qui diminueraient en conséquence de la libéralisation. Les deux types d’exploitations « perdantes » avec des marges brutes inférieures à 7000 DT/an, se trouvent à Kef et à Béja. Ensemble elles représentent 5,6 % du nombre national des exploitations et 2,5 % de la superficie agricole nationale. Il est également important de comprendre la forme de l’ajustement que ces exploitations « perdantes » et ces superficies auraient à connaître. Un licenciement majeur de main-d’œuvre conduisant à des migrations ne devrait pas se produire : la production céréalière n’emploie que 9 % des journées de travail agricole de la Tunisie, par rapport à plus de 40 % pour l’élevage et les fruits et légumes, et 80 % des exploitants de céréales sont âgés de plus de 40 ans (CNEA 2005a). Toutefois, des zones dépendant des céréales telles que Kef et Béja connaîtraient des chutes localisées mais importantes des revenus agricoles, qui affecteraient également la demande en service local. 68. La libéralisation des prix agricoles se traduirait par un ajustement des méthodes culturales, car les exploitants répondent aux changements des prix relatifs. · Les terres céréalières passeraient plus de temps en jachère, changement recommandé par les agronomes gouvernementaux (CNEA 2005a), et les terres marginales fragiles sur le plan environnemental seraient retirées de la culture des céréales. Le Tableau 12 montre comment les modèles de programmation linéaire prédisent que la production céréalière répondra à la libéralisation simultanée de tous les prix agricoles; le blé dur serait le moins affecté et le blé tendre le plus affecté. La production de blé tendre est mal adaptée aux conditions agro- écologiques tunisiennes et peut être remplacé par le blé dur, montrant ainsi que le niveau élevé de protection du blé tendre est particulièrement de la pure perte en termes économiques. · La production ovine et la production fourragère augmenteraient de 3 % et de 6 % respectivement. · Il n’y aurait pas de changement marqué dans la superficie globale sous horticulture, mais au sein de ce sous-secteur il y aurait un abandon de la pomme de terre. · La rentabilité de l’arboriculture sera maintenue. Page 42 28 Tableau 12 La superficie sous céréales répond à la libéralisation simultanée de tous les prix Culture % de changement dans le prix % de changement dans superficie cultivée % de changement dans superficie % de changement dans le prix Blé dur -19 -7 .4 Blé tendre -72 -50 .7 Orge -52 -27 .5 Total -36* -24 … *moyenne pondérée par superficies cultivées selon les données du MARH pour 2004 Source : Ideaconsult (2005) et calculs du personnel de la Banque mondiale 69. Il est possible de tirer de ces conclusions une image approximative des gagnants et des perdants de la libéralisation du prix des céréales. Le contribuable économiserait 207 millions de DT par an sur les achats de céréales à travers l’Office des Céréales. Vingt-quatre pour cent de cette économie proviendraient de l’achat de céréales importées plutôt que cultivées localement. Les 76 % restants proviendraient du fait de payer moins cher les céréales produites localement. Les producteurs de céréales, d’autre part, verraient leurs profits chuter de 182 millions de DT. Ainsi le gain net pour l’économie serait de l’ordre de 25 millions de DT par an. Ce chiffre représente l’épargne de coût d’importation des céréales qui avaient l’habitude d’être produites plus cher en Tunisie 15 . Tableau 13 . Gagnants et perdants de la libéralisation des prix des céréales Pri x pré-libéralisation (DT/tonne) 272 Quantité pré-libéralisation (milliers de tonnes) 2117 % de changement dans prix à la libéralisation -36 % de changement dans la production à la libéralisation -24 Changement de prix à la libéralisation ( DT/tonne) -98 Changement de quantité à la libéralisation (milliers de tonnes) -508 Argent épargné au contribuable (millions de DT) 207 Profits perdus pour l’exploitant (millions de DT) 182 Gains nets (millions de DT) 25 Source : Ideaconsult (2005) et calculs du personnel de la Banque mondiale 70. La libéralisation des prix à l’exploitation produirait un bénéfice important pour les éleveurs, en raison d’une chute du prix des aliments du bétail. La contribution de l’élevage au PIB agricole est de 37,5 %, et tend à se concentrer dans les zones arides plus désavantagées du pays. Selon les données de la Carte agricole, le fourrage représente 50 % du coût de l’élevage d’une brebis. Le foin représente 15 Une approx imation en ligne droite de la courbe de l’offre de céréales a été utilisée. Le gain net de bien- être est par conséquent estimé à 0,5 x le changement dans la quantité produite x le changement dans le prix. Les changements dans la superficie cultivée sont supposés être proportionnels aux changements dans la production. Page 43 29 environ la moitié des coûts du fourrage et les grains d’orge environ un quart. Une baisse de 52 % des prix de l’orge à la suite de la libéralisation, réduirait par conséquent le coût de la production de viande ovine d’environ un seizième. De plus, les modèles de programme linéaire prévoient que la libéralisation des prix à l’exploitation donnerait lieu à une augmentation des superficies sous jachère de 23 %, et une augmentation de 6 % de la culture fourragère, ces deux tendant à baisser les coûts du pâturage et de l’alimentation des animaux. La voie de l’avenir pour le commerce agricole 71. La réforme du régime commercial impliquerait la réduction des tarifs et des contrôles gouvernementaux et l’élimination progressive des rôles commerciaux des entreprises publiques. Il serait également utile de transformer les quotas tarifaires en simples tarifs. Ceci pourrait également se faire dans un processus graduel et sans risque élevé que la hausse des importations nuise gravement aux producteurs locaux de produits sensibles. La Tunisie s’est réservée le droit sous les règles de l’OMC de pouvoir disposer des procédures spéciales de sauvegarde pour les produits entrant maintenant dans un régime de quotas tarifaires ; ce droit pourrait être invoqué si la « tarification » des quotas tarifaires devait être suivie par la menace de préjudice aux producteurs. L’élimination du réseau complexe d’entreprises publiques et de subventions produirait des économies budgétaires qui pourraient être transférés à des investissements agricoles créant également un espace plus grand pour le développement dynamique du secteur privé. 72. Le Gouvernement tunisien peut envisager différentes options libéralisation des prix à la ferme qui offrent un « atterrissage en douceur » : un bon ratio de gain économique par rapport aux pertes d’emplois agricoles. Les options « d’atterrissage en douceur » sont possibles parce que la Tunisie est très compétitive en produits (arboriculture, fruits et légumes, ovins) à forte intensité de main-d’œuvre. · Une réduction substantielle progressive – commençant immédiatement et se terminant dans quelques années – de la protection tarifaire pour le blé dur et le blé tendre, accompagnée d’une réduction correspondante du prix garanti à la production (pour aussi longtemps que cet instrument reste en place). Il faudrait procéder à davantage d’analyses de la meilleure conception et du meilleur enchaînement des étapes de la réduction tarifaire, de la réduction des prix et de la privatisation des fonctions de l’Office des Céréales. · La libéralisation totale des importations d’orge, et également du concentré animal et de ses composantes. Ceci non seulement serait avantageux pour les éleveurs mais permettrait également aux producteurs d’orge de cultiver des cultures pour lesquelles ils sont plus compétitifs. Page 44 30 73. Comme expliqué ci-dessus, l’impact sur l’emploi de ces mesures devrait être limité et localisé. Toutefois, il est recommandé (voir section III.F) que les impacts sociaux de la libéralisation des céréales soit vérifié à l’aide d’une analyse approfondie de l’impact social et sur la pauvreté (AISP). Le Gouvernement devrait alors évaluer le besoin de mesures d’accompagnement en fonction des conclusions de l’AISP. Les pays de l’OCDE ont compensé leurs agriculteurs pour la réduction des protections par des paiements directs découplés (et conformes à l’OMS) en fonction des superficies concernées. Dans des pays où cela est réalisable, la réduction tarifaire (et l’élimination progressive des autres subventions) peut se faire rapidement 16 . L’expérience du Mexique et de la Turquie montre que cela est réalisable 17 . Toutefois, en Tunisie, les capacités de réalisation particulièrement institutionnelles (en particulier l’existence d’un système d’enregistrement foncier) devraient être évalués. D’autres réformes politiques devraient être mises en place en complément des réformes de la politique commerciale. Toutefois, certaines des réformes et certains des investissements les plus importants peuvent ne pas concernées le secteur agricole en soi, mais viendraient plutôt soutenir l’emploi rural hors agriculture, l’intégration du marché du travail urbain-rural, et la migration. 74. Enfin, il faut souligner que les gains d’efficacité « statique » de la libéralisation du commerce agricole, tels que les coûts de l’emploi, sont modestes comparés à la taille de l’économie tunisienne. Les chiffres sont mesurés en dixièmes de un pour cent du PIB. Beaucoup plus importants sont les gains d’efficacité dynamique qui pourraient résulter de la réalisation de la compétitivité potentielle de la Tunisie en arboriculture, viande ovine, fruits et légumes qui se traduirait par une réelle croissance et des exportations. Ceci signifie rendre les filières plus réactives à la demande des consommateurs, en particulier en matière de qualité. La réactivité des filières est un thème récurrent des sections III.B à III.E). Politiques et institutions intérieures 75. Le Chapitre II soutient que la performance agricole de la Tunisie reste en- dessous de son potentiel. La présente section considère les goulots d’étranglement qui empêchent la Tunisie de répondre aux demandes des consommateurs en qualité et efficacité. L’analyse n’examinera pas de façon exhaustive tous les aspects de la politique agricole. Elle portera sur trois domaines qui non seulement sont importants 16 Dans la mesure du possible, ceci doit être fait avec un engagement crédible à garder les tarifs à un bas niveau. Autrement, ceci peut établir des incitations perverses à faire du lobbying pour augmenter les tarifs à l’avenir non seulement pour récupérer les rentes initiales mais aussi pour récupérer les compensations lorsque les tarifs seront réduits par la suite. 17 Il faut faire attention à s’assurer que les paiements ne deviennent pas des drains permanents du budget ou ne détournent pas des formes plus productives de dépenses publiques vers le secteur. La vision à moyen terme devrait être une élimination progressive de ces paiements et l’intégration progressive des agriculteurs pauvres dans un système ciblé de protection social national. Baffes et de Gorter (2004) examinent les leçons d’expérience en soutien du revenu direct, qui peuvent être utiles pour concevoir de nouveaux mécanismes. Page 45 31 en soi, mais qui soulignent également les problèmes clés du secteur pris dans son ensemble : o Marchés céréaliers o Santé animale et sécurité alimentaire o Qualité des produits Dans chaque cas il est estimé que le rôle de l’Etat devrait être revu : une conclusion stratégique générale que le Gouvernement tunisien pourrait appliquer à l’ensemble du secteur. La c ommercialisation des céréales 76. Les interventions du GT sur le marché des céréales entendent répondre à deux objectifs distincts : a) une réduction du niveau de dépendance par rapport aux importations à l’aide d’un prix à la production garanti ; et b) un prix subventionné pour le consommateur pour la farine de blé, le pain et la semoule. 77. Les prix à l’exploitation pour le blé et l’orge n’ont pas changé pendant six ans jusqu’à 2005/06, à 290 DT la tonne pour le blé dur (232 $EU), 260 DT la tonne pour le blé tendre servant à faire du pain (208 $EU) et 170 DT la tonne pour l’orge (136 $EU). Ces prix sont des prix d’achat par les agents de l’Office des Céréales. Ils ont été ajustés en 2005/06 pour passer à 270 DT pour le blé tendre (216 $EU), et à 300 DT pour le blé dur (240 $EU). Ce système de fixation des prix (i.e., cours d’achat pan-territorial) pour le blé produit localement est administré par l’Office des Céréales soit directement soit à travers ses agences régionales (environ 44 % des quantités totales récoltées) soit à travers des intermédiaires, des « mandataires », principalement les « coopératives centrales », dont deux d’entre elles traitent en moyenne plus de 42 % du total des quantités récoltées (CNEA, 2005a). Bien qu’il soit illégal de commercialiser le blé à travers une institution commerciale autre que l’Office des Céréales, la moitié environ de la production reste en dehors du circuit officiel (soit conservée pour usage local par les producteurs eux-mêmes, soit commercialisée à travers des circuits commerciaux informels ou traditionnels, tels que des commerçants itinérants, les marchés hebdomadaires locaux, les meuniers artisanaux, etc.). Page 46 32 Figure 5. Quantit és récoltées par l’Office des Céréales 0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 1 4000 1 9 9 6 1 9 9 7 1 9 9 8 1 9 9 9 2 0 0 0 2 0 0 1 2 0 0 2 2 0 0 3 2 0 0 4 2 0 0 5 ' 0 0 0 q u i n t a l s Barley Bread wheat Durum wheat Source: CNEA (2005a) 78. L ’Office des Céréales jouit également d’un monopole d’importation à travers ses trois silos à céréales dans les ports de Bizerte, Tunis-La-Goulette et Gabès. Les négociants/meuniers privés tunisiens ne peuvent pas soumissionner directement pour le blé destiné à la consommation intérieure. Toutefois, ils peuvent importer du blé dans le cadre d’accord de trituration et de réexportation. Ces accords garantissent que les agriculteurs tunisiens gagnent beaucoup plus que le prix mondial du blé (voir Error! Reference source not found. ). 79. Depuis 2000, l’Office des Céréales a effectué des paiements selon des critères techniques de «paiement à la qualité » . Toutefois, les minotiers restent insatisfaits par la qualité du blé. Une portion substantielle des producteurs locaux de blé délivre des produits de faible qualité et ceci ne semble pas être compensé de manière satisfaisante par la qualité du blé importé. 80. Les coûts de l’OC sont disproportionnés par rapport au volume de ses transactions. Il ne faut pas oublier que les quantités totales collectées auprès des agriculteurs tunisiens à la fois par l’Office et ses mandataires demeurent extrêmement réduites avec une moyenne sur les dix dernières années de 844.000 tonnes de céréales (incluant 619.000 tonnes de blé dur, 159.000 tonnes de blé courant). Même en additionnant les trois terminaux portuaires et le 1,36 million de tonnes de blé importé, ceci ne justifie pas une institution de cette taille. 81. Le coût budgétaire de la compensation du prix du blé est également disproportionné par rapport aux effets. On peut illustrer ceci en divisant le coût budgétaire (145 millions de $EU) entre soutien au prix à la production (39 millions de $EU) et subventions au consommateur plus les coûts d’exploitation (106 millions de $EU). Page 47 33 82. La subvention au producteur de 39 millions de $EU était équivalente à 20 $EU par tonne, soit 12 % du prix implicite des importations en 2004 : elle était à 79 % en 2000. Les gros producteurs du Nord en ont été les principaux bénéficiaires. 83. Si tout le reste de la subvention de 106 millions de $EU bénéficiait aux consommateurs, on arriverait à 10 $EU par personne. Ceci équivaut environ à 2,5 % de la moyenne des dépenses alimentaires par habitant, soit 1 % de dépense moyenne par habitant. En fait, les bénéfices sont évidemment encore moindres du fait des coûts d’exploitation de l’OC. 84. En d’autres termes, maintenant que le prix à la production du blé est plus proche du prix livré du blé étranger, l’ensemble de la superstructure de l’OC devient redondante. Ainsi le Gouvernement peut se demander s’il reste une justification pour le système actuel compliqué d’intervention sur le marché, qui a engendré une absence d’incitations à produire transformer et utiliser les céréales en fonction de la demande du marché, et un retard ans la modernisation de la commercialisation (tant en matière d’investissement et équipement pour le contrôle de qualité, transport, stockage qu’en matière de gestion des compétences : techniques commerciales, gestion du risque, contrats normalisés, méthodes d’arbitrage, etc.) ? 85. En bref, la centralisation administrative des filières est nuisible sous de nombreux aspects : (i) elle est coûteuse pour le budget, (ii) elle ne cible pas les pauvres, (iii) elle décourage le secteur privé de se restructurer (les capacités des unités de trituration et de cuisson sont excédentaire), (iv) elle favorise artificiellement la culture de céréales non compétitives au détriment d’autres cultures (voir ci-dessus), (v) elle empêche le développement de marchés compétitifs, et de plus (vi) elle a souvent un impact nuisible sur l’environnement parce qu’elle donne lieu à un usage inefficace des maigres ressources en eau. 86. Le GT a opéré des réformes modestes, en ouvrant la liste des mandataires à deux petits négociants pour réduire l’intervention de l’Office des céréales dans la collecte de l’orge. Le nombre total d’employés de l’Office a été réduit d’un total de 2.800 à 1.500. Il s’est essentiellement retiré des ventes au détail et indique qu’il envisage la privatisation de nombre de ses installations locales. 87. Mais il n’y a pas de mouvement cohérent vers une réforme. Le monopole des ventes aux minoteries reste intact. Bien que 94 % des céréales soient produites dans le Nord, l’Office des Céréales maintient des magasins dans toutes les régions de la Tunisie. L’Office entend conserver ses installations portuaires et est impliqué dans la construction d’un nouveau silo portuaire à Zarziz pour fournir le Centre et le Sud de la Tunisie. 88. La prudence du Gouvernement est compréhensible, étant donné les « émeutes du pain » de 1984. Néanmoins, les causes des pénuries alimentaires du passé (e.g., pénuries de devises provoquées par des déséquilibres macroéconomiques sévères) ne Page 48 34 constituent plus une menace réaliste. Avec des politiques macroéconomiques raisonnables et de meilleurs systèmes pour prévoir les sécheresses et transporter les aliments, l’insécurité alimentaire provient maintenant plus généralement du pouvoir d’achat insuffisant du segment pauvre de la population que de pénuries intérieures. La s anté animale et la sécurité alimentaire 89. Il faut corriger de graves faiblesses dans les domaines de la santé animale, des conditions sanitaires et de l’hygiène (en particulier dans le domaine de l’abattage des animaux), et du contrôle de la qualité et de l’inspection alimentaire. 90. Par exemple, les activités d’abattage informel à grande échelle de la volaille existent dans toutes les villes. Avec seulement une seule exception,, le Ministère de l’Agriculture rapporte qu’il n’y a pas de traitement des déchets et autres effluents dans le pays tout entier pour ce qui concerne l’abattage des animaux. Afin de répondre aux flambées d’empoisonnement alimentaire dans les installations touristiques, le Ministère du Tourisme a dû mettre sur pied un groupe de travail ad hoc pour inspecter les hôtels, les restaurants, les cafés, etc., dans les zones touristiques. 91. Un autre exemple de contrôle défectueux de la sécurité alimentaire concerne l’analyse des résidus de pesticides. Le Gouvernement ne teste que les pesticides qui sont approuvés pour la culture en question. Toutefois, il y a un usage répandu de produits chimiques non approuvés, tels que l’application de pesticides systémiques sur les légumes (CNEA, 2005b), qui sont ensuite consommés. 92. Il est dangereux et coûteux d’avoir une approche dualiste de la sécurité alimentaire : une qui traite exclusivement du commerce extérieur et l’autre qui traite des marchés locaux. La prévalence d’aliments non sûrs dans des expéditions pour la consommation intérieure et étrangère peut limiter sérieusement l’accès de la Tunisie aux marchés internationaux. En conséquence, en partenariat avec le secteur privé, le Gouvernement devrait développer un système intégré de garantie de la sécurité alimentaire et de santé animale, à appliquer aux produits d’exportation et pour la consommation intérieure. La q ualité des produits 93. Comme l’a montré l’analyse du coût des ressources domestiques ci-dessus, la Tunisie devrait déjà être compétitive pour un large éventail de produits comme les fruits et légumes et les produits ovins. Si la Tunisie ne réalise pas son potentiel d’exportations, c’est à cause de ses faiblesses en matière de qualité et de commercialisation qui limitent ses exportations agricoles tunisiennes, et non les coûts bruts (voir CNEA, 2005b). Page 49 35 94. Un nombre d’interventions et de politiques gouvernementales décourage systématiquement les agriculteurs tunisiens de produire des produits de qualité élevée pour la consommation domestique. Ces interventions encouragent un marché dualiste, pour lequel les produits de qualité élevée ne sont produits que pour l’exportation. Il est de ce fait difficile pour les agro-industries de progresser vers le haut de gamme du marché intérieur pour développer des produits exportables. Par exemple : · Les détaillants formels doivent acheter sur le marchés de gros officiels. Les marchés de gros formels doivent payer une taxe de 12,5 % et observer des marges de détail réglementées et inadéquates – inchangées depuis 1993. Le résultat en est qu’une vaste proportion de la production (70 % pour les agrumes) évite le circuit de commercialisation officiel, et que les détaillants formels préfèrent vendre des produits de faible qualité. Ceci à son tour décourage l’émergence d’une demande intérieure pour des produits de haute qualité, bien présentés, qui à son tour rend plus difficile pour les producteurs tunisiens de progresser sur la voie de la qualité du niveau de celle des exportations. · Les inspecteurs du Ministère du Commerce contrôlent les prix sur les marchés de gros et prennent des mesures pour décourager les prix élevés, e.g., en ordonnant aux négociants de retirer un produit du marché formel quand le prix est élevé pour éviter son inclusion dans les statistiques officielles. Ceci crée une incertitude chez les agriculteurs et les négociants, particulièrement évidente dans la filière de commercialisation de la pomme de terre (CNEA, 2005b). Ces mesures sont inutiles, car il y a manifestement un degré élevé de concurrence entre les vendeurs sur les marchés de gros, mais elles découragent le commerce de produits de qualité élevée qui exigeraient un prix plus élevé. · Les réductions d’impôts pour les exportateurs (de 100 %) découragent les compagnies de vendre à la fois sur les marchés locaux et étrangers, ce qui empêche le haut de gamme du marché local de devenir un tremplin vers la production des exportations. C’est un problème qui existe depuis longtemps (CNEA, 2005b) et qui pourrait se reproduire pour d’autres produits. · Le soutien du Gouvernement à la qualité (e.g., la recherche, la formation, l’approche coordonnée par le secteur privé et les agences publiques) est insuffisamment financé en comparaison des l’infrastructure. Les procédures budgétaires descendantes empêchent les organisations d’être souples et réactives, par exemple en concentrant plus fortement la recherche sur les problèmes d’après-récolte. · Les normes de qualité sont insuffisamment développées. Par exemple, la seule norme pour les agrumes date de 1985 ; la norme pour les tomates de 1983 ; Les normes pour le concentré de tomates ne correspondent pas à celles du Codex Alimentarius (CNEA, 2005b). Ici aussi, cela encourage une dichotomie entre la production pour le marché intérieur et le marché étranger, ce qui décourage les industriels de la transformation d’opérer la transition vers les exportations. Page 50 36 · Les primes à la qualité de l’Office des Céréales sont insuffisantes, la conséquence étant que de nombreux consommateurs préfèrent acheter un couscous au marché noir plus cher mais plus goûteux par l’intermédiaire de petits négociants inefficaces. · La supervision des prix de détail du Ministère du Commerce pour les produits transformés (e.g., concentré de tomates et lait) réintroduit les « prix de référence » peu chers pour les produits bruts (e.g., tomates et lait brut), ce qui décourage le paiement de prix plus élevés pour des produits de meilleure qualité. · L’appui du Gouvernement aux exportations porte sur la réduction des coûts de mise en marché pour les exportateurs tunisiens. Par exemple, FORPRODEX subventionne les coûts du fret et COTUNACE subventionne les coûts d’exportation. 95. Prises dans leur ensemble ces mesures envoient un message clair au producteur : produisez du volume et des produits pas chers, et non de la qualité. La voie de l’avenir : Redéfinir le rôle de l’Etat vis-à-vis du secteur privé 96. Les sections précédentes ont analysé la façon dont les interventions gouvernementales ont freiné et déformé la croissance et la compétitivité du secteur agricole. En planifiant, dirigeant et parfois se substituant aux activités des agriculteurs et des négociants privés, l’Etat empêche l’expansion de l’agriculture et des agro-industries. Le défi maintenant veut que l’Etat se repositionne. L’expérience d’autres pays laisse entendre trois rôles principaux pour l’Etat : · Concevoir et appliquer le cadre juridique pour assurer un fonctionnement efficace de marchés compétitifs pour les produits, les services et les facteurs de production (finances, terres, travail) ; · Protéger la santé de la population, les ressources naturelles et l’environnement ; et · Répondre aux problèmes ayant des externalités importantes, i.e., la fourniture de biens ou de services ayant un caractère de biens publics. 97. Par exemple, dans le secteur des céréales il convient maintenant que le Gouvernement transfère les importations et la commercialisation au secteur privé. L’Office des Céréales se concentrerait alors sur la fourniture de services publics essentiels que le secteur privé ne peut pas fournir, en s’assurant : (a) qu’il n’y a pas de collusion ou de disfonctionnement des marchés ; (b) que les méthodes modernes d’échanges, de transport, de stockage et d’inspection des graines sont développées par des entrepreneurs privés ; (c) que les stocks sont maintenus à un niveau adéquat, séparément des flux commerciaux et sous la supervision de l’Etat. 98. Les réserves stratégiques modestes de « produits de première nécessité » pour lutter contre les catastrophes (telles que catastrophes naturelles, guerres et troubles politiques) seraient régies par des règles strictes de fonctionnement et seraient petites Page 51 37 par rapport aux flux du marché de façon à ne pas déplacer le stockage privé. Leur mise en circulation serait ciblée sur des groupes spécifiquement affectés par l’effondrement des marchés lors de crises aigues. 99. Une analyse des mécanismes de transferts sociaux qui pourraient succéder au monopole public du blé n’est pas du ressort de cette note. Il reste important d’identifier des options ciblées de transfert social qui permettraient au Gouvernement de lever les restrictions actuelles au développement d’un marché du blé efficace. 100. Une organisation interprofessionnelle régie par les privés pour les céréales et les produits céréaliers serait dirigée par des représentants des diverses professions travaillant dans l’ensemble de la filière des céréales. Elle assurerait : · Le soutien à l’échange physique de produits par le secteur privé afin de réduire les coûts de transaction et améliorer la transparence (i.e., la fourniture d’information sur les prix, ainsi que les statistiques concernant la production, les échanges, le stockage et la minoterie) ; · La création d’un système de fixation des prix à terme ; · Le développement d’instruments de gestion du risque (pour les risques de prix et de contrepartie) ; · Le développement de pratiques de sous-traitance et un système efficace d’arbitrage privé. Ceci aboutirait à de règles simples écrites pour l’échange de produits agricoles (au comptant ou à terme), pour le triage et le calibrage (lorsque possible), pour le paiement à la livraison ou après livraison, pour l’inspection des produits (si nécessaire), et pour la désignation de mécanismes d’arbitrage privé reconnu. 101. En ce qui concerne l’hygiène et la sécurité alimentaires, il faut une approche coordonnée entre i) les ministères et organismes d’Etat concernés ; et ii) le secteur privé (transformation, ventes au détail, ventes en gros) pour promouvoir un système efficace et moderne destiné à protéger la santé humaine et animale. Le coût serait insignifiant comparé aux coûts actuels du soutien des prix. 102. En ce qui concerne la question de la qualité, les mesures comprendraient : · La suppression du contrôle des marges de détail et d’autres interventions du Ministère du Commerce pour limiter les prix. La concurrence sur les marchés alimentaires assurera des marges raisonnables et le Ministère devrait concentrer ses interventions sur l’identification de comportements collusoires et la lutte contre ces comportements. · Le développement des normes appropriées en conjonction avec les organisations interprofessionnelles (régies par les privés). Le travail a déjà commencé dans ce domaine, dans le cadre du Projet de Renforcement des Services d’Appui à l’Agriculture (PRSA). Page 52 38 · La red éfinition du rôle de l’Office des Céréales (voir ci-dessus). · L’assurance que les objectifs définis pour le Ministère de l’Agriculture dans le cadre de la budgétisation par objectifs (voir section III.D) mettent l’accent sur la qualité. 103. La leçon de base de ces trois exemples est que (i) l’Etat devrait se concentrer sur la fourniture de biens publics essentiels, (ii) des interprofessions véritablement privés soient encouragées pour développer les filières et (iii) le Gouvernement devrait éliminer les distorsions des systèmes de commercialisation. Les mêmes principes pourraient et devraient être appliqués à l’ensemble du secteur. Page 53 39 Enca dré 3. La valorisation de la production agricole par la mise à niveau de sa qualité Un plan d’actions visant à une amélioration des valorisations des productions agricoles et agro- alimentaires tunisiennes devrait couvrir les domaines précisés ci-dessous. Plusieurs de celles- ci ressortent uniquement de l’action du secteur privé, d’autres des institutions publiques et enfin une troisième catégorie d’une collaboration équilibrée privé/public : a. Un effort d’accompagnement des investissements des industries de première et seconde transformation en matière de i) gestion de la qualité et d’agrément HACCP; ii) développement de laboratoires d’entreprises et renforcement des laboratoires publics spécialisés dans la recherche et le contrôle agro-alimentaire ; iii) modernisation du conditionnement et des techniques logistiques spécifiques de l’agro-alimentaire ; iv) traitement des déchets et effluents industriels (tout particulièrement dans le domaine des abattoirs et industries de transformation de la viande et du lait) ; b. Formation, accompagnement du secteur privé en matière de classement des produits agricoles de base et de paiement à la qualité ; et de mise en place de cahiers des charges assurant la traçabilité et permettant d’ajuster les différentiels de prix à la qualité ; c. Investissements publics d’appui (voies d’accès, traitement des déchets, branchements aux réseaux d’eau, d’électricité et de téléphone) au développement de stations de conditionnement de fruits et légumes privées en zones rurales dans les périmètres irrigués et dans les zones plus arides pour les dattes et les amandes ; d. Appui au lancement de programmes pilotes de traçabilité dans les filières des produits animaux et des produits végétaux ; e. Analyse des risques sanitaires et environnementaux ; ajustement en c onséquence des réglementations et révisions des organismes de contrôle et d’appui à la gestion de ces risques ; f. Coordination et renforcement de la capacité des organes de formation à la gestion de la qualité, au conditionnement et à la différenciation des produits ainsi que de contrôle de la qualité sur les marchés publics, dans les magasins, dans les usines, dans les centres de collecte et de conditionnement, dans les points de stockage et dans les moyens de transport ; g. Suppression complète et rapide des interdictions et autorisations diverses à l’exportation de produits agricoles (à l’exception de périodes de graves crises politiques ou sociales et de catastrophes naturelles), notamment pour les huiles, les tomates et produits dérivés ; le lait ; les amandes ; h. Ouverture complète et rapide de l’admission temporaire pour tous les produits agricoles ou de première transformation afin de permettre aux industriels de la transformation de développer des politiques industrielles et commerciales d’échelle optimale ; i. Pour inciter à une plus grande compétitivité des industries de transformation, supprimer progressivement les barrières tarifaires à l’importation , sur les produits agricoles et agro- alimentaires dans les entreprises industrielles et commerciales in vestissant dans leur modernisation et dans les domaines présentés précédemment (labo, transport, etc.). En parallèle, étudier l’impact sur le développement des valorisations industrielles des produits agricoles du système de TVA spécifique aux différents maillons de la chaîne agro-alimentaire ; j. Ajustement progressif puis suppression des marges commerciales contrôlées par le Ministère du commerce. k. Réformer les organisations interprofessionnelles par filières pour les rendre indépendantes de l’État et les t ransférer progressivement aux représentants des diverses professions du privé (voir ci - après). Page 54 40 B. Associations professionnelles et services d’appui 18 Associations de producteurs 104. Le Chapitre II a souligné l’importance d’améliorer la réactivité du secteur à la demande des consommateurs, en particulier lorsque la qualité est concernée. Dans tous les pays industrialisés, les associations privées de producteurs sont chefs de file pour fournir des services de commercialisation, d’information sur les marchés et les technologies à leurs membres. Pour ce qui est de la Tunisie, ceci amène à la question de savoir comment le secteur privé s’organise-t-il lui-même, et comment le Gouvernement encourage ou décourage t’il les associations privées. 105. La présente section décrit et analyse la performance des associations de producteurs tunisiens avant de faire des recommandations sur de nouvelles directions stratégiques. La conclusion générale est que les associations professionnelles agricoles en général sont sous le contrôle d’institutions gérées par l’Etat, avec une indépendance financière très limitée. Elles sont perçues et agissent effectivement comme un dispositif supplémentaire de l’administration, ce qui limite leur réactivité technique et économique par rapport aux demandes des marchés. Le rapport fait un petit nombre de recommandations stratégiques pour changer la structure des incitations sous lesquelles fonctionnent les groupements de producteurs, afin de les rendre plus réactifs aux besoins estimés et exprimés de leur clientèle. 106. Coop ératives de services agricoles (CSA). Elles sont au nombre de 201 avec 90.000 membres, i.e., 20 % du total des agriculteurs tunisiens. Leur chiffre d’affaires est de 5,5 % de la valeur totale de la production agricole. La plupart d’entre elles ont commencé par collecter le lait et fournir des services aux propriétaires de bétail. Elles ont ensuite diversifié leurs activités en fournissant des intrants agricoles et parfois en commercialisant les productions. Quatre-vingt pour cent des activités des coopératives se situent dans les Gouvernorats côtiers de Nabeul à Sfax. 107. Le secteur coopératif stagne. Même si quelques-unes se portent très bien, principalement celles engagées dans la collecte du lait ou la production de vin, la majorité d’entre elles ne sont pas performantes ou inactives. L’objectif du 9 e Plan de couvrir 50 % des producteurs n’a pas été atteint. Le chiffre d’affaire des coopératives de lait, de fruits et de légumes est à la baisse. Seulement cinq nouvelles coopératives ont été créées au cours des cinq dernières années alors que 100 nouvelles coopératives ont été créées entre 1990 et 2000. 108. Le secteur des coopératives a plusieurs défis à relever. · Les coopératives n’appartiennent pas aux agriculteurs. Elles ont été établies comme des institutions gouvernementales ; les agriculteurs et les employés de la fonction publique les considèrent encore comme telles, et non comme des organes 18 Voir Ideaconsult-IRAM-FERT-AMCIDA (2006) Page 55 41 contrôlés par les agriculteurs. Les dirigeants ne sont pas qualifiés et ni les membres de la coopérative ou du conseil ne participent à leur gestion. · Le léger désengagement du secteur coopératif par le Gouvernement central a été remplacé par l’intervention plus grandes des administrations locales. · A cause de leurs pratiques de gestion bureaucratiques, les coopératives ont des difficultés à concurrencer les opérateurs privées. · Il n’y a pas d’union ou de fédération de coopératives générée par des coopératives de base, au niveau régional et national. 109. Il y a des leçons à tirer là où le secteur tunisien des coopératives a eu des succès, dans le lait et le vin. Une coopérative réussie lorsqu’elle fournit des services à ses membres en réponse à leur demande, selon des modalités de prix et de paiements qui leur conviennent ; les coopératives fonctionnelles sont dotées de gérants et de personnel professionnels et de systèmes de gestion efficace. 110. Groupements d’intérêt collectif (GIC ). Ils sont plus de 3.000 , dont la moitié s’occupe de la fourniture d’eau potable (à 219.000 familles) et un tiers s’occupe de la gestion de l’irrigation (110.000 familles sur 150.000 ha). Ils fonctionnent bien pour la plupart. Toutefois, la loi du 15 mars 2004 leur impose d’adopter le statut de « Groupements de développement de l’agriculture et de la pêche » d’ici mars 2007. 111. Groupements de d éveloppement de l’agriculture et de la pêche (GDAP). Ce sont des associations sans but lucratif d’agriculteurs et de pêcheurs. Leur objectif est de gérer collectivement les ressources naturelles d’une zone clairement identifiée et de contribuer à son développement. Ce statut a été crée par la loi du 10 mai 1994. A la fin de 2005, il existait 171 GDAP, souvent là où il n’y a pas de coopérative. 112. La loi du 15 mars 2004 a redéfini les GDAP. Ils ne doivent plus avoir de rôle commercial ou économique et doivent plutôt s’engager dans (i) la vulgarisation, (ii) la promotion de la coopération, (iii) la protection et la gestion des ressources naturelles, (iv) le soutien à l’investissement local et l’infrastructure de base, et (v) le règlement des questions d’occupation des sols. Ils ne reçoivent pas de financement gouvernemental et n’ont accès ni à des prêts ni à d’autres recettes. 113. Il y a sept C oopératives centrales , jouant pri ncipalement un rôle dans le marché des céréales réglementé. Le chiffre d’affaires annuel moyen total de ces sept coopératives a été de 190 millions de DT sur les trois dernières années. L’Office des Céréales délègue 54 % de son monopole de collecte des céréales à trois Coopératives centrales (CCGC, COCEBLE et CCSP). Les Coopératives centrales vendent également des céréales, et fournissent des intrants et de l’équipement agricoles. 114. Leurs membres et leurs usagers pensent que ces coopératives sont les bras du Gouvernement, du au fait qu’elles ne sont pas gérées comme des coopératives. Elles n’ont pas de coopératives membres, et l’élection à leurs organes directeurs n’est pas facile. La gestion est centralisée, sans systèmes de comptabilité analytique. Elles ont Page 56 42 des déficits financiers et sont fortement endettées vis-à-vis de l’Office des Céréales et du secteur bancaire. 115. Union t unisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP). L’UTAP est le seul syndicat d’agriculteurs permis par la loi ; il représente un quart des producteurs agricoles tunisiens. UTAP est active dans les conseils d’administration des coopératives, les groupements interprofessionnels et les centres techniques d’agriculture. Les dirigeants de l’UTAP sont de gros agriculteurs, avec des liens politiques ; ils sont généralement d’anciens fonctionnaires (le dirigeant actuel de l’UTAP est un ancien Ministre de l’Agriculture). Par conséquent, l’UTAP n’est pas considérée comme représentant les intérêts des agriculteurs ordinaires, ce qui affecte de manière négative le fonctionnement de nombreuses associations d’agriculteurs dans lesquelles elle intervient. Les associations interprofessionnelles et les centres techniques agricoles (CTA) 116. Les G roupements interprofessionnels (GIP ) ont pour but de rassembler tous les acteurs d’une même filière. Ils sont au nombre de cinq qui travaillent respectivement sur : le lait, la production halieutique, la production animale, les fruits et légumes. Un quart des membres des conseils d’administration provient du Gouvernement et les autres trois quart de l’UTAP et de son équivalent dans l’industrie, UTICA. Le financement des GIP provient de taxes para-fiscales recueillies par le Fonds de développement de la compétitivité dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche (FODECAP) : ces taxes s’élèvent à 1 % des produits agricoles vendus sur les marchés de gros. Les GIP sont gérés par un directeur général, un fonctionnaire nommé par le Ministère de l’Agriculture. La Direction des Investissements du Ministère de l’Agriculture fixe également l’allocation du FODECAP à chaque GIP. Par conséquent, les GIP sont effectivement un bras de l’administration. 117. Les Centres techniques agricoles (CTA) ont été créés il y a moins de dix ans, à l’initiative de l’UTAP, dans l’objectif de lier la recherche et la vulgarisation avec les besoins des agriculteurs. Il existe trois Centres, qui couvrent les céréales, les pommes de terre et l’agriculture biologique. Ils sont financés par le FODECAP ; dans la pratique, ils relèvent de l’autorité du Ministère de l’Agriculture qui nomme leurs directeurs. Les p roblèmes clés 118. L e principal problème est que le cadre rigide imposé aux associations de producteurs leur pose des difficultés pour devenir des associations qui appartiennent aux agriculteurs. Les lois définissant leur statut sont simplistes et inflexibles : soit les agriculteurs sont membres d’une coopérative ou d’un Groupement de développement agricole (GDA), soit ils n’y sont pas affiliés. En bref, une coopérative véritablement indépendante et rentable serait illégale en Tunisie. Page 57 43 · Le passage des coopératives aux Sociétés mutuelles de service agricole (SMSA) les placera sous le contrôle direct de l’administration des gouvernorats locaux. · Les GDA devraient combiner les fonctions des Association d’intérêt collectif, (AIC) et des Groupements d’intérêt collectif (GIC). Ceci nuira certainement à leur performance : une association gérant les points de collecte d’eau potable n’a pas grand-chose à voir avec une association de producteurs de tomates. La dernière a besoin d’un statut qui lui permette de gagner et de distribuer des profits commerciaux – ce qui n’est pas permis à un GDA. · Les groupements interprofessionnels sont actuellement gérés par l’administration et leur tâche consiste à appliquer la politique gouvernementale : gestion de la réglementation du marché et des prix, des stocks de sécurité, etc. Il n’est donc pas surprenant qu’ils n’aient pas d’adhérents de base et qu’ils ne puissent pas répondre aux demandes d’information des producteurs et faire le lien avec les services et le marché. La voie de l’avenir 119. Le secteur associati f a le potentiel de devenir un moteur de l’amélioration des filières si le Gouvernement lui en donne les moyens. Il est par conséquent nécessaire de refondre son rôle en : (a) Redéfinissant les modalités de gouvernance pour l’UTAP et d’autres associations (GIP, GDA, GIC, etc.) afin d’améliorer la perception que ces organisations appartiennent effectivement aux agriculteurs et qu’elles ne sont pas un bras du Gouvernement. (b) Créant une diversité de cadres juridiques pour les organisations d’agriculteurs. Tout en maintenant le nouveau concept de SMSA, il s’agirait de : (i) développer une base juridique pour que les coopératives soient habilitées à faire des profits, (ii) faire en sorte qu’elles soient indépendantes et dirigées par les agriculteurs, (iii) mettre à jour la législation et les réglementations des coopératives pour qu’elles correspondent aux meilleures pratiques telles que définies par le mouvement coopératif international. (c) Redéfinissant le rôle du Gouvernement qui mettrait en place un environnement favorable (au développement des organisations d’agriculteurs) plutôt que d’intervenir directement dans leur gestion. Une agence parapublique appartenant de façon majoritaire aux agriculteurs devrait prendre en charge la promotion des regroupements d’agriculteurs et la vulgarisation agricole. Ce travail concernerait principalement le renforcement des capacités des acteurs, des liens entre les différents types d’organisations et en aidant les coopératives à former des unions et des organisations faîtières. Page 58 44 (d) U tilisant les services du Gouvernement plutôt que le secteur associatif, pour remplir les fonctions régaliennes du Gouvernement telles que la régulation des normes phytosanitaires et la sécurité alimentaire. 120. Dans le cadre de cette stratégie réorientée, le Gouvernement adopterait une approche révisée des GDAP : i) les aidant à servir d’intermédiaires entre le Gouvernement, les banques et les agriculteurs ; ii) leur permettant de percevoir des recettes ; iii) encourageant des partenariats contractuels entre GDAP et coopératives ; iv) appuyant de nouveaux GDAP dans de nouvelles zones irriguées et aidant les anciens à se diversifier ; v) développant un plan de communication pour aider les agriculteurs à mieux comprendre le rôle des GDAP ; et vi) renforçant leurs capacités. 121. Il y a un rôle à jouer pour les coopératives faîtières, mais l’avenir des C oopératives centrales dépendra de la volonté du Gouvernement de libéraliser le commerce des céréales et de régulariser leur situation financière. 122. Pour les groupements interprofessionnels (GIP ), la nouvelle approche impliquerait : i) les laisser libre de gérer le FODECAP en fonction de règles convenues à l’avance, et encourager le secteur privé à contribuer à leur financement ; ii) redistribuer les responsabilités des filières hétérogènes (le regroupement de quelques filières au sein des GIP a été une erreur); iii) renforcer les capacités en gestion administrative et financière et en commercialisation ; iv) assurer la représentation d’agriculteurs ordinaires et de coopératives dans les différents conseils d’administration. Les i nstitutions publiques d’appui à l’agriculture 123. Le Chapitre II recommande que le Gouvernement devrait recentrer ses activités sur la fourniture de biens publics de haute qualité, tels que la recherche et la vulgarisation. La présente section examine brièvement les services d’appui à l’agriculture fournis par le Gouvernement, avant de recommander pour l’avenir des institutions capables de mieux répondre aux besoins exprimés par les producteurs. 124. L’Institut de Recherche et d’Enseignements supérieur (IRESA) a été créé en 1990, et regroupe quatre instituts de recherche, neuf centres d’enseignement supérieur, cinq pôles régionaux de recherche & développement et leurs réseaux d’expérimentation. L’IRESA comprend 590 chercheurs et professeurs, dont 270 chercheurs à temps complet. L’IRESA a créé des commissions nationales de programmation et d’évaluation pour programmer et budgétiser la recherche agricole dans 10 domaines prioritaires. 125. Le thème commun des critiques faites à l’IRESA (Ideaconsult et al., 2006) est que sa recherche devrait devenir mieux répondre aux besoins des toutes les parties concernées et du marché. Les liaisons avec la vulgarisation et les agriculteurs sont faibles et les réactions des agriculteurs sont peut prises en considération, même si ceci est en train de changer. Les priorités et la planification de la recherche ne sont pas Page 59 45 ax ées sur les résultats et peu participatives. L’apport des pôles régionaux de recherche est limité, tout comme l’est l’utilisation des résultats de la recherche (ceci également est en train de changer). La priorité est donnée à l’amélioration variétale et aux techniques culturales au détriment de l’agronomie appliquée, et des problèmes socioéconomiques et d’après récolte. La philosophie mono-sectorielle descendante interdit une approche systèmes agricoles intégrés. Enfin, les ressources humaines manquent, spécialement dans les sciences sociales, et il n’y a pas de justification évidente dans les différentes affectations. 126. L’Agence de vulgarisation et de formation agricole (AVFA) a été créée en 1990 ; elle est responsable de l’ensemble de la vulgarisation. Ses services centraux sont à Tunis. Au niveau régional, dans chaque Gouvernorat, sous l’autorité du Commissariat régional de développement agricole (CRDA), se trouvent les Cellules territoriales de vulgarisation (CTV) et les Cellules de rayonnement agricole (CRA) qui travaille au niveau sectoriel. Quelques Offices, quelques Groupements interprofessionnels (GIP) et quelques Centres techniques ont également leurs propres services spécialisés de vulgarisation. Pour compléter le tableau, il existe une association de conseillers agricoles privés, composées principalement de retraités du Ministère de l’Agriculture. 127. Le besoin de renforcer les services de vulgarisation a été mentionné dans un grand nombre d’études sous-sectorielles réalisées pendant la préparation de ce rapport 19 . La réponse aux priorités des agriculteurs est encore une fois un problème clé. L’approche descendante « formation & visite » ne permet pas d’adapter les messages de la vulgarisation aux besoins des agriculteurs. La vulgarisation est perçue comme une partie de l’appareil de l’Etat, qui aide surtout les agriculteurs à accéder aux subventions, mais qui ne transfère pas de technologie actualisée. Les programmes de vulgarisation sont fixés par l’AVFA avec une consultation limitée des producteurs et de la recherche. 128. En même temps, le service de vulgarisation est insuffisamment doté en ressources par rapport à son mandat. Il n’est pas en mesure de satisfaire à une demande accrue des agriculteurs tant en matière de qualité et quantité des services à fournir.. Le manque de ressources est particulièrement aigu au niveau des CRDA. La voie de l’avenir 129. La première recommandation clé est que le Gouvernement devrait s’assurer que les priorit és perçues et exprimées par les agriculteurs déterminent la planification des services de recherche et de vulgarisation. Etant donné que les associations d’agriculteurs ne sont pas représentatives, les priorités des agriculteurs telles que perçues devraient être validées par des enquêtes quantitatives et qualitatives d’échantillons représentatifs et en adoptant une approche ciblée sur des 19 e.g., CNEA (2005a), CNEA (2005b), Ideaconsult-IRAM-FERT-AMCIDA (2005) Page 60 46 groupes focaux 20 . Il serait essentiel que les agricultrices soient adéquatement représentées, car elles agissent de plus en plus comme gestionnaires de facto des l’exploitations (voir Chapitre III.F). Il serait également essentiel d’assurer que des socio économistes expérimentés dans l’interprétation des priorités des agriculteurs jouent un rôle croissant dans la détermination de la direction globale de la recherche et de la vulgarisation. Une approche testée avec succès au Chili, au Costa Rica et au Nicaragua consiste à donner aux agriculteurs des bons de vulgarisation qu’ils peuvent utiliser pour s’acheter des conseils publics ou privés (Feder et al. 2000). Sur le plus long terme, au fur et à mesure que les groupements d’agriculteurs deviennent de plus en plus véritablement représentatifs, il serait opportun d’institutionnaliser leur rôle dans la gouvernance de la recherche et de la vulgarisation. 130. La deuxième recommandation clé est que le MARH devrait introduire des réformes internes : il s’agit tout d’abord, d’assurer que la recherche et la vulgarisation sont dotées de ressources adéquates ; et ensuite de leur demander d’être comptable des résultats obtenus. Comme le soutient le Chapitre III.D du rapport, le MARH devrait réaliser ces deux objectifs en faisant preuve d’une ferme résolution à mettre en œuvre la budgétisation par objectifs. (Le Chapitre III.D montrera que les systèmes de gestion du MARH ont naturellement tendance à défavoriser les activités « de services » comme la recherche et la vulgarisation et que la budgétisation par objectifs pourrait être un instrument puissant pour les revitaliser.) Une façon de rendre les institutions de recherche plus réactives est de mettre en place des fonds compétitifs de recherche. C’est la norme depuis longtemps aux USA et dans l’UE ; des fonds compétitifs pour la recherche fonctionnent également dans des pays tels que la Roumanie, le Vietnam, le Brésil et la Turquie ; l’expérience montre qu’ils ont tendance à stimuler l’efficacité de la recherche lorsqu’ils remplacent le monopole de la recherche publique (Gill et Carney, 1999, Echeverria et al., 2002). En Equateur par exemple, il y a au moins 45 organisations, publiques et privées, qui exécutent des projets de recherche attribuées de manière compétitives 21 . 131. En ce qui concerne la recherche , cette nouvelle approche créerait un cadre stratégique favorable pour mettre à jour les priorités, pour impliquer les agriculteurs dans la planification de la recherche, pour mesurer les résultats de la recherche, pour promouvoir une approche intégrée des filières, pour promouvoir la recherche interdisciplinaire et disséminer les résultats. Pour la vulgarisation , la nouvelle approche signifierait (i) le renforcement du rôle des agriculteurs dans la gestion des services de vulgarisation et dans la définition des programmes, (ii) un meilleur ciblage et des procédures de gestion qui permettraient aux agents en contact direct avec les clients de répondre effectivement à leur demande. 132. Mais il est important d’être réaliste. Sous réserve que les responsables de la recherche et de la vulgarisation se sentent eux-mêmes redevables devant les agriculteurs et leur employeur, de l’impact de leur travail, il n’y aura pas beaucoup de motivation pour que les choses changent. 20 Consultations intenses avec un petit panel représentatif d’agriculteurs. 21 Livre source des investissements agricoles, Banque mondiale, en préparation Page 61 47 C. La gestion durable des ressources naturelles 133. Les ressources naturelles sont le commencement de toute filière agricole et la base de toute ressource tirée de l’agriculture. 5,4 millions d’ha de terres arables et 400.000 ha de terres irrigables constituent la fondation des systèmes de cultures. Les forêts et les parcours couvrent un autre tiers du territoire soit 5,5 millions d’ha, et abritent 10 % de la population tunisienne. Enfin, les 4,3 millions d’ha de parcours assurent les besoins alimentaires de la moitié du cheptel national. La présente section ne s’intéresse qu’à l’eau, en raison de son importance comme facteur de production, mais une analyse supplémentaire des forêts et parcours se trouve en annexe 4. Les implications pour une politique gouvernementale à long terme sont mises en relief ci- après. La m obilisation de l’eau 134. L’infrastructure de l’eau est bien développée en Tunisie. Elle mobilise 90 à 95 % des 4,8 milliards de m3 des eaux de surface et des eaux souterraines disponibles. Près de la moitié est mobilisée par 27 grands réservoirs, 5 % provient de réservoirs collinaires et de lacs et le reste des eaux souterraines. La gestion de l’eau en Tunisie est concentrée sur le stockage de grands volumes à utiliser les années de pénurie qui sont de plus en plus fréquentes 22 . La situation se complique du fait que les ressources en eau se trouvent essentiellement dans le Nord et à l’intérieur des terres alors que les usagers sont concentrés sur les côtes, ce qui nécessite un d’importantes et coûteuses infrastructures de transport. 135. La stratégie de mobilisation de l’eau 2002-11 vise : (i) le développement d’infrastructure conventionnelle (essentiellement réservoirs et eaux souterraines) et de sources non conventionnelles (recyclage des eaux usées et salines), (ii) la protection des infrastructures existantes (voir également la conservation des eaux et des sols), et (iii) la promotion de l’économie d’eau (en particulier dans les périmètres irrigués). Onze nouveaux réservoirs sont terminés ou en construction dans le cadre du 10 e Plan, et 11 autres (principalement pour le stockage d’eau) sont prévus dans le cadre des 11 e et 12 e Plans. D’autres investissements pour mobiliser de l’eau concernent la recharge (dans le cadre du 10 e Plan) de sources souterraines et la construction de réservoirs collinaires et de puits profonds. 136. Les investissements en infrastructures hydrauliques consomment une part importante du budget du MARH. Cinquante-cinq pour cent du budget du 10 e Plan est affectés à des investissements hydrauliques et 43 % de ces investissements sont 22 La consommation de l’eau atteignait en moyenne environ 2,6 milliards de m³ en 2004, soit deux tiers du volume mobilisé. L’agriculture irriguée représente environ 80 % de la consommation de l’eau, 12 % représentent l’eau potable et les 8 % restants sont destinés à l’industrie et au tourisme . Page 62 48 destinés à seulement des grands réservoirs. En 2005, l’allocation pour des grands réservoirs correspondait à 61 % de la totalité du budget de fonctionnement du MARH pour cette année. Compte tenu du fait que la compétitivité agricole tunisienne dépend de la « qualité », qui à son tour dépend de services de recherche et de vulgarisation de première classe, il est malheureux que ces investissements importants dans des infrastructure s’accompagnent d’une baisse réelle du budget de fonctionnement du MARH. Ce thème est développé dans le Chapitre III.D. 137. En outre, la construction de nouvelle infrastructure pour mobiliser de l’eau ne répond pas aux principales contraintes liés à la mobilisation de l’eau qui sont : l’envasement des réservoirs, la surexploitation des eaux souterraines, la pollution de l’eau et la salinisation. Les pertes de capacité de stockage dues à l’envasement sont estimées à environ 17 millions de m³ par an, soit 0,7 % de la capacité de stockage. La cause principale en est la dégradation des bassins versants en amont des réservoirs ; des travaux à grande échelle de conservation des sols seraient nécessaires pour inverser cette tendance. Ainsi la protection contre l’envasement de 90-95 % des eaux de surface qui sont actuellement mobilisées serait plus économique que la mobilisation des derniers 5-10 %. 138. De plus, le niveau d’utilisation de coûteuses infrastructures hydraulique publiques demeure plus faible dans la plupart des cas que les hypothèses de départ, lors de leur conception. C’est particulièrement le cas dans le Nord du pays où la pluviométrie est forte et où les agriculteurs ont moins besoin d’irriguer. L’intensité d’utilisation est souvent inférieure à 1 (i.e., moins d’une culture complète irriguée par an), ce qui est généralement quelque 20% de moins que les objectifs originaux définis à la conception. La faiblesse des services de vulgarisation constitue un obstacle à l’augmentation du taux d’utilisation des infrastructures existantes. 139. En bref, les réservoirs coûtent cher ; il est donc important de faire concorder la construction et l’utilisation. Actuellement, seulement les deux tiers en moyenne de l’eau mobilisée sont utilisés. Il est envisagé de construire de nouveaux réservoirs sur des sites peu propices, ce qui en augmentera encore le coût. La solution optimale serait de retarder la construction prévue de ces nouveaux réservoirs et de le prévoir après les 11 e et 12 e Plans ceci afin de libérer des financements pour d’autres besoins prioritaires, telles que la réhabilitation, le dés-envasement, la vulgarisation et la recherche. La g estion de l’eau au niveau de l’exploitation 140. La Tunisie a accompli des progrès considérables en déléguant la gestion des systèmes aval d’irrigation à des groupes d’usagers. Fonctionnant avec le statut juridique des Groupements d’Intérêt collectif (GIC), ils servent plus de 100.000 ménages et 150.000 ha irrigués. Ils ont changé la façon dont le département de l’irrigation travaille en Tunisie, améliorant la rentabilité financière et l’efficacité de la gestion de l’eau d’irrigation. Page 63 49 141. Deux questions de politique concernent les GIC et le Gouvernement. Tout d’abord, ils devraient se transformer en GDAP (voir paragraphe 112) tels que la Loi du 15 mars 2004 le stipule. Reste à voir si cette vision de groupements d’agriculteurs à objectifs multiples, gérant l’eau d’irrigation, la production agricole, l’achat d’intrants et la commercialisation ces produits, fonctionnera dans la réalité. Il se peut que les besoins spécifiques des agriculteurs ou des groupes d’agriculteurs ne puissent pas être couverts par un modèle « fourre tout » normalisé prescrit par le Gouvernement. Il est probable que différents sous-ensembles d’agriculteurs soient intéressés d’adhérer à des groupes différents pour gérer de l’eau d’irrigation ou traiter des aspects de commercialisation de leurs produits. D’autre part leur grand nombre – 1.100 jusqu’à présent – commence à réduire la capacité du MARH à appuyer les nouveaux venus et leurs donner des conseils. 142. La Tunisie est chef de file de la région dans l’utilisation des redevances de l’eau pour avoir mis en place un usage efficace de l’eau et financièrement durable.. Les redevances de l’eau dans les périmètres irrigués publics couvrent 115 % de tous les coûts d’exploitation et d’entretien, alors qu’ils en couvraient 70 % en 1991 (voir Tableau 14). Ces redevances sont dites être perçues de façon systématique sauf dans quelques gouvernorats du Centre et du Sud à forte concentration d’irrigants à faible revenu. Tableau 14. Reco uvrement des coûts d’exploitation et d’entretien 1991-2000 R égion Taux de recouvrement 1991 Taux de recouvrement 2000 Nord 76 % 119 % Sahel 56 % 81 % Centre 44 % 107 % Sud 60 % 83 % Total 70 % 115 % Source : Bazza et Ahmad (2002) 143. La Tunisie expérimente un système de tarification binaire dans 12 périmètres pilotes publics dans 10 gouvernorats. L’approche consiste à imposer une redevance initiale fixe à laquelle se rajoute une redevance volumétrique. Elle a pour but d’assurer que les coûts d’exploitation et d’entretien sont intégralement couverts sans pour autant décourager un usage efficace de l’eau. L’expérience jusqu’à présent a été mitigée, mais le consensus est que les insuffisances – essentiellement un manque de communication et de contrôle de la mise en œuvre – ne remettent pas en question l’approche de tarification binaire. Un problème majeur : le Gouvernement a décrété une remise tarifaire de 50 % pour les céréales après que la tarification binaire ait été fixée, ce qui compromet la viabilité financière des périmètres pilotes. 144. En ce qui concerne l’efficacité de l’usage de l’eau sur l’exploitation, l’objectif du Gouvernement est d’avoir des périmètres irrigués intégralement couverts par des techniques d’économie de l’eau 23 d’ici 2009. Environ 305.000 ha sont couverts 23 e.g. irrigation par aspersion, irrigation au goutte- à-goutte ou irrigation améliorée de surface. Page 64 50 jusqu’à présent, soit près de 75 % des superficies irriguées. Le Gouvernement paie entre 40 % et 60 % des coûts de la mise à niveau des équipements d’économie d’eau, et 20 à 30 % du coût de leur remplacement. Les subventions accordées aux irrigants pour les équipements d’économie d’eau devraient être de l’ordre de 40 millions de dinars tunisiens en 2006. On estime que l’efficacité de l’utilisation de l’eau sur le terrain s’est améliorée de 50 % à 75 % dans les 10 dernières années, un excellent résultat par rapport aux normes mondiales. 24 La voie de l’avenir 145. Il semble y avoir un biais pour investir dans de nouveaux barrages au d étriment de mesures à prendre pour éviter l’envasement, pour réhabiliter et améliorer le taux d’utilisation des périmètres irrigués publics existants – sans parler des dépenses de fonctionnement pour améliorer la qualité des produits agricoles et la compétitivité des agriculteurs. L’analyse économique coût & bénéfice devrait permettre de corriger cette tendance. Le Gouvernement devrait définir clairement les objectifs de sa politique de construction de barrages. Si l’objectif est de stabiliser les revenus agricoles, il peut y avoir des moyens à moindre coût pour le faire (voir section III.D). Si toutefois, l’objectif est de stabiliser la fourniture d’eau pendant les années de sécheresse, le Gouvernement devrait utiliser l’analyse économique pour déterminer l’approche au moindre coût pour atteindre cet objectif. Les alternatives comprendraient des travaux contre l’envasement, la réhabilitation de barrages et le transfert de l’utilisation de l’eau à usages agricoles vers des usages non agricoles. L’analyse coût & bénéfices devrait être faite pour chaque barrage proposé afin de déterminer si la réalisation de cet investissement est la solution au moindre coût pour atteindre l’objectif en le comparant à des solution alternative comme le financement de mesure par exemple, pour lutter contre l’envasement. 146. Le MAHR doit par conséquent faire évoluer son attention de la mobilisation de l’eau vers la gestion intégrée del’eau. La stratégie consisterait à améliorer l’efficacité des infrastructures existantes, par des activités telles que : (i) la protection contre la pollution des ressources d’eau existantes; (ii) la recherche dans la protection et le désenvasement ; (iii) une meilleure analyse météorologique et hydrologique. Du côté de la demande, les activités comprendraient : (i) affiner les systèmes de fixation des prix ; (ii) continuer la promotion de techniques d’amélioration de l’irrigation ; et (iii) poursuivre la promotion de la gestion de l’eau par les usagers ; (iv) aider les agriculteurs à accroître la valeur de leur production. 147. Il serait utile de renforcer la capacité des services centraux du Ministère de l’Agriculture et des Ressources hydriques afin que la planification de la gestion des ressources en eau prenne mieux en compte la gestion de l’eau par la demande et en fonction de la valeur de son utilisation.. Il s’agirait de valoriser le progrès récent que constitue la création du Bureau de la planification et des équilibres hydrauliques. Il 24 Contrairement aux attentes, la production agricole a augmenté plutôt que la consommation de l’eau n’a diminué. Page 65 51 sera particulièrement important d’améliorer les compétences dans les domaines de l’agroéconomie et de la socio-économie. 148. En ce qui concerne la politique de gestion de l’eau au niveau de l’exploitation , la Tunisie devrait tirer parti des réformes de la dernière décennie. L’approche générale devrait consister à élargir les modèles existants qui ont réussi et à éliminer les anomalies qui subsistent encore. 149. Si l’on regarde l’élargissement de modèles réussis, il est recommandé d’étendre l’expérience de la tarification binaire à l’ensemble du pays, conformément aux résultats de l’atelier d’évaluation qui s’est tenu en 2004. Il serait également utile d’envisager l’introduction du coût de remplacement des équipements dans le calcul des redevances. 150. Le Gouvernement devrait continuer à appuyer la création des groupes d’usagers de l’eau. Toutefois, il devrait suivre l’impact qu’aura le changement de statut des GIC en de GDAP. Comme le recommande le paragraphe 118, le Gouvernement devrait être prêt à adapter le modèle GDAP à la dynamique des groupements sur le terrain, plutôt que d’espérer promouvoir la conformité à un seul statut. Alors que les groupes d’usagers de l’eau confortent leur établissement et que la prise de décision coordonnée entre différents groupements gagne de l’importance, des conseils régionaux de l’eau – incluant tous les types d’usagers de l’eau (les associations comprises) – devraient être mis sur pied. 151. ,Il sera toutefois difficile d’améliorer les services de vulgarisation aux groupes des usagers de l’eau tant que le nombre de GIC augmentera et que le budget ordinaire du MARH ira dans la direction opposée. La sous traitance à des organisations privées ne réglera pas le problème budgétaire sous-jacent. 152. Il n’y a pas de justification économique ni sociale aux subventions faites pour remplacer de l’équipement qui économise de l’eau, au moins quand il s’agit du renouvellement du matériel usé par un nouveau système du même genre. La subvention pour les nouveaux venus pourrait peut-être se justifier par le fait que le bénéficiaire ne connaît pas encore la technologie. Mais si les agriculteurs qui paient le prix réel de l’eau ne sont pas encore motivés pour acheter de l’équipement qui économise l’eau après l’avoir utilisé pendant quelques saisons, il est alors possible que cet équipement ne soit pas rentable. La subvention est également dégressive en fonction de la distribution, car son accès est proportionnel à la possession de terres irriguées. 153. Le Gouvernement devrait également éliminer le tarif préférentiel de l’eau pour le blé. Il est en effet très compliqué d’évaluer quelle partie de l’eau utilisé par un agriculteur devrait être au tarif plein et quelle partie devrait être au tarif réduit. Ceci crée des distorsions des systèmes de production encourageant les agriculteurs à faire des cultures pour lesquelles ils sont moins compétitifs (voir Chapitre III.A ci- dessus), et sape la viabilité financière de la tarification binaire. Cette subvention est Page 66 52 également dégressive en fonction de la distribution car encore une fois les subventions sont proportionnelles aux superficies irriguées possédées. D. Doter le secteur agricole de ressources 25 154. Nous avons vu que la réalisation du potentiel agricole de la Tunisie exige d’améliorer la qualité et de mieux répondre aux demandes du marché. Le rôle de l’Etat devra de plus en plus consister à fournir des biens publics essentiels et un environnement favorable au développement des affaires, de sorte que les producteurs puissent être en contact avec la demande du marché et s’y adapter. La capacité des secteurs public et privé à jouer leurs rôles respectifs dépendra en partie de leur capacité à rassembler des ressources. Cette section commente la performance des institutions qui mobilisent et gèrent les ressources pour l’agriculture. 155. Un thème récurrent émerge à la fois pour le secteurs public et le secteur privé : la philosophie omniprésente de la planification quantitative descendante pose des difficultés au budget du Gouvernement et au secteur financier pour qu’ils répondent avec souplesse aux besoins des agriculteurs. Le Gouvernement a érigé une superstructure complexe de programmes et de prescriptions, qui répond de manière imparfaite aux priorités dont font état les agriculteurs. En conséquence le rapport fait un petit nombre de recommandations stratégiques concernant le cadre incitatif dans lequel opèrent les décideurs des banques et du MARH. L’objectif est de les rendre plus conscient et de les aider aux demandes de leurs clients. La gestion des ressources humaines et financières du Ministère de l’Agriculture 156. Quelle que soit la nouvelle direction politique que le Gouvernement tunisien décide d’adopter, elle ne sera efficace que dans la mesure où le Ministère dispose des outils de gestion pour réorienter ses activités et affecter le personnel et l’argent qui correspondront à ses nouvelles priorités. Toutefois, actuellement le Ministère ne dispose pas de systèmes de gestion pour traduire les priorités de sa politique en actions sur le terrain. 157. Une observation clé est que les systèmes de planification, budgétisation et de gestion des ressources humaines du MARH sont mieux adaptés à la gestion des investissements physiques (e.g., infrastructure d’irrigation, plantations et ports de pêche) qu’à la gestion des activités dites «de savoir faire ». L’expression « activités de savoir faire » inclue la gestion du savoir, les systèmes d’information, les procédures, les institutions et les comportements. Elle couvre les fonctions critiques du MARH, telles que la recherche, la vulgarisation, l’amélioration de la qualité des produits, l’établissement de systèmes de maintenance et l’intervention des communautés dans la gestion des ressources naturelles. 158. Les études de référence ont fourni des preuves solides du fait que les efforts du MARH portent sur la création de nouvelles infrastructures physiques au détriment 25 Basé sur CNEA (2006), étude financée par l’Agence française de Développement. Page 67 53 du « savoir faire ». L’évaluation du secteur de l’irrigation montre que les plans ambitieux pour de nouveaux barrages s’accompagnent d’une maintenance médiocre, d’un niveau élevé d’envasement et d’un taux relativement faible d’utilisation des réservoirs existants. De même, les programmes du MARH d’appui au secteur des pêches mettent l’accent sur la fourniture de ports supplémentaires, alors qu’il est plus important, étant donné la surexploitation de stocks halieutiques limités, d’assurer que la valeur ajoutée potentielle de la pêche existante est entièrement réalisée. Parallèlement, les analyses des systèmes de commercialisation des fruits et légumes, de l’élevage, de l’huile d’olive et des céréales soulignent toutes le manque de recherche effective, de vulgarisation et de systèmes d’assurance de la qualité. 159. Les systèmes de gestion qui créent un penchant en faveur des investissements physiques au détriment des activités dites « de savoir faire » comprennent : · L’accent mis sur des cibles physiques quantifiées dans le processus de planification, dans la présentation du Budget Economique et dans les analyses sectorielles, au détriment d’indicateurs plus qualitatifs. · La définition des cibles et des objectifs en termes de volumes (e.g., quantités de purée de tomate produites) plutôt que valeurs (e.g., $EU reçus des exportations de purée de tomate), ce qui implique que les niveaux bruts de production importent plus que la commercialisation ou la qualité. · La séparation institutionnelle des Titres I (opérations ordinaires) et II (investissement) du budget dans le MARH – même s’ils sont gérés par la même Direction générale dans la plupart des autres ministères. · Le manque apparent d’une procédure objective pour affecter les ressources entre les Titres I et II. · Les différents degrés de gestion stratégiques appliqués aux Titres I et II du budget. Le budget Titre I, en particulier lorsque les coûts du personnel sont concernés, est le produit d’ajustements par reconduction des affectations de l’année antérieure avec des marges très étroites. Le budget Titre II d’autre part, bénéficie de ressources discrétionnaires, de planification, d’analyse et d’interventions importantes des bailleurs de fonds. Dans la pratique, le Titre I doit être autant que faire se peut avec des contraintes beaucoup plus serrées, à parité avec le Titre II qui incluse les coûts du personnel et les coûts d’exploitation. 160. Ces déséquilibres sont visibles dans les affectations de ressources du MARH. Sur un budget ministériel total de 722 millions de DT pour 2005, 523 millions de DT sont classés comme « dépenses d’investissement », dont 218 millions de DT sont financés par des dons et des prêts extérieurs. Sur les 199 millions de DT restants disponibles pour les dépenses ordinaires, 175 millions de DT sont affectés aux coûts du personnel, laissant seulement 24 millions de DT pour les dépenses ordinaires hors personnel, qui sont souvent cruciales pour la réalisation d’activités «de savoir faire » Page 68 54 concernant l’amélioration de la qualité comme la recherche et la vulgarisation. Un peu plus de la moitié des allocations du 10 e Plan, 1206 millions de DT sur 2200 millions de DT, sont affectés aux activités d’irrigation, en comparaison de 56 millions de DT pour la recherche, les études et la vulgarisation. En d’autres termes, une économie provenant de la réduction de 5 % de l’investissement dans l’eau pourrait doubler les investissements à faire sur la recherche, les études et la vulgarisation. Le montant total du Plan agricole a augmenté de 105 millions de DT entre les 9 e et 10 e plans, alors que les dépenses sur les seules ressources en eau ont augmenté de 134 millions de DT. 161. Le Gouvernement doit se poser quelques questions difficiles sur les conséquences de cette tendance sur le développement du secteur agricole. Jusqu’à présent le rapport a souligné que le rôle du Gouvernement devrait être de fournir les biens publics essentiels pour encourager une production de haute qualité à travers la recherche, la vulgarisation, le contrôle phytosanitaire et la réglementation de la sécurité alimentaire. Mais le MARH a-t-il des outils efficaces pour gérer les performances de ces activités dites « de savoir faire » ? Par exemple, comment peut il mobiliser son personnel pour mettre davantage l’accent sur la qualité et l’efficacité par opposition au productivisme ? Le programme de formation du personnel est-il planifié et financé de façon à appuyer la réorientation des priorités du Ministère ? Comment un CRDA planifie-t-il l’usage de son personnel lorsque ce dernier (financé par le Titre I) est tiraillé dans différentes directions par des programmes spéciaux et des projets financés par des bailleurs de fonds (financés par le Titre II) ? Le MARH verra-t-il une détérioration progressive du ratio stock d’infrastructure sur ressources disponibles pour financer sa maintenance et pour conseiller les agriculteurs qui utilisent ses services? 162. Le Projet en cours de Renforcement des Services d’Appui à l’Agriculture (PRSA) obtient des résultats positifs dans un nombre d’activités « de savoir faire » telles que la recherche, la vulgarisation, le contrôle phytosanitaire et l’amélioration de la qualité. Ceci est en partie du aux objectifs fourni par le cycle de mise en œuvre du projet. Le PRSA démontre qu’il est possible de définir des objectifs mesurables pour des activités « de savoir faire » et de les transmettre à travers la hiérarchie organisationnelle. La leçon du PRSA est qu’une injection relativement faible de dépenses de fonctionnement hors salaires peut avoir un vaste impact en matière de transformation, à condition qu’elles soient soutenues par un cadre robuste d’objectifs liés à la gestion de la performance. La voie de l’avenir 163. Le Ministère des Finances prépare actuellement le passage du Gouvernement à la budgétisation par objectifs. L’objectif est que la budgétisation par objectifs soit adoptée par l’ensemble du Gouvernement d’ici 2010. Le Ministère de l’Agriculture est un ministère pilote, et au sein du MARH, la Direction générale des Forêts, le Projet d’investissement dans le secteur de l’eau (PISEAU) et le Commissariat régional de développement agricole (CRDA) d’Ariana seront des cas pilotes. Page 69 55 164. Les principaux éléments de la budgétisation par objectifs sont les suivants : (a) Un cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) : c’est la stratégie de développement à moyen terme traduite en flux financiers, qui implique par définition l’intégration de la planification budgétaire pour le « développement » et les dépenses « récurrentes » (i.e., Titres I et II). (b) L’organisation du budget par objectifs , de telle sorte que le format du budget cadre avec les objectifs et l’organigramme du ministère. Cette réforme aide à assurer que les ressources humaines et financières suivent les priorités de développement et que les responsabilités du personnel pour traduire les financements en résultats sont clairement définies. (c) L’établissement d’objectifs de performance qui répartit les responsabilités de la performance du ministère, du sommet à la base, tout en respectant la congruence entre responsabilités, lignes budgétaires et l’organigramme. (d) Une approche moderne du contrôle et de l’audit financiers , qui devraient être concernés non seulement par l’exactitude procédurière mais aussi par l’efficacité des dépenses. 165. La budgétisation par objectifs dotera par conséquent le MARH d’un outil qui lui manque pour gérer les activités «de savoir faire ». Elle aidera à intégrer les deux titres du budget, à transmettre les nouvelles priorités du ministère au personnel en première ligne et à suivre et contrôler les performances du personnel sur l’ensemble des activités du MARH. Toutefois, le MARH ne bénéficiera de la budgétisation par objectifs que dans la mesure où il sera préparé et engagé à l’introduire. Ceci impliquera : (i) la création d’une cellule de gestion de la budgétisation par objectifs au sein du MARH, rassemblant les fonctions de planification stratégique, d’administration, des finances et investissement ; (ii) l’établissement d’un plan d’exécution et la mobilisation de l’assistance technique requise ; (iii) le lancement d’une campagne de communication et de formation pour le personnel du MARH à tous les niveaux ; et (iv) l’élaboration d’un plan de développement des ressources humaines et la dotation en personnel sur le long terme, tenant compte du nouveau rôle du MARH et du taux élevé des départs à la retraite dans les années à venir 26 . 166. Selon le budget économique, 55 % des investissements agricoles publics ont été financés de l’extérieur en 2004 (214 millions de DT sur 387 millions de DT). Il y a des indications que les modalités de financement extérieur risquent d’affaiblir la gestion et les systèmes de planification du Ministère. L’existence de nombreux projets et programmes régionaux ou thématiques, chacun avec son propre budget, son unité de gestion, ses objectifs et ses procédures, est en contradiction directe avec le passage à une planification stratégique intégrée décrite ci-dessus. On rapporte que les demandes des projets au personnel appelé à des « fonctions spéciales » rendent difficile la planification et la gestion des activités du CRDA. Le recours à du 26 Les départs annuels sont actuellement de l’ordre de 400-500 par an (environ 2,5 %), chiffre qui devrait passer à 900 d’ici 2010. Page 70 56 personnel contractuel financé par le Titre II du budget peut également compromettre leur durabilité sur le long terme. 167. Les ministères de l’agriculture qui dépendent également du financement extérieur cherchent à incorporer le financement des donateurs dans un plan prédéterminé de stratégie sectorielle et de mobilisation des ressources, pour gérer ces financements au sein de structures ministérielles existantes au lieu d’unités de gestion spécifiques à chaque projet, et pour acheminer les financements aussi loin que possible à travers les budgets départementaux. Le MARH devrait considérer l’adoption de cette “approche au niveau du secteur ». Les finances agricoles 168. Il y a des signes qui indiquent que l’investissement privé dans l’agriculture est bien inférieur à son niveau potentiel. Sur la période 2002-04, l’investissement privé était de 51 % de l’investissement total, alors qu’il était de 40 % en 1987-91, mais loin de la norme de revenu intermédiaire d’environ 75 % (CNEA, 2005c). La part des agriculteurs investissant dans l’agriculture a chuté considérablement au cours de la dernière décennie, de 36 % en 1990-94 à 26 % en 2000-04, avec la plus grande chute (de 50 % à 33 %) se produisant parmi les exploitations de taille moyenne de 10-50 ha. La proportion d’agriculteurs qui investissaient a baissé dans toutes les régions, et la chute est le plus prononcée dans le Nord. Ceci soulève la question : dans quelle mesure l’accès limité au financement a-t-il été un obstacle à l’investissement privé ? 169. Au titre du code des investissements de 1993, le Gouvernement encourage l’investissement agricole avec un important et complexe système de subventions directes («encouragements de l’Etat »), administré par l’Agence de Promotion des Investissements agricoles (APIA). Le système de subventions a pour but d’encourager les exportations, le développement des régions arriérées, les technologies modernes (e.g., l’agriculture organique) et la protection de l’environnement. Les subventions représentent 20,4 % du coût des investissements supérieurs à 40.000 DT, et 38,4 % du coût des investissements inférieurs à 40.000 DT. Il est difficile d’évaluer l’impact de ces subventions en termes de croissance et d’emploi. Si l’agriculteur aurait investi de toutes façons sans subvention, la subvention ne représente qu’un transfert du Gouvernement à l’agriculteur. 170. La Banque nationale agricole (BNA) est le principal prêteur agricole, avec un encours de prêts de 0,7 milliard de DT. Bien qu’environ 1.600 agriculteurs empruntent auprès d’autres banques commerciales, ce sont des personnes qui ont d’autres activités, pour lesquels l’agriculture n’est qu’une part secondaire de leurs relations avec les banques. Par ailleurs, la Banque tunisienne de Solidarité (BTS) a un portefeuille de prêts à des petits exploitants individuels et de crédits à des institutions de microfinance. Environ 40 % des microcrédits financés par la BTS sont classés comme étant agricoles. 171. Le crédit bancaire représente environ 20 % du financement de l’investissement agricole. Le reste est divisé entre autofinancement (61 %) et Page 71 57 subventions. L’importance relative des prêts bancaire dans les finances agricoles a chuté considérablement au cours des dernières années. Le ratio des prêts bancaires pour l’agriculture et la pêche par rapport à la valeur ajoutée du secteur est tombé de 3,8 % en 2000/01 à 2,1 % en 2003/04. Pour les crédits de campagne, la chute est encore plus marquée, de 2,2 % à 0,9 %. 172. La proportion d’agriculteurs exprimant une demande de crédit est faible, 7– 8 % (CNEA, 2005c), et connaît une tendance légèrement à la baisse. Lorsqu’on les interroge, environ un quart des agriculteurs disent ne pas demander de crédit par crainte de s’endetter, et un autre quart à cause des difficultés à accéder au crédit. La majorité des agriculteurs restants donnent une vaste série de raisons trop diverses pour être enregistrées statistiquement. Dans le même temps, la part d’agriculteurs indiquant que leur demande de crédit a été satisfaite est fortement tombée au cours de la dernière décennie, de 54 % en 1990-94 à 36 % en 2000-04. Seuls les plus gros exploitants, cultivant plus de 50 ha, n’ont pas vu tomber leur taux de satisfaction. 173. Les principaux facteurs sous-tendant cette contraction des prêts à l’agriculture sont bien connus. (a) le faible taux de remboursement . Le taux de remboursement de la Banque nationale agricole (BNA) est d’environ 50 %. Le taux de remboursement de la Banque tunisienne de Solidarité (BTS) pour les prêts à des agriculteurs individuels (« microprojets agricoles ») est également d’environ 50 %, et d’environ 80 % pour des rétrocessions via des ONG (estimations du MARH). Le coût budgétaire de ces arriérés n’est pas transparent, parce que le régime fiscal de la Tunisie décourage le provisionnement et la Banque centrale ne permet pas d’annuler une créance si elle peut montrer qu’elle est garantie par une sécurité (FMI, 2004). Pour le secteur bancaire pris dans son ensemble, les provisions ne couvrent que 46,2 % des créances non recouvrées (FMI, 2004). Pour la BNA, les provisions ne sont que de 5 % de l’encours des prêts de 3,3 milliards de DT. Les créances non recouvrées non provisionnées restent sur le bilan du créditeur comme un actif, garanti par la garantie implicite de l’actionnaire d’état. (b) Le resserrement du marché . Le nombre et la valeur des prêts agricoles ont baissé pendant plusieurs années, avec 3.907 crédits de campagne en 1998/99 passant à 1.446 en 2003/04, par rapport à une estimation de 59.000 exploitations avec un certain potentiel commercial 27 . Cette baisse peut être attribuée à (i) l’endettement des clients, (ii) l’adoption par la BNA depuis 1999 d’une politique limitant ses coûts pour se concentrer sur les plus gros clients (Banque mondiale, 1999) 28 , (iii) un coût réel du crédit d’environ 15 % 29 , et (iv) une épargne accrue des agriculteurs – la demande de crédit baisse toujours après une bonne saison – et un 27 i.e., class és dans les catégories B et C. 28 La chute la plus forte dans le taux de satisfaction de demande de crédit a été au bas de la clientèle de la BNA (CNEA, 2005c), i.e., parmi les agriculteurs trop petits pour être les meilleurs emprunteurs de la BNA mais trop grands pour les crédits de la BTS. 29 Taux d’intérêt 11-12 %, contribution au Fonds national de Garantie 2 %, assurance obligatoire 2 – 3 %, commissions variables et charges, inflation 5 %. Page 72 58 accès au crédit informel venant d’amis et de la famille. Les gains hors exploitation sont souvent la source principale de capital pour les investissements agricoles. ( c) L’a pplicabilité des instruments de crédit aux petits exploitants. 1,8 % des petits exploitants reçoivent du crédit court terme (Guellouz, 2004), par rapport à 4.140 sur 471.000 agriculteurs, soit 0,9 %, dans l’ensemble du secteur en 2003/04. Toutefois, il est possible que le crédit bancaire classique, avec ses formalités administratives, ses affectations de crédit et ses exigences de garanties immobilières, soit mal adapté aux besoins des 225.000 activités agricoles catégorisées comme étant de « faible viabilité » ou pire. Ces ménages ruraux, qui sont souvent engagés dans des activités économiques informelles et multiples pourraient être mieux adaptés à utiliser des produits de la microfinance. 174. Ces phénomènes sont typiques dans un secteur de finances rurales qui se resserre après une période de « crédit facile » et de créances douteuses. D’un point de vue purement prudentiel toutefois, la situation semble stable, car le Gouvernement dispose des ressources budgétaires pour continuer à subventionner la BNA, le FNG et la BTS. Ceci, avec la proéminence de coopératives à profil haut dans les créances douteuses de la BNA, aide à expliquer le manque d’un sens d’urgence concernant la réforme du secteur des finances rurales. Toutefois, le statu quo a des coûts cachés pour la Tunisie. Tout d’abord, il y a le coût budgétaire des garanties implicites du Gouvernement pour les créances douteuses sans provision. Ensuite, il y a le coût des investissements perdus du fait que les projets pouvant être financés ne reçoivent pas de financement. Enfin, il y a le coût de l’affectation des épargnes à des investissements non productifs. 175. La fourniture de crédit à l’agriculture par conséquent dépend essentiellement des méthodes de prêt de la BNA. Celles-ci à leur tour dépendent des incitations dont leur gestion dépend. Les caractéristiques clés de ce cadre d’incitations font que : · La BNA a une obligation de maintenir un réseau de branches rurales coûteux et d’offrir des produits de financement agricole ; · La BNA est encouragée à travailler sur des marchés hors agriculture, qui ont la réputation d’être moins risqués et plus lucratifs ; · La BNA est sous pression d’améliorer son profit d’exploitation ; · La BNA n’est pas sous pression ou peu, de récupérer les créances douteuses, car celles-ci ne sont pas provisionnées (voir ci-dessus) 30 . 176. Pris ensemble, ces facteurs pourraient facilement encourager la gestion d’une banque à considérer son portefeuille agricole comme une imposition : une ligne d’activités à coût élevé qui ne doit pas être autorisée à positionner la compétitivité de la banque sur des marchés plus lucratifs. Le résultat serait des pratiques de prêt 30 Sur environ 100.000 prêts en situation d’arriérés de remboursement, seulement 7-8.000 environ sont poursuivis comme des prêts « contentieux » . Il n’ y a pas de cas de sécurité foncière rentrée en possession. Page 73 59 conservatoire, des charges élevées et des efforts très restreints pour développer activement de nouvelles activités dans le secteur de l’agriculture. 177. Le montant des prêts et des arriérés cités ci-dessus montre que le secteur financier abandonne l’agriculture. Une raison en est que les politiques du Gouvernement ont éliminé l’incitation permettant aux institutions financières de prêter durablement. Les objectifs sociaux et commerciaux antagonistiques de la BNA et de la BTS font qu’il est impossible de mesurer leur performance, sans parler de la soit les récompenser ou de les sanctionner. Les subventions d’Etat compensent les mauvais résultats financiers et découragent l’entrée des banques privées. La politique de la Banque centrale sur les provisions décourage la comptabilisation appropriée des créances douteuses. Le remboursement des arriérés par les finances publiques décourage les procédures prudentes de prêt et de collecte des remboursements. 178. Si le Gouvernement devait chercher à remobiliser le secteur financier agricole, une première mesure essentielle consisterait à étudier la prise de décision dans le marché du crédit. Ce travail examinerait non seulement la prise de décision concernant les investissements, la demande de crédit et les manières de voir le système financier des agriculteurs, mais aussi la prise de décision des banquiers et le comportement organisationnel des banques. Il n’y a pas actuellement de données fiables disponibles permettant de savoir si une clientèle acceptable par les banques est actuellement exclue du marché du crédit et, si c’est le cas, quelles sont ses caractéristiques et besoins et comment elle est segmentée dans des sous-marchés différentiés. 179. Cette recommandation d’une étude de terrain n’est pas simplement une évasion, une dérobade, une excuse pour ne pas faire de recommandations fermes à ce stade. Elle s’inscrit dans un important changement de paradigme, dans lequel la perspective des décideurs s’abstient de prescrire des mécanismes qui peuvent ou non convenir aux besoins du secteur et penche plutôt vers la compréhension du comportement des parties prenantes clés et répond aux priorités dont elles font état. 180. En fonction des résultats de cette étude, deux options générales de politique se suggéreraient d’elles-mêmes : · L’adoption de bonnes pratiques internationales sur l’environnement du microcrédit. L’évaluation du secteur financier (ESF) de la Banque mondiale/FMI 2001 a conclu que l’environnement du microcrédit de la Tunisie est loin d’être idéal. Par exemple, les 170 Associations de microcrédit (AMC) de la Tunisie ne sont pas autorisées à facturer des taux d’intérêt positifs et la décision récente de limiter les taux d’intérêt des banques à 5 % pour les exploitations agricoles avec des revenus inférieurs à 3.500 DT/an rend impossible de couvrir les dépenses. Les AMC dépendent pour leurs revenus d’une subvention de 20 DT par dossier de prêt de la BTS, financée par la subvention d’Etat de la BTS de 18 milliards de DT/an. Les politiques de bonne pratique d’autre part, comporteraient : l’autorisation aux institutions de micro-finance de fixer des taux pour couvrir leurs coûts, l’usage de Page 74 60 subventions pour les co ûts de démarrage seulement, le démantèlement de mécanismes concurrentiels de crédit « social » et une législation facilitant la création et la croissance des institutions de micro-finance. · La réforme de la BNA. L’objectif de la réforme serait de renforcer les incitations pour que les gestionnaires des banques gèrent le risque de crédit plus efficacement, et de développer des pratiques de prêt améliorées. Ceci pourrait impliquer la refonte de la BNA en une banque commerciale autonome, ayant transféré ses créances douteuses irrécupérables à une entité financière séparée. Si le Gouvernement souhaite maintenir des subventions au crédit, celles-ci pourraient être administrées plus efficacement et de manière plus transparente à travers des offres concurrentielles entre banques commerciales, ce qui aurait l’avantage en plus d’accroître la compétition dans le secteur bancaire rural. La séparation des comptes agricoles et non agricoles de la BNA permettrait au Gouvernement d’identifier clairement le coût économique et budgétaire de sa politique de crédit agricole. La réforme de la BNA exigerait une meilleure politique concernant le traitement comptable des créances douteuses. Elle aurait également de sérieuses implications pour les débiteurs ayant des arriérés importants, y compris un nombre de grosses coopératives. Mais il n’est pas du ressort de cette étude d’examiner cette option en détail. La stabilisation du revenu agricole 181. L’agriculture pluviale de la Tunisie est sujette à la sécheresse. Les rendements du blé entre 1961 et 2005 étaient en moyenne de 18 % supérieurs ou inférieurs à la ligne de tendance (données FAOSTAT). Dans sept de ces dernières 45 années, ils étaient d’au moins 25 % inférieurs à la ligne de tendance. Les données du CNEA (CNEA, 2005a) donnent une image plus frappante : sur une période de 19 ans, cinq années de pluviosité élevée ont produit au moins 18 millions de quintaux de blé et neuf années de faible pluviosité ont produit moins de 5,1 millions de quintaux. L’exposition au risque climatique peut réduire considérablement les revenus de l’exploitation (Banque mondiale, 2005a), car les agriculteurs se cantonnent à des activités à faible risque et à faible rendement. De plus, une partie des créances douteuses de la BNA sont attribuées aux pertes dues à la sécheresse. 182. Les données météorologiques indiquent que les températures ont augmenté progressivement pendant le siècle dernier. En théorie, cette situation pourrait accroître la fréquence de sécheresses extrêmes, même si l’analyse statistique ne montre pas encore que ceci se produit (MARH / GTZ, 2005). 183. Un nombre d’instruments pour stabiliser les revenus agricoles fonctionnent en Tunisie. Pris ensemble, ces instruments laissent de nombreux agriculteurs exposés au risque de sécheresse, du fait qu’ils ont une couverture limitée et que l’agriculteur ne peut pas prédire la façon dont ils fonctionneront : Page 75 61 (a) La fourniture de dispositifs d’irrigation publique, qui ont été discutés auparavant. (b) Le Fonds national de Garantie (FNG), qui paie les coûts d’intérêt quand les prêts sont rééchelonnés (sur cinq ans) après les sécheresses. Evidemment, la couverture du FNG est limitée à la minorité des agriculteurs qui empruntent et le bénéfice est proportionnel à la capacité d’emprunt de l’agriculteur, i.e., le bénéfice va aux agriculteurs plus riches. Dans la pratique de surcroît, les prêts rééchelonnés souvent ne sont pas servis et la banque demeure avec la dette restante. Il est estimé par exemple, que 51.000 agriculteurs ont bénéficié du rééchelonnement en 1999, dont 18.000 à 20.000 continuent à s’acquitter de leurs remboursements. (c) L’assurance des cultures commerciales, qui n’est considérée que comme une condition préalable pour obtenir un prêt bancaire. Elle ne couvre que des pertes non systémiques telles que la grêle, le feu et les dégâts aux serres. La Caisse tunisienne des Assurances mutuelles agricoles (CTAMA) détient 80 % du marché. La CTAMA couvre ses coûts, et perd progressivement une part du marché au profit d’autres compagnies d’assurance, ce qui donne à penser que ce marché est compétitif. Le marché se réduit en parallèle au nombre de prêts bancaires ; en dépit des campagnes de marketing de la CTAMA, il y a peu de demande pour l’assurance, sauf quand elle est liée au crédit bancaire. (d) Le « Fonds des Calamités » et autres interventions ponctuelles. Dans les années de sécheresse, le Gouvernement affecte une part de sa réserve budgétaire à l’atténuation des catastrophes, tel que le Fonds des Calamités. Des plans pour l’usage de ces ressources sont proposés par les régions, consolidés par le centre et mis en œuvre par l’intermédiaire des budgets de développement (Titre II) des ministères sectoriels. Les activités usuelles du MARH peuvent inclure les subventions au fourrage et au transport et la fourniture de camions-citernes. La structure du budget gouvernemental fait qu’il est difficile d’identifier les dépenses du Fonds de Calamité. D’autres interventions ponctuelles incluent la décision en 1993/95 d’annuler les dettes de 7.557 agriculteurs, et en 1999 d’annuler tous les arriérés inférieurs à 1.000 DT et de rééchelonner les arriérés entre 1.000 DT et 4.000 DT sur sept ans. 184. Le MARH est intéressé à étudier un dispositif d’assurance contre la sécheresse agricole. Toutefois, l’assurance traditionnelle contre la sécheresse, impliquant des évaluations individuelles des pertes de cultures, ne se produira probablement pas en Tunisie. La subjectivité des évaluations des pertes de cultures et le problème de « l’aléa de moralité » (une fois assurés, les agriculteurs peuvent ne pas s’occuper suffisamment de réduire la possibilité et la sévérité des pertes) rendra difficile de faire intervenir une réassurance, qui est cruciale du fait que le risque de sécheresse est systémique, i.e., de nombreuses déclarations de dommage seront faites dans le même temps. Il y a aussi le fait que le coût et le délai de la gestion de nombreuses évaluations de pertes individuelles sur le terrain seraient prohibitifs. Page 76 62 185. Une autre option possible serait l’ assurance indice de pluviométrie . Elle impliquerait l a création d’une série d’indices pluviométriques, dans laquelle la pluviométrie en différents moments de l’année est pondérée pour maximiser la corrélation avec les rendements de différentes cultures dans des emplacements divers. L’assureur paierait un montant proportionnel au déficit de l’indice pluviométrique au- dessous d’un seuil prédéterminé. Cette assurance basée sur un indice est offerte au Canada et a été testée depuis 1998 au Nicaragua, en Inde, en Ukraine, en Ethiopie et au Malawi. Les avantages de l’assurance indice de pluviométrie sont que les réassureurs peuvent se fier aux données météorologiques et qu’il n’y a pas besoin d’évaluer les pertes sur le terrain des agriculteurs. 186. L’expérience globale de l’assurance indice de pluviométrie offre deux leçons pertinentes (Banque mondiale, 2005). Tout d’abord, les décideurs doivent être clairs quant au fait que l’objectif est de réduire la pauvreté et la vulnérabilité d’une part, ou de l’autre, offrir un produit d’assurance commerciale ; le mélange des deux peut aboutir à des résultats moins qu’optimaux. Ensuite, un produits d’assurance indice pluviométrique ne réussira probablement pas dans un environnement à haut risque où le gouvernement intervient avec une compensation ponctuelle et imprévisible, par exemple sous la forme d’annulations de prêts. Ceci s’explique par le fait que les agriculteurs ne paient pas les grosses primes requises quand ils espèrent que le Gouvernement peut offrir une compensation gratuite. Cela a été l’expérience du « Fonds de mutualité pour l’indemnisation des dommages agricoles aux calamités naturelles » au Maroc (1986-88). Malgré un historique de sécheresse, une subvention de l’Etat de 30 % et une réduction des primes de 20 % au cours de l’année 2, l’assureur n’a vendu que très peu de polices parce que les agriculteurs assumaient que le Gouvernement couvrirait leurs pertes et leurs créances douteuses. Une autre initiative à la fin des années 90, appuyée par la Société de finance internationale et le Gouvernement italien, a été abandonnée lorsque la valeur des primes a été entièrement comprise. (En fait, lorsque le Gouvernement tunisien a envisagé de lancer l’assurance contre la sécheresse en 1987 et 1997, les primes de 6 % du montant assuré étaient considérées trop chères). 187. Toutefois, il y a des possibilités pour le Gouvernement de concevoir des programmes plus systématiques d’assurance sociale contre la sécheresse, ciblés sur les plus vulnérables. Il faudrait alors abandonner les subventions aux intrants (crédit, annulations, fourrage et transport) qui sont surtout favorables aux gros exploitants agricoles et se tourner vers des transferts directs ciblés, déclenchés par des situations de sécheresse. Si nécessaire, le Gouvernement peut envisager de stabiliser l’impact budgétaire de ces programmes en achetant une assurance contre la sécheresse aux réassureurs internationaux, ou en concluant des accords d’emprunt conditionnels avec des institutions financières internationales. Page 77 63 E. Le foncier rural 188. La terre est la base de la production agricole et des moyens de subsistance. C’est un domaine qui a fait l’objet d’une intervention active de la part du MARH. La présente section examine les aspects de l’environnement du régime foncier rural afin d’identifier d’éventuelles orientations nouvelles pour le Gouvernement. 189. L’analyse n’est pas concluante. Les données disponibles n’en disent pas long quant à la manière dont le régime foncier influence le comportement et la compétitivité des agriculteurs. D’autre part, toutefois, une conclusion ferme en ressort : avant de proposer des remèdes, nous devons comprendre ce qui guide les choix des agriculteurs sur le terrain. 190. La législation tunisienne reconnaît quatre formes de régime foncier : 1. Terres privées. Cette forme légale a été introduite en 1885. 4,7 millions d’hectares sont détenus en propriété privée, chiffre qui augmente au taux d’environ 70.000 ha par an. 2. Terres collectives. Cette forme légale, définie en 1901, a intégré le concept du régime foncier tribal dans le cadre de la législation coloniale française. La loi tunisienne du 4 janvier 1964 a incorporé de nombreuses dispositions de la législation antérieure régissant les terres collectives, et a conféré aux collectivités tribales la personnalité juridique et des droits fonciers exclusifs. Elle a également facilité la conversion des terres collectives en terres soumises au régime forestier. 3. Terres Habous. Le régime foncier Habous a historiquement été créé par des fondations religieuses. Les revenus des terres Habous ont financé les activités religieuses et sociales entreprises par le Djemaïa des Habous. 4. Terres domaniales. Il s’agit là du régime foncier prédominant au cours de l’époque coloniale. De 820.000 ha en 1964, elles couvrent actuellement environ 500.000 ha de terres très fertiles. Elles sont exploitées par des exploitations agricoles pilotes, les «agro-combinats» et coopératives agricoles sous la tutelle de l’Office des terres domaniales. De par la loi, l’Etat ne peut disposer de ces terres. Mais le Gouvernement peut en déléguer l’affectation aux institutions publiques, les louer, ou les donner en usufruit à de jeunes agriculteurs et à des diplômés en agriculture. L’étude n’a pas été en mesure d’examiner le régime des terres domaniales, mais certaines questions pour une réflexion future se trouvent à l’Annexe 3. 191. Avant l’indépendance, les titres fonciers étaient détenus par l’état colonial et par les étrangers. Un thème clé de la politique foncière depuis 1956 a été de promouvoir l’enregistrement de titres privés pour les citoyens tunisiens. Les terres Habous ont été abolies en 1956 et placées sous le régime des terres domaniales. 31 Il a 31 Bien que 100.000 ha demeurent sous le r égime Habous, leur potentiel productif est négligeable. Page 78 64 été mis fin à la politique de nationalisation et collectivisation des terres domaniales et privées par la loi du 22 septembre 1969. Depuis l’indépendance, 3 millions d’hectares de terres collectives ont été convertis soit en propriété privée ou placés sous le régime forestier. Bien qu’il ne soit pas obligatoire d’enregistrer les titres, plusieurs lois promulguées depuis la fin des années 90 exigent que la propriété privée soit immatriculée au cadastre [livre foncier] afin de donner droit à des droits de propriété. Ceci toutefois laisse planer une certaine ambiguïté au niveau des implications de la loi du 10 juillet 1974, qui reconnaît que l’occupation incontestée d’une terre pendant cinq ans peut donner lieu à la délivrance d’un Certificat de possession, qui peut être hypothéqué et converti en titre après une autre période de cinq ans. 192. Un deuxième thème central de la politique foncière a été le remembrement des terres dans les périmètres publics irrigués, conformément à des niveaux minimums et maximums fixes d’appropriation. Les niveaux maximums visent à développer l’appropriation et les niveaux minimums visent la viabilité et l’efficacité technique. Depuis 1977 l’Agence de la réforme agraire des périmètres publics irrigués, et ensuite l’Agence foncière agricole, ont reconfiguré la propriété foncière dans les périmètres publics irrigués. Elles l’ont fait en expropriant les terrains privés, en les transférant au domaine de l’Etat et ensuite en les redistribuant à des propriétaires privés. La nouvelle législation de 2000 a élargi le mandat de l’AFA. Si 75 % des propriétaires en font la demande, elle peut réunifier les possessions foncières dans des périmètres irrigués privés ou des zones productives en bour. Depuis 2000, l’AFA a traité de 12.000 à 14.000 ha par an sur les 200.000 ha de périmètres publics irrigués. 193. Le reste de la section examinera la politique foncière à la lumière des objectifs de politique déclarés du Gouvernement. Elle se penchera sur le rôle des améliorations de la productivité du sol pour générer des revenus plus importants pour les ménages agricoles, les implications possibles de la performance du marché foncier sur la croissance agricole, et la législation foncière en tant qu’incitation à l’investissement et la gestion effective des ressources naturelles. Comme on pourra le constater le cadre juridique et institutionnel est nettement mieux compris que les prises de décision des agriculteurs. Profil de la disponibilité foncière 194. Un des 21 objectifs de politique déclarés du Gouvernement tunisien est « un revenu meilleur pour l’agriculteur ». Dans ce contexte, il est important de reconnaître qu’une productivité accrue des sols ne pourra à elle seule générer l’augmentation souhaitée du revenu agricole par habitant. Ce point peut être illustré par comparaisons avec les pays à haut revenu et en transition. 195. En Tunisie, environ 4,5 millions d’hectares de terres sont classés comme terres agricoles, soit l’équivalent de 1,3 hectare par habitant rural et 4,7 hectares par personne employée dans l’agriculture. 2,9 millions d’hectares sont classés comme terres arables, soit 3,0 hectares par personne employée dans l’agriculture. Pour situer ces chiffres en perspectives, la disponibilité de terres arables en Tunisie par personne Page 79 65 employée, quoique faible, est typique pour la région du Sud de la Méditerranée (se référer au Tableau 15), et elle est du même ordre de grandeur que celle des pays qui ont accédé à l’UE en 2004 : 4,8 ha/personne. 32 Tableau 15. Terres arables par personne employée dans l’agriculture, 2000 Pays ha/travailleur Libye 16,8 Israël 4,8 Liban 4,0 Tunisie 3,0 Syrie 3,0 Algérie 3,0 Maroc 2,1 Jordanie 1,3* Egypte 0,3* Source : Banque mondiale / base de données GDI * principalement irriguées 196. Une comparaison avec les économies agricoles développées (Tableau 16) montre que l’augmentation dans le long terme des revenus par habitant de l’agriculture dépendra principalement du transfert de la main-d’œuvre agricole dans les secteurs, et du remembrement des possessions foncières rurales. Une comparaison entre le secteur agricole de la Tunisie et de l’Espagne, par exemple, montre que la productivité du sol en Espagne n’est que de 70 % seulement supérieure à celle de la Tunisie, en partie en raison des avantages climatiques et d’accès aux marchés, alors qu’en Espagne le ratio terre par rapport à la main-d’œuvre est trois fois supérieur à celui de la Tunisie. Ceci implique qu’un tiers seulement de la différence entre la productivité de la main-d’œuvre agricole de l’Espagne et de la Tunisie est dû à une productivité supérieure du sol, le reste étant dû à l’absorption de la main- d’œuvre rural espagnole par les secteurs de l’industrie et des services. La différence entre la productivité de la main-d’œuvre agricole de l’Australie et de la Tunisie est entièrement due au ratio terre par rapport à la main-d’œuvre plus élevé de l’Australie. Dans le cas de l’Italie, qui dispose de plus d’avantages naturels que l’Espagne, l’Australie ou la Tunisie, 35 % de la différence au niveau de la productivité de la main-d’œuvre est toujours due à un ratio terre par rapport à la main-d’œuvre plus élevé. Une comparaison avec des pays avant leur accession à l’UE est également révélatrice. Bien que la valeur ajoutée de la Tunisie par travailleur dans l’agriculture, à 2.557 $EU/an, soit du même ordre de grandeur que celle de pays tells que la Hongrie (3.391 $EU/an) et de la Pologne (1.182 $EU/an), le nombre de personnes employées dans l’agriculture a diminué en Hongrie et en Pologne de 29 % et 15 % respectivement au cours de la même période. 32 Moyenne pondérée, à l’exclusion de Chypre, Malte, et la République slovaque. Page 80 66 T ableau 16. Main- d’œuvre et productivité des sols (2000) Valeur ajoutée a gricole (milliards de $EU) Terres arables (ha) Valeur ajoutée/ h a ($EU) Main- d’œuvre a gricole ha/ travailleur Valeur ajoutée / / t ravailleur ($EU) Tunisie 2,4 2.864.000 838 941.000 3,0 2.550 Espagne 18,5 13.400.000 1.381 1.333.000 10,1 13.878 Italie 27,5 8.479.000 3.244 1.352.000 6,3 20.347 Australie 13,3 50.304.000 264 447.000 112,5 29.754 Main-d’œuvre agricole tunisienne avec productivité du sol espagnol 4,0 2.864.000 1.381 941.000 3,0 4.202 Main-d’œuvre agricole tunisienne avec productivité du sol italien 9,3 2.864.000 3.244 941.000 3,0 9.874 Main-d’œuvre agricole tunisienne avec productivité du sol australien 0,8 2.864.000 264 941.000 3,0 805 Source : Banque mondiale / base de données GDI 197. En outre, la main-d’œuvre agricole tunisienne n’est pas encore dans une phase de réduction. Elle a augmenté de 20 % entre 1993 et 2002, tandis que sa productivité a stagné (se référer au para. 28). Tableau 17. Disponibilité agrégée des terres 1970 1980 1990 1994 2000 Population (millions) 5,1 6,3 8,1 8,5 9,7 Population rurale (millions) 2,8 3,1 3,4 3,5 3,6 Terre agricole (millions d’ha) 4,8 4,8 4,7 4,5 4,5 Emploi agricole (millions) ,84 ,76 ,86 ,87 ,94 Terre irriguée (ha) 90.000 155.000 275.000 303.000 350.000 Terre agricole/habitants ruraux (ha) 1,7 1,5 1,4 1,3 1,3 Terre irriguée/habitants ruraux (ha) ,03 ,05 ,08 ,09 ,10 Source : FAO, Division du développement des terres et des eaux, Banque mondiale / base de données GDI 198. La disponibilité de l’eau constitue également une contrainte à l’augmentation des revenus agricoles sur la base d’une amélioration de la productivité des sols. 2,3 % seulement des terres arables de la Tunisie sont situés en zones humides ou sub- humides avec au moins 600 mm de pluie par an. 78,6 % sont situés en zones arides ou désertiques avec une pluviométrie de moins de 300 mm par an, et il est estimé que 88 % des terres irrigables sont déjà irrigués (Mtimet, 2004). 199. Il est dès lors dans l’intérêt à long terme de l’agriculture que la croissance des secteurs de l’industrie et des services attire la main-d’œuvre hors du secteur agricole. Ce processus impliquera de nombreux éléments, dont la stabilité macroéconomique, l’élimination du biais en faveur de l’agriculture dans les politiques commerciales (voir à partir du para. 40 et par la suite), et un environnement des affaires favorable. Une composante importante, toutefois, sera la capacité du secteur agricole à éviter la Page 81 67 fragmentation des terres et l’absentéisme en réunifiant les possessions terriennes sous la propriété d’agriculteurs actifs. Il faut pour cela un régime et un marché foncier effectifs. La performance du marché foncier 200. Les tendances de la propriété foncière en Tunisie sont une source de préoccupation. On constate de la fragmentation, de l’absentéisme, et un faible engagement de la part des jeunes agriculteurs. Ce phénomène n’est pas spécifique à un quelconque sous-secteur. Une étude commanditée par la Direction générale de la production agricole en 2002/3 a identifié l’absentéisme et la fragmentation des terres comme étant des contraintes à la production céréalière (CNEA, 2005a). Quatre- vingt-dix pour cent des agriculteurs qui cultivent des primeurs le font sur moins de 2 ha. Plus de 50 % des producteurs sont absentéistes. Et si l’on remonte à 1994, plus de 62 % des producteurs de tomates étaient âgés de plus de 50 ans (CNEA, 2005b). 201. Les données sur la propriété foncière (Tableau 18) indiquent que la fragmentation des terres est en progression ; 73 % des possessions terriennes sont actuellement de moins de 10 ha, soit une hausse par rapport à 64 % en 1976. 202. L’hypothèse est que les petits agriculteurs ne sont pas compétitifs. Les grossistes et détaillants du secteur formel en Tunisie et à l’étranger préfèreront la plus grande prévisibilité de l’offre, les moindres coûts des transactions, et la standardisation de la qualité offerts par les grands agriculteurs : par exemple, 10 producteurs d’agrumes représentent 80 % des ventes à l’exportation et quatre exportateurs de dattes s’attribuent 36 % du marché et il est estimé qu’il faut 10 ha de tomates pour justifier le coût d’un camion frigo. 203. Il est dès lors souvent proposé que le Gouvernement intervienne activement pour empêcher la fragmentation et encourager le remembrement ; à titre d’exemple la Banque mondiale a proposé dans les années 80 que le programme d’action du Prêt à l’ajustement du secteur agricole couvre une législation sur la taille minimum des exploitations agricoles en bour, que le Gouvernement entreprenne activement de consolider les exploitations de dimension insuffisante, et que les lois islamiques régissant l’héritage soient amendées pour éviter la subdivision au-delà de seuils spécifiés. Page 82 68 Tableau 18 . Evolution de la taille des possessions terriennes % de superficie totale % des possessions totales Taille moyenne Taille de l’exploitation (ha) 1976 1980 2005* 1976 1980 2005 1980 <5 6 6 9 41 42 53 2 5-10 11 10 12 23 22 20 7 10-20 16 18 17 20 20 15 13 20-50 21 23 23 11 12 9 29 50-100 12 12 11 3 3 2 64 >100 34 24 26 2 1 1 297 * = estimation, basée sur les tailles moyennes des exploitations en 1980 au sein de chaque catégorie. Source : Banque mondiale (1976, données de 1980), MARH (données de 2005) 204. L’immatriculation foncière est également considérée comme un défi politique. Vingt-cinq pour cent des titres ont été immatriculés dans les années 60, et pour environ un septième des titres enregistrés l’immatriculation était obsolète, condition désignée sous l’appellation de « titre gelé ». En 2001, environ la moitié du stock foncier était immatriculée, l’autre moitié étant considérée comme ne valant pas la peine d’être immatriculée (Rochegude, 2005). Des données actualisées fiables font toutefois défaut : on estime (Gharbi, 1998) q u’environ 34 % des exploitations agricoles n’ont soit pas de titre ni de certificat de possession . On soupçonne aussi que les titres gelés sont répandus, encouragés en cela par le coût de l’immatriculation de 30-50 $EU par hectare et les impôts d’immatriculation foncière qui atteignaient jusqu’à 15 % dans les années 80. 33 205. Toutefois, il ne faudrait pas automatiquement assumer que le remembrement et l’immatriculation sont des enjeux politiques majeurs. · De nombreux terrains se trouvent toujours dans de grandes exploitations : 60 % dans des exploitations de 20 ha ou plus. Ceci n’est pas dû seulement aux grandes possessions de parcours arides dans le Sud. Depuis 1980 les possessions terriennes de 20 ha et plus ont été surreprésentées dans les zones à plus forte pluviosité du Nord- est et du Nord-ouest. Depuis 1976 la part de l’ensemble des terres se trouvant dans des possessions de moins de 10 ha sur l’ensemble du pays n’a augmenté que de 2 points de pourcentage seulement, sûrement pas une incursion majeure dans les ressources foncières du pays. En d’autres termes, il reste suffisamment de terrains pour la grande agriculture et la commercialisation. 34 · Deuxièmement, le Gouvernement (MDCI) classe 24 % des exploitations agricoles soit dans la catégorie « sociale » ou « familiale ». Les pratiques de ces agriculteurs continueraient probablement d’être non commerciales même s’ils pouvaient consolider leurs possessions. 33 Les im pôts sur les transferts immobiliers sont actuellement de 5 %, plus 1 % pour l’immatriculation. 34 Une exception localisée pourrait être celle des terres aménagées pour les cultures géothermiques, domaine où les grandes exploitations limitent les économies d’échelle pour la commercialisation des légumes (CNEA, 2005b). Page 83 69 · Troisièmement, il n’existe pas d’évidence empirique que le régime foncier rende les exploitations agricoles inefficientes. Une récente enquête informelle a estimé que 5,7 % des terres sont « sous-utilisées » à l’échelle nationale, ce chiffre passe à 1,9 % et 1,8 % dans les zones plus fertiles du Nord et du Centre. Bien que la méthodologie de l’échantillonnage et les définitions ne soient pas claires, ceci n’indique pas a priori un échec de marché important. · Quatrièmement, nous ne savons pas si les propriétaires fonciers souhaitent vraiment le remembrement, mais ne le peuvent pas en raison des lois et des institutions. Si le désir de consolidation fait défaut, les interventions de politique ne peuvent faire en sorte qu’elle se matérialise. 206. Dès lors est-ce le marché foncier ou le propriétaire foncier qui fait obstacle au remembrement ? Rochegude (2005) a trouvé que le cadre juridique tunisien est favorable à la délivrance de titres et à l’immatriculation foncière, quoique l’accumulation de législations se chevauchant au cours des années soit à l’origine d’une législation complexe. Le transfert de la propriété et les taxes d’enregistrement ne sont vraisemblablement plus problématiques. Les impôts sur le transfert immobilier sont actuellement de 5 %, plus 1 % pour l’immatriculation, soit une baisse par rapport à 15 % dans les années 80, et ils passent à 2,5 % en cas de succession aux enfants ou au conjoint. 207. S’il existe un problème majeur, ce serait que le cadre institutionnel est inaccessible à l’agriculteur ordinaire. L’immatriculation foncière se fait exclusivement à Tunis, et implique trois ministères distincts. Le Ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières maintient le registre des terres agricoles. Le Ministère de l’Equipement est responsable de la délimitation et de la cartographie des terrains. Le Ministère de la Justice est responsable du Tribunal immobilier, qui statue en matière d’immatriculation foncière. Il est estimé que dans les années 80 les services responsables de l’immatriculation avaient les capacités pour s’occuper de 22.000 ha par an. Maintenant que l’AFA intègre annuellement 12.000 à 14.000 ha au système 35 et que le marché foncier urbain s’est développé de manière exponentielle, les services d’immatriculation peuvent être un goulet d’étranglement pour le citoyen privé rural. Ceci concorderait avec l’observation selon laquelle des procédures d’immatriculation lentes et encombrantes constituent un obstacle pour les investisseurs industriels (Banque mondiale, 2000). Si les enquêtes auprès des utilisateurs confirment que l’inaccessibilité des institutions fait en effet obstacle au marché foncier, une solution consisterait à établir un guichet unique. Une autre solution consisterait à promouvoir, dans le cadre de la législation et de campagnes de communication, le recours au Certificat de possession, qui actuellement n’est reconnu que comme une « forme transitoire et exceptionnelle de statut foncier » (Rochegude, 2005). 35 La loi du 11 août 1976 sur l’expropriation immobilière dans l’intérêt public, qui couvre ces opérations, a mis en place des procédures extrêmement coûteuses. Des délais de deux ans entre l’expropriation et la compensation étaient courants, et ils pouvaient dans des cas exceptionnels prendre sept ans (e.g. n°80- 72 du 28 mai 1980). La loi du 14 avril 2003 pourrait accélérer le processus. Page 84 70 208. Mais la terre est un avoir tout autant psychologique qu’économique. Même si 64 % de la population est maintenant classés comme urbains, la possession de terre rurale est perçue comme partie de leur identité, ce qui encourage la possession absente. L’héritage est déterminé par la loi et la coutume musulmanes. Une épouse survivante reçoit un huitième de la propriété et les fils et filles survivants le reste sur une base de 2 à 1. Cette pratique peut produire la fragmentation et la possession conjointe, mais elle fait du sens d’un point de vue social et religieux. Tous ces facteurs se combinent pour encourager des modalités foncières informelles. Souvent le propriétaire conserve le titre tout en déléguant la possession de facto à une de ses relations ou un voisin. Et cela continuerait à se produire même avec un marché foncier parfaitement efficace. Investissement étranger 209. L’investissement direct étranger dans l’agriculture est politiquement contentieux, mais n’encourage pas la compétitivité et les exportations. Le pays receveur reçoit non seulement du capital, mais aussi de la technologie et un système de commercialisation tout fait. En Chine par exemple, l’investissement direct étranger tourne autour d’1 milliard de $EU par an, essentiellement dans l’horticulture et la floriculture pour exportation (Sellami, 2005). Les investisseurs dans l’agriculture chinoise reçoivent les mêmes avantages fiscaux que les investisseurs dans des zones éloignées et déshéritées. Le Vietnam a passé une législation permettant l’investissement étranger dans des terres agricoles en 2001 et 15 projets agricoles ont reçu des investissements étrangers en 2002 (Vietnam Economic Times, 8 janvier 2003). Au Chili, il n’y a pas de limite sur le pourcentage ou la durée de la possession étrangère d’entreprises conjointes, entreprises locales, bâtiments ou terrains (Décret Loi 600 de 1974). 210. En Tunisie, la participation étrangère dans les terres agricoles est illégale depuis 1964. Conformément à la législation de 1989, seules les compagnies avec 100 % de participation tunisienne peuvent être propriétaires de terres agricoles. De nombreux pays permettent des baux emphytéotiques dans lesquels le loyer est inversement à la valeur de l’investissement par le titulaire du bail. Le but est d’encourager l’investissement autocentré étranger sans mettre la terre dans des mains étrangères. En Tunisie toutefois, les baux emphytéotiques sont explicitement bannis par le Code des Droits réels 36 . De plus, la loi du 13 janvier 1995 ne permet que les baux à long terme pour les Sociétés de Mise en Valeur agricole – qui sont définies comme étant à participation tunisienne à 100 %. 211. Les limitations de l’appropriation foncière par des étrangers ne sont pas uniques à la Tunisie ; en Suisse, la propriété de la terre rurale et urbaine est limitée aux Suisses, et en Turquie, la législation permettant la participation étrangère dans 36 Art 191 Code des Droits réels : « Son t interdits, à compter de la date d’entrée en vigueur du présent code, toute constitution d’emphytéose, tout renouvellement des baux emphytéotiques en cours et toute constitution d’un droit de superficie, d’enzel ou de kirdar ». Page 85 71 des terres agricoles a été interdite par la Cour Suprême dans son jugement du 14 mars 2005. Toutefois, en Tunisie une relaxation des conditions de participation locale à 100 % et l’introduction de baux emphytéotiques et d’autres baux à long terme pourraient au moins laisser la porte ouverte à des investisseurs en puissance sans risque d’abandonner le contrôle national. 212. A première vue, il semble que la loi foncière tunisienne pourrait être un obstacle à l’investissement étranger. Mais une fois encore, la situation légale est mieux comprise que l’économie : nous ne savons pas si les investisseurs potentiels des agro-industries considèrent le statut foncier agricole comme un obstacle. Statut foncier et ressources naturelles 213. Le statut foncier est crucial pour la durabilité des ressources naturelles renouvelables, telles que les parcours et les forêts. L’analyse d’un vaste échantillon d’études de cas laisse entendre qu’il n’y a pas de forme « correcte » unique de statut : l’arrangement qui contrôle l’usage efficacement dans un contexte spécifique est l’arrangement approprié (Gibson et al. 2004). 214. L’instrument juridique pour les objectifs de conservation des forêts et des parcours du Gouvernement est le Code forestier. Le Code s’applique à 2,8 millions d’ha, alors qu’il s’appliquait à 0,7 million en 1987, et prend plusieurs formes de statut foncier : 1 million d’ha dans le domaine de l’Etat, 1,7 million d’ha de parcours collectifs et 47.000 d’ha de propriétés privées. 215. La performance du Gouvernement (16.000 ha) par rapport aux cibles du Plan 2002-05 (12.000 ha) pour la plantation de couvert forestier dans le domaine de l’Etat suggère que la propriété de l’Etat n’est pas une contrainte à la croissance de la plantation de couvert forestier. Toutefois, le taux le plus élevé de réalisation des cibles du Plan pour les plantations de forêts et de parcours s’est produit sur les terres privées, où les taux d’exécution étaient de 163 % et 118 % respectivement pour la période 2002-06. Le statut foncier a été identifié comme un obstacle au reboisement le long des oueds et des routes, dans les zones urbaines et dans les périmètres d’irrigation. 216. Une fois encore, il y a un problème sur la façon dont nous représentons ce qui se passe dans le secteur forestier. Dans la logique de la planification quantitative, l’accent est mis sur le nombre d’hectares plantés et le nombre de GFIC. C’est ce qui est le moteur du Plan, ce qui est le moteur de la collecte des données, des allocations du budget Partie II et des programmes de travail du personnel du Ministère. Mais on peut se demander honnêtement si nous comprenons réellement les forces qui poussent les personnes locales à conserver les ressources naturelles – ou à les surexploiter. Et sans les comprendre, pouvons-nous les gérer ? 217. En fait, la dégradation des forêts non domaniales est une préoccupation. Le Code forestier permet à la population des droits d’usage limités : le ramassage du bois mort et de broussailles, le pâturage, la collecte de produits forestiers spécifiques et la Page 86 72 culture de parcelles de terre spécifiées. Ces droits sont gratuits, mais restreints à la production pour consommation domestique. Dans la réalité toutefois, le Gouvernement ne peut arrêter l’usage illégal et excessif des ressources forestières ; les ressources et la capacité d’application limitées du Gouvernement signifient que la propriété de l’Etat n’est pas une garantie contre la dégradation des terres (Rouchiche and Abid, 2002). Même si la terre dans le domaine de l’Etat ne peut pas être aliénée, la réponse du Gouvernement a été pragmatique : l’Article 75 du Code forestier a été révisé en 2005 pour permettre aux Groupements forestiers d’intérêt collectif (GFIC) de conclure des concessions jusqu’à 30 ans pour ces terres. L’effet sera d’introduire des éléments de droits de propriété communs pour les terres forestières de l’Etat. L’aménagement des terres 218. Certains décideurs sont préoccupés du fait que l’expansion urbaine érode le stock de terres agricoles productives. Il est important toutefois de mettre cette manière de voir le problème en perspective. Tout d’abord, à un taux estimé de 4.000 ha par an (Mtimet, 2004), un pour cent seulement du stock de terres agricoles est transféré à l’usage urbain tous les 12 ans. Ceci représente moins d’un cinquième du taux de perte par l’érosion. Ensuite, la conversion des terres à usage agricole indique généralement qu’elles ont une valeur plus élevée en tant que propriété résidentielle ou commerciale, ce qui est un gain net pour l’économie. Enfin, l’expérience globale laisse entendre qu’il est très dur d’appliquer des contrôles sur la conversion des terres agricoles fertiles, à moins qu’un vaste stock de sites alternatifs de construction ne soit disponible. En bref, la conversion d’une petite fraction de la terre agricole de la Tunisie à d’autres usages est une caractéristique inévitable et positive du développement du pays. 219. Ceci dit, il peut y avoir lieu d’améliorer l’aménagement des terres. Le Code de l'Aménagement du Territoire et de l'Urbanisme du 28 novembre 1994 offre une base juridique, entre autres, pour « une répartition rationnelle entre les zones rurales et urbaines » (Article 1). L’Article 5 du Code prévoit la préparation de « schémas directeurs d’aménagement », comme instrument pour équilibrer différentes utilisations de la terre. Cet article fait référence spécifiquement à l’agriculture. Toutefois, alors que le Code spécifie des mécanismes détaillés pour l’application des plans d’aménagement urbain, il semble qu’il n’y ait pas d’instruments légaux pour assurer que la terre identifiée comme agricole dans le « schéma directeur » est utilisée comme telle. L’aménagement des terres ayant été transféré aux régions en 1989, la question est de voir comment le « schéma directeur » s’applique aux décisions des administrations locales. La voie de l’avenir 220. En résumé, le premier pas vers la définition d’une stratégie de marché foncier est de définir le problème. Le problème des agriculteurs qui ne s’alignent pas sur la politique du Gouvernement en consolidant et en enregistrant les exploitations peut ne Page 87 73 pas être du tout un problème du point de vue des agriculteurs. Il est par conséquent essentiel d’étudier la réalité du statut foncier sur le terrain, en se basant sur des données quantitatives et empiriques rigoureuses. Cette étude examinerait : · La situation actuelle du statut foncier, non seulement le statut juridique formel mais aussi les modalités de facto de propriété et de gestion ; · S’il est possible de démontrer une corrélation causale entre le statut foncier et les pratiques agricoles ; · Comment la sous-utilisation de la terre peut être valablement définie et mesurée ; · Quels facteurs légaux, financiers, institutionnels et culturels déterminent la participation des gens au marché foncier rural et comment ils affectent des phénomènes tels que la fragmentation, les titres gelés et l’absentéisme ; · Quels sont les contraintes de coûts et de capacité impliqués dans les transactions foncières ; · Si l’interdiction de possession de terre décourage l’investissement étranger dans les agro-industries ; · Comment les différents régimes fonciers affectent la durabilité des forêts et des parcours ; · Si les agriculteurs ne sont jamais capables de prendre une décision rationnelle concernant la conversion de la terre à des usages non agricoles, e.g., parce qu’ils sont forcés par de puissants intérêts locaux. 221. Pour réitérer un point mentionné précédemment, la recommandation pour d’autres études de terrain n’est pas un prétexte à un manque de recommandations plus précises. Une recherche sur le terrain sur les manières de voir et les attitudes des agriculteurs est une composante très importante de la réorientation proposée du rôle du MARH. Comme dans d’autres domaines, le rôle du Gouvernement en matière de statut foncier deviendrait moins celui qui applique des solutions administrativement logiques. Au contraire, le Gouvernement chercherait de plus en plus à comprendre ce que les parties prenantes exigent d’un système foncier et à répondre à cette demande telle que perçue et exprimée. 222. En fonction des conclusions de cette étude, un nombre de mesures de politiques pourraient être envisagées, incluant : · La création de guichets uniques locaux pour les transactions foncières ; · La simplification des procédures administratives ; · La mise à jour des lois foncières dans un code intégré ; · La législation et une campagnes de communication pour promouvoir la reconnaissance du Certificat de Possession ; · Des pénalités fiscales pour la fragmentation des terres 37 ; · L’introduction de baux emphytéotiques à long terme pour les étrangers ; · De nouveaux mécanismes pour le zonage de la terre à usage agricole. La Carte agricole (voir Annexe 2) offre une grande partie de l’information requise. 37 Toutefois, les taxes foncières sont également une incitation à ne pas enregistrer la terre. Page 88 74 · Un choix politique : reco nnaître que la situation actuelle reflète les priorités culturelles et économiques des agriculteurs à une époque de transition sociale rapide et maintenir le statu quo. F. Perspectives sociales sur la politique agricole Introduction 223. L’agriculture n’est pas seulement une source de croissance. Elle est la base de moyens d’existence, de sorte que la réforme doit être analysée avec une vision sociale aussi bien qu’économique. L’objectif de cette section est de i) décrire le contexte social de l’agriculture ; ii) d’exposer les implications sociales des changements suggérés dans les sections antérieures, et iii) d’essayer d’offrir des mesures d’atténuation potentielles, devant faire l’objet d’un examen par une AISP 38 . 224. Grâce à l’engagement de longue date du Gouvernement vis-à-vis du développement social, les indicateurs sociaux et d’égalité entre les sexes de la Tunisie sont parmi les meilleurs de la région. Un objectif du 10 ème Plan est que tous les groupes sociaux devraient participer aux bénéfices du développement économique et social. Depuis le 9 ème Plan, le Gouvernement a fait des efforts pour promouvoir la participation des bénéficiaires à la conception et à la mise en œuvre des projets agricoles. Une attention particulière a également été portée à l’inclusion des femmes rurales. 225. La Tunisie a l’un des taux de pauvreté le plus bas de la région MENA. L’indice numérique de la pauvreté a diminué de 8 % à 4 % entre 1995 et 2000. Néanmoins, d’importantes différences entre le milieu rural et urbain existent. 8,3 % de la population rurale sont pauvres contre 1,61 % de la population urbaine. On trouve des poches de pauvreté sévère dans les zones rurales éloignées. 226. En 1995 les taux de pauvreté étaient les plus importants dans le Nord-ouest, suivi par le Centre-ouest et le Sud. L ensemble de ces trois zones comptaient environ 80 % des pauvres. 39 Les données de 2000 ont indiqué que les niveaux de pauvreté diminuaient plus régulièrement dans le Nord-ouest que dans le Centre-ouest et le Sud, peut-être en raison d’une meilleure pluviométrie et d’un accès aux transfert de fonds des expatriés. En 2000, le Centre-ouest groupait 40 % des pauvres contre seulement 13 % de non pauvres. De même, en 2000, le Sud comptait autant de pauvres que le Nord-ouest (Banque mondiale, 2003). L’importance sociale de l’agriculture 38 Une Analyse d ’impact social et sur la pauvreté (AISP) évalue les impacts distributionnels des réformes de politique sur le bien-être de différents groupes de parties prenantes, en se portant particulièrement sur les pauvres et les vulnérables. Elle traite également les questions de durabilité des réformes et les risques d’une mise en œuvre réussie dérivés des impacts sociaux des changements de politique. 39 République de Tunisie : Mise à jour des conditions sociales. Volume 1 (2000). Page 89 75 227. Les taux de pauvreté ne sont pas particulièrement élevés dans le secteur agricole dans son ensemble. Mais en 2000, les travailleurs agricoles sans terre chefs de ménage étaient parmi les plus pauvres—juste après les chômeurs (Banque mondiale, 2003). La pauvreté a aussi été associée à la grande taille des ménages. 228. Le changement démographique transforme le milieu rural. La population rurale est passée de 45 % de la population totale en 1986 à 34 % en 2001. 67 % des Tunisiens résident actuellement dans les cités et les villes. En 2004 la population active agricole représentait 16 % de la population active totale de la Tunisie, soit une baisse par rapport à 24 % en 2000. 78 % des agriculteurs vivent en milieu rural. 229. La main-d’œuvre agricole est essentiellement familiale et représente environ un million de personnes, pour la plupart probablement des femmes. Seule une minorité de travailleurs familiaux travaillent à temps plein dans l’agriculture : soit l’équivalent de 275.000 employés permanents. 40 Il y a seulement 190.000 travailleurs agricoles salariés. 230. L’âge moyen des agriculteurs augmente rapidement alors que les jeunes migrent vers les villes. En 1995, la date pour laquelle nous avons les données les plus récentes, l’âge moyen des agriculteurs était de 53 ans, 37 % ayant plus de 60 ans, contre 20 % dans les années 60. Le niveau d’éducation demeure également faible parmi les agriculteurs ; 88 % n’ont pas été au-delà du primaire. 231. 56 % des agriculteurs dépendent principalement de l’agriculture pour leur subsistance (données de 1995), pour 35 % l’agriculture est une importante source secondaire de revenus, et pour 6 % la production agricole n’a qu’une contribution limitée. Une grande exploitation dépendra vraisemblablement davantage de l’agriculture qu’une exploitation plus petite. On constate également des différences régionales. Par exemple, la moitié des agriculteurs de Médenine ont une activité secondaire importante, contre 15 % à Le Kef. 232. Dans l’ensemble de la région, les femmes quittent moins l’agriculture que les hommes et une part croissante des emplois des femmes se trouve dans le secteur agricole (Banque mondiale, 2004a). Les femmes tunisiennes ont toujours joué un rôle essentiel – mais souvent non reconnu – en tant que main-d’œuvre familiale non rémunérée, travailleurs salariés et, pour une minorité, chef d’exploitation. Une enquête récente a indiqué que 96 % des membres féminins des ménages agricoles ont déclaré être des travailleurs agricoles familiaux non rémunérés. Le secteur agricole est le troisième plus important employeur de femmes tunisiennes. La plupart des travailleurs agricoles salariés féminins sont saisonniers et leur nombre augmente, en particulier dans les grandes entreprises d’arboriculture et de cultures maraîchères. 233. En outre, le rôle des femmes dans l’agriculture devient qualitativement plus important. Le vieillissement de la population rurale, la migration des hommes, et la diversification en faveur de l’élevage sont autant d’aspects qui imposent de nouvelles 40 Présentation par M. Badr Ben Ammar, Directeur général Etudes et Développement agricole, Ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques, Tunis, décembre 2005. Page 90 76 responsabilités aux femmes (Banque mondiale, 2005c). Toutefois, les services de vulgarisation visent plus les hommes que les femmes, même lorsque les femmes sont chefs d’exploitation agricole. 234. Ceci se produit dans un contexte où les femmes rurales de familles pauvres ont toujours moins d’opportunités pédagogiques que les autres groupes sociaux. L’analphabétisme parmi les femmes rurales plus âgées demeure une problématique particulière. En 1999 la moitié d’entre elles étaient analphabètes contre un quart des femmes urbaines (Banque mondiale, 2005c). 235. La taille de l’exploitation est extrêmement faussée. 53 % des agriculteurs utilisent moins de 5 hectares tandis qu’un quart des terrains agricoles du pays est cultivé par un pour cent des agriculteurs ayant plus de 100 hectares. 236. Le Gouvernement classe les exploitations en trois catégories sur la base leur taille et des revenus : - les Grandes Exploitations ; - les Petites et Moyennes Exploitations Agricoles à Caractère Economique (PMEACE) - la Petite Agriculture à Caractère Familial et Social (PACFS 41 ). Le Ministère du Développement et de la Coopération internationale (MDCI) classe 24 % des exploitations dans la catégorie « sociale » ou « familiale ». 42 237. Pour comprendre le phénomène de la pauvreté et de la vulnérabilité dans le secteur tunisien de l’agriculture, nous examinerons le PACFS dans le détail. Parallèlement il nous faut garder à l’esprit que certaines PMEACE n’ont que des petites exploitations et qu’elles peuvent être vulnérables aux changements de politique. PACFS 238. Il y a environ 186.000 PACFS. Elles cultivent un million d’hectares avec une taille d’exploitation moyenne de 5,7 ha. Il est difficile de généraliser leurs systèmes de production, mais : 41 Les PACFS sont définies par les caractéristiques suivantes : i) disposer d’un revenu net d’exploitation (agricole) – RNE – inférieur à 3.500 DT, seuil de viabilité de l’exploitation agricole ; ii) avoir l’agriculture comme activité principale (ou à défaut comme revenu principal) ; iii) ne pas disposer d’une main-d’œuvre salariée permanente (non familiale). 42 En termes de la taille de l’exploitation, trois types d’agriculteurs sont généralement reconnus (les 53 % qui cultivent moins de 5 hectares) ; les agriculteurs de taille moyenne (qui cultivent entre 5 et 10 hectares) qui représentent 20 % de la population agricole ainsi que ceux qui cultivent entre 10 et 50 hectares (24 % des agriculteurs) ; et les grands agriculteurs, qui cultivent entre 50 et 100 hectares et qui représentent 3 % de la population agricole qui exploitent 2 % des terres. Page 91 77 - Dans les zones irriguées, leur revenu provient principalement de l’arboriculture (olives, dattes et vergers : 50 %) et du bétail (25 %), ainsi que des cultures maraîchères. - Dans les exploitations agricoles en bour du Nord et du Centre les systèmes culturaux et les revenus sont souvent dominés par les « grandes cultures » [cultures de plein champ] et par l’arboriculture. - Les exploitations agricoles en bour du Sud ont moins de cultures de plein champ, pratiquent davantage l’arboriculture et élèvent du petit bétail. L’arboriculture des PACFS consiste principalement en la culture d’oliviers, d’amandiers et de pistachiers. Les systèmes de culture des exploitations mixtes comprennent, entre autres, la culture irriguée des olives, les cultures maraîchères, et la production de lait. 239. Les PACFS dépendent de la main-d’œuvre familiale et recrutent occasionnellement de la main-d’œuvre saisonnière. Les femmes ont davantage tendance à élever du bétail et de la volaille, à s’occuper d’activités artisanales, de la transformation des aliments et se chargent de travaux spécifiques des champs tels que le sarclage. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, la croissance des secteurs du lait et de la viande de bœuf est principalement due à la main-d’œuvre féminine. 240. Les PACFS, et en particulier les plus pauvres d’entre elles, ne font pratiquement pas appel au crédit formel. L’accès physique (distance) et les procédures bureaucratiques limitent leur accès. Mais 87 % des PACFS déclarent qu’elles se serviraient du crédit s’il était plus accessible et adapté à leurs besoins. Les prêts informels entre membres de la famille, entre voisins, etc. sont relativement courant, en particulier parmi les PACFS plus aisées. 241. Des études spécifiques consacrées aux PACFS indiquent que les contraintes mentionnées dans les sections précédentes s’appliquent à l’ensemble du secteur agricole. Il s’agit notamment : de la faible capacité à investir, d’un accès insuffisant au crédit, à la faible organisation des agriculteurs, du peu d’accès à l’information relative à la vulgarisation, formation, recherche, et au marché, une population vieillissante, et la fragmentation des terres. Gérer les aspects sociaux du changement institutionnel 242. Les sections précédentes du rapport ont décrit comment réaligner la relation entre le Gouvernement et les agriculteurs. La suggestion est que le Gouvernement pourrait restructurer les institutions et les procédures afin de les rendre mieux capable de répondre aux besoins des agriculteurs. Cette approche pourrait être appliquée aux services de vulgarisation, à la recherche, aux organisations d’agriculteurs, à la gestion budgétaire, et aux institutions de crédit et celles concernant le régime foncier. 243. Mais nous avons vu que les agriculteurs constituent un groupe très diversifié. Alors que le Gouvernement tente d’être plus réactif à leurs besoins, il y a un risque que ce dialogue soit récupéré par les grands exploitants et les hommes uniquement, à l’exclusion des petits exploitants, des paysans sans terre, et des femmes. Page 92 78 244. Un rôle clé pour le Gouvernement sera de veiller à ce que le dialogue agriculteur-Gouvernement (consultations et recherche) soit structuré de façon à intégrer la diversité des acteurs. Le principe clé est la désagrégation par statut socioéconomique et genre qui devrait être appliqué, par exemple, au choix des organisations consultées, à la constitution de groupes de discussion, à la conception des enquêtes, à la définition des cibles et à la sélection des indicateurs de suivi. Le MARH peut s’inspirer de sa propre expérience en matière de participation des agriculteurs (ODESYPANO) et de collecte de données d’enquête désagrégées (la récente étude PACFS). La gestion des s impacts sociaux de la réforme du marché 245. Les conséquences sociales potentielles d’une réduction des tarifs et des prix garantis aux producteurs céréaliers exigent une analyse détaillée. Les enjeux sont complexes et que partiellement compris ; la section suivante identifie les principaux enjeux critiques qui devront être étudiés plus à fond. 246. La libéralisation affectera différents acteurs via l’emploi, les prix (production, consommation et salaires), les actifs et les transferts (Chemingui et al 2005). Elle affecte la demande en main-d’œuvre, ce qui touchera particulièrement le bien-être des ménages à bas revenus et déjà confrontés à des difficultés. Les impacts sociaux précis sont difficiles à prédire et dépendront du contexte, de la nature, et du rythme des réformes elles-mêmes. A ce stade, nous ne pouvons que faire des prédictions générales. 247. La Section III.A identifie très approximativement les gagnants et les perdants de la libéralisation du marché. D’une perspective sociale, quelques points importants émergent : - Les exploitations agricoles qui ne sont pas négativement touchées par la libéralisation se trouvent principalement dans les deux régions les plus pauvres du pays, le Centre- ouest et le Sud. Les sous-secteurs classés par ce modèle comme étant des « gagnants » sont l’élevage, l’arboriculture et l’horticulture qui sont géographiquement dispersés et s’inscrivent pour environ 60 % de l’emploi de la main-d’œuvre agricole. - Les « perdants » sont les producteurs céréaliers, quelle que soit leur taille, du Nord et du Nord-ouest, en particulier Le Kef et Beja. Ces gouvernorats sont parmi les plus pauvres du pays et comptent un nombre important de PACFS qui cultivent des céréales avec de la main-d’œuvre familiale. 80 % de ces agriculteurs céréaliers ont plus de 40 ans. Relativement moins d’agriculteurs de ces régions disposent de sources de revenues hors agriculture : 15 % au Kef. Une large proportion des opérations agricoles publiques sur les terres domaniales sont céréalières et situées dans la zone fertile du Nord et du Nord-ouest et s’inscriraient donc dans cette catégorie. Ces exploitations emploient une main-d’œuvre saisonnière pauvre, principalement sans terre et vulnérable. - La libéralisation peut créer de meilleurs emplois pour les travailleurs mieux qualifiés dans les secteurs des fruits, légumes, et dans l’agro-industrie. Page 93 79 - Les pauvres tireront proportionnellement les bénéfices les plus importants de prix alimentaires plus bas. L’accent initial de l’analyse devrait donc porter sur la vulnérabilité des petites exploitants propriétaires et des travailleurs céréaliers du Nord et du Nord-ouest. 248. Le taux de chômage en Tunisie est important (15 % - INS, 2000), et l’impact de la libéralisation sur l’emploi est un enjeu de politique majeur (Banque mondiale, 2004a). Avec la libéralisation du marché, de la main-d’œuvre sera « libérée » de l’agriculture en faveur d’autres secteurs, et au sein de l’agriculture, des céréales en faveur d’autres spéculations. 43 249. Face à une libéralisation partielle, 13.300 emplois seraient vraisemblablement affectés (Ideaconsult, 2005a) ; le modèle CGE a estimé que quelque 87.000 emplois seraient « transférés » hors du secteur agricole dans le cas d’une libéralisation totale. Si seules les cultures de plein champ (essentiellement les céréales) étaient libéralisées, moins d’emplois agricoles seraient perdus (environ 9.000) du fait que ces cultures demandent un niveau relativement faible de main-d’œuvre ; il est également assumé que les agriculteurs opteraient pour une diversification en faveur d’autres cultures à plus forte intensité de main-d’œuvre par hectare. 250. Jusqu’à présent, toutefois, le secteur non agricole n’a pas été en mesure d’attirer la main-d’œuvre agricole vers des activités plus productives. La structure agrégée de l’emploi est demeurée relativement stagnante. La récente Stratégie pour l’emploi en Tunisie, de la Banque mondiale, indique que la cible de 80.000 emplois par an (esquissée dans le 10ème Plan de développement) dépend largement des emplois dans l’agriculture et l’administration, ce qui n’est pas à long terme une option viable de création d’emplois (se référer à la section sur les terres rurales). Le recyclage de la main-d’œuvre déplacée implique des coûts importants, et certains travailleurs risquent de ne pouvoir être « recyclables ». 251. Il y a donc un risque réel que les gains potentiels des réformes ne se réalisent pas parce que la main-d’œuvre ne pourra pas être transférée vers des secteurs plus compétitifs de l’économie. Les travailleurs les moins qualifiés et ceux qui ne sont pas en mesure de s’adapter seront les plus vulnérables. Des tensions sociales peuvent croître au détriment des stratégies d’adaptation (diversification des sources de revenu) qui en souffriraient (Banque mondiale, 2001). 252. En outre, tel que noté ci-dessus, les femmes ont tendance à quitter l’agriculture à un rythme plus lent que les hommes. Le ratio de dépendance des populations rurales pourrait être exacerbé davantage si les jeunes filles et les femmes sont laissées à la traîne pour s’occuper des parents âgés. Dans d’autres pays, lorsque les hommes quittent l’agriculture les femmes tendent à devenir des agricultrices de subsistance, car elles ne disposent pas de suffisamment de main-d’œuvre pour une 43 L’expérience recueillie en Tunisie montre que les travailleurs passent de l’agriculture à la construction lorsque la situation de l’agriculture est défavorable, du fait que la construction emploie également une main-d’œuvre peu qualifiée. Page 94 80 agriculture plus intensive. Cette situation s’accompagne souvent d’une recrudescence de la pauvreté. Les options de politique sociale 253. Les mesures sociales devront être aussi diverses que la population locale; elles devront tenir compte de l’âge, du genre, et de la localisation géographique des agriculteurs concernés. Ceux qui perdront à cause de la réforme et qui auront des difficultés à s’adapter devront faire l’objet d’attentions particulières. Ce groupe comprendra probablement les plus pauvres et les plus vulnérables, y compris les paysans sans terre, les personnes âgées et malades, les travailleurs saisonniers, etc. Parce que la dynamique du changement n’apparaîtra clairement qu’au fur et à mesure qu’elle se produit, la mise en œuvre devra donc être aussi graduelle et accompagnée d’une Analyse détaillée des impacts sociaux et sur la pauvreté (AISP), faite de façon participative avec toutes les parties prenantes. 254. Le ciblage des programmes actuels concernant le marché de l’emploi (PAME) devra être renforcé. Bien que le Gouvernement joue un rôle central en matière de protection sociale par le biais des emplois importants fournis par le secteur public, la lourde réglementation du marché de l’emploi, le strict contrôle de la formation professionnelle, les programmes en cours concernant le marché de l’emploi (PAME) (Banque mondiale, 2004a) et la protection sociale, sont autant de programmes dont le ciblage est inadéquat (Banque mondiale, 2004c). 44 Les dispositifs de création d’emplois, principalement le microcrédit et les interventions axées sur les jeunes, constituent la catégorie de dépenses la plus importante du PAME ; elles représentent 90 % des dépenses totales. La majorité de ces programmes bénéficie aux jeunes diplômés qui ne représentent que 6 % seulement des sans emplois et qui vivent principalement en milieu urbain. La majorité des chômeurs (80 %) a un niveau d’éducation primaire ou inférieur. Enfin, malgré des dépenses importantes, seule une faible proportion de la force de travail participe aux PAME – 5,3 % de la population active en 2002 (Banque mondiale, 2004c). 255. Le décalage des programmes PAME est illustré par les programmes de micro- finance qui en principe sont ciblés sur les chômeurs et les travailleurs à risque. Moins d’un tiers de ces programmes sont en milieu rural et une étude consacrée à trois programmes de micro-finance 45 a noté que les bénéficiaires sont principalement des hommes (75-80 %), entre 20 et 29 ans, dotés d’une certaine éducation et de qualifications professionnelles (la moitié a suivi un enseignement secondaire). Ces programmes desservent principalement le milieu urbain (69-83 %) et comportent un fort biais en faveur des travailleurs indépendants du secteur manufacturier. 44 Dernièrement le GT a réorienté sa focalisation sur les programmes d’assistance sociale non ciblés (p. ex., subventions universelles à la consommation alimentaire) en faveur de programmes d’assistance ciblés (programmes de développement régional, programmes de transferts de liquidités, etc.). Se référer à Banque mondiale, République de Tunisie, Mise à jour des conditions sociales. 45 BTS (Banque tunisienne de solidarité), 26-26 et FNE 21-21 (Banque mondiale, République de Tunisie, Stratégie de l’emploi 2004, p. 82) Page 95 81 256. Il existe un sy stème exhaustif de sécurité sociale, qui couvre les salariés urbains, les travailleurs agricoles, et les indépendants. Cependant, l’évasion est importante parmi les travailleurs agricoles, et comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, la majorité des travailleurs agricoles sont des travailleurs familiaux qui ne sont donc pas couverts (Banque mondiale, 2000a). 257. Le GT pourrait donc considérer l’introduction de cibler ces dispositifs de protection sociale, ces programmes de réemploi, et ces programmes de soutien des revenus (Banque mondiale, 2004a). Les PAME pourraient mettre l’accent sur l’appui à la recherche d’emploi et le recyclage. 258. Il y a un manque cruel de données sur l’emploi agricole et la qualité des systèmes d’information pour suivre et évaluer les données existantes est faible. Les données concernant plus particulièrement les enquêtes sur l’emploi et les évaluations d’impact sont de qualité inégale ; l’analyse et la dissémination d’information sur l’emploi agricole (plein temps, saisonnier, mi-temps) est inadaptée et insuffisamment désagrégée par genre (Banque mondiale, 2004a). Les enquêtes existantes (au niveau des ménages et des entreprises) devraient fournir, sur une base régulière, une information de meilleure qualité sur la demande et l’offre de main-d’œuvre ; il est recommandé d’améliorer les méthodologies et les définitions utilisées (p. ex., projections de la population active). Il est également recommandé que la collaboration entre les ministères concernés soit renforcée afin de mieux exploiter les informations existantes, d’évaluer la situation du marché du travail tout en assurant le suivi des programmes et en adaptant les politiques aux besoins du marché. La dissémination des informations (les données des enquêtes) aux divers parties prenantes et aux analystes pourrait être améliorée afin d’analyser avec une plus grande efficacité les données et dégager un consensus sur les enjeux de la politique de l’emploi. 259. Les agriculteurs auront toujours besoin de services de haute qualité. Tel que susmentionné, toute stratégie visant à rendre les services de la recherche, de la vulgarisation et du foncier plus réactifs aux demandes devrait mettre l’accent sur la réponse aux besoins des groupes les plus affectés et les plus vulnérables. Le Gouvernement pourrait renforcer et étendre les dispositifs de développement communautaire en milieu rural tels que l’ODESYPANO, une agence de développement régional qui aide les populations rurales à diversifier leurs revenus essentiellement agricoles et à avoir accès au microcrédit. Il se trouve que l’ODESYPANO est situé dans le Nord-ouest, là où sont concentrés les petits agriculteurs céréaliers les plus vulnérables à la réforme des prix. 260. D’autres pays tels que le Mexique (Encadré 4) et la Turquie dissocient à présent l’appui à l’exploitation de l’appui à la production. De cette manière ils atteignent l’objectif politique d’un transfert contrôlé et prévisible de revenus à la société rurale – sans distorsion de marché et variation des valeurs de ces transferts qui accompagnent les subventions directes à la production. Page 96 82 E ncadré 4. Dissocier l’appui au revenu de la production au Mexique PROCAMPO – Program me d’appui direct aux zones rurales PROCAMPO a été introduit en 1993 pour compenser les agriculteurs de la déprotection associée à l’Accord de Libre-échange nord-américain (ALENA) et aux Accords du GATT. Les objectifs étaient : (a) politique : pour aider à rendre l’accord de libre-échange acceptable pour les agriculteurs ; (b) économique : pour doter les agriculteurs de liquidités pour ajuster leur production à la nouvelle série de prix relatifs ; et (c) social : pour compenser les agriculteurs pour les pertes de revenu, pour atténuer l’impact sur la pauvreté et pour réduire les migrations. Le programme donne aux agriculteurs (ceux ayant les droits légaux d’usufruit de la terre) un paiement fixe par hectare qui est dissocié de la production. Le nombre d’hectares admissibles a été déterminé par les superficies que chaque agriculteur avait en culture (initialement neuf) pendant une période de référence de trois ans (1991-93). Etant donné qu’il y a deux cycles agricoles, les paiements sont versés deux fois par an pour les superficies cultivées pendant le cycle correspondant. Il y a un plafond de 100 ha éligibles par agriculteur. Le taux par hectare est le même dans tout le pays. En 1997, les paiements étaient en moyenne de 329 $EU par bénéficiaire et de 68 $EU par hectare (comparé à 83 $EU par hectare en 2002). Seuls les producteurs enregistrés au démarrage du programme en 1994 sont admissibles, et ils doivent se réenregistrer au début de chaque cycle de culture. Bien que depuis 1995 l’aide est découplée (i.e., non associée à la culture de productions spécifiques), la terre doit être utilisée par des cultures ou des activités d’élevage ou forestières, ou faire partie d’un programme environnemental approuvé. L’intention est de faire des paiements seulement aux agriculteurs actifs et de maintenir le niveau d’activité rurale (et d’éviter ainsi la migration). Le paiement pour chaque cycle cultural est effectué par chèque, collecté auprès de l’un des 700 postes locaux de vulgarisation agricole ( CADER ou Centros de Apoyo al Desarrollo Rural). Les « certificats de qualification » de PROCAMPO peuvent être utilisés comme garanties par les banques ou les revendeurs d’intrants, donnant aux bénéficiaires un accès à temps, aux ressources de PROCAMPO pendant la saison des plantations. Il est prévu d’éliminer progressivement le programme une fois que la période de transition de quinze ans prévue pour le secteur agricole dans le cadre de l’ALENA sera révolue, à savoir en 2008. Alianza para el Campo - Alliance pour la campagne Afin de tirer le meilleur parti des réformes induites par l’ALENA, le Mexique a décidé d’entreprendre un vaste programme de restructuration du secteur agricole. Pour l’appuyer, un deuxième programme - Alianza - a été introduit en 1996 afin d’améliorer la productivité agricole et encourager la transition vers des cultures dont la valeur est plus élevée. Le programme comprend : des co-financements pour financer les investissements productifs ; et des services d’appui à travers toute une série de sous-programmes agricoles (24 en 2002) destinés à transférer des technologies modernes, à promouvoir l’investissement dans des infrastructures, à améliorer la santé des animaux, et à appuyer le développement rural intégré. La gestion et la prise de décision pour Alianza para el Campo sont décentralisées au niveau des différents Etats. Les co-financements sont demandés à la fois aux gouvernements des Etats et aux agriculteurs. En fonction des différents programmes, les producteurs contribuent en moyenne à 50 pour cent, le Gouvernements fédéral à 32 pour cent et les Gouvernements des différents Etats à 19 pour cent. Les agriculteurs soumettent leurs demandes aux Districts du développement rural (DDR), aux Centres d’appui au développement rural (CADER), et aux coordinateurs de l’Etat. Page 97 83 Les demandes sont approuvées par différents comités qui gèrent chacun des sous-programmes de l’ Alianza . Les agriculteurs présentent le document d’approbation à leur fournisseur ou ceux avec lesquels ils ont passé un contrat. L’agriculteur paie sa part et le fournisseur ou le contractant récupèrent le solde à l’ Alianza . Certains aspects du programme pourraient être encore plus pro- pauvres. Certains sous-programmes requièrent la participation de groupe, ce qui peut être difficile pour les plus démunis. Un système de « bons » permettrait aux agriculteurs les plus pauvres d’acheter leurs intrants localement au lieu d’avoir à se déplacer jusque chez les distributeurs certifiés par le Gouvernement. Il y a aussi le fait que le programme est lourd et cher à administrer. Un plus grand nombre de décisions – par exemple sur la nature des sous- programmes – pourraient être décentralisées. Oportunidades (anciennement PROGRESA) - Opportunit és A près plusieurs années d’exécution de PROCAMPO, il était devenu évident que la pauvreté rurale persistait. PROGRESA a été introduit en 1997 pour alléger la pauvreté à travers des appuis monétaires et en nature et des investissements dans l’éducation, la santé et la nutrition. PROGRESA a été relancé en tant qu’Oportunidades en 2002. PROGRESA a pour objectif de base d’améliorer l’éducation, la santé et la nutrition de familles pauvres, en particulier celles des enfants et de leurs mères, en leur fournissant l’éducation et des services de santé, une assistance monétaire et des suppléments nutritionnels. Le programme fournit des transferts en numéraire aux familles en échange d’une assiduité scolaire et de visites aux postes de santé régulière. Les paiements sont faits directement aux mères ou au chef féminin du ménage. Le programme est cher à gérer et le fait qu’il s’appuie sur les services gouvernementaux fait que l’infrastructure routière peut exclure les ménages très pauvres des zones éloignées. Un deuxième problème est la qualité de l’éducation offerte dans les écoles. Des améliorations considérables peuvent être obtenues en liant les avantages à la performance, tels que l’octroi de primes pour encourager la réussite scolaire. 261. Un point clé toutefois, est que des programmes sociaux bien conçus en zone rurale ne devraient pas seulement être considérés comme des mesures d’accompagnement des réformes agricoles. Ils sont souhaitables en eux même . Nous avons vu précédemment que les subventions à la production, au crédit, au paiement des arriérés et à l’eau sont totalement ineffectives et socialement régressives, parce que la plupart de ces avantages vont aux agriculteurs aisés. De la même façon que nous disons que des mesures sociales sont nécessaires comme mesure d’accompagnement, nous pouvons également dire que la réforme de la politique sociale atteindra les objectifs sociaux du Gouvernement de façon plus efficace que les distorsions du marché. Prochaines étapes 262. Une compréhension plus précise des impacts sociaux de la réforme est requise ; l’Analyse d’impact social et de la pauvreté (AISP) est le point de départ le plus approprié. Les domaines critiques à examiner comprennent : Page 98 84 · Le coût politique de la libéralisation. Si les opérations de l’Office des Céréales sont réformées, y aura-t-il des impacts imprévus sur les prix des produits alimentaires ? Si c’est le cas, quelles seront les implications, en particulier pour les pauvres en milieu urbain ? · Quelles seront précisément les conséquences spatiales/géographiques ? Quelles régions seront les plus touchées et comment ? Alors que l’analyse ci- dessus a mis en évidence les groupes potentiellement vulnérables (les femmes seules à cause des migrations, les agriculteurs sans terre, les jeunes chômeurs, les personnes âgées, etc.), comment ces groupes sont-ils distribués géographiquement et comment seront-ils affectés ? · Comment les activités liées à l’agriculture mais hors production agricole seront-elles affectées ? En d’autres termes, quels seront les effets d’entraînement pour les ménages ruraux ? · Comment la libéralisation affectera t elle l’organisation et la cohésion sociales ? Le tissu social des ménages et des communautés agricoles sera-t-il affecté ? Si oui, comment ? · Quelle est la relation entre libéralisation agricole et statut foncier ? Qui a accès à quoi et comment l’accès aux actifs affecte t il les décisions concernant l’agriculture ? Page 99 85 IV. OPTIONS POUR L’AVENIR 263. La préparation des 11 e et 12 e Plans est une opportunité historique pour le Gouvernement d’établir de nouvelles orientations politiques. Face à un changement d’orientation de cette ampleur, il est important de garder à l’esprit la vision d’ensemble. Il est facile de perdre de vue la vision globale et de se laisser distraire par les détails des politiques d’ajustements. 264. La vision suggérée par ce rapport est celle de la compétitivité à travers la réactivité . La croissance viendrait d’un secteur privé 46 qui aura les moyens de répondre à la demande des consommateurs en produits alimentaires de qualité. Le rôle du Gouvernement serait de répondre à la demande du secteur privé en biens publics de première qualité 47 . Les changements de la gouvernance des groupements de producteurs et les changements de la gestion du MARH les rendraient à leur tour mieux capable de répondre aux besoins des agriculteurs et des commerçants. Des programmes sociaux ciblés répondraient aux besoins des pauvres et des vulnérables de façon plus efficace que les subventions agricoles qu’ils remplaceraient. Le Tableau 19 illustre la façon dont les thèmes de la compétitivité et de la réactivité apparaissent dans les recommandations du rapport aux différents niveaux de l’élaboration des politiques agricoles. Le reste de la section examine ces niveaux en plus de détail 48 . 265. Bien que les options de politique soient présentées ci-dessous dans une liste « à la carte », celles qui impliquent l’élimination des distorsions de prix sont plus importantes que le reste. La libéralisation des prix est une réforme «globale préalable ». Ceci parce que les agriculteurs ne peuvent pas profiter entièrement des autres réformes que si le système des prix les en récompense. Ainsi, les recommandations individuelles ci-dessous devraient être considérées comme faisant partie d’une hiérarchie intégrée de mesures. Pour illustrer les interconnexions entre les différentes recommandations, l’encadré 5 présente à titre d’exemple un schéma plus détaillé pour l’hiérarchisation et le phasage des réformes du secteur agricole tunisien. Tableau 19. Options de stratégie agricole de haut niveau pour le GT Sujet R ééquilibrer l’emphase existante sur… Avec une emphase accrue sur … Politique des échanges et sécurité alimentaire Autosuffisance Compétitivité et accès des consommateurs aux aliments Production Réactivité à la demande du consommateur Croissance et production du secteur Cibles quantifiées Stratégie de qualité Associations Modèles prescrits R éactivité aux besoins dont font état les 46 Producteurs, transformateurs, négociants, exportateurs, etc. 47 Par exemple, la réglementation de la qualité. 48 Les documents de référence offrent également une vaste quantité de recommandations détaillées sur les chaînes de l’offre de cultures spécifiques. Page 100 86 professionnelles et services d’appui agriculteurs Ressources naturelles Cibles d’investissements physiques quantitatifs Comprendre et gérer les incitations qui induisent l’usage des ressources naturelles Ressources du MARH Cibles d’investissements physiques quantitatifs Réactivité aux besoins dont font état les agriculteurs Finances Subventions dirigées Motiver les prêteurs Terres rurales Titres et consolidation Comprendre et gérer les incitations qui induisent l’usage des ressources naturelles Aspects sociaux Subventions agricoles Programmes sociaux ciblés actifs et passifs . A. Cadre politique et institutionnel (1) Politique commerciale La stratégie suggérée est que la politique commerciale devrait contribuer à encourager les agriculteurs à réaffecter leur terre, leur main-d’œuvre et leurs investissements en réponse à la demande du marché intérieur et international. Ce qui signifierait au début : (a) Une réduction progressive substantielle – commençant immédiatement et s’achevant dans quelques années – de la protection tarifaire du blé dur et du blé tendre, s’accompagnant d’une réduction correspondante du prix garanti à la production (aussi longtemps que cet instrument restera en place). Il sera nécessaire de procéder à une analyse plus approfondie afin de concevoir et échelonner de la façon la plus approprié, la réduction tarifaire, la réduction des prix et la privatisation des fonctions de l’Office des Céréales. (b) La libéralisation totale des importations d’orge, de concentré alimentaire et de ses composantes. Ceci serait avantageux non seulement pour les éleveurs, mais encouragerait également les agriculteurs à abandonner des cultures pour lesquelles ils ne sont pas concurrentiels. (2) Politiques internes La stratégie proposée est de permettre aux filières de répondre à la demande des consommateurs sur le marché national. Ceci impliquerait : (a) De mesurer l’incidence des bénéfices des subventions du prix du blé aux consommateurs et, si ceux-ci sont suffisamment importantes, d’identifier comment transférer de telles ressources en parallèle à un marché domestique et libéralisé des céréales. (b) De transférer les opérations commerciales de l’Office des Céréales au secteur privé. Le commerce des céréales serait réalisé par des sociétés privées. Une organisation Page 101 87 interprofessionnelle gérée par le secteur privé serait responsable de l’appui à l’échange physique des produits, de la création d’un système de fixation des prix à terme, de la gestion du risque et de la normalisation des pratiques de passation de marchés. (c) D’établir une petite réserve stratégique de céréales, avec des mises en circulation ciblées sur les consommateurs vulnérables lors de crises exceptionnelles. Cette réserve ne serait pas utilisée pour intervenir sur le marché. (c) En partenariat avec des organisations du secteur privé, de développer un système d’assurance pour la sécurité alimentaire et la santé animale, appliqué aux produits d’exportations et de consommation domestique d’une manière intégrée. (d) D’éliminer les contrôles sur les marges des prix de détail et autres contrôles de prix. La concurrence sur les marchés alimentaires assurera des marges raisonnables et le Ministère devrait concentrer ses interventions sur l’identification des comportements collusoires et la lutte contre ces comportements. (e) De développer des normes et des standards avec les associations interprofessionnelles (gérées par le privé). (f) D’assurer que les objectifs définis pour le Ministère de l’Agriculture au titre de la budgétisation par objectifs mettent l’accent sur la qualité. Page 102 88 Encadré 5. Phasage et hiérarchisation des options pour l’avenir L’expérience des autres pays qui se sont engagés dans la réforme du secteur agricole permet de distinguer entre les action s qui sont urgentes, prioritaires et faciles et celles qui méritent une mise en œuvre plus graduelle. Si une analyse plus profonde est nécessaire pour identifier le chemin approprié pour la Tunisie, nous pouvons toujours esquisser une hiérarchisation préliminaire des actions. Les actions prioritaires et politiquement moins difficiles . (1) L’allocation transparente par vente aux enchères des quotas d’importation (ex. céréales, sucre) et d’exportation (ex. huile d’olive). Ceci augmenterait la transparence et l’e fficience du processus, tout en encourageant la participation privée et la concurrence. Si les privés sont plus efficients que les offices, l’impact fiscal pourrait être positif. (2) L’élimination des contrôles sur les exportations, sauf pour les produits subventionnés. (3) La privatisation des opérations de transports, portuaires et de détail de l’Office des Céréales. (4) L’élimination des contrôles sur les marges de détail. (Comme préalable, il serait nécessaire de confirmer la conclusion du CNEA que les prix informels sont déjà courants et répandus. Sinon, cette action entre dans la classe de recommandations ci- dessous.) Les actions méritant une mise en œuvre progressive. (1) La réduction des droits de douane et l’augmentation des quotas d’importation pour les céréales, accompagnées d’un programme temporaire de transferts monétaires basés sur les surfaces cultivés. L’expérience de la Mexique, de la Turquie et de la Roumanie est que la mise en place de ce type de programme peut être rapide. (2) La suppression des achats de l’Office des Céréales sur le marché interne. a. La première phase pourrait être de sous-traiter les achats à des intermédiaires privés. Pendant cette phase, des subventions de transport pour les zones isolées pourrait assurer le maintien du prix national unique. Cette première phase n’aurait pas de conséquences négatives sur le producteur. b. Pendant une seconde phase, la suppression progressive des subventions de transport entraînerait la libéralisation des prix et serait accompagnée du programme de transferts monétaires susmentionné. c. La troisième phase comprendrait l’ouverture des ventes directes par les privés aux minoteries. Il serait essentiel d’assurer que le comportement commercial de l’OC ne décourage pas la participation privée. d. Enfin, la phase finale serait de retirer l’OC des opérations commerciales. L’analyse sociale et économique ne justifie pas le maintien de la subvention à la consommation, mais elle pourrait passer le cas échéant par l’intermédiaire des commerçants privés ou des minoteries. Page 103 89 B. Associations profession nelles et services d’appui L’approche suggérée consiste à encourager les groupements de producteurs à devenir mieux répondre aux besoins de leurs membres. Des éléments de cette stratégie incluraient : (a) Redéfinir les modalités de gouvernance de l’UTAP et autres associations (GIP, GDA, GIC, etc.) pour encourager la perception qu’elles appartiennent bien aux agriculteurs et qu’elles ne sont pas les bras du Gouvernement. (b) Créer une diversité de cadres juridiques pour les associations d’agriculteurs et éviter d’imposer le modèle GDAP comme la solution standard. Tout en maintenant le nouveau concept de SMSA, développer une base juridique pour que les coopératives soient habilitées à faire des profits, à être indépendantes et dirigées par les agriculteurs, mettre à jour la législation et les réglementations des coopératives pour qu’elles correspondent à celles définies par le mouvement coopératif international. (c) Redéfinir le rôle du Gouvernement comme celui qui défini le cadre plutôt que celui qui intervient directement dans la mise en oeuvre. Une agence semi- publique avec participation majoritaire des agriculteurs devrait prendre en charge la promotion des groupements d’agriculteurs et la vulgarisation agricole. Ceci devrait impliquer en priorité le renforcement des capacités, le renforcement des liens entre les différents types d’associations et aider les coopératives à former des unions et des organisations faîtières. (d) Utiliser les services du Gouvernement plutôt que le secteur associatif, pour exécuter les fonctions régaliennes du Gouvernement telles que la régulation des normes phytosanitaires et la sécurité alimentaire C. La gestion durable des ressources naturelles L’eau L’approche générale en matière d’irrigation serait de considérer la valorisation de l’utilisation de l’eau comme moteur des politiques et de la planification, plutôt que de cibler des investissements physiques. Ceci impliquerait : (a) Changer l’accent mis sur la mobilisation de l’eau au profit d’une gestion intégrée de l’eau. (b) Utiliser l’analyse coût-bénéfices pour déterminer les moyens les moins coûteux de réaliser les objectifs de mobilisation de l’eau du pays. (c) Renforcer la capacité des services centraux du MARH, en mettant l’accent sur l’utilisation de l’analyse économique. Page 104 90 (d) Etendre la tarification binaire. Il serait également utile d’envisager d’introduire le coût du remplacement des matériels dans le calcul des redevances. (e) Eliminer progressivement les subventions pour remplacer les équipements qui économisent l’eau. (f) Terminer la politique de la fourniture d’eau à prix réduit pour les céréales. (g) Poursuivre le transfert de la gestion de l’eau, en aval, aux groupes des usagers de l’eau. (h) Suivre la conversion des GIC en GDAP pour voir si ces groupes polyvalents peuvent réellement servir d’entités de gestion de l’eau et en même temps de coopératives. D. Doter le secteur agricole de ressources L’approche générale du financement du secteur agricole consisterait à ajuster le cadre des incitations dans lequel fonctionnent le secteur financier et le MARH lui-même, de façon à ce que les organismes prêteurs et le budget du MARH répondent mieux aux besoins des filières. Ceci signifierait : (a) Le MARH devrait se préparer et s’engager dans la budgétisation par objectifs. Ceci impliquera : la création d’une cellule de gestion de la budgétisation par objectifs au sein du MARH, rassemblant les fonctions de planification stratégique, administration, finances et investissement ; l’établissement d’un plan d’exécution et la mobilisation de l’assistance technique requise ; le lancement d’une campagne de communication et de formation pour le personnel du MARH à tous les niveaux ; et l’élaboration d’un plan de développement des ressources humaines et la dotation en personnel sur le long terme, tenant compte du nouveau rôle du MARH et du taux élevé de départs à la retraite dans les années à venir. (b) Une étude de la demande de crédit et des mécanismes de prise de décision sur le marché du crédit. (c) L’adoption des meilleures expériences internationales en matière de micro-finance, telles que : permettre aux institutions de micro-finance d’établir des taux qui couvrent leurs coûts, l’utilisation de subventions pour les coûts de démarrage seulement, le démantèlement des mécanismes concurrentiels du crédit « social » et une législation facilitant la création et la croissance des institutions de micro-finance. (d) La refonte des relations entre le Gouvernement et la BNA de façon à clarifier le cadre des incitations pour la gestion de la BNA. (e) Faire évoluer les réponses à la sécheresse de la fourniture de subventions ad hoc vers des transferts transparents. L’impact budgétaire de ces Page 105 91 programmes pourrait être atténué par l’achat de contrat de réassurance contre la sécheresse. E. Les t erres rurales La suggestion générale est que le Gouvernement devrait étudier les stratégies d’utilisation des sols des agriculteurs et appuyer la création d’un marché flexible dans lequel ces stratégies peuvent être poursuivies plus facilement. (a) Il est essentiel de comprendre que des phénomènes tels que l’absentéisme, la fragmentation, les titres gelés et une population agricole vieillissante font partie de la transition sociale et culturelle actuelle de la Tunisie. (b) Le Gouvernement devrait étudier la relation entre statut foncier et utilisation des sols. (c) Le Gouvernement sera alors en mesure d’adopter des politiques spécifiques à la lumière des conclusions de l’étude. Elles pourraient comprendre : - La création d’un code foncier unique simplifié ; - La création de guichets uniques locaux pour les transactions foncières ; - La législation et des campagnes de communication pour promouvoir la reconnaissance du Certificat de Possession ; - Des incitations fiscales pour la consolidation des terres ; - L’utilisation de la Carte agricole pour planifier l’utilisation des sols; - La création d’un mécanisme institutionnel efficace pour faire respecter les décisions concernant les aménagements fonciers ; - Des dispositions permettant la mise en œuvre de baux emphytéotiques et autres baux à long terme pour les étrangers. F. Les perspectives sociales de la libéralisation agricole L’approche suggérée consiste à de mettre en œuvre des programmes sociaux ciblés qui atteindront les objectifs sociaux du Gouvernement de façon plus efficace et à un coût inférieur aux subventions agricoles. Les éléments spécifiques de cette approche comprendraient : (a) Structurer les consultations agriculteurs-Gouvernement (e.g., sur la recherche et la vulgarisation) et la gouvernance des associations d’agriculteurs afin d’assurer la diversité de leur représentation. (b) Mettre plus l’accent sur l’importance que les femmes aient accès de façon régulière aux services de vulgarisation. (c) Faire une analyse d’impact social et de la pauvreté (AISP), ciblée sur l’impact des réformes politiques proposées sur le bien-être des différents groupes d’acteurs parties prenantes, avec une attention particulière aux pauvres et aux vulnérables. Page 106 92 (d) D isséminer et améliorer la collaboration interministérielle en matière d’analyse des données du marché du travail. (e) Améliorer le ciblage des programmes en cours concernant le marché du travail, sur les pauvres ruraux, et mettre l’accent sur la recherche d’emplois et le recyclage. (f) Renforcer et étendre le développement des organisations communautaire, e.g., ODESYPANO. Page 107 93 R éférences Aksoy, M. A. and J. Beghin, 2005. Global Agricultural Trade and the Developing Countries , Washington, DC: Banque mondiale. Baffes, J. H. de Gorter, 2005. “Experience with Decoupling Agricultural Support,” Chapter 5 in M.A. Aksoy and J.C. Beghin, eds., Global Agricultural Trade and Developing Countries , Banque mondiale. Banque mondiale (1996) From universal food subsidies to a self-targeted programme: a case study in Tunisian reform. Banque mondiale (1999) MENA rural finance: performance, constraints and options. Report on Egypt, Morocco and Tunisia. Banque mondiale (2000a) Republic of Tunisia: Social Conditions Update, Volume I. Banque mondiale (2000b) Republic of Tunisia : agricultural competitiveness study. Rapport no. 20883-TUN. Banque mondiale (2000c) Tunisia: Private Sector Assessment Update . 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L’économie de la libéralisation Des prix élevés à la production peuvent sembler avantageux dans un pays qui se préoccupe du bien-être rural. La théorie économique indique toutefois qu’il y a des coûts importants attachés à la protection agricole. A l’exception de circonstances très spéciales, ces coûts sont toujours supérieurs aux avantages : a) La protection agricole encourage les agriculteurs à se lancer dans des activités dont les coûts (main-d’œuvre, eau, acquisition d’intrants, et capital) sont plus importants que la valeur de la production pour le pays, en termes d’économie d’importations. Une autre façon d’envisager les choses est d’avancer que le soutien à l’agriculture empêche des ressources telles que la main-d’œuvre, l’eau, et le capital d’investissement d’être allouées à d’autres secteurs, même si elles peuvent être utilisées d’une manière plus productive dans l’industrie et les services. b) Les différences dans le niveau de protection encouragent l’agriculteur à transférer des ressources d’activités moins protégées en faveur d’activités protégées, même si la valeur pour le pays en termes d’importations économisées est moindre. c) Le gain apparent pour l’économie de prix agricoles élevés n’est en réalité pas du tout un gain. Ces prix plus élevés sont en fait payés par d’autres Tunisiens lorsqu’ils achètent les produits agricoles. Les consommateurs tunisiens paient des prix plus élevés pour les fruits, les légumes et les produits laitiers. Le Gouvernement tunisien et le contribuable achètent le blé cher qui est par la suite revendu aux consommateurs à un prix subventionné. L’éleveur tunisien paie un prix plus élevé pour le fourrage. Plusieurs autres aspects économiques importants ne sont pas directement saisis par les modèles : d) Le soutien aux prix agricoles et les subventions aux intrants sont des outils inefficaces pour protéger le bien-être rural, les avantages de ce soutien étant proportionnels à la capacité de production d’une exploitation. Les plus mal nantis retirent le minimum d’avantages. e) Les prix élevés encouragent les producteurs à accélérer l’exploitation des ressources naturelles durables, telles que l’eau, les parcours, et les stocks halieutiques, et à sur utiliser certains intrants, tels que les engrais et autres produits chimiques, souvent avec des impacts négatifs sur l’environnement. f) La distorsion en matière de prix fait que les investisseurs – tant publics que privés – consacrent trop de capitaux à produire des produits importables surprotégés et trop peu à produire des produits exportables. Dans un contexte dynamique, les impacts négatifs de cette mauvaise affectation de l’investissement sur la croissance de la productivité s’accumulent avec le temps, ayant pour conséquence des coûts de plus en plus élevés pour le revenu national. Page 112 98 L’étude a estimé l’impact des prix agricoles artificiellement élevés sur l’économie tunisienne. Quatre types d’analyses ont permis d’estimer les impacts de la protection des prix agricoles en Tunisie (Ideaconsult, 2005) : des simulations de budget de consommation, des modèles d’équilibre général , des modèles de programmation agricole linéaire, et une analyse du coût des ressources nationales. La méthodologie utilisée s’est basée sur une étude antérieure de la Banque (Banque mondiale, 2000) et les scénarios ont été adaptés aux données et enjeux de politique les plus récents. · Simulations du budget consommation . Sur la base des données d’une enquête nationale (INS, 2000) il a été possible d’estimer l’impact de la libéralisation des prix agricoles sur le bien-être des consommateurs. Le modèle a répondu à la question suivante : quel changement au niveau du revenu des consommateurs compenserait ces derniers de la libéralisation des prix agricoles, premièrement si leurs achats demeuraient constants et deuxièmement s’ils pouvaient adapter leurs achats pour tenir compte des changements dans les prix relatifs ? · Un modèle d’ Equilibre général calculable (CGE) a simulé l’économie nationale avec une série d’équations calibrées de façon à s’aligner sur les données tunisiennes observées. Le modèle assume que l’économie dispose d’une offre fixe de main-d’œuvre et de capitaux d’investissement, qui seront alloués entre l’agriculture et d’autres secteurs sur la base de leurs taux de rentabilité. Un taux de protection agricole élevé encouragera dès lors l’allocation de main-d’œuvre et de capital à l’agriculture même si leur contribution à l’économie nationale aurait pu être plus importante dans l’industrie et les services. Les prévisions du modèle prennent la forme d’un bond unique du PIB résultant de la libéralisation, qui situe l’économie sur une nouvelle voie de croissance. L’ensemble des avantages sont présentés comme étant la différence du PIB annuel de la Tunisie avec et sans libéralisation, calculée sur une période de 25 ans. Les modèles de type CGE assument que l’industrie et les services absorberont à nouveau tous les capitaux d’investissement et la main-d’œuvre libérés à la suite de la libéralisation du secteur agricole. Toutefois, les conclusions d’études séparées (Casero et Varoudakis 2004, Banque mondiale 2004) sur les marchés financier et du travail suggèrent que cette hypothèse devrait être considérée avec prudence. Sur le marché financier, le manque d’information relative à la performance du crédit et une culture de prêt fondée sur la fourniture de collatéraux impliquent que la disponibilité de nantissements, plutôt que l’offre de capitaux, est la contrainte limitant l’investissement hors agriculture. Les taux de chômage (17 % en Tunisie en 2001) indiquent aussi que l’offre brute de main- d’œuvre n’est pas une entrave à l’emploi hors agriculture. Pour tenir compte des imperfections du marché un élément de « coût d’ajustement » a été introduit dans les simulations. Il a pour but de refléter le coût du recyclage de la main-d’œuvre et de la mise à niveau de l’investissement et est donc fonction de la taille de l’ajustement. En cas de libéralisation intégrale, par exemple, il est estimé se situer à un peu moins de 1 milliard de DT sur 25 ans. Page 113 99 Une simulation alternative est modélisée sur la seule libéralisation des prix des grandes cultures (essentiellement les céréales et les oléagineux). Elle laisse la réallocation de la main-d’œuvre et du capital au sein du secteur agricole et s’appuie donc nettement moins sur l’hypothèse de les voir absorbés par l’industrie et les services. · Analyse du coût des ressources domestiques . L’analyse compare le coût économique de la production d’une denrée avec son prix sur le marché mondial. Le ratio du premier par rapport au second est une mesure de la compétitivité. Un ratio supérieur à 1 implique que le produit n’est définitivement pas compétitif. Un ratio inférieur à 1 implique qu’il pourrait être compétitif s’il était possible de remédier à l’aspect qualité et aux autres questions hors prix. · Simulations de programmation linéaire . Les impacts de la libéralisation des prix agricoles ont été simulés pour soixante types d’exploitations agricoles. Chaque modèle agricole a été basé sur des coefficients techniques et des prix d’intrants collectés au cours de la préparation de la Carte agricole. Dans une optique de réalisme, les coefficients techniques sont basés sur des observations réelles, et non sur des techniques agricoles idéales, et des prix [économiques] implicites ont été retenus pour la main-d’œuvre et l’eau. Le comportement agricole a ensuite été modélisé sur l’hypothèse que les agriculteurs qui maximisent le profit réaffecteront le sol et l’eau entre les cultures en réponse à des signaux de prix relatifs. Bien que l’analyse ne nous ait pas permis de simuler de quelle manière les marchés de facteurs répondront globalement aux changements de prix, elle a montré quels types d’exploitation, de cultures, et de zones, seront aux nombres des gagnants et des perdants. Page 114 100 Annexe 2. La Carte agricole La Carte agricole, achevée récemment à un coût de 5 millions de DT, est une application de Système d’information géographique (SIG) qui identifie le potentiel agro-économique des ressources foncières de la Tunisie à un haut niveau de détail. Ce travail a servi de base pour l’analyse de la compétitivité agricole de la Tunisie à la section III.A ci-dessus. Le défi que doit maintenant relever le MARH est celui de veiller à ce que cet investissement considérable soit utilisé à de bonnes fins, que ses données soient maintenues à jour et que le plus grand nombre possible d’utilisateurs y ait accès. En effet, il y a un risque que l’intégrité du modèle soit compromise sans un système effectif de mise à jour de sa base de données. Le MARH a choisi une approche décentralisée de la gestion de la base de données, dans le cadre de laquelle chaque CRDA est responsable de ses propres données. Bien que de cette manière l’engagement et la participation des CRDA soient assurés, il y a un risque accru de voir la qualité des données se détériorer. Parallèlement, la valeur pratique de la Carte agricole dépendra principalement de sa dissémination en dehors du MARH, par exemple parmi les groupements interprofessionnels, les banques, les universités en Tunisie et à l’étranger, le MDCI, le Ministère du Plan et les institutions impliquées dans l’aménagement des terres. Un plan de gestion informatisé pour la Carte agricole constituerait la première étape pour qu’elle demeure un outil utile de gestion des ressources dans le long terme. Page 115 101 Annexe 3. Terres domaniales Environ 0,5 million d’ha de terre arable de premier choix appartient au domaine de l’Etat et est administré dans le cadre de l’un des quatre systèmes suivants : des agro-combinats paraétatiques, le Ministère de l’Agriculture lui-même (environ 100.000 ha), des baux à des particuliers sur la base de recommandations faites par des commissions d’attribution des terres domaniales, régionales et nationales, composées de représentants du Gouvernement et des syndicats, ou dans le cadre d’accords d’usufruit avec des unités coopératives de production agricole ou de jeunes diplômés en agriculture. La politique gouvernementale et la législation actuelle excluent la privatisation de ces terres sauf dans des circonstances exceptionnelles telles que la redistribution des terres expropriées dans le cadre d’exercices de remembrement. La gestion gouvernementale des terres domaniales traduit un certain nombre d’objectifs contradictoires: · Maintenir une large superficie de terres agricoles de premier choix sous le contrôle de l’Etat ; · Créer des opportunités d’emploi pour les jeunes agriculteurs et les diplômés en agriculture ; · Maintenir l’autosuffisance nationale accrue au niveau des céréales, par exemple par le biais de l’attribution de 62.000 ha à la production céréalière (CNEA 2005a) ; et · Sans nécessairement maximiser les recettes publiques du domaine de l’Etat, au moins minimiser les subventions gouvernementales à ceux qui cultivent les terres. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude d’examiner le niveau d’efficacité avec lequel cette importante ressource foncière est administrée. L’information du domaine public disponible à ce sujet est limitée. 49 Sur la base des projections de la valeur moyenne des terres d’assolement en Tunisie (Banque mondiale, 2005), il est estimé que ces terres sont en mesure de produire un surplus pour le réinvestissement ou la remise au Gouvernement d’au moins 60 millions de $EU par an ou 0,3 % du PIB. Si le Gouvernement souhaite mobiliser les terres domaniales pour le développement économique, un premier pas pourrait consister à référencer la rentabilité de ses exploitations agricoles par rapport à leur potentiel. Ceci donnerait au Gouvernement une indication du coût que comporte la poursuite des multiples objectifs susmentionnés. Les budgets standards de la Carte agricole (voir ci-dessous) peuvent servir de point de référence. 49 En 2002 une étude couvrant 55 sociétés de mise en valeur et de développement agricole, groupes de diplômés en agriculture détenant des accords d’usufruit, a conclu que 29 % seulement avaient de « bonnes perspectives ». 78 % avaient des rendements égaux ou inférieurs aux moyennes régionales, malgré le fait d’être en possession de terres de haute qualité et d’avoir un accès préférentiel au crédit. Page 116 102 Annexe 4. Les forêts et parcours. Contexte 1. Les forêts et parcours couvrent une surface estimée à 5,5 millions d’ha, soit un tiers du territoire. Le domaine forestier est de 1,2 millions d’ha dont un million d’ha de forêts proprement dit (y compris 515,000 ha en plantations) et environ 170,000 ha de maquis et garrigues. Les trois-quarts des forêts sont situés dans le nord-ouest et centre-ouest du pays. Les forêts naturelles sont constituées par des peuplements de chênes (liège, zeen et vert), de pins (d’Alep et maritime) et de thuya ; les forêts artificielles sont principalement des eucalyptus, acacia et pins (pignon, d’Alep et radiata). 2. Les forêts et parcours représentent une base importante pour l’économie rurale, surtout dans les zones relativement pauvres de l’ouest. En général, les forêts et parcours couvrent 15-20% des besoins alimentaires du cheptel national 50 et environ 15% des besoins énergétiques. Le nombre de personnes vivant dans les zones à vocation forestière et pastorale est estimé à environ un million, soit 10% de la population tunisienne et 25% de la population rurale. Les activités principales de ces personnes sont l’élevage, l’agriculture familiale (de subsistance) et le travail dans les chantiers forestiers. Les parcours couvrent près de 4,3 millions d’ha, dont 2,5 millions sur terres collectives, 1,1 million sur terres privés, et environ 743,000 de nappes alfatières. En plus de leur rôle direct comme facteur de protection, les forêts et parcours ont une fonction environnementale essentielle : ils protègent les sols contre l’érosion et les barrages contre l’envasement. 3. L’engagement de la Tunisie dans la conservation de ses ressources environnementales est bien connu. Le Plan Décennal de l’Environnement fournit son cadre intégré et englobe les objectifs détaillés et ambitieux des Plans Quinquennaux (voir tableau ci- dessous sur le 10 ème Plan). Par exemple, entre 1990 et 2005 la surface forestière tunisienne a augmenté de 4,3%, à un rythme de 11 km carrés par an, tandis qu’elle a diminué de 0,1% dans les pays de l’Afrique du Nord et le Moyen Orient pris dans l’ensemble (World Bank, Little Green Data Book, 2006). Défis 4. Malheureusement, la croissance démographique couplée à la sédentarisation des familles et troupeaux résultent en une dégradation continue des forêts et parcours. Les forêts et parcours souffrent de problèmes de labours et pacage (y compris sur les nappes alfatières), de défrichements illicites, d’un excès de production de charbon de bois, d’incendies et parasites. Ainsi il est estimé qu’environ trois millions d’ha sont dégradés, principalement à cause de pratiques culturales destructrices (sur des sols fragiles), du surpâturage (y compris sur les nappes alfatières), et de l’érosion hydrique et éolienne (menant à l’ensablement et désertification). Dans le cas particulier des forêts, l’intrusion des cultures, le surpâturage répandu et les incendies, résultent en des pertes d’environ 2.600 ha chaque année. Cette dégradation est évaluée à une perte annuelle de 0,1% du 50 Moins d’un million de bovins localisés surtout au nord, et environ huit millions d’ovins et caprins se trouvant plutôt au centre et sud. Page 117 103 PNB (World Bank, Environment at a Glance : Tunisia, 2004). Pour les parcours, leur dégradation est visible bien qu’aucune étude exhaustive ne soit disponible. Ceci se manifeste à la fois par la réduction de la couverture du sol et la diminution de la valeur nutritive des plantes appétées. Dans le sud-ouest, il y aurait environ huit millions d’hectares affectés par la désertification. Dans le cas des nappes alfatières, on observe une régression continue des superficies d’environ 1,5% par an et la réduction de leur productivité qui est passée de 4,5 Q/ha dans le passé à un peu plus de 3 Q/ha aujourd’hui. 5. En même temps, il est clair que le potentiel économique des produits forestiers est fortement sous-exploité. Par exemple, plusieurs études thématiques et de marché effectuées suggèrent que les possibilités, en termes de production et valorisation des Produits Forestiers Non Ligneux (PFNL), seraient substantielles si l’on parvenait à mettre en place un cadre législatif/incitatif permettant au secteur privé d’investir profitablement dans l’exploitation des PFNL. Une étude estime que la valeur globale des PFNL serait de 125 millions de DT par an. 6. Le défi auquel est confrontée la Tunisie peut donc se résumer en une question. Comment inciter la population rurale à conserver et même à investir dans les forêts et parcours fragiles en tant que ressources génératrices de revenus et de bénéfices environnementaux ? Pour en faire l’analyse, il faut distinguer entre deux cas de figure: - L’Etat, son agence ou le privé gère le droit d’usage pour son propre compte (ex. exploitation commerciale du domaine forestier de l’Etat, plantations forestières et pâturages privés); - Un droit d’usage commun (ex. parcours publics et collectifs, droits de collecte de bois) régi par les décisions informelles des utilisateurs : dans ce cas, il est évident que l’Etat ne peut influencer ces décisions qu’indirectement, par la mise en place d’un cadre incitatif approprié. Les efforts et les succès du MARH ont été jusqu’à maintenant concentrés sur le premier cas de figure. Toutefois nous voyons récemment les premiers pas vers l’incitation des communautés locales à la meilleure exploitation des droits d’usage communs. 7. Les données suivantes, bien qu’encore provisoires, (voir tableau) montrent les succès et les échecs du 10 ème Plan. En général, l’investissement dans les forêts et parcours a réalisé les attentes du Plan là où l’investisseur public ou privé exerce son contrôle sur la ressource pour son propre compte, c’est-à-dire les plantations forestières publiques et privées et les plantations pastorales privées. Par contre, dans les autres cas, où l’intérêt environnemental publique prédomine, les objectifs n’ont pas été atteints. Page 118 104 Tableau. Acquis du 10 ème Plan en matière de conservation des forêts et parcours. Stratégie 2002/11 Objectifs Objectifs 2002 - 2005 Plantations forestières 190,000 59,000 49,000 Dans domaine public forestier 70,000 12,000 16,000 Aux bords des routes et zones urbaines 20,000 6,000 1,000 Aux bords des oueds et installations hydrauliques 20,000 10,000 4,400 Brise-vents dans périmètres irrigués 30,000 10,000 1,700 Plantations productives chez les privés 50,000 16,000 26,000 Plantations pastorales 210,000 56,000 38,000 Dans domaine public forestier 100,000 25,000 9,000 Parcours collectifs soumis au régime forestier 40,000 10,000 4,000 Dans terres privés 70,000 21,000 24,800 (en hectare) 10ième Plan (2002/06) N.B. : 10 ième Plan (2002 – 2005) : Réalisations 2002/04 et prévisions 2005. L’Etat, son agence ou le privé gère de droit d’usage pour son propre compte 8. La logique de l’investissement planifié classique (l’Etat quantifie l’objectif, finance l’investissement et contrôle le bien qui en résulte) s’est montré adapté aux plantations publiques dans le domaine forestier public. Le taux de réalisation physique du 10 ème Plan est de 125%. En outre, les allocations budgétaires aux forêts et parcours reflètent une appréciation accrue de leur importance. Le taux de croissance était de 27% entre le 10 ème et 11 ème plans, par rapport à 5% pour les investissements publics globaux et 16% pour l’hydraulique 51 . En 2003, les investissements globaux en forêts et parcours représentaient 13,9% des investissements globaux, par rapport à 4,7% en 1987. 9. L’exploitation commerciale du domaine forestier public semble satisfaire aux attentes du Gouvernement. La Régie d’Exploitation Forestière (REF), qui dépend directement du MARH, s’occupe de la vente du bois sur pied, l’exploitation et vente du liège, ainsi que la vente sur pied de Produits Forestiers Non-Ligneux (PFNL). Les recettes de la REF sont d’environ 13 millions de DT par an, dont six millions de DT pour le liège (7.920 tonnes en 2004) et quatre millions de DT pour le bois. La Société Nationale de la Cellulose et du Papier Alfa (SNCPA) procure un revenu annuel moyen de 2,3 millions de DT à environ 6.000 arracheurs, et l’exportation du papier alfa rapporte 12 millions de DT en moyenne chaque année. 10. Toutefois, la gestion en régie directe du domaine forestier est-elle optimale ? En premier lieu, la performance économique du domaine forestier public par rapport à son potentiel n’a pas été évalué. Il apparaît par exemple (voir chiffres ci-dessus) que les PFNL sont fortement sous valorisés. A première vue, les niveaux de commercialisation actuels sont encore très loin des niveaux potentiels – par exemple : en bois pour bâtiments et menuiserie intérieure ainsi que pour les plantes aromatiques et médicinales. En second lieu, les disponibilités de l’Administration en moyens financiers et humains constituent déjà des contraintes si l’on en juge par le fait que seulement 270,000 ha 51 Y compris la répartition par activités des budgets des projets de développement intégré. Page 119 105 (moins du 1/3 du domaine forestier) font l’objet de plans d’aménagement en vigueur et que des opérations de base uniquement (essentiellement coupes de bois, infrastructures et éclaircies) sont réalisées dans ces plans. Ceci laisse à supposer que l’Etat n’a pas la flexibilité opérationnelle nécessaire pour la gestion optimale des ressources forestières. 11. Bien que le secteur privé puisse offrir une meilleure flexibilité de gestion et une plus grande réactivité au marché, sa participation dans l’exploitation du domaine forestier public est limité. Dans le passé, le code a imposé une exploitation des produits par adjudication, ce qui excluait un approvisionnement assuré dans le temps pour les privés, et ne les incitait donc pas à investir sur le long terme. Les privés ne pouvaient être impliqués dans l’exploitation que par des contrats de reboisement (sur terres privés, avec subvention de l’État) et des contrats d’occupation temporaire (pour la réalisation d’aménagements sylvo-pastoraux), avec paiement d’un loyer minime. Toutefois, la modification du code en 2005 a introduit la possibilité d’accorder, au profit de promoteurs privés et du GFIC, des concessions d’exploitation pour des périodes renouvelables de cinq ans. 12. Bien qu’il ne représente que 9% des investissements globaux, l’investissement privé dans les forêts et parcours privés démontre une tendance satisfaisante. La surface fixé comme objectif du Plan a été réalisé à 118%. Les plantations pastorales privées sur les terres privés sont attrayants, principalement à cause des compensations fournies par l’Office de l’Élevage et des Pâturages (OEP). La situation est similaire dans le cas de l’aménagement des parcours ou 76,000 ha des 100,000 ha prévus ont été réalisés jusqu’à maintenant, grâce en partie aux compensations de l’OEP. Finalement, quelques 33.800 ha de cactus inerme – sans épines, utilisé comme fourrage et fruit – ont été réalisés sur les 40.000 prévus. La gestion des droits d’usage communs 13. Par contre, le MARH n’a pas encore réussi à créer un cadre incitatif efficace pour assurer la participation du monde rural dans la gestion des ressources environnementales communes . Vue dans son contexte historique, la dégradation des ressources communes est en partie due au fait que les collectivités, qui étaient les principaux utilisateurs de la ressource dans le passé (voir section III.E sur le foncier), sont aujourd’hui désorganisées. L’État n’a pas pu/su les redynamiser et les associer à une gestion durable des parcours. 14. Pour les 4,5 millions ha de parcours, publics, collectifs, privés et nappes alfatières confondus, les principaux facteurs de blocage sont les difficultés d’entente et d’organisation entre usagers et l’ambiguïté de la situation foncière. La situation est compliquée par le fait que beaucoup d’ usagers sont agriculteurs d’abord et d’autres personnes impliquées (ayant-droits) sont souvent absentes et ne semblent se manifester que lorsque des opportunités de gains se présentent. Pour pallier aux difficultés d’organisation des usagers et ayant-droits, des Conseils de Gestion des Parcours Collectifs ont été mis en place au niveau des Gouvernorats. Ces conseils ont toutefois des moyens limités et ne semblent pas toujours représentatifs de toutes les parties prenantes sur les parcours. Finalement, la question des compensations consenties à l’élevage est Page 120 106 controversée. Certains affirment que la fourniture de concentrés et intrants finit par augmenter la charge animale sur les parcours. 15. Pour lutter contre la surexploitation des forêts non privés, le Gouvernement compte presque exclusivement sur la réglementation. Le code forestier – dont l’application est la responsabilité de la Direction Générale des Forêts (DGF) du MARH – reconnaît aux populations des droits d’usage portant sur le bois mort et broussailles, le pâturage, la cueillette de certains produits forestiers et les cultures de certaines parcelles de terre. Le code spécifie que ces droits sont limités aux besoins de l’usager et de sa famille. L’Etat assume le rôle de limiter l’exploitation de la ressource en faisant respecter la réglementation en vigueur. 16. Toutefois, force est de constater que la capacité de l’Etat de faire respecter ces règlementations est bien en-deçà de son ambition. Les contraintes institutionnelles existent. Les arrondissements forestiers des CRDA ne disposent pas des moyens humains et financiers voulus pour assurer un suivi efficace de l’exploitation des forêts et parcours. Un problème général est le manque de moyens financiers et humains adéquats au MARH, qui limitent la capacité de ses directions à mettre en œuvre les stratégies mises en place (voir section III.D). Ce problème s’aggravera probablement dans le futur étant donné le taux de retraite et les contraintes sur le budget opérationnel (voir section III.D). 17. Ce constat reflète un nouveau consensus global, qui existe depuis les années 1990, sur la gestion des ressources naturelles renouvelables. Dans les pays développés aussi bien qu’en voie de développement, il est reconnu que les communautés d’utilisateurs sont souvent socio-politiquement mieux adaptées à la gestion de la ressource que l’état. L’œuvre classique sur ce thème, « Governing the Commons » 52 d’Elinor Ostrom, fait l’analyse de plusieurs systèmes de gestion des forêts, des pâturages et de l’eau d’irrigation, y compris en Suisse, aux Philippines, en Espagne et au Japon. Sur cette base il propose certains principes nécessaires pour le contrôle efficace de la surexploitation de la ressource, et notamment : - Des périmètres physiques bien démarqués; - Des moniteurs qui sont soit des utilisateurs, soit désignés par les utilisateurs et responsables à ceux-ci ; - Un système de sanctions progressives contre les infractions ; - Que les mécanismes de résolution de conflits et d’adaptation des règles soient régis par les utilisateurs. 53 18. Le MARH prend les premiers pas vers la promotion de la gestion communautaire des forêts et parcours. Le Code Forestier a été remanié en 1988 de façon à rendre possible la participation des populations à la gestion du domaine forestier. Un décret d’application en 1996 permet la mise en place de GIC pour des activités forestières (GFIC, il en existe 41 pour l’instant). Deux initiatives intéressantes sont en cours au sein de la DGF : le Projet de gestion intégrée des forêts (co-financement japonais) et le Programme de 52 E. Ostrom (1990) Governing the Commons . Cambridge University Press. 53 L’auteur conclut: « Si cette étude ne fait que briser la conviction de beaucoup de décideurs que le seul moyen de résoudre les problèmes des ressources communes est que les autorités externes imposent des droits de propriété privée ou la régulation centralisée, elle aura réalisé son but principal. » Page 121 107 développement agro-pastoral et de promotion des initiatives locales du sud (co- financement du FIDA). La DGF est en train d’accumuler des expériences très utiles en gestion participative des ressources naturelles au niveau local. Options pour l ’avenir 19. Un premier objectif pourrait être de mieux réaliser le potentiel du domaine forestier public. D’abord le MARH pourrait faire une étude (« benchmarking ») pour comparer la performance économique de cette ressource par rapport à son potentiel et à la productivité d’autres zones forestières comparables (ex. Australie, Afrique du Sud, Andalousie, Grèce). Ensuite, le MARH pourrait considérer les moyens de mobiliser la flexibilité du secteur privé pour mieux valoriser la production forestière. Trois types d’action sont recommandés pour accélérer l’évolution positive de la situation : (i) mettre au point, aussitôt que possible, des formes de concessions qui soient simples et opérationnelles, (ii) sélectionner des zones, massifs ou périmètres, pouvant faire l’objet de concessions avec délimitation de leur vocation – par exemple pour les PFNL, et (iii) rechercher activement – dans le cadre d’une démarche efficace et transparente – des concessions avec des promoteurs et GFIC intéressés. 20. La disparition de la plupart des forêts et parcours serait à long terme catastrophique. Il est clair que l’approche « réglementation directe » a atteint ses limites et que la promotion progressive de la gestion « communautaire » des droits d’usage communs sera la stratégie future du MARH. Les expériences des deux projets pilotes de gestion communautaire des ressources doivent être consolidées et capitalisées le plus que possible. Elles pourront servir à la redéfinition des relations avec les populations dans les années à venir. Il est nécessaire d’analyser quelles formes de compensation leur donner en retour pour des interventions d’intérêt collectif. Le financement Biocarbone pourrait complémenter les ressources budgétaires de l’Etat dans ce sens. Au Nicaragua, en Costa Rica et en Colombie, par exemple, un projet sylvo-pastoral de la Banque mondiale fournit une incitation financière au paysan pour le reboisement, en utilisant la télémétrie satellitaire pour vérifier le taux d’afforestation. A plus long terme, améliorer les conditions socio-économiques de ces populations est une condition essentielle. 21. Bref, le MARH pourrait se replier progressivement sur ses fonctions régaliennes (formulation et suivi de politiques, élaboration de normes, planification et allocation des ressources, suivi et contrôle, maîtrise d’ouvrage des programmes/projets de développement) et partager ou transférer ses autres fonctions, selon les cas. Une telle approche nécessite toutefois que la composition du personnel soit revue et renforcée, particulièrement en termes de compétences autres que techniques (gestion des ressources naturelles, sociologie rurale, microéconomie, gestion financière, etc..). L’introduction prochaine de la budgétisation par objectifs au sein du ministère devrait être saisie comme une occasion pour redéfinir en profondeur les objectifs du DGF, surtout en ce qui concerne sa propre capacité institutionnelle. 22. wb276219 23. L:\TUN revue sectorielle\main report\Main Report FR final to MDCI 0706.doc Page 122 108 24. 04/08/2006 11:49:00 wb276219 L:\TUN revue sectorielle\main report\Main Report FR final to MDCI 0706.doc 04/08/2006 11:49:00