35293 Lier les innovations agricoles au partage des connaissances en Afrique 1 L a littérature la plus récente sur les Mais trop souvent les innovateurs locaux connaissances autochtones (CA) africains sont négligés dans le processus africaines, particulièrement dans le de recherche de nouvelles solutions. Deux domaine de l'agriculture, souligne que raisons principales peuvent être attribuées les Africains sont des innovateurs avisés. Cette à cet état de fait: (i) les innovations et les littérature est remplie d'histoires de succès (voir découvertes faites par ces derniers sont la par exemple Chaiken 1998, Ndoum 2001 et plupart du temps marginales dans le sens Nwokeabia 2001). D'excellents exemples d'in- qu'elles n'entraînent pas de gains élevés en novations et de découvertes locales comprennent termes de revenus; et (ii) culturellement, la reproduction de semences, le greffage comme il y a peu de partage des connaissances moyen de lutte contre les parasites, la récolte en raison du manque de documentation d'eau, la gestion, la conservation et le traitement écrite et de l'application des innovations du sol. Les innovations agricoles locales ont de manière isolée. Les innovateurs locaux continué à être importantes dans la mesure où la doivent en outre faire face à l'incertitude IK majeure partie des aliments cultivés localement en raison du manque de cadres organisa- est destinée à la consommation locale. tionnels. Ils manquent d'information sur Au Nigéria, par exemple, le secteur agricole qui a besoin de leurs innovations, comment trouver les utilisateurs potentiels, quand .worldbank.org/afr/ik/default.htm informel, qui utilise surtout des méthodes et des techniques traditionnelles, a une valeur estimée les approcher, pourquoi les approcher, et à environ 12 milliards de dollars US, rapportant par dessus tout, est-ce que les récepteurs des revenus à environ 81 millions de personnes.2 apprécieront l'effort. http://www Les savoirs dans le secteur peuvent être carac- La conséquence du manque de cadre térisés comme suit: ils sont organisationnel est que les innovateurs · enracinés dans des localités, des expé- deviennent la plupart du temps indifférents riences et des conditions climatiques bien à la diffusion de leurs connaissances, et particulières, n'utilisent pas les effets d'échelle, l'effica- · transmis oralement ou par imitation et cité et les gains potentiels de productivité démonstration, découlant de leurs innovations. On peut · largement adaptés à la situation des femmes donc dire que le système est maintenant pauvres, pris dans un "piège de l'indifférence". Les · constamment renforcés par des expériences, gens retiennent ainsi par-devers eux des des approximations successives et l'adapta- tion, · pragmatiques, IK notes fournit des rapports péri- · occasionnellement partagés, odiques sur les initiatives en matière de Savoirs Locaux (IK) en Afrique · habituellement inégalement répartis et pré- Sub-Saharienne et de temps en temps servés au sein d'un groupe, Notes sur de telles initiatives en dehors de · ils peuvent impliquer des spécialistes en la région. Il est publié par le Africa vertu de l'expérience ou de l'autorité, et Region's Knowledge and Learning · ils sont situés dans une culture/société, y Center dans le cadre d'un partenariat compris l'information technique. en cours entre la Banque mondiale, les Sur un plan général, de nouvelles approches communautés, les ONG, les institu- tions de développement et les organi- peuvent encore être nécessaires pour résoudre sations multilatérales. Les opinions certains des problèmes de l'Afrique. On trouve exprimées dans le présent article sont chez les producteurs locaux certaines connais- celles des auteurs et ne devraient en World Bank No. 88 sances uniques qui peuvent contribuer à faire aucun cas être attribuées au groupe de de la faim et de la malnutrition une histoire du la Banque mondiale ou ses partenaires Janvier 2006 passé, et réduire la pauvreté à la base, particuliè- dans cette initiative. Une page web rement chez les femmes pauvres, sans changer sur les IK est disponible à l'adresse : http//www.worldbank.org/afr/ik / les habitudes alimentaires en Afrique. 2 innovations et des découvertes productives qu'ils auraient autrement qu'il puisse y avoir un nombre infini d'innovations relatives à une passées à d'autres. technique particulière, par exemple la gestion des sols, celles-ci Cette note explique le lien entre l'information asymétrique, le ne deviennent pas additives en raison de l'indifférence et de la piège de l'indifférence, la perte des gains d'efficacité et l'arrêt diffusion asymétrique de l'information. L'impact de tels processus de la croissance des innovations locales et propose une solution d'innovation isolés sur la croissance économique et technologique pragmatique. L'article décrit, avec quelques preuves empiriques à en général est de courte durée. l'appui, comment l'indifférence s'introduit dans le processus, les motivations et la dynamique du piège de l'indifférence. Vérification de l'indifférence Le Piège de l'Indifférence Telle qu'elle se présente aujourd'hui, l'agriculture africaine, en- fermée dans un piège apparemment perpétuel de l'indifférence, est Le piège de l'indifférence s'introduit dans un système lorsque les condamnée à la stagnation technologique et à la faible productivité. innovateurs ne partagent plus leurs innovations et leurs découvertes Si l'on accepte que l'agriculture locale est d'une valeur inestimable susceptibles de renforcer l'efficacité et la productivité. Générale- et que les producteurs locaux africains sont à la fois très innovateurs ment, un innovateur dans le système traditionnel a trois options: et enfermés dans le piège de l'indifférence, la question plus géné- · être ouvert et partager ses connaissances, rale qui se pose est la suivante: combien d'agriculteurs africains · être réservé, sont réellement indifférents. Utilisant un échantillon de 243 agri- · être indifférent et ne rien faire. culteurs, l'auteur a examiné cette question à travers des entretiens Cet article examine la troisième option, qui conduit souvent à une avec ceux-ci. interruption de la circulation de l'information et de l'innovation. Dans cette enquête auprès de 243 agriculteurs locaux, bien que Principalement, le manque d'un réseau de partage est le facteur 90% admettent générer par eux-mêmes de nouvelles connaissances, central contribuant à la diffusion asymétrique de l'information aucun d'entre eux ne prend la peine d'enregistrer ou de transmettre parmi les agents actifs, et l'entrave au développement économi- ces connaissances à d'autres agriculteurs. Dans l'ensemble de leurs que et social séculaire dans les activités agricoles traditionnelles réponses, seulement 1% de l'échantillon était disposé à partager a trait aux faibles réseaux locaux de partage des connaissances. de manière pro-active leurs innovations, à condition de pouvoir Les innovateurs n'ont simplement pas assez d'informations sur identifier à l'avance une personne qui en ait besoin. Les agricul- leurs homologues. Face à ces incertitudes, les innovateurs locaux teurs interrogés indiquent clairement qu'en général ils considèrent adoptent une attitude d'indifférence, ce qui conduit la plupart du un tel partage inutile, illustrant de ce fait l'existence du piège de temps à une restriction indirecte de l'innovation chez les innovateurs l'indifférence. Le résultat montre également que l'indifférence est et les producteurs. La conséquence est un déficit dans le progrès un sérieux obstacle à la diffusion des innovations en Afrique. technologique (différentiel). Cependant, les réponses changent de manière significative lors- Le déficit global dans le progrès technologique différentiel que la question de l'aide publique est liée au processus de diffusion résultant du manque de partage des connaissances s'explique par des connaissances et des innovations. Un pourcentage beaucoup ce que nous appelons un effet d'" innovations continues mais non- plus élevé -- 75% -- se disent alors disposés à enregistrer leurs additives ", au lieu d'un effet d'" innovations continues et additives nouvelles connaissances/innovations, et 81% disposés à les partager ". Dans une situation d'innovations continues mais non-additives, avec d'autres agriculteurs de leur localité. on a des montées et effondrements des innovations accompagnés d'un processus de production fortement instable. Essentiellement, Nécessité d'un réseau de partage cela se produit lorsqu'une économie est prise dans le piège de l'indifférence avec des agents isolés innovant à maintes et maintes Toutefois, en dépit du piège de l'indifférence, les producteurs agrico- reprises sur le même système de connaissances. En raison de leur les africains ont continuellement besoin de nouvelles innovations spé- isolement et des barrières à la circulation de l'information, ainsi cifiques à leur environnement et partant, de processus et de produits que de l'absence d'un réseau de partage des connaissances, ces pour faire face aux conditions changeantes des approvisionnements innovateurs sont indifférents à la large diffusion de l'impact de leurs et pour utiliser de manière profitable les compétences fondamenta- innovations en termes de service public/efficacité. Les innovations les existantes. Pour accroître continuellement leur efficacité et leur résultantes sont également utilisées de manière isolée et peuvent productivité, les producteurs ont besoin de l'appui et des conseils s'effondrer lorsque l'innovateur meurt. d'autres producteurs. Le manque d'un réseau cohésif d'apprentissage Ces montées et effondrements des innovations isolées peuvent et de partage des innovations amoindrit la capacité d'individus isolés expliquer pourquoi les sociétés africaines formellement autosuffi- à tirer profit des compétences généralement disponibles. Par consé- santes deviennent soudain incapables de se prendre en charge. Dans quent, un obstacle majeur au partage des connaissances autochtones le scénario du piège de l'indifférence, la valeur de ces innovations enAfrique, particulièrement dans le secteur agricole à faible revenu, fluctuera continuellement entre leurs valeurs actuelles et zéro (l'in- est l'absence d'un mécanisme de partage. novation actuelle n'est pas additive aux innovations précédentes et Les conditions organisationnelles doivent être changées de ma- peut tomber à zéro lorsque l'innovateur cesse de l'appliquer). Bien nière à permettre progressivement aux gens de partager et d'entrer 3 en contact avec ceux qui peuvent ajouter à leurs connaissances. En inventions avec les utilisateurs potentiels et d'autres innovateurs en effet, l'auteur a observé que les producteurs agricoles locaux africains vue à la fois d'obtenir la reconnaissance de leur travail et d'accroître ressentent souvent la nécessité d'apprendre et de partager leurs con- la génération de connaissances pour d'autres innovations. L'étude naissances avec d'autres. L'auteur cherche donc à expliquer le rôle base ses observations sur des entretiens avec des innovateurs à la d'un réseau de partage des connaissances dans ce processus. base. Elle recommande un appui public à la création ou à la stimu- Il est généralement admis que bien que des innovations et des lation de réseaux locaux de partage des connaissances. L'objectif découvertes ont lieu en Afrique, elles sont en grande partie mécon- de politique d'un réseau local de partage des connaissances devrait nues. Les politiques gouvernementales, les lois, les institutions, les être de trouver des stratégies adaptées pour accroître l'efficacité coutumes et les réglementations -- facteurs qui affectent un réseau dans les allocations, augmenter leurs effets d'échelle, et stabiliser de partage des connaissances -- déterminent l'intensité et la direc- leur croissance dans les économies locales. Cette politique devrait tion des activités innovatrices des individus ainsi que l'impact de ces tout d'abord stimuler le besoin d'un partage des connaissances innovations sur l'efficience et la productivité des innovateurs. parmi des innovateurs disparates. Deuxièmement, cette politique Dans un réseau de partage des connaissances, les innovateurs devrait prévoir des " interconnexions " de connaissances en vue de locaux et les utilisateurs de leurs innovations peuvent rapidement permettre aux innovateurs, aux utilisateurs et aux intermédiaires et facilement entrer en rapport les uns avec les autres, contribuant d'interagir, pour les innovateurs afin de renforcer le processus ainsi à l'apprentissage collectif et consolidant leur disposition à se d'innovation, pour les utilisateurs afin de trouver des solutions à rencontrer entre innovateurs. leurs problèmes et pour les intermédiaires afin d'aider à mettre en En un mot, le partage des connaissances stimule le développe- relation et soutenir les interactions ou d'améliorer l'environnement ment économique de quatre manières principales: de partage des connaissances. · il facilite le transfert des connaissances; · il encourage d'autres innovations; Références · il sert de catalyseur pour de nouvelles technologies et de nou- velles entreprises; et crée des joint-ventures et autres activités Allen, Davina A. DA. Dependency Theory. [web page] 2001; génératrices de revenus. http://www.xrefer.com/ (Accessed on 3rd May 2001). Plus le nombre d'utilisateurs des innovations dans ce réseau est Barro, R. J. and Sala-I-Martin X, (1995). Economic Growth. élevé, plus il y a de probabilité que l'utilisateur innovera à son Cambridge Mass.: The MIT Press. tour -- créant ainsi un effet en chaîne et additif d'innovations. Là Chaiken, M. S. (1998). "Primary Agriculture Care Initiatives in où il n'y a que peu d'individus qui détiennent des connaissances Colonial Kenya", World Development, 26(9), 1701 ­ 1717. hautement productives parmi les producteurs locaux africains (par ECA (1992) Study on the Role of the Informal Sector inAfrican exemple les herboristes), travailler avec ce petit nombre d'individus Economies - E/ECA/PSD.7/13. -Paper presented to the Seventh à promouvoir leurs connaissances peut aider un système à atteindre Session of the Joint Conference of African Planners, Statisticians l'excellence en exploitant la capacité des meilleurs. and Demographers, 2-7 March 1992, Addis-Ababa, ECA. Allen (2001) soutient également que dans les progrès techno- Ndoum D. Mbeyo'o (2001). Dynamics of agro-ecological logiques endogènes, les imitation et les innovations déterminent knowledge among the Mafa North Cameroon. CML University of le schéma de croissance économique à long terme d'un pays. La Leiden, Netherlands. croissance des connaissances technologiques produit des résultats Nwokeabia, Hilary (2001). Why Industrial Revolution Missed très utiles, et les progrès technologiques définissent les valeurs des Africa: A traditional Knowledge Perspective. Addis-Ababa, ressources et leurs taux d'utilisation, influant de ce fait la viabilité Ethiopia. d'un secteur tel que l'agriculture africaine. Pour soutenir les réalisations innovatrices des agriculteurs locaux Notes africains, il faut un mécanisme destiné à promouvoir, avec un appui public participatif, un système de partage et additif des innovations 1. Par Hilary Nwokeabia. L'auteur est un membre du personnel parmi les producteurs africains à revenus les plus faibles. Mettre en de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Déve- incubation les innovations agricoles locales peut aider à ouvrir les loppement ; vous pouvez contacter l'auteur à l'adresse suivante: secrets de la transformation économique et culturel de ces sociétés. hnwokeabia@yahoo.com. L'approche technologique et profane aux systèmes d'innovation est 2. Chiffre estimé par l'auteur à partir des statistiques nationales. basée sur le fait de mettre ces innovations dans le domaine public Sont habituellement qualifiées d'informelles les activités économi- de manière à réaliser un effet d'échelle, et augmenter la productivité ques qui ne sont pas enregistrées et ne payent pas d'impôts. Elles des plus pauvres. sont trouvées dans chaque secteur en Afrique et sont estimées fournir un revenu à près de 600 millions de personnes en Afrique Conclusion (voir également CEA 1992). 3. Les questions posées sont: a.) êtes-vous disposés à continuer La présente étude encourage la création de réseaux locaux de par- à produire de nouvelles connaissances/innovations si une aide vous tage des connaissances pour aider les innovateurs à partager leurs est accordée ?; b.) êtes-vous disposé à enregistrer vos nouvelles 4 connaissances/innovations si une aide publique vous est accordée ?; Cet article a été écrit par Hilary Nwokeabia. L'auteur est un et êtes-vous disposé à enseigner à d'autres agriculteurs de votre membre du personnel de la Conférence des Nations Unies sur le localité les nouvelles connaissances/innovations que vous pourriez Commerce et le Développement ; vous pouvez contacter l'auteur acquérir si une aide vous est accordée? à l'adresse suivante: hnwokeabia@yahoo.com