4 viOn Iribrary DISCOURS PRONONCE DEVANT LE CONSEIL DES GOUVERNEURS PAR M. ROBERT S. McNAMARA PRESIDENT DU GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE Nairobi, Kenya Le 24 septembre 1973 Les paragraphes ci-dessous, ajoutés après la mise sous presse du texte du discours, sont à insérer à la page 10 Je m'écarterai ici de mon sujet pour faire rapidement le point des négociations relatives à la Quatrième reconstitution des ressources de l'IDA. Vous n'ignorez pas que les fonds provenant de la Troisième reconstitution seront entièrement engagés au ler juillet prochain. C'est en prévision de cette situation qu'à la dernière Assemblée annuelle des Gouverneurs il a été proposé d'entreprendre dès l'automne 1972 les négociations relatives à la Quatrième reconstitution et de les achever vers le milieu de l'année 1973, de telle sorte que les pays concernés disposent de 12 mois pour prendre les mesures législatives nécessaires. Ce calendrier n'a pu être respecté. Il ressort des réunions qui se sont déroulées ici, à Nairobi, ces deux derniers jours, que l'accord pourrait se faire entre les représentants des gouvernements des pays donateurs sur une reconstitution triennale d'un montant annuel de 1.500 millions de dollars, qu'ils seraient disposés à recommander aux autorités législatives de leurs pays respectifs. Je ne puis cependant vous dissimuler qu'il y a tout lieu de douter que les ratifications nécessaires puissent être obte- nues d'ici au 30 juin, ou peu après cette date. De ce fait, nous risquons d'avoir à interrorapre complètement les activités de l'IDA le ler juillet prochain. Les conséquences de cette interruption seraient désastreuses pour les nations qui dépendent au premier chef de l'IDA pour la mise à exécu- tion de leur programme de développement: les pays de la zone du Sahel qui souffrent actuellement de la pire sécheresse qu'ils aient jamais con- nue, les autres "pays les moins développés" que les Nations Unies ont désignés comme méritant une assistance accrue, le Pakistan qui a besoin d'une aide extérieure d'un montant énorme pour réparer ies dégâts immenses provoqués par les inondations, les pays fortement peuplés comme l'Inde, l'Indonésie et le Bangladesh, qui totalisent quelque 750 millions d'habitants dont le revenu annuel est inférieur à 100 dollars par personne, et une bonne douzaine d'autres pays. Je ne peux pas croire que les gouvernements permettront que pren- nent fin les activités de l'IDA. Pour éviter pareil désastre, il faut, non seulement que les gouvernements concernés s'appliquent à obtenir dans les meilleurs délais toutes les ratifications nécessaires à l'entrée en vi- gueur de la reconstitution des ressources de l'IDA, mais encore que soit élaboré et adopté un plan d'urgence visant à la fois à réduire la durée de la période transitoire prévisible et à en minimiser les inconvénients. I. INTRODUCTION l'an dernier, j'ai abordé devant vous l'examen des relations délicates qui existent entre la justice sociale et la croissance économique. J'ai alors souligné que nous devions mettre au point une stratégie du développement qui améliore le sort de la fraction la plus pauvre de la population des pays du tiers monde-et notamment des quelque 40% de cette population qui ne contribuent pas de façon appréciable à la croissance économique de leur pays et ne reçoivent pas la part qui devrait leur revenir du progrès économique. Depuis notre dernière réunion, douze mois se sont écoulés au cours desquels la Banque s'est attachée en priorité à pour- suivre l'étude des problèmes de la pauvreté dans les pays du tiers monde et à évaluer les mesures qui permettraient de les résoudre. Me fondant sur ces études, je me propose, ce matin: • D'examiner la nature du problème de la pauvreté, et notam- ment de la pauvreté rurale. • D'évoquer certains des éléments essentiels d'une stratégie visant à résoudre ce problème. • De tracer les grandes lignes d'un plan d'opérations pour la mise en oeuvre par la Banque Mondiale de cette stratégie. Auparavant, je vous présenterai les résultats du Programme quinquennal de la Banque, couvrant la période 1969-73, qui a pris fin le 30 juin dernier et vous soumettrai des propositions pour un deuxième Programme quinquennal, couvrant la période 1974-78. l, LE PROGRAMME QUINQUENNAL DE LA BANQUE POUR LES EXERCICES 1969-1973 C'est au mois de septembre 1968, lorsque j'ai participé pour la première fois à votre Assemblée annuelle, que j'ai indiqué les principaux objectifs d'un Programme quinquennal des activités du Groupe de la Banque Mondiale. Ces objectifs sont sans aucun doute présents à votre mémoire. !l s'agissait "de formuler, pour chaque pays du tiers monde, un 'plan de développement' et de déterminer ce que le Groupe de la Banque pourrait investir dans ce pays en l'absence de toute restriction financière et dans l'hypothèse où la seule limitation de nos activités serait l'apti- tude de nos pays-membres à utiliser avec profit notre assistance et à rembourser nos prêts aux conditions auxquelles ils avaient été accordés". Ces études nous ont amenés à proposer de doubler le volume des engagements de la Banque au cours de la période 1969-73, par rapport à celui des cinq années précédentes. Cet objectif a été atteint: exprimé en prix courants, le montant total des en- gagements financiers de la BIRD, de 'IDA et de la SFI, qui avait été de 5,8 milliards de dollars pendant la période 1964-1968, a été porté à 13,4 milliards pendant la période 1969-1973. En termes réels, l'accroissement a été de 100%. Comme il ressort du tableau ci-dessous, le montant total des engagements pris par la Banque au cours des cinq dernières Engagements financiers du Groupe de la Banque à l'égard du tiers monde, par région (en millions de dollars) Nombre de projets Montant des engagements (en prix courants) Région 1946-68 1969-73 1946-68 1969-73 Afrique de l'Est 78 104 $ 834 $ 1.099 Afrique de l'Ouest 35 102 522 891 Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord 113 168 1.785 3.198 Amérique latine et Antilles 281 176 3.554 3.734 Asie 201 210 3.927 4.496 2 Total 708 760 $10.622 $13.418 années a été supérieur au montant enregistré pendant les 23 années précédentes, de 1946 à 1968. Cependant notre objectif n'était pas seulement quantitatif. Nous n'avons pas simplement cherché à faire plus que pré- cédemment, mais avons tenu à développer nos activités dans les directions correspondant le mieux possible à l'évolution rapide des besoins du tiers monde. Dans le cadre général des objectifs que nous nous étions fixés, nous avons dû par conséquent réorienter nos efforts, tant sur le plan géographique que selon les secteurs d'activité. Tout en poursuivant notre assistance aux régions où nous étions déjà particulièrement actifs, nous avons décidé de la développer de façon appréciable clans d'autres régions. C'est ainsi qu'en Afrique, nous avions décidé ce tripler !e montant total de nos prêts, et cet objectif a été atteint. Pour la première fois, l'Indonésie a figuré sur la liste des bénéficiaires de notre assistance et, au cours de ces cinq années, le montant ce nos engagements y a atteint 523 millions de dollars. Dans les plus pauvres et les moins développés de nos pays- membres, où le revenu moyen par habitant ne dépasse pas 120 dollars par an, nous avons presque triplé le montant ce nos prêts. Au cours Ce la période couverte par notre premier Programme quinquennal, notre assistance a permis d'y entreprendre 217 projets distincts, contre 167 au cours des 23 années précédentes. Nos plans relatifs aux changements d'orientation géographi- que ce nos activités ont donc été menés à bien, ainsi que l'accroissement de nos prêts clans les régions qui en avaient bénéficié précédemment. Dès 1968, il était clair que l'importance relative des secteurs d'activité touchés par notre Programme quinquennal devait également évoluer. Nous avions donc prévu ce tr'pler le mon- tant de nos préts cans le seteur de 1'education, et de le qua- drupler clans celui de l'agriculture. Ces objectifs ont été atteints. Sans doute l'évolution la plus marcluante a-t-elle été l'inter- 3 vention de la Banque dans un secteur où elle ne s'était jusqu'alors jamais aventurée: le secteur délicat et épineux, mais certaine- ment primordial, de la population. Nous avons créé un Département des projets de population et, dès le début, nous avons reçu de nos pays-membres plus de demandes d'assistance technique et financière que nous ne pouvions en satisfaire. C'est donc délibérément que nous nous sommes bornés, à l'origine, à des projets clans certains petits pays, à la mesure du personnel limité dont nous disposions alors. Toutefois, vers la fin de la période couverte par notre Pro- gramme quinquennal, des accclrds avaient été signés en vue de l'exécution de projets de popuiation dans sept pays, dont deux comptent parmi les plus vastes et les plus peuplés du monde: l'Inde et l'Indonésie. Outre la création du Département des projets de population -qui par la suite a été également chargé de l'étude des projets de nutrition-noUs avons pris au sein de la Banque d'autres initiatives. C'est ainsi qu'ont été créés de nouveaux départe- ments chargés respectivement des projets industriels, des projets d'urbanisme et des projets touristiques; un Bureau de l'écologie; un Service d'évaluation rétrospective des opérations. La Banque a également entrepris un nouveau programme d'études appro- fondies de l'économie des divers pays. Pour être en mesure de doubler le montant de nos engage- ments nous avons dû, bien sûr, renforcer l'organisation et la structure financière de la Banque. Nos activités de recrutement se sont intensifiées clans le monde entier, et l'effectif du person- nel de la Banque a augmenté de 120% au cours de la période considérée. Nous avons décidé, à cette occasion, cl'accroître au maximum le caractère international de notre personnel. En 1968, celui-ci comprenait des ressortissants de 52 pays. Ce chiffre est maintenant de 92. En 1968, le pourcentage du personnel en provenance de pays-membres en voie de développement était de 19%. Il est maintenant de 29% et continue d'augmenter. L'accroissement du montant de nos prêts a évidemment nécessité un accroissement du montant de nos emprunts, qui 4 lui-même n'est possible que clans la mesure où les divers gou- vernements nous ouvrent leurs marchés financiers. Malgré les incertitudes de la conjoncture et les fluctuations monétaires, nous avons continué à bénéficier des mêmes facilités que précédemment. Nous avons pu emprunter non seulement sur nos marchés financiers traditionnels, mais également sur des marchés entièrement nouveaux, et utiliser de nouveaux instru- ments d'emprunt et de nouvelles méthodes de placement de nos emprunts. Cela montre à quel point est solide la confiance qu'inspire la structure financière de la Banque. Au cours de la période couverte par notre premier Programme quinquennal, le montant net de nos emprunts a été d'environ quatre fois supérieur au montant emprunté pendant la période précédente, et le montant de nos réserves liquides s'est accru de 170%, pour atteindre 3,8 milliards de dollars. Le revenu net de la Banque ne s'est ressenti ni ce l'augmenta- tion du volume des opérations, ni de l'importance nouvelle accordée à des secteurs de caractère plus social que précédem- ment. Au contraire, ce revenu a été de 965 millions de dollars pcur les cinq dernières années, soit 28% de plus que pour la pé:iode précédente, bien que le taux d'intérêt des prêts de la Banque ait été maintenu à un niveau qui a eu pour effet d'acc,oître, par rapport aux années précédentes, l'élément de subvention des prêts accordés aux pays en voie de développe- nient. Nous avons donc exécuté notre Programme cquinquennal, en réalisant les objectifs quantitatifs que nous nous étions fixés en 1968, iouit en déployant des efforts soutenus pour améliorer la qualité générale de nos activités. Maintenant, notre tâche est d'aller de l'avant et de passer à l'exécution d'un deuxième Programme quinquennal. Comme ceux du premier, les objectifs et les orientations nouvelles de ce deuxième Programme devront être déterminés en fonction de l'évolution de la situation du développement. C'est de cette situation que je me propose de vous entretenir maintenant. 5 Ill. LE DEUXIEME PROGRAMME QUINQUENNAL DE LA BANQUE: EXERCICES 1974-1978 La plupart de nos pays-membres en voie de développement sont confrontés à trois difficultés étroitement liées: • L'insuffisance des ressources en devises que leur procurent leurs échanges. • L'insuffisance des flux d'aide publique au développement. • L'accroissement du fardeau de leur dette extérieure. Chacun de ces problèmes est grave à lui seul, mais leur con- jonction risque de compromettre le résultat de tous les efforts de développement et vous me permettrez d'examiner briève- ment chacune d'elles. Le problème des échanges Pour a plupart des pays du tiers monde, l'essentiel du problème des échanges réside dans le fait que ces pays ne peuvent pas développer leurs exportations aussi rapidement qu'il serait nécessaire pour financer les importations qui leur sont indispensables. Ces importations conditionnent fréquem- ment tout accroissement de la capacité d'exportation-et, partant, tout accroissement des entrées de devises- rendant ainsi pratiquement insoluble le problème du déséquilibre des échanges de ces pays. Ce problème est aggravé par la lenteur avec laquelle les pays riches suppriment les mesures discriminatoires faisant obstacle aux échanges des pays pauvres. il ressort en effet de nos études que, si les pays riches diminuaient progressivement les barrières protectionnistes qui restreignent actuellement les importations de produits agricoles en provenance des pays pauvres, ceux-ci pourraient, d'ici à 1980, augmenter d'au moins 4 milliards de dollars les recettes que leur fournissent annaellement leurs exportations. La grave insuffisance de l'aide publique au développement Le deuxième problème résulte de la grave insuffisance de l'aide publique au développement-autrement dit, de l'assis- tance financière consentie à des conditions de faveur. Non e seulement cette aide est-elle bien inférieure aux besoins du tiers monde et aux possibilités des pays riches mais, comme l'indique le tdbleau ci-joint, elle n'arrive qu'à la moitié de l'objectif, pourtant bien modeste, prescrit par la Stratégie des Nations Unies, adoptée par la communauté internationale pour la Deuxième décennie du développement. Cet objectif consistait à porter le montant de l'aide publique au développement à 0,7% du produit national brut des pays développés et ce, d'ici à 1975. En réalité, l'aide publique ne dépassera pas, à cette date, 0,35% de leur PNB. Et cependant il n'est pas néc-saire, pour que cet objectif soit atteint, que la population des pays riches réduise son niveau de vie déjà fort élevé, ou fasse passer au second rang ses objectifs prioritaires nationaux. Il lui suffirait d'y consacrer une fraction minime du supplément de revenu - c'est-à-dire de l'accroissement de revenu-dont elle bénéficiera au cours de la décennie de 1970. En effet, le PNB annuel des pays riches, exprimé en prix constants, s'élèvera, au cours de cette decennie, de 2.000 mil- liards de dollars en 1970 à quelque 3.500 milliards en 1980, accroissement qui dépasse presque l'entendement. Pourdoubler le montant de l'aide publique au développement et atteindre l'objectif de 0,7%, il suffirait que les pays développés lui consa- crent moins de 2" de l'augmentation de leur propre richesse au cours de cette période, les 98" restants étant plus que suf- fisants pour faire face à urs taches locales. J'ai entendu dire dans les pays développés-aux Etats-Unis comme ailleurs-que les problèmes intérieurs sont si pressants qu'ils exigent qu'on leur consacre la totalité de l'accroissement énorme de la richesse de ces pays, et qu'il n'est même pas possible de mettre de côté les 2% de cet accroissement que nous souhaiterions voir transférer à l'intention des pays pauvres. je crois cependant que ceux qui affichent cette opinion oublient, lorsqu'ils citent les besoins de leurs villes et de leurs campagnes, de faire la distinction qui s'impose entre deux types de pauvreté -entre ce que l'on peut appeler la pauvreté relative et la pauvreté absolue, Pauvreté relative signifie simplement que certains pays sont moins riches que d'autres ou que, dans un pays donné, certains citoyens connaissent une abondance moindre que leurs voisins. Il en a toujours été ainsi et ces différences entre régions et entre 7 individus, dont on ne saurait nier la réalité, persisteront pendant les décennies futures. Par contre, la pauvreté absolue est une condition d'existence sordide, tellement avilie par la maladie, l'analphabétisme et la malnutrition que ses victimes se voient privées de ce qui est essentiel à toute dignité humaine. C'est une condition d'existence que l'on ne rencontre qu'assez rarement dans les pays développés, mais que connaissent des centaines de millions d'habitants des pays en voie de développe- ment qui sont représentés dans cette salle. Nombreux sont, parmi vous, ceux qui savent bien mieux que moi que: • Un tiers, sinon la moitié, des deux milliards d'êtres humains qui vivent dans ces pays souffrent de la faim ou de la malnutrition. • 20 à 25% de leurs enfants meurent avant d'avoir atteint l'âge de cinq ans. Parmi ceux qui survivent, des millions mènent une vie diminuée parce que leur cerveau a été en- dommagé, leur croissance arrêtée et leur vitalité amoindrie par les insuffisances de leur alimentation. • L'espérance de vie de ces malheureux est en moyenne inférieure de 20 ans à celle des habitants des pays riches. Leur vie est en moyenne de 30% plus courte que celle des habitants de ces pays. En fait, dès leur naissance, ils sont condamnés à une mort prématurée. • 800 millions d'entre eux sont illettrés et, malgré les progrès prévisibles de l'éducation au cours des années à venir, il faut s'attendre que l'analphabétisme soit encore plus répandu parmi leurs enfants. Voilà ce qu'est la pauvreté absolue: une condition d'existence étiolée au point d'empêcher la réalisation du potentiel géné- tique que chacun de nous porte à sa naissance; dégradante au point de faire insulte à la dignité humaine-et pourtant assez répandue pour être celle de quelque 40% des habitants des pays en voie de développement. Nous, qui tolérons cette pauvreté alors qu'il est en notre pouvoir de réduire le nombre de ceux qui en sont affligés, ne manquons-nous pas aux obligations fondamentales acceptées par les hommes civilisés depuis le 8 début des temps? Ne croyez surtout pas q.ue mes déclarations soient celles d'un fanatique. Vous m'avez chargé d'étudier les problèmes du monde en voie de développement et de vous faire un rapport sur mes constatations. Ce sont elles que vous venez d'entendre. Il est exact que certains habitants de pays développés protes- tent contre l'accroissement de l'assistance aux pays du tiers monde en raison de la pauvreté qui règne dans leur propre pays. S'ils le font, c'est qu'ils ignorent les faits que je viens de rap- porter; ou encore qu'ils ne saisissent pas la différence entre pauvreté relative et pauvreté absolue; ou peut-être, qu'ils se dissimulent à eux-mêmes la vérité-ne voulant pas admettre que la principale demande qui s'exerce sur leur supplément de richesse ne provient pas d'un souci louable des intérêts des plus déshérités de leurs concitoyens, niais de la spirale incessante de leur propre demande de nouveaux biens de consommation. L'assistance au développement peut évidemment se mani- fester de multiples façons, et notamment par îexpansion des échanges, le renforcement de la stabilité irternationale et la réduction des tensions sociales. Pourtant, à mon avis, c'est surtout par des considérations d'ordre moral que se justifie l'aide au déve'oppement. De tout temps, l'humanité a reconnu - du moins dans l'abstrait - le principe selon lequel les riches et les puissants de ce monde ont l'obligation morale d'aider les pauvres et les faibles. Ce principe répond à la définition même du sens de communauté, qu'il s'agisse de la communauté de la famille, du village, de la nation ou de la communauté internationale. Pour ma part, je ne peux pas croire qu'une fois mieux com- prise la grave insuffisance des flux d'aide publique au dévelop- pement, qu'une fois mieux perçue l'étendue de la privation que connaissent les habitants des pays en voie de développement, qu'une fois comparée de façon plus réaliste la profondeur de la misère des pays pauvres avec l'abondance inouïe des pays riches (par exemple, lorsque te peuple des Etats-Unis aura compris que, représentant 6% de la population du monde, il consomme quelque 35% de ses ressources et que cependant, lorsqu'on exprime l'assistance économique en fonction du PNB, 9 il ne vient qu'au quatorzième rang des seize pays développés membres du Comité d'aide au développement)-je ne peux pas croire, vous dis-je, qu'en présence de tous ces faits, la popu- lation et les gouvernements des pays riches se détourneront avec scepticisme et indifférence. L'accroissement du fardeau de la dette Le troisième problème est celui de l'alourdissement du far- deau de la dette extérieure des pays du tiers monde. L'encours de la dette garantie par l'Etat est actuellement de l'ordre de 80 milliards de dollars, et son service absorbe annuellement quelque 7 milliards de dollars. Il importe de bien comprendre l'essence du problème de la dette. Ce problème ne résulte pas tellement de l'existence de la dette proprement dite, ni méme de son montant. Il résulte plutôt de la composition et de la dynamique de la dette: du fait que celle-ci, de mme que son service, augmentent plus rapidement que les recettes nécessaires pour assurer ce dernier. La limitation des possibilités d'échanges, aggravée par l'insuf- fisance des flux d'aide publique au développement, a générale- ment pour effet d'obliger les pays clu tiers monde à recourir de façon excessive à des crédits à 1'e\portation ou à d'autres formes coUteuses de préts à court terme. C'est la conjonction de ces facteurs qui menace d'accroitre le fardeau de la dette au-delà de limites raisonnables. Déjà, depuis 1970, la situation qui sévit dans plusieurs )ays--notamnient au Ghana, au Chili, au Pakis- tan, en Inde, en Indonésie et à Sri Lanka-a conduit à des amé- nagements de dettes, ou même à des interru)tions de paiements. Le programme de la Banque pour la période 1974-1978 En raison de la gravité cle, problèmes interdépendants que connaissent les pays en voie de développement-insuffisance des entrées de devises résultant des obstacles aux échanges, insuffisance des flux d'aide publique et accroissement du far- deau de la dette-la Banque, loin de ralentir le rythme de ses opérations au cours des cinq années à venir, doit l'augmenter. C'est précisément ce qu'elle a l'intention de faire. 10 Nous nous proposons d'augmenter les prêts et les crédits de la Banque et de VIDA au taux cumulatif annuel de* 8% en termes réels." Pour la période quinquennale 1974-1978, nos prêts-exprimés en dollars de 1973-devr&,ent s'élever au total à 22 milliards de dollars, pour près de 1.000 projets. Le coût total de ces projets sera proche de 55 milliards de dollars. Nos 22 milliards de dollars de nouveaux engagements repré- senteront, en termes réels, une augmentation de 40% par rap- port à la période 1969-1973 et de 175% par rapport à la période 1964-1968. Tels sont donc, du point de vue financier, nos plans pour le deuxième Programme quinquennal. Ce sera le programme d'as- sistance technique et financière le plus vaste qui aura jamais été entrepris par un organisme en faveur des pays en voie de développement. Les changements qualitatifs que comportera ce programme compteront cependant encore plus que l'augmentation de son ampleur. Nous nous proposons, en effet, daccorder une impor- tance sensiblement accrue aux mesures et aux projets visant à s'attaquer au problème de la pauvreté absolue que j'ai men- tionné tout à l'heure-ainsi qu'à des formes d'aide conçues pour augmenter la productivité des quelque 40% de la population de nos pays-membres en voie de développement qui n'ont pu encore contribuer notablement à la croissance économique de leur pays, ni recevoir la part Clu progrès économique qui aurait dû leur échoir. C'est à l'examen de la nature du problème de la pauvreté, des moyens dont nous disposons pour l'atténuer et du rôle que la Banque peut jouer dans ce domaine que je voudrais consacrer le reste de mon discours. "Dans mon discours de l'an dernier, j'ai indiqué que nous nous proposions d'accroître de 11% par an le montant de nos engagements financiers, calculés en prix courants. Cette augmentation correspondait à un accroissement de 8% en "termes réels". Aujourd'hui, en raison des modifications subies par les taux de change et de la flambée des prix, l'augmentation de 8% par an, en termes réels, pour la période 1974-78 par rapport à la période 1969-73, nécessitera probablement un accroissement des engagements financiers, ex- primés en prix courants, d'approximativement '144 pai an. 11 IV. LA PAUVRETE DANS LE TIERS MONDE Croissance et pauvreté Le problème de fond posé par la pauvreté et la croissance dans les pays en voie de développement tient en une formule très simple: la croissance ne profite guère aux pauvres, et ceux-ci à leur tour ne contribuent guère à la croissance. Les pays en voie de développement ont connu au cours des dix dernières années une croissance économique sans précé- dent, qui n'a pourtant pas eu d'effet véritable sur le niveau de vie des plus pauvres de leurs habitants. Ils sont près de 800 mil- lions-soit 40% d'une population totale de 2 milliards d'hahi- tants-qui s'efforcent, avec un revenu évalué (par rapport au pouvoir d'achat américain) à 30 cents par jour, cIe subsister dans des conditions inhumaines cIe malnutrition, d'analphabétisme et de misère: la pauvreté dans son sens le plus absolu. S'il est vrai qu'en matière de répartition des revenus dans le tiers monde les statistiques sont trop récentes pour brosser un tableau exhaustif de la situation, les chiffres n'en sont pas moins révélateurs: clans les 40 pays en voie de développement sur lesquels on dispose de données, les 20% les plus riches cIe la population reçoivent 55% du revenu national, tandis que les 20% les plus pauvres n'en reçoivent que 5%. Il y a là une inégalité criante, d'ailleurs beaucoup plus sensible que dans la majorité des pays industrialisés. Les statistiques indiquent que cette décennie de croissance rapide s'est accompagnée, dans nombre de pays en voie de développement, d'une aggravation cIe la disparité des revenus, et que ce problème se pose avec une acuité toute particulière dans les campagnes. La production s'est accrue dans les secteurs minier, industriel et public-entraînant l'augmentation du re- venu de ceux qui en vivent-mais la productivité et le revenu des petits agriculteurs sont demeurés inchangés. On peut en conclure d'une part que, dans la majorité des cas, les principaux bénéficiaires des mesures visant essentiellement à accélérer la croissance économique ont été les 40% les plus riches de la popolation et, d'autre part, que les critères qui ont 12 présidé à l'affectation des services publics et des fonds d'investis- sement n'ont généralement fait qu'accentuer cette tendance au lieu de la corriger. Réorienter les politiques de développement Depuis quelque temps, on parle beaucoup de la nécessité de réorienter les politiques de développement afin de mieux répartir les bienfaits de la croissance économique. En fait, rares sont les pays qui ont effectivement pris des mesures énergiques dans ce sens. Et j'ajouterai que, tant que les gouvernements n'auront pas repensé leur politique en fonction de cet objectif, les organisations internationales telles que la Banque Mondiale ne pourront pas faire grand-chose pour améliorer la situation. Sans vouloir m'immiscer dans un domaine qui est du ressort exclusif des gouvernements, je voudrais examiner avec vous une première mesure qui pourrait contribuer grandement à faire accepter plus vite les changements de politique nécessaires. Il s'agirait ce redéfinir de façon plus réaliste les objectifs, les progrès du développement et la façon de mesurer ce dernier. Si la plupart des pays ont étoffé la liste de leurs objectifs de développement pour y inclure, à côté du traditionnel accroisse- ment de la production, la réduction du chômage et l'aigmenta- tion du revenu des plus défavorisés, ils n'en continuent pas moins d'évaluer les progrès accomplis avec un seul instrument de mesure: la croissance du PNB. Or le PNB ne permet pas à lui seul de mesurer les résultats obtenus par rapport à des objectifs de développement multiples, pas plus que nous ne pouvons exprimer la qualité de la vie clans une ville au moyen du seul chiffre de sa population. Le produit national brut est un indice de la valeur totale des biens et ser- vices produits par une économie; il n'a jamais été conçu pour mesurer leur répartition. Il importe de rappeler ici que, pour un taux déterminé de croissance du PNB, l'augmentation relative du revenu de chaque groupe est d'autant plus forte que sa part du revenu national est plus importante. Comme dans les pays en voie de développe- ment la tranche de 40% la plus riche ce la population reçoit généralement 75% du revenu global, la croissance du PNB traduit essentiellement l'amélioration du bien-être de cette catégorie d'habitants. Elle n'est pratiquement pas affectée par 13 l'évolution des revenus des 40% les plus pauvres, qui ne re- çoivent en tout que 10 à 15% du revenu national. Si nous définissions un autre indice qui accorderait au moins la même pondération à une augmentation de 1 % du revenu des plus pauvres qu'à une augmentation de 1% du revenu des plus riches, nous obtiendrions une toute autre image du développe- ment accompli. Par exemple, dans plusieurs des plus grands pays d'Amérique latine et d'Asie, le taux de croissance du revenu total serait sensiblement inférieu; au chiffre obtenu en utilisant le PNB comme étalon. Par contre dans certains cas, notamment au Sri Lanka et en Colombie, c'est l'inverse qui serait vrai car dans ces pays, en donnant la même pondération à l'accroissement du revenu de chaque citoyen, quel que soit son niveau de revenu, on pourrait évaluer les résultats obtenus en matière de développement avec plus de précision que ne permet de le faire le PNB, parce qu'on tiendrait compte de la redistribution d'une partie des bienfaits de la croissance, qui est opérée en faveur des catégories les plus pauvres de la population. L'adoption d'un instrument de mesure économique ainsi axé vers un objectif social marquerait une étape importante dans la révision des politiques de développement. Les gouverne- ments, les services de planification et les ministères des finances auraient à envisager l'affectation des ressources clans une opti- que beaucoup plus large et devraient tenir compte non seule- ment du rendement total d'un investissement mais encore de la répartition des avantages qui en résulteraient. Une telle mesure donnerait un contenu pratique et concret à toute la rhétorique aujourd'hui déployée clans la plupart des plans de développe- ment lorsqu'il s'agit de définir les objectifs sociaux. Elle permet- trait en outre d'incorporer des considérations de justice sociale, aujourd'hui si importantes, dans les procédures suivies pour l'évaluation des projets tant par les pays en voie de développe- ment que par les organismes de prêt. Les services de la Banque Mondiale commencent d'ailleurs à oeuvrer dans ce sens. Rechercher les zones de concentration de la pauvreté La réorientation de la stratégie du développement que je vous propose exigerait que nous nous appliquions à identifier avec 14 beaucoup plus de précision les principales zones de concentra- tion de la pauvreté dans chaque pays et à examiner avec beau- coup plus de soin les mesures et les investissements susceptibles de les atteindre. De toute évidence, c'est dans les zones rurales que l'on trouve la grande majorité des pauvres," et il semble bien qu'il en sera encore de même pendant les deux Ou trois décennies à venir: • A l'heure actuelle, 70% de la population des pays en voie de développement vivent dans les campagnes, de même que 70% des pauvres de ces pays. • Bien que les projections démographiques indiquent que, d'ici à la fin du siècle, ce sont surtout les zones urbaines de ces pays qui verront augmenter leur population (60% d'une augmentation de 2 milliards d'habitants)-en grande partie du fait de migrations intérieures-plus de la moitié des habitants du tiers monde vivra encore à la campagne en l'an 2000. • La rapidité de l'urbanisation pose d'ores et déjà de très graves problèmes: dans les conditions actuelles, les dé- penses publiques par habitant engagées dans les zones urbaines sont généralement trois à quatre fois supérieures aux dépenses effectuées dans les zones rurales. Les efforts déployés pour alléger la misère des campagnes en intensi- fiant l'exode rural ne pourront donc qu'aboutir à une répartition encore plus inégale des fonds publics et ne feront qu'aggraver la disparité actuelle des revenus. • Le problème de la pauvreté clans les campagnes provient essentiellement de la faible productivité des millions de petites exploitations réduites à une agriculture de subsis- tance. C'est un fait que malgré la forte croissance du PNB, la hausse de productivité de ces petites exploitations familiales a été pratiquement imperceptible au cours des dix années écoulées. Quelle que soit l'ampleur de ce problème dans les campagnes, la décision de nous y attaquer nous amène à nous poser une "Certes, il y a dans le tiers monde des millions de victimes de la pauvreté qLui vivent clans les taudis des zones urbaines et dont le progrès économique et social dépend d'une accélération du rythme de l'industrialisation. J'ai déjà évoqué cette question devant vous et j'ai d'ailleurs l'intention d'y revenir, mais aujourcl'huî je veux m'arrêter plus particulièrement sur le problème dle la pauvreté clans les campagnes, où vit la très grande majorité des habitants des pays en voie de développement. 15 question essentielle: Est-il raisonnable, du point de vue straté- gique, de consacrer une part importante des ressources mon- diales au relèvement de la productivité de petites exploitations qui font tout juste vivre ceux qui les cultivent? Ne serait-il pas plus sage de faire porter tous nos efforts sur le secteur moderne, dans l'espoir que son taux de croissance élevé étendraitses effets aux campagnes? Je ne le crois pas. L'expérience prouve qu'à court terme, le secteur traditionnel ne profite guère des progrès du secteur moderne. Les disparités de revenus ne feront donc que s'accroître tant que l'on n'aura pas pris des mesures favorisant directement les plus pauvres. Il n'y a donc, à mon avis, pas d'autre solution que de relever la productivité des petites exploitations agricoles, si l'on veut pro- gresser sensiblement vers la solution des problèmes que pose la pauvreté absolue dans les zones rurales. Cela ne signifie pas que cet objectif soit forcément et radicale- ment incompatible avec la croissance du reste de l'économie, Au contraire, il est évident qu'aucun effort visant à accroître la productivité de l'agriculture ce subsistance ne saurait porter de fruits dans un contexte de stagnation économique générale. Les petits exploitants ne peuvent prospérer que si les autres secteurs croissent suffisamment pour leur procurer les ressources dont ils ont besoin et pour créer la demande nécessaire à l'écoulement de leur production supplémentaire. Il faut dire que l'inverse est également vrai, et il est grand temps d'en convenir. Si la petite agriculture ne se développe pas rapidement dans l'ensemble du tiers monde, il n'y a guère d'espoir de réaliser à long terme une croissance économique soutenue ou de réduire sensiblement l'ampleur de la pauvreté absolue."ý "Il n'entre pas dans mon propos aujourd'hui d'examiner la crise alimentaire qui sévit actuellement dans de vastes régions du globe, il est cependant évident que dans un monde dont la population va continuer d'augmenter pendant au moins un siècle, toute solution à long terme à cette pénurie passe par un accroissement marqué de la productivité des petites exploitations. De surcroît, pour parer aux aléas climatiques, il convient de mettre en place un système coordonné de réserves alimentaires nationales. Pour ma part, j'appuie forte- ment tous les efforts déployés par le Directeur général de la FAO pour or- ganiser un tel programme et je suis ent;êrement disposé à recommander que 16 la Banque Mondiale participe à son financement. En fait, depuis vingt ans, on a peu fait pour améliorer la productivité de l'agriculture de subsistance. Ni les programmes politiques, ni les plans de développement économique, ni l'aide internationale-qu'elle soit bilatérale ou multilatérale-n'ont prêté à cette question une attention réelle et soutenue, et la Banque Mondiale ne fait d'ailleurs pas exception: en p1us d'un quart de siècle d'activité, comportant un total de 25 milliards de dollars de prêts, le montant que nous avons consacré directe- ment à la solution de ce problème n'atteint pas un milliard. Il est temps que nous abordions cette question de front. V. UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT RURAL Voici donc la stratégie de développement rural que je vous propose. Au cours de cet exposé, je m'efforcerai: premièrement, de circonscrire le problème; deuxièmement, de fixer un objectif réalisable, qui nous permette d'agir; et troisièmement, d'identi- fier les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. L'ampleur du problème Permettez-moi tout d'abord ce vous donner en quelques chiffres un aperçu de l'ampleur de ce problème dans les pays en voie de développement, membres ce la Banque: • La question du développement rural concerne bien plus de 100 millions ce familles (soit plus de 700 millions de personnes). • Les exploitations agricoles des pays en voie de développe- ment sont généralement peu étendues et souvent morce- lées: plus ce 100 millions d'entre elles couvrent moins de cinq hectares; plus de 50 millions n'atteignent même pas un hectare. • Dans les zones rurales, la terre, et par conséquent le pouvoir économique et politique, sont concentrés entre les mains d'une petite minorité. D'après une récente étude de la FAO, clans la plupart des pays en voie de développement, les 20% les plus riches des propriétaires terriens possèdent de 50 à 60% des terres arables. Au Venezuela: 82%; en Colombie: 56%; au Brésil: 53%; aux Philippines, en Inde et au Paki- stan: environ 50%. Inversement, les 100 millions d'exploita- 17 tions de moins de cinq hectares couvrent moins de 20% des terres arables. • On ne sait même pas jusqu'à quel point le petit exploitant a la jouissance de sa terre: les baux de fermage ne lui offrent généralement aucune garantie et sont souvent assortis de conditions exorbitantes. Dans bien des pays, des métayers doivent remettre à leur propriétaire de 50 à 60% de leurs récoltes, ce qui ne les empêche pas d'être perpétuellement menacés d'expulsion. Une situation aussi précaire ne les incite guère à devenir plus productifs. Certains prétendent que la productivité des petites exploita- tions est intrinsèquement faible. Il n'en est absolument rien. Outre l'exemple frappant du Japon, un certain nombre d'études effectuées récemment dans des pays en voie de développement montrent que, dans certaines conditions, les petites exploita- tions peuvent être aussi productives que les grandes. C'est ainsi qu'au Guatemalb, en République de Chine, en Inde et au Brésil, la production à l'hectare est sensiblement plus élevée dans les petites exploitations que dans les grandes. Or il est évident que, dans des économies où la terre est rare et la main-d'oeuvre excédentaire, c'est en fonction du rendement à l'hectare et non du rendement par travailleur qu'il convient de mesurer la pro- ductivité agricole. Les exemples ne manquent pas, qui tendent à prouver que les techniques agricoles modernes peuvent être appliquées à de petites unités de production et que l'échelle réduite des opéra- tions ne fait pas forcément obstacle à l'élévation des rendements. La question se pose alors ce savoir ce que les pays en voie de développement peuvent faire pour accroître la productivité des petites exploitations. Comment peuvent-ils reproduire les con- ditions qui ont permis à quelques régions pilotes et à quelques pays de réaliser une croissance agricole très rapide? Comment peuvent-ils provoquer sur leur propre territoire une croissance identique et entreprendre dans leurs campagnes un vaste effort de lutte contre la paLvreté? Il faut tout d'abord se fixer un objectif, qui seul nous per- mettra d'évaluer le montant des ressources financières requises et de mesurer les progrès accomplis par rapport à ce point de 18 référence. Fixation d'un objectif L'objectif que je propose est de développe(- la production des petites exploitations de façon que, d'ici à 1985, son taux d'ac- croissement soit de 5% par an. Si ce rythme est atteint, et si les paysans parviennent à le soutenir, leur production annuelle pourra doubler entre 1985 et la fin du siècle. Cet objectif est ambitieux, puisque jamais au tiers monde on n'a vu les paysans entretenir un taux de croissance annuel de 5% 1 sur des régions étendues. En fait, la production des petites exploitations n'a augmenté que de 2,5°1 par an en moyenne au cours des dix dernières années. Puisqu'en 1970 le japon a pu réaliser des rendements de 6.720 kg de céréales à l'hectare sur de très petites exploitations, l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine voient s'ouvrir devant elles des possibilités immenses puisque leurs rendements n'ont été respectivement que de 1.270, 1.750 et 2.060 kg à l'hectare. C'est pourquoi j'estime cet objectif réalisable. Certes, les progrès seront lents pendant les cinq ou dix premières années nécessaires à la mise en place de nouvelles institutions, à l'adop- tion de nouvelles politiques, à la realisation de nouveaux in- vestissements. Mais une fois ecoulee cette phase de lancement, l'accroissement moyen de la productivite des petites exploita- tions agricoles pourra atteindre le double de celle qui prevaut aujourd'hui pour le plus grand bien de centaines de millions de personnes. Cela pose, quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre cet objectif? Personne, ni à la Banque ni ailleurs, ne sait exactement com- ment s'y prendre pour introduire les techniques culturales et les facteurs de produc tion agricole modernes dans plus de 100 mil- lions de petites expl-itations--en parti ulier dans les régions arides. Il n'est pas possible non plus tý determiner avec preci- sion le cout d'une telle entreprise. Ma s nous en savons assez pour aler de l'avant. Bien sur, il nous faudra prendre quelques risques, improviser et expérimenter, et s'il nous arrive d'échouer, nous en tirerons les lecons qui s'imposent et nous nous remet- trons à la tâche. Que pouvons-nous donc faire des aujourd'hui? Les mesures nécessaires pour atteindre notre objectif Tout en revêtant un caractère forcément provisoire, la straté- gie que nous entendons déployer pour accroître la productivité des petites exploitations doit comprendre un certain nombre d'éléments indispensables à tout programme global de dévelop- pement rural: • Accélération de la réforme agraire et de la réforme du ré- gime foncier. • Augmentation des facilités ce crédit. • Assurance d'approvisionnement en eau. • Développement des services ce vulgarisation et intensifica- tion de la recherche agricole. • Amélioration des services publics. • Et surtout: mise en place d'institutions et d'organisations rurales nouvelles, capables de mettre en valeur le potentiel de développement des couches les plus pauvres de la popu- lation et ce relever leur productivité avec toute l'énergie habituellement appliquée à la défense des intéréts des privilégiés. Ces mesures n'ont rien de nouveau et leur nécessité a déjà ete reconnue. Mais elles continueront de n'étre que des voeux pieux tant que nous n'aurons pas défini les modalités de leur mise en application et que nous n'aurons pas consenti à engager les ressources qu'appelle leur adoption. C'est précisément l'objet de ma proposition. Rénovation des structures Le probleme le plu)s comple\e tan t sans auun loute celui de la struc ture des organisations responsables de la petite agricul- ture, c'est cette question que j'aborderai en premier lieu. Les gouvernements ne peuvent manifestement pas traiter directement avec plus cie 100 millions de familles de petits exploitants. Il faut donc constituer des organisations agricoles loc'les lui offriront aux agriculteurs leurs services à peu de frais et créer des institutions par 'intermédiaire desquelles les gou- vernements et les établissements commerciaux poUrront leur fournir l'assistance technique et les moyens cie financement dont 20 ils ont besoin. Ces organisations et institutions peuvent prendre des formes très diverses: associations de petits agriculteurs, coopératives locales ou régionales, organismes communautaires divers. Certes, de nombreuses expériences de ce type se déroulent déjà en diverses régions du monde. Mais l'essentiel est d'imposer une discipline financière rigoureuse à tous les niveaux de l'orga- nisation et de mettre en place des structures dans lesquelles tout tend à stimuler l'initiative et les efforts personnels des intéressés. L'expérience prouve que les institutions qui font appel à la participation de tous, qui s'appuient sur l'autorité de personnalités locales, et qui décentralisent les pouvoirs de décision ont plus de chances de réussir que les autres. Objectif tout aussi important: la réorganisation des services officiels et des institutions gouvernementales. Ce n'est pas avec des programmes conçus par des experts étrangers à leurs pro- blèmes et dirigés par des administrateurs indifférents à leur avenir que l'on pourra aider les petits agriculteurs. La triste vérité est que, clans la plupart des pays, les rares ressources disponibles-financières ou humaines-sont gérées par une administration centralisée qui en fait surtout bénéficier le petit groupe des riches et des puissants. Un tel fait n'a rien de surprenant car, bien souvent, la rationalisation économique, les pressions politiques et l'intérêt égoïste conspirent au malheur des plus défavorisés. Les dirigeants devront évidemment faire preuve d'un grand courage politique pour rendre leur adminis- tration plus attentive aux besoins des petits exploitants. Il faut, par exemple, cesser d'affecter les meilleurs administra- teurs aux seules -zones urbaines. Il faut mobiliser les compé- tences des ingénieurs les plus qualifiés pour trouver des solutions peu coûteuses aux problèmes posés par l'irrigation des petites exploitations. On peut inciter les jeunes diplômés à s'attaquer à la question de la pauvreté dans les campagnes et récompenser équitablement les solutions valables. Les établissements d'en- seignement doivent admettre qu'une formation pratique compte tout autant qu'une accumulation de connaissances théoriques. En un mot, chaque pays doit mettre le talent de ses administra- teUrs et de ses experts au service de la masse plutôt que des élites, au service des déshérites plutot que des nantis 21 Accélération de la réforme de la propriété et du statut du fermage D'autres réformes structurelles sont tout aussi nécessaires, parmi lesquelles la réforme agraire et celle du statut du fer- mage sont les plus urgentes. Presque tous les pays du tiers monde ont déjà adopté-ou du moins promis d'adopter-une législation à cet effet. Il n'y a cependant aucune commune mesure entre l'éloquence de ces textes et les maigres résultats obtenus, qu'il s'agisse de la redistribution des terres, de l'amé- lioration des garanties des fermiers, ou du remembrement des petites exploitations. Cela est extrêmement regrettable. Nul n'oserait prétendre que la réalisation d'une authentique réforme du régime de la propriété et des fermages soit chose aisée. Il n'est pas surpre- nant que les membres du pouvoir politique, eux-mêmes gros propriétaires, s'opposent à ces réformes. Cependant, le vrai problème n'est pas tant de savoir s'il est politiquement facile de réaliser une réforme agraire que de déterminer s'il est poli- tiquement prudent de temporiser indéfiniment. Car en s'aggra- vant, l'injustke sociale fera peser une menace toujours crois- sante sur la stabilité politique. Il est pourtant possible d'élaborer des programmes de réforme du régime foncier et des fermages qui fixent un plafond aux surfaces des propriétés, prévoyent de justes indemnisations, accordent aux cultivateurs des garanties suffisantes, et stimulent le remembrement des terres. De tels programmes exigent des politiques bien conçues, concrétisées par des lois rigoureuses ne tolérant pas de dérogations et n'offrant pas d'échappatoires qui en diminueraient la portée. Enfin et surtout, ces lois doivent prévoir des sanctions efficaces qu'il convient d'appliquer de façon énergique et impartiale. Nous devons admettre que la réforme agraire ne concerne pas seulement la terre, mais aussi bien le pouvoir, l'usage qui en est fait et les abus auxquels il donne lieu, ainsi que la structure sociale par laquelle il s'exerce. Augmentation des facilités de crédit Pourtant, la réforme agraire et celle du statut Clu fermage, 22 si réalistes et essentielles qu'elles puissent être, ne suffisent pas. C'est une chose que de posséder une terre; c'en est une autre que de la rendre productive. Aussi l'accès au crédit est-il vital pour le petit paysan qui exploite sa terre avec un capital pratiquement nul. Quelles que soient ses connaissances ou sa détermination, sans crédit il ne peut ni acheter de semences sélectionnées, ni utiliser les engrais et insecticides nécessaires, ni louer de matériel, ni tirer parti de l'eau dont il dispose. Faute de moyens, les petits agriculteurs ne peuvent généralement consacrer à l'achat de facteurs de production que moins de 20% du montant qui serait nécessaire pour assurer le bon fonctionne- ment de leur exploitation. En Asie, par exemple, le coût des engrais et des insecticides nécessaires à une utilisation optimale des nouvelles variétés de blé et de riz à haut rendement varie de 20 à 80 dollars par hectare. Or, faute de moyens financiers, le petit exploitant ne peut consacrer à l'achat de ces facteurs de production que six dollars par hectare. Qui plus est, l'essentiel de ce montant lui est prêté non par des services officiels ou des institutions spé- cialisées, mais par des propriétaires fonciers locaux ou par des prêteurs de village qui pratiquent des taux d'intérét usuraires. En fait, à 'heure actuelle, les établissements de credlit rural sont mal adaptés aux besoins des petits exploitants. Dans des pays aussi divers que le Bangladesh et l'Iran, les zones rurales reçoivent moins de 1011( des crédits totaux: en Thaïlande, aux Philippines et au Mexique, moins de 15; en Inde, moins cIe 25" . Encore les petits exploitants ne se voient-ils accorder qCu'une partie dIe ces montants, après avoir du au prealable don- ner la preuve d'une solvahilite répondant à des critères très sévères, suivre des procédures compi quees de demande de crédit et subir de longs délais d'attente. Les établissements financiers a caractère commercial hésitent à accorder des crédits aux petits agriculteurs en raison des coûts élevés d'administration et de contrôle des prêts de faible mon- tant. En outre, les petits exploitants, ayant à peine de quoi vivre, sont moins solvables que leurs voisins plus aises. Même lorsqu'elles ont été conçues à cette fin, les politiques officielles de crédit n'aident pas toujours les petits agriculteurs. Justement préoccupés des taux d'intérét usuraires pratiqués par les prêteurs locaux, les établissements de crédit ont tendance à 23 verser dans l'excès contraire de taux d'intérêts insuffisants. Or, lorsqu'il s'agit de financer un projet qui lui rapportera 20% par an, sinon plus, le petit exploitant, plutôt que de voir la Caisse de crédit agricole adopter un taux d'intérêt subventionné de 6%, mais manquer de ressources, préférera payer un taux d'in- térêt réaliste et plus élevé sur de l'argent qui sera vraiment disponible. En examinant leurs politiques financières dans le domaine agricole, les gouvernements devraient veiller à ce que leurs bonnes intentions ne portent pas en elles le germe de leur échec et un grand nombre de nos pays-membres aurait dû procéder depuis longtemps à une restructuration radicale de leurs taux d'intérêt. Approvisionnement en eau Si importante que soit l'obtention de crédit, un autre élé- ment est aussi indispensable au petit exploitant, si ce n'est plus: la ceritude d'être approvisionné en eau, sans laqUelle semences, engrais et insecticides ne servent à rien. Cela veut dire qu'il faut poursuivre les recherches entreprises sur les utilisations oiti- males de l'eau, effectuer d'importants investissements clans les systèmes d'irrigation, et prêter une attention accrue à l'étude des méthodes d'irrigation. On estime c:ie les 85 millions d'hectares actuellement irri- gués dans les pays en voie de développement pourraient être augmentés de 90 millions d'hectares, moyennant il est vrai des dépenses fort élevées: plus de 130 milliards de dollars. En outre, l'accroissement des surfaces irriguées ne peut que se faire lente- ment: les grands barrages d'irrigation qui n'ont pas encore at- teint le stade des études d'exécution ne pourront rapporter d'avantages appréciables aux paysans avant le milieu de la décennie de 1980. Les investissements en faveur de vastes pro- jets d'irrigation continueront de représenter une fraction impor- tante des plans nationaux cl'investissement et des financements de la Banque, mais ils devront être complétés par des program- nies à moins longue échéance, concus dans l'intérel des petits agriculteurs. 24 Il faudra, par exemple, accorder beaucoup plus d'importance aux aménagements terminaux, susceptibles de bénéficier des grands projets d'irrigation existants. Nous n'avons que trop sou- vent-dans nos opérations et celles d'autres organisations-vu les cultivateurs obligés d'attendre dix ans et plus après l'achève- ment d'un barrage pour recevoir effectivement de l'eau. Les grands projets d'irrigation mobilisent souvent en priorité les ressources qui seraient n.cessaires à la construction d'aménage- ments terminaux. Il y a dans l'aménagement d'un grand fleuve un côté spectaculaire certainement plus séduisant que dans la tâche prosaïque consistant à assurer l'écoulement régulier d'un filet d'eau sur une parcelle de terre desséchée; ce sont pourtant ces efforts obscurs qui détermineront la réussite ou l'échec de la petite agriculture et il conviendrait d'en tenir compte lors de l'affectation de ressources budgétaires limitées. La réalisation de grands travaux d'irrigation, tout en étant nécessaire, n'est donc pas suffisante: trop de petits agriculteurs sont laissés pour compte. Ces programmes doivent être com- plétés par d'autres projets prévoyant l'adduction d'eau, à peu de frais, jusqu'aux exploitations situées en dehors des principaux périmètres d'irrigation. Les puits tubulaires, les pompes à faible élévation et les petits barrages peuvent contribuer grandement à l'amélioration de la productivité. De plus, ces types d'investis- sements, que des paysans pauvres ne pourraient pas toujours financer à titre individuel, sont souvent à la portée des groupe- ments d'agriculteurs. Développement des services de vulgarisation agricole et de la recherche appliquée Le petit exploitant a besoin de crédit et d'eau, niais aussi de conseils techniques, et il est loin d'en recevoir suffisamment. D'après les projections, l'effectif annuel de diplômés des établis- sements d'enseignement agricole ne pourra, dans le meilleur des cas, parer qu'à moins de la moitié des besoins du tiers monde en ce domaine. Tandis que dans les pays développés le taLIx d'encadrement agricole est d'environ un animateur pour 400 familles, il est en moyenne d'un animateur pour 8.000 familles dans les pays en voie de développement. De plus, les petits agriculteurs ne bénéficient que d'une faible partie de ces ser- vices déjà fort limités. 25 Ce qui freine le développement, pourtant si nécessaire, des services de vulgarisation agricole, c'est moins le manque de ressources financières que l'absence d'une volonté délibérée de faire davantage pour les paysans qui ont tant besoin de ces services. Il n'y a pratiquement pas un seul pays en voie de développement qui ne forme trop de juristes, alors qu'il n'y en a aucun qui forme suffisamment d'animateurs pour ses services de vulgarisation. Les gouvernements ne peuvent influencer les ambitions de carrière personnelles, mais ils peuvent, au moyen de stimulants appropriés, encourager les jeunes à embrasser des professions qui contribuent de façon plus directe au dévelop- pement de l'économie et à la modernisation de la société. Mesuré en pourcentage du PNB ou des ressources budgé- taires, le coût annuel de formation du personnel de vulgarisation agricole nécessaire serait finalement assez modéré. Le coût net de cette formation-après déduction des économies provenant du changement de certaines affectations-serait encore plus faible. Mais tant que l'on disposera d'aussi peu d'animateurs, les gros exploitants seront seuls à profiter des services de vulgarisa- tion, tandis que les pauvres seront abandonnés à leur sort. Qui dit services de vulgarisation agricole, dit évidemment recherche appliquée. Sur un échantillon de cinq grands pays développés, le budget alloué chaque année à la recherche varie entre 20 et 50 dollars par famille d'exploitants; pour cinq grands pays en voie de développement, les chiffres correspondants ne sont que d'un demi à cieux dollars par famille. La croissance du réseau international d'instituts de recherche agricole a de quoi impressionner. C'est ainsi que la Banque préside le Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Inter- nationale et participe au financement d'un certain nombre d'instituts de recherche, notamment le nouvel institut de re- cherche sur les cultures des régions tropicales semi-arides. Un effort beaucoup plus vigoureux devrait cependant être déployé au niveau national afin de déterminer quels sont les besoins des petits agriculteurs en matière d'équipements spécialisés, de mettre au point de nouvelles techniques pour la production des cultures non céréalières, et d'aider les paysans des zones non 26 irriguées. Chacun sait que les crédits consacrés par les pays du tiers monde à la recherche et au développement sont généralement peu importants et qu'ils doivent être fortement augmentés. A cette occasion, les gouvernements devraient s'attacher en tout premier lieu à intensifier les travaux de recherche susceptibles d'être utiles aux petits agriculteurs, c'est-à-dire les travaux visant à mettre au point une techno!Qgie agricole peu coûteuse, com- portant un minimum de risques et immédiatement applicable. Amélioration des services publics Il est d'autres domaines dans lesquels les services publics sont très nettement insuffisants. L'amélioration de l'infrastructure permettrait au petit agriculteur d'accroître son revenu de façon appréciable. En raison du coût de cette infrastructure, les pays en voie de développement ne sont pas en mesure de la fournir aux millions de personnes qui en auraient besoin. En revanche, les gouvernements peuvent jouer un rôle important en organi- sant dans les campagnes des programmes de construction de petites routes de desserte, de petits réseaux d'irrigation et de drainage, d'installations de stockage et de commercialisation, d'écoles et de dispensaires, ou d'autres travaux faisant appel à une main-d'oeuvre locale abondante et n'exigeant pas de tech- niques complexes. L'élaboration de tels programmes ne présente guère de diffi- cultés. Leur exécution a été couronnée de succès à plusieurs reprises dans le cadre de projets expérimentaux réalisés au Bangladesh, en Tunisie, en Indonésie et dans divers autres pays. Leur principale faiblesse réside dans leur envergure encore limitée et leur gestion médiocre. C'est aux gouvernements qu'il incombe d'élargir progressivement ces projets à l'échelon national. La répartition des autres services publics appelle également des changements radicaux car dans les zones rurales ces services, déjà lamentablement insuffisants, sont souvent bien mal adaptés aux besoins de ceux auxquels ils sont en principe destinés. Dans le domaine de l'enseignement, les programmes scolaires et parascolaires devraient accorder une plus large place à l'infor- mation pratique en matière dngriculture, de nutrition et ce 27 planning familial. Il conviendrait de renforcer les services de santé et de développer la lutte contre les maladies débilitantes qui affligent si souvent les populations pauvres des campagnes. De même, l'électrification des zones rurales ne doit pas être considérée comme un luxe ayant pour seul objet d'installer une ampoule électrique dans chaque foyer. L'une de ses applications les plus importantes est la fourniture de l'énergie nécessaire au fonctionnement du matériel de production, des pompes par exemple. Les pays en voie de développement manquant pres- que toujours d'énergie électrique, l'éclairage urbain et les sys- tèmes de climatisation ne devraient pas bénéficier d'une priorité aussi anormale. Comment se fait-il que des pays qui sont en mesure d'investir dans l'enseignement supérieur ne font rien pour attirer les en- seignants vers les zones rurales; que d'autres, qui disposent d'un personnel suffisant pour les centres médicaux des villes, et "exportent" même des médecins à l'étranger, ne parviennent pas à assurer dans les campagnes un encadrement médical correct; que d'autres enfin construisent des rues à l'usage des voitures particulières, mais pas de routes de desserte qui permet- traient d'acheminer les produits de la terre jusqu'aux marchés? Les ressources dont disposent les pays en voie de développe- ment sont si limitées que leur redistribution ne saurait suffire à parer aux besoins ce tous. Cette opération est cependant néces- saire en ce qui concerne les services publics, et doit viser à faire bénéficier les petits agriculteurs du minimum indispensable d'infrastructure économique et sociale. Le lancement des programmes que je viens de mentionner ne demanderait pas beaucoup de temps aux services officiels et faciliterait grandement la réalisation, d'ici à 1985, d'un accrois- sement de 5% par an de la production des petites exploitations. Tous ces programmes méritent ce recevoir et recevront ce la part du Groupe de la Banque un soutien sans réserve. Mais c'est essentiellement aux pays en voie ce développe- ment qu'il incombe de prendre les mesures que je viens d'énon- cer, et les organismes d'assistance leur rendraient un bien mau- vais service en essayant de les convaincre ou de se convaincre 28 eux-mêmes que les politiques propres à soulager la misère des campagnes peuvent être élaborées à l'étranger et importées. Le problème doit être perçu et abordé par les pays intéressés eux-mêmes. La communauté internationale peut et doit cependant leur apporter son aide, car les ressources nécessaires pour que d'ici à 1985 le rendement des petites exploitations augmente de 5% sont considérables. On estime qu'à cette date il ne faudra pas moins de 20 à 25 milliards de dollars par an pour réaliser les investissements nécessaires au niveau des exploitations, amé- nager les terres et les ressources hydrauliques, mettre en place et entretenir les installations de formation supplémentaire re- quises et constituer un fonds de roulement minimum pour les paysans. Ce montant représente environ 3,5% du PNB global des pays en voie de développement. Une partie de ces ressources doit provenir d'un accroissement de l'épargne chez les paysans; une autre, de la réallocation de fonds précédemment affectés à d'autres secteurs économiques des pays en voie de développement. La communauté internationale devra cependant participer à cet effort; elle le fera en fournissant les services et les moyens de financement nécessaires aux petits agriculteurs. Recommandations concernant un programme d'action pour la Banque Que peut donc faire la Banque pour participer à cet effort? Tout d'abord, nous prévoyons d'accorder au secteur agricole 4,4 milliards ce dollars de prêts au cours de notre prochain Programme quinquennal (1974-1978), contre 3,1 milliards pen- dant notre premier Programme (1969-1973) et 872 millions de dollars pendant la période 1964-1968." En soi cet objectif est déjà très ambitieux. Mais, fait plus im- portant encore, nous entendons consacrer une part accrue de notre financement à des programmes contribuant directement à l'augmentation du rendement des petites exploitations. Dans les cinq années à venir, nous prévoyons qu'environ 70% de nos prêts au secteur agricole cimprendront un élément d'aide "Les montants indiqués pour ces trois périodes sont exprimés en dollars de 1973. 29 à la petite agriculture. Dès maintenant nous travaillons à l'élabo- ration de ces programmes, de concert avec les gouvernements de nos pays-membres. Nous devons bien admettre cependant que, dans le meilleur des cas, nos prêts ne peuvent financer qu'une fraction réduite des crédits et investissements nécessaires aux petits agriculteurs. C'est pourquoi nous comptons suggérer aux gouvernements de nos pays-membres d'accorder une attention toute particulière aux mesures sectorielles et financières qui devront être adoptées à l'intention de la population pauvre des campagnes afin d'ob- tenir un rendement maximum des investissements prévus par les pouvoirs publics. Tout en conservant une place de choix à l'expérimentation et à l'innovation, le programme de la Banque s'articulera autour d'un certain nombre de grandes options bien définies: • Nous sommes disposés à faire beaucoup plus pour aider les gouvernements à réorganiser leurs mécanismes de finance- ment de l'agriculture et pour apporter notre soutien aux établissements spécialisés dans l'octroi de crédits aux petits agriculteurs. • Nous entendons continuer d'investir dans de grands projets d'irrigation et de récupération des terres salines, tout en accordant une large place aux aménagements terminaux qui, réalisés avec un maximum d'autofinancement, permettront aux paysans de bénéficier plus rapidement des avantages de l'irrigation. • Nous aiderons l'agriculture non irriguée en finançant notam- nient la production animale et plus particulièrement les petites fermes laitières situées clans les régions qui souffrent d'une pénurie de lait. • NoUs sommes prêts à financer le développement des centres de formation d'animateurs ruraux qui pourront contribuer à l'accroissement de la productivité de petites exploitations agricoles. • Nous sommes également prêts à financer dans les cam- pagnes des programmes de travaux et des projets de dé- veloppement polyvalents. 30 • Nous sommes disposés à participer aux programmes de réforme du régime de la propriété et du fermage en appor- tant le soutien logistique nécessaire aux petits exploitants. Nous contribuerons en outre à la solution des problèmes techniques et financiers que ne manqueront pas de poser le rachat et le remembrement des terres. • Nous avons déjà apporté notre concours au financement des établissements de recherche agricole et sommes entière- nient disposés à leur fournir à l'avenir une aide plus impor- tante, en particulier pour la recherche d'une technoçogie agricole applicable aux zones semi-arides. Nous nous pro- posons d'encourager les recherches portant sur les utilisa- tions optimales de l'eau au niveau des exploitations, tout spécialzment clans les zones arides. D'ailleurs, nous finan- çons déjà des travaux de ce type au Mexique. • En octroyant des prêts en faveur de l'infrastructure, nous ferons tout pour qu'il soit tenu compte des besoins immé- diats des régions rurales. VI. RESUME ET CONCLUSIONS Permettez-moi maintenant de récapituler les principaux points que j'ai abordés ce matin et d'en tirer les conclusions. Un coup d'oeil objectif sur le monde dans lequel nous vivons suffit à nous convaincre des injustices criantes qui le carac- térisent. La différence existant entre le niveau ce vie des pays riches et celui des pays pauvres prend des proportions gigantesques. Les pays riches ont une base industrielle tellement puissante, une technologie tellement moderne, et par conséquent des avantages si considérables qu'il est utopique d'espérer voir cet écart se rétrécir avant la fin de ce siècle. En fait, tout semble indiquer que le fossé continuera de s'élargir. Il n'y a pratiquement rien que nous puissions faire pour empêcher qu'il en soit ainsi. En revanche, nous pouvons com- mencer d'agir, dès maintenant, pour mettre fin à la pauvreté absolue, ce fléau si dégradant pour l'homme. Dans cette perspective, nous pouvons augmenter le montant, actuellement beaucoup trop faible, de l'aide publique au développement. 31 Cette aide pourrait, par exemple, être portée à 0,7% du PNB d'ici à 1980, c'est-à-dire au niveau que les Nations Unies avaient prévu pour 1975. Tout en étant réalisable, cet objectif exigera un renouveau d'efforts de la part de nombreux pays, en particulier des plus riches. Nous devons également reconnaître qu'il existe au sein des pays en voie de déveioppement des inégalités tout aussi mar- quées qu'entre ces pays et les pays industrialisés. Les études réalisées par les services de la Banque au cours de l'année écoulée viennent étayer les conclusions que j'avais esquissées devant vous à titre préliminaire l'an passé, à savoir que dans les pays du tiers monde la répartition des revenus présente de graves distorsions, Pires encore que clans les pays développés, et que les gouvernements de la quasi-totalité de ces pays doi- vent redoubler d'efforts pour remédier à une telle situation. D'ici à 1975, il faut s'efforcer au moins de mettre un terme à l'aggravation de ces distorsions dans l'espoir de les voir s'estom- per peu à peu pendant la deuxième moitié de la décennie. Une part importante du programme à mettre en oeuvre doit s'attaquer à la pauvreté absolue, qui prend des proportions absolument intolérables dans la plupart des pays du tiers monde et qui condamne ceux qu'elle frappe à un niveau d'existence incompatible avec la notion même ce dignité humaine. Or, ses victimes ne représentent nullement une infime minorité, un cortège hétéroclite rassemblant tous les perdants au jeu de la vie ou d'insignifiantes et regrettables exceptions: elles consti- tuent, au contraire, 40% des quelque deux milliards d'habitants du tiers monde. On trouve quelques-uns cIe ces indigents dans les taudis des villes, mais la grande majorité d'entre eux vit dans les cam- pagnes. Et c'est précisément la, dans les zones rurales, qu'il nous faut affronter leur misère. Faire disparaître la pauvreté absolue avant la fin de ce siècle, tel est le but vers lequel nous devons tendre. En pratique, cela 32 veut dire que nous devons éliminer la malnutrition et l'analpha- bétisme, réduire la mortalité infantile et amener l'espérance de vie des peuples du tiers monde au même niveau que la nôtre. Pour y parvenir, il est indispensable de relever la productivité de la petite agriculture. S'agit-il d'un objectif réalisable? La réponse est "oui", mais uniquement si les gouvernements des pays en voie de développement sont disposés à faire preuve de la volonté politique que cela exige. C'est à eux qu'il appartient d'en décider. Pour sa part, la Banque s'est donné comme objectif majeur, dans le programme élargi d'activités qu'elle a défini pour la période 1974-1978, d'accroître la productivité des petits exploi- tants pratiquant une agriculture de subsistance. Il n'en reste pas moins qu'aucune aide extérieure, si impor- tante soit-elle, ne saurait se substituer à la volonté des gouverne- ments de nos pays-membres de s'atteler à cette tâche. Il leur faudra faire montre d'un immense courage, car une telle entreprise n'est pas dénuée de risques politiques. En effet, on a rarement vu les membres politiquement influents de l'élite terrienne d'un pays accueillir avec enthousiasme l'adoption de mesures propres à accélérer la mise en valeur des campagnes. Bien entendu, il s'agit là d'une vue à court terme, car à plus longue échéance, ils peuvent y gagner tout autant que les pauvres. Mais Si les gouvernements du tiers mondc, après avoir com- paré les risques inhérents à une réforme à ceu que comporte une révolution, sont disposés à exercer la volonté politique nécessaire pour se lancer à l'assaut de la pauvreté dans les cam- pagnes, alors les gouvernements des pays riches doivent faire preuve d'un égal courage. Ils doivent s'appréter à les aider en supprimant les barrières commerciales discriminatoires et en augmentant sensiblement l'aide publique au développement. L'enjeu de ces décisions: assurer à 40% des habitants de 100 pays en voie de développement membres de notre Groupe une vie d'où toute dignité ne soit pas exclue. 33 Nous devons espérer que c'est le courage qui dictera ce choix, car dans le cas contraire nous pourrions craindre le pire. Mais si c'est effectivement le courage qui l'emporte, alors le rythme d,u développement peut s'accélérer. Et c'est ce qui se produira, j'en suis certain. J'en suis certain, parce qu'il me semble que pendant les dernières années de ce siècle, les hommes s'accommoderont de moins en moins des inégalités monstrueuses dont ils sont aujourd'hui les témoins. Toutes les grandes religions nous enseignent la valeur de chaque vie humaine. Plus qu'à aucun moment de l'histoire, nous avons aujourd'hui les moyens d'assurer une vie décente à tous les hommes qui peuplent cette terre. Pourquoi ne pas fonder notre action sur ce précepte moral, au moment même où les formes extrêmes de la surabondance et du dénuement sont devenues intolérables. C'est au développement qu'il revient de mettre fin à cet état de choses. C'est une responsabilité que vous et moi, et avec nous la communauté internationale tout entière, devons assumer solidairement. 34 Projections des flux d'aide publique au développement exprimé!s en pourcentage du PNB" 1960 1965 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 Allemagne, Rép. féd. d' 0,31 0,40 0,32 0,34 0,31 0,32 0,34 0,36 0,38 Australie 0,38 0,53 0,59 0,53 0,61 0,58 0,59 0,60 0,62 Autriche - 0,11 0,07 0,07 0,09 0,19 0,22 0,25 0,26 Belgique 0,88 0,60 0,46 0,50 0,55 0,58 0,65 0,70 0,70 Canada 0,19 0,19 0,42 0,42 0,47 0,49 0,50 0,52 0,53 Danemark 0,09 0,13 0,38 0,43 0,45 0,52 0,56 0,61 0,63 Etats-Unish 0,53 0,49 0,31 0,32 0,29 0,25 0,22 0,22 0,21 France 1,38 0,76 0,66 0,66 0,67 0,65 0,65 0,65 0,65 Italie 0,22 0,10 0,16 0,18 0,09 0,16 0,16 0,16 0,17 Japon 0,24 0,27 0,23 0,23 0,21 0,28 0,34 0,40 0,40 Norvège 0,11 0,16 0,32 0,33 0,41 0,56 0,67 0,75 0,82 Pays-Bas 0,31 0,36 0,61 0,58 0,67 0,66 0,70 0,72 0,76 Portugal 1,45 0,59 0,67 1,42 1,51 0,45 0,45 0,45 0,45 Royaume-Uni 0,56 0,47 0,37 0,41 0,40 0,37 0,40 0,40 0,40 Suède 0,05 0,19 0,38 0,44 0,48 0,56 0,65 0,71 0,75 Suisse 0,04 0,09 0,15 0,11 0,21 0,26 0,30 0,32 0,34 TOTAL 0,52 0,44 0,34 0,35 0,34 0,34 0,34 0,35 0,36 'Les pays ci-dessus sont membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE, et fournissent plus de 95% de l'aide publique au développement. Pour 1972 et les années antérieures, les chiffres fournis sont réels. Pour les années suivantes, les projections sont fondées sur les estimations de la Banque Mondiale relatives à la croissance du PNB, sur les renseignements relatifs aux crédits ouverts au titre de l'aide et sur les déclarations des gouvernements concernant leur politique dans ce domaine. En raison des délais assez longs nécessaires pour traduire les autorisations législatives en engagements et ulté- rieurement en paiements, il est possible d'établir dès maintenant, avec une précision raisonnable, des projections des flux d'aide publique au développe- ment (qui par définition représentent des paiements) jusqu'en 1976. "En 1949, c'est-à-dire au début du Plan Marshall, les Etats-Unis consacraient 2,79% de leur PNB à l'aide publique au développement. 35 WORLD BANK 1818 H Street, N.W., Washington, D.C. 20433, U.S.A. Telephone number: (202) 477-1234 Cable address: INTBAFRAD WASHINGTON D.C. European Office: 66, Avenue d'16na, 75116 Paris, France Telephone number: 723-54-21 Cable address: INTBAFRAD PARIS Tokyo Office: Kokusai Building 1 -1 Marunouchi 3-chome Chiyoda-ku, Tokyo 100, Japan Telephone number: (03) 214-5001 Cable address: INTBAFRAD TOKYO 민