22127 No. 129 décembre 1999 Inégalité des sexes, croissance et réduction de la pauvreté Introduction Le rapport de 1998 du Programme spécial d'assistance pour l'Afrique (PSA), a été préparé en collaboration avec les membres du Groupe de travail sur la pauvreté et la politique sociale du PSA. Ce rapport thématique examine les liens entre l'inégalité des sexes, la croissance, et la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne. Cet article met l'accent sur ses résultats et ses recommandations. Axé essentiellement sur l'agriculture et le secteur rural, le présent rapport examine les liens existant entre l'inégalité des sexes, la croissance et la pauvreté en Afrique subsaharienne. La réduction de l'inégalité entre les sexes - qui constitue en elle-même un objectif de développement favorise la croissance et les gains d'efficacité et elle améliore les conditions de vie. Déterminants de la croissance De nombreux facteurs font obstacle à la croissance en Afrique subsaharienne notamment, lesfaiblesses de la gouvernance, l'instabilité marquée des politiques suivies, l'insuffisance des services publics, les coûts de transport élevés, l'infertilité des sols, les maladies, les risques liés au climat, 1'exportation d'une gamme limitée de produits de base et des conflits violents, sont autant de facteurs qui ont contribué à un ralentissement de la croissance. Les perspectives économiques de l'Afrique subsaharienne en 1998 et au-delà sont beaucoup plus incertaines qu'elles ne1'étaient en 1997. Le taux de croissance démographique de l'Afrique qui est d'environ 2,5%, nécessite des taux de croissance économique très élevés - 5 à 8 % - pour réduire le nombre de pauvres. La Banque mondiale estime que le taux de croissance du PIB de l'Afrique subsaharienne (pondéré en fonction de la population) en 1998 sera de 2,8 %, ce qui ne permettra guère de faire reculer la pauvreté. Dans cet environnent plus incertain, il est temps de lever les obstacles à la croissance et à la réduction de la pauvreté qui sont fondés sur le sexe. Interdépendance entre les économies du marché et du ménage Une analyse de la répartition du temps des hommes et des femmes fait apparaître l'interdépendance existant entre 1'économie du marché et celle du ménage. On dispose de plus en plus d'informations indiquant que les femmes travaillent plus longtemps que les hommes dans toute l'Afrique subsaharienne (tableau 1). Une grande partie du travail productif des femmes n'est pas enregistrée et n'est pas incluse dans le système de comptabilité nationale (SCN). On estime que près de 60 % des activités des femmes au Kenya ne sont pas prises en compte par le SCN, contre 24 % seulement des activités des hommes. Les enfants sont étroitement associés aux systèmes de production des ménages, et les structures qui désavantagent les fillettes font très tôt sentir leurs effets. Les ménages pauvres ont besoin de faire travailler leurs enfants, parfois sous des formes qui désavantagent également les garçons. Les corvées domestiques, notamment les corvées d'eau et de bois de feu sont l'un des facteurs qui limitent les possibilités de scolarisation des filles. Les femmes et les hommes dans les économies africaines Une caractéristique propre aux économies africaines est le fait que les femmes tout comme les hommes jouent un rôle économique important. Les données recueillies par l'IFPRI indiquent que les Africaines accomplissent 90 % du travail de transformation des cultures vivrières et des corvées d'eau et de bois de feu, assurent 80 % du stockage des aliments et de leur transport depuis 1'exploitation agricole jusqu'au village, effectuent 90 % des travaux de sarclage et de désherbage, et 60 % du travail lié à la récolte et à la commercialisation. On observe des variations sensibles d'une région à l'autre. C'est ainsi que, dans le Sahel, les hommes jouent un rôle prédominant dans I'agriculture, notamment dans le secteur alimentaire. Liens entre sexe et croissance Des analyses micro-économiques font constamment ressortir l'inégalité de l'accès aux actifs selon le sexe, ce qui entrave la croissance et la lutte contre la pauvreté. Les études de cas sur les pays de l'Afrique subsaharienne montrent comment les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes, du point de vue de l'accès aux actifs et ressources de base nécessaires pour permettre à la région de réaliser pleinement son potentiel de croissance économique. Ces différences fondées sur le sexe influent sur l'offre, la répartition des ressources au sein des ménages et, dans une large mesure, sur la productivité du travail. Elles ont des incidences sur la flexibilité et le dynamisme des économies de l'Afrique subsaharienne et freinent la croissance (encadré 1). Parallèlement, les données macro-économiques comparatives sur les différences entre les sexes d'une région à l'autre en matière d'éducation et d'emploi dans le secteur structuré, permettent également d'évaluer l'impact de l'inégalité entre les sexes sur la croissance. Les femmes en Afrique subsaharienne ont enregistré la plus faible augmentation annuelle moyenne du nombre total d'années de scolarisation entre 1960 et 1990 (une progression annuelle de 0,04 an, ce qui augmente la durée moyenne de la scolarisation des femmes adultes de 1,2 an seulement. Sur la base de ces tendances, la comparaison entre l'Afrique subsaharienne et l'Asie de l'Est indique que l'inégalité entre les sexes du point de vue de l'éducation et de l'emploi a réduit la croissance par habitant de l'Afrique subsaharienne durant la période 1960-92 de 0,8 point de pourcentage par an. Bien que ceci soit loin d'être le facteur principal, mais c'est un élément important qui explique la faible performance économique de l'Afrique subsaharienne. L'interdépendance des économies du marché et du ménage mettent en lumière: (i) les choix contraignants à court terme entre secteurs et générations au sein des ménages aux actifs limités et subissant des contraintes au niveau du travail ; et (ii) des externalités positives en ce sens qu'un investissement dans l'économie du ménage profitera à l'économie du marché en permettant des gains d'efficacité et de productivité, et par conséquent une croissance. Ces choix sont compliqués par l'inégalité et les aspects complexes des relations au sein du ménage. Les données de l'étude de cas font apparaître des choix contraignants fondamentaux à court terme entre différents activités productives ; entre les tâches relevant du marché et du ménage, et entre la réalisation des objectifs économiques à court terme et les besoins des ménages et l'investissement pour le renforcement des capacités et du capital humain. Les politiques sectorielles et les besoins prioritaires doivent prendre en compte explicitement ces choix à court terme et des externalités. Diversité des ménages Il existe une grande variété de formes de ménages, de relations au sein du ménage et de division du travail selon le sexe en Afrique subsaharienne, et ce dans le cadre d'un ensemble également divers d'organisations sociales plus larges dans des contextes climatiques et agronomiques complexes. Une analyse par sexe des données d'enquêtes auprès des ménages portant sur un groupe de 19 pays d'Afrique subsaharienne confirme cette énorme diversité dans la structure et la composition des ménages et montre que la pauvreté est liée au systèmes familiaux. Aucun élément convaincant n'indique que l'incidence de la pauvreté soit plus élevée chez les femmes chefs de ménage que chez les hommes chefs de ménage. Une étude comparative portant sur plusieurs pays montre que l'incidence de la pauvreté n'est statistiquement plus élevée chez les premières que chez les seconds que dans deux pays de l'Afrique subsaharienne sur six. Le sexe du chef de ménage n'est donc pas un élément particulièrement utile pour prévoir le degré de pauvreté d'un ménage et il ne constitue pas en lui-même un critère de ciblage efficace. Les schémas suivant lesquels les femmes et les filles sont désavantagées persistent indépendamment du sexe du chef de ménage. La situation des femmes et des enfants dans les ménages pauvres dirigés par un homme polygame pourrait être plus préoccupante. Une analyse au niveau régional révèle que l'incidence de la pauvreté la plus élevée est observée dans les ménages dirigés par un homme polygame en Afrique de l'Ouest et dans les ménages dirigés de jure et de facto par une femme en Afrique de l'Est et en Afrique australe. Lorsque les femmes contrôlent davantages les revenus ou les ressources du ménage, le mode de consommation est davantage axé sur les enfants et orienté de manière à répondre aux besoins fondamentaux du ménage. Lorsqu'on compare des ménages de ressources similaires dans sept pays d'Afrique subsaharienne, il apparaît que les enfants des ménages dirigés par une femme ont des taux de scolarisation et d'achèvement de la scolarité plus élevés que ceux des ménages dirigés par un homme. Inégalité d'accès aux actifs Actifs en capital humain Education. Au cours de la période 1970-94, les filles ont accompli des progrès beaucoup plus rapides que les garçons du point de vue de l'achèvement du cycle primaire, ce qui a réduit l'écart entre les sexes. Cette amélioration a concerné davantage les non-pauvres que les pauvres. Des différences persistent à tous les nivaux de revenu, ce qui laisse à penser que des facteurs sociaux et culturels déterminent plus encore que le revenu la participation des filles et des femmes en matière d'éducation. Santé. Les hommes et les femmes d'Afrique subsaharienne connaissent un ensemble de problèmes de santé qui leur sont communs, bien que leurs besoins et priorités soient très différents. On constate ainsi une énorme différence entre hommes et femmes, du point de vue de la charge de morbidité sexuelle et génésique dans la région, mesurée par les décès et le nombre d'années de vie corrigé du facteur invalidité (tableau 2).Les taux de mortalité maternelle de l'Afrique subsaharienne restent les plus élevés du monde puis qu'on compte entre 600 et 1500 décès de mères pour 100,000 naissances dans la plupart des pays de la région. L'Afrique enregistre 20% des naissances du monde mais 40% des cas de mortalité maternelle. Le VIH/SIDA constitue un problème de santé, économique, et social énorme pour l'Afrique subsaharienne. Des analyses récentes font apparaître des corrélations complexes entre la pauvreté, l'inégalité -- et en particulier l'inégalité entre les sexes -- et l'épidémie de SIDA. Les données pour l'Ouganda indiquent que le nombre des cas d'infections de SIDA est près de six fois plus élevé chez les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans que chez les garçons de même âge. Actifs directement productifs Services financiers. Les données sur l'accès aux services financiers sont rares. Les estimations disponibles laissent à penser que les pauvres en général n'y ont guère accès et que les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes à cet égard. Women World Banking estime que moins de 2% des entrepreneurs à faible revenu ont accès à des services financiers. En Afrique, les femmes reçoivent moins de 10% du crédit accordé aux petits paysans et 1% de l'ensemble du crédit à l'agriculture. Capital Social Participation/possibilité d'expression. Les femmes en Afrique sont systématiquement sous- représentées dans les institutions locales et nationales, et elles participent guère au processus de prise de décision. Des mesures discriminatoires limitent leur participation et accentuent la différence existant entre leur pouvoir et celui des hommes. La participation des femmes dans la vie politique est en général faible. Les femmes d'Afrique subsaharienne représentent 6% au niveau des corps législatifs nationaux, 10% au niveau local, et 2% à celui des cabinets nationaux. La moitié des cabinets ministériels de l'Afrique subsaharienne ne compte aucune femme. Les inégalité des sexes et politique La politique suivie par les pouvoirs publics et les partenaires avec la société civile ont un rôle majeur à jouer pour promouvoir une croissance bénéficiant les deux sexes et la lutte contre la pauvreté. Les mesures prioritaires à prendre sont : · Participation active des femmes et des hommes défavorisés à la formulation et la mise en oeuvre des politiques de lutte contre la pauvreté par le biais par exemple « d'initiatives budgétaires pour les femmes » selon le model sud-africain ; · Réduction du temps pris par les corvées ménagères à travers les investissements dans l'économie ménagère en accordant une priorité beaucoup plus élevée aux programmes d'investissement sectoriels dans l'eau/assainissement, technologies facilitant le travail, énergie domestique, moyens de transport intermédiaires ; · Appui aux stratégies rurales de subsistance en donnant la priorité au secteur alimentaire (biens non-échangés), dans la recherche agricole et la vulgarisation ; en facilitant l'accès des femmes et des hommes démunis aux techniques de production et à des services financiers adaptés, y compris un ensemble de biens, comprennant la terre et le travail pour assurer les femmes tirent profit de l'investissement ; et · Accroître la visibilité du travail domestique dans la comptabilité nationale et dans le suivi et l'analyse de la pauvreté à travers par exemple, un module portant sur la parité hommes- femmes dans les enquêtes sur les ménages, l'inclusion de l'économie des ménages dans les systèmes de comptabilité nationale, l'élaboration de budget-temps par pays. Pour de plus amples informations, prière de contacter Mark Blackden, Bureau J8-063, Banque mondiale, 1818 H Street, NW, Washington, DC 20433 ; Téléphone : (202) 473-7555 ; fax : (202) 473-7913 ; e-mail : mblackden@worldbank.org