77086 De l’ ÉVIDENCE à la POLITIQUES Identification des méthodes qui fonctionnent, par le Réseau pour le développement humain Mis à jour en mai 2014 JAMAÏQUE : les enfants défavorisés peuvent-ils rattraper leurs pairs qui sont mieux lotis ? DÉVELOPPEMENT DE LA PETITE ENFANCE Quelle est la meilleure façon d’aider les enfants défavorisés à La Banque mondiale est axée sur le développement et le atteindre leur plein potentiel ? De quoi ont-ils besoin pour soutien des programmes qui aident les enfants à réaliser leur réussir à l’école, au travail et en famille ? Comment peuvent-ils plein potentiel et vivre exempts de pauvreté. Pour aider à con- recevoir les éléments fon- struire un ensemble de preuves de ce qui fonctionne, la Banque damentaux nécessaires mondiale a financé l’évaluation d’un programme en Jamaïque, pour une vie heureuse et qui ciblait les mères d’enfants souffrant de retards de croissance productive, exempte de dus à la malnutrition. Les mères ont bénéficié soit d’un soutien pauvreté ? Pour les déci- et de conseils sur la façon d’encourager le développement de deurs politiques et les ex- leurs bébés à travers le jeu et le langage, soit de suppléments perts en développement, nutritionnels, ou alors d’une combinaison des deux. Vingt ans les réponses se trouvent plus tard, l’évaluation a révélé que les enfants qui avaient béné- dans le développement ficié d’une stimulation supplémentaire, avec ou non des sup- de la petite enfance, pléments nutritionnels, gagnaient plus d’argent que les bébés lorsque le cerveau et le qui avaient aussi eu des retards de croissance et dont les mères corps des enfants sont n’avaient reçu que des suppléments nutritionnels ou alors encore en développe- n’avaient bénéficié d’aucune intervention. Ces enfants, dont les ment. La santé, la nutri- mères avaient bénéficié de conseils supplémentaires pour stim- tion, la stimulation psychosociale et le soutien affectif jouent uler leurs bébés, avaient également une aussi bonne situation tous un un rôle en donnant aux enfants les fondations qui financière que les enfants moins défavorisés (et sans retard de leur serviront plus tard. Mais que se passe-t-il après ? Les pro- croissance). Cette étude, qui offre un regard rare sur les effets de grammes conçus pour renforcer le développement cognitif, l’intervention dans la petite enfance au fil de plusieurs décen- émotionnel et physique des enfants aident-ils vraiment sur le nies, offre aux décideurs politiques et aux experts en développe- long terme ? Ou bien les gains observés dans les premières an- ment une preuve tangible des effets potentiels des programmes nées seront perdus à l’âge adulte ? de développement de la petite enfance. Contexte L’importance du développement de la petite enfance est bien d’être scolarisés. Une fois à l’école, ils sont moins susceptibles de connue. Les enfants qui ne reçoivent pas une alimentation con- réussir et ont plus de chances de décrocher avant d’être diplômés, venable, une stimulation et un soutien affectif appropriés au affectant ainsi leurs chances de réussite plus tard dans la vie. Les cours des premières années de vie sont plus susceptibles de souf- évaluations d’impact financées par la Banque mondiale à travers frir d’un retard par rapport à leurs pairs plus riches, avant même le fonds fiduciaire du SIEF aident démontrer ce qui fonctionne pour permettre aux enfants pauvres d’avoir les mêmes chances Le saviez-vous ? que leurs pairs plus aisés : par exemple, au Mozambique, les 85 % du cerveau humain est développé à l’âge de 5 ans. écoles maternelles se sont montrées efficaces dans la stimulation 50 pour cent des capacités cognitives d’un enfant sont influencées par à la préparation émotionnelle, cognitive et physique des enfants son environnement. pour l’école, et pour les amener à être scolarisés à l’âge voulu. Évaluation En 1986-1987, 129 enfants âgés de 9 à 24 mois qui vivaient formule fortifiée. Pour réduire les chances que la formule soit dans les quartiers pauvres de la capitale Kingston ont participé partagée avec d’autres membres de la famille, les familles ont à une étude jamaïcaine. Les enfants, qui tous avaient des re- également reçu de la poudre de lait et de la semoule de maïs. tards de croissance basés sur des mesures de taille par rapport à Les participants ont été interrogés au départ, deux ans l’âge, ont été stratifiés par âge et par sexe, puis divisés en quatre après, et de nouveau à 7 ans, 11 ans et 18 ans. En 2007-2008, groupes. Un groupe a bénéficié d’une stimulation psychosocia- lorsque les participants originaux étaient âgés d’environ 22 DÉVELOPPEMENT DE LA PETITE ENFANCE le, le second autre a bénéficié de suppléments nutritionnels, le ans, ils ont été à nouveau interrogés. Dans la dernière enquête, troisième a bénéficié des deux à la fois, et le quatrième groupe, les chercheurs ont été en mesure de trouver et d’interviewer le groupe de contrôle, n’a rien reçu. Le traitement duré pendant 105 enfants sur les 129 dans le programme qui souffraient deux ans. Les enfants de tous les groupes ont bénéficié de l’accès originellement de retards de croissance. gratuit aux soins de santé. Au cours du programme de deux ans, Lorsque l’étude a commencé, l’équipe de recherche a iden- les ménages faisant partie du groupe expérimental de stimula- tifié un groupe témoin de 84 enfants n’ayant pas de retard de tion psychosociale ont reçu des visites hebdomadaires d’une croissance et qui étaient des mêmes quartiers que ceux dans le heure de la part de travailleurs communautaires formés dans le programme. Ces enfants avaient été jugés moins pauvres basé secteur de la santé, qui ont enseigné aux mères comment jouer sur une variété de mesures : ils avaient des mères plus grandes à des jeux éducatifs avec leurs enfants, et qui les ont encouragées avec des notes plus élevées en vocabulaire, un poids de nais- à converser avec leurs enfants. Les mères ont également été en- sance supérieur, une plus grande circonférence au niveau de la couragées à féliciter leurs enfants et à rehausser leur estime. Des tête, et des résultats de développement plus élevés aux tests ini- jouets artisanaux étaient apportés à chaque visite et échangés tiaux. Après leurs 20 ans, 65 des 84 enfants sans retard de crois- la semaine suivante pour d’autres jouets. Les familles qualifiées sance ont été localisés et interrogés. Pour plus de détails sur les pour le supplément nutritionnel ont reçu 1 kilogramme de méthodes utilisées, veuillez vous référer au document intégral. * Résultats 20 ans après, on a constaté des gains évidents dont les familles avaient reçu uniquement des suppléments nutri- pour les enfants dont les mères pauvres avaient tionnels. En fait, leur réussite était telle que leurs revenus avaient appris à jouer et à interagir avec eux de façon à rattrapé ceux de leurs pairs moins pauvres. favoriser leur développement cognitif, physique et émotionnel. Le soutien parental fourni aux mères pour aider au développement de la petite enfance a eu un impact Les enfants dans ce groupe expérimental (stimulation ou stimu- conséquent, alors que les suppléments nutritionnels lation plus suppléments nutritionnels) avaient des revenus net- seuls n’ont eu aucun effet à long terme. tement plus élevés en tant que jeunes adultes, que ceux dans le groupe de contrôle, indépendamment du fait qu’ils aient un Les suppléments ont été conçus pour aider à compenser les emploi à mi-temps, à temps plein ou un emploi permanent. Ils carences nutritionnelles qui auraient pu conduire à un arrêt ou avaient également mieux réussi en comparaison avec les enfants à un retard de croissance. Ces suppléments contenaient 66 pour * Science 30 mai 2014 : 344 (6187), 998-1001. [DOI:10.1126/science.1251178] ; et document de travail NBER no. 19185. “Labor market returns to an early childhood stimulation intervention in Jamaica,” (« Le monde du travail renvoie à une intervention en faveur de la stimulation au cours de la petite enfance en Jamaïque ») Paul Gertler, James Heckman, Rodrigo Pinto, Arianna Zanolini, Christel Vermeersch, Susan Walker, Susan M. Chang, Sally Grantham- McGregor. Publié en juin 2013. cent des calories quotidiennes recommandées et 100 pour cent Ces enfants (maintenant de jeunes adultes) étaient plus in- de protéines quotidiennes recommandées. Bien que les familles struits que le groupe témoin et ont mieux réussi les examens aient également reçu de la poudre de lait et de la semoule de maïs que les étudiants jamaïcains passent à l’école secondaire pour en plus, dans l’espoir de réduire au minimum le partage de la for- entrer à l’université. Ils étaient trois fois plus susceptibles de mule, les suppléments, eux ont été partagés, ce qui a diminué leur suivre des études universitaires, et, au moment de l’enquête, effet. Mais les enquêtes de suivi n’ont pas montré que les enfants avaient deux fois de chances d’être encore scolarisés et trois fois dans les familles qui avaient reçu des suppléments nutritionnels plus de chances d’être étudiants à temps plein. avaient mieux réussi que ceux du groupe témoin. Comme ce fut le cas avec les revenus, le groupe expérimen- tal a rattrapé ses pairs moins défavorisés en matière d’éducation Les enfants dans les groupes expérimentaux de et de compétences socioémotionnelles, mais ne les a pas com- stimulation gagnaient plus d’argent que ceux dans plètement rattrapés au niveau des compétences cognitives. le groupe témoin et que ceux du groupe ayant reçu uniquement des suppléments nutritionnels. Cet impact a été noté même après avoir retiré ceux qui avaient migré et dont les revenus étaient relativement plus élevés. Ils ont également réussi à rattraper, en matière de revenus, leurs pairs sans retard de croissance. Les différences ont été nettes au niveau des revenus des enfants dans les groupes expérimentaux de stimulation par rapport au groupe témoin (comme le groupe ayant uniquement des suppléments nutritionnels n’avait pas montré de différences à long terme avec le groupe de contrôle, les auteurs les avaient rassemblés). Le revenu moyen mensuel pour l’ensemble de la vie active des jeunes adultes ayant un emploi permanent (par opposition aux travailleurs temporaires) était 25 pour cent plus élevé que celui du groupe de contrôle, et ils avaient com- Avec l’aimable autorisation de Susan Walker plètement rattrapé les revenus des jeunes adultes du groupe de contrôle qui n’avaient pas eu de retard de croissance. Les enfants de l’étude ont également été plus sus- ceptibles d’avoir émigré aux États-Unis ou en Grande- Les enfants dans le groupe expérimental étaient Bretagne, ce qui pourrait avoir influé sur les revenus également plus instruits et ont mieux réussi les (comme décrit précédemment). tests cognitifs, deux domaines qui contribuent à améliorer les revenus. En comparaison avec le groupe témoin, les enfants du groupe expérimental étaient de 10 points de pourcentage plus suscep- Les jeunes adultes dont les mères avaient bénéficié de conseils tibles d’avoir émigré, selon l’échantillon de référence. Lorsque sur la façon d’interagir avec leurs enfants ont beaucoup mieux l’on considère uniquement l’échantillon de suivi, le taux de réussi leurs tests de fonction cognitive, que ceux dans le groupe migration était le même que celui pour les enfants sans retard témoin. En fait, ils ont aussi bien réussi que les enfants qui de croissance dans le groupe témoin. L’immigration est un n’avaient pas eu de retard de croissance en tant que bébés. Basé moyen évident d’améliorer des revenus. sur une analyse d’enquêtes précédentes faites à l’âge de 18 ans, les jeunes adultes d’aujourd’hui ont eu de meilleurs résultats Le traitement a été conçu pour améliorer l’interaction dans les tests mesurant les capacités cognitives, notamment en mère-enfant durant les premières années, qui jouent mathématiques, en lecture, dans les aptitudes verbales et les un rôle décisif. Ce traitement a réussi et ces premiers compétences socioémotionnelles, leur donnant ainsi les outils succès semblent être la raison des bénéfices obtenus nécessaires pour réussir à l’école, au travail et dans les relations. plus tard dans la vie. En utilisant une mesure FOYER pour les nourrissons et tout- ode de traitement de deux ans, les résultats FOYER du groupe petits, qui repose sur l’observation à la maison de diverses expérimental étaient plus élevés que ceux du groupe témoin, activités liées à la stimulation, dont la participation verbale et avaient rattrapé ceux du groupe sans retard de croissance. de la personne s’occupant de l’enfant et la disponibilité des Entre 7 et 11 ans, aucune différence n’a été remar- matériels de jeu, l’intervention du traitement a augmenté les quée entre les groupes expérimentaux et témoins en termes résultats. Au départ, les résultats FOYER des groupes expéri- d’environnement familial et d’activités de la mère. Compte mentaux et témoins étaient les mêmes, alors que les résultats tenu des différences apparues plus tard entre les deux groupes DÉVELOPPEMENT DE LA PETITE ENFANCE du groupe avec des retards croissance étaient significativement en matière de revenus et d’éducation, il semble que ce soit inférieurs à ceux sans retard de croissance. À la fin de la péri- l’intervention dans la petite enfance qui ait eu un impact. Conclusion Une étude rare sur le long terme concernant les effets Pour les décideurs politiques et les experts en développe- d’un programme de développement de la petite enfance ment qui cherchent à améliorer la vie des gens et réduire la montre que la vie des enfants peut être améliorée en pauvreté, le message est clair : les groupes de formation paren- veillant à ce qu’ils aient une stimulation et un soutien tale, qui engagent les mères dans des activités pour favoriser émotionnel appropriés lorsqu’ils sont bébés et tout-pe- le développement, peuvent réussir. Ce qui est essentiel, c’est tits. Une simple intervention de deux ans leur a donné l’établissement d’un cadre afin que les enfants bénéficient du les bases pour développer les compétences qui leur per- soutien et des compétences dont ils ont besoin pour réussir mettront de gagner davantage plus tard, rattrapant même comme étudiants et jeunes adultes. Comme l’a montré l’étude leurs pairs mieux lotis. en Jamaïque, les retombées s’en ressentent pour toute la vie. Le Fonds d’évaluation d’impact stratégique, qui appartient au Groupe de la Banque Mondiale, soutient et diffuse les travaux d’évaluation d’impact de projets de développement destinés à lutter contre la pauvreté. L’objectif est de collecter et d’exploiter des données empiriques, afin d’aider les gouverne- ments et les organismes de développement à concevoir et à mettre en oeuvre les politiques les plus appropriées et les plus efficaces pour améliorer les opportunités en matière d’éducation, de santé et d’emploi dans les pays en développement. Pour plus d’informations sur qui nous sommes et ce que nous faisons, voir : http://www.worldbank.org/sief. La série de notes périodiques « De l’Évidence empirique à la formulation de Politiques » est produite par le SIEF avec l’appui généreux du Département du développement international du gouvernement britannique. LA BANQUE MONDIALE, Fonds d’évaluation d’impact stratégique 1818 H STREET, NW WASHINGTON, DC 20433 Produit par le Fonds d’évaluation d’impact stratégique Éditrice et rédactrice de la série : Aliza Marcus; Auteure: Daphna Berman