Utiliser la science comportementale pour amener les femmes enceintes à effectuer des consultations prénatales en Haïti. Le projet Haïti présente les taux de mortalité maternelle et Dans le but de concevoir des propositions concrètes néonatale les plus élevés de la région Amérique latine à l’effet de réduire les taux de mortalité maternelle, et Caraïbes, soit respectivement à 529 et 24 décès la Banque mondiale, avec le soutien de l’Umbrella pour 100 000 et pour 1 000 naissances vivantes (IHE Facility for Gender Equality, s’est engagée dans un et ICF 2018, World Bank 2017). Au vu des tendances diagnostic visant à identifier les obstacles structurels actuelles, le pays ne va probablement pas réaliser et comportementaux qui empêchent les femmes d’aller l’Objectif de développement durable des Nations en consultation prénatale et d’accoucher dans un Unies consistant à faire passer le taux de mortalité établissement de santé. L’objectif est de découvrir les maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances facteurs susceptibles de rendre les accouchements plus vivantes d’ici 2030 (World Bank 2017). Les faibles sûrs en Haïti. taux de couverture de la surveillance prénatale et Ce diagnostic se fonde sur des données probantes postnatale, et de naissances en milieu hospitalier issues de l’examen d’un grand nombre de documents contribuent au fort taux de mortalité maternelle. (documents publics, articles de recherche et rapports Alors que 91 % des femmes se rendent au moins d’études) et des entretiens avec des informateurs clés, une fois dans un établissement de santé pour des qui ont servi de base à la conception et la réalisation consultations prénatales, 67 % à peine ont effectué d’une étude qualitative sur le terrain. Grâce à des les quatre visites recommandées et seules 33 % vont échanges en discussions de groupes thématiques et faire une consultation postnatale dans les 48 heures des entretiens semi-dirigés avec une diversité d’acteurs suivant l’accouchement (IHE and ICF 2018). incluant des femmes enceintes, des matrones, des professionnels de la santé, des membres de famille, des En Haïti, la plupart des femmes — particulièrement les agents de santé communautaires et des responsables plus pauvres — accouchent chez elles avec l’aide d’une locaux, l’étude a permis de décrire comment les femmes matrone (accoucheur traditionnel, homme ou femme). enceintes prennent leurs décisions en examinant Les matrones n’ont aucune formation officielle et les éléments suivants : comportements à l’égard apprennent souvent auprès de leurs aînés. Néanmoins, des consultations prénatales, attitudes et opinions ce sont des piliers de la communauté et des personnes concernant les accouchements en milieu hospitalier, vers qui la majorité des femmes enceintes vont se perceptions, structures sociales et relations, entre tourner pour demander conseils et orientations. autres facteurs déterminants. Résultats principaux L’équipe a découvert plusieurs obstacles structurels et comportementaux (parfois inextricablement liés) qui empêchent les femmes enceintes de rechercher une prise en charge prénatale, d’y accéder et d’en bénéficier, mais aussi d’accoucher en milieu hospitalier. Les biais comportementaux — notamment les biais de disponibilité et la propension à l’optimisme — dissuadent les femmes d’agir. Les femmes enceintes sous-estiment souvent la probabilité de développer des complications pendant la grossesse, ou d’avoir besoin de soins complexes qui dépassent les capacités des matrones. De même, lorsqu’elles ne se souviennent pas immédiatement d’un membre de la famille ou d’un ami qui aurait eu besoin d’un suivi complémentaire, elles sont moins susceptibles de chercher elles-mêmes une prise en charge médicale. Les matrones sont aussi victimes de cette heuristique, sous-estimant le besoin d’une prise en charge ou la probabilité que surviennent des complications durant la grossesse, et orientant trop tard les femmes en travail vers des établissements de santé en vue de sauver leur vie. Les obstacles structurels sont réels, et les préoccupations des femmes quant à leur impact sont souvent rationnelles et justifiées. Dans bien des cas, les femmes ne savent pas à quel moment solliciter une prise en charge complémentaire. Compte tenu de l’état cahoteux des routes, il peut être effrayant et douloureux de se déplacer à motocyclette pendant la grossesse et lors du travail. Les femmes craignent à juste titre de se blesser sur le chemin de l’hôpital ou d’accoucher avant d’y arriver. De plus l’incertitude autour des frais d’hospitalisation — y compris le coût total du séjour, des médicaments, etc. — diminue la probabilité que les femmes en situation de pauvreté aient recours à une prise en charge médicale. Les sentiments que les femmes nourrissent à l’égard des hôpitaux et du personnel médical et les perceptions autour de la qualité de la prise en charge comptent autant que les soins eux-mêmes. Même lorsqu’elles parviennent à se rendre à l’hôpital pour y être suivies, nombreuses sont les femmes qui n’apprécient pas le traitement qu’elles y reçoivent — ou qu’elles imaginent qu’elles y recevront. Bien que certaines y soient bien traitées, d’autres indiquent avoir été dénigrées, soumises à un traitement condescendant ou outrageant, ou forcées d’accoucher dans des situations inconfortables. Durant nos entretiens, les femmes ont fait part de leurs craintes à l’égard du milieu hospitalier ; comme l’a dit l’une d’elles, « j’avais peur d’accoucher à l’hôpital à cause de rumeurs selon lesquelles on se retrouve seule dans une pièce pour accoucher, alors qu’à la maison, on est entourée de la famille ». D’autres ont déclaré qu’avoir vu des femmes laissées à l’abandon après une opération chirurgicale, des nourrissons traités avec négligence, ou simplement des membres de familles défavorisées se démener pour apporter de la nourriture à l’hôpital suffisait pour les dissuader d’y aller. Implications pour l’action Dans un environnement comme Haïti où existent — de meilleure qualité — sur ce à quoi les femmes doivent d’importants obstacles structurels, une simple s’attendre durant une consultation médicale et ce à quoi elles campagne de sensibilisation soulignant l’importance ont droit, on peut également couper court à certaines des des consultations prénatales et des accouchements en rumeurs et ambiguïtés sur lesquelles elles fondent milieu hospitalier ne suffira probablement pas à changer leurs décisions. véritablement les comportements. Les interventions Des interventions axées sur le personnel médical peuvent qui ciblent des points de décision, des croyances et des aussi contribuer grandement à améliorer la perception comportements potentiellement autour de la prise en charge offerte importants peuvent contribuer à Les interventions qui ciblent des dans les hôpitaux, et par conséquent améliorer globalement la situation des femmes et des enfants. points de décision, des croyances et la probabilité que les femmes s’y des comportements potentiellement rendent. Former le personnel médical Un axe d’intervention avec un et administratif aux techniques pour impact potentiellement fort peut importants peuvent contribuer à faire en sorte qu’une femme enceinte consister à s’employer à modifier améliorer globalement la situation des se sente plus à l’aise, personnaliser les les convictions des femmes et des femmes et des enfants. modèles de prise en charge, et aider les matrones. Diffuser un plus grand femmes et les matrones à se familiariser nombre de messages (plus persuasifs) sur les conditions davantage avec leur établissement de santé le plus proche, dans lesquelles un accouchement hospitalier est nécessaire, peuvent atténuer les craintes à l’égard d’une prise en charge sur ce que les femmes peuvent s’attendre à trouver dans hospitalière. Une intervention axée sur la reconnaissance un hôpital, et sur les délais à prendre en compte (sous la sociale et visant à récompenser les matrones qui encouragent forme de calendriers), peut aider à combler le déficit de les accouchements sans risque et orientent leurs patientes connaissances relatives au moment où il faut se rendre dans vers des établissements de santé peut aussi énormément un établissement de santé. aider à assurer la prise en compte du rôle des matrones — lequel est reconnu à l’échelon de la communauté — dans le De plus, une information plus pertinente et de meilleure système de santé formel. qualité peut atténuer certaines hésitations ou incertitudes qui inhibent la recherche d’une prise en charge médicale. Des Aider les femmes enceintes à accoucher en toute sécurité interventions destinées à éliminer certaines ambiguïtés autour en Haïti est une entreprise complexe, mais comprendre les du coût des soins hospitaliers peuvent permettre aux femmes obstacles comportementaux peut contribuer grandement à d’avoir moins d’incertitudes quant à leur capacité à supporter améliorer l’efficacité de toute nouvelle politique ou de tout cette charge financière. En diffusant plus d’informations nouveau programme. À propos d’eMBeD Le Service Schémas de pensée, comportements et développement (eMBeD) est une équipe dédiée de la Banque Mondiale qui s’occupe des questions de science comportementale au sein du Pôle mondial d’expertise en Pauvreté et Equité. L’équipe eMBeD collabore étroitement avec les équipes de projets, les gouvernements et d’autres partenaires pour concevoir et évaluer, sur la base de diagnostics, des interventions éclairées par les sciences du comportement. Dans le cadre d’un réseau mondial de collaboration entre scientifiques et praticiens, elle apporte des réponses à d’importantes questions économiques et sociales, et contribue à l’effort mené à l’échelle mondiale pour éliminer la pauvreté et favoriser une plus grande équité. Restez en contact  eMBeD@worldbank.org #embed_wb worldbank.org/embed bit.ly/eMBeDNews References: IHE et ICF. 2018. Enquête Mortalité, morbidité et utilisation des services (EMMUS-VI 2016-2017). Pétion-Ville, Haïti et Rockville, Maryland, USA : Institut haïtien de l’enfance (IHE) et ICF. World Bank. 2017. Better spending, better care: A look at Haiti’s health Financing. Washington DC.: World Bank. Last Update: June 17th, 2019