février 2020 L’ÉCART ENTRE HOMMES ET FEMMES DANS LE SECTEUR AGRICOLE EN CÔTE LABORATOIRE D'INNOVATION POUR D’IVOIRE : QUEL CHANGEMENT DANS L'ÉGALITÉ DES SEXES SA TAILLE ET SES DÉTERMINANTS ? Le laboratoire d'innovation pour l'égalité des sexes (Gender Auteurs : Aletheia Donald, Gabriel Lawin, Léa Rouanet Innovation Lab – GIL) effectue des évaluations d'impact d’interventions en matière de développement en MESSAGES PRINCIPAUX Afrique subsaharienne et fournit • L’écart de productivité agricole entre les ménages dirigés par des hommes et les des données probantes pour ménages dirigés par des femmes en Côte d’Ivoire s’est considérablement réduit établir la manière de combler les écarts entre les sexes en termes au cours de la dernière décennie. Lorsque l’on compare des ménages similaires, de revenus, de productivité, d'actifs l’écart entre les sexes s’est réduit de 32%. et de renforcement des capacités. • Les ménages dirigés par des femmes ont augmenté leur utilisation de pesticides et L'équipe du GIL travaille actuellement de main-d'œuvre féminine et ont vu leur propriété foncière diminuer. sur plus de 70 évaluations d'impact dans plus de 25 pays, dans le but • L'écart de 18 pour cent qui subsiste entre les sexes se concentre parmi les de construire une base de données ménages les plus pauvres. probantes qui permettra de tirer des enseignements pour la région. • Parmi ces ménages, le recours moindre à la main-d'œuvre masculine et la ségrégation sectorielle entre les cultures vivrières et les cultures d’exportation L’objectif d’impact du GIL est de expliquent l'écart entre les sexes. promouvoir l’adoption de politiques efficaces par les gouvernements, les • Aider les ménages dirigés par des femmes à accéder à la main-d’œuvre agricole, organisa-tions de développement à renforcer leurs droits fonciers et à adopter des cultures d’exportation devraient et le secteur privé pour lutter être des priorités politiques clés en Côte d’Ivoire. contre les causes sous-jacentes des inégalités entre les sexes en Afrique, en particulier en termes CONTEXTE d’autonomisation économique et sociale des femmes. Dans ce but, L’agriculture joue un rôle essentiel dans les économies à travers l'Afrique : le secteur le GIL produit et fournit un nouvel agricole fournit jusqu'à 65 % des emplois sur le continent. Les femmes représentent ensemble de données probantes la moitié de cette main-d'œuvre agricole, mais des écarts entre agriculteurs et afin de plaider auprès des décideurs agricultrices en termes de productivité ont été largement enregistrés dans la région. politiques pour une meilleure prise en Combler ces écarts entre les sexes peut contribuer à améliorer la productivité globale compte des politiques efficaces (ou du continent. non) pour la parité hommes-femmes. http://www.worldbank.org/en/programs/africa-gender-innovation-lab Ce bulletin politique examine comment les écarts entre les chaque année les principaux facteurs expliquant les différences hommes et les femmes dans la productivité agricole en Côte de productivité entre les hommes et les femmes. Ils ont utilisé d'Ivoire et les facteurs qui en sont responsables ont évolué au cette décomposition pour chaque décile de la distribution fil du temps ; il fournit des informations critiques sur les succès en termes de productivité, ce qui leur a permis d'examiner et les limites des politiques qui ont cherché à relever ce défi, les facteurs pour l’ensemble des ménages, allant des moins et indique les angles à explorer afin de concevoir une politique productifs aux plus productifs, et de mieux comprendre quels efficace pour combler ces écarts entre les sexes à l'avenir. facteurs sont les plus décisifs pour la productivité agricole le long de la distribution des revenus. CE QUE NOUS AVONS FAIT Pour identifier les changements intervenus dans la productivité RÉSULTATS agricole des femmes, les chercheurs du Laboratoire Ces dix dernières années, la Côte d’Ivoire a connu une d'innovation pour l'égalité des sexes (Gender Innovation réduction considérable des écarts existant entre les hommes Lab – GIL) ont examiné les données de deux enquêtes et les femmes, tant en ce qui concerne la productivité des représentatives au niveau national en Côte d'Ivoire, celles de cultures d'exportation que des cultures vivrières. Entre 2008 et 2016. Ces deux enquêtes ont permis à l'équipe de 2008 et 2016, la différence inconditionnelle de productivité comparer des informations détaillées dans le secteur agricole, est passée de 21 % en 2008 à 18 % en 2016, soit une y compris des données de production et d'intrants à la fois réduction de 14 %. Lorsque l'on compare uniquement des en termes de parcelle et de culture, afin de déterminer les ménages semblables, la réduction des écarts est encore changements intervenus sur huit ans. plus importante (32 %). Les données de 2008 proviennent d'une enquête sur le niveau Cette réduction est due à plusieurs facteurs, notamment au de vie des ménages traditionnels : l'Enquête Niveau de Vie des fait que les ménages dirigés par des femmes commencent Ménages. Les données de 2016 ont été tirées de la dernière à rattraper les ménages dirigés par des hommes dans enquête relative à l'emploi : l'Enquête nationale sur la situation leur recours aux engrais et aux pesticides. L’utilisation des de l'emploi et le secteur informel. Entre autres caractéristiques pesticides par les femmes, par rapport à celle des hommes, et précisions, les enquêtes ont fourni des informations sur la a plus que doublé entre 2008 et 2016 : ceci est peut-être lié productivité, la superficie cultivée, les caractéristiques des à la forte volonté gouvernementale de mieux répondre aux ménages, l'utilisation de la main-d'œuvre et le recours aux besoins des agricultrices dans les programmes agricoles au engrais. cours des dix dernières années, tels que le Programme de En utilisant la technique traditionnelle dite de décomposition de Blinder-Oaxaca, couramment utilisée en matière d’écarts ÉVOLUTION DES ÉCARTS ENTRE HOMMES de salaire entre les hommes et les femmes, les chercheurs ET FEMMES ENTRE 2008 ET 2016 ont estimé la proportion des écarts existant en termes de productivité entre les sexes qui s’explique par différents 35% 2008 facteurs (tels que les types de chefs de ménage, les inégalités 31% 2016 en matière de superficie cultivée et l'accès inégal aux intrants 30% productifs), ainsi que la proportion des écarts entre les sexes résultant de rendements inégaux des composantes 25% productives. 21% 21% 20% 18% Par exemple, en contrôlant des niveaux d'éducation, des quantités d'intrants agricoles tels que les engrais et la main 15% d'oeuvre, de l'âge du chef de ménage, du nombre total de cultures produites et du statut matrimonial du chef de ménage, 10% les chercheurs ont pu examiner de manière plus approfondie les véritables facteurs responsables des variations en matière 5% de productivité agricole. 0% Cette méthode a permis aux chercheurs d'identifier pour Inconditionnelle Conditionnelle productivité agricole en Afrique de l'Ouest et le Projet d'appui réduction dans sa globalité s’explique majoritairement par la agricole à la Côte d'Ivoire. Par rapport aux ménages dirigés diminution des écarts en termes de productivité agricole des par des hommes, les ménages dirigés par des femmes ont cultures d’exportation. Dans les cultures vivrières, l'écart de également augmenté leur recours à la main-d'œuvre féminine. productivité agricole est passé de 40 % en 2008 à 19 % en 2016. Dans les cultures d'exportation, l'écart est passé de 17 En 2008, le faible taux de main d’oeuvre masculine dans les % à un pourcentage non significatif. ménages était le principal facteur de la plus faible productivité agricole dans les ménages dirigés par une femme ; ce Plusieurs constatations clé ont été faites : si la main d'oeuvre facteur était suivi de près par une moindre adoption des est plus importante pour la productivité des cultures vivrières, cultures d’exportation et une moindre utilisation d’autres les intrants non liés à la main d’œuvre sont quant à eux intrants agricoles, comme les pesticides et les engrais essentiels à la productivité des cultures d'exportation. De chimiques. Le faible taux de main d’œuvre masculine dans même, l'augmentation démontrée de l'utilisation par les les ménages a davantage affecté les ménages pauvres dirigés femmes des intrants non liés à la main d’œuvre (comme les par des femmes que les ménages mieux lotis en termes de pesticides) aide à expliquer la disparition des écarts en termes productivité. Les ménages les plus pauvres dirigés par des de productivité des cultures d'exportation. femmes ont également enregistré les rendements les plus faibles par rapport à leurs intrants agricoles. Certains aspects de la productivité agricole sont restés constants au cours de la décennie. En 2008 comme en 2016, En 2016, ces facteurs ont changé : une plus faible adoption les écarts entre les hommes et les femmes ont été réduits des cultures d'exportation est devenue le principal facteur des dans chaque décile par les ménages dirigés par une femme écarts entre les hommes et les femmes dans la productivité avec un nombre inférieur de superficie cultivée. Ces mêmes agricole. La moindre utilisation de pesticides et d'engrais deux années, les écarts entre les sexes en matière de revenus chimiques constitue un autre facteur clé. Un nouveau facteur fait son apparition en 2016 : la diminution du nombre de ont été accrus par la diminution de l'utilisation des pesticides champs gérés par des ménages dirigés par des femmes, un par les ménages dirigés par une femme. élément particulièrement important pour la productivité des Un examen approfondi des données révèle certaines des cultures vivrières. Dans l'ensemble, on continue d’observer limites de l'utilisation du statut de chef de ménage comme une différence de productivité entre les sexes en faveur des variable d'identification. Les écarts de productivité sont hommes dans les ménages dont la productivité se situe dans plus importants pour les ménages dirigés par des femmes la moitié inférieure de l'échelle de distribution, c’est-à-dire propriétaires et gestionnaires. La granularité des données parmi les ménages les plus pauvres. de ces enquêtes a permis une analyse plus détaillée et des La réduction des écarts entre les sexes est due à une diminution recommandations politiques plus spécifiques ; une meilleure de l’écart pour la productivité des cultures d'exportation prise en compte de la dimension de genre dans les enquêtes et pour la productivité des cultures vivrières. Toutefois, la nationales peut fournir des informations encore plus utiles. LES ÉCARTS DE GENRE EN TERMES DE RÉPARTITION DE LA PRODUCTIVITÉ, 2008 & 2016 40% 2008 34% 2016 30% 29% 24% 25% 26% 23% 23% 21% 22% 20% 18% 19% 18% 18% 18% 16% 11% 10% 4% 2% 0% Q10 Q20 Q30 Q40 Q50 Q60 Q70 Q80 Q90 Quintile de Productivité IMPLICATIONS POLITIQUES ET PROCHAINES ÉTAPES Bien que les écarts entre les hommes et les femmes en matière de productivité agricole aient été considérablement réduits, ces données masquent toujours l'hétérogénéité et les problèmes sous-jacents auxquels sont confrontés les ménages dirigés par des femmes et que les décideurs devront résoudre dans les années à venir. Le plus faible recours à la main-d'œuvre masculine par les ménages dirigés par une femme demeure un facteur clé des écarts entre les sexes dans la productivité agricole. Les niveaux inférieurs de main-d'œuvre masculine désavantagent les ménages dirigés par des femmes dont les revenus se situent dans la moitié inférieure de l’échelle ; ces ménages ont un besoin critique de main-d'œuvre supplémentaire. Dans la mesure où les facteurs responsables des écarts entre les hommes et les femmes peuvent varier en fonction des revenus du ménage ou autres caractéristiques, une analyse approfondie des données disponibles est essentielle car elle peut mettre en évidence les problèmes spécifiques qui importent pour les ménages dirigés par une femme, quels que soient leurs revenus. Il est en outre essentiel de noter la perte de terres des femmes au cours de cette période. Les ménages dirigés par des femmes sont certes devenus plus efficaces, mais ils disposent de moins de terres à cultiver. La perte de terres appartenant aux femmes commence à avoir un impact sur la productivité des cultures vivrières – un domaine où les écarts entre les sexes reste élevé. Le renforcement des droits fonciers des femmes, que ce soit par le co-titrage des époux, les transferts directs de terres ou la sauvegarde des droits de succession, devrait être une priorité politique clé pour le pays. En outre, les décideurs du secteur agricole devraient viser l'intégration de la dimension de genre dans les cultures d'exportation. Le cloisonnement professionnel entre les types de cultures est un facteur clé des écarts existants en termes de productivité en Côte d’Ivoire ; en ciblant les productrices de cultures d'exportation – notamment en augmentant leur utilisation d'intrants – les politiques agricoles ont réussi à réduire les inégalités entre les sexes. Les politiques supplémentaires peuvent aider à intégrer les femmes dans le secteur des cultures d'exportation, notamment l’adaptation des services de développement agricole aux besoins des agricultrices, la facilitation de l'accès de ces dernières aux marchés et l'engagement des époux en tant qu'alliés pour encourager les femmes à se lancer dans l’exploitation des cultures d'exportation à valeur élevée. Pour plus d'informations sur cette étude, voir le Rapport de recherches sur les politiques : https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/33227 POUR PLUS D’INFORMATIONS, MERCI DE CONTACTER Aletheia Donald adonald@worldbank.org Lea Rouanet lrouanet@worldbank.org Alison Decker Crédits photo : Arne Hoel/Banque Mondiale, John Hogg/Banque Mondiale, Trevor Samson/Banque Mondiale, adecker@worldbank.org Scott Wallace/Banque Mondiale 1818 H St NW Ce travail a été financé en partie par la Umbrella Facility for Gender Equality (UFGE), un fonds fiduciaire financé Washington, DC 20433 USA par plusieurs donateurs et administré par la Banque mondiale pour faire progresser la parité hommes-femmes et www.worldbank.org/africa/gil l'autonomisation des femmes via l'expérimentation et la création de savoirs afin d'aider les gouvernements et le secteur privé à concentrer leurs politiques et programmes sur des solutions évolutives aux résultats durables. L'UFGE est soutenue par les généreuses contributions de l'Australie, du Canada, du Danemark, de l'Allemagne, de l'Islande, de la Lettonie, des Pays-Bas, de la Norvège, de l'Espagne, de la Suède, de la Suisse, du Royaume-Uni, des États-Unis et de la Fondation Bill et Melinda Gates.