« De la conduite des affaires économiques en des temps difficiles » « De la conduite des affaires économiques en des temps difficiles » Robert B. Zoellick Président du Groupe de la Banque mondiale Center for Global Development, Washington 2 avril 2008 En octobre dernier, peu de temps après mon arrivée au Groupe de la Banque mondiale, j'ai proposé de recadrer nos travaux dans une nouvelle perspective : favoriser une mondialisation solidaire et durable – pour vaincre la pauvreté, renforcer la croissance tout en respectant l'environnement, offrir des opportunités à tous et susciter l'espoir. Un mois plus tard, je me suis rendu, près du Cap, à une réunion du G-20, présidée par l’éminent ministre sud-africain, M. Trevor Manuel, où se sont rencontrés les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de pays développés et en développement. Durant les discussions formelles, certains participants, évoquant les tumultes financiers observés durant l'été, ont laissé entrevoir l'enchaînement des évènements qui allaient ébranler les marchés au cours des mois suivants ; comme c'est souvent le cas, les conversations plus libres tenues entre deux sessions ont été l’occasion de mises en garde et de questions plus pressantes sur les risques. Les mois qui ont suivi ont été marqués par la constatation de pertes massives de la valeur du patrimoine immobilier et des créances hypothécaires, l’enregistrement de pertes sur créances, la chute de PDG, la comptabilisation de pertes encore plus importantes par suite de l'arrivée de nouveaux PDG souhaitant assainir leurs bilans, l’ébranlement de compagnies d'assurance monobranche frappées de plein fouet et les répercussions brutales de ces chocs sur les transactions structurées, les craintes suscitées par les contreparties et, en fin de compte, les recapitalisations et les prises de contrôle. Plus récemment, nous avons vu ces ondes de choc se propager aux bilans des banques commerciales qui n'avaient pas été obligées de réévaluer immédiatement leurs avoirs aux cours du marché. Les liquidités à court terme se sont évaporées sous l'effet du tarissement des ressources financières et du manque d'information. Les sources de financement à effet de levier, toutes catégories confondues — banques d'investissement, fonds de placement privé, fonds spéculatifs, et même les billets de trésorerie des entreprises — se sont trouvées à court de liquidités. Comme les institutions financières assoiffées de fonds protégeaient leurs caches de réserves, les opérations réalisées suivant un schéma de titrisation fondé sur la génération de flux de trésorerie de rang différents, l’absorption des pertes par les tranches subordonnées et le rehaussement de la qualité du crédit, se sont réduites et les établissements initiateurs se sont retrouvés démunis. Et ce drame a pris un visage humain, celui des victimes qui se débattent face à ces forces apparemment impersonnelles. Les États-Unis ont la chance de pouvoir s'appuyer en ces temps difficiles sur des responsables financiers solides et pragmatiques: le secrétaire au Trésor, Hank Paulsen, le président du Système fédéral de réserve des États-Unis, Ben Bernanke, et le Président de la Banque fédérale de réserve de New York, Tim Geithner. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du monde entier restent à tout moment en contact. Le problème qu’il leur faut confronter — comme nous— consiste notamment à comprendre les effets de ces tumultes financiers sur l'économie dite « réelle » — sur la croissance, l'emploi, les prix, les salaires, les bénéfices, le commerce, le logement, et les entreprises — sur les individus et sur les ménages. Ce repli financier se produit alors même que deux autres phénomènes font sentir leurs effets : la montée des prix mondiaux de l'énergie et des produits de base, et l'amenuisement de l'effet d'amortissement sur les prix exercé au cours des 10 dernières années par l'arrivée sur le marché du travail mondial de centaines de millions de travailleurs des pays en développement. Nous savons que les effets macroéconomiques de ces mutations ne sont pas bons, mais nous n’avons guère de certitude quant à leur ampleur et à leur impact précis. Le lien entre les troubles financiers actuels et nos travaux à l'appui d'un développement et d’une mondialisation solidaires et durables, et leur impact sur ceux qui cherchent à améliorer leur sort réside dans les effets de ces diverses évolutions sur l'économie mondiale « réelle ». Il existe une différence remarquable entre la période actuelle de bouleversements financiers et les précédentes, qui tient à la performance des pays développés et en développement. Lors d'un séminaire tenu en août, un représentant mexicain a fait remarquer avec une certaine ironie que cette fois-ci, son pays n'était pas responsable. Certes, les États-Unis devront en tirer des enseignements en matière de réglementation et de supervision financières d’un marché en constante évolution, et aussi collaborer avec d'autres pour parer aux dommages et reconstruire ce qui a été détruit. Non seulement l'épicentre des séismes s'est déplacé mais on a pu constater, à ce jour, que les secousses touchent les marchés de manières différentes. Les spreads, généralement étroits pour les titres de créance sur les marchés émergents, se sont quelque peu élargis, bien que dans une mesure limitée par comparaison à ceux de la plupart des autres produits de crédit. De toute évidence, les marchés des capitaux des pays en développement ne seront pas à l'abri ; les taux de change connaissent de brusques fluctuations, les cours des titres des marchés émergents ont faibli et les spreads des titres de créances non émis par l’État se sont nettement élargis, à l’instar de leurs contreparties sur d'autres marchés. Fait plus important, cette phase de repli à une allure extrêmement différente : la Chine, l'Inde et d'autres puissances économiques ascendantes constituent de nouveaux pôles de croissance pour l'économie mondiale. Il ne s'agit pas là d'un « découplage » puisque que les interconnexions établies par la mondialisation transmettront les effets des problèmes financiers et du ralentissement du monde développé ; il s'agit, en fait, d'une diversification des sources de la croissance dont il faut se réjouir. L’expansion de la demande mondiale d'importations est à présent imputable, pour plus de la moitié, aux pays en développement, et elle ouvre de nouvelles perspectives d'exportation aux économies tant développées qu’en développement. Il s'agit donc d'un rééquilibrage — et non d'un découplage — qui appuie une mondialisation solidaire et durable. La diversification est toute aussi profitable, qu’elle concerne les sources de croissance de l'économie mondiale ou la composition d’un portefeuille de placements. La conduite des affaires économiques est mise à l'épreuve en pareil temps : car il s’agit de voir à travers le défilement souvent rapide des évènements et des opportunités pour pouvoir faire face aux besoins pressants et planter les graines qui seront le bois d'œuvre de demain. Nous devons ensemble contrer les menaces immédiates tout en édifiant une structure de mondialisation solidaire et durable qui assurera davantage de sources de croissance et d'innovation pour l'avenir, renforcera la coopération multilatérale face aux chocs et aux phases de repli, produira les meilleures opportunités et suscitera l’espoir pour tous. Je vais maintenant présenter quatre domaines auxquels sont associés des besoins immédiats mais qui offrent aussi des opportunités à plus long terme. Dans chaque cas, je suggérerai la poursuite d’une ligne d’action. Face à la cherté des denrées alimentaires : une nouvelle donne Les prix des denrées alimentaires se sont envolés parallèlement à l'effondrement des marchés des capitaux. Ceux des aliments de base ont augmenté de 80 % depuis 2005. Le mois dernier, le prix réel du riz a atteint son niveau le plus élevé depuis 19 ans ; le prix réel du blé, qui depuis 28 ans n'était jamais monté si haut, représente presque le double du prix moyen observé au cours des 25 dernières années. Si cette situation peut réjouir certains producteurs agricoles, elle est accablante pour les plus vulnérables d'entre nous — les enfants qui, dès l’âge de quatre ou cinq ans, peuvent être forcés de quitter la sécurité de leurs communautés rurales pour aller se battre pour de la nourriture dans des villes surpeuplées ; des révoltes de la faim qui menacent de déchirer le tissu social ; des mères privées des éléments nutritifs nécessaires pour avoir des enfants en bonne santé. Selon les estimations du Groupe de la Banque mondiale, 33 pays du monde entier sont en proie à des troubles sociaux par suite de la flambée des prix des aliments et de l'énergie. Dans ces pays, où l'alimentation représente entre la moitié et les trois-quarts de la consommation, il n'y a pas de marge de survie. Face aux réalités de la croissance démographique, de la transformation des régimes alimentaires, des prix de l'énergie et des biocombustibles, et des changements climatiques, il nous faut compter être confrontés, pendant des années, à des prix des produits alimentaires élevés — et volatiles. Nous avons besoin d'une politique alimentaire mondiale nouvelle, d’une nouvelle donne qui devra cibler non seulement la faim et la malnutrition, l'accès aux aliments et aux sources d’approvisionnement, mais aussi leurs interconnexions avec l'énergie, les rendements, les changements climatiques, les investissements, la marginalisation des femmes et d'autres groupes de population, la résilience économique et la croissance. La politique alimentaire doit avoir l'attention des responsables politiques aux plus hauts niveaux car aucun pays, ni même aucun groupe de pays, ne peut à lui seul relever ces défis imbriqués. Nous devons commencer par aider ceux dont les besoins sont immédiats. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a besoin d'au moins 500 millions de dollars de denrées alimentaires supplémentaires pour répondre aux appels d'urgence. Les États-Unis, l'Union européenne, le Japon et d'autres pays de l'OCDE doivent agir dès à présent pour combler ce manque — sinon un bien plus grand nombre d’êtres humains seront réduits à la famine. La flambée des prix alimentaires attire davantage l’attention sur le défi plus vaste qui consiste à éliminer la faim et la malnutrition, l’objectif « oublié » du développement pour le Millénaire (ODM). Bien que la faim et la malnutrition soient des cibles du tout premier ODM, au-delà de l'aide alimentaire traditionnelle, elles ne reçoivent qu'environ le dixième des ressources affectées, à juste titre, au VIH/SIDA, cet autre ennemi mortel. Toutefois, la malnutrition est l'objectif qui a le plus grand effet de « multiplicateur » : elle est le plus important facteur de risque pour les enfants de moins de cinq ans et la cause fondamentale d'un nombre de décès estimé à 3,5 millions chaque année dans cette classe d’âge. Plus de 20 % des décès maternels sont aussi imputables à la malnutrition. Celle-ci affaiblit la réponse immunitaire et la résistance aux maladies. Des études menées au Guatemala ont montré que les garçons à qui des compléments nutritionnels avaient été administrés durant les deux premières années de leur vie avaient, à l'âge adulte, des salaires plus élevés d’en moyenne 46 % que les autres. Lorsque les familles appauvries doivent se priver, ce sont les petites filles qui sont les premières victimes. La faim et la malnutrition sont une cause, et non pas seulement une conséquence, de la pauvreté. Cette nouvelle donne exige un système de prestations plus robuste, pour pouvoir surmonter les obstacles créés par la fragmentation des politiques concernant la sécurité alimentaire, la santé, l'agriculture, l'eau, l'assainissement, l'infrastructure rurale et la parité hommes-femmes Cette nouvelle donne doit donner lieu à l’abandon du système de l'aide alimentaire traditionnelle au profit d’un nouveau concept, de plus vaste portée, d'aide alimentaire et nutritive. Dans bien des cas, il est approprié de fournir un appui en espèces ou sous forme de coupons, plutôt que sous forme d'aliments, et l’aide accordée de cette manière peut contribuer, localement, à la constitution de marchés alimentaires et à l’accroissement de la production agricole. Acheter les produits de base nécessaires à des agriculteurs locaux peut renforcer les communautés. Des fonds peuvent acheter des micro-nutriments adaptés aux réalités locales. Les programmes de repas scolaires attirent les enfants à l'école, et aident les enfants en bonne santé à apprendre ; certains de ces programmes servent aussi les parents.. Le Groupe de la Banque mondiale peut fournir son aide en appuyant des mesures d'urgence offrant un soutien aux groupes de population pauvres tout en encourageant la poursuite de mesures d'incitation à produire et à commercialiser des aliments dans le cadre du développement durable. Des pays aussi différents que le Bhoutan et le Brésil, Madagascar et le Maroc, ont des programmes d'alimentation destinés aux groupes vulnérables. Le Mozambique, le Cambodge et le Bangladesh poursuivent des programmes de travaux publics choisis par les populations locales dans le cadre desquels les travailleurs sont payés en aliments — et qui permettent de construire des routes, des puits, des écoles, de se prémunir des catastrophes naturelles et de protéger les forêts. D'autres, comme la Chine, l’Égypte, l’Éthiopie et le Mexique proposent des transferts monétaires subordonnés à l'exécution de mesures d'auto-assistance telles qu'envoyer les enfants à l'école ou effectuer des visites médicales préventives. Les pays doivent également éliminer les obstacles au commerce transfrontières des aliments, qui sont dangereux car ils accroissent les risques courus par des voisins dans le besoin et ils masquent les besoins qui pourraient stimuler la production. Nous collaborerons avec les pays, en particulier en Afrique, et avec les institutions qui sont nos partenaires, pour saisir l'opportunité que représente l'augmentation de la demande de produits alimentaires. Notre Rapport sur le développement dans le monde 2008, sur l'agriculture au service du développement, nous montre la voie à suivre. Nous pouvons contribuer à créer une « révolution verte » en Afrique subsaharienne en aidant les pays à accroître leur productivité tout au long de la chaîne de valeur agricole et en aidant les petits producteurs agricoles à briser le cercle de la pauvreté. Nous doublerons pratiquement le montant de nos propres prêts au titre de l'agriculture en Afrique pour le porter de 450 millions de dollars à 800 millions de dollars ; nous pouvons aider les pays et les agriculteurs à gérer les risques systémiques, en recourant notamment à des produits financiers novateurs pour les protéger de la variabilité du climat et de phénomènes comme la sécheresse. Nous pouvons aussi mettre la technologie et à la science à leur service pour accroître les rendements. La Société financière internationale (IFC), qui est l'institution du Groupe de la Banque mondiale poursuivant ses opérations dans le cadre du secteur privé, accroîtra ses investissements et ses services- conseils aux opérations agroindustrielles en Afrique et dans le reste du monde, notamment en collaborant avec la Banque dans les domaines de l'attribution des titres fonciers, de la productivité des sols, des financements en monnaie nationale, des fonds de roulement, des systèmes de distribution, de la logistique et de l'appui aux services d'intermédiaire auxquels les agriculteurs doivent faire appel. Pour parvenir aux meilleurs résultats possibles, nous devrons mobiliser une large gamme de partenaires : la FAO, le PAM, et le FIDA ; d'autres BMD ; des donateurs privés comme la Fondation Gates ; des instituts de recherche agricole ; des pays en développement rompus aux questions agricoles comme le Brésil ; et par-dessus tout, le secteur privé, et nous devrons agir avec eux de manière concertée. Une politique alimentaire mondiale nouvelle contribuera à promouvoir un développement solidaire et durable. Les pays pauvres, les pays à revenu intermédiaire et les pays développés seront tous gagnants. Les augmentations de revenus tirés de l'agriculture ont une capacité de réduction de la pauvreté trois fois plus élevée que celle des revenus provenant d'autres secteurs et 75 % des populations pauvres du monde entier vivent dans des zones rurales où ils pratiquent, pour la plupart, une activité agricole. Presque toutes les femmes rurales actives des pays en développement travaillent dans le secteur agricole. Si on les y aide, les femmes peuvent saisir les opportunités d'une demande alimentaire mondialisée. Un accord commercial mondial, maintenant ou jamais C'est maintenant que les pauvres ont besoin de pouvoir acheter des aliments moins chers. Or le système du commerce agricole mondial reste enlisé dans le passé. Le moment est réellement venu d'éliminer les subventions agricoles et les distorsions qu'elles engendrent et d'ouvrir les marchés aux importations alimentaires. Peut-on imaginer des circonstances plus pressantes ? Un système de commerce agricole mondial plus équitable et plus ouvert offrira davantage d'opportunités aux agriculteurs africains et à ceux d'autres pays en développement de développer leur production, et leur donnera la confiance nécessaire à cette fin. Le Groupe de la Banque peut aider les pays en développement à saisir ces possibilités en accroissant leurs capacités en matière de commerce, en surmontant les obstacles que rencontrent les agriculteurs pour amener leur production jusqu'aux marchés et en aidant ces derniers en leur accordant des crédits commerciaux. Les contribuables et les pouvoirs publics peuvent profiter des économies correspondant au coût des subventions, et partant assainir leurs budgets. La solution consiste à sortir de l'impasse dans laquelle se trouve le Programme de développement de Doha en 2008. Le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, prévoit d'organiser une réunion des ministres du Commerce au cours des prochaines semaines. Cette réunion sera un moment décisif pour les négociations multilatérales de Doha. M. Lamy travaille patiemment mais sans relâche avec les présidents des comités de l'OMC et les groupes de négociations pour rapprocher les positions. Une offre satisfaisante est sur la table. Il faut avancer, maintenant ou jamais. Les propositions sont ambitieuses : les réductions des tarifs des produits agricoles ainsi que des produits manufacturés seront calculées au moyen de formules qui réduisent dans une plus grande mesure les chiffres plus élevés que ne le ferait l'application d'un pourcentage uniforme ; les subventions agricoles les plus fortes seront également davantage abaissées. Le grand défi qu’il faut maintenant relever consiste à associer aux importantes réductions tarifaires étagées des « flexibilités » qui permettent d'accorder des exceptions. Ces exceptions devront, non pas éliminer les réductions mais, dans la mesure du possible, continuer d'améliorer les perspectives d'accroissement du commerce au fur et à mesure de l'expansion des économies. Certains ont suggéré que, si les pays en développement doivent profiter des mesures prises dans le secteur agricole, ils renonceront à protéger leurs industries manufacturières. Une telle assertion peut prêter à confusion. Étant donné l'expansion du secteur manufacturier des pays en développement et des opérations de sourçage, il est clair que les pays développés aussi bien que les pays en développement profiteront d'un abaissement des barrières aux échanges de marchandises. L'accord devrait également insuffler un nouvel élan aux marchés des services, qui représentent une part croissante du PIB mondial, facilitent le développement national et infrastructurel et complètent les mesures de facilitassions de des échanges. Il peut également préciser les « règles » qui font obstacle au commerce. Ces négociations ne sont pas une compétition internationale de poker, où les ministres cacheraient avec soin leur jeu et où le gagnant remporterait toute la mise. Il s'agit de réunions organisées pour trouver une solution à des problèmes complexes. Il importe que tous les négociateurs repartent avec des éléments positifs et des explications politiques. Les dirigeants politiques doivent également faire pression pour obtenir des avantages à un niveau plus global. Cet accord contribuerait à promouvoir une mondialisation solitaire et durable : plus d'opportunités pour les pays en développement, grands et petits, à revenu intermédiaire ou plus pauvres, de devenir plus productifs et de faire baisser les prix par le biais du commerce ; un sentiment d'équité plus prononcé pour tous dans le cadre de l'économie internationale, grâce à la modernisation d'un système vieux d'un demi-siècle. Une sortie de l'impasse des négociations multilatérales de Doha permettrait également de donner confiance dans un système économique en proie à de vives inquiétudes financières. Le moment décisif est venu, non seulement pour les négociations multilatérales de Doha, mais aussi pour le commerce lui-même. Des voix influentes, représentant toute une gamme d'orientations politiques, appellent, notamment dans mon propre pays, un retour au protectionnisme dont elles rationalisent l'intérêt. Cet isolement économique est la manifestation d'un défaitisme qui ne permettra qu'aux aspects négatifs de la mondialisation de se manifester, en excluant ses aspects positifs. En cette ère de mondialisation, le sort des négociations de Doha aura un impact bien au-delà des seules questions commerciales et économiques traditionnelles. Il témoignera de manière cruciale de la mesure dans lequel on peut compter relever le défi consistant à parvenir à un accord mondial sur les changements climatiques. Les fondements économiques des négociations commerciales sont acceptés de manière générale depuis de nombreuses années. Si les responsables de 150 pays ne peuvent parvenir à s'entendre sur les arbitrages politiques nécessaires dans le cadre des négociations multilatérales de Doha qui leur procureront des avantages manifestes, on peut vraiment douter qu'il sera possible d'amener les pays développés et les pays en développement à s'entendre sur un nouvel accord dans le domaine des changements climatiques. Une initiative renforcée pour la transparence dans les industries extractives (EITI++) pour mettre un terme à la malédiction des ressources La cherté actuelle de l'énergie et le cours élevé des minerais, qui pour certains sont un fardeau, offre de vastes opportunités à d'autres intervenants dans le monde en développement. Plusieurs pays ont mis leurs ressources naturelles au service de leur développement mais pour d'autres, ce trésor devient une malédiction. Les pays développés tout autant que les pays en développement connaissent les risques associés à ces secteurs : des économies « à deux vitesses » qui excluent la plupart des citoyens des richesses ; la corruption au niveau de l'octroi des concessions et des accords de complaisance ; les rentrées de fonds volatiles qui tentent les responsables et compromettent la viabilité des budgets et la durabilité de la croissance ; le syndrome hollandais des taux de change dont l'évolution est dictée par les exportations de ressources, et qui nuisent à des emplois et à des échanges plus diversifiés ; des « rentes » de ressources qui attisent les conflits de factions en quête de trésor ; l'énormité des coûts environnementaux ; voire même l’effritement du sens de l’État quant quelque rare privilégiés semblent profiter de la vente de « patrimoine national ». L'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (EITI) a été lancée par Tony Blair, premier ministre britannique en 2002. L’EITI améliore la gouvernance dans les pays riches en ressources en exigeant la publication et la vérification de l'intégralité des paiements effectués par les sociétés et des recettes tirées par l'État des industries du pétrole, du gaz et autre industries extractives. L’EITI est devenue une coalition internationale réunissant des autorités nationales, le Groupe de la Banque mondiale, des sociétés d'hydrocarbures et minières, des investisseurs et des organisations de la société civile telle que Transparency International, Oxfam et Global Witness. Aujourd'hui, 24 pays, dont 17 pays d'Afrique subsaharienne, se conforment à l'EITI. Assurer la transparence des recettes ne suffit toutefois pas. Pour que le niveau élevé des prix de l'énergie et des ressources minières puisse contribuer à améliorer les conditions de vie des pauvres, nous collaborerons avec les pays en développement qui sont nos clients et d'autres partenaires pour élargir les concepts de transparence et de bonne gouvernance, aussi bien « en amont » que « en aval » — pour définir une initiative renforcée, l'EITI++, qui viendra compléter le projet initial. Nous avons entrepris d'identifier une ligne d'action pour aider les industries extractives à contribuer à un développement durable en faisant face aux risques qui se posent tout au long de la chaîne de valeur. Nous porterons notre attentions sur l'attribution des marchés, les opérations de suivi, la collecte des produits fiscaux, l'amélioration des décisions d'extraction et de gestion économique des ressources, l'amélioration de la gestion de la volatilité des prix et l'investissement judicieux des recettes dans un développement durable. Pour aller de l’avant, nous avons entrepris de concevoir un mécanisme pour promouvoir le renforcement des capacités des pouvoirs publics, qui fournira un appui bien plus rapide que celui offert dans le cadre de nos opérations de financement traditionnelles ; nous nous emploierons à formuler et à diffuser de bonnes pratiques, des normes et des codes et à proposer des cadres budgétaires, juridiques et réglementaires. Nous nous efforçons de forger les partenariats les plus solides possibles pour mettre au point ces concepts avec nos clients car l'approche EITI++ ne pourra aboutir sans « adhésion nationale ». Nous établirons également un comité consultatif de parties prenantes pour orienter notre action. Par exemple, nous collaborons avec la Banque africaine de développement, l'Union africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et l'Union monétaire ouest-africaine, au lancement d'une EITI++ en Guinée. Une mise en valeur profitable des riches ressources guinéennes pourrait affermir les bases d'un développement durable dans toute la région. L'EITI++ peut promouvoir une mondialisation solitaire et durable en accroissant la gamme des bénéficiaires de l'exploitation des ressources. La lutte contre la corruption et la transparence conforteront la confiance des citoyens dans leur gouvernement en tant que responsable du bien public. Le respect de l'environnement renforcera une croissance durable. Et un accès à des ressources minières et énergétiques, à travers les cycles, renforcera la durabilité des avantages conférés à autrui par la mondialisation. Une « solution à 1 % » pour les investissements sous forme de prise de participation à l’Afrique La montée en puissance économique de la Chine, de l’Inde, du Brésil et d’autres pays renforce et rééquilibre l’économie internationale en constituant de nouveaux pôles de croissance. Ces pays sont les nouvelles « parties prenantes » de la mondialisation. Le Groupe de la Banque sera également attentif aux moyens d’aider ses clients si la tempête qui secoue le marché du crédit et assèche les liquidités souffle dans leur direction. Nous visons également un objectif stratégique de plus large envergure, à savoir créer les conditions qui permettent aux économies en expansion d’Afrique de devenir un pôle complémentaire de croissance au cours des 10 à 15 prochaines années. À cet effet, nous travaillons à l’élaboration d’une « solution à 1 % » qui aiderait à promouvoir les investissements sous forme de prise de participation en Afrique. Les fonds souverains sont pour certains un motif de préoccupation, mais nous estimons qu’ils sont porteurs d’opportunités. Les actifs détenus par des fonds souverains pèseraient à l’heure actuelle 3 000 milliards de dollars. Si le Groupe de la banque mondiale parvient à créer des plates-formes d’investissement sous forme de prise de participation et des indices de référence pour attirer ces investisseurs, l’affectation ne serait -ce que de 1 % de ces actifs permettrait de mobiliser 30 milliards de dollars pour financer la croissance, le développement et la valorisation des opportunités en Afrique. Ces 1 % pourraient constituer l’amorce d’une dynamique de bien plus large envergure qui associerait davantage de pays et différents types de fonds, car investir dans des participations pour promouvoir le développement est un placement non pas à redouter, mais porteur de possibilités. Les sceptiques hocheront peut-être la tête, mais songez aux perspectives incertaines de la Chine et de l’Inde en 1993. Cinq ans plus tard, le monde ne voyait dans la Chine qu’un rempart de stabilité monétaire dans la tourmente qui secouait l’Asie de l’Est. Aujourd’hui, la Chine et l’Inde, quoique toujours confrontées à des problèmes difficiles et complexes, sont des moteurs de croissance. Ainsi, ce qui semble inatteignable un jour peut se révéler incontournable le lendemain. Qu’en est-il de l’Afrique ? Entre 1995 et 2005, 17 pays d’Afrique subsaharienne représentant 36 % de la population ont enregistré une croissance moyenne de 5,5 % sans l’atout initial que confère une abondance de ressources naturelles, et sept pays producteurs de pétrole ont connu une expansion de 8 % en moyenne au cours de la décennie. Ces pays veulent construire leur développement social sur les fondations que constituent les ODM. Ils veulent se développer. Ils ont besoin d’énergie fiable d’un coût abordable ; d’infrastructures ; d’intégration régionale et de débouchés mondiaux ; et de secteurs privés plus solides. Ces pays offrent des possibilités d’investissement. L’une des leçons tirées du recyclage des pétrodollars dans les années 70 est que les investissements sous forme de prise de participation sont plus viables à long terme que la dette. Plusieurs fonds de marché émergents ont déjà commencé à investir à long terme en Afrique. Un des paradoxes de l’économie mondiale actuelle est que malgré l’assèchement des liquidités à court terme, les liquidités à long terme restent abondantes. À preuve les fonds souverains, qui sont un autre trait dominant de la nouvelle mondialisation et de l’influence grandissante des économies en développement. Certains fonds souverains sont bâtis sur la demande de pétrole et d’autres produits de base. D’autres, en particulier en Asie de l’Est, sont nés du traumatisme de 1997-98 : pour « s’auto-assurer » contre les effets catastrophiques d’une crise des marchés financiers, les États se sont constitués des réserves de protection fondées sur les politiques de taux de change, les excédents commerciaux et une gestion prudente des finances publiques. Les fonds souverains servent déjà de recours pour recapitaliser des institutions financières ; je pense que dans les prochains mois ils continueront de soutenir le mondialisation − en la rendant plus solidaire − par des prises de participation supplémentaire au capital des institutions qui se révéleront les plus intéressantes à acquérir sur la base des informations plus fiables dont on disposera à l’issue du processus de réduction de l’effet de levier du système f inancier. Oui, les fonds souverains doivent opérer dans la transparence et être guidés par les meilleures pratiques pour ne pas être utilisés à des fins politiques. Mais je pense qu’il y a lieu de se réjouir de la possibilité que des fonds publics financent des investissements de portefeuille à l’appui du développement. Le Groupe de la Banque mondiale, en particulier par le biais de l’IFC, peut orienter les liquidités mondiales à long terme vers les possibilités d’investissement dans les pays africains. Depuis sa création, l’IFC a investi quelque 8 milliards de dollars en Afrique subsaharienne, dont environ 160 millions de dollars sous forme de participations l’année dernière seulement. La Société a entrepris de mettre en place deux nouveaux fonds de 100 millions de dollars pour financer des projets d’infrastructure et de micro-participation. Nous pensons que les possibilités offertes par les investissements sous forme de prise de participation sont en plein essor. L’IFC travaille actuellement à la mise au point d’une plateforme financière ouverte qui, tout en tirant parti des possibilités, des connaissances et du capital de la Société, encourage également les opérations conjointes avec des États et leurs fonds souverains. Nous pouvons aider les autres investisseurs à surmonter les obstacles initiaux à de nouvelles prises de participation en Afrique. Nous pouvons aider les pays à lever les barrières juridiques et à améliorer la réglementation et la tarification applicables aux investissements d’infrastruc ture. La MIGA peut offrir une assurance contre le risque politique. À partir de là, les fonds souverains peuvent se joindre à nous, voire investir avec nous, pas seulement comme une autre source d’aide au développement, mais plutôt comme des investisseur s à long terme. De par sa position, notre institution est un « partenaire de prédilection ». Le projet GEMLOC du Groupe de la Banque contribue à accélérer la mise en place dans les pays en développement de marchés locaux de la dette en monnaie nationale, constituée comme une classe d’actifs distincte, dont la performance est mesurée par un nouvel indice, et, de la même manière, nous pouvons encourager les opérateurs à affecter des ressources à des investissements de portefeuille en Afrique qui constitueraient une classe viable d’actifs « pionniers ». Ces actifs procureraient des avantages en termes de performance et de diversification du portefeuille, à la fois géographiquement et par type d’investissement. En aidant à construire de nouveaux indices pour les investissements en Afrique, le Groupe de la Banque attirera également des investisseurs qui ont besoin d’indices de référence pour mesurer les résultats. Il sera ensuite possible, à notre institution ou à d’autres, de mettre au point des fonds indicie ls pour l’Afrique. À la longue, ces véhicules pourront attirer un plus large éventail d’investisseurs, y compris les fonds de pension. Cette « solution à 1 % » offre le moyen de permettre à l’Afrique de tirer pleinement parti de la mondialisation. C’est une stratégie pour renforcer le système mondialisé, créer de nouvelles sources de croissance et promouvoir une mondialisation durable. Conclusion Bismarck a dit que la marque d’un homme d’État est sa capacité à reconnaître le train de la chance lorsqu’il se présente, et à le prendre en marche. Le moment est venu de faire la démonstration de cette capacité en matière d’économie politique. Les anciennes structures se délitent, alors que surgissent de nouvelles sources de pouvoir économique. Mais notre vision est brouillée par les marchés qui tourbillonnent au rythme des entreprises et des fortunes, des « empires » commerciaux de cette ère, qui se font et se défont. Le Groupe de la Banque mondiale a défini six thèmes stratégiques conçus pour nous alerter sur les besoins et les opportunités que fait naître sur son passage le train de la chance. Ils attirent notre attention sur les nouvelles solutions de développement à mettre en place pour les pays les plus pauvres ; sur les États dont les structures sont menacées d’effondrement ou qui sortent d’un conflit ; sur les pays à revenu intermédiaire et la prise en compte des biens publics, comme l’ adaptation aux changements climatiques, dans nos opérations ; sur les possibilités qui s’offrent dans le monde arabe ; et sur la nécessité d’améliorer en permanence nos connaissances et les enseignements tirés de l’expérience. Nous devons nous atteler à la tâche et prendre dès à présent des mesures concrètes qui exigent une force de travail et de volonté guidée par une vision stratégique. Que l’on considère le passé ou l’avenir, qu’y a-t-il de plus fondamental encore que l’alimentation, l’énergie, les ressources minières, le commerce et l’affectation de fonds propres à des investissements productifs dans des régions qui offrent des perspectives renforcées par une bonne gouvernance ? C’est de saisir la chance offerte par un paysage mondial en pleine mutation : c’est là que réside tout l’art de conduire les affaires économiques.