69715 Early Grade Reading Assessment (EGRA) Résultats d’élèves sénégalais des trois premiers grades ayant appris à lire en français et en wolof—rapport pour la Banque mondiale Février 2008 Cette publication a été préparée pour la Banque mondiale par Liliane Sprenger-Charolles, Directeur de Recherche, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et Université Paris Descartes. Le protocole EGRA a été développé dans le cadre du projet EdData II, qui est géré par RTI International, avec le soutien de l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID). Early Grade Reading Assessment (EGRA) Résultats d’élèves sénégalais des trois premiers grades ayant appris à lire en français et en wolof—rapport pour la Banque mondiale Préparé par Liliane Sprenger-Charolles (CNRS et Université Descartes, Paris, France) pour la Banque Mondiale. Remerciements Nous voudrions remercier le Ministère de l’Education du Sénégal, et en particulier le Directeur de l’Enseignement Elémentaire (Monsieur Mouhamadou Aly Sall), qui a facilité la mise en place de cette évaluation. Nos remerciements vont également au Directeur de l’INEADE (Monsieur Papa Gueye), ainsi qu’aux Responsables de la division de l'évaluation et de l’administration de cet institut (Messieurs Alhousseynou Sy et Saer Sylla). Un très grand merci aux responsables sénégalais de la formation et de l’évaluation, qui nous ont aidé à finaliser le protocole en français, à le traduire en wolof, et qui ont permis son exploitation (Mesdames et Messieurs El H. Momar Samb, Diop El Hadji, Mbengue Alima Kebe, Papa Demba Dieng, Souleymane Dia, Fatoumata Binta Diallo, Khady Ló, Ndeye Sine Diop Sarr, Alioune Cisse). Merci aussi à la personne qui a pris en charge le travail d’intégration des données (Madame Marie Madeleine Ndong). Nos remerciements s’adressent également aux autres personnes qui ont aidé à faire passer les épreuves, ainsi qu’aux Directeurs d’écoles, aux Instituteurs et aux enfants qui ont participé à cette étude. Ils s’adressent enfin à Amber Gove (RTI international, US), qui a mis en place le protocole EGRA et a dirigé le travail qui s’est déroulé au Sénégal, avec l’aide de Carmen Strigel (RTI international, US), de James Stevens (Banque Mondiale), et de moi-même. Préparé pour La Banque mondiale Préparé par RTI International 3040 Cornwallis Road Post Office Box 12194 Research Triangle Park, NC 27709-2194 Les vues exprimées par l’auteur dans ce rapport sont basées sur les résultats des évaluations d’élèves sénégalais et ceux de la littérature de recherche. Elles ne reflètent pas nécessairement celles de la Banque mondiale, d’USAID ou du gouvernement des États-Unis. Table des matières Page RÉSUMÉ ........................................................................................................... 1 1. INTRODUCTION........................................................................................ 2 2. METHODE ................................................................................................. 4 2.1. Protocole utilisé pour l’étude menée au Sénégal ................................ 4 2.2. La population ...................................................................................... 5 3. PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS.................................... 6 3.1. Différences dans et entre les groupes ................................................ 8 3.2. Corrélations et Régression................................................................ 15 4. RESUME ET DISCUSSION ..................................................................... 19 4.1. Résultats obtenus aux différentes épreuves et implications.............. 19 4.2. Incidence des facteurs environnementaux (entre autres) sur les résultats...................................................................................... 24 5. IMPLICATIONS ........................................................................................ 26 5.1. Suggestions pour améliorer le protocole EGRA................................ 26 5.2. Implications pour l’éducation............................................................. 27 6. REFERENCES......................................................................................... 29 Tableaux Tableau 1a. Enfants apprenant à lire en français: 502 enfants .............................. 6 Tableau 1b. Enfants apprenant à lire en wolof: 186 enfants .................................. 6 Tableau 2. MSE : Moyenne et écart-type pour les enfants qui ont appris à lire en français et en wolof.................................................... 9 Tableau 3. Incidence du sexe : Moyenne et écart-type (enfants ayant appris à lire en français et en wolof)................................................. 10 Tableau 4. Alphabétisation des parents : Moyenne et écart-type ...................... 11 Tableau 5. Langue parlée à la maison : Moyenne et écart-type (enfants ayant appris à lire en français) ........................................... 12 Tableaux 6a et 6b. Corrélations : enfants ayant appris à lire en français (6a), ou en wolof (6b) ........................................................ 15 Tableau 7. Prédiction de la lecture de mots isolés............................................. 17 Tableau 8. Prédiction de la lecture de mots en contexte ................................... 18 Tableau 9. Prédiction de la compréhension en lecture ...................................... 19 Page ii Figures Figure 1. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en wolof (Grades 1, 2 et 3)............................................................... 13 Figure 2. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en wolof (Grades 1 et 3)................................................................... 13 Figure 3. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en français ou en wolof (Grades 1 et 3) ........................................... 14 Figure 4. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en français ou en anglais (Grades 1 à 3) ......................................... 14 Page iii RÉSUMÉ Dans les évaluations internationales (OCDE-PISA, IEA-PIRLS), le niveau de lecture n’est pas évalué avant la fin du 4ème grade. Pour les enfants qui ont un niveau faible, il est alors un peu tard pour mener à bien des actions de rattrapage: en effet, pour être vraiment efficace, ce type d’action doit être effectué le plus tôt possible. De plus, ces études ne prennent en compte que le niveau de compréhension de textes écrits, pas celui de compréhension orale, ni les capacités de lecture de mots. Or le niveau de compréhension en lecture dépend, d’une part, du niveau de compréhension orale et, d’autre part, de la précision et de la rapidité en lecture de mots isolés. Pour ces motifs, un nouveau protocole destiné aux enfants des premiers grades (EGRA1) a été élaboré. Ce protocole, qui a été adapté en français et traduit en wolof au cours d’un séminaire qui a eu lieu au Sénégal, a été modifié à la suite de pré-tests. Il comprend deux épreuves de compréhension (une à l’écrit et une à l’oral), trois épreuves évaluant la précision et la rapidité en lecture de mots fréquents (présentés en isolat ou en contexte) et de mots inventés (des pseudomots), une épreuve d’orthographe, deux épreuves d’analyse phonémique et une épreuve de connaissance des lettres. Il est complété par une enquête, destinée aux enfants, qui comprend des questions sur leur environnement culturel et linguistique, ainsi que sur leur milieu socio-économique (MSE). Ce protocole a été utilisé pour l’évaluation d’enfants sénégalais ayant appris à lire en français (502 enfants, 1er, 2nd et 3ème grade) ou en wolof (186 enfants, 1er et 3ème grade). Deux analyses ont été effectuées. L’une a pris en compte des comparaisons entre groupes en fonction du MSE et de langue d’apprentissage de la lecture, par exemple. L’autre a porté sur les relations entre variables: corrélations entre épreuves, et analyses de régression permettant de déterminer les compétences qui prédisent le mieux le niveau de lecture. Les deux dernières analyses signalent que, dans les deux groupes (wolof et français), les corrélations entre le MSE et les différentes épreuves ne sont jamais significatives: il n’est donc pas surprenant que le MSE ne soit jamais ressorti comme contribuant à expliquer une part unique de la variance en lecture. Cela est également le cas pour les capacités d’analyse phonémique et de dénomination de lettres, bien que les corrélations entre ces épreuves et celles de lecture soient loin d’être négligeables. Ensuite, les corrélations entre lecture de pseudomots et de mots sont très élevées, et la capacité de lire des pseudomots est la seule qui explique une part unique de la variance en lecture de mots (en isolat ou en contexte). Enfin, les corrélations entre compréhension écrite et orale sont élevées, et la compréhension orale est la seule capacité qui ajoute une part unique de la variance en compréhension écrite. Les comparaisons dans les groupes signalent que l’incidence du MSE n’est significative que chez les enfants ayant appris à lire en wolof. Par contre, le fait d’avoir au moins un parent lecteur n’a une incidence significative que chez les enfants ayant appris à lire en français. De plus, les comparaisons entre les enfants ayant appris 1 . EGRA: Early Grade Reading Assessment (RTI International for USAID) voir: www.eddataglobal.org Page 1 à lire en wolof et ceux ayant appris à lire en français indiquent que, dans certaines tâches impliquant le traitement du langage oral, les premiers surpassent les seconds alors que la tendance inverse a été relevée pour certaines tâches impliquant le traitement du langage écrit. Ces résultats peuvent s’expliquer par l’environnement linguistique. Ainsi, la supériorité des enfants ayant appris à lire en wolof dans des tâches impliquant le langage oral est probablement due au fait que la plupart d’entre eux parlent wolof à la maison tandis que peu d’enfants de l’autre groupe parlent français chez eux. D’un autre côté, le fait que ces mêmes enfants ont des résultats inférieurs dans des tâches impliquant le langage écrit peut provenir de ce que le wolof écrit est moins développé que le français écrit. Cette interprétation est renforcée par l’absence d’incidence du niveau d’alphabétisation des parents sur les scores des wolophones, ainsi que par la présence chez eux, en comparaison avec les enfants ayant appris à lire en français, d’un plus grand nombre d’effets plancher en lecture (score=0). Le rôle de l’environnement linguistique ressort également d’une comparaison entre les résultats des enfants sénégalais ayant appris à lire en français et ceux provenant d’une évaluation similaire effectuée avec des enfants gambiens ayant appris à lire en anglais: ces derniers ont en effet obtenu, dans toutes les épreuves de lecture, des résultats inférieurs à ceux des enfants sénégalais. Ce résultat, qui reproduit ceux observés chez des monolingues, signale qu’il est plus difficile d’apprendre à lire en anglais qu'en français, ce qui s’explique par le fait que les relations graphème- phonème sont moins régulières en anglais qu’en français. 1. INTRODUCTION Dans la plupart des évaluations internationales2, les compétences en lecture des enfants ne sont pas évaluées avant la fin du 4ème grade. Pour les enfants dont le niveau de lecture s’avère faible, il est alors un peu tard pour mener à bien des actions de rattrapage. En effet, pour être vraiment efficace, ce type d’action doit être effectué le plus tôt possible (voir Ehri et al., 2001a et 2001b). De plus, ces évaluations sont essentiellement basées sur les résultats d’épreuves de compréhension de textes écrits: ni le niveau de compréhension orale, ni les capacités de lecture de mots ne sont évalués. Or les résultats de la recherche ont clairement montré que le niveau de compréhension écrite dépend, d’une part, du niveau de compréhension orale et, d’autre part, de la précision et de la rapidité en lecture de mots isolés (pour des synthèses en anglais, voir : Perfetti, 1985 et Stanovich, 2000 ; en français, voir : Sprenger-Charolles et Colé, 2006). Pour ces motifs, un organisme de recherche3 a développé un nouvel instrument d’évaluation de la lecture dans les premiers grades, avec l’aide de la Banque Mondiale et de USAID4: EGRA (Early Grade Reading Assessment). Cet instrument est conçu pour être utilisé dans différents contextes linguistiques. Nous savons que, dans les 2 . OCDE, voir PISA (2000); IAE, voir Elley (1992) et PIRLS (2003). 3 . RTI International (2007). Early Grade Reading Assessment: Protocol (www.eddataglobal.org) 4 . US Agency for International Development Page 2 écritures alphabétiques, le degré de transparence des correspondances graphème- phonème5 a une incidence sur l’apprentissage de la lecture (Seymour et al., 2003). Ainsi, dans les langues qui ont une orthographe transparente (comme l'espagnol et le français6), la progression est plus rapide que dans des langues qui ont une orthographe plus complexe (par exemple, l’anglais). L’opacité de l’orthographe a également une incidence sur les procédures de lecture mises en Å“uvre. Par exemple, les enfants anglophones utilisent plus que les germanophones leurs connaissances lexicales pour suppléer les erreurs de lecture dues aux difficultés d’association entre graphèmes et phonèmes dans cette langue (Sprenger-Charolles, 2003; Ziegler, & Goswami, 2005). Il est nécessaire de tenir compte de ces différences linguistiques dans les évaluations, et d’ajuster au mieux le niveau de difficulté à la langue dans laquelle s’effectue l’apprentissage. C’est ce qui a été fait pour les évaluations effectuées au Sénégal et en Gambie en mai-juillet 2007. Les épreuves retenues dans le protocole EGRA sont celles qui ressortent des recherches menées depuis une trentaine d’année sur la lecture et son apprentissage comme étant les plus fiables. Ces épreuves, administrées individuellement, permettent d’évaluer les compétences de lecture et les principales compétences reliées: précision et rapidité en lecture de mots fréquents présentés soit en isolat, soit en contexte, niveau de compréhension en lecture, et niveau de compréhension orale. La batterie comporte en plus une épreuve qui permet d’évaluer la précision et la rapidité en lecture de mots inventés, la capacité de lire ce type de mots, qui ne peuvent être lus qu’en utilisant les correspondances graphème-phonème, étant un des meilleurs prédicteurs du niveau de lecture. De plus, étant donné que, pour utiliser les relations graphème-phonème, il faut pouvoir reconnaître les phonèmes, la batterie comporte deux épreuves permettant d’évaluer le niveau de conscience phonémique. Cette batterie inclut aussi une épreuve de connaissance des lettres de l’alphabet et deux épreuves d’orthographe. En plus de ces épreuves, les enfants ont eu à répondre à une enquête comportant des questions sur leur environnement culturel et linguistique ainsi que sur leur milieu socio-économique (MSE). Dans ce rapport, sont présentés les résultats des évaluations effectuées au Sénégal en fin d’année scolaire 2006-2007 auprès d’environ 700 enfants qui ont appris à lire en français ou en wolof. Deux types d’analyses ont été effectués. Les premières analyses ont porté sur des comparaisons dans les groupes (différences en fonction du MSE, par exemple) et entre groupes (différences en fonction de la langue dans laquelle les enfants ont appris à lire : français ou wolof, par exemple). Les autres analyses ont pris en compte les relations entre variables: corrélations entre épreuves, et analyses de régression permettant de déterminer les compétences qui prédisent le mieux le niveau de lecture. 5 . Les unités de base d’une écriture alphabétique sont les graphèmes, qui comportent une ou plusieurs lettres, et qui transcrivent les unités de base de la langue orale : les phonèmes. Ainsi, en français, les graphèmes ‘a’, ‘i’, ‘ou’, ‘on’… transcrivent les phonèmes vocaliques /a/, /i/, /u/, /ô/…, tout comme les graphèmes ‘b’, ‘d’, ‘p’, ‘t’, ‘ch’, ‘qu’, ‘ph’… transcrivent les phonèmes consonantiques /b/, /d/, /p/, /t/, /$/, /k/, /f/… 6 . Pour une analyse de la transparence des correspondances graphème-phonème (CGP) en anglais et/ou en français, voir Peereman, & Content, 1998 et Peereman, Lété, & Sprenger-Charolles, 2007. Page 3 2. METHODE 2.1. Protocole utilisé pour l’étude menée au Sénégal En avril 2007, un séminaire a été organisé à Dakar. Son but était de présenter le protocole EGRA aux responsables de l’évaluation et de la formation des maîtres et, avec eux, d’adapter ce protocole en français, puis de le traduire en wolof et, enfin, de le pré-tester. C’est le protocole résultant de ce travail qui a été utilisé pour les évaluations intensives, et qui est présenté ci-dessous. Les épreuves Habiletés de pré-lecture Concept de l’écrit: Cette tâche évalue la connaissance du sens de l'écriture dans les systèmes alphabétiques évalués. Le score maximum est de 2 points (1 pour gauche- droite et 1 pour haut-bas). Presque tous les scores étant au plafond, les résultats de cette épreuve n’ont pas été pris en compte. Connaissance du nom et/ou du son des lettres (test ‘1 minute’): La connaissance du nom des lettres est reconnue comme étant un prédicteur du futur niveau de lecture. Toutefois, quand l’enfant apprend à lire, il doit utiliser les correspondances graphème- phonème, ce qui nécessite la maîtrise du son des lettres. Or le son des lettres diffère parfois de leur nom. Pour ces raisons, les réponses ont été considérées comme correctes lorsque l'enfant donnait soit le son, soit le nom, de 100 lettres présentées sur 10 lignes (10 par ligne), les lettres les plus fréquentes étant répétées plus souvent. Le score est le nombre de lettres pour lesquelles le son ou le nom a été correctement donné en 1 minute. Capacités de lecture : Lecture de mots et de pseudomots (test ‘1 minute’) et compréhension Lecture de pseudomots (mots qui n’existent pas): L’enfant doit lire à haute voix 50 mots inventés. Les items utilisés, courts (2 à 3 lettres), ont été présentés sur 10 lignes (5 par ligne). Le score est le nombre d’items correctement lus en 1 minute. Lecture de mots fréquents en isolat: L’enfant doit lire à haute voix 50 mots fréquents, courts (2 à 5 lettres) et simples (en français, surtout des mots avec correspondances graphème-phonème régulières) présentés sur 10 lignes (5 par ligne). Le score est le nombre de mots correctement lus en 1 minute. Lecture de mots fréquents en contexte: L’enfant doit lire à haute voix un petit texte d’environ 60 mots, le score étant le nombre de mots correctement lus en 1 minute. Compréhension en lecture et contrôle du niveau de compréhension à l’oral: Le texte utilisé pour évaluer la lecture de mots en contexte a servi à évaluer la compréhension écrite. Après la lecture à haute voix du texte par l'enfant, 5 questions simples lui ont été posées. Un texte similaire a été construit pour évaluer la compréhension orale. Après la lecture à haute voix du texte par l'examinateur, 5 questions simples ont été Page 4 posées à l’enfant. Dans les deux cas, il y avait 2 questions avec une réponse ‘oui – non’. Scores pour ces deux épreuves : 1 point pour chaque réponse correcte. Compétences en orthographe Une phrase de 10 mots a été lue, puis dictée mot à mot à l’enfant. Il a été tenu compte des réponses correctes sur le plan orthographique (2 points) ou phonologique (1 point) sur 3 mots cibles ainsi que de la maîtrise du sens de l’écriture (1 point), de l’espacement entre mots (0 à 2 selon le nombre d’espaces), et de l’utilisation de la majuscule en début de phrase (1 point) et du point final (1 point). Deux scores ont été calculés : un pour l’orthographe lexicale et un pour l’ensemble des autres compétences orthographiques. Capacités d’analyse phonémique L’élève doit prononcer chacun des sons qu’il entend dans des mots isolés (tâche d’identification, 9 mots de 2 à 4 phonèmes) et compter le nombre de sons différents contenus dans d’autres mots (tâche de comptage, 9 mots de 2 à 4 phonèmes). Deux scores ont été calculés: le nombre total de phonèmes correctement identifiés et le nombre total de phonèmes correctement comptés. Les enquêtes Une première enquête, destinée aux enfants, comportait des questions sur leur environnement culturel et linguistique (alphabétisation d’un ou des deux parents, langue parlée à la maison …) ainsi que sur leur milieu socio-économique (présence dans leur maison de l’eau courante, de l'électricité, d’un réfrigérateur, d’un téléviseur, d’un téléphone fixe…; propriété d'une voiture …). Dans le présent rapport, pour examiner l’incidence du milieu socio-économique, on a pris en compte le nombre total d’items (sur 13) pour lesquels l’enfant a répondu positivement. Une autre enquête, dont les résultats ne sont pas analysés dans le présent rapport, a porté sur les pratiques des enseignants. 2.2. La population Les évaluations ont été effectuées en 1ère, 2nd, et 3ème année du primaire auprès d’enfants apprenant à lire en français, et en 1ère et 3ème année du primaire auprès d’enfants apprenant à lire en wolof (le wolof en tant que langue d'enseignement de la lecture n'étant utilisé que dans ces deux premiers niveaux). Elles ont été réalisées dans 32 écoles qui offrent un enseignement en wolof. Les enfants ont été sélectionnés au hasard dans chaque établissement. Les tableaux 1a et 1b présentent les principales caractéristiques de ces deux populations. Page 5 Tableau 1a. Enfants apprenant à lire en français: 502 enfants Non réponse Sexe: Masculin N=243; Féminin N=258 N=1 Grade et Age Grade 1, N=150 Grade 2, N=228 Grade 3, N=124 Age moyen (écart-type): 7,4 (1,2) 8,85 (1,5) 10,3 (1,4) Age 5…..…………… N=03 (02%) Age 6……..………… N=31 (21%) N=03 (01%) Age 7…………..…… N=48 (32%) N=22 (10%) Age 8………………. N=35 (23%) N=85 (37%) N=06 (05%) Age 9………………. N=10 (07%) N=54 (24%) N=28 (23%) Age 10…..………….. N=08 (05%) N=28 (12%) N=47 (38%) Age 11…..………….. N=02 (01%) N=12 (05%) N=21 (17%) Age 12 et plus …….… N=13 (06%) N=20 (16,5%) Non indiqué………… N=13 N=11 N=02 Scolarisation en maternelle: N=125 (25%) N=1 Fréquentation de l’Ecole Coranique (Dara): N=391 (78%) N=1 Milieu socio-économique (moyenne et écart-type): 7,7 (2,6) Parents alphabétisés Aucun: N=127 1 seul: N=172 Les 2: N=203 (40%) N=5 (25%) (34%) Langue utilisée pour les Français Wolof Les deux instructions N=333 (66%) N=6 (1%) N=156 (31%) N=7 Langue parlée à la Français: N=37, Wolof: N=415, 8 Autres: N=42, 15 maison 15 avec une avec une autre autres que le Peul autre langue langue, sauf le (8,5%) N=8 (07%) français (83%) Note : Les chiffres en gris indiquent l’âge moyen des effectifs les plus nombreux. Tableau 1b. Enfants apprenant à lire en wolof: 186 enfants Non réponse Sexe: Masculin N=86; Féminin N=99 N=1 Grade et Age Grade 1, N=84 Grade 3, N=102 Age moyen (écart-type) 7 (1,3) 10 (1,3) Age 5 et < 5………... N=06 (07%) Age 6……………….. N=18 (21%) Age 7……………….. N=26 (31%) Age 8………………… N=08 (09,5%) N=06 (06%) Age 9………………… N=02 (02%) N=33 (32%) Age 10…..………….. N=06 (07%) N=39 (38%) Age 11…..…………. N=06 (06%) Age 12 et plus ………. N=14 (14%) Non indiqué…………… N=18 N=04 (%) Scolarisation en maternelle: N=50 (27%) N=0 Fréquentation de l’Ecole Coranique (Dara): N=135 (73%) N=0 Milieu socio-économique (moyenne et écart-type): 7,5 (2,9) Parents alphabétisés Aucun: N=36 1 seul: N=78 (42%) Les 2: N=72 (39%) N=0 (19%) Langue utilisée pour les Français Wolof Les deux: instructions N= 3 (02%) N=170 (91%) N=13 (07%) N=0 Langue parlée à la Français: N=5, Wolof: N=163 Autres: N=16, 6 maison 2 avec une autres que Peul autre langue (88%) (09%) N=2 (03%) Note : Les chiffres en gris indiquent l’âge moyen des effectifs les plus nombreux. 3. PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS Deux principales analyses ont été effectuées: l’une sur les comparaisons dans les groupes (différences, dans chaque groupe, en fonction du sexe et MSE des enfants, par exemple) et entre groupes (différences en fonction de la langue d’apprentissage de la lecture); l’autre sur les relations entre variables (corrélations entre les épreuves, par exemple). Page 6 Pour ces analyses, les 10 scores suivants ont été pris en compte: 2 pour le niveau de conscience phonémique (scores en comptage et en identification de phonèmes), 1 pour le niveau de pré-lecture (scores en connaissance des lettres), 3 pour les capacités de lecture (pseudomots, mots isolés et mots en contexte correctement lus en 1 minute), 2 pour les capacités de compréhension (réponses correctes aux questions de compréhension à l’écrit et à l’oral), et 2 pour les capacités orthographiques (orthographe lexicale et prise en compte d'autres aspects formels de l’orthographe). Pour faciliter la lecture des résultats, les scores ont été convertis en pourcentages, à l'exception de ceux des tâches de lecture en 1 minute. Pour les comparaisons dans les groupes, l’incidence de 6 variables contrôle a été examinée: sexe, niveau scolaire, fréquentation de l’école maternelle, langue parlée à la maison, alphabétisation d’un ou des deux parents, et milieu socio-économique (MSE). Les comparaisons entre groupes ont porté sur les enfants qui ont appris à lire soit en français, soit en wolof. Dans la mesure où nous disposons des résultats d’une évaluation similaire qui a été effectuée aux mêmes niveaux scolaires, et sur les mêmes bases, auprès d’enfants gambiens ayant appris à lire en anglais, nous avons également comparé les résultats de ces enfants à ceux des enfants sénégalais ayant appris à lire en français. Pour les analyses corrélationnelles, uniquement 3 variables contrôle ont été retenues (âge et niveau scolaire, plus MSE). Pour ces analyses, nous avons examiné le patron des corrélations entre les différentes épreuves et entre ces épreuves et les trois variables contrôle. Des analyses de régression ont à la suite été effectuées afin de déterminer quelles sont les compétences qui permettent de prédire au mieux les résultats obtenus dans les épreuves les plus cruciales pour évaluer le niveau de lecture: lecture de mots isolés et en contexte et compréhension en lecture. L’examen des données nous a permis de mettre en relief un problème sérieux concernant la tâche de compréhension en lecture. En effet, à peu près un enfant sur deux (45% pour le test en français et 51% pour celui en wolof) a été incapable de lire correctement en une minute plus de 5 mots des 60 mots du texte qui a servi de support pour évaluer la compréhension. Néanmoins, entre 4% et 8% de ces enfants (respectivement pour les tests en français et en wolof) ont un score de compréhension entre 1 et 5. Or, pour répondre correctement à une seule question de compréhension, il était nécessaire d'avoir lu plus de 20 mots. Ce problème est attribuable à la procédure utilisée pour évaluer le nombre de mots correctement lus dans le texte utilisé pour évaluer la compréhension. En effet, les élèves ont pu lire ce texte pendant au moins deux minutes. Toutefois, pour permettre les comparaisons avec les trois autres tests en ‘1 minute’, seuls les mots correctement lus en 1 minute ont été codés: il n'est donc pas possible de savoir le nombre total de mots que chaque enfant a, en fait, correctement lu. De plus, lorsque l'enfant ne pouvait pas lire un mot, l'examinateur lui fournissait ce mot après 3 secondes (réponse marquée comme incorrecte pour le test de lecture en ‘1 minute’) et l'encourageait à continuer. Quand l'examinateur a fourni un grand nombre de mots, la tâche de compréhension en lecture devient alors un mélange entre compréhension écrite et orale. Enfin, les enfants ont pu « deviner » certaines réponses, en particulier celles aux questions ‘oui – non’. En conséquence, pour l’analyse des Page 7 corrélations et des régressions, nous avons seulement examiné la compréhension en lecture des enfants qui ont pu lire en une minute au moins 20 mots. C’est le cas pour 168 des enfants ayant appris à lire en français (33,5%) et pour 60 des enfants ayant appris à lire en wolof (32%). Ce choix se justifie par le fait que la lecture de 20 mots en une minute correspond à la lecture des 2/3 du texte en deux minutes, ou à celle de l'ensemble du texte en trois minutes. Par contre, pour les comparaisons dans les groupes, tout comme pour celles entre groupes, les résultats tels qu’ils ont été enregistrés ont été pris en compte. Dans pratiquement toutes les autres tâches de lecture, des effets ‘plancher’ (scores=0) ont également été observés. Ainsi, chez les enfants du premier grade ayant appris à lire en français, c’est le cas pour 39%, 27%, et 50% d’entre eux en lecture de pseudomots, de mots isolés et en contexte, respectivement, et, de façon surprenante, pour une plus large proportion d’enfants de même niveau scolaire ayant appris à lire en wolof (63% pour les pseudomots et les mots isolés et 71% pour les mots en contexte). C’est aussi le cas en orthographe lexicale pour 80% et 95% des enfants du premier grade ayant appris à lire en français et en wolof, respectivement. Par contre, pour les tâches impliquant le traitement du langage oral, les effets plancher sont moins importants, surtout chez les enfants ayant appris à lire en wolof. Ainsi, en compréhension orale, 63% des enfants du premier grade scolarisés en français ont des scores au plancher, contre seulement 26% de ceux scolarisés en wolof. Pour les deux tâches d’analyse phonémique, quelle que soit le groupe, approximativement 40% des enfants du premier grade ont des scores au plancher. Les effets plafond sont par contre inexistants, même au troisième grade, sauf pour la première tâche de pré- lecture. 3.1. Différences dans et entre les groupes Des ANOVAs et des t tests ont été effectuées. Pour les t tests, en cas d’inégalité des variances, le seuil de significativité pris en compte est celui pour égalité de variance non assumée (p < .05, au moins). Différences dans les groupes L’incidence de 6 variables contrôle a été examinée, entre autres: milieu socio- économique (MSE), alphabétisation des parents et sexe. Pour le MSE, les enfants ont été répartis en deux groupes en fonction de leur réponse au questionnaire sur la présence, chez eux, de l’eau courante, de l'électricité, d’un réfrigérateur, d’un téléviseur, d'une voiture … (13 items en tout): ceux qui ont des scores inférieurs à 8 et ceux qui ont des scores égaux ou supérieurs à 8. Pour le niveau d’alphabétisation des parents, la population a également été séparée en deux: un premier groupe avec les enfants ayant signalé qu’au moins un de leur parent lisait, un second groupe avec les autres enfants. D’après les résultats des évaluations internationales (PISA, 2000, par exemple), on s’attend à ce que les résultats des enfants de MSE plus favorisé soient supérieurs à ceux des autres enfants et que, au moins dans les épreuves de lecture, les filles surpassent les garçons. Les quatre autres facteurs examinés susceptibles d’avoir une incidence positive sur les résultats sont le fait d’avoir appris à lire dans sa langue Page 8 maternelle, d’avoir au moins un parent lecteur, d’avoir fréquenté l’école maternelle et d’être scolarisé dans un grade supérieur (par rapport à un grade inférieur). Incidence du Milieu socio-économique Les résultats sont présentés dans le tableau 2. Le MSE n’a aucune incidence sur les résultats des enfants ayant appris à lire en français. Par contre, chez les enfants ayant appris à lire en wolof, ceux issus d’un milieu moins favorisé ont de plus faibles résultats que les autres enfants dans 3 des 10 épreuves: nombre de lettres, de pseudomots et de mots lus en une minute. Tableau 2. MSE : Moyenne et écart-type pour les enfants qui ont appris à lire en français et en wolof Enfants ayant appris à lire en français Enfants ayant appris à lire en wolof Scores Scores Scores Scores< >8 <8 Différences >8 8 Différences N=298 N=204 significatives N=101 N=85 significatives Phonèmes: comptage 47,5 45,3 53,3 48,6 (%) (36,3) (37,2) (37,4) (40,8) Phonèmes: identification 53,3 52,8 54,9 46,7 (%) (38,3) (36,0) (39,2) (40,3) Lettres/minute 29,9 27,6 29,4 22,2 p < .05 (19,1) (18,7) (22,8) (18,9) Pseudomots/minute 14,0 12,7 14,3 09,5 p < .05 (14,9) (14,4) (15,5) (13,5) Mots/minute 14,0 12,2 14,2 09,2 p < .05 variance (14,5) (13,9) (15,7) (13,6) inégale Mots en contexte/minute 18,7 16,7 18,6 13,3 (21,5) (20,5) (21,0) (19,7) Compréhension écrite 29,1 23,7 35,8 26,8 (%) (33,0) (31,5) (36,6) (36,3) Compréhension orale 31,3 27,7 63,9 60,2 (%) (31,1) (31,6) (31,4) (33,0) Orthographe lexicale 35,2 32,4 18,8 16,1 (%) (40,2) (40,4) (27,9) (30,8) Orthographe: Autres 44,2 46,1 35,8 31,3 (%) (28,3) (27,7) (26,8) (26,5) Incidence du Sexe Les résultats sont présentés dans le tableau 3. Chez les enfants ayant appris à lire en français, les filles surpassent les garçons dans 4 des 10 épreuves : trois impliquent le langage écrit (lecture et écriture de mots), et une le langage oral (compréhension). Par Page 9 contre, chez les enfants ayant appris à lire en wolof, il n’y a aucune différence entre les résultats des filles et ceux des garçons. Tableau 3. Incidence du sexe : Moyenne et écart-type (enfants ayant appris à lire en français et en wolof) Enfants ayant appris à lire en Enfants ayant appris à lire en wolof français Masculin Féminin Différences Masculin Féminin Différences N=243 N=258 significatives N=86 N=99 significatives Phonèmes: comptage 46,7 46,2 48,8 53,6 (%) (36,6) (36,7) (38,9) (39,0) Phonèmes: identification 52,7 53,3 51,5 51,2 (%) (37,7) (37,0) (40,1) (39,8) Lettres/minute 27,6 30,3 25,6 26,8 (18,7) (19,1) (19,3) (23,1) Pseudomots/minute 12,6 14,3 12,4 12,0 (14,2) (15,2) (14,5) (15,1) Mots/minute 11,7 14,8 p < .01 12,5 11,5 (12,7) (15,5) variance inégale (15,4) (14,6) Mots en contexte/minute 16,0 19,7 p < .05 16,2 16,3 (19,5) (22,4) variance inégale (20,5) (20,7) Compréhension écrite 24,3 29,5 30,2 33,3 (%) (31,3) (33,4) (37,2) (36,4) Compréhension orale 26,4 33,2 p < .05 variance 61,6 63,0 (%) (28,9) (33,1) inégale (31,5) (32,9) Orthographe lexicale 29,6 38,2 p < .05 variance 15,9 18,7 (%) (38,0) (42,0) inégale (28,2) (30,0) Orthographe: Autres 43,0 46,9 34,7 33,0 (%) (28,1) (27,9) (26,0) (27,5) Incidence de niveau d’alphabétisation des parents Les résultats sont dans le tableau 4. Chez les enfants ayant appris à lire en français, ceux qui ont au moins un parent lecteur ont des scores supérieurs dans 5 cas: nombre de lettres et de mots en isolat lus en une minute, compréhension de texte (écrit et oral) et maîtrise de certaines conventions orthographiques. Aucune des différences n’est significative chez les enfants ayant appris à lire en wolof, ce qui est surprenant. Page 10 Tableau 4. Alphabétisation des parents : Moyenne et écart-type Enfants ayant appris à lire en français Enfants ayant appris à lire en wolof Lecteurs Non lect. Différences Lecteurs Non lect. Différences N=375 N=127 significatives N=150 N=36 significatives Phonèmes: comptage 47,9 (36,0) 42,6 52,7 44,7 (%) (38,5) (38,4) (41,2) Phonèmes: identification 53,2 (37,4) 52,7 51,8 48,4 (%) (37,4) (40,0) (39,5) Lettres/minute 30,5 (18,8) 24,7 p < .01 26,6 24,2 (18,9) (22,0) (18,9) Pseudomots/minute 14,1 (14,9) 11,7 12,3 11,3 (14,1) (15,0) (13,9) Mots/minute 14,0 (14,4) 11,1 p < .05 12,0 11,6 (13,6) (15,1) (14,7) Mots en contexte/minute 18,8 (21,1) 15,2 16,6 14,6 (20,8) (20,6) (20,5) Compréhension écrite 29,3 (33,1) 19,8 p < .01 variance 33,2 25,6 (%) (29,4) inégale (36,8) (36,0) Compréhension orale 32,4 (31,8) 22,4 p < .01 variance 62,5 61,1 (%) (28,7) inégale (32,5) (30,6) Orthographe lexicale 35,7 (40,7) 29,1 18,6 13,4 (%) (38,9) (30,2) (24,5) Orthographe: Autres 47,2 (28,6) 38,6 p < .01 34,7 29,9 (%) (25,2) (27,5) (22,8) Incidence de la langue parlée à la maison Cette évaluation n’a été effectuée que pour les enfants ayant appris à lire en français (cf. tableau 5), les autres enfants parlant majoritairement le wolof chez eux. De plus, nous n’avons comparé que les enfants qui ont dit parler français chez eux (y compris avec une autre langue) à ceux qui ont dit parler wolof, les effectifs des autres groupes linguistiques étant trop faibles. Sauf dans les tâches d’orthographe, les différences entre groupes sont significatives. Page 11 Tableau 5. Langue parlée à la maison : Moyenne et écart-type (enfants ayant appris à lire en français) Français N=37 Wolof N=415 Différences significatives Phonèmes: comptage (%) 63,1 (37,1) 45,8 (36,0) p < .01 Phonèmes: identification (%) 74,2 (29,7) 50,9 (37,6) p < .01 (variance inégale) Lettres/minute 38,2 (17,8) 28,4 (18,9) p < .01 Pseudomots/minute 23,8 (16,2) 12,6 (14,3) p < .01 Mots/minute 22,6 (16,7) 12,5 (13,7) p < .01 Mots en contexte/minute 33,2 (25,6) 16,5 (20,0) p < .01 (variance inégale) Compréhension écrite (%) 49,7 (39,6) 24,9 (31,0) p < .01 (variance inégale) Compréhension orale (%) 48,1 (38,7) 28,2 (30,5) p < .01 (variance inégale) Orthographe lexicale (%) 44,6 (36,9) 33,7 (40,7) Orthographe: Autres (%) 47,6 (26,3) 44,8 (27,9) Incidence de la fréquentation de l’école maternelle Les enfants qui ont fréquenté l’école maternelle (environ 25%, voir tableaux 1a et 1b) n’ont jamais de scores supérieurs aux autres enfants. Dans deux cas, ils obtiennent même des scores inférieurs: chez les enfants ayant appris à lire en français, pour l’épreuve de comptage de phonèmes (moyenne : 40,1% vs 48,8%, ET: 35,6 vs 36,8, p<.05); chez les enfants qui ont appris à lire en wolof, pour l’épreuve de compréhension en lecture (moyenne : 23,6%, vs 34,7%, ET: 30,7 vs 38,3, p<.05, variance inégale). Incidence du niveau scolaire Les résultats des enfants ayant appris à lire en français sont dans la figure 1 (150, 228, et 124 enfants pour les grades 1, 2, et 3), et ceux des enfants ayant appris à lire en wolof dans la figure 2 (83 et 103 enfants pour le grades et 3). Page 12 Figure 1. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en wolof (Grades 1, 2 et 3) Figure 1 (Sénégal: Français) Grade 1 Grade 2 Grade 3 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Identification ot-Context ots C ptage seudom ot-isolat * Lettres * * utres * * * * * * * om ots ME ge crit ral S A * M M E O M A P Analy se phonémique Lecture (Nb Items par Minute) Compréhension Orthographe (%) Variables de (%) (%) contrôle Figure 2. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en wolof (Grades 1 et 3) Figure 2 (Sénégal: W olof) Grade 1 Grade 3 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Identification Mot-Context Pseudomots Comptage Mot-isolat * Lettres * * Autres * * * * * * * * Mots MSE Age Ecrit ral * O Analy se phonémique Lecture (Nb Items par Minute) Compréhension Orthographe (%) Variables de (%) (%) contrôle Chez les enfants ayant appris à lire en français, il n'y a pas différences de MSE entre les groupes. Les enfants des niveaux scolaires les plus élevés sont plus âgés que ceux des niveaux scolaires inférieurs, et ils ont systématiquement des scores supérieurs à ceux des enfants des niveaux scolaires inférieurs. Pour les enfants ayant appris à lire en wolof, on observe un effet de l’âge et du MSE, le MSE des enfants du premier grade étant inférieur. Même quand les différences de MSE sont prises en compte, les scores des enfants du troisième grade sont systématiquement supérieurs. Différences entre groupes: Incidence de la langue d’apprentissage Apprentissage de la lecture en français et en wolof Les résultats sont dans la figure 3. Il n’y a pas de différence entre les groupes pour l’âge ou le MSE. Les différences sont par contre significatives pour 4 des 10 épreuves. Elles sont au profit des enfants ayant appris à lire en wolof pour deux des tâches évaluant le langage oral (compréhension orale et comptage de phonèmes) et au profit des enfants ayant appris à lire en français pour deux des tâches évaluant le langage écrit (capacités orthographiques). Page 13 Figure 3. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en français ou en wolof (Grades 1 et 3) Sénégal (Français) Sénégal (Wolof) 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Identification Mot-Context Pseudomots Comptage Mot-isolat Lettres * Autres * * * Mots MSE Age Ecrit Oral Analy se phonémique (%) Lecture (Nb Items par Minute) Compréhension Orthographe (%) Variables de (%) contrôle Apprentissage de la lecture en français (Sénégal) et en anglais (Gambie) Dans la mesure où nous disposons des résultats d’une évaluation similaire effectuée sur les mêmes bases auprès d’enfants gambiens ayant appris à lire en anglais, nous avons comparé les scores de ces enfants (1200) à ceux des enfants sénégalais ayant appris à lire en français (figure 4). Alors qu’il n'y a pas de différence d’âge entre les groupes, le milieu socio-économique des enfants gambiens est inférieur à celui des sénégalais. Même après avoir pris en compte l’incidence du MSE, les scores des enfants sénégalais ayant appris à lire en français sont supérieurs à ceux des enfants gambiens ayant appris à lire en anglais, sauf en compréhension orale. Figure 4. Moyenne et écart-type pour les enfants ayant appris à lire en français ou en anglais (Grades 1 à 3) Gambie (Anglais) Sénégal (Français) 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Identification Mot-Context Pseudomots Comptage Mot-isolat Lettres * * * * Autres * * * * * * * MSE Mots Ecrit Age Oral Analy se phonémique (%) Lecture (Nb Items par Minute) Compréhension Orthographe (%) Variables de (%) contrôle Page 14 3.2. Corrélations et Régression Corrélations Les corrélations ont été calculées entre les différentes épreuves ainsi qu’entre ces épreuves et trois variables contrôle (âge, niveau scolaire, et MSE). Pour la compréhension en lecture, seuls les enfants qui ont lu au moins 20 mots du texte en 1 minute ont été inclus dans les analyses (168 des enfants ayant appris à lire en français, soit 33,5% et 60 des enfants ayant appris à lire en wolof, soit 32%). Les résultats sont présentés dans les tableaux 6a et 6b. En ce qui concerne les corrélations les plus élevées, les résultats observés dans les deux groupes sont très similaires, à trois exceptions près. D’une part, la tâche d’identification de phonèmes est plus fortement corrélée aux tâches de lecture chez les enfants ayant appris à lire en wolof que chez ceux ayant appris à lire en français, ce qui suggère que cette tâche est très sensible à la maîtrise du système phonologique de la langue. Par contre, les relations entre compréhension orale et écrite sont plus fortes chez les enfants qui apprennent à lire en français (.61, contre .45), ce qui signale qu’il y a plus de dissociations entre maîtrise de l’oral et de l’écrit chez les enfants qui apprennent à lire en wolof. Enfin, les corrélations avec le grade sont fortes en wolof, pas en français, ce qui peut s’expliquer par le fait que seuls des enfants du premier et du troisième grade ont passé les épreuves en wolof, ce qui accentue les différences. Tableaux 6a et 6b. Corrélations : enfants ayant appris à lire en français (6a), ou en wolof (6b) 6a: 502 enfants sauf pour la tâche de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 compréhension écrite (168) (CP) (IP) (L/M) (P/M) (MI/M) (MC/M) (CE) (CO) (O1) (O2) 1. Comptage de phonèmes (CP) 2. Identification de phonèmes (IP) ***.70 3. Lettres/minute (L/M) ***.43 ***.51 4. Pseudomots/minute (P/M) ***.46 ***.53 ***.79 5. Mots-isolés/minute (MI/M) ***.43 ***.51 ***.76 ***.92 6. Mots-contexte/minute (MC/M) ***.43 ***.51 ***.75 ***.90 ***.92 7. Compréhension écrite (CE) .17 *.27 .14 .22 *.28 *.30 8. Compréhension orale (CO) **.39 ***.46 ***.45 ***.53 ***.54 ***.58 ***.61 9. Orthographe lexicale (O1) ***.45 ***.52 ***.67 ***.76 ***.77 ***.80 .06 ***.53 10. Orthographe-Autre (O2) **.39 ***.46 ***.56 ***.55 ***.57 ***.56 .18 ***.49 ***.64 11. Age chronologique .23 *.27 ***.42 *.33 *.33 **.34 -.00 .24 **.34 *.26 12. Grade *.30 **.39 ***.56 ***.52 ***.54 ***.56 .13 **.40 ***.51 ***.43 13. Milieu socio-économique .05 -.00 .07 .04 .04 .05 .07 .11 .04 .00 Note : Les corrélations supérieures ou égales à .41, .33 et .25 sont significatives à .001, .01 et .05 pour les observations impliquant le plus petit nombre d'enfants (celles pour la tâche de compréhension en lecture pour les enfants ayant appris à lire en wolof, N = 60) et le seuil de significativité est indiqué par les signes conventionnels (***, ** et *). Les corrélations les plus fortes, celles supérieures à .60, sont mises en relief (cellules en gris). Page 15 6b: 186 enfants sauf pour la tâche de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 compréhension écrite (60) (CP) (IP) (L/M) (P/M) (MI/M) (MC/M) (CE) (CO) (O1) (O2) 1. Comptage de phonèmes (CP) 2. Identification de phonèmes (IP) ***.66 3. Lettres/minute (L/M) ***.51 ***.72 4. Pseudomots/minute (P/M) ***.47 ***.71 ***.87 5. Mots-isolés/minute (MI/M) ***.45 ***.67 ***.83 ***.94 6. Mots-contexte/minute (MC/M) ***.46 ***.69 ***.80 ***.94 ***.91 7. Compréhension écrite (CE) .07 **.36 -.12 .12 .17 .25 8. Compréhension orale (CO) ***.44 ***.46 **.37 **.34 **.36 **.38 ***.45 9. Orthographe lexicale (O1) **.40 ***.55 ***.60 ***.65 ***.64 ***.65 **.34 .24 10. Orthographe-Autre (O2) ***.42 ***.49 ***.56 ***.59 ***.59 ***.60 .19 *.33 ***.51 11. Age chronologique ***.47 ***.52 ***.53 ***.46 ***.46 ***.47 -.02 *.33 **.37 **.40 12. Grade ***.49 **.70 ***.70 ***.64 ***.62 ***.65 .24 ***.44 ***.47 ***.56 13. Milieu socio-économique .02 .10 .17 .18 .20 .19 .06 .11 .10 .17 Note : Les corrélations supérieures ou égales à .41, .33 et .25 sont significatives à .001, .01 et .05 pour les observations impliquant le plus petit nombre d'enfants (celles pour la tâche de compréhension en lecture pour les enfants ayant appris à lire en wolof, N = 60) et le seuil de significativité est indiqué par les signes conventionnels (***, ** et *). Les corrélations les plus fortes, celles supérieures à .60, sont mises en relief (cellules en gris). En ce qui concerne l’ensemble des corrélations, la tâche de comptage phonémique est fortement corrélée à la tâche d'identification phonémique (français: .70; wolof: .66) et ces deux tâches sont corrélées aux trois tâches de lecture (pseudomots et mots isolés et mots en contexte: en moyenne pour la tâche de comptage et d’identification, .44 et .52 pour les tests en français, .46 et .69 pour ceux en wolof). La tâche de connaissance des lettres est fortement corrélée aux autres tâches en ‘1 minute’ (moyenne pour les pseudomots et les mots isolés ou en contexte: .77 et .83 pour les tests en français et en wolof). Les corrélations entre les tâches de lecture de pseudomots et de mots (isolés ou en contexte) sont supérieures à .90, quelle que soit la langue dans laquelle les enfants ont appris à lire. Entre les deux tâches impliquant la compréhension (écrite et orale), les corrélations, examinés uniquement pour les enfants capables de lire au moins 20 des 60 mots du texte, sont de .61 pour les tests en français, et de .45 pour ceux en wolof. Enfin, entre la tâche d’orthographe lexicale et celles qui évaluent la lecture de pseudomots et de mots les corrélations sont plus fortes (en moyenne, .78 et .65 pour les enfants qui ont appris à lire en français et en wolof) que celles relevées avec l’autre tâche d’orthographe (respectivement: .56 et .59). Analyses des régressions Le but de ces analyses (basées sur les corrélations) est d'indiquer la ou les compétence(s) qui permet(tent) de prédire une autre compétence. Nous avons examiné les prédicteurs de trois compétences de lecture: lecture de mots (isolés et en contexte) et compréhension. Les prédicteurs pris en compte sont les compétences évaluées par les différentes épreuves, ainsi que certaines variables contrôle (âge, niveau scolaire, et MSE). Nous avons calculé le part totale de variance expliquée par l'ensemble des prédicteurs et la part unique de variance expliquée par chacun d’eux. Sauf pour la prédiction de la compréhension en lecture, les analyses ont été effectuées avec l'ensemble des enfants. Page 16 Prédictions de la lecture de mots isolés et en contexte Les prédicteurs sélectionnés sont le niveau de conscience phonémique (comptage et identification), le nombre de lettres et de pseudomots lus en une minute, le niveau de compréhension orale, et les scores en orthographe. Trois variables contrôle (âge, niveau scolaire et MSE) ont aussi été prises en compte. Les résultats pour la lecture de mots isolés sont dans le tableau 7. Plus de 85% de la variance dans cette épreuve est expliquée par les variables entrées dans le modèle, quel que soit le groupe (français ou wolof). Toujours quel que soit le groupe, seules les compétences en lecture de pseudomots ajoutent une part unique de variance expliquée (plus de 14%) et moins de 1% de la variance en lecture de mots isolés est expliquée par la contribution des autres variables. Tableau 7. Prédiction de la lecture de mots isolés Enfants ayant appris à Enfants ayant appris à lire lire en français (N = 474) en wolof (N = 163) Variance expliquée: Total .856 .890 Part unique de variance ajoutée MSE .000 .001 Age chronologique .001 .001 Niveau scolaire .002 .000 Phonème: comptage (%) .000 .001 Phonème: identification (%) .000 .000 Lettres/minute .001 .000 Pseudomots/minute .142* .146* Compréhension orale (%) .001 .002 Orthographe lexicale (%) .008 .001 Orthographe: Autres (%) .000 .001 * La part unique de variance est significative à au moins p < 0.1 ; le seuil de significativité a été calculé sur la base de l’effectif le plus faible (N=60, compréhension en lecture pour les enfants ayant appris à lire en wolof). Pour la prédiction de la lecture de mots en contexte, les résultats sont présentés dans le tableau 8. Comme dans la précédente analyse, quel que soit le groupe plus de 85% de la variance dans cette épreuve est expliquée par les variables entrées dans le modèle et seules les compétences en lecture de pseudomots ajoutent une part unique de variance expliquée: 10,4% pour les enfants ayant appris à lire en français et 16,1% pour les autres. Moins de 1% de la variance en lecture de mots en contexte est expliquée par la contribution des autres variables, sauf dans un cas: pour les enfants ayant appris à lire en français, la maîtrise de l’orthographe lexicale ajoute 2,2% de variance expliquée. Page 17 Tableau 8. Prédiction de la lecture de mots en contexte Enfants ayant appris à Enfants ayant appris à lire lire en français (N = 474) en wolof (N = 163) Variance expliquée: Total .858 .890 Part unique de variance ajoutée MSE .000 .000 Age chronologique .001 .000 Niveau scolaire .004 .000 Phonème: comptage (%) .000 .001 Phonème: identification (%) .000 .001 Lettres/minute .000 .003 Pseudomots/minute .104* .161* Compréhension orale (%) .006 .003 Orthographe lexicale (%) .022 .002 Orthographe: Autres (%) .000 .002 *La part unique de variance est significative à au moins p < 0.1 ; le seuil de significativité a été calculé sur la base de l’effectif le plus faible (N=60, compréhension en lecture pour les enfants ayant appris à lire en wolof). Prédiction du niveau de compréhension en lecture Le nombre d'enfants impliqué dans cette analyse étant faible, seulement 7 prédicteurs ont pu être pris en compte. Outre le niveau de compréhension orale, nous avons sélectionné la lecture de pseudomots et de mots (isolés et en contexte) ainsi que le niveau en orthographe lexicale et en analyse phonémique (comptage et identification). Les résultats (voir le tableau 9) indiquent que 35,5% à 41,1% de la variance dans la tâche de compréhension en lecture est expliquée par les variables entrées dans le modèle. Seule la compréhension orale explique une part unique de la variance en compréhension écrite (26% pour les enfants ayant appris à lire en français, 9,2% pour ceux ayant appris à lire en wolof). Une seule autre variable apporte une contribution unique (la lecture de mots en contexte) mais seulement chez les enfants ayant appris à lire en wolof (5%). Page 18 Tableau 9. Prédiction de la compréhension en lecture Enfants ayant appris à Enfants ayant appris à lire lire en français (N = 167) en wolof (N = 60) Variance expliquée: Total .411 .355 Part unique de variance ajoutée Phonème: comptage (%) .001 .014 Phonème: identification (%) .002 .033 Pseudomots/minute .001 .022 Mots-isolés/minute .005 .000 Mots-en-contexte/minute .004 .050* Compréhension orale (%) .262* .092* Orthographe lexicale (%) .010 .039 *La part unique de variance est significative à au moins p < 0.1 ; le seuil de significativité a été calculé sur la base de l’effectif le plus faible (N=60, compréhension en lecture pour les enfants ayant appris à lire en wolof). 4. RESUME ET DISCUSSION 4.1. Résultats obtenus aux différentes épreuves et implications Habilités de pré-lecture Les scores obtenus à l’épreuve de connaissance des lettres sont corrélés à ceux obtenus en lecture de pseudomots et de mots (isolés ou en contexte), quelle que soit la langue d’apprentissage de la lecture. Toutefois, ces scores ne permettent pas d’expliquer de façon unique et significative la variance dans les tâches de lecture de mots. Ce résultat est conforme à ceux généralement rapportés dans la littérature. Selon Wagner (Wagner et al., 1997), par exemple, lorsque les capacités de lecture sont prises en compte, la connaissance des lettres n’ajoute aucune part significative de variance en lecture. De plus, comme cela a déjà été souligné, le nom des lettres diffère souvent de leur son. En outre, dans de nombreux pays les enseignants utilisent le son des lettres, et non leur nom, parce que l’utilisation des relations entre graphèmes et phonèmes requiert la maîtrise du son des lettres, l’utilisation du nom des lettres pouvant entraîner des erreurs de lecture. Un résultat à l’appuie de cette interprétation est que les scores obtenus à cette tâche sont plus fortement corrélés avec la lecture de pseudomots et de mots chez les enfants sénégalais, quelle que soit la langue dans laquelle ils ont appris à lire (français ou wolof) que chez les enfants gambiens (voir Sprenger-Charolles, 2008). Ce résultat peut s’expliquer par le fait que, pour les tâches en français et en wolof, le nom ou le son de la lettre ont été acceptés en tant que réponse correcte, et pas seulement le nom de la lettre comme cela a été le cas pour le protocole en anglais. Néanmoins, étant donné que les résultats obtenus à cette tâche, Page 19 même par les enfants sénégalais, ne permettent pas d’expliquer la variance en lecture, nous suggérons de ne pas l’inclure dans les nouveaux protocoles EGRA. Toutefois, dans la mesure où il est important d’évaluer si les enfants sont capables de reconnaître les unités de base de l’écrit, on pourrait leur proposer un test de discrimination visuelle entre des vrais lettres (A, a, P, p, B, b), des signes non alphabétiques (☺, ♣, , Û©, ♪) et des lettres inversées (Æ?, Λ, ш, Я, â??). L’inclusion de ce type de tâche pourrait permettre d’évaluer les habiletés visuelles des enfants, ce qui n’est pas fait dans le protocole EGRA. Cette nouvelle tâche pourrait être un test 1 minute, incluant 60 lettres, 10 signes non alphabétiques et 10 lettres inversées. Deux points pourraient être accordés pour le rejet des lettres inversés et un pour le rejet des signes non alphabétique. Habiletés de lecture et d’écriture Epreuves de lecture de pseudomots et de mots isolés ou en contexte (tests ‘1 minute’) Les corrélations entre lecture de pseudomots et de mots (isolés ou en contexte) sont très élevées, quelle que soit la langue dans laquelle les enfants apprennent à lire. Ce résultat signale l’existence d’un lien très fort entre la procédure de lecture par médiation phonologique, supposée être utilisée pour lire des mots nouveaux (les pseudomots), et la procédure lexicale de lecture, censée être utilisée pour lire les mots très fréquents. De plus, d’après les analyses de régression, la lecture de pseudomots est la seule variable qui explique de façon forte et unique la variance en lecture de mots (isolés ou en contexte), quelle que soit la langue dans laquelle les enfants apprennent à lire. Ces résultats ne sont pas conformes à ceux attendus dans le cadre du modèle d'acquisition de la lecture à double fondation (Seymour, 2003), modèle qui est essentiellement basé sur des résultats obtenus en anglais. Ils sont plus en ligne avec certains modèles d'acquisition de la lecture qui prennent en compte des études effectuées dans différentes langues ayant une orthographe plus ou moins opaque (par exemple, Sprenger-Charolles et al., 2006; Ziegler, & Goswami, 2005), modèles qui accordent un rôle crucial à la maîtrise des correspondances graphème-phonème dans l’apprentissage de la lecture, maîtrise qui, selon Share (1995), est le sine-qua-non de cet apprentissage. Par ailleurs, les effets plancher (scores à zéro) sont très importants dans ces tâches. C’est le cas, en lecture de pseudomots, de mots isolés et en contexte, pour respectivement 39%, 27%, et 50% des enfants du premier grade ayant appris à lire en français et pour une plus large proportion d’enfants de même niveau scolaire ayant appris à lire en wolof (63% pour les pseudomots et les mots isolés et 71% pour les mots en contexte). Pour les nouveaux protocoles EGRA, il est donc nécessaire de simplifier encore ces tâches. En particulier, il faudrait n’utiliser que des mots très fréquents, courts et ayant Page 20 des correspondances graphème-phonème (CGP) régulières, surtout dans les deux premières lignes du test afin de permettre aux lecteurs débutants de lire au moins quelques mots. De même, les pseudomots devraient être aussi courts et simples que possible, avec des CGP fréquentes, encore une fois surtout dans les deux premières lignes du test. Compréhension du langage écrit Comme nous l’avons déjà indiqué, la tâche de compréhension en lecture pose problème. En effet, à peu près un enfant sur deux a été incapable de lire correctement en une minute plus de 5 mots des 60 mots du texte utilisé pour évaluer la compréhension en lecture. De plus, certains de ces enfants ont un score de compréhension compris entre 1 et 5, alors que, pour obtenir 1 réponse correcte dans la tâche de compréhension, il était nécessaire d'avoir lu un peu plus de 20 mots. Ce problème, qui s’explique par différentes raisons (voir le début de la partie consacrée à la présentation et à l’analyse des résultats), a orienté le choix que nous avons fait pour l’analyse des corrélations et des régressions, dans lesquelles nous avons seulement examiné la compréhension en lecture des enfants qui ont pu lire en une minute au moins 20 mots du texte (environ 30% des enfants de chaque groupe, français ou wolof). L'analyse de régression indique que le niveau de compréhension orale et celui de lecture de mots en contexte ajoutent une part unique et significative de la variance en compréhension, dans les deux groupes pour la première épreuve mais seulement chez les enfants ayant appris à lire en wolof pour la seconde. Ce dernier résultat est surprenant étant donné que la compréhension en lecture est supposée dépendre à la fois du niveau de compréhension orale et des capacités de lecture de mots isolés (précision et vitesse). Il pourrait être dû au fait que, pour évaluer correctement le niveau de compréhension en lecture, nous n’avons pu tenir compte que des scores des enfants ayant pu lire au moins 20 mots du texte en une minute, ce qui réduit la variabilité des scores. Ces différents problèmes rendent nécessaire la révision de l’épreuve de lecture utilisée pour évaluer à la fois la lecture de mots en contexte et la compréhension écrite. Au lieu d'un texte de 60 mots, il serait préférable d'utiliser un texte plus court, de 4-5 phrases et ne comportant pas plus de 10 mots dans chaque phrase. L'enfant devrait d'abord lire le texte. Le temps et le nombre de mots correctement lus en une minute devraient être recueillis comme précédemment à deux détails près: le nombre de mots lus correctement en deux minutes devrait également être enregistré et l’enseignant ne devrait pas dire à l’enfant les mots qu’il n’a pas pu lire. Ensuite les phrases devraient être présentées l'une après l'autre, les questions étant posées immédiatement après la lecture par l’enfant de chaque phrase. Cette procédure permettrait de réduire les effets plancher et la charge de mémoire. En outre, il serait préférable d'éviter les réponses ‘oui-non’ et de poser des questions (au moins 5) permettant d’évaluer différents niveaux de compréhension : des questions demandant le simple rappel d’un mot présent dans la phrase (par exemple, le nom d’un personnage, d’une ville) et des questions plus complexes, demandant de relier des informations. Page 21 Il serait possible, par exemple, du faire lire à l’enfant le texte suivant : « Sidi a 6 ans. Sa sÅ“ur, Moussa, à 9 ans. Sidi fait la course avec Moussa. Elle est arrivée en premier. Sidi n’est pas content ». Ensuite, après la relecture par l’enfant de la phrase « Sidi a 6 ans », on peut lui demander « Quel âge a Sidi ? » (question de mémoire) et après la relecture de « Sa sÅ“ur, Moussa, à 9 ans », on peut lui demander « Comment s’appelle la sÅ“ur de Sidi ? » (question de mémoire, mais plus complexe que la précédente). La même procédure sera utilisée pour les trois autres phrases : après la relecture de « Sidi fait la course avec sa soeur », poser la question « Que fait Sidi ? » (question de mémoire) et, après la relecture des deux dernières phrases « Moussa est arrivée en premier » et de « Sidi n’est pas content », demander respectivement « Qui a gagné la course ? » et « Pourquoi Sidi n’est pas content ? », ces deux questions étant plus complexes, elles demandent en effet de faire un lien entre différentes informations. Epreuve contrôle de compréhension du langage oral Les enfants ayant appris à lire en wolof surpassent ceux ayant appris à lire en français dans cette tâche. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que la plupart de ces enfants parlent wolof à la maison alors que peu d’enfants de l’autre groupe parlent français chez eux. Pour vérifier cette interprétation, il faudrait au moins avoir une idée du niveau de vocabulaire des enfants dans la langue dans laquelle ils apprennent à lire. Une version simplifiée d’un test comme le Peabody devrait donc être intégrée dans les futurs protocoles EGRA. Une autre solution serait de vérifier leurs connaissances du nom des parties du corps, en demandant à chaque enfant de montrer, par exemple, son nez, sa bouche, ses yeux, puis son coude et son menton, qui sont des termes moins fréquents. On peut également vérifier sa connaissance du nom d’objets de son environnement scolaire, en lui demandant de montrer, par exemple, une table, une chaise, un banc, un fauteuil. On peut enfin vérifier la compréhension de certains termes spatiaux, en lui demandant, par exemple, de mettre un crayon sur puis sous une feuille de papier, ainsi que devant puis derrière lui. L’épreuve de compréhension orale est également la seule pour laquelle des résultats supérieurs ont été relevés chez les enfants gambiens ayant appris à lire en anglais comparativement aux enfants sénégalais ayant appris à lire en français. Ce résultat est surprenant pour deux raisons: d’une part, le MSE des enfants gambiens est plus faible que celui des enfants sénégalais, et il a été très souvent rapporté que le niveau linguistique dépend du MSE. D’autre part, il n'y a pas plus d'enfants gambiens ayant indiqué qu'ils parlaient anglais à la maison que d’enfants sénégalais ayant déclaré qu'ils parlaient français chez eux. La seule explication est que le test anglais était plus facile que le test français (3 questions dans le test anglais, contre 5 dans le test français, deux avec une réponse ‘oui–non’ dans chaque cas). Pour vérifier cette interprétation, il faudrait pouvoir examiner les réponses à chacune des questions, or seul nombre le total de réponses correctes a été enregistré. Ces différents problèmes, tout comme ceux relevés pour la tâche de compréhension écrite, rendent nécessaires la modification de la tâche de compréhension orale, et l’utilisation d’une procédure analogue à celle proposée pour évaluer la compréhension en lecture. Par rapport à la procédure utilisée dans la présente étude, cette nouvelle procédure permettra de réduire l'écart entre les deux tâches, en particulier pour la Page 22 charge en mémoire. En effet, la plupart des gens peuvent facilement prononcer au moins 200 mots par minute, ce qui est loin du nombre de mots lus en une minute par la plupart des participants sénégalais (en moyenne, respectivement 16 et 18 mots pour les enfants ayant appris à lire en Wolof ou en français). Pour ces lecteurs, il est plus facile de répondre à des questions après la lecture à haute voix par l’examinateur d’un texte de 60 mots qu’après la lecture à haute voix par eux-mêmes d'un texte de même longueur, parce qu’il est plus aisé de se rappeler un élément spécifique présenté en début d'un texte après moins de 30 secondes qu’après plus de 3 minutes. Epreuves d’orthographe Les enfants ayant appris à lire en français ont de meilleurs scores que ceux ayant appris à lire en wolof dans les deux tâches orthographiques. Ce résultat peut provenir de ce que le wolof écrit n’est pas aussi développé que le français écrit : les enfants ayant appris à lire en wolof ont donc été sans doute moins exposés à l’écrit en wolof que ceux ayant appris à lire en français. De plus, quelle que soit la langue dans laquelle les enfants ont appris à lire, les corrélations entre la tâche d’orthographe lexicale et celle de lecture de pseudomots ou de mots sont plus fortes (.64 à .80) que celles entre l’autre tâche orthographique et les mêmes compétences (.55 à .60). En outre, seuls les résultats obtenus dans la tâche d’orthographe lexicale permettent de prédire le niveau en lecture. La seconde tâche n’a donc que peu d’intérêt dans une évaluation des compétences en lecture dans les premiers niveaux du primaire. Quant à la première tâche, elle devrait être fortement simplifiée en raison des effets plancher qui ont été relevés chez respectivement 80% et 95% des enfants du premier grade ayant appris à lire en français ou en wolof. Seuls quatre mots isolés devraient être dictés, dont deux très courts et de haute fréquence ayant des correspondances graphème-phonème régulières. Capacités d’analyse phonémique Dans la tâche de comptage de phonèmes, les enfants ayant appris à lire en wolof surpassent ceux ayant appris à lire en français. Ce résultat est probablement dû au fait que les enfants du premier groupe parlent pour la plupart d’entre eux wolof à la maison, tandis que peu d’enfants de l’autre groupe parlent français chez eux. En outre, les corrélations avec les capacités de lecture sont plus élevées pour la tâche d'identification phonémique que pour celle de comptage phonémique, en particulier pour les enfants ayant appris à lire en wolof. Ces résultats signalent que la tâche d’identification de phonème est plus sensible que l’autre au niveau de maîtrise de la langue orale : elle permet donc d’évaluer des habiletés cruciales pour l’apprentissage de la lecture. Toutefois, pour évaluer ce type de capacité, l’épreuve telle qu’elle est conçue pose de très sérieux problèmes : en effet, il est impossible de prononcer le son d’une consonne en isolat. L'utilisation d'une tâche de discrimination phonémique est préférable. Le but de ce type de tâche est d'évaluer les capacités de différencier des mots oraux pour lesquels les écarts de prononciation sont minimes, par exemple, « pas » et « bas ». Page 23 L’évaluation de ce type de capacité, nécessaire pour tous les enfants qui apprennent à lire, est particulièrement cruciale quand les enfants sont confrontés à une langue qui diffère de leur langue maternelle (voir Labov, 1972 et 1995). En effet ces enfants vont devoir apprendre à discriminer des phonèmes qui ne font pas partie du répertoire des phonèmes de leur langue maternelle, ce qui peut entraîner des erreurs dues à des interférences entre deux systèmes phonologiques. C’est le cas, par exemple en français, pour les voyelles nasales, qui n’existe pas en wolof, ou encore pour le phonème correspondant à la lettre ‘u’ (qui est différent de celui correspondant à la lettre ‘ou’). En conséquence, les wolophones auront des difficultés à prononcer ces phonèmes. De plus, si on maintient dans le protocole la tâche de comptage phonémique, il serait souhaitable d'éviter d’utiliser des mots comportant des phonèmes qui ne sont pas clairement prononcés (par exemple, le ‘e’ de fin de mot en français, ou le ‘r’ post- vocalique en anglais, comme dans le mot « bird »). Il faudrait aussi éviter l’emploi des diphtongues et des consonnes complexes (par exemple le ‘ch’ en anglais ou en espagnol). Toutefois, les personnes qui ont utilisé ces tâches ont trouvé qu’elles n’étaient pas faciles à faire passer (surtout la tâche d’identification de phonèmes). Par conséquent, les tâches d’identification et de comptage phonémique (tout comme la nouvelle tâche proposée : celle de discrimination phonémique) pourraient être remplacées par une autre tâche permettant d’évaluer à la fois les capacités d’identification, de discrimination et de segmentation phonémique: une tâche d’écriture de pseudomots. Les enfants devraient écrire deux pseudomots consonne-voyelle (CV) et deux pseudomots consonne-voyelle-consonne (CVC). Il serait souhaitable d'éviter les phonèmes qui ne sont pas clairement prononcés ainsi que les phonèmes complexes tels que les diphtongues. Le score prendra en compte le nombre de consonnes et de voyelles correctement orthographiées dans chaque pseudomot. 4.2. Incidence des facteurs environnementaux (entre autres) sur les résultats Il ressort tout d’abord de l’analyse des différences à l’intérieur de chaque groupe (enfants ayant appris à lire soit en français, soit en wolof) que les enfants des niveaux scolaires les plus élevés ont toujours des résultats supérieurs à ceux des niveaux scolaires inférieurs. Ce résultat est moins trivial qu’il ne peut paraître à première vue. En effet, il n’a pas été systématiquement relevé avec les enfants gambiens ayant appris à lire en anglais. Les corrélations entre le milieu socio-économique (MSE) et les résultats aux différentes épreuves ne sont jamais significatives. Il n’est donc pas surprenant que la part unique ajoutée par le MSE ne ressorte jamais comme significative dans les deux analyses de régression où cette variable a été utilisée (lecture de mots isolés et en contexte). De plus, dans les comparaisons à l’intérieur de chaque groupe, le MSE n’a aucune incidence sur les résultats des enfants ayant appris à lire en français. Par contre, chez les enfants ayant appris à lire en wolof, ceux issus d’un MSE moins favorisé ont des moins bons résultats que les autres enfants, mais uniquement dans Page 24 quelques épreuves (connaissance des lettres, lecture de pseudomots et de mots isolés). Il n’est pas trop étonnant que l’incidence du MSE soit peu importante chez des enfants qui apprennent à lire dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle, au moins au début de cet apprentissage. Il est plus surprenant que le MSE n’ait qu’une incidence limitée chez les enfants qui apprennent à lire dans leur langue maternelle (en wolof), et que l’on ne trouve pas chez eux d’influence du MSE sur le niveau de maîtrise du langage oral et, surtout, sur les capacités de compréhension orale. En l’absence de certains tests, en particulier d’un test permettant d’évaluer le niveau de vocabulaire, il est difficile d’interpréter ces résultats. L'incidence des facteurs linguistiques (langue parlée à la maison et langue dans laquelle les enfants apprennent à lire) semble plus forte que celle du MSE. Ainsi, comme nous venons de le rappeler, alors que le MSE n’a aucune incidence sur les résultats des enfants ayant appris à lire en français, dans ce même groupe, les enfants qui parlent français à la maison ont toujours des scores supérieurs à ceux des autres enfants, sauf pour les tâches qui évaluent l’orthographe. D’autres différences relevées entre les résultats des évaluations portant sur le traitement du langage écrit et oral peuvent également s’expliquer par le rôle de l'environnement linguistique. En effet, dans certaines tâches impliquant le traitement du langage oral (compréhension orale et comptage de phonèmes), les scores des enfants ayant appris à lire en wolof surpassent ceux des enfants ayant appris à lire en français, alors que la tendance inverse a été relevée pour certaines tâches impliquant le traitement du langage écrit (les tâches d’orthographe). Comme nous l’avons déjà souligné, la première différence peut provenir de ce que les enfants ayant appris à lire en wolof parlent presque tous cette langue à la maison, tandis que peu d’enfants de l’autre groupe parlent français à la maison. D’un autre côté, les résultats obtenus dans des tâches qui évaluent le traitement de la langue écrite peuvent provenir de ce que le wolof écrit n'est pas aussi développé que le français écrit. En conséquence, les enfants ayant appris à lire en wolof ont probablement été moins confrontés à l’écrit dans cette langue que ceux ayant appris à lire en français. Cette interprétation est renforcée par l’absence de différence, chez les enfants ayant appris à lire en wolof, en fonction du statut ‘lecteur’ versus ‘non lecteur’ d’au moins un des parents alors que, chez les enfants ayant appris à lire en français, ceux qui ont au moins un parent lecteur ont des scores supérieurs dans presque toutes les épreuves de lecture et d’écriture. Cette interprétation est également renforcée par le fait que l’on a relevé plus d’effet ‘plancher’ en lecture (score à zéro) chez les enfants ayant appris à lire en wolof que chez ceux qui ont appris à lire en français, en particulier au premier niveau scolaire, c’est-à-dire en début d’apprentissage (de 63% à 71%, contre 27% à 50% chez ceux ayant appris à lire en français). L'incidence de la langue dans laquelle les enfants apprennent à lire ressort aussi de la comparaison entre les enfants sénégalais qui ont appris à lire en français et les enfants gambiens qui ont appris à lire en anglais. En effet, pour les épreuves de lecture, les premiers surpassent les seconds. Ce résultat reproduit ceux classiquement rapportés dans la littérature indiquant que l’opacité de l’orthographe est un facteur qui a une incidence négative sur l’apprentissage de la lecture (voir Seymour et al., 2003; Page 25 Sprenger-Charolles, 2003; Sprenger-Charolles et al., 2006; Ziegler, & Goswami, 2005). En ce qui concerne les deux derniers résultats sur l’incidence des variables contrôle, l’un, relativement classique, est toutefois moins fortement marqué que ce qui est attendu dans ce type d’évaluation (voir par exemple, PISA, 2000): la supériorité des filles sur les garçons, qui n’a été relevée que chez les enfants ayant appris à lire en français, et uniquement dans 4 des 10 épreuves, trois impliquant la lecture ou l’écriture de mots, et une la compréhension orale. L’autre résultat est plus surprenant. En effet, quel que soit le groupe (français ou wolof), la fréquentation de l’école maternelle n’a aucune incidence positive sur les résultats aux différentes épreuves qui ont été passées. 5. IMPLICATIONS Le protocole EGRA, qui vise à évaluer les compétences de lecture et les compétences reliées dans les premiers grades est, au regard des résultats actuels de la recherche et des applications pédagogiques possibles, très largement plus pertinent que ceux utilisés dans la plupart des évaluations internationales (OCDE-PISA, IEA-PIRLS), qui se limitent à l’examen de la compréhension de différents types de textes écrits, au mieux à partir de la fin du 4ème grade. Cependant, certaines améliorations doivent encore être apportées, surtout dans la perspective d'une évaluation prenant en compte des enfants apprenant à lire dans des langues qui, dans la plupart des cas, ne sont pas leur langue maternelle. 5.1. Suggestions pour améliorer le protocole EGRA L'analyse de l'incidence de la langue parlée à la maison sur les résultats exige un recueil sérieux des données relatives à cette question. Surtout, il faut supprimer du questionnaire destiné aux enfants la catégorie « autres langues » et écrire le nom de chacune des langues parlées à la maison. En outre, la langue arabe n'est pas citée dans le questionnaire. Cette langue doit être ajoutée à la liste, étant donné que la culture islamique peut être largement répandue dans certains pays, et donc l'utilisation de l'arabe parlé et écrit. Enfin, comme cela a été fait dans le questionnaire utilisé en Gambie, mais pas dans celui utilisé au Sénégal, il faut demander aux enfants la langue dans laquelle leurs parents lisent, quand ils sont dits être lecteurs. En ce qui concerne les différentes épreuves intégrées dans le protocole EGRA, certaines peuvent être supprimées pour les raisons expliquées dans la section précédente (les deux épreuves de pré-lecture, la seconde épreuve d'orthographe et l’épreuve d'identification de phonèmes). Toutefois, la tâche de pré-lecture évaluant la connaissance du nom ou du son des lettres pourrait être remplacée par une tâche évaluant l'aptitude à différencier de vraies lettres dans des listes comportant des lettres inversées et des signes non-alphabetiques. En raison d’effet ‘plancher’, d’autres épreuves devraient être fortement simplifiées (les trois épreuves de lecture en 1 minute et celle d’orthographe lexicale). Il est également nécessaire de réviser profondément l’épreuve de compréhension en lecture, afin d'atténuer les effets Page 26 plancher et de rendre cette épreuve aussi proche que possible de celle de compréhension orale, en particulier pour la charge de la mémoire (voir ce qui est proposé dans la partie précédente du présent rapport). De plus, deux épreuves devraient être ajoutées au protocole. Il faut intégrer une épreuve permettant d'évaluer le niveau de vocabulaire des enfants dans la langue dans laquelle ils apprennent à lire (des suggestions sont faites dans la partie précédente du présent rapport). Il faut aussi intégrer une épreuve permettant d’évaluer les capacités de discrimination phonémique, encore une fois dans la langue dans laquelle les enfants apprennent à lire. Une autre suggestion serait de remplacer les tâches de conscience phonémique par une tâche d’écriture de pseudomots. Une évaluation des capacités de mémoire phonologique à court terme pourrait également être incluse dans le protocole EGRA. Plus généralement, l'incidence de l’environnement linguistique et de la langue dans laquelle s’effectue l’apprentissage de la lecture sur les résultats rend nécessaire une sélection pertinente des items utilisés dans les tâches impliquant le traitement du langage afin d'éviter autant que possible certains biais dus à des différences linguistiques. Au moins deux types de contrôle sont nécessaires. D’une part, il faut contrôler l’utilisation de caractéristiques spécifiques à la langue dans laquelle s’effectue l’apprentissage par rapport à la langue maternelle des enfants, telles que la présence de voyelles nasales ou du ‘u’ français (qui s’oppose au ‘ou’) qui n’existent pas en wolof. Un mauvais contrôle de ce type de phénomène a pu en effet pénaliser les scores en lecture d’enfants parlant wolof qui ont passé le test en français, qui ont pu lire, à la place des mots « an », « bon » et « tu » (qui étaient dans la première ligne du test), les mots « âne », « bonne » et « toux », par exemple. D’autre part, il est nécessaire de bien contrôler les items utilisés dans les différentes épreuves, afin que les protocoles spécifiques à chacune des langues dans lesquelles EGRA sera développé soient d’un niveau de difficulté comparable. Pour les épreuves de lecture, cela sera plus facile à réaliser pour les tests en français, en wolof, ainsi que dans la plupart des autres langues, que pour ceux en anglais, en raison de la forte inconsistance des relations graphème-phonème dans cette langue. Ces différents contrôles ne peuvent se faire que si l’on dispose de données descriptives et statistiques sur les caractéristiques du système phonologique et orthographique des langues étudiées. Il faudrait donc mettre à disposition des équipes des fiches de synthèse de ces caractéristiques. Ce travail pourra s’appuyer sur des publications existantes: par exemple, Delattre (1965) et Sprenger-Charolles (2003 ou Sprenger-Charolles et al., 2006), pour des comparaisons entre le système phonologique et orthographique du français, de l’anglais, et de l’espagnol. D’autres données descriptives et statistiques sur l’orthographe du français sont disponibles (Catach, 1980; Peereman et al., 2007), ainsi que des données descriptives sur le système phonologique du wolof (Cisse, 2006). 5.2. Implications pour l’éducation Le présent rapport met une nouvelle fois en relief le fait que l’acquisition de la lecture dépend du degré de transparence des correspondances graphème-phonème. C’est ce Page 27 que montre clairement la comparaison entre les résultats des enfants sénégalais ayant appris à lire en français et ceux des enfants gambiens ayant appris à lire en anglais, ces derniers ayant systématiquement en lecture les scores les plus bas. L’apprentissage de la lecture est en effet très difficile en anglais, en raison de la faible consistance des correspondances entre graphèmes et phonèmes dans cette langue. Etant donné que la maîtrise des relations graphème-phonème est cruciale pour l’apprentissage de la lecture, il faudrait que les enseignants connaissent les principales caractéristiques de l'orthographe de la langue dans laquelle ils apprennent à lire aux enfants. Il faudrait également qu’ils utilisent, pour apprendre à lire aux enfants, d’abord des mots très fréquents et simples ne comportant, autant que possible, que des correspondances graphème-phonème régulières. Pour maîtriser ces correspondances, les enfants doivent aussi bien discriminer les phonèmes de la langue dans laquelle ils apprennent à lire. Par conséquent, les enseignants devraient également bien connaître le système phonologique de la langue dans laquelle se fait l’apprentissage de la lecture, tout comme celui de la langue maternelle des enfants. Ce type de connaissance devrait leur permettre de comprendre les interférences possibles entre ces différents systèmes phonologiques, qui peuvent nuire non seulement à l’acquisition d’une nouvelle langue orale, mais aussi à l’acquisition de la lecture dans cette langue. Deux autres résultats de la présente étude montrent la difficulté de certains choix en matière de politiques éducatives. En effet, les enfants scolarisés en wolof ont de meilleurs résultats que ceux scolarisés en français dans des tâches impliquant le langage oral. Ce résultat peut provenir de ce que les enfants de ce groupe parlent presque tous wolof à la maison, tandis que peu d’enfants de l’autre groupe parlent français à la maison. Ce point est en faveur d’une politique qui favorise l’enseignement dans la langue maternelle. Toutefois, pour certaines tâches impliquant le langage écrit, ce sont les enfants ayant appris à lire en wolof qui ont les moins bons scores. Comme nous l’avons souligné, ce résultat peut s’expliquer par le fait que le wolof écrit n'est pas aussi développé que le français écrit. Cette interprétation est renforcée par l’absence d’incidence du niveau d’alphabétisation des parents sur les résultats des enfants ayant appris à lire en wolof, alors que chez les enfants ayant appris à lire en français ceux qui ont au moins un parent lecteur ont des scores supérieurs dans presque toutes les épreuves de lecture et d’écriture. Elle est aussi renforcée par l’observation d’un plus fort nombre d’effet plancher en lecture chez les enfants ayant appris à lire en wolof que chez ceux ayant appris à lire en français, en particulier au premier niveau scolaire. Deux choix sont possibles pour les politiques : soit développer la culture écrite en wolof ; soit continuer à apprendre à lire aux enfants sénégalais dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle, mais pour laquelle les supports écrits, d’accès facile, sont nombreux et variés. Un autre point est à souligner. A la différence de ce qui a été relevé en Gambie, et de ce qui est attendu, la fréquentation de l’école maternelle n’a pas d’incidence positive sur les résultats des enfants sénégalais, quelle que soit la langue d’apprentissage. Ce Page 28 résultat surprenant devrait inciter les autorités sénégalaises à chercher une explication et, peut être, à revoir les programmes de l’école maternelle. Enfin, la présente étude fournie un nouveau moyen permettant d'évaluer les capacités de lecture et les compétences reliées dès la fin du premier grade du primaire. Ces évaluations devraient aider les enseignants à identifier les enfants ayant de graves difficultés de lecture, et leur permettre d'effectuer avec eux des actions pédagogiques spécifiques, ce qui est souhaitable. En effet, nous savons que, pour être vraiment efficaces, ces actions doivent être effectuées le plus tôt possible (Ehri et al., 2001a). 6. REFERENCES Catach, N. (1980). L'orthographe française: Traité théorique et pratique. Paris: Nathan. Cisse, M.T. (2006). Problèmes de phonétique et de phonologie en wolof. Revue électronique internationale de sciences du langage SudLangues, 6, 1-41. Site web : http://www.sudlangues.sn/IMG/pdf/doc-134.pdf. Delattre, P. (1965). Comparing the phonetic features of English, French, German and Spanish. Heidelberg: Jumius Gross Verlag. Ehri, L. C., Nunes, S. R., Stahl, S. 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