Résumé analytique 74630 TRANSFORMER LES VILLES GRÂCE AUX TRANSPORTS EN COMMUN L’intégration des politiques en matière de transports et d’aménagement du territoire à l’appui d’un développement urbain durable Hiroaki Suzuki, Robert Cervero, et Kanako Iuchi Synthèse C ette étude analyse le processus complexe d’intégration des transports et de l’aménagement du territoire dans les villes en pleine croissance des pays en développement. Elle recense d’abord les obstacles et les éléments favorables à une coordination efficace de l’infrastructure de transport et de l’urbanisation. Elle recommande ensuite un ensemble de politiques et de mesures d’application pour surmonter les premiers et exploiter les seconds. La bonne intégration des transports et de l’utilisation des sols crée des formes et des espaces urbains qui permettent de diminuer le recours aux véhicules motorisés particuliers. Les quartiers qui offrent un accès adéquat aux transports publics et des espaces urbains bien conçus où il est possible de circuler à pied et à bicyclette deviennent des lieux très attrayants où il est agréable de vivre, de travailler, de s’éduquer, de se divertir et de communiquer. Les environnements de cette nature rehaussent la compétitivité économique d’une ville, diminuent la pollution locale et les émissions mondiales de gaz à effet de serre, et favorisent un développement solidaire. Ces objectifs sont au centre du développement de noyaux urbains autour de pôles de transports collectifs (dit développement axé sur les transports, ou « TOD »), un modèle urbain qui gagne en importance pour assurer aux villes un avenir durable. Le présent ouvrage s’appuie sur des études de cas. Il se fonde sur les meilleures pratiques observées au plan mondial pour dégager des métropoles qui privilégient les transports en commun des enseignements intéressant directement les villes qui, dans les pays en développement et ailleurs, investissent actuellement dans des réseaux d’autobus à haut niveau de service (BHNS) et autres réseaux de transport de grande capacité. Il rend également compte des résultats de deux études de cas approfondies et originales de villes en forte expansion et en voie de motorisation qui ont établi des réseaux BHNS étendus : Ahmedabad (Inde) et Bogotá (Colombie). Deux études plus brèves—Guangzhou (Chine) et Ho Chi Minh (Viet Nam)—permettent de mieux appréhender les facteurs indispensables à la « transformation des villes grâce aux transports en commun ». Les mécanismes qui permettent de réussir l’intégration du transport et de l’aménagement urbain sont complexes. De multiples facteurs interviennent, notamment les caractéristiques propres à une ville (situation naturelle et historique par exemple), les structures de gouvernance, les cadres institutionnels, les mesures et interventions du secteur public (investissements dans les transports 1 2   Transformation des villes grâce aux transports en commun en commun, planification, réglementation, politique fiscale, et incitations financières), les instruments de financement, et les réactions du marché. En améliorant l’accessibilité, les transports en commun configurent le développement urbain ; les caractéristiques du territoire concerné, comme les densités résidentielles et celles relatives à l’emploi, la diversité d’usage des sols, influent sur la demande de transport. Les études de cas présentées ici portent essentiellement sur les retombées de l’investissement dans les transports collectifs sur l’utilisation des sols et les formes urbaines, et non sur l’influence de l’aménagement du territoire sur la demande de transports, car il faut de nombreuses années pour que les changements d’usages des sols se produisent et que leurs conséquences sur la demande de transport se manifestent. L’analyse des interactions entre les mesures du secteur public et la réaction des marchés est particulièrement délicate, car les mécanismes n’en sont pas entièrement connus. L’étude examine en profondeur la réaction des marchés, qui traduit indirectement les préférences des consommateurs et des marchés ; pour ce faire, elle analyse par exemple l’influence que les réseaux BHNS exercent sur les prix du foncier résidentiel et sur les décisions en matière d’investissement immobilier privé. Les cas étudiés montrent que, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le marché privé ne tient pas toujours compte des investissements dans les transports, choisissant au contraire de construire de nouvelles enclaves résidentielles à l’écart des couloirs d’autobus en site propre. Les cas étudiés laissent entrevoir certains facteurs susceptibles d’expliquer ce phénomène, mais des travaux beaucoup plus poussés s’imposent à ce sujet. L’étude se concentre donc sur l’action et les mesures des pouvoirs publics (des interventions comme les réformes du zonage et l’amélioration des lignes de rabattement vers les arrêts des réseaux BHNS) qui sont prises en concertation avec le marché, en réponse à ses évolutions, et qui le façonnent. Les analyses de cas mettent en lumière de sérieuses contraintes institutionnelles, réglementaires et financières qui font obstacle à la bonne intégration des transports et de l’aménagement du territoire. Elles font également apparaître des éléments propices à la définition de trajectoires durables. Le dernier chapitre formule des recommandations pour l’action publique et propose des mesures nécessaires à leur mise en œuvre. Les recommandations sont inspirées des pratiques optimales observées partout dans le monde et des enseignements tirés de l’étude des difficultés spécifiques auxquelles Ahmedabad et Bogota se heurtent pour mettre en place un modèle d’urbanisation plus durable. La plupart des cas examinés proviennent des pays développés. Leur expérience ne peut être directement appliquée et transposée sans quelques adaptations et ajustements aux réalités locales. Il ne s’agit pas tant de définir des pratiques spécifiques que de dégager des principes fondamentaux et des enseignements de base susceptibles de guider la planification et la pratique des villes qui programment actuellement des réseaux de transport à grande échelle ou procèdent aux investissements correspondants. Les recommandations qui visent à favoriser la conception des villes plus viables du futur couvrent tout un éventail de possibilités, depuis les stratégies globales qui influent sur l’aménagement et la gestion des sols jusqu’aux projets conduits à l’échelle métropolitaine ou au micro-niveau, comme le TOD, qui peut radicalement transformer les schémas de développement à l’échelon des quartiers. Cet ouvrage s’adresse à un public large et varié, notamment aux maires, aux conseillers municipaux, aux responsables publics nationaux et locaux, aux urbanistes et aux planificateurs des transports, aux responsables des sociétés de transport public, aux promoteurs immobiliers, au personnel des établissements de financement du développement, et à tous les participants à des projets TOD dans les villes en pleine expansion et en voie de motorisation du monde en développement. Synthèse   3 Intégration des transports et de l’aménagement du territoire Dans les pays en développement, les villes connaissent une croissance sans précédent. Leur population devrait passer de 2 milliards de personnes en 2000 à 5,5 milliards en 2050, contribuant pour 95 % à l’augmentation démographique urbaine mondiale. La hausse des revenus aidant, les citadins s’éloigneront des centres-villes, suivant le modèle d’étalement urbain tributaire de l’automobile observé dans les pays développés. Il faut mettre un terme à cette évolution si l’on veut sensiblement rehausser la compétitivité économique des villes grâce à l’amélioration du rendement énergétique et de l’efficacité en termes de temps. En l’absence de mesures destinées à empêcher les populations citadines des pays en développement de suivre ce modèle d’expansion urbaine, on ne peut ni réduire les externalités négatives, comme la pollution atmosphérique et les émissions de gaz à effet de serre, ni favoriser l’équité sociale. L’intégration des transports et de l’aménagement du territoire est l’un des moyens les plus prometteurs d’inverser la tendance à l’étalement urbain reposant sur l’automobile et de placer les villes des pays en développement sur une trajectoire durable. Les réseaux de transport BHNS méritent une attention particulière dans la mesure où l’expansion urbaine devrait ultérieurement intervenir essentiellement dans les villes de taille moyenne (pas plus de 500 000 habitants) (ONU-Habitat 2011) dotées de moyens financiers limités. Ces réseaux, qui sont moins coûteux que d’autres formes de transport collectif, comme le métro, peuvent satisfaire à leur demande de mobilité. Étant donné la mise en service de plus de 130 réseaux BHNS au cours de la décennie écoulée, la promotion du TOD revêtira une importance particulière. Pratiques optimales en matière d’intégration des transports et d’aménagement du territoire au niveau mondial Les modèles exemplaires d’intégration des transports et de l’utilisation des sols observés à l’échelle mondiale reposaient tous sur un projet convaincant d’aménagement du territoire—stratégie qui a influencé les investissements dans le transport régional et non l’inverse. Les transports ont été un important moyen parmi d’autres, comme le recours à un zonage approprié et à des modes de financement créatifs, qui ont servi à concrétiser la vision sous-jacente à ces projets urbains. Les mesures de gestion de la demande de transport, comme la tarification de la congestion et l’amélioration du panorama urbain qui encouragent les modes de transport non motorisés ont également occupé une place de premier plan. L’exemple de villes comme la RAS de Hong Kong (Chine) et Tokyo montre que la bonne intégration des transports et de l’utilisation des sols permet de générer des revenus et de dégager des profits de l’instauration de droits de propriété et du dessus. Des villes comme Copenhague et Singapour ont bénéficié de stratégies régionales vigoureuses qui garantissent que des investissements dans des systèmes de transport publics produisent les résultats souhaités en termes d’urbanisme (encadré O.1). Il ressort de leur expérience et de celle d’autres villes que la planification du périmètre des gares doit être conduite de manière sélective et judicieuse. Dans de nombreux cas, les efforts de planification doivent être consacrés à l’aménagement ou à la rénovation de quelques gares ferroviaires ou routières seulement, de manière à assurer une concentration efficace des ressources. Cette démarche offre de meilleures chances de mettre 4   Transformation des villes grâce aux transports en commun Encadré O.1.  Transformer une vision en une image conceptuelle de la métropole du futur Pour concrétiser la théorie de l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire, il faut en premier lieu formuler une vision stratégique et la transformer en une image conceptuelle de la métropole du futur. Le « Plan en doigts » de Copenhague et le « Plan en constellation » de Singapour illustrent parfaitement ce processus. Le « Plan en doigts » de Copenhague est un exemple classique d’une stratégie de planification à long terme qui a influé sur les investissements dans le rail, lesquels ont à leur tour configuré la croissance urbaine (graphique BO.1.1). Les urbanistes ont défini des couloirs de circulation pour canaliser la croissance des centres urbains dès le début du processus de planification. Une infrastructure ferroviaire a été construite, souvent avant que la demande ne se manifeste, pour orienter la croissance le long des axes souhaités. Graphique BO.1.1   Le plan de développement urbain « en doigts » de Copenhague Zones urbaines Réseau ferroviaire Routes principales Source : Cervero 1998 ; reproduction autorisée par Island Press, Washington. en place un  système qui ne produit que des avantages et permet aux intérêts publics et privés de tirer également parti des profits dérivant des nouveaux investissements dans les transports. Pour produire des modèles que l’ensemble de la communauté du développement pourra imiter et convaincre les créanciers que l’investissement dans des projets de gares peut être rémunérateur sur le plan financier, il importe de démontrer que des changements favorables d’utilisation des sols sont possibles parallèlement à des investissements dans le transport. Si la formulation de stratégies de planification de l’intégration des transports et de l’aménagement territorial est très utile, il faut disposer de fonds suffisants pour les mener à bien. Un enseignement majeur de l’expérience internationale Synthèse   5 Encadré O.1  Transformer une vision en une image conceptuelle de la métropole du futur (suite) Graphique BO.1.2  Le plan de développement urbain « en constellation » de Singapour Source : Direction des transports terrestres de Singapour, 2008 ; reproduction autorisée. Singapour a adopté les principes de planification scandinaves qui préconisent des couloirs radiaux reliant le centre aux nouvelles villes prévues dans le plan directeur (graphique BO.1.2). Son plan spatial a l’apparence d’une constellation de «  planètes » satellitaires (les villes nouvelles) entourant le noyau central, entrecoupées de ceintures vertes de protection et maillées par un réseau de transport sur rail à grande vitesse et de grande capacité. Source : Auteurs. est que cette intégration peut apporter les revenus nécessaires pour accélérer et favoriser le processus. Le cas de villes comme la RAS de Hong Kong (Chine) et Tokyo montre que la « récupération des plus-values »—un concept de financement de l’infrastructure qui cherche à récupérer les plus-values foncières créées par la nouvelle infrastructure, notamment celle de transport—permet non seulement d’assurer la pérennité des financements, mais aussi celle de l’urbanisme. La récupération des plus-values est particulièrement bien adaptée au financement d’une infrastructure de transport dans des environnements denses, encombrés, où l’accessibilité est jugée primordiale et où il existe une capacité institutionnelle pour administrer le programme. Les avantages de l’accessibilité, qui se concrétisent sous la forme d’une valorisation foncière, offrent d’immenses possibilités de récupérer une partie des plus-values dérivant de l’investissement dans les transports, tout au moins en complément des recettes tarifaires et d’autres sources de revenus classiques. Même dans la RAS de Hong Kong (Chine), qui présente une densité extrême, propice aux transports en commun, l’investissement dans le rail n’est pas viable en soi sur le plan financier : c’est seulement grâce à la promotion immobilière 6   Transformation des villes grâce aux transports en commun que le réseau métropolitain (Hong Kong Mass Transit Railway) satisfait aux exigences des investisseurs en termes de rendement des capitaux propres. La récupération des plus-values et l’aménagement conjoint génèrent des recettes qui permettent d’une part de rembourser les emprunts d’investissement et les opérations de financement, et créent d’autre part une demande qui garantit une forte fréquentation des services. À Hong Kong, le partenariat public-privé n’a pas pour objectif de faire porter le coût de la construction du réseau ferré au secteur privé, mais plutôt de procéder à un « co-aménagement », à savoir un aménagement dans lequel chaque secteur apporte son avantage naturel (le pouvoir d’acquisition de terres dans le cas du secteur public, l’accès au capital dans celui du secteur privé). La situation qui en résulte ne produit que des avantages, se traduit par des investissements viables sur le plan financier, et forge un lien étroit entre les réseaux ferrés et les projets immobiliers voisins qui attirent des locataires, des investisseurs, et des usagers des réseaux de transport en commun. Les compagnies ferroviaires privées du Grand Tokyo ont de tout temps pratiqué la récupération des plus-values sur une échelle encore plus large, construisant d’immenses villes nouvelles tout au long des couloirs desservis par les chemins de fer et dégageant des bénéfices des débouchés créés par ces investissements en termes de construction, de commerces de détail et de services aux ménages. Dans la RAS de Hong Kong comme à Tokyo, le développement du rail et les projets immobiliers ont créé un cycle vertueux d’exploitation ferroviaire viable et d’urbanisation fortement axée sur les transports publics. Dans ces deux villes, c’est l’adaptation et l’évolution institutionnelles qui ont permis d’exploiter les plus-values apportées par les transports en commun. Dans la RAS de Hong Kong, les responsables des réseaux de transport en commun ont pris conscience, à la longue, de l’importance de l’urbanisme, de la circulation piétonnière et des aménagements publics, éléments qui jouent tous un rôle crucial dans les villes denses fortement peuplées. Ils ont également élaboré des projets financièrement rentables conjuguant aménagement ferroviaire et immobilier (graphique O.1). Le nouveau rôle de carrefour international de la ville, conjugué à sa mutation économique, caractérisée par une évolution de l’industrie traditionnelle vers une économie de services, a ouvert aux opérations d’aménagement ferroviaire et immobilier de nouvelles possibilités de configurer la croissance et de répondre aux nouvelles demandes du marché. Il faut reconnaître aux responsables du réseau métropolitain le mérite d’avoir pris consciemment la décision d’exécuter des projets mixtes, ferroviaires et immobiliers, de premier ordre sur des sites vierges situés sur le chemin du nouvel aéroport international, ainsi que sur des friches industrielles desservies par un prolongement des lignes du centre-ville. Cet investissement s’est avéré fructueux  : les projets d’aménagement ferroviaire et immobilier de dernière génération qui s’insèrent, sur le plan fonctionnel et architectural, dans les communautés environnantes ont obtenu des résultats nettement supérieurs à ceux des projets antérieurs en termes d’accroissement de la fréquentation des transports et d’augmentation des rendements immobiliers. Le cas de Tokyo et, dans une moindre mesure, ceux de Séoul et de Stockholm, montrent également l’importance de l’adaptation au marché. À Tokyo, le marasme du marché immobilier, le ralentissement de la croissance économique et l’évolution de la structure démographique ont incité les compagnies ferroviaires privées, nouvelles et anciennes, à rechercher de nouveaux débouchés, notamment des projets de construction de logements sur les terrains interstitiels et des projets d’aménagement polyvalent autour des grands terminaux ferroviaires du centre-ville. Ceux-ci s’inscrivent dans le prolongement des villes précédemment construites par les compagnies privées. Pour attirer les professions libérales et une population active plus jeune, les urbanistes Synthèse   7 Graphique O.1  Le projet de logements résidentiels de Maritime Square conçu par le réseau métropolitain de la RAS de Hong Kong (Chine) Tour résidentielle Jardin surélevé Immeubles 5e étage résidentiels (parking d’accès aux transports en commun de grande hauteur et parking résidentiel) 4e étage (parking résidentiel) 3e étage (quais de la ligne express à destination de l’aéroport et de la ligne de Tung Chung, centre commercial) 2e étage (quais de la ligne express à destination de l’aéroport Gare Centre Pôle de correspondance et de la ligne de Tung Chung, centre commercial) commercial des transports collectifs 1er étage Bâtiments (hall d’accès, centre de la gare commercial et pôle de Commerces correspondance des Ensembles transports collectifs) résidentiels Rez-de-chaussée Équipements (déchargement, centre récréatifs commercial, pôle de correspondance des transports collectifs et parking) Source : avec l’aimable autorisation de MTR Corporation Ltd. Note : Situé au-dessus de la gare de Tsing Yi, entre le centre-ville et le nouvel aéroport international, Maritime Square assure l’intégration hiérarchisée de plusieurs fonctions : un centre commercial se déploie du rez-de-chaussée au troisième niveau ; le hall de la gare se situe au premier étage, les fonctions auxiliaires/logistiques (correspondance avec les autobus/transports publics et parking) au même étage ou à l’étage inférieur, les lignes et les quais à l’étage supérieur ; les cinquième et sixième étages sont occupés par des parkings résidentiels, recouverts d’un jardin surélevé, le tout étant surplombé de tours résidentielles de luxe. privilégient aujourd’hui la création d’espaces urbains de qualité dans le périmètre et aux environs des projets d’aménagement conjoint. L’élasticité de conception et de planification des « villes nouvelles/nouveaux centres-villes » est également la marque distinctive de la renaissance urbaine récente de Séoul et de Stockholm. Le bon fonctionnement des mécanismes de récupération des plus-values repose dans une large mesure sur un environnement institutionnel porteur. À Washington, une société unique de transports—la Washington Metropolitan Area Transit Authority (WMATA)—a été constituée et pourvue des moyens nécessaires à la mise en œuvre du projet de TOD. La création en son sein d’un service responsable des projets immobiliers en amont, dont le personnel est composé de spécialistes issus du secteur privé censés conférer une approche plus entrepreneuriale à l’aménagement foncier, en a été un élément déterminant. Une autre réforme institutionnelle de première importance est la mise en place d’un service de planification et d’aménagement urbains pour garantir la qualité et l’intégration architecturale des projets d’aménagement communs, comme le montre le cas de la RAS de Hong Kong (Chine). 8   Transformation des villes grâce aux transports en commun Leçons tirées d’études de cas dans les pays en développement Confrontées à une aggravation perpétuelle des encombrements de la circulation et à la dégradation des conditions environnementales, de nombreuses villes des pays en développement se sont tournées vers les réseaux de transport en commun pour tenter de renverser cette tendance. Les partisans de cette politique espèrent que les investissements dans les transports publics permettront également de mettre fin aux modèles d’urbanisme tributaires de l’automobile. Les études de cas montrent que la politique de transport des pays en développement a été essentiellement guidée par l’objectif quasiment unique d’améliorer la mobilité (autrement dit la facilité et la rapidité de déplacement dans les agglomérations). Mues par la nécessité d’obtenir des résultats durant le mandat des responsables municipaux, les administrations et les sociétés de transport municipales se fixent souvent des objectifs étroits, à courte échéance—la résorption rapide des embouteillages par exemple. De ce fait, l’objectif à long terme de favoriser des modèles d’urbanisme durables est souvent perdu de vue. Cet état d’esprit se reflète dans l’absence de stratégies et de réglementations visant à densifier le tissu urbain au long des couloirs de transport et à créer des espaces urbains de qualité. Des stratégies et réglementations de cette nature peuvent jouer un rôle fondamental à l’appui du développement des transports publics et non motorisés, et réduire ainsi les déplacements en voiture particulière. Le cas de deux villes—Ahmedabad, en Inde, et Bogotá, en Colombie—a été analysé pour examiner les possibilités et les difficultés associées au développement intégré des transports et de l’aménagement urbain. Un examen minutieux de leurs projets de réseaux de bus à haut niveau de service (BHNS) et de leur évolution urbanistique a recensé huit obstacles majeurs à l’intégration des transports et de l’utilisation des sols : • le manque de coordination régionale à l’échelle métropolitaine ; • les pratiques et les comportements sectoriels cloisonnés à l’échelon municipal ; • l’inadaptation des politiques et des réglementations à la création stratégique de «  densités articulées  » (des densités stratégiquement réparties sur l’ensemble de l’aire métropolitaine) ; • des réglementations nationales et des contraintes administratives restrictives ; • le manque de cohérence des instruments de planification et les failles au niveau de leur mise en application ; • l’insuffisance des politiques, règlements et mécanismes de soutien pour le réaménagement des zones construites, notamment les friches industrielles ou les quartiers défavorisés et délabrés ; • le laisser-aller urbanistique à l’échelon des quartiers et de la rue ; • les contraintes financières. Bien que leurs réseaux BHNS aient globalement amélioré la mobilité, ces deux villes n’ont pas encore pleinement exploité les bénéfices potentiels de l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire. Dans les deux cas, on dispose de données chiffrées limitées quant aux retombées de cette intégration sur l’utilisation des sols, les premières lignes des réseaux BHNS ayant été construites essentiellement pour satisfaire à la demande de mobilité existante dans les zones bâties. Depuis lors, les nouvelles possibilités d’aménagement ont suscité l’intérêt des marchés, notamment le long des couloirs proches des sites économiquement stratégiques, comme les grands projets immobiliers le long du fleuve ou dans les quartiers situés à proximité des aéroports internationaux. Synthèse   9 Manque de coordination régionale à l’échelle métropolitaine À l’échelon de la métropole, les autorités doivent étroitement coordonner les plans d’occupation des sols, les investissements dans l’infrastructure et les services urbains. La gestion d’une région métropolitaine est une mission extrêmement complexe parce qu’elle associe divers organismes publics intervenant à de multiples échelons administratifs. Dans le cadre de la décentralisation, les autorités nationales délèguent une partie de leurs pouvoirs de décision et de leurs fonctions budgétaires aux administrations de niveau inférieur. Or, ce transfert risque dans certains cas d’isoler les municipalités et de compliquer la collaboration régionale, à moins que des mécanismes de coordination réglementaire et institutionnelle adaptés ne soient prévus. La concurrence politique et économique entre les municipalités fait souvent obstacle à la coordination de la planification, de l’investissement et de la prestation de services entre les différentes administrations, une difficulté à laquelle Bogotá et les municipalités avoisinantes sont actuellement confrontées. L’articulation entre le BHNS municipal (le TransMilenio) et les autres services d’autobus régionaux, par exemple, n’est pas bonne, ce qui fait que la migration pendulaire de bon nombre de personnes défavorisées qui travaillent à Bogotá mais vivent dans les municipalités voisines est difficile. Ce problème tient à ce que l’autorité responsable du service TransMilenio ne s’insère pas dans le contexte régional dans lequel la planification et l’élaboration des politiques concernant le département régional Bogotá-Cundinamarca (auquel appartient Bogotá) interviennent. Conscient de ces failles institutionnelles, le gouvernement national a promulgué en 2011 la loi organique d’aménagement du territoire (Ley Orgánica do Ordemamiento Territorial [LOOT]) pour favoriser la coordination régionale. Il est encore trop tôt pour en évaluer l’efficacité. Pratiques et comportements sectoriels cloisonnés à l’échelon municipal À l’échelon municipal, les administrations et organismes ont des missions, des objectifs, des budgets, des méthodes de gestion et des structures de gouvernance divers, et le profil de leur personnel varie, ce qui constitue souvent un obstacle à la mise en place du type de coordination intersectorielle et interinstitutionnelle nécessaire à l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire. Les agents des services de transport sont souvent peu compétents en matière d’urbanisme, et les urbanistes en matière de transports ; l’intégration et la mise en œuvre harmonieuses de ces deux éléments est donc difficile. Les premiers ont une capacité limitée (et, souvent, un intérêt tout aussi restreint) à prendre des mesures anticipatives en vue d’intégrer les transports et l’utilisation des sols. Les agents des deux services sont assujettis à des contraintes administratives et budgétaires distinctes, et sont peu enclins à engager une coordination intersectorielle incertaine. Le Secrétariat à la mobilité et TransMilenio S.A. n’ont guère coordonné leur action avec les autres secrétariats municipaux compétents, notamment celui de l’urbanisme, pour aménager le réseau BHNS. Il y a par exemple peu de nouveaux aménagements urbains à proximité de ses arrêts ou de ses couloirs, à l’exception de quelques projets de complexes commerciaux près des terminaux et dans le corridor de l’aéroport. La rareté des projets immobiliers à proximité des arrêts du TransMilenio tient peut-être à ce que, dans ces zones, le coefficient d’occupation du sol (COS) (qui est resté faible, à savoir inférieur à 2, sauf dans le quartier central des affaires et quelques autres quartiers) n’a pas encore été ajusté, alors même que la valeur des terrains situés à proximité des arrêts et des couloirs du réseau BHNS a augmenté. En outre, les arrêts du BHNS, de par leur conception, ne s’intègrent pas bien au tissu urbain ou aux quartiers et rues avoisinants. 10   Transformation des villes grâce aux transports en commun L’inadaptation des politiques et des réglementations à l’articulation stratégique des « densités urbaines » La plupart des grandes villes, en Asie et dans la majorité des pays en développement, affichent des densités démographiques moyennes supérieures à celles de pays dotés d’un vaste territoire que sont l’Australie, le Canada et les États-Unis. Ahmedabad (18 430 habitants par km2, d’après le recensement de 2001) et Bogotá (21 276 habitants par km2 en 2010, d’après le Secrétariat à la planification de la ville de Bogotá) comptent parmi les villes les plus densément peuplées au monde. Pour diverses raisons, les responsables politiques, les urbanistes et les résidents de la plupart des villes à forte densité démographique des pays en développement préfèrent une « déconcentration » et un étalement urbanistiques vers des zones nouvelles à une densification des zones déjà construites. Selon une opinion largement répandue, les villes des pays en développement ne peuvent supporter davantage de croissance ou de densification dans les zones bâties. De fait, les autorités municipales considèrent généralement que la croissance démographique et la « capacité de charge » limitée de la ville sont les causes essentielles du décalage chronique entre la demande et l’offre de services urbains ou de leur mauvaise qualité. Elles privilégient généralement l’urbanisation de sites vierges périphériques plutôt que le réaménagement du centre-ville, car la périurbanisation est plus rapide et son coût initial est moins élevé (Burchell et al. 2002). Si l’expansion de l’espace urbain des villes en pleine croissance des pays en développement est dans une certaine mesure inévitable, ces arguments amènent à penser que le développement en périphérie est le seul moyen d’y faire face. C’est faire peu de cas des coûts de cycle de vie importants associés à l’expansion du réseau d’infrastructures (canalisations d’eau et réseaux d’assainissement par exemple), à son exploitation, à son entretien, et du renoncement aux coûts d’opportunité élevés associés au développement de l’utilisation de l’espace urbain. S’il est logique que la densification urbaine appelle des investissements plus élevés dans l’infrastructure, l’idée selon laquelle elle entraîne une dégradation de la prestation des services urbains ne se vérifie pas forcément. Par exemple, Séoul (16 589 habitants par km2 en 2009, selon le Département des affaires économiques et sociales de l’Organisation des Nations Unies [DAESNU]) et Singapour (7 025 habitants/km2 [d’après le DAESNU]) offrent des services urbains efficaces et de premier ordre tout en préservant de bonnes conditions environnementales. Cette opinion négative étant largement répandue, les responsables politiques et les urbanistes des pays en développement sont souvent réticents à autoriser un relèvement du coefficient d’occupation des sols en vue d’accroître la densité urbaine (encadré O.2). Ils tendent également à appliquer une fourchette de coefficients uniforme ou trop étroite à tous les quartiers de la ville, sans capitaliser sur les avantages que présentent certains sites, comme la proximité des arrêts et des couloirs de transport. Contrôler la densité sans prendre en considération la valeur économique des terrains empêche les villes de gérer efficacement l’utilisation des sols. À Ahmedabad, par exemple, le COS des zones urbaines demeure faible (1,80-2,25) dans l’ensemble de l’aire urbaine. À Bogotá, à l’exception du quartier central des affaires et de plusieurs zones périphériques où le COS n’est pas limité, celui-ci se situe entre 0 et 1 ou entre 1,1 et 2, y compris à proximité des arrêts et des couloirs du réseau BHNS. Synthèse   11 Encadré O.2  Densité articulée ou densité moyenne L’élément primordial pour l’intégration des transports et de l’utilisation des sols n’est pas la densité démographique moyenne, mais les « densités articulées »—des densités stratégiquement réparties sur l’ensemble de l’aire métropolitaine. La configuration représentée au diagramme C du graphique BO.2.1 est plus adaptée au transport en commun que celle présentée au diagramme A, même si les deux affichent la même densité démographique moyenne. Graphique BO.2.1  Importance de la densité articulée pour les transports en commun a. Densités dispersées b. Densités concentrées c. Densités très concentrées 200 m ▼ ▼ ▼ 0 m 20 ▼ Source : Repris de OCDE 2012. Note : La ligne rouge représente une ligne de transports en commun. La ville de Curitiba, au Brésil, a créé des densités articulées tout au long des couloirs du réseau BHNS (graphique BO.2.2a), ce que Bogotá (Colombie) n’a pas fait le long des couloirs du Transmilenio (graphique BO.2.2b). À Bogotá, le COS demeure faible (0 2), sauf dans le quartier central des affaires et quelques autres quartiers. Graphique BO.2.2 Développement spatial axé sur les transports à Curitiba et Bogotá a. Curitiba (Brésil) b. Bogotá (Colombie) Source : IPPUC 2009. Note : à Curitiba, les bâtiments, représentés en orange et Grandes lignes du TransMilenio en jaune vifs, sont stratégiquement construits le long des corridors du réseau BHNS dans le cadre d’une planification Périmètre urbain urbaine de qualité. La forme urbaine actuelle a été établie COS par îlot dans une perspective de long terme ; un concept de TOD a été 0–1 présenté pour la première fois dans le plan directeur de 1965. 1–2 Aujourd’hui, on y observe un niveau inférieur d’émissions de Supérieur à 2 gaz à effet de serre, une diminution des encombrements, et Bogotá des espaces urbains plus vivables que dans d’autres villes brésiliennes similaires. Les lignes rouges, vertes, et orange marquent les limites de la ville. Source : Banque mondiale. 12   Transformation des villes grâce aux transports en commun Dans les villes axées sur les transports en commun analysées au chapitre 2, ces coefficients sont beaucoup plus variables. À l’intérieur du seul quartier central des affaires, ils s’établissent dans une fourchette comprise entre 12 et 25 à Singapour, 8 et 10 à Séoul, 1 et 20 à Tokyo, et 1 et 12 dans la RAS de Hong Kong (Chine). Chacune de ces villes a établi des fourchettes de densités variant selon les zones, en fonction de leurs caractéristiques sociales et économiques. En général, toutes autorisent une forte densité de construction aux alentours des lignes et des arrêts de transport public. Réglementations nationales restrictives et contraintes administratives Outre le COS, certaines réglementations nationales et locales et des déficiences administratives nuisent au bon fonctionnement des marchés fonciers, ce qui se traduit par une offre insuffisante ou excédentaire de terrains, un aménagement spatial non contigu et une évolution lente des modes d’occupation des sols en réponse aux valeurs créées par l’infrastructure de transport. Ces réglementations sont des obstacles majeurs à un aménagement du territoire axé sur les transports publics. En Inde, de nombreuses règlementations nationales empêchent les marchés de réagir de manière rationnelle et limitent ainsi substantiellement l’aptitude des instruments de planification urbaine à réorienter les opérations immobilières en fonction d’un projet territorial de long terme. À titre d’exemple, la loi sur le plafonnement de la propriété foncière urbaine (Urban Land Ceiling Act – ULCA) de 1976 a interdit aux promoteurs ou aux particuliers de détenir de grandes parcelles, et ainsi freiné le réaménagement des terrains inoccupés suite à la fermeture des usines textiles jusqu’à son abolition en 1999. Un droit de timbre élevé sur les ventes foncières, la réglementation sur la taille minimale des terrains, et le contrôle des loyers sont d’autres exemples de réglementations qui font obstacle à des opérations et aménagements immobiliers reposant sur le jeu du marché. En Colombie, les réglementations nationales ou locales restrictives qui gênent le bon fonctionnement du marché immobilier sont moins nombreuses. Les problèmes y tiennent davantage aux défauts du processus de planification et de sa mise en œuvre qu’aux contraintes réglementaires. À Bogotá, les disparités entre le plan d’aménagement du territoire et les plans d’urbanisation font que de quatre à cinq ans sont généralement nécessaires pour obtenir un permis de construction ou l’autorisation de remembrement des terrains (Samad, Lozano- Gracia, et Panman, 2012). C’est pourquoi les promoteurs éprouvent des difficultés à lancer des projets de réaménagement urbain, notamment des projets de réhabilitation urbaine à usages mixtes de grande envergure qui passent par le remembrement de plusieurs parcelles. Étant donné ces défauts du processus d’administration et de planification, il est difficile pour le secteur privé de tirer profit des nouvelles possibilités d’aménagement dérivant de l’augmentation de la valeur économique des terrains situés à proximité des arrêts et des corridors du réseau BHNS. Insuffisance des politiques, règlements et mécanismes de soutien pour le réaménagement des zones construites Dans les villes des pays en développement, l’essentiel de l’investissement dans les transports publics intervient d’abord dans les zones urbanisées (comme le montre le cas des quatre villes examinées ici), parce qu’il s’agit en priorité de répondre à la demande insatisfaite de mobilité et de diminuer les encombrements. Le réaménagement de ces zones suite aux nouvelles possibilités offertes par Synthèse   13 les transports publics est plus délicat et complexe que l’aménagement de sites vierges dans le cadre d’un projet TOD. Le réaménagement des zones bâties est une entreprise difficile pour deux raisons. D’abord, les terrains dans l’emprise du projet TOD appartiennent en majorité à des entreprises ou à des ménages privés ; les pouvoirs publics n’exercent guère de contrôle sur ces terres. En revanche, ils ont leur mot à dire sur la construction du réseau de transport, une fois le droit de passage et les financements nécessaires obtenus. Deuxièmement, comme son nom l’indique, le réaménagement des zones « bâties », qu’il s’agisse de propriétés publiques ou privées, implique la démolition d’actifs physiques, comme l’infrastructure et le stock de logements, et leur reconstruction, ce qui a des conséquences à la fois économiques et sociales dans la mesure où le réaménagement suppose des coûts substantiels et des dispositifs de réinstallation. Laisser-aller urbanistique à l’échelon des quartiers et de la rue Les transports publics déterminent la configuration du développement urbain, et les modes d’utilisation des sols influencent la demande de déplacements. Les variables relatives à cette utilisation tiennent compte des facteurs du report modal (comme le temps et le coût de déplacement depuis le point d’origine jusqu’au point de destination) mais aussi des caractéristiques des points d’origine et de destination eux-mêmes (comme la densité et le degré de mixité de l’utilisation des sols). La densité n’est pas le seul élément déterminant de l’utilisation des sols et des environnements bâtis. D’autres aspects—notamment l’articulation méthodique des divers usages des sols, la sécurité et la facilité d’accès aux arrêts de transport public (chemins piétonniers, pistes cyclables et éclairage urbain par exemple), et diverses commodités (bancs, parcs, agréments paysagers et bibliothèques) —contribuent à l’aménagement d’un environnement bâti agréable. À Bogotá, certains arrêts du réseau BHNS sont situés au beau milieu d’autoroutes de six à huit voies, contraignant les passagers à traverser de longues passerelles surélevées en acier. La ville n’a pas été en mesure d’améliorer la qualité des lieux publics le long des couloirs du BHNS parce que le plan de réaménagement des quartiers n’a pas encore été exécuté. Une longue enfilade de murs nus occupe l’espace entre les couloirs du BHNS. L’absence d’éléments d’aménagement urbain créé un hiatus entre le réseau de transport public et les quartiers environnants. Ce manque d’intégration ne favorise pas une reconfiguration de la ville le long des lignes du réseau BHNS qui soit propre à stimuler l’activité économique et l’animation urbaine. Contraintes financières Le colossal investissement initial nécessaire à la mise en place d’un réseau de transport public est l’un des obstacles majeurs à l’intégration des transports en commun et de l’aménagement du territoire. Ce problème est particulièrement difficile à surmonter, car la croissance sans précédent des villes a mis à rude épreuve la capacité des autorités locales à financer les investissements dans l’infrastructure et les services urbains. Au stade opérationnel, les villes doivent parfois apporter des subventions, soit pour combler les déficits d’exploitation, soit pour fournir des bons de transport aux passagers de condition modeste. Le manque de moyens financiers oblige aussi parfois les entreprises de transport à définir les itinéraires en fonction du coût d’achat des droits de passage plutôt que du potentiel de développement à long terme des zones desservies. Dans ces cas, la conception du réseau est essentiellement déterminée par la volonté de maintenir au minimum 14   Transformation des villes grâce aux transports en commun les coûts de construction, par exemple en installant les arrêts au milieu des voies de circulation, ce qui limite le nombre de saisies et de discontinuités foncières coûteuses. Les sociétés renoncent ainsi aux possibilités d’optimiser l’aménagement. Ahmedabad et Bogotá sont toutes deux conscientes des avantages que présente l’intégration du réseau BHNS ou des réseaux de métro prévus et de l’aménagement urbain. D’immenses possibilités s’offrent à elles, en faisant fond de leur expérience, de dégager des recettes substantielles de la récupération des plus-values. Les deux villes reconnaissent que l’amélioration de la qualité de l’accès piétonnier et des espaces urbains à proximité des arrêts de transport sera un élément déterminant pour le lancement des futures phases du TOD. Fidèle au concept Eco2 (villes écologiques et villes économiques) de la Banque mondiale qui préconise l’intégration intersectorielle à l’appui d’un aménagement urbain durable, cette méthode de planification d’un espace urbain intégré favorisera la création de villes plus propres, plus vivables et plus solidaires, mais aussi de villes plus prospères et compétitives sur le plan économique. Vers l’intégration des transports publics et de l’aménagement du territoire L’étude des villes qui ont résolument investi dans des réseaux de transport collectif mettent en évidence les contextes et problèmes particuliers de l’intégration. Globalement, il ressort de ces expériences que les recommandations pratiques et les mesures d’exécution méritent un examen approfondi à différents stades du processus stratégique de décision et de planification. Vision stratégique et cadre institutionnel et réglementaire favorisant sa réalisation 1. Élaboration de plans stratégiques. Une vision stratégique est indispensable pour réussir l’intégration des transports collectifs et de l’aménagement urbain. Le transport public est un moyen de concevoir des modèles souhaitables de croissance urbaine, et non l’inverse. Il s’agit, littéralement et figurativement, d’un instrument qui permet d’établir un lien entre les individus et les lieux, et concourt ainsi à créer des villes et des quartiers dans lesquels les gens ont envie de vivre, de travailler, de se divertir, de s’éduquer et de communiquer. Les villes doivent exprimer leur vision de l’avenir dans les modules consacrés à l’utilisation des sols et aux infrastructures d’un plan directeur officiel ; celui-ci doit tenir compte de la logique du marché, favoriser l’insertion sociale et être ancré dans la réalité budgétaire. 2.  Instaurer un climat institutionnel et administratif porteur. Pour être efficace, l’intégration appelle une structure de gouvernance régionale solide qui favorise la coopération intermunicipale, renforce la transparence de manière à limiter les retombées négatives entre les différentes sphères de compétences, et fournit un cadre territorial à la coordination de la croissance à l’intérieur des bassins d’emploi et de migration pendulaire d’une région. Les institutions régionales doivent être dotées d’un pouvoir de surveillance réglementaire et des capacités de financement indispensables aux investissements requis pour l’intégration. À l’échelon municipal, l’administration doit disposer de la capacité et du soutien politique nécessaires pour venir à bout de l’inertie d’organismes unisectoriels cloisonnés et prisonniers d’une vision étroite du monde. L’établissement d’une organisation fédératrice qui absorbe les différents organismes permet rarement de résoudre ce problème. L’administration doit plutôt s’efforcer Synthèse   15 d’établir un  consensus sur les questions critiques et urgentes qui appellent une coordination institutionnelle et de mobiliser la participation des principaux intervenants au processus. Elle doit également adapter les politiques afférentes au budget et aux ressources humaines aux objectifs de la coopération intersectorielle. Selon Walker (2012) : Les aménageurs ébauchent un croquis de la structure urbaine à long terme, lequel est affiché dans le bureau du responsable de la planification des transports de manière à guider la réflexion quotidienne et la programmation à long terme. Ce dernier établit un croquis similaire d’un réseau de transport à long terme, lequel est affiché sur le mur du bureau du responsable de l’aménagement. Ainsi, lorsque des projets sont approuvés, le responsable des projets à court terme peut vérifier si le site retenu convient ou ne convient pas au transport et décider des aménagements en conséquence. Entre-temps, les urbanistes responsables des projets à long terme dégagent de l’examen de la carte des transports de nouvelles idées quant à la façon de construire les communautés autour de la ligne et des arrêts projetés (graphique O.2). 3.  Supprimer les réglementations restrictives et fixer des prix fonciers appropriés. Certaines réglementations nationales et locales faussent les prix, nuisant ainsi au bon fonctionnement des marchés fonciers, ce qui se traduit par une offre insuffisante ou excédentaire de terrains et un développement spatial non contigu. Des réglementations telles que la loi indienne sur le plafonnement de la propriété foncière urbaine (ULCA) empêchent également les infrastructures de transport de modifier les schémas d’occupation des sols. Ces obstacles réglementaires à l’intégration des transports et de l’aménagement territorial doivent être supprimés pour assurer le fonctionnement rationnel du marché foncier. Il importe également que les autorités nationales contribuent à assurer l’équilibre entre les véhicules privés et les transports publics en supprimant diverses incitations à l’utilisation de l’automobile (subventions aux prix des carburants, tarifs modérés de stationnement et de péage). 4. Viser des objectifs de court terme en matière de mobilité, et de long terme en matière de pérennité des formes urbaines. Les villes doivent s’efforcer de réaliser à la fois des objectifs d’amélioration de la mobilité à court terme et de développement durable à longue échéance. Les meilleures pratiques mondiales montrent que l’investissement dans l’infrastructure routière et de transport pour améliorer la mobilité à court terme finit par entraîner des déplacements plus nombreux sur de plus longues distances—un phénomène dénommé « trafic induit ». Le seul développement de l’offre n’apporte en général qu’une réduction éphémère de la congestion. L’aménagement spatial intégré, s’il est réussi, peut apporter un allègement immédiat de la congestion et des avantages à plus longue échéance sur le plan des formes urbaines. Cette réussite n’est cependant pas automatique ; elle appelle une forte impulsion au plus haut niveau et des efforts et un soutien institutionnel. Méthode de planification à l’échelon municipal 5.  Créer des densités articulées. Pour dire les choses simplement, les transports publics ont besoin de passagers à transporter. Les villes doivent accroître les densités le long des corridors desservis par les transports en commun de manière à assurer une masse critique de points d’origine et de destination, ce qui augmentera le nombre d’usagers et, partant, la rentabilité. C’est la façon dont les densités sont organisées par rapport aux services de transport collectifs qui importe, et non les densités moyennes. 16   Transformation des villes grâce aux transports en commun Graphique O.2  Un dialogue fructueux entre les responsables des transports publics et de l’aménagement du territoire Aménagement du territoire Planification des transports Voici un projet d’aménagement du Merci. Voici le schéma d’un réseau territoire qui donne une idée de ce de transport collectif, comportant que seront la population, l’emploi à la fois les lignes express et locales, et d’autres éléments fondamentaux qui desservira ce projet territorial. d’une structure urbaine dans 20 ans. Merci. Voici un plan d’aménagement Vous remarquerez que ce réseau, révisé en fonction de vos observations établi à partir de votre plan qui exploiterait mieux le réseau de d’aménagement du territoire, offre transport projeté, en intensifiant par certaines possibilités d’utilisation exemple les densités à proximité des des sols, et mentionne également arrêts et en déplaçant les activités des inefficacités qu’il vous serait associées à une faible demande de possible de supprimer en modifiant transport vers les parties les plus cette utilisation. Voici également une éloignées. Voici comment vos besoins liste des besoins, comme le droit de en matière de droits de passage, passage et les arrêts, qu’il convient d’arrêts, etc. peuvent s’intégrer au de satisfaire et qui pourrait vous projet d’aménagement territorial. donner de nouvelles idées en matière d’utilisation des sols. Merci. Voici un plan révisé du réseau Par ailleurs, deux années s’étant de transport qui tient compte des écoulées, nous vous remettons un modifications que vous avez apportées plan actualisé et prolongé de manière à l’aménagement du territoire et s’étend à couvrir les 20 prochaines années. lui aussi sur les prochaines années. Ce dialogue se poursuit en Veuillez prendre note des nouvelles permanence de manière à ce que le possibilités qu’offre notre réseau, plan couvre constamment les deux et des nouveaux problèmes et besoins décennies suivantes. qui lui sont associés. Source : Walker 2012 ; reproduction autorisée par Island Press, Washington. Note : Des échanges similaires ont lieu entre les services d’aménagement territorial et de la voirie, ou entre les services de la voirie et des transports, etc., pour d’autres infrastructures ou objectifs gouvernementaux. 6. Associer l’augmentation des densités à différentes utilisations des terres et à des aménagements piétonniers. En soi, la densification ne suffit pas à favoriser un aménagement urbain durable. L’expérience montre que pour assurer des formes urbaines et des modes de déplacement pérennes, elle doit s’accompagner d’une utilisation diversifiée des sols, de lieux publics de Synthèse   17 qualité et d’aménagements piétonniers. Ces interventions physiques peuvent écourter les déplacements, faciliter la mobilité non motorisée, circonscrire les déplacements aux zones du projet TOD, et accroître le recours aux transports en commun. 7. Créer un environnement favorable au TOD. Les investissements dans le transport urbain destinés à améliorer l’accessibilité suffisent rarement à provoquer des modifications substantielles de l’utilisation des sols. Plusieurs facteurs doivent être en place pour que de tels changements interviennent suite à l’entrée en service de nouveaux arrêts de transport (graphique O.3) : • l’existence d’autres projets fonciers à proximité, favorisés peut-être par les projets publics de rénovation urbaine ou par des promoteurs privés désireux d’exploiter les possibilités offertes par le marché ; • la présence de terrains aménageables ; • l’existence d’une forte demande régionale d’expansion ; • des politiques et des mesures publiques de soutien, notamment des incitations fiscales, des investissements dans l’infrastructure, et la mobilisation des communautés dans le cadre de la planification participative. 8. Exploiter les instruments d’exécution. Il existe de nombreux instruments réglementaires et fondés sur des incitations qui visent à favoriser l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire. On citera notamment les suivants : • l’établissement d’un service de la restructuration urbaine chargé de la reconversion des friches industrielles et des quartiers urbains défavorisés, habilité à prendre en charge les coûts d’aménagement foncier au travers de mécanismes, tels que le financement par de nouvelles taxes et l’assistance aux regroupements parcellaires et à l’acquisition de terrains en vertu du pouvoir d’expropriation de l’État ; • les programmes de regroupement et de réaffectation des terres pour réunir les parcelles et financer des améliorations à l’infrastructure locale autour des principales gares de transport ; • des instruments associés au processus, comme la simplification des procédures d’examen d’aménagement et l’accélération de la délivrance des autorisations de projets ; • des directives relatives au TOD et à l’aménagement des sites et des rues qui illustrent en quoi le TOD peut favoriser une organisation efficace de l’utilisation des sols et augmenter le nombre d’usagers des transports publics. L’utilisation de ces instruments par les autorités locales est souvent assujettie à l’adoption d’une loi habilitante aux échelons supérieurs de l’administration. 9. Rationaliser les investissements dans les grandes lignes de transport et les réseaux de rabattement. Pour que le TOD ait des retombées bénéfiques substantielles en termes d’accessibilité, il faut assurer des services de transport de qualité, à savoir des services compétitifs, en termes de temps, par rapport à l’automobile privée et qui, en outre, ne sont pas saturés, sont raisonnablement ponctuels et fournissent des services de rabattement extrêmement performants. D’après ce que l’on a pu observer au plan mondial, il convient de prévoir pour les piétons des voies d’accès bien intégrées, sans discontinuité, entre les 18   Transformation des villes grâce aux transports en commun Graphique O.3  Conditions préalables à l’intégration réussie des transports et de l’aménagement du territoire Coût des terrains et préparation Public du site – Rénovation urbaine Facilité de – Transports regroupement excédentaires des terrains privés (amendement Young) Capacité des ASPECTS infrastructures PHYSIQUES EXISTENCE DE TERRAINS AMÉNAGEABLES – Accès – Quartiers Aménagements sinistrés publics – Usages compatibles des sols Social Rénovation – Criminalité urbaine AUTRES INVESTISSEMENTS – Caractère DANS DES TERRAINS social AVOISINANTS Projets privés INTÉRET DU SITE EN TERMES D’AMÉNAGEMENT ENGAGEMENT À PROCÉDER À DES DÉCISIONS AMÉLIORATIONS MISE EN ŒUVRE RETOMBÉES D’AMÉNAGEMENT SPÉCIFIQUES DES AMÉLIORATIONS AMÉLIORATION EN TERMES DE L’ACCESSIBILITÉ DE TRANSPORT DEMANDE RÉGIONALE Réactions des habitants DE NOUVEAUX des quartiers concernés POLITIQUES LOCALES AMÉNAGEMENTS EN MATIÈRE D’UTILISATION Économie Incitations au zonage DES SOLS nationale et à l’aménagement Économie AUTRES Fiscalité régionale Objectifs de l’ensemble de la communauté MESURES et autres Croissance PUBLIQUES évaluations – Aspects sociaux – Plan et financements Dispositions – Priorités en matière Conformité avec d’autres d’infrastructures programmes publics – Programmes environnementaux – Examen des retombées – Égalité des chances Source : Knight et Trygg, 1977. quartiers avoisinants et les arrêts ; les « voies d’accès vertes », qui assurent des liaisons par pistes cyclables et voies pédestres perpendiculaires, revêtent ici une importance particulière. Synthèse   19 Promotion et mise en œuvre d’un développement axé sur les transports en commun 10. Créer des typologies TOD. Les villes des pays en développement doivent définir une typologie de l’environnement des arrêts de transport et des projets TOD qui sera fondée sur des évaluations réalistes du marché et des plans descriptifs. Un portefeuille diversifié de plans et de tracés rendra mieux compte des réalités du marché et des facteurs réglementaires—pour répondre aux préférences nouvelles des consommateurs et garantir la disponibilité de terrains utilisables par exemple—qu’un modèle standardisé unique. 11.  Créer des prototypes TOD. Les villes qui n’ont guère d’expérience du TOD, ni même de l’intégration des transports et de l’utilisation des sols, doivent faire appel à des prototypes pour sonder le terrain tant sur le plan commercial que politique. Chaque ville présente un contexte unique pour la création de ces prototypes. 12.  Associer le TOD avec la gestion de la demande de transport. Les équipements TOD—l’aménagement physique qui favorise l’usage des transports en commun et l’accès non motorisé—ont besoin de logiciels d’appui. Lorsqu’elles sont adoptées en même temps que le projet TOD, les mesures de gestion de la demande de transport (la tarification de la congestion et la réglementation du stationnement par exemple) peuvent apporter des synergies, comme l’augmentation de la fréquentation des transports en commun, qui dérivent de l’association d’incitations à l’utilisation des transports publics et de mesures dissuasives visant à décourager l’usage de la voiture. 13. Intégrer le développement social au TOD (créer des villes solidaires). Le TOD ne doit pas simplement consister à créer des espaces urbains économiquement efficients et respectueux de l’environnement. Il doit contribuer à la résolution des problèmes les plus graves auxquels sont confrontés de nombreuses villes dans les pays en développement : une pauvreté urbaine dévastatrice et un dénuement criant. Généralement, la réaction des marchés fonciers se traduit par une augmentation des prix des terrains situés autour des arrêts de transport, ce qui a souvent pour effet de déplacer les ménages de condition modeste. Dans la mesure du possible, les autorités municipales doivent mettre en place des politiques dynamiques de logement abordable et d’incitations aux promoteurs pour assurer la construction de logements bon marché à proximité des arrêts des transports en commun. Dispositif de financement 14. Assurer la pérennité des financements par la récupération des plus-values. C’est la croissance verticale, et non l’expansion horizontale, qui permettra de faire face aux pressions urbanistiques et de lutter contre les retombées négatives de l’étalement urbain tributaire de l’automobile. Des objectifs de densification stratégiques adaptés à l’utilisation des transports en commun peuvent contribuer à la création d’une ville plus compacte. Cette densification appelle toutefois une expansion ou une amélioration de l’infrastructure urbaine, notamment des services de transport public. Ahmedabad prévoit de construire un nouveau métro pour relier le centre-ville et la capitale de l’État, Gandhinagar. Bogotá prévoit pour sa part la construction d’un nouveau réseau métropolitain pour accroître la capacité de transport de passagers dans le quartier central des 20   Transformation des villes grâce aux transports en commun affaires et ses environs. Les réseaux ferrés étant plus coûteux que les réseaux BHNS, la plus grosse difficulté pour les villes qui prévoient d’importants travaux de modernisation des transports collectifs consiste à obtenir les moyens financiers adéquats compte tenu de leurs budgets limités. La récupération des plus-values est l’instrument budgétaire le plus prometteur pour produire de nouvelles recettes. Il peut opérer directement, au travers de la propriété foncière ou de l’aménagement conjoint, comme le montrent les cas de la RAS de Hong Kong (Chine) et de Tokyo. Il peut également intervenir indirectement par l’application aux autres propriétaires d’un impôt sur les plus-values, la création de quartiers assujettis à une surtaxe pour avantages liés à la nouvelle infrastructure, et l’augmentation des recettes courantes des impôts fonciers par exemple. Le bon fonctionnement de ces dispositifs repose, dans une mesure substantielle, sur un environnement institutionnel porteur. Il convient tout particulièrement d’établir, au sein de la régie des transports, une administration dynamique responsable des projets immobiliers, dotée d’un personnel expérimenté pourvu d’une expérience du secteur privé pour insuffler une approche entrepreneuriale à l’aménagement foncier. La direction de la société de transport doit encourager une culture qui fait de l’aménagement foncier une mission légitime de l’organisme, dans la mesure où l’exploitation performante des transports ne consiste pas simplement à assurer la circulation régulière des trains et des bus, mais aussi à structurer les marchés et à assurer une fréquentation ultérieure importante des transports publics grâce à un aménagement soigneusement réfléchi. L’intensification des densités urbaines et la création de la capacité institutionnelle nécessaire passent également par l’instauration d’un environnement législatif favorable qui habilite la société des transports publics à mener des projets d’aménagement conjoints. L’obstacle majeur à l’application d’un dispositif de récupération des plus- values dans les pays en développement est le manque de transparence des régimes d’enregistrement des titres de propriété et la complexité des procédures associées aux acquisitions et aux opérations foncières. En l’absence de réglementations et procédures simples, transparentes et efficaces dans ces domaines, il sera difficile, sinon impossible, d’appliquer des mécanismes performants de financement par la récupération des plus-values. Leçons fondamentales en matière d’investissement dans les transports publics et de croissance urbaine Nous pouvons tirer des expériences conduites à l’échelle mondiale sept enseignements quant à l’utilisation des investissements dans les transports collectifs pour remodeler les formes urbaines : 1.  L’aménagement du territoire associé aux transports en commun a des retombées plus sensibles avant un essor de la croissance régionale. Le calendrier des investissements exerce une influence notable sur la probabilité que des changements substantiels d’utilisation des sols interviennent. Pour de nombreuses villes en pleine expansion, l’investissement dans les transports publics pendant des phases de croissance peut avoir des effets appréciables sur cette utilisation, à supposer qu’elles disposent de la capacité institutionnelle et des moyens nécessaires pour exploiter les possibilités d’aménagement foncier. Synthèse   21 2.  Les réseaux de transport public renforcent généralement la décentralisation et, souvent, l’accélèrent. En améliorant l’accessibilité aux différentes parties d’une région, les grands réseaux ferrés et BHNS, à l’instar des réseaux de routes à grande circulation, encouragent généralement, dans une certaine mesure, le développement périurbain. Une croissance orientée sur les transports en commun peut cependant suivre un modèle beaucoup plus durable que celui favorisé par les autoroutes. 3.  Une planification volontariste s’impose si la décentralisation de la croissance revêt la forme de centres secondaires. Des mesures vigoureuses visant à tirer profit des services de transport en commun peuvent aboutir à des formes plus concentrées de croissance décentralisée. 4.  Les réseaux de transports en commun radiaux de grande capacité comme les réseaux BHNS et les métros permettent d’assurer la viabilité économique des centres-villes. Ces réseaux favorisent la croissance de l’emploi dans les centres urbains parce que c’est à ces derniers que l’amélioration de l’accessibilité régionale profite le plus. Néanmoins, la part régionale des emplois et des commerces de détail situés dans le centre-ville diminue souvent à la suite de nouveaux investissements dans les transports collectifs en raison des tendances à la décentralisation susmentionnées. Cette part aurait néanmoins diminué encore davantage en l’absence de desserte du quartier central des affaires par les services ferroviaires. 5.  Dans des conditions appropriées, les services ferroviaires et d’autobus de grande capacité peuvent dynamiser le réaménagement du centre-ville. Lorsque les organismes publics sont disposés à assumer une partie des risques inhérents au réaménagement de quartiers défavorisés souffrant d’une économie languissante, les métros et les autobus de grande capacité contribuent à attirer le capital privé et à insuffler une nouvelle vie dans les zones en difficulté. Néanmoins, un engagement public sans faille s’impose pour prendre en charge les coûts de ce réaménagement et apporter les investissements financiers nécessaires. 6.  D’autres mesures à l’appui du développement doivent accompagner les investissements dans les réseaux ferrés et d’autobus de haute capacité. Outre les incitations financières, des politiques de développement de logiciels s’imposent pour que les équipements de transport puissent attirer les aménageurs fonciers. Elles consistent notamment en incitations financières et fiscales et en outils basés sur des processus. Les effets de réseau entrent en ligne de compte. Pour que les réseaux de 7.  transport ferroviaire guidé et d’autobus de grande capacité en site propre induisent d’importantes modifications en termes d’utilisation des sols, ils doivent assurer le même maillage géographique et la même accessibilité régionale que leurs principaux concurrents, les routes et autoroutes à accès limité. La création de nouveaux services exclusifs en site propre peut créer des effets d’entraînement et des synergies qui ne profiteront pas uniquement aux corridors nouvellement desservis, mais aussi aux corridors existants. Le rôle des établissements de financement du développement Étant donné que la densification de l’environnement bâti, qui privilégie les transports en commun, se traduit par des investissements plus rentables dans les réseaux de transports collectifs, une politique raisonnable consisterait 22   Transformation des villes grâce aux transports en commun à associer l’aide financière extérieure à de sérieux efforts à l’échelon local en vue d’améliorer la coordination et l’intégration. Outre l’apport d’une assistance financière pour les investissements matériels, les établissements financiers doivent d’une part aider les autorités nationales à remédier aux contraintes réglementaires, d’autre part aider les villes à développer leurs capacités institutionnelles pour concevoir et mettre en œuvre des prototypes de TOD et des mécanismes de récupération des plus-values. Cette approche appelle un instrument de prêt hybride conjuguant des réformes politiques et réglementaires, le renforcement des capacités et l’investissement physique. Conclusion Le présent rapport fait fond du concept d’Eco2 (qui préconise l’intégration intersectorielle à l’appui d’un développement urbain durable) et s’intéresse pour ce faire à l’intégration des transports publics et de l’aménagement territorial en tant que stratégie prometteuse pour promouvoir la durabilité de l’environnement, le développement économique et une croissance solidaire. Bien exécutée, l’intégration de l’aménagement spatial—notamment le lien physique entre les investissements dans les transports en commun et l’urbanisme—peut apporter des résultats positifs et utiles en termes d’Eco2. La réalisation de cette intégration appelle une vision stratégique et prospective puissante, un cadre institutionnel porteur et des modèles de financement durables. Le rapport met constamment l’accent sur la nécessité de formuler des projets de développement des villes futures. L’expérience de villes scandinaves comme Copenhague et Stockholm montre qu’un projet régional clair et convaincant est indispensable pour que les investissements dans les transports de grande capacité produisent les formes urbaines souhaitées. Un autre impératif est la mise en place d’un modèle financier à l’appui des projets TOD. Ce modèle peut intervenir à deux niveaux et s’articuler selon deux axes. Un projet de financement durable global, émanant de l’administration centrale, est indispensable pour les villes qui participent à la concurrence régionale ou mondiale. L’exécution d’une stratégie de développement compact, polyvalent, de qualité—dans le cadre d’un projet TOD, ou d’une croissance intelligente en général—à l’échelon municipal, voire métropolitain, peut devenir un instrument de développement économique régional efficace qui permettra aux régions urbaines d’être économiquement plus compétitives sur le marché mondial. Un réseau de transports collectifs régional fonctionnel, performant, reliant des centres urbains performants crée le type d’environnement bâti auquel les entreprises, les employeurs et les employés soucieux des commodités matérielles attachent une importance grandissante. L’association entre un aménagement urbain de premier ordre et un projet TOD compact polyvalent peut devenir un outil efficace pour attirer les investissements extérieurs, les entreprises et les activités de matière grise qui font une place de plus en plus importante à la qualité de vie et aux agréments locaux. Les villes qui parviennent à créer des environnements agréables aux environs des gares de transport peuvent bénéficier d’un avantage compétitif pour attirer et retenir des entreprises très recherchées, véritables moteurs de l’économie régionale. L’expérience de villes telles que RAS de Hong Kong (Chine), Séoul, Singapour et Stockholm, qui se sont efforcées d’orienter la croissance sur des couloirs desservis par les transports en commun et de l’associer à un aménagement urbain de qualité montre qu’un urbanisme haut de gamme est totalement compatible avec la prospérité et la compétitivité Synthèse   23 économiques. Les villes contribuant à raison de 75 % au produit intérieur brut (PIB) à l’échelle mondiale, cette perspective globale devrait également présenter un intérêt primordial pour les gouvernements nationaux. Au niveau local, la viabilité financière peut être assurée par la récupération des plus-values, qui servirait à produire des recettes—ces fonds permettraient de financer les gares, les voies et les véhicules, mais aussi toutes les améliorations et modernisations nécessaires dans un rayon de 500 m, soit cinq minutes de marche, de la gare pour créer un cadre agréable de vie, de travail, de loisirs, d’éducation et de communication. Comme le montrent les cas de la RAS de Hong Kong (Chine) et de Tokyo, l’utilisation d’une partie des bénéfices dégagés de la vente des terrains ou des droits d’aménagement au secteur privé pour embellir les espaces publics et piétonniers aux alentours des arrêts peut donner lieu à des projets de meilleure qualité qui généreront des bénéfices supérieurs et une hausse des recettes des taxes foncières. Le TOD qui en résulte n’est pas seulement viable sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan financier. Un cycle vertueux est enclenché, en vertu duquel des projets TOD plus denses et très bien conçus produisent des profits et des recettes fiscales supérieurs, dont une partie peut être allouée à la création d’autres projets TOD de qualité. L’orientation de la nouvelle croissance urbaine sur les villes dans le monde en développement offrira des occasions uniques d’associer l’aménagement foncier et l’infrastructure de transport. Alors que les taux de motorisation diminuent dans les pays développés, ils affichent une croissance exponentielle ailleurs. Les bénéfices potentiels d’une intégration réussie des transports et de l’aménagement territorial dans les villes comparables à Nairobi, Jakarta et Mexico sont donc immenses. Dans la mesure où la majeure partie de l’expansion urbaine à venir interviendra dans les villes de moins de 500 000 habitants (ONU-Habitat 2011), un projet TOD de moindre envergure, fondé sur des réseaux d’autobus associés à une infrastructure piétonne et cycliste haut de gamme pourrait s’avérer approprié dans de nombreux contextes. Bon nombre de villes des pays en développement offrent les conditions nécessaires (une expansion rapide, une hausse des revenus réels et des niveaux croissants de motorisation et de congestion) pour que les investissements dans le rail et les réseaux BHNS suscitent des changements fructueux en matière d’utilisation des sols. Le bon fonctionnement d’un réseau BHNS appelle des politiques de planification et des réglementations de zonage favorables, la mobilisation du secteur public et des possibilités de partage des risques, et l’aptitude à gérer les évolutions de l’utilisation des sols déclenchées par les investissements dans l’infrastructure de transport. Les villes des pays en développement sont bien placées pour tirer des enseignements des expériences internationales à cet égard. Néanmoins, rares sont celles qui ont adopté les pratiques de villes comme la RAS de Hong Kong (Chine), Tokyo et Washington (USA) et amené les investisseurs privés à cofinancer les investissements en capital dans le cadre d’aménagements fonciers auxiliaires. Des projets de récupération des plus-values de cette nature pourraient fortement contribuer à placer les villes des pays en développement sur la voie d’une croissance plus durable—tant en termes de financement des infrastructures que de schémas d’urbanisation futurs. Parmi tous les instruments disponibles, le TOD, conjugué à la récupération des plus-values, offre le moyen le plus prometteur de mettre en pratique le concept d’Eco2 de croissance pérenne et de prospérité économique. 24   Transformation des villes grâce aux transports en commun Bibliographie Burchell, R. W., G. Lowenstein, W. Dolphin, and C. Galley. 2000. «Costs of Sprawl 2000.» Report 74, Transportation Research Board, National Research Council, Washington, DC. Cervero, R. 1998. The Transit Metropolis: A Global Inquiry. Washington, DC: Island Press. IPPUC (Instituto de Pesquisa e Planejamento Urbano de Curitiba). 2009. Slide from presentation made on April 2, IPPUC, Curitiba, Brazil. Knight, R. and L. Trygg. 1977. Land Use Impacts of Rapid Transit: Impli¬cations of Recent Experience. Washington, DC: Office of the Secretary of Transportation. OECD (Organisation for Economic Co-operation and Development). 2012. Compact City Policies: A Comparative Assessment. OECD Green Growth Studies. Paris: OECD. Samad, T., N. Lozano-Gracia, and A. Panman, eds. 2012. Colombia Urbanization Review: Amplifying the Gains from the Urban Transition. Directions in Development. Washington, DC: World Bank Singapore Land Transport Authority (SLTA). 2008. Long Term Master Plan: A People-Centered Land Transport System. Singapore: SLTA. 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