NAMA Programme Halieutique – Document Préparatoire 87561 Royaume du Maroc Changement climatique et secteur halieutique: Impacts et recommandations Programme d’Appui Analytique à la Stratégie Changement Climatique du Maroc P-ESW 113768 Note de Stratégie n. 3 Décembre 2013 Département du développement durable (MNSSD) Région Moyen-Orient et Afrique du Nord Banque mondiale 1 TABLE DES MATIERES LISTE DES FIGURES .............................................................................................................. 3 RESUME EXECUTIF .............................................................................................................. 4 1. Changement climatique et pêches: état des lieux global, impacts et vulnérabilité ................ 6 1.1. Changements physiques du système marin .................................................................... 6 1.1.1. Augmentation des températures.............................................................................. 6 1.1.2. Salinité et stratification ........................................................................................... 7 1.1.3. Circulation océanique et upwelling côtiers ............................................................. 7 1.1.4. Montée du niveau de la mer .................................................................................... 7 1.1.5. Acidification et autres changements chimiques ...................................................... 7 1.2. Changements au niveau des écosystèmes et de la productivité...................................... 7 1.2.1. Impacts physiologiques, de ponte et de recrutement .............................................. 7 1.2.2. Production primaire ................................................................................................ 7 1.2.3. Production secondaire ............................................................................................. 8 1.2.4. Effets de redistribution ........................................................................................... 8 1.2.5. Variations en abondance ......................................................................................... 8 1.2.6. Introduction d’espèces exotiques et de maladies .................................................... 8 1.3. D’autres changements, anticipés et variables dans le temps .......................................... 8 1.4. Un cadre pour comprendre la vulnérabilité du secteur de la pêche au changement climatique: exposition, sensibilité et capacité d’adaptation ................................................ 11 1.4.1 Exposition .............................................................................................................. 11 1.4.2 Sensibilité .............................................................................................................. 12 1.4.3. Capacité d’adaptation ........................................................................................... 12 2. Le secteur halieutique au Maroc.......................................................................................... 14 2.1. La pêche dans le contexte marocain............................................................................. 14 2.2. État des ressources ....................................................................................................... 15 2.3. La Stratégie Halieutis ................................................................................................... 16 3. Exposition, Impacts attendus et capacité d’adaptation au Maroc ........................................ 17 3.1. Exposition aux impacts du changement climatique au Maroc ..................................... 17 3.2. Impacts observés par les pêcheurs ............................................................................... 18 3.3. Des capacités d’adaptation variées............................................................................... 20 3.3.1. Capacité d’adaptation au niveau individuel et sectoriel ....................................... 21 3.3.2. Capacité d’adaptation au niveau de la gouvernance ............................................. 21 4. Implications politiques et recommandations ....................................................................... 22 4.1. Adopter une approche de précaution............................................................................ 22 4.2. Renforcer l’approche écosystémique ........................................................................... 23 4.3. Adopter une stratégie de gestion adaptative ................................................................. 23 4.4. Renforcer la stratégie nationale de Gestion Intégrée de la Zone Côtière (GIZC) ........ 24 4.5. Établir un réseau d’aires marines protégées (AMPs) aux fins de pêche ...................... 25 4.6. Conclusions: vers une nouvelle approche intégrée ...................................................... 25 2 LISTE DES FIGURES Figure 1. Exposition, Sensibilité, Capacité d’Adaptation et Vulnérabilité Figure 2. La pêche marocaine en chiffres Figure 3. Évolution des captures depuis 1983 Figure 4. Répartition de l’échantillon de l’enquête par régions maritimes Figure 5. Répartition de l’enquête par segment de la pêche Figure 6. Les principaux problèmes des pêcheurs Figure 7. Perceptions du changement climatique par les pêcheurs 3 RESUME EXECUTIF L’importance du secteur halieutique au Maroc est primordiale. Le secteur de la pêche en effet contribue à hauteur de 2,3% du PIB1 et emploie environ 660.000 personnes, de façon directe ou indirecte et le nombre de personnes vivant de la pêche est estimé à 3 millions. Pour autant, le statut des pêcheurs, et plus particulièrement des petits pêcheurs artisans, n’est pas hautement considéré et les revenus tirés de la pêche sont bien en deçà de la moyenne nationale. Plus récemment, l’augmentation des coûts du pétrole s’est faite largement ressentir à tous les niveaux de la pêche, entraînant une baisse de la productivité et des revenus. La consommation nationale, estimée à 9 kg par habitant, reste en dessous de la moyenne globale (chiffres FAO, 2004). Néanmoins, le Maroc figure déjà parmi les pays où la pêche est gérée de façon assez durable. Le niveau de pêche reste relativement contrôlé et le respect des normes est bien plus important que dans d’autres pays de la région. De plus, le Gouvernement du Maroc a récemment lancé une nouvelle stratégie des pêches, intitulée Halieutis, qui vise principalement les trois axes suivants : l'exploitation durable des ressources halieutiques, le développement d'une pêche performante et l'amélioration de la compétitivité afin de conquérir de nouvelles parts de marché. Halieutis reconnaît implicitement et explicitement que globalement l’industrie de la pêche est en état de crise croissante. De par le monde, 80% des stocks sont surexploités, épuisés, ou pleinement exploités, ne laissant que 20% des stocks qui pourraient devenir exploités, alors même que la pression démographique et la demande en protéines augmentent considérablement et régulièrement.2 Cette demande ne pourra donc être satisfaite que par le recours à l’aquaculture ou à l’exploitation de stocks vierges. À cette situation de crise larvée, qui n’a cessé de s’aggraver depuis les années 1950, s’ajoute le risque croissant que pose le changement climatique. Aujourd’hui en effet, la communauté scientifique est quasiment unanime à reconnaître l’existence de ce phénomène, même si on ne sait pas encore avec certitude l’étendue complète des impacts qu’il pourra avoir. Le changement climatique constitue une menace additionnelle, directe et indirecte, pour les écosystèmes océaniques et côtiers souvent déjà fragilisés par d’autres pressions anthropiques. Ces menaces vont avoir des impacts biophysiques sur la distribution et la productivité des stocks (notamment au travers des phénomènes d'augmentation des températures, de salinité et de stratification, de circulation océanique et d'upwelling côtiers, de montée du niveau de la mer et d'acidification et autres changements chimiques). Elles auront également des impacts écologiques et socio-économiques indirects qui pourraient s'étendre jusqu'à la structure et la productivité de certains écosystèmes et la distribution des espèces. . En tout état de cause, les stocks qui ont été exploités de façon plus intensive, voire excessive, seront sûrement plus vulnérables aux perturbations physiques qui risquent de découler du changement climatique. Ce phénomène global est d’ores et déjà observé au niveau du Maroc, où le secteur de la pêche n’est en aucune façon épargné. En effet, le Maroc est aujourd’hui parmi les pays les plus vulnérables en termes d’impacts et de vulnérabilité du secteur de la pêche. Une étude récente du Worldfish Center le place au 11e rang de vulnérabilité parmi 133 pays3. Parmi les facteurs qui expliquent cette vulnérabilité, on peut noter la grande dépendance à l'égard de la pêche de certaines populations côtières, l’importance des zones d’upwelling, principal moteur de la 1 Calculé au niveau sectoriel. 2 FAO, 2007a 3 Alison et al, 2009. 4 productivité le long de la côte Atlantique, et particulièrement vulnérables aux impacts du changement climatique, et enfin les moyens économiques limités des acteurs qui entravent les investissements nécessaires à tout effort d’adaptation. Afin d’affiner l’étude globale du Worldfish Center, la Banque Mondiale a fait réaliser une enquête de terrain auprès de 463 pêcheurs, fussent-ils artisanaux, côtiers ou hauturiers. Ces enquêtes montrent dès à présent que les pêcheurs marocains ont déjà commencé à remarquer des impacts sur leurs pratiques de pêche qui pourraient être attribués aux impacts attendus du changement climatique. Figurent parmi ces impacts : le décalage dans la période de reproduction, la disparition de certaines espèces, la diminution des jours de pêche suite à l’augmentation des tempêtes et inondations, et la diminution de stocks qui jusqu’alors avaient été très abondants. Avant même l’adoption de la Stratégie Halieutis, le Gouvernement du Maroc avait déjà commencé à anticiper les impacts du changement climatique sur la pêche. La pêche et le littoral sont en effet pris en compte dans le Plan National de Lutte Contre le Réchauffement Climatique (PNRC), lancé par le Gouvernement du Maroc en 2009. D’autres stratégies, plans et programmes gouvernementaux montrent aussi l’engagement ferme du Royaume dans la préservation des écosystèmes et la lutte contre le changement climatique, qui est essentiel pour assurer la durabilité de la pêche (Charte de l’Environnement, Stratégie nationale de protection de la biodiversité, loi sur les Aires Protégées, Plan d’action pour la Méditerranée). Il s’est aussi engagé dans une politique de protection et de gestion intégrée des zones côtières (GIZC) qui devrait aboutir à une stratégie nationale et une loi qui permettra la mise en œuvre de la gestion intégrée des zones côtières et leur adaptation à l’élévation du niveau de la mer. Vu l’importance stratégique du secteur, et dans un contexte de volonté et d’engagement du Gouvernement Marocain, l’amélioration et l’approfondissement des connaissances des impacts du changement climatique sur le secteur de la pêche au Maroc s’imposent.. Dans ce contexte, l’anticipation de ces impacts consistera à limiter l’exposition potentielle aux impacts du changement climatique en renforçant les mesures de gestion des pêches et de protection des écosystèmes clés, avant même que les effets de ces changements ne se fassent sentir.4 Dans un souci de renforcement des efforts déjà engagés, d’augmentation de la résilience du secteur, et de réduction de sa vulnérabilité, les options de politiques et d’activité d’adaptation pourront comprendre: 1. Améliorer la prévention, notamment à travers le renforcement de l’approche de précaution, de l’approche écosystémique et d’une stratégie de gestion intégrée et adaptative des pêches ; 2. Renforcer les efforts de recherche, notamment pour distinguer les impacts « certains » des impacts « relativement certains » ; 3. Confirmer les observations relevées dans cette enquête par un travail de suivi, permettant de vérifier scientifiquement ce qui jusqu’à présent n’a été observé que de façon anecdotique; 4. Renforcer la stratégie nationale de Gestion Intégrée de la Zone Côtière (GIZC) ; et 5. Développer un cadre de participation dans lequel les parties prenantes seront invitées à prendre part à l’élaboration d’une stratégie durable plus soutenue et participative. 4 Alors que cette étude ne porte que sur les impacts du changement climatique sur la pêche, il convient de noter que les écosystèmes côtiers, qui sont en première ligne des impacts fournissent par ailleurs des services écologiques supplémentaires considérables, notamment pour la prévention de l’érosion côtière et des inondations. 5 1. Changement climatique et pêches: état des lieux global, impacts et vulnérabilité Notre compréhension des impacts du changement climatique sur les pêches n’en est encore qu’à un stade très initial. Elle se caractérise par deux approches : d’une part, les études d’observation des effets passés et présents du changement climatique, et d’autre part des études modélisées qui visent à prédire ce que seront les futurs impacts, où les modèles intègrent parfois les données empiriques observées par le passé.5 Dès à présent, cependant, les scientifiques s’accordent à penser que ces impacts auront lieu à plusieurs niveaux qu’il est très important de distinguer, puisque ce n’est qu’en sachant où ces effets vont se faire sentir qu’on peut espérer les anticiper, et se préparer à leurs impacts : - Au plan géographique, où les impacts seront prédits par des modèles de circulation globale; - Au niveau des processus climatiques, hydrologiques et océanographiques, où les impacts seront prédits par des modèles physiques; et - Au plan écologique, où les impacts pourront être prédits par des modèles physico- écosystemiques qui n’ont pas encore été finalisés. Malgré ces incertitudes, dès à présent certains impacts raisonnablement imputables au changement climatique sont déjà observés au niveau des espèces, des stocks et même de certains écosystèmes. Comme le montrent les enquêtes de terrain qui ont été menées dans le cadre de cette étude et qui sont discutées plus bas, nombre de pêcheurs font déjà état de changements qu’ils ont commencé à observer, surtout au niveau d’une aggravation progressive des conditions météorologiques ou le déplacement de certaines espèces d’une grande importance économique (dans le cas du Maroc, le déplacement de la sardine vers le Sud). Il existe d’ores et déjà un certain consensus sur la typologie des impacts physiques sur les écosystèmes et les espèces marines, qui sont déjà observés et qu’on peut encore anticiper.6 Cette typologie distingue en particulier les impacts physiques du système marin des impacts déjà observés sur les écosystèmes et sur la productivité. 1.1. Changements physiques du système marin Parmi les impacts physiques du système marin les plus importants, on peut noter: 1.1.1. Augmentation des températures Le réchauffement global des océans qui a déjà commencé va continuer, mais cette augmentation ne sera pas répartie uniformément et variera géographiquement. De plus, ce réchauffement ne se limitera pas aux eaux de surface et, dans certaines régions, le réchauffement des eaux profondes sera plus marqué. 5 Cet état des lieux des connaissances sur les impacts du changement climatique sur le secteur des pêches est tiré de trois principaux documents sur le sujet: “Climate change implications for fisheries and aquaculture, Overview of current scientific knowledge” FAO, 2009, K. Brander, Assessment of possible impacts of climate change on fisheries,” WBGU, 2006, et Allison et al., Vulnerability of national economies to the impacts of climate change on fisheries, Fish and Fisheries, 2009. 6 En 2008, la FAO a organisé un atelier sur les impacts du changement climatique sur le secteur de la pêche, au cours duquel les meilleurs spécialistes ont tenté de dresser un état des lieux des connaissances sur le sujet, FAO, 2009. 6 1.1.2. Salinité et stratification En règle générale, la salinité des eaux de surface continuera d’augmenter dans les régions où l’évaporation est plus importante (notamment dans les zones tropicales). Ces changements de salinité vont probablement réduire la densité des eaux de surface et augmenter la stratification verticale. Cette stratification accrue pourrait diminuer la circulation et l’apport de nutriments aux organismes qui en dépendent. 1.1.3. Circulation océanique et upwelling côtiers D’importants changements ont déjà été observés dans les charactéristiques des courants océaniques et ces changements risquent de s'accélérer, notamment avec le flux d’eau douce des régions polaires. Ceci risque d’avoir des répercussions directes sur la saisonnalité des upwellings, avec des conséquences importantes sur la chaîne trophique. 1.1.4. Montée du niveau de la mer Depuis 1961, le niveau de la mer au augmenté de 1.8 mm par an, et depuis 1993 il a augmenté de 3.1 mm par an. Ce taux de croissance risque d’augmenter dans les prochaines décennies, même si ses effets ne seront pas sentis uniformément puisqu’il découle des processus de circulation océanique. 1.1.5. Acidification et autres changements chimiques Le pH des eaux de surface a diminué de 0.1 unités sur 200 ans, mais les modèles prévoient une réduction de l’ordre de 0.3 à 0.5 au cours des 100 prochaines années. Bien qu’encore incertains, les impacts biologiques de ces changements risquent d’être importants pour certaines espèces, et notamment pour les mollusques et pour les espèces coralliennes. 1.2. Changements au niveau des écosystèmes et de la productivité Les impacts du changement climatique se font, et continueront aussi de se faire sentir au niveau des écosystèmes et de la productivité. Parmi ces impacts, on peut noter : 1.2.1. Impacts physiologiques, de ponte et de recrutement Les organismes marins sont souvent adaptés très précisément à leur milieu, dans lequel ils obtiennent une efficacité optimale. Ce calibrage peut être complètement détruit par les impacts physiques quand ils atteignent des seuils trop importants, par exemple quand les températures deviennent excessives ou quand les demandes métaboliques en oxygène ne sont pas remplies. La ponte et d’autres formes de reproduction sont alors fortement compromises. 1.2.2. Production primaire Des observations satellitaires permettent d’estimer que la production primaire océanique a diminué de 6% entre le début des années 80 et la fin des années 90, mais cette diminution n’a pas été uniforme à travers les régions. Par exemple, la stratification verticale accrue risque de réduire l’apport de nutriments dans la zone euphotique, mais dans les zones de haute latitude, la saison de croissance devrait se prolonger, ce qui devrait mener à une production primaire accrue. Globalement, on peut s’attendre à une légère augmentation de production primaire, mais avec de grandes disparités géographiques. De plus, le risque accru d’inondations pourrait perturber la saisonnalité de la production primaire, et en causer la perte d’une partie importante. 7 1.2.3. Production secondaire Les données disponibles globalement sur la production océanique secondaire sont encore déficientes, mais des études régionales ont montré que les impacts du changement climatique se feraient sentir plus dans la structure du zooplancton que dans sa biomasse. 1.2.4. Effets de redistribution En règle générale les impacts du changement climatique tendent à déplacer les espèces vers les pôles, et donc augmentent « l’étendue » des espèces vivant dans des climats plus doux, mais réduisent celle des espèces des climats plus froids. Dans le cas des espèces marines, ce changement s’effectue plus rapidement pour les espèces pélagiques et s’accompagne d’un déplacement vertical qui vise à contrecarrer le réchauffement des eaux de surface. 1.2.5. Variations en abondance Les populations les plus proches des pôles deviennent plus abondantes au fur et à mesure que les températures augmentent, alors qu’elles diminuent quand elles sont plus proches de l’équateur. Par contre, les taux de croissance n’augmentent que quand une nourriture suffisante est disponible pour répondre à la demande accrue. 1.2.6. Introduction d’espèces exotiques et de maladies Il n’y a pas encore de preuve de nouvelles épidémies liées explicitement au changement climatique, même si une augmentation des pathogènes est visible dans les plus hautes latitudes. De même, la prolifération des algues nuisibles n’est pas forcément due au changement climatique, bien que le changement de ratio entre diatomées et dinoflagellés répond souvent au réchauffement des eaux océaniques. Enfin, à ce jour, les risques d’extinctions d’espèces dues au changement climatique sont possibles, mais n’ont pas encore été observés. 1.3. D’autres changements, anticipés et variables dans le temps En plus des impacts déjà observés, d’autres changements importants sont anticipés à l’échelle globale en termes de température, vents et acidification. Si leur apparition est inéluctable, elle varie cependant en fonction du facteur temps : - A court terme (quelques années), il est très probable qu’une augmentation des températures aura un impact négatif sur la physiologie des poissons parce que le transfert d’oxygène vers les organes et les tissus sera limité par la température accrue. Ce changement se fera aussi ressentir au niveau des distributions, abondances et recrutements d’espèces, et les espèces à plus courte durée de vie (planctons et petits pélagiques) seront sûrement plus sensibles à ce phénomène. - A moyen terme (quelques années, jusqu’à une décennie), où les pressions physiologiques vont avoir un impact direct sur les chances de recrutement et donc sur l’abondance relative de nombreux stocks. Ces impacts pourraient s’étendre jusqu’à la structure et la productivité de certains écosystèmes ainsi quela distribution des espèces. - À plus long terme (plusieurs décennies), les prédictions deviennent beaucoup plus hasardeuses et dépendront surtout des changements au niveau de la production 8 primaire et son transfert vers le sommet de la chaîne trophique. Les modèles régionaux sont sensiblement plus précis et fiables que les modèles globaux, parce que les processus qui entrent en jeu sont mieux compris et appréhendés, et tendent à anticiper une diminution de la production primaire et des changements dans la composition du phytoplancton. Donc, non seulement le degré de prédictibilité diminue drastiquement quand on regarde à plus long terme, mais on ignore encore les interactions synergétiques entre les « stresseurs » phénomènes qui risquent d’être aggravés considérablement par d’autres pressions anthropiques, au premier rang desquelles figure la pêche. Le premier tableau, ci-dessous, illustre parfaitement la complexité de ces vecteurs d’impact physique et les effets qu’ils risquent d’avoir sur le secteur halieutique. 9 Impacts potentiels du changement climatique sur les pêches7 Types de changement Changements Processus Impacts potentiels sur physiques les pêches Augmentation du Impacts sur les espèces Production de ces 2 niveau de CO et calcifères (crustacés, espèces peut diminuer, acidification coraux, échinodermes) productivité peut diminuer, y compris pour les espèces associées Les espèces d’eaux Espèces de planctons, Sur l’environnement tempérées remplacent poissons, invertébrés physique (impacts les espèces d’eaux et oiseaux migrent vers écologiques indirects) froides les pôles, diversité Réchauffement des réduite pour les couches supérieures espèces tropicales Espèces de planctons Déconnexion entre les migrent vers des espèces de planctons latitudes plus élevées proies et prédatrices Changements dans la Déconnexion entre les composition et espèces de planctons l’éclosion d’espèces de proies et prédatrices planctons Montée du niveau de Perte d’habitats de Production et la mer ponte et de frayage productivité réduites importants pour les espèces cibles (mangroves, récifs de la pêche côtière coralliens) Température accrue Changement des ratios Productivité réduite et des eaux sexuels calendrier de calendrier différé pour reproduction modifié les périodes de ponte, pour les espèces de migration et marines et d’eau douce Sur les stocks de d’abondance poissons (impacts Changement dans les Abondance accrue des Productivité réduite écologiques indirects) courants espèces invasives et pour les espèces océanographiques maladies marines Chances de Impacts sur les recrutement juvéniles, et donc sur la amoindries productivité Circulation des flots Niveau d’eau affecté Productivité réduite réduite et pour les lacs et les pour les lacs et les augmentation des rivières rivières Sur les écosystèmes sécheresses (impacts écologiques Fréquence accrue des Modification du Variation dans la indirects) phénomènes ENSO calendrier et des distribution des stocks latitudes des de pélagiques upwellings Blanchiment et mort Productivité réduite de coraux pour les espèces récifaires 7 Tableau adapté de Alison et al. 2009. 10 Types de changement Changements Processus Impacts potentiels sur physiques les pêches Changement des Vulnérabilité accrue profils côtiers, perte de des communautés et Montée du niveau de ports et d’habitations infrastructures côtières la mer Augmentation des Coût des mesures risques de dommages d’adaptation et Perturbation dans les dus aux orages réduction de la infrastructures côtières productivité attenante et opérations de pêche Perte de jours en mer, Augmentation des (impacts directs) risque accru risques de la pêche et Intensité accrue des d’accidents donc des coûts orages Risque de dommages Coûts d’adaptation et aux structures productivité réduite d’aquaculture Variation des Impact sur les activités Réduction des sources précipitations de pêche, de revenus et d’aquaculture et augmentation de la d’agriculture pauvreté Pêches continentales Augmentation des Impacts sur les outils Vulnérabilité (impacts socio- sécheresses et de production et économique accrue économiques indirects) inondations investissements pour les communautés côtières Prévisibilité réduite des Difficultés de Vulnérabilité saisons des pluies planification pour économique accrue activités génératrices pour les communautés de revenus côtières 1.4. Un cadre pour comprendre la vulnérabilité du secteur de la pêche au changement climatique: exposition, sensibilité et capacité d’adaptation Le concept de vulnérabilité est un élément essentiel, car il détermine la sévérité des impacts qui se feront sentir suite au changement climatique, mais aussi parce qu’il permet aux décideurs de se focaliser sur les facteurs sur lesquels ils peuvent espérer agir, c’est-à-dire, la capacité d’adaptation des parties prenantes. En effet, la vulnérabilité de chaque secteur face aux impacts du changement climatique dépend de trois facteurs: l’exposition aux impacts, la sensibilité du secteur, et la capacité d’adaptation des parties prenantes. Malgré toute l’incertitude qui règne encore et en utilisant des modèles géographiques, physiques et physico-écosystemiques, il est possible de déterminer dans une certaine mesure l’exposition et la sensibilité du secteur des pêches, puis d’évaluer la capacité d’adaptation des acteurs du secteur afin d’en établir la vulnérabilité. 1.4.1 Exposition L’exposition au changement climatique (E) est le premier facteur normalement utilisé pour conceptualiser et estimer les impacts potentiels du changement climatique. Essentiellement elle est une fonction d’éléments physiques, et notamment de ceux qui sont relatifs aux changements attendus. Par exemple, l’exposition peut se traduire en termes d’élévation du niveau de la mer, d’acidification, de changements de circulation des courants océanographiques, ou quelconque des changements physiques relevés dans le premier tableau, plus haut. De fait, l’exposition est souvent en fonction de la géographie, puisque tous 11 les impacts ne seront pas manifestes dans toutes les parties du globe, et l’acidification par exemple risque d’avoir des impacts beaucoup plus importants dans les zones tropicales, où les récifs coralliens seront parmi les plus menacés. En raison de ces disparités géographiques, le critère que l’on choisit pour déterminer l’exposition peut biaiser les résultats. À l’échelle globale par exemple, la plupart des études se basent sur l’augmentation de la température des eaux de surface, mais pour certaines espèces démersales, ce critère n’est pas aussi pertinent que, par exemple, la diminution de la production primaire. Quoi qu’il en soit, le choix du critère peut se faire très précisément pour coller le plus possible à la réalité et pour se focaliser sur des impacts qui seront à même d’avoir un impact important sur l’espèce exploitée. Dans le cas du Maroc, par exemple, et vu l’importance de zones d’upwelling dans le Sud du pays, les changements de tendance des courants océanographiques risquent d’être un facteur important d’exposition. 1.4.2 Sensibilité La sensibilité (S) est généralement définie comme étant le degré auquel une communauté donnée ou un écosystème est affecté par des contraintes externes, et dans le cas présent, le changement climatique. Plus particulièrement, dans le cas de la pêche, la sensibilité s’entend généralement comme l’importance de la pêche dans l’économie nationale et pour la sécurité alimentaire. Il va sans dire qu’un Etat côtier avec une industrie halieutique développée sera infiniment plus sensible qu’un Etat enclavé qui n’importerait pas de poisson. Compte tenu de l’importance du secteur halieutique, le Maroc est très sensible aux impacts du changement climatique sur les écosystèmes marins et côtiers. L’exposition représente donc un critère physique alors que la sensibilité revêt une dimension plus socio-économique. Dans leur ensemble, l’exposition et la sensibilité contribuent à établir des impacts potentiels, qui sont définis indépendamment de la capacité d’adaptation. 1.4.3. Capacité d’adaptation La capacité d’adaptation essaye d’estimer quelle pourra être la réaction des parties prenantes une fois qu’elles seront confrontées aux impacts potentiels constitués par la combinaison de l’exposition et de la sensibilité. Ce critère cherche à estimer a priori les éléments qui permettront un changement de comportement a posteriori. Les critères généralement retenus pour évaluer cette capacité d’adaptation vont du capital social, au capital humain, à la taille de l’industrie ou de l’économie en question, en passant par le niveau d’éducation des participants, jusqu’aux structures de gouvernance. La capacité d’adaptation se situe donc à plusieurs niveaux : - Au niveau des acteurs individuels : Par exemple, un petit pêcheur artisanal aura-t-il les moyens de prendre des mesures d’atténuation pour faire face aux risques accrus de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des orages ? - Au niveau d’un secteur : Par exemple, le secteur de la pêche artisanale, où les moyens sont plus limités, dispose-t-il de la même marge de manœuvre que les secteurs de la pêche côtière ou hauturière, où l’accès au capital est comparativement plus élevé ? - Au niveau national : le gouvernement a-t-il en place une stratégie et les modes de gestion nécessaires à l’adaptation de l’économie de la pêche aux impa cts du changement climatique ? 12 La vulnérabilité est donc une fonction de la capacité d’adaptation face aux impacts potentiels que présentent l’exposition et la sensibilité.8 Elle est définie comme étant la capacité d’un système (humain ou naturel) à s’adapter au changement climatique (y compris la variabilité climatique et les phénomènes extrêmes) pour en atténuer les dégâts potentiels, profiter des opportunités qu’il présente, ou faire face à ses conséquences. Exposition (E) Sensibilité (S) E & S contribuent à former : Impacts Potentiels (IP) + Capacité d’Adaptation (CA) Vulnérabilité (V) où V= f(IP,AC) Figure 1 : Exposition, Sensibilité, Capacité d’Adaptation et Vulnérabilité Une vulnérabilité accrue peut donc résulter d’une augmentation de (E) et (S), d’une réduction de la (CA) ou de toute autre combinaison de ces trois éléments. Inversement, la réduction de la vulnérabilité peut résulter d’une diminution des impacts attendus ou de l’augmentation de la capacité d’adaptation. La notion de vulnérabilité doit donc refléter une réalité toujours en évolution, notamment par rapport au taux de progression du changement climatique, à l’amélioration des capacités d’adaptation et à l’évolution des autres facteurs d’impact sur la ressource. Les impacts potentiels du changement climatique ne sont en fait que les derniers en date parmi tant d’autres qui pèsent déjà sur les ressources halieutiques (pêche souvent excessive, destruction d’habitats critiques, pollution marine et terrestre, introduction d’espèces exotiques). Cette cumulation d’impacts signifie donc qu’on peut s’attendre à ce que certains stocks soient plus résistants aux impacts climatiques si d’autres impacts, comme ceux de la surpêche ou de la pollution, ont été mitigés auparavant. Dans le contexte de la vulnérabilité du secteur de la pêche, et compte tenu de la réactivité des stocks par rapport aux mesures de gestion dont ils font l’objet, on peut faire les observations suivantes : - Le niveau de gestion de la ressource avant que les impacts du changement climatique ne se fassent sentir sera déterminant après que ces impacts aient été ressentis. En effet, si un système de gestion transparent et efficace est déjà en place, son adaptation au changement climatique sera plus aisée que s’il faut mettre en place de toutes pièces un nouveau système de gestion ; - Le changement climatique risque d’amplifier considérablement les effets néfastes d’un manque de gestion appropriée de la ressource, où l’état des stocks, laissant déjà à désirer, sera détérioré plus encore par l’impact supplémentaire du changement climatique ; et - La capacité d’adaptation du secteur sera d’autant accrue que les mesures d’adaptation auront été prises au plus tôt, avant que tous les impacts anticipés ne se fassent sentir. La marge de manœuvre risque en effet de diminuer rapidement une fois qu’un stock mal géré commence à subir de plein fouet les impacts du changement climatique. 8 Allison et al, 2009. 13 2. Le secteur halieutique au Maroc 2.1. La pêche dans le contexte marocain Avec une production halieutique annuelle de près d’un million de tonnes pour un chiffre d’affaires au débarquement de près de 13 milliards de dirhams, le Maroc est le premier producteur de poissons à l’échelle de l’Afrique et du Moyen-Orient. Le secteur emploie quelque 660.000 personnes et les exportations des produits de la pêche constituent une source importante d’apports en devises avec un niveau d’échange annuel d’environ un milliard de dollars. Figure 2: La pêche marocaine en chiffres Zone Economique 1,1 million de Km² Exclusive Potentiel de production La production actuelle a dépassé 1 million de tonnes. Le potentiel est de plus de 2 millions de tonnes Contribution au PIB 2,3% en moyenne au cours des 10 dernières années Contribution à la Avec un chiffre d’affaires à l’export de 13 Mds DHS, le se cteur de la balance commerciale pêche assure 15% des exportations totales et 59% des exportations agroalimentaires Contribution à l’emploi 170.000 emplois directs 490.000 emplois indirects 3 millions de personnes vivent du secteur Consommation 300.000 tonnes, soit environ 9 kg/hab/an intérieure Flotte artisanale 14.225 barques de moins de 2 tjb (structure en bois) Flotte côtière 1.835 navires côtiers dont les chalutiers côtiers démersaux, les senneurs côtiers et les palangriers (structure en bois) Flotte hauturière 344 navires congélateurs modernes dont les chalutiers céphalopodiers, les chalutiers crevettiers et les chalutiers pélagiques (structure en acier) Production halieutique Environ 1 million de tonnes Chiffre d’affaires au débarquement de 8 milliards de di rhams Valorisation 13 milliards de dirhams à l’export En effet, les exportations, après valorisation, sont récemment passées à près de 13 milliards de dirhams, soit 59 % des exportations agroalimentaires et 15% des exportations totales du Maroc. De plus, la contribution du secteur de la pêche au Produit Intérieur Brut (PIB) est évaluée à 2,3%. L’industrie de transformation et de valorisation traite près de 70% des captures de la pêche côtière et exporte environ 85% de sa production sur une centaine de pays dans les cinq continents. D’autre part, avec près de 300.000 tonnes commercialisées sur le marché national, la consommation intérieure est d’environ 9 kg/hab/an, ce qui reste faible comparé tant au niveau de la consommation mondiale qu’au niveau de la production nationale. Soucieux d’augmenter la consommation nationale, le Gouvernement du Maroc a récemment entrepris un effort de construction de marchés de gros à l’intérieur du pays, afin de faciliter l’apport d’une ressource de haute qualité aux populations les plus enclavées. Il existe quatre catégories importantes de ressources halieutiques ciblées par la pêche au Maroc pour lesquelles les impacts potentiels du changement climatique risquent d’être très différents : - Les ressources démersales représentées par les poissons, les crustacés et les céphalopodes; 14 - Les ressources pélagiques composées essentiellement de sardines, de maquereaux, d’anchois et de chinchards; - Les poissons migrateurs composés principalement d’espèces qui effectuent des migrations saisonnières de grande amplitude, telles que le thon rouge et les autres thonidés ; et - Les ressources littorales essentiellement composées d’algues et de coquillages. Ces ressources sont exploitées par trois segments de la pêche, dont la capacité d’adaptation face au changement climatique variera également beaucoup. Il s’agit de: - La pêche artisanale, qui vise différentes espèces localisées à de faibles profondeurs et peuplant des fonds rocheux, sableux ou coralliens (généralement des poissons dits « nobles »). - La pêche côtière qui est composée de senneurs, de chalutiers et de palangriers. Les senneurs effectuent des sorties en mer de courte durée ne dépassant pas les 24 heures et ciblent les petits pélagiques vivant entre deux eaux, en zone peu profonde. Cette pêche approvisionne essentiellement les usines de conserves. Pour ce qui est des chalutiers, ils effectuent des marées ne dépassant pas une semaine et exploitent les poissons de fond. Les palangriers ciblent les espèces démersales et les grands pélagiques à haute valeur marchande. - La pêche hauturière est pratiquée par une flotte congélatrice moderne qui cible les céphalopodes, les crevettes et les petits pélagiques. Ces trois filiales sont très différentes et les enjeux auxquels elles sont confrontées n’ont souvent que peu en commun. La pêche artisanale est une pêche de proximité, où les outils de production sont très limités : une barque en bois, un équipage réduit (trois a quatre personnes), un moteur hors-bord de faible puissance, et des sorties en mer dans la journée. La pêche côtière et la pêche hauturière en revanche ont recours à des navires beaucoup plus grands et sophistiqués, où les demandes en capital sont considérables et les enjeux économiques beaucoup plus importants. Ces trois flottes diffèrent également au niveau de leur capacité d’adaptation, puisque par exemple les flottes hauturières et côtières seront mieux à même de suivre les ressources qui se déplacent que la flotte artisanale, dont le rayon d’action est beaucoup plus limité. Qui plus est, l’accès au capital des pêcheurs artisanaux est toujours très limité, voire bien souvent inexistant. 2.2. État des ressources La plupart des stocks démersaux côtiers sont très exploités, voire parfois surexploités (annexe 1). Par ailleurs, l’état des ressources halieutiques marocaines ne montre pas de grands signes de croissance, à l’exception des petits pélagiques dans la zone C entre Cap Boujdour et Cap Blanc, ainsi que dans d’autres zones situées plus au large. - En Méditerranée : les ressources sont en forte baisse - En Atlantique Nord : entre baisse et stabilité de la ressource selon les sites, avec un déplacement du poisson vers le Sud - En Atlantique centre : ressources en baisse sur 10 ans Cependant, des signes de retour d’abondance de quelques espèces ont été observés à Larache, Safi (Souiria Kdima) et à El Jadida suite à une meilleure gestion de la ressource entreprise dans le cadre du plan d’aménagement des algues, des céphalopodes et des crevettes et de l’immersion de récifs artificiels pour la pêche artisanale. 15 Actuellement, les activités de la pêche maritime au Maroc sont confrontées à des problèmes de variabilité de la ressource halieutique, de la surexploitation d’une grande partie des stocks, de la dégradation de certains écosystèmes, de la pollution et de la hausse régulière des coûts de la pêche. De plus, cette industrie subit directement les aléas d’une pêche côtière et artisanale imprévisible et irrégulière. De ce fait elle ne peut fonctionner que d’une manière artisanale, même si ses infrastructures sont aux normes et ont été mises à niveau depuis longtemps. Ces observations scientifiques sont confirmées par les pêcheurs eux-mêmes qui confirment que la plupart des stocks côtiers sont très exploités, voire surexploités. La durée des sorties en mer devient plus longue lorsque les ressources se raréfient, ce qui oblige les pêcheurs à se déplacer sur de plus longues distances et de rester plus longtemps en mer pour éviter les allers-retours coûteux. La durée de la sortie de pêche dépend donc étroitement de la distribution des ressources exploitées. Dans ce contexte, le changement climatique représente une nouvelle pression supplémentaire sur la productivité et la rentabilité de la pêche. Il doit donc être évalué dans le contexte des autres facteurs de stress non climatique, qui ont souvent un effet beaucoup plus important et plus immédiat. 2.3. La Stratégie Halieutis Dans ce contexte de crise menaçante, la stratégie de développement du secteur de la pêche maritime au Maroc « Halieutis » a comme objectif de donner une vision et une feuille de route au secteur pour en faire un véritable moteur de croissance de l’économie nationale, tout en assurant un développement durable de celui-ci à travers la préservation de la ressource halieutique. La stratégie s’articule autour des trois axes : durabilité, performance et compétitivité. Ces trois axes ont été déclinés en cinq idées de projets, 16 Projets Stratégiques pour une Pêche Durable et Compétitive, et 112 plans d’actions regroupés en 50 mesures qui sont en cours de mise en œuvre par des groupes de travail. Les cinq projets de la stratégie sont : 1- Toutes les pêcheries seront aménagées sur la base de quotas; 2- La pisciculture et la conchyliculture sont les activités phares de l’aquaculture ; 3- Les enceintes portuaires seront dédiées et gérées par un « Global operator » ; 4- Un nouveau pôle de pêche au Sud et trois pôles de compétitivité seront établis au Nord, Centre et Sud du Royaume ; 5- Un système de contrôle efficace sera mis en place en mer et à terre. Dans le contexte de l’adaptation au changement climatique, le développement et l’adoption de la stratégie Halieutis sont particulièrement significatifs pour un certain nombre de raisons. Avant tout, Halieutis représente une preuve irréfutable de l’engagement du gouvernement à gérer le secteur de la pêche de façon réfléchie et proactive. De plus, l’approche de cette stratégie reconnaît explicitement que même si des grandes lignes sont adoptées au niveau central, la mise en oeuvre de la stratégie reste encore à faire, et pourra être adaptée aux différents secteurs, et aux différentes espèces. De cette sorte, Halieutis peut devenir le moyen idéal pour favoriser et accroître la capacité d’adaptation du secteur. Enfin, l’un des trois axes d’Halieutis est la durabilité, ce qui implique nécessairement une prise en compte des effets du changement climatique à plus long terme mais aussi dès à présent. 16 3. Exposition, Impacts attendus et capacité d’adaptation au Maroc Dans le cadre d’une étude comparative globale, Allison et al, (2009) rapportent que parmi 133 pays, le Maroc est situé au 11ième rang des pays les plus vulnérables aux changements climatiques dans le secteur de la pêche. Selon ces mêmes auteurs, les résultats de l’analyse montrent que le Maroc est hautement vulnérable, avec un niveau de capacité d’adaptation faible. Cette vulnérabilité au changement climatique du secteur de la pêche et de l’aquaculture dépend à la fois de l’exposition au risque, de la sensibilité et de la capacité d’adaptation. 3.1. Exposition aux impacts du changement climatique au Maroc Il se dégage des études météorologiques récentes que le Maroc, de par sa situation géographique sensible, connaît des contrastes climatiques régionaux marqués par une forte variabilité des précipitations et une irrégularité des traits climatiques. Le Maroc dispose de deux façades maritimes sur l'Océan Atlantique et la Mer Méditerranée, s'étendant sur une longueur de plus de 3,500 Kms. Les conditions hydroclimatiques qui caractérisent les zones de l’Atlantique Sud font de la côte marocaine l’une des plus poissonneuses du monde. Or il est prévu qu’à l'horizon de 2020, le pays connaisse un réchauffement de l'ordre de 0.7 à 1%. Au-delà de ces données, cependant, beaucoup plus d’informations sont requises pour anticiper au mieux l’étendue de ce que seront les impacts du changement climatique sur le milieu littoral et marin, et sur les ressources halieutiques. De fait, le gouvernement marocain est déjà engagé dans le développement d’un plan national de lutte contre le réchauffement climatique, dans le cadre duquel l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH) est appelé à travailler sur des mesures concernant les vulnérabilités et l’adaptation aux changements climatiques pour le secteur de la Pêche. Dans ce contexte l’INRH sera amené à conduire : - Une évaluation des répercussions des changements climatiques sur la distribution et l’abondance des espèces marines, en particulier les espèces de poissons exploitées (programme permanent de l’INRH pour le suivi des espèces) ; - Une étude des impacts des changements climatiques sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes (programme de recherche de l’INRH lancé sur la période 1994-1999 et repris depuis 2003) ; et - Une étude de réorganisation ou modification des pratiques de pêche suite aux changements de dynamique des espèces (programme permanent de l’INRH pour présenter au Ministère de la Pêche des propositions d’aménagements des pratiques de pêche). Ce mandat qui a ainsi été délégué à l’INRH est donc à même de fournir des éléments de réponse importants quant à l’exposition au changement climatique des ressources dans les eaux marocaines. Ces réponses risquent de varier grandement compte tenu du fait que certains impacts sont « relativement certains », alors que d’autres sont incertains. De plus, même quand les impacts sont relativement certains, l’impact réel qu’ils auront sur les ressources est plus difficile à anticiper. Par exemple, l’acidification qui est relativement certaine, aura certainement des impacts directs et à court terme sur les récifs coralliens, mais ses impacts sont plus difficilement prévisibles pour d’autres espèces. D’autres phénomènes sont encore plus difficiles à anticiper, tant sur le point de savoir quand ils se feront sentir que sur les impacts qu’ils risquent d’avoir sur les ressources halieutiques. Ainsi, les modifications des charactéristiques des courants océanographiques en profondeur, tels que le courant des Canaries, sont encore sujettes à conjoncture : même si on sait que les impacts risquent d’être sérieux, on ne sait ni quand ces changements interviendront, ni comment ils se manifesteront 17 en pratique. Le mandat que le Gouvernement a confié à l’INRH est donc crucial et des plus opportuns. Cependant, et avant même d’avoir à attendre les résultats de ce programme de recherche de longue haleine, une approche de précaution s’impose d’ores et déjà aux vues des impacts déjà observés, y compris par les premiers intéressés, les pêcheurs marocains. 3.2. Impacts observés par les pêcheurs En attendant les résultats des études scientifiques de l’INRH, il nous est apparu opportun de recueillir directement l’avis des pêcheurs pour un certain nombre de raisons : (i) pour évaluer leur perception des impacts déjà ressentis du changement climatique, (ii) pour commencer à évaluer leur capacité d’adaptation, et (iii) pour les inviter à un début de réflexion sur la marche à suivre. L’enquête, effectué en 2011, a couvert les deux façades maritimes du Royaume : la Méditerranée et l’Atlantique, Une attention particulière a été portée aux pêcheurs artisanaux des trois régions maritimes concernées par l’étude Les points suivants récapitulent les principales caractéristiques de l’enquête et des rencontres avec les pêcheurs : - 463 pêcheurs enquêtés - 3 focus groups organisés à Tanger, Casablanca et Agadir - 277 représentants de la pêche artisanale, 171 de la pêche côtière et 15 de la pêche hauturière - 167 en Méditerranée, 171 en Atlantique Nord et 125 en Atlantique Centre Figure 4 : Répartition de l’échantillon de l’enquête par régions maritimes et type/segment de pèche Il se dégage de ces enquêtes que le développement durable de la pêche, l’environnement et le changement climatique sont de plus en plus pris en compte par les pêcheurs dans leur façon de voir l’avenir de la pêche. Toutefois, l’attention portée à ces sujets reste tributaire des problèmes sociaux et économiques vécus auxquels ils sont confrontés quotidiennement, et notamment le prix du carburant, les marchés défavorables, le manque d’infrastructures, l’absence de couverture sociale, et les taxes élevées. De manière générale, la perception du changement du climat est une notion hautement subjective, dépendant à la fois du niveau d’éducation des pêcheurs, des régions maritimes, du degré de vulnérabilité des pêcheurs et même des catégories de ressources ciblées. Concrètement, leur perception du changement climatique est liée aux contraintes de la météo, 18 à l’augmentation des températures des eaux, au changement des courants marins et à la disponibilité de la ressource halieutique: - La météo: la météo est le premier facteur limitant la pêche au Maroc. Les pêcheurs n’osent plus sortir en mer quand la mer est agitée, que les vents sont forts et que la hauteur des vagues dépasse deux mètres ; - La hausse des températures des eaux : de l’avis des pêcheurs, la température est un facteur clé dans la vie du poisson, sa croissance, sa reproduction et sa survie; - Le changement des courants marins, notamment quand elle entraîne un déplacement de la ressource; et - La disponibilité des ressources halieutiques : la disponibilité du poisson et les volumes capturés représentent l’indicateur le plus important quant aux impacts du changement climatique. Le changement climatique représente donc une forte contrainte aux activités de pêche et les patrons de pêche rencontrés ont indiqué qu’ils étaient très sensibles à ses effets. Le climat s’est détérioré avec des périodes intenses et prolongées du « mauvais temps » qui ont un impact négatif sur la productivité et la rentabilité de la pêche. Compte tenu de la fréquence et de la durée des périodes de mauvais temps, les pêcheurs sont dans l’obligation de réduire leur nombre de sorties en mer. Ces changements ont sans aucun doute une influence plus importante sur les pêcheurs artisanaux qui manquent de moyens et se sentent marginalisés. Toutefois, l’analyse des données de l’enquête amènent aussi à la conclusion que les deux majeures contraintes de la pêche au Maroc sont le prix élevé du carburant et les difficultés de commercialisation. Le changement climatique arrive au 6e rang dans la perception des pêcheurs, et il est considéré comme un problème secondaire mais à ne pas négliger pour autant. Figure 6 : les principaux problèmes des pêcheurs9 En général, 61 % des pêcheurs assimilent le changement climatique à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des intempéries (hauteur des vagues et de la houle, inondations, vents violents), 31% aux changements des courants marins, et 51 % au réchauffement global 9 selon les sondages menés sur la perception du changement climatique 19 de la planète. Par contre, ces acteurs de la pêche ont montré un faible niveau de connaissance sur l’élévation du niveau de mer et sur l’acidification des eaux. Figure 7 : Perceptions du changement climatique par les pêcheurs Une des conclusions les plus intéressantes que l’on peut tirer de ces enquêtes est que certains des impacts remarqués sont communs à tous les pêcheurs, alors que d’autres sont très localisés. Ainsi les plaintes communes à tous les pêcheurs couvrent notamment l’augmentation de la fréquence et intensité du mauvais temps et des intempéries, les difficultés d’accès en mer et problèmes de navigation côtière, et les conflits accrus entre les utilisateurs des ressources halieutiques. Par contraste, les problèmes spécifiques à certains secteurs de la pêche ou délimités à certaines régions couvrent: - Le déplacement des stocks des petits pélagiques vers le Sud 10; -L’apparition périodique des méduses en Méditerranée (Al-Hoceima, Nador et Larache) - La prolifération des algues (observée à M’diq et Casablanca); et - La détérioration des filets de pêche à cause des courants marins Il n’en demeure pas moins que ces observations, encore anecdotiques, devront être confirmées par le programme de recherche scientifique initié par le Gouvernement et mis en oeuvre par l’INRH. Cette recherche pourra aussi confirmer si le changement climatique est vraiment responsable des impacts qui lui sont attribués, ou, si comme c’est parfois le cas, d’autres facteurs (y compris un effort de pêche excessif de la part des pêcheurs eux-mêmes) entrent également en compte. Il sera alors possible de déterminer avec plus de précision les risques d’impacts réels qui pèsent sur les ressources, et donc d’évaluer et de renforcer la capacité d’adaptation des parties prenantes face à ces risques. 3.3. Des capacités d’adaptation variées L’adaptation au changement climatique est définie dans la littérature comme une série d’ajustements qui peuvent être faits au sein de systèmes écologiques, sociaux ou économiques, en réponse aux impacts observés ou attendus, et ce afin d’éviter les effets néfastes ou de tirer avantage des nouvelles opportunités qu’ils présentent.11 10 Parmi les scénarios les plus extrêmes, on peut envisager un cas où une partie des ressources en sardine migreraient tant vers le Sud qu’elles passeraient de la Zone Exclusive Economique du Maroc à celle de la Mauritanie, appelant à une approche trans-frontalière entre ces deux pays. 11 FAO, 2009. 20 Cette adaptation peut avoir lieu au niveau des individus, au sein d’un secteur d’une industrie donnée, ou au niveau institutionnel, par les décideurs. 3.3.1. Capacité d’adaptation au niveau individuel et sectoriel La capacité d’adaptation d’un pêcheur individuel (ou plus précisément d’un équipage au complet) dépend en grande partie des facteurs suivants : du type de flotte à laquelle il appartient (artisanale, côtière ou hauturière), de son accès à des sources de capital et de sa localisation géographique. Comme nous l’avons vu plus haut, les engins de pêche utilisés dans les trois types de pêche sont vastement différents et reflètent toujours un accès plus ou moins aisé aux sources de financement. Les vaisseaux de la pêche côtière et hauturière sont en effet beaucoup plus onéreux et requièrent donc un accès au capital beaucoup plus important. Les petits pêcheurs artisanaux en revanche sont pour la plupart dans une situation de grande précarité et ne disposent pas de l’accès au capital qui leur permettrait de diversifier leur activité de pêche ou de poursuivre la ressource quand elle se déplace de façon significative. Ils sont le plus souvent tributaires d’intermédiaires qui fixent de façon arbitraire des prix artificiellement bas auxquel ils achètent les prises. Les petits pêcheurs opèrent souvent au jour le jour, avec une capacité d’épargne extrêmement limitée, voire inexistante. C'est particulièrement le cas pour les pêcheurs isolés opérant le long des littoraux, sur la côte sud atlantique, loin de tout port ou autre centre de commerce. Les pêcheurs opérant dans les grands ports tels que Casablanca ou Essaouira sont beaucoup moins touchés. Les armateurs de la pêche côtière au contraire bénéficient souvent d’un capital de départ très élevé (et parfois emprunté) et leurs marges de profit sont plus élevées et permettent l’amortissement du navire. Quant aux navires de la flotte hauturière, le capital en jeu pour chaque navire est considérable et donne souvent lieu à des groupements d'entreprises avec des partenaires étrangers. Par conséquent, et même si l’adaptation aux impacts du changement climatique risque d’être onéreuse, elle est néanmoins envisageable pour les pêches côtière et hauturière, mais bien plus compromise pour la pêche artisanale. Enfin, la capacité d’adaptation dépendra de la localisation des pêcheurs ou des flottes, en particulier parce que les impacts varieront selon qu’ils se font sentir en Atlantique ou en Méditerranée. Par exemple, l’acidification risque de poser le problème le plus important et le plus immédiat pour les espèces associées aux récifs coralliens de Méditerranée, alors que les changements impactant les courants océaniques de profondeur risquent d’être plus importants autour du courant des Canaries, le long de la côte Atlantique Sud. 3.3.2. Capacité d’adaptation au niveau de la gouvernance Deux facteurs principaux sont à prendre en compte pour évaluer la capacité d’adaptation d’un gouvernement aux changements climatiques pour un secteur donné : (a) la mesure dans laquelle ce gouvernement reconnaît explicitement la menace du changement climatique et a déjà engagé une politique nationale d’adaptation, et (b) la mesure dans laquelle le secteur en question est géré de façon exhaustive et durable. Dans le cas du Gouvernement du Maroc, la politique de lutte contre le changement climatique est déjà bien engagée et clairement articulée, et le secteur de la pêche est mieux géré que dans la plupart des Etats de la région, même si, pour l’un comme pour l’autre, des progrès peuvent encore être réalisés. Dans ces deux cas de figure, adapter le secteur de la pêche au changement climatique requiert un effort marginal. Le Plan National de Lutte contre le Réchauffement Climatique comprend déjà une composante dédiée aux ressources littorales et marines. Même si elle demeure à ce jour embryonnaire, la volonté politique du Gouvernement est manifeste et doit maintenant être concrétisée dans les faits. Quant à la politique du Gouvernement vis-à-vis du secteur halieutique, l’emphase qu’elle place sur la durabilité de la ressource est parfaitement claire 21 telle qu’énoncée dans la stratégie d’Halieutis, et là encore, il convient maintenant d’étoffer cette approche par l’adoption des mesures concrètes qui s’imposent, telles que décrites ci- dessous. 4. Implications politiques et recommandations Idéalement, l’adaptation du secteur de la pêche au changement climatique devrait se traduire par une réduction de la vulnérabilité et l’augmentation de la capacité d’adaptation de ses différents secteurs. C’est à ce niveau même que les dirigeants peuvent espérer prendre les mesures qui s’imposent face à des changements qui ne sont pas moins redoutables parce qu’ils apparaissent inéluctables. À cette fin, il conviendra d’adopter un certain nombre de stratégies qui sont aujourd’hui reconnues comme étant les plus à_même de réduire les impacts du changement climatique sur les pêches. 4.1. Adopter une approche de précaution Même si la science du changement climatique, bien que quasi-unanime, demeure dans une certaine mesure incertaine, il n’en demeure pas moins vrai que les impacts du changement climatique sont souvent plus visibles et plus dramatiques dans les milieux marins que terrestres. Qui plus est, la transition des changements physiques aux changements écologiques et même socio-économiques se sont déjà fait clairement sentir dans le secteur le la pêche : les températures ont augmenté, la circulation des courants a changé, certaines espèces se sont clairement déplacées, et les pêcheurs peinent de plus en plus à s’adapter à ces changements qui interviennent trop vite. Dans ces conditions, l’approche de précaution s’impose, en vertu de laquelle les mesures de gestion des pêches devraient d’ores et déjà être modifiées, adaptées et surtout renforcées pour prendre en compte l’exposition accrue qui va très probablement découler du changement climatique. Dans la plupart des cas, les stocks sont en situation de pleine pêche, voire de sur- pêche et l’on sait que les stocks sujets à de telles pressions anthropiques marquées seront moins résilients aux impacts du changement climatique. La mise en œuvre de la stratégie Halieutis est le meilleur véhicule disponible pour adopter cette approche, car elle permet d’incorporer pleinement les impacts du changement climatique dans les mesures d’aménagement des pêches que le Gouvernement du Maroc sera amené à prendre. Plus spécifiquement, il convient en particulier de considérer les mesures concrètes suivantes : 1. Établir une cartographie des risques à deux niveaux : risques géographiques et risques socio-économiques. Au niveau géographique, il est impératif d’identifier avec un degré de précision les zones à risque sur le littoral marocain. Au plan socio- économique, il convient de développer des indicateurs de vulnérabilité du secteur halieutique face au changement climatique. Il est à priori évident que les pêcheurs artisanaux soient les plus vulnérables, qu’ils manquent de moyens nécessaires et seront les premières victimes en cas de catastrophe maritime ou d’une variabilité importante de la ressource halieutique. Cette cartographie permettra donc de raffiner les connaissances sur la situation actuelle et d’orienter certaines pêcheries vers d’autres espèces disponibles et moins sensibles au changement climatique. 2. Assurer une meilleure adhésion des pêcheurs en confrontant directement les problèmes techniques et socio-économiques auxquels ils sont confrontés. Ainsi, des problèmes importants comme l’absence de couverture sociale pour les pêcheurs artisanaux, la grande dépendance des pêcheurs auprès des acheteurs et des exportateurs, et la baisse de la productivité et de la rentabilité des pêches de manière 22 générale sont autant de facteurs qui se combinent pour sérieusement limiter la capacité d’adaptation du secteur 3. Envisager des plans de recasement social propres aux pêcheurs et à leurs familles. En effet, les mesures à considérer portent à la fois sur les mesures de réduction ou d’adaptation de l’effort de pêche, et sur le mesures à même d’accroître la capacité d’adaptation des communautés de pêcheurs, notamment à travers le développement des activités alternatives génératrices de revenus. 4. Surmonter les contraintes et obstacles qui empêchent l’application des lois et des plans d’aménagement de la ressource. 5. Prendre toutes les mesures disponibles pour limiter, voire éliminer les techniques de pêche destructrices, y compris le chalutage. L’adoption de mesures de pêche plus sélectives sera à même de réduire les coûts de production, y compris à travers les économies d’énergie. 6. Réévaluer les termes des accords de pêche entre le Maroc et les flottilles de pêche étrangères, afin d’incorporer les impacts du changement climatique sur les stocks dans l’établissement des quotas de prise permise. 7. Enfin, il convient de noter que cette approche de précaution, même si elle est initiée par le Gouvernement du Maroc, ne saurait en aucun cas se limiter aux seules eaux marocaines. En effet, les ressources halieutiques ne connaissent pas de frontières et tendent à migrer entre les zones exclusives économiques (ZEEs) de plusieurs pays. Le Maroc se doit donc de coordonner son approche avec les pays côtiers voisins pour s’assurer que les mesures d’aménagement prises par chacun soient bien complémentaires. 4.2. Renforcer l’approche écosystémique Une autre leçon importante qu’il convient de tirer de la science du changement climatique est que ses impacts seront autant indirects que directs et qu’il convient donc de gérer les impacts sur une espèce donnée dans le contexte des impacts sur d’autres espèces, mais aussi des impacts sur les écosystèmes dans lesquels elles évoluent. Dans ce contexte, et afin de réduire les impacts du changement climatique sur les pêches, les décideurs devront se focaliser à la fois sur les stocks et espèces ciblées par les efforts de pêche ainsi que sur les écosystèmes clés qui les supportent. Les plans de gestion de l'approche écosystémique des pêches forment ainsi un instrument pour l'adaptation au changement climatique incluant la collaboration entre les parties prenantes, l'économie sociale et le bien-être humain. Le Maroc n'a pas encore adopté ces plans. 4.3. Adopter une stratégie de gestion adaptative Comme le montre l’examen du secteur halieutique, plus haut, tout un système d’aménagement des pêches est déjà mis en place au Maroc, ce qui le distingue de beaucoup d’autres pays dans la région. Ce mode de gestion peut donc devenir plus adaptatif, afin d’incorporer deux séries de mesures : (a) celles qui pourraient ajuster les niveaux d’effort et augmenter la capacité d’adaptation des différentes composantes du secteur, et (b) celles qui augmenteront la résilience des communautés de pêcheurs, notamment au travers des stratégies d’activités alternatives.12 Les caractéristiques d’une stratégie adaptative sont les suivantes : 12 Cette explication de la stratégie de gestion adaptative est adaptée de: « Adaptive management in the fisheries sector: a solution for climate change adaptation and mitigation? » Xavier Vincent, AFTEN, Banque Mondiale 23 - Une stratégie qui peut être adaptée rapidement en réponse aux transformations écosystémiques. Cette capacité à réagir rapidement suppose un mode de suivi efficace et en continu, avec un bon système de retour d'informations. - Une stratégie participative, où les décisions émanent des parties prenantes elles-mêmes au travers d’unités de gestion localisées et décentralisées. Dans la pratique, cette stratégie adaptative devra s’appliquer aux principaux aspects d’une gestion durable des pêches : (a) la protection de ces écosystèmes clés desquels dépendent les espèces cibles; (b) la préservation de la ressource; et (c) la réglementation de l’accès à la ressource. (a) Protection des écosystèmes clés Comme le préconise l’approche écosystémique, évoquée plus haut, la gestion des pêches ne saurait se limiter à celle de l’espèce ciblée. Il faut au contraire tenir compte des int éractions complexes entre ces espèces et toutes celles avec lesquelles elles sont liées biologiquement, y compris les espèces proies et prédatrices. De plus, l’importance de prendre en considération les écosystèmes dans lesquels ces espèces évoluent est renforcée par la menace que posent les impacts du changement climatique, par exemple sur les herbiers marins, les mangroves et les récifs coralliens. Concrètement, cela signifie que la prise en compte des impacts climatiques ne peut plus se faire par la seule Direction de la Pêche Maritime, mais qu’elle doit être coordonnée étroitement avec les responsables du Département des Eaux et Forêts et de toutes les autres institutions qui ont pour responsabilité la sauvegarde de ces écosystèmes. (b) Préservation de la ressource Avant même de décider qui aura accès à la ressource, la stratégie de gestion des pêches se doit de déterminer quel sera son niveau d’exploitation. Cette détermination se fera quant à la sélectivité des prises (quand elles seront prises, leur taille, leur qualité) ainsi qu’à leur quantité (avec un niveau maximum des prises, ou des quotas). Encore une fois, ces mesures sont déjà en œuvre au Maroc, mais en raison de la menace du changement climatique, il faudra d’une part en assurer un meilleur respect, et d’autre part ajuster les mesures prises jusqu’alors pour prendre en compte les impacts cumulés de la pêche et du changement climatique. (c) Réglementation de l’accès à la ressource Une fois le niveau de pêche autorisé arrêté, la stratégie de gestion des pêches se doit de déterminer qui aura accès à la ressource et quand. Ici, l’impact du changement climatique peut modifier les paramètres de décision car, si la ressource se fait plus rare (ou si elle n’est plus aussi accessible), le nombre de pêcheurs qui peuvent raisonnablement vivre de la pêche pourrait changer. De plus, l’allocation des ressources doit prendre en compte le manque de capacité d’adaptation des pêcheurs artisanaux, notamment quand ils ciblent les mêmes espèces que les chalutiers de la pêche côtière. Ici encore, la décision à prendre par la Direction de la Pêche Maritime devra être coordonnée avec d’autres entités responsables afin de s’assurer que les pêcheurs qui pourraient être déplacés auront accès à d’autres activités génératrices de revenus. 4.4. Renforcer la stratégie nationale de Gestion Intégrée de la Zone Côtière (GIZC) Cette nécessité de collaborer étroitement sera également au cœur de la stratégie de Gestion Intégrée de la Zone Côtière (GIZC), déjà initiée par le gouvernement, mais qui doit être approfondie et étendue à l’ensemble du littoral. L’approche GIZC, déjà importante dans le contexte actuel, risque de devenir essentielle face aux impacts du changement climatique, et 24 plus particulièrement de la hausse attendue du niveau de la mer. Elle vise notamment à protéger les écosystèmes clés de menaces telles que l’érosion ou la pollution terrestre. Une loi est d’ailleurs en projet pour clarifier les compétences des différentes autorités qui interviennent sur le littoral. Cette loi devrait permettre la mise en oeuvre d’une gestion intégrée des zones côtières et leur adaptation à l’élévation du niveau de la mer: - Soit par édification de digues ou autres ouvrages de protection; - Soit par accommodation à la montée des eaux; - Soit par abandon de l’utilisation de certaines côtes. 4.5. Établir un réseau d’aires marines protégées (AMPs) aux fins de pêche Les aires marines protégées (AMPs), qui ont longtemps été identifiées comme un outil innovant et flexible pour gérer les activités de l’homme dans les espaces côtiers et marins, sont maintenant reconnues comme une approche clé pour protéger la durabilité des ressources halieutiques. Alors qu’à l’origine les AMPs étaient pour la plupart conçues comme des outils de conservation stricte, voire de préservation des écosystèmes marins, elles sont maintenant reconnues comme pouvant être un véritable outil de gestion et de régulation de tous les usages sur ces aires, y compris les pêches. Les AMPs permettent d’établir un équilibre harmonieux entre le souci de conserver la ressource et celui de permettre une exploitation durable de cette même ressource. Cet équilibre est atteint lorsqu’une aire marine est clairement délimitée et quand l’exploitation des ressources y est strictement définie et limitée pour contrôler l’effort de pêche et interdire l’usage des engins les plus destructeurs. Jusqu'à cette année, il n'y avait au Maroc comme seul projet d'AMPs le parc d'Al Hoceima, plan qui n'a jamais été réalisé. C'est seulement à partir de cette année qu'a été lancée une nouvelle stratégie d'AMPs pour la gestion des pêches ayant pour seul objectif la régulation des espèces. En effet, dans le cadre du compact signé avec le Millennium Challenge Corporation des Etats-Unis, le Gouvernement du Maroc a lancé une campagne de sensibilisation politique et de projets pilotes pour promouvoir la désignation d’AMPs aux fins de pêche. La menace croissante des impacts du changement climatique ne fait que renforcer la nécessité d’une telle approche, qui à terme devrait permettre aux espèces les plus menacées une chance de se remettre de ces nouveaux impacts. L’approche déjà entamée par le Gouvernement devrait être étendue et approfondie, faisant ainsi plein usage de l’arsenal complet de mesures pouvant renforcer la durabilité des ressources. 4.6. Conclusions: vers une nouvelle approche intégrée En conclusion, et même si les effets du changement climatique commencent seulement à se faire sentir dans le secteur de la pêche, il est plus que probable que l’intensité de ces impacts va augmenter, et à un rythme qui risque de s’accélérer. De plus, ces impacts auront des conséquences plus ou moins graves sur certains acteurs du secteur halieutique et les petits pêcheurs artisanaux seront probablement les premières victimes étant donné leur capacité d’adaptation limitée. La pêche côtière et la pêche hauturière ne seront pas épargnées pour autant et peuvent s’attendre à une forte augmentation de leurs coûts pour continuer à trouver une ressource qui sera sûrement plus rare et en déplacement accru. Face à ces risques, des mesures d’aménagement s’imposent qui, même si elles sont coûteuses en particulier d’un point de vue social, n’en demeurent pas moins essentielles. De fait, retarder l’adoption de ces mesures risque d’en augmenter le coût à terme car elles deviendront plus sévères. Afin de limiter le coût pour des acteurs qui sont souvent déjà en grande 25 difficulté, il conviendra de prioriser les activités permettant d’augmenter les revenus et réduire la pauvreté en augmentant la qualité, et donc la valeur des prises, sans en augmenter la quantité. Ces mesures d’aménagement ne relèvent pas de la seule Direction de la Pêche Maritime, mais devront être coordonnées avec les autres ministères qui ont des responsabilités conjointes. Dans ce contexte, une nouvelle approche plus intégrée s’impose pour réunir toutes les parties prenantes à ce processus de lutte contre les impacts du changement climatique, tant au niveau gouvernemental que des différents acteurs du secteur halieutique, y compris la société civile. En 2010, la Banque Mondiale a produit un Rapport sur le Développement dans le Monde et le Changement Climatique, qui appelle à agir immédiatement, à agir ensemble, et à agir différemment, en transformant les systèmes de production. Cette approche est particulièrement adaptée à la situation du Royaume du Maroc alors qu’il se prépare aux impacts du changement climatique sur le secteur halieutique. En effet, la plupart des mesures qu’il convient de prendre pour anticiper et limiter ces impacts sont d’ores et déjà bien connues, mais le coût qu’elles entraînent est souvent élevé et soulève des questions d’équité, tant au niveau économique, social, financier que politique. Le Gouvernement ne peut agir de façon unilatérale, mais pourrait envisager de développer un schéma intégré d’adaptation, constitutif d’un véritable partenariat avec les acteurs du secteur.13 Ce schéma intégré d’adaptation pourrait en particulier se focaliser sur les points suivants : - Continuer à démontrer le besoin d’adaptation - Identifier les communautés et les institutions (y compris les institutions politiques) qu’il convient de mettre à contribution; - Évaluer les risques climatiques; - Identifier (et dans le cas présent, affiner) les mesures d’adaptation; - Renforcer les politiques, capacités et institutions; et - Mettre en œuvre et suivre les mesures d’adaptation. À travers cette approche, le Royaume peut espérer renforcer l’approche qu’il a déjà entamé avec l’adoption de la stratégie Halieutis et favoriser l’adoption des mesures d’adaptation qui permettront au secteur halieutique de faire face aux menaces, nouvelles et existantes, du changement climatique. 13 Pour plus de détails sur cette approche, telle qu’appliquée par la Banque Mondiale dans d’autres pays, voir, “The Economics of Adapting Fisheries to Climate Change, Adaptation to Climate Change in Developing Country Fisheries”, Kieran Kelleher, The World Bank. 26 Annexe 1 : Evolution des captures depuis 1983 27 BIBLIOGRAPHIE Allison et al., Vulnerability of national economies to the impacts of climate change on fisheries, Fish and Fisheries, 2009. A. Amachraa, Enquête sur la perception du changement climatique et la vulnérabilité de l’activité de pêche au Maroc. Banque Mondiale, Rabat, 2011. Banque Mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, Développement et changement climatique, 2010. K. Brander, Assessment of possible impacts of climate change on fisheries, WBGU, 2006. Daw, T. et al. Climate change and capture fisheries: potential impacts, adaptation and mitigation. In K. Cochrane, C. De Young,D. Soto and T. Bahri (eds). Climate change implications for fisheries and aquaculture: overview of current scientific knowledge. FAO Fisheries and Aquaculture Technical Paper. No. 530. Rome, FAO. pp.107-150, 2009 Food and Agriculture Organization. Fisheries and Aquaculture in our Changing Climate, Rome, 2009 at ftp://ftp.fao.org/FI/brochure/climate_change/policy_brief.pdf Food and Agriculture Organization, Climate change implications for fisheries and aquaculture – Overview of current scientific knowledge, Rome, 2009. Food and Agriculture Organization, La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, Rome, 2010. K. Kelleher, The Economics of Adapting Fisheries to Climate Change, Adaptation to Climate Change in Developing Country Fisheries, The World Bank Royaume du Maroc, Plan National de Lutte Contre le Réchauffement Climatique, 2009. X. Vincent, Adaptive management in the fisheries sector: a solution for climate change adaptation and mitigation? AFTEN, Banque Mondiale. 28