PROGRAMME POUR L’EAU ET L’ASSAINISSEMENT : NOTE DE TERRAIN Mai 2014 97215 Fourniture de services d’adduction d’eau et d’assainissement dans des États fragiles Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti Enseignements du projet Eau potable et assainissement rural dans le département du Sud (EPAR-Sud) Jean-Martin Brault, Zael Sanz et Bruno Le Bansais Le Programme pour l’eau et l’assainissement est un partenariat rassemblant plusieurs donateurs. Administré par le pôle de pratiques mondiales pour l’eau du Groupe de la Banque mondiale, il vise à favoriser l’accès abordable, sûr et durable des populations pauvres aux services d’adduction d’eau et d’assainissement. Remerciements Les auteurs souhaitent remercier Michael Merisier, directeur technique adjoint, et Fabienne Beltrand, directrice du Département rural à la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA)  ; Pierre-Yves Rochat, directeur de projet à la Coopération suisse en Haïti ; et Jerome Stanley, spécialiste du développement communautaire, pour leur précieux concours. Contactez-nous Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site www.wsp.org ou écrivez à Zael Sanz à l’adresse wsplac@worldbank.org. Le Programme pour l’eau et l’assainissement est un partenariat rassemblant plusieurs donateurs. Administré par le pôle de pratiques mondiales pour l’eau du Groupe de la Banque mondiale, il vise à favoriser l’accès abordable, sûr et durable des populations pauvres aux services d’adduction d’eau et d’assainissement. Parmi ses bailleurs de fonds figurent l’Australie, l’Autriche, la Banque mondiale, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, la France, la Fondation Bill & Melinda Gates, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. Les constatations, interprétations et conclusions figurant dans le présent ouvrage n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient être attribuées à la Banque mondiale ou à ses institutions affiliées, ou aux membres du Conseil des administrateurs de la Banque mondiale ou aux pays qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données figurant dans cet ouvrage. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Le contenu de cette publication fait l’objet d’un dépôt légal. Les demandes d’autorisation de reproduction de parties de ce texte doivent être envoyées à l’adresse suivante  : worldbankwater@worldbank.org. Le programme WSP encourage la diffusion de ses études et, normalement, accorde sans délai l’autorisation d’en reproduire des passages. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site www.wsp.org. © 2015 Banque internationale pour la reconstruction et  le  développement / Banque mondiale Programme pour l’eau et l’assainissement (WSP) Région Amérique latine et Caraïbes wsplac@worldbank.org www.wsp.org | www.worldbank.org/water Fourniture de services d’adduction d’eau et d’assainissement dans des États fragiles Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti Enseignements du projet Eau potable et assainissement rural dans le département du Sud (EPAR-Sud) Le présent document a pour but de partager les enseignements particulièrement dans les départements du Sud et des Nippes tirés de l’évaluation finale de la mise en œuvre de la composante du pour la composante financée par la Banque mondiale et dans le projet Eau potable et assainissement rural financée par la Banque département de la Grande-Anse pour le volet financé par la Banque mondiale dans le département du Sud. interaméricaine de développement. LE PROJET EN BREF En transformant radicalement le mode de fonctionnement des Tête de proue de la réforme du secteur de l’eau potable et de services d’adduction d’eau dans les collectivités visées, le projet l’assainissement en Haïti, le projet Eau potable et assainissement EPAR — août 2007 à novembre 2013 — est parvenu à accroître rural (EPAR) de la Direction nationale de l’eau potable et de substantiellement l’accès auxdits services et en améliorer la l’assainissement (DINEPA) prévoyait la construction ou la remise viabilité, tout cela durant une période marquée par l’instabilité en état de systèmes d’approvisionnement en eau potable dans des politique, de violents ouragans, le séisme de 2010 et l’épidémie villes secondaires de moins de 10 000 habitants au sud du pays, de choléra. Vue de la commune de Chantal, arrondissement Les Cayes, dans le département du Sud, Haïti. Photo « Chantal » par Pandario (CC BY-NC-ND 3.0). www.wsp.org 3 NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles HAÏTI 10,4 millions d’habitants Données démographiques des zones d’intervention Commune Chardonnières Commune Chantal Commune Maniche Commune Baradères Population totale 24 087 Population totale 32 562 Population totale 22 841 Population totale 39 361 Urbaine 7 528 Urbaine 3 941 Urbaine 989 Urbaine 4 217 Rurale 16 559 Rurale 28 621 Rurale 21 852 Rurale 35 144 Commune Cavaillon Commune Miragoane Population totale 46 462 Population totale 59 670 Urbaine 2 070 Urbaine 15 069 Rurale 44 392 Rurale 44 601 DÉPARTEMENT DU SUD Population totale 739 565 Commune Cayes Population totale 144 765 Urbaine 160 604 Urbaine 80 120 Rurale 64 645 Rurale 578 961 Commune Coteaux Commune Arniquet Commune Ile à Vache Commune Fond des Nègres Population totale 20 329 Population totale 27 847 Population totale 14 695 Population totale 31 886 Urbaine 6 292 Urbaine 1 735 Urbaine 1 880 Urbaine 5 121 Rurale 14 057 Rurale 26 112 Rurale 12 815 Rurale 26 765 Source : Institut haïtien de statistique et d’informatique, 2012. Remarque : Les communes figurant sur la présente carte sont situées dans le département du Sud, à l’exception de Fond Tortue, Fond des Nègres et St. Michel/Dimizaine qui se trouvent dans le département des Nippes. 4 www.wsp.org NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles Réforme de la gestion de l’eau 56 % dans un contexte de crise Accroissement annuel Population de la population (2013) urbaine imminente Les précédents investissements réalisés 1,4 % dans l’infrastructure de l’approvision- nement en eau du département du Sud Population rurale 44 % étaient limités et ne faisaient pas l’objet d’un suivi en dehors des collectivités. Les services d’adduction d’eau se sont donc rapidement détériorés dans cette région et Produit intérieur brut (PIB) Dépenses de santé Taux de mortalité des enfants la pratique consistant à s’approvisionner par habitant (pourcentage de croissance annuelle) (2013) par habitant (2012) de moins de cinq ans pour 1 000 naissances vivantes (2013) gratuitement s’est profondément enraci- née, compromettant davantage la viabilité des services. 2,8 % USD 52,5 73 Dans ce contexte, un modèle de gestion associant des opérateurs privés locaux — élaboré au Bénin et à Madagascar avec l’ap- pui de la Banque mondiale — a été adapté et mis en application ; la DINEPA a établi des agences déconcentrées pour appuyer AUTRES INDICATEURS et superviser les prestataires de services ; et des systèmes de facturation par rapport Ratio de la population pauvre Classement au Abonnements en fonction du seuil de titre de l’indice du à la téléphonie mobile au volume consommé ont été introduits. pauvreté national (2012) développement humain (2013)* pour 100 personnes (2013) Si son adoption a posé d’énormes défis, ce nouveau modèle s’est révélé efficace pour la Niveau national 58,5 % fourniture de services durables d’approvi- sionnement en eau potable dans des villes Zones urbaines 40,6 % #168 69 secondaires d’Haïti. Zones rurales 74,9 % Le processus de réforme engagé en 2009 a permis à la DINEPA d’assurer une présence continue aux niveaux régional et local à travers l’institution d’offices régionaux de l’eau potable et de l’assai- ACCÈS À DES SERVICES D’APPROVISIONNEMENT EN EAU POTABLE nissement (OREPA), d’unités rurales ET D’ASSAINISSEMENT DE MEILLEURE QUALITÉ (2012) départementales (URD) et de techniciens en eau potable et assainissement pour les Niveau national communes (TEPAC) ; et la formulation d’une nouvelle politique face aux résul- 47,4 % 74,6 % tats modestes obtenus par les modèles 62,3 % de gestion communautaire en matière de fourniture de services durables d’approvi- sionnement en eau potable dans des villes secondaires. Zones rurales Zones urbaines Ce processus a ouvert la voie à l’élabo- ration d’un modèle de gestion basé sur une association d’usagers (le comité 16,3 % 31 % d’approvisionnement en eau potable et assainissement — CAEPA), un opérateur professionnel (lié par contrat aux CAEPA 24,4 % pour l’exploitation du système et le re- couvrement des paiements) et l’URD, qui Niveau national est chargée d’appuyer et de superviser à la Sources : Indicateurs du développement dans le monde (base de données), Banque mondiale, Washington (consultés le 15 novembre 2014), http://databank.worldbank.org/ fois les CAEPA et les opérateurs. * Programme des Nations Unies pour le développement, Rapport sur le développement dans le monde 2014, 2014. www.wsp.org 5 NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles Figure 1 : Intervenants du modèle de gestion du projet EPAR OPÉRATEUR Frais PROFESSIONNEL Frais Dé gest ervis l sei de sup lég ion ion on de ati et s-c Service d’adduction d’eau Rémunération du service on ce rvi Se Transfert de la propriété des infrastructures Régulation et appui Unités rurales Comités d’approvisionnement départementales en eau potable et (UERD-DINEPA) assainissement (CAEPA) ion Se ct nsi Éle bil isa tio n POPULATION LOCALE L’opérateur professionnel local, une solution suffisantes, mais ont encore besoin d’un renforcement de capacités pour accroître l’accès à des services durables en finances et gestion. d’approvisionnement en eau potable Le projet EPAR a été le premier du genre à faire intervenir un Les opérateurs professionnels ont été sélectionnés par un comité opérateur privé dans les localités rurales d’Haïti. Sa mise en œuvre composé de représentants de la DINEPA, des assistants tech- a donc nécessité des ajustements continus. Il s’est avéré que l’ex- niques du projet et du CAEPA concerné, pour veiller à ce que ploitation d’un tel système ne pouvait être qu’une activité auxiliaire les personnes retenues soient acceptées par les usagers et qu’elles pour les opérateurs, et ne serait pas, dans la majeure partie des cas, possèdent les compétences requises en gestion. Les critères de leur principale source de revenus. Les opérateurs emploient une sélection prédéfinis étaient les suivants, entre autres : être res- demi-douzaine de personnes : plombiers, secrétaires, vendeurs de sortissant de la commune et être capable de présenter un plan kiosques. Ils gèrent une clientèle de 100 à 300 ménages raccordés d’activités opérationnel. Ce processus a permis de recenser, au au réseau d’adduction d’eau par des branchements assortis de sein de la population locale, des opérateurs ayant différents par- compteurs (même si un taux forfaitaire est appliqué dans certains cours professionnels, y compris des enseignants, des avocats, des cas), et un certain nombre de kiosques dans lesquels les paiements pêcheurs et des agents de l’État. Les opérateurs retenus ont reçu sont fonction du nombre de bokits (réservoirs d’une contenance une formation technique et administrative de base : la plupart de 19 litres) achetés. d’entre eux présentent désormais des connaissances techniques 6 www.wsp.org NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles Kiosques construits par le projet EPAR. Photo Jean-Martin Brault. Meilleur accès à l’eau les usagers des kiosques (21 % des ménages) et les personnes qui achètent de l’eau auprès de leurs voisins directement raccordés au Indubitablement, ce projet a amélioré l’accès à l’eau potable dans réseau (10 %), la population totale approvisionnée en eau potable les collectivités ciblées. Il a commencé par poser les bases nécessaires à travers un réseau géré par un opérateur professionnel serait de à un traitement régulier de l’eau au chlore. Le programme de suivi 50 000 personnes. Ce chiffre augmentera encore une fois que SIS-KLOR1, qui a été établi à la faveur de la réforme et facilite le les nouvelles demandes de branchement enregistrées auront été contrôle du chlore résiduel au fil du temps, a démontré que les opérateurs procèdent régulièrement à la chloration de l’eau. La satisfaites : 65 % des ménages s’approvisionnant aux kiosques ont fourniture continue de chlore libre par la DINEPA et le suivi ef- exprimé le souhait d’être raccordés au réseau. fectué par les URD aideront à maintenir ce résultat au fil du temps. Le projet a donné accès à l’eau à 10 000 personnes supplémentaires Concernant l’accès, le pourcentage de ménages raccordés au vivant dans des localités où le système d’adduction d’eau n’était réseau d’adduction d’eau est passé de 8 à 20 %2 dans les collec- pas géré par un opérateur professionnel, ce qui signifie qu’environ tivités bénéficiaires du projet, contre une moyenne de 5 % dans 51 % des ménages situés dans les collectivités ciblées ont pu accéder les villes secondaires et les villages du pays en 2011. Si on ajoute à de l’eau potable grâce au projet EPAR. 1 SIS-KLOR est une initiative de suivi en temps réel par laquelle des équipes mobiles de contrôle de l’eau transmettent à la DINEPA, par SMS, les résultats de l’échantillonnage réalisé dans les camps et les collectivités. 2 Pourcentages calculés à partir des registres de branchement des ménages tenus par les opérateurs professionnels et les CAEPA chargés de l’exploitation des systèmes durant la période d’exécution du projet (août 2007 — novembre 2010). www.wsp.org 7 NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles Les frais de raccordement ou le tarif de l’eau n’étaient pas la Gestion professionnelle, locale et rationnelle principale raison avancée par les ménages pour ne pas demander un branchement, ce qui donne à penser que l’accroissement de Les opérateurs ont des compétences limitées en comptabilité, l’accès a été réalisé tout en maintenant des tarifs abordables pour effectuent principalement des transactions en espèces qui ne sont les populations. généralement pas consignées et, lorsqu’ils en établissent, leurs états financiers sont de très mauvaise qualité et le plus souvent circonscrits à l’encaisse. Après reconstruction de ces états finan- Le projet a amélioré l’accès de ciers, on a pu constater que ces opérateurs obtiennent des résultats 60 000 personnes à l’eau, ce qui tangibles : avec un volume moyen de ventes de 23 dollars par an, représente 51 % des résidents par ménage raccordé ou par client de kiosque, et 30 dollars pour les opérateurs les plus efficaces, leur rétribution devrait représenter de la région. 25 % des recettes. Cependant, les kiosques n’étaient pas utilisés aussi fréquemment que prévu – on s’attendait en effet à ce que chaque kiosque desserve Tableau 1 : Kiosques installés et remis en état dans approximativement 150 ménages, eu égard à la demande exprimée. le département du Sud En fait, la gestion de ces installations s’est avérée difficile pour les opérateurs, qui les ont progressivement abandonnées, car incapables d’assurer un service continu à chaque kiosque. Les usagers qui n’étaient pas disposés à payer ont trouvé une solution facile pour Réseau Nombre de Nombre de obtenir de l’eau en ouvrant de force les kiosques laissés à l’aban- kiosques kiosques installés ou opérationnels à la don, sans que les opérateurs ne puissent les persuader de mettre remis en état clôture du projet fin à cette pratique. Par conséquent, à peine 50 % des kiosques sont gérés par les opérateurs, et on estime que 15 % des ménages St Michel/Dimizaine 9 5 s’approvisionnent auprès des kiosques abandonnés. Cavaillon 33 10 Figure 2. Évolution de l’accès à l’eau suite à la mise en œuvre du projet EPAR-Sud Simon 2 1 Maniche 9 4 60 % Chantal 13 13 50 % Arniquet 6 2 40 % Accès aux kiosques Coteaux 22 5 Accès à l’eau revendue par les voisins Ile à Vache 6 0 30 % Accès à un branchement privé au réseau Fond des Nègres 12 12 20 % Chardonnières 11 3 10 % Total 123 55 0% Source : Elizabeth Kleemeier, Rapport de fin d’exécution du projet EPAR, Washington, Banque mondiale, 2014. Avant le projet Après le projet *Remarque : Tous les réseaux ci-dessus sont situés dans le département Source : Opa Diallo et Raphaël Torquebiau, Évaluation de l’implication du du Sud, à l’exception de Fond des Nègres et St Michel/Dimizaine qui se secteur professionnel local dans la desserte en eau en milieu rural en Haïti trouvent dans le département des Nippes. Les kiosques hors-service ont et évaluation de l’adaptabilité de ce nouveau modèle de gestion et de la été fermés surtout en raison de l’insuffisance d’une clientèle payante pour facturation au volume à l’échelle nationale, Haïti, 2013. assurer la viabilité du service à ces points d’eau. 8 www.wsp.org NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles Borne-fontaine remise en état par le projet EPAR. Photo Jean-Martin Brault. Ces ressources servent principalement à couvrir les dépenses de Les opérateurs ont atteint le seuil personnel (41 %), qui demeurent un poste d’économies poten- de rentabilité et ont les moyens tielles au regard des conditions d’exploitation actuelles. Cela étant, 8 % des coûts se rapportent aux travaux d’infrastructure, ce qui d’améliorer leur viabilité et représente une amélioration considérable par rapport à la situation de développer leurs services. d’avant-projet, quand les CAEPA n’entretenaient quasiment pas les réseaux. Même si ces travaux se limitent le plus souvent à des En vertu de leurs obligations contractuelles, les opérateurs doivent réparations et aucun véritable programme d’entretien n’est en place, également acquitter des frais équivalents à 15 % et 4 % de leurs les opérateurs ont le potentiel nécessaire pour gérer les installations ventes mensuelles au CAEPA (pour couvrir leurs charges de fonc- de façon proactive. tionnement et pour la création d’un fonds de renouvellement) et à l’OREPA concernés (pour couvrir les dépenses relatives à l’action Les opérateurs ont également démontré leur capacité à fournir de de supervision soutenue des URD), respectivement. Néanmoins, nouveaux branchements et accroître davantage l’accès aux services les OREPA n’ont pas encore ouvert le compte bancaire exigé pour d’adduction d’eau. Cette situation s’explique toutefois par la recevoir ces fonds et les paiements destinés aux CAEPA, qui ne fourniture à titre gracieux d’un lot de compteurs dans le cadre du sont pas effectués de façon systématique et sont calculés en pour- projet. Le prix des compteurs d’eau en Haïti (plus de 100 dollars), centage des montants recouvrés et non du volume d’eau facturé. la courte période contractuelle durant laquelle l’opérateur doit De plus, ces paiements sont généralement effectués en numéraire, amortir ses investissements (3 ans) et l’absence de soutien de la le cas échéant, et ne sont pas consignés dans les livres comptables part des CAEPA et des URD pour réduire les taux de délinquance, des CAEPA. empêchent les opérateurs d’élargir leur clientèle. Une solution à long terme devra être proposée à la DINEPA pour surmonter cet Somme toute, les résultats de l’évaluation donnent des raisons de obstacle — étendre par exemple la durée du contrat de gestion croire au potentiel du nouveau modèle de gestion mis en place : les et/ou de bail des équipements ou subventionner les marchés. opérateurs professionnels ont réussi à amortir leurs coûts d’exploi- tation, réaliser quelques bénéfices et financer des travaux d’entretien www.wsp.org 9 NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles correctif pendant environ trois ans, tout en améliorant l’accès à l’eau sur la base du volume d’eau consommée, en dépit d’engagements potable par le raccordement des ménages au réseau. Ils assurent préalables pris par les collectivités et du consensus parmi la po- en outre le service à la satisfaction des populations bénéficiaires. pulation sondée concernant les avantages de la facturation au volume, notamment l’équité et la capacité à réduire le gaspillage À cet égard, des enquêtes réalisées sur le terrain montrent que les de l’eau. usagers des villes dans lesquelles cette solution a été expérimentée en sont très satisfaits. En plus du très haut niveau de confiance qu’ils En comparaison, compte tenu de la fréquentation limitée des placent dans la qualité de l’eau, les usagers approuvent dans leur kiosques et des faibles niveaux de recouvrement des recettes pour grande majorité le modèle de gestion de l’opérateur professionnel, les services fournis via les branchements privés des ménages, y compris dans les villes dans lesquelles le contrat de l’opérateur a la pratique de la revente de l’eau aux voisins doit être réexaminée. été résilié et les fonctions de gestion sont assumées par le CAEPA. Environ 37 % des ménages disposant d’un branchement vendent de l’eau à leurs voisins, à des prix similaires à ceux appliqués par les 80 % des clients des opérateurs kiosques. Cette pratique, qui n’a pas été incorporée formellement au cadre d’orientation du projet, permet à 10 % des ménages des professionnels se sont déclarés collectivités ciblées d’accéder à l’eau potable. satisfaits du service. Le taux de recouvrement des recettes par les opérateurs profes- sionnels atteint une moyenne de 50 %, et jusqu’à 66 % dans Figure 3 : Proportion de personnes satisfaites le meilleur des cas, ce qui reste trop faible pour que les revenus par la qualité de l’eau tirés de la gestion de l’eau suffisent à couvrir seuls les besoins de l’opérateur. En revanche, ce taux suffit pour que l’opérateur réalise 100 % quelques bénéfices, grâce à la fourniture par la DINEPA d’intrants à titre gracieux comme le chlore ou un premier lot de compteurs. 80 % La réussite ou l’échec des opérateurs professionnels dépend lar- gement des CAEPA, ces organisations auxquelles ils sont liés par Ménages raccordés un accord d’exploitation et qui sont des entités juridiques élues au réseau 60 % pour gérer les systèmes d’adduction d’eau construits. En fait, ces Usagers de kiosques comités prennent souvent le parti des usagers face aux opérateurs professionnels, non seulement en ce qui concerne particulièrement 40 % le rejet d’un système de paiement basé sur les volumes consommés, mais aussi dans des cas de branchements illicites ou de problèmes sans rapport avec le service. La raison en est que le CAEPA se 20 % considère d’abord comme une association d’usagers chargée de défendre les intérêts de la clientèle de l’opérateur, plutôt que comme l’organisation responsable de la fourniture de services d’adduction 0% d’eau potable à long terme, à travers un accord de délégation conclu Avant le projet Après le projet avec un opérateur. Les opérateurs ont besoin d’un appui ferme des autorités en matière de formation et d’application des lois. C’est l’un des Source : Opa Diallo et Raphaël Torquebiau, Évaluation de l’implication du objectifs de la réforme portant création des URD, qui devraient secteur professionnel local dans la desserte en eau en milieu rural en Haïti dispenser une formation spécifique aux opérateurs sur les aspects et évaluation de l’adaptabilité de ce nouveau modèle de gestion et de la facturation au volume à l’échelle nationale, Haïti, 2013. techniques et administratifs du service, et faire office d’agent de médiation indépendant entre les CAEPA et les opérateurs. Cependant, si les opérateurs s’en sont félicités, cet appui n’a Défis pour parvenir à la durabilité pas suffi à corriger toutes leurs lacunes. Les besoins de forma- tion des CAEPA ne sont également pas satisfaits. En outre, par L’accès aux services d’adduction d’eau par le raccordement de manque de ressources humaines et logistiques, les URD ont été ménages au réseau a été élargi grâce à l’installation généralisée de incapables de tenir leur rôle de médiateur dans les cas les plus compteurs pour faciliter la facturation au volume. Cependant, les litigieux, les CAEPA imposant leur volonté. Il reste à apporter systèmes de paiement basés sur la consommation ne pouvaient les ajustements nécessaires pour définir clairement les rôles de être appliqués obligatoirement partout. La première difficulté est ces trois intervenants et mieux formaliser leurs relations. Dans venue des systèmes remis en état, bon nombre d’anciens usagers un cas, un CAEPA a démis un des opérateurs professionnels s’étant opposés à l’installation de compteurs. Étant parvenus à de ses fonctions à l’insu de l’URD. Tous les autres opérateurs faire obstacle à cette initiative, ils ont persuadé les CAEPA et professionnels souhaiteraient avoir des précisions sur les moda- d’autres usagers de rallier leur cause. Des usagers desservis par lités de coupure de l’alimentation ou d’imposition éventuelle certains systèmes d’adduction ne reçoivent donc pas de factures d’amendes aux clients. 10 www.wsp.org NOTE DE TERRAIN : Professionnalisation de l’alimentation en eau potable dans des villes secondaires d’Haïti États fragiles Disponibilité des ressources en eau Les hypothèses concernant la disponibilité des ressources en eau sont inexactes. Deux sources, qui alimentent les réseaux d’eau, ont connu des périodes d’étiages plus longues que prévu, créant trois mois de pénuries. L’accroissement annoncé de la demande devrait aggraver la situation. Un contrôle continu du débit des sources est nécessaire, au lieu d’un simple inventaire des niveaux ou de mesures distinctes. En outre, aucune mesure efficace n’a été prise pour la protection des sources, malgré la place accordée à la qualité de l’eau par le projet. Équipe d’opérateurs professionnels à Arniquet. Photo Jean-Martin Brault. CONCLUSIONS ET ENSEIGNEMENTS • Si le processus de recrutement a permis de sélectionner des • Grâce au projet, il y aura une augmentation réelle et durable opérateurs jugés légitimes par les usagers, il n’a pas attiré de de l’approvisionnement en eau des populations des collec- candidats disposant des compétences requises en finance et tivités bénéficiaires dans le sud du pays, ce qui améliorera gestion. Les URD ont besoin de temps pour fournir l’appui l’accès à l’eau pour la majeure partie des ménages haïtiens. nécessaire et faire en sorte que ces opérateurs améliorent suffisamment leurs compétences. • Le modèle de partenariat public-privé utilisé peut être consi- déré comme une réussite, même s’il faudra plus de temps • Les conflits qui ont surgi sur le terrain entre les opérateurs pour en évaluer la viabilité et établir que les opérateurs professionnels et les CAEPA ou d’autres acteurs locaux peuvent assurer le service dans un environnement difficile. n’ont pas pu être résolus par l’intervention des URD, qui n’a ni les moyens ni les structures de contrôle requises • Les opérateurs ne disposent pas encore de garanties contrac- pour remplir pleinement son rôle de régulateur. Il reste tuelles suffisantes pour planifier à long terme les activités à apporter les ajustements nécessaires pour définir claire- commerciales ou l’entretien des installations. ment le rôle de ces trois intervenants et mieux formaliser leurs relations. • Même si les usagers approuvent massivement le modèle de l’opérateur privé, ce dernier dépense beaucoup d’énergie • Les hypothèses concernant la disponibilité des ressources en pour obtenir d’eux qu’ils paient pour leurs branchements eau sont inexactes, et plusieurs villes ont connu des périodes ou leur consommation et doit faire face à l’ingérence des de pénuries imprévues. Cette situation souligne la nécessité responsables politiques locaux. de dépasser le simple inventaire des ressources en mesurant, de façon continue, le débit disponible, et d’identifier les • L’augmentation du nombre de kiosques n’était pas la solu- méthodes efficaces de protection des sources. tion idoine pour accroître l’accès, et bon nombre desdits kiosques ont été progressivement abandonnés par leur • Une solution à long terme est nécessaire pour rendre les opérateur. Cela dit, même si elle n’est pas prise en compte compteurs plus accessibles aux opérateurs et permettre ainsi dans le projet, la pratique de la revente de l’eau aux voisins à ces derniers de continuer à élargir leur clientèle. pourrait atteindre les mêmes objectifs. www.wsp.org 11 Programme pour l’eau et l’assainissement (WSP) Région Amérique latine et Caraïbes Groupe de la Banque mondiale wsplac@worldbank.org www.wsp.org | www.worldbank.org/water