38020 UNION DES COMORES Avant - Projet de Code d'Investissement Commentaires Mai 2006 Service-Conseil pour l'Investissement Etranger Service conjoint de Société Financière Internationale (SFI) et de la Banque Mondiale (BIRD) TABLE DES MATIERES Page I. Résumé et Évaluation générale ............................................3 II. Description des Régimes d'Incitations Proposés.........................6 III. Évaluation des Régimes d'Incitations Proposés.........................10 IV. Garanties Juridiques et Cadre Institutionnel..............................17 V. Conclusions....................................................................23 2 Commentaires du FIAS sur l'avant projet de loi modifiant la Loi N° 95 ­ 015/AF et portant Code d'Investissement en Union des Comores I. Résumé et Évaluation générale 1. L'avant-projet de loi proposé par le gouvernement1 de l'Union des Comores vise à modifier le Code d'Investissement adopté en 1995. Ce Code de 1995 avait lui même remplacé le Code de 1984 en uniformisant les divers régimes d'incitations à l'investissement. 2. L'avant projet de loi soumis à notre examen porte essentiellement sur les incitations à l'investissement et nos commentaires seront donc naturellement centrés sur cette question. Nos commentaires ne reposent que sur l'examen de ce projet et sur notre expérience des meilleures pratiques internationales en matière de législation d'investissement, de procédures et d'incitations. Nous n'avons pas eu accès ni analysé les autres lois du pays, notamment la Constitution, le Code général des Impôts, la loi sur les sociétés commerciales, et les autres textes importants en matière d'investissement. 3. En ce qui concerne la fiscalité des affaires, il a été porté à notre connaissance que le taux de l'impôt sur sociétés (Impôt sur les Bénéfices Divers ou IBD) aux Comores est de 35% et que les autres principaux « droits et impôts » sur les transactions aux Comores sont: la taxe sur le chiffre d'affaires, les contributions des patentes, la taxe foncière, la Taxe Professionnelle Unique, les droits de douane à l'importation de machines et d'équipement. 4. Le projet propose d'introduire, outre un régime incitatif de droit commun, quatre régimes privilégiés (dits régimes A, B, C, and D) avec des incitations fiscales et non- fiscales supplémentaires. 5. Les objectifs déclarés de ces incitations sont l'encouragement des exportations, la promotion de l'emploi national, de l'utilisation des ressources locales, de la croissance en zone rurale mais aussi la poursuite d'opportunités équilibrées entre les différentes iles de l'Union. 6. Les quatre régimes sont destinés aux investisseurs qui investissent dans certains secteurs: les industries orientées vers l'exportation, l'agroalimentaire, le tourisme, les technologies de l'information, le logement social, et les PME appartenant à, et gérées par des nationaux. Les formes et durées des incitations proposées varient d'un régime à l'autre, en fonction de certains critères et conditions d'éligibilité liées (entre autres) au 1 Ministère de l'Economie, du Commerce Extérieur, de la Promotion Industrielle et de l'Emploi. 3 secteur, au montant de l'investissement, à la création d'emplois. Les investissements nouveaux comme les extensions de projets existants sont éligibles aux régimes préférentiels. 7. Les principales incitations consistent en une exonération d'I.S. (tax holidays) d'assez longue durée (cinq à vingt ans), des droits de douane réduits sur les biens d'équipement, des réductions de charges sociales, et des exonérations de taxes foncières, de droits de licences et de taxe professionnelle. 8. Outre les incitations, le projet de loi offre également des garanties aux investisseurs portant, notamment, sur le traitement non discriminatoire des investisseurs étrangers, le transfert des capitaux, et le règlement des litiges. 9. Sur le plan institutionnel et administratif, le projet annonce la création d'une structure centrale, le CCPI, avec un "Guichet Unique", pour faciliter les procédures d'investissement. Il propose également ce qu'il présente comme étant une procédure simplifiée pour l'octroi d'un des régimes préférentiels, avec une référence explicite à la nécessité de fournir une réponse rapide à l'investisseur. Evaluation d'ensemble 10. Les changements proposés nous semblent à la fois complexes et allant dans le sens inverse des récents efforts de simplification observés par le FIAS en Afrique et dans d'autres régions du monde. En premier lieu, le système incitatif proposé repose essentiellement sur des exonérations, c'est-à-dire des régimes dérogatoires. Or la tendance actuelle est précisément inverse : elle vise à éliminer les régimes préférentiels ou dérogatoires, ou au minimum à en réduire le nombre, tout en rendant la fiscalité d'affaires plus attractive, simple et transparente. Certes, l'île Maurice est fréquemment donnée en exemple d'un pays qui disposait d'un régime complexe d'incitations généreuses et qui a réussi à attirer des flux importants d'IDE. Mais c'est oublier que le climat de stabilité politique et l'efficacité de l'administration fiscale ont largement contribué au développement impressionnant du pays. En outre, Maurice s'est éloigné de ce modèle dans les années 1990 en abrogeant l'exonération fiscale et en adoptant un taux d'IS unique et faible (15%) pour toutes les entreprises étrangères implantées en dehors de la zone franche (EPZ). Certains pays conservent un régime préférentiel pour (par exemple) l'investissement dans les zones économiques spéciales (zones franches ou export processing zones). 11. Le système incitatif proposé, complexe, reposant sur des exonérations ou réductions de taxes et impôts multiples, dont l'octroi et l'ampleur sont liés à la création d'emploi ou à l'investissement dans certains secteurs, emporte un risque d'effets négatifs voire pervers non négligeables, parmi lesquels : a) pertes de recettes pour le gouvernement, pouvant être très significatives, b) coûts administratifs de gestion et de contrôle élevés, c) opportunités de favoritisme et de corruption liées au caractère discrétionnaire des agréments, de leur prolongation ou de leur retrait, d) distorsions de la concurrence dans l'économie, e) incitations à la fraude fiscale, f) projets ou emplois 4 fictifs, etc. sans pour autant garantir un impact positif sur les niveaux d'investissement. L'instabilité politique dont a souffert le pays conduira probablement les investisseurs étrangers à la prudence, malgré ces nombreuses incitations. Et en fin de compte, il est probable que les investissements qui seront réalisés l'auraient été même en l'absence des exonérations fiscales. 12. L'expérience du FIAS montre que d'autres formes d'incitations fiscales pour les investisseurs telles que l'amortissement accéléré ou le crédit d'impôt, peuvent être plus efficaces, plus simples à gérer, et entraîner des pertes de recettes moindres. Les revenus additionnels ainsi générés pourraient servir à encourager l'investissement en finançant des projets de modernisation des infrastructures et de l'administration publique (fiscale notamment), deux éléments plus attractifs pour les investisseurs que l'exonération fiscale. Madagascar est un autre exemple de pays dans la région qui a récemment éliminé l'exonération fiscale en dehors de la zone franche (EPZ) tout en adoptant l'amortissement accéléré sous forme d'un taux dégréssif généreux de 30% sur les machines et l'equipment (sauf pour les ordinateurs et les véhicules). Le Mozambique, l'Afrique du Sud et le Zimbabwe figurant parmi les pays qui ont adopté des formes de crédit d'impôt ou d'investissement (investment allowances) comme principal outil incitatif en dehors des régimes de zones franches. 13. Outre le type d'incitations retenues, l'avant projet, bien que partant d'intentions louables et légitimes, nous parait inadéquat à plusieurs égards. Tout d'abord, l'avant projet de code aurait gagné à être davantage axé sur le traitement accordé aux investisseurs et notamment les garanties qui auraient pu être renforcées et clarifiées. Nous en donnerons plusieurs exemples dans le corps du rapport. Ensuite, le cadre institutionnel nous parait complexe et aurait également pu être simplifié, ce qui sera d'ailleurs plus facile à réaliser si nos recommandations en matière d'incitations étaient suivies. Enfin le texte aurait gagné en clarté si des définitions des concepts importants avaient été insérées au début du texte (investisseur, investissement privé, investissement direct étranger, travailleur étranger, etc.). La numérotation des articles et la cohérence des versions française et anglaise doivent également être revues avec attention. 5 II. Description des Incitations Proposées dans le Projet de Loi 14. Le projet de loi propose un système incitatif double composé d'un « Régime de Droit Commun » (Livre 1) et de quatre Régimes « Privilégiés » (les régimes A, B, C, and D traités au Livre 2). Les caractéristiques principales de chacun de ces deux régimes sont résumées dans les 6 tableaux ci-dessous: Tableau 1. Régime de Droit Commun Eligibilité: L'avant projet ne pose pas d'exigence particulière pour l'accès au régime de droit commun. Il indique que les entreprises doivent satisfaire aux conditions prévues par le Code général des Impôts. Principaux avantages (résumé): (a) Droits à l'importation de machines et équipement réduit à 5% (sous conditions à respecter) (b) Entreprises nouvelles, industrielles agro-forestières, touristiques : exonération d'IBD jusqu'à la 5ème année (c) Exemption des plus values de fusion ou pour cession d'actif immobilisé (quand réinvesti) (d) Concessionnaires de mines, Cultivateurs, éleveurs et pêcheurs : exemption permanente de CP et TPU (e) Usines nouvelles : exemption temporaire pendant 5 ans de CP et TPU (f) Impôt sur la propriété: exemption temporaire ou permanente selon les cas (g) Taxe sur le Chiffre d'Affaires : exonération pour les produits agricoles, forestiers, d'élevage et de pêche (non transformés). 6 Tableau 2. Régimes Privilégiés : Secteurs, Conditions et Avantages Communs Secteurs d'Activité Eligibles: (a) Agriculture, Elevage, Pêche (b) Activités manufacturières (c) Mines (d) Logement social (e) Tourisme et hôtels (f) Stockage de produits alimentaires et agricoles du cru (g) Laboratoires de recherche (h) Activités socioculturelles (i) Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) Remarque : l'art 12 précise que les entreprises exerçant des activités industrielles ( ?) dans d'autres secteurs (santé, éducation) peuvent bénéficier d'une décision particulière d'agrément à l'un des quatre régimes. Exigences de base communes à tous les Régimes Privilégiés (a) Investissement minimum de 25 millions de francs comoriens (sauf régime A) (b) Financement sur fonds propres d'au moins 25% de l'investissement (c) 60% de la masse salariale (ou plus) consacrée à des employés Comoriens (sauf pour le Régime A) (d) Priorité accordée aux fournitures locales Avantages communs à tous les Régimes Privilégiés (a) Une exonération d'IS pour tous mais de durée et barême variables entre les 4 régimes (b) Préférence dans l'accès aux concours financiers de la BDC et des autres institutions financières (c) Obtention de devises pour l'importation de matériels pour le projet (d) Eventuellement : restrictions temporaires à l'importation de marchandises concurrentes (e) Eventuellement : tarifs préférentiels pour les droits et taxes de sortie (export) (f) Incitation à la création d'emploi (taxe sur les salaires au taux réduit et déduction du résultat imposable) (g) Incitations à la Décentralisation (variables selon la localisation ­ 5 zones) 7 Tableau 3. Eligibilité et Avantages du Régime A Critères d'Eligibilité: (a) Petites et moyennes entreprises dont les actionnaires majoritaires sont des nationaux (b) Un programme d'investissement de 5 millions à 25 millions de FC (entreprise nouvelle) ou de 5 millions à 100 millions de FC (extension d'activité) (c) Création de 5 emplois (au moins) (d) Formation continue des travailleurs (e) Priorité accordée aux fournitures locales Avantages: (a) Exonération d'IBD: 100% pour les 3 premières années; 50% la 4ème année; 25% la 5ème année (b) Exonération d'impôt sur le revenu (personnes physiques) pendant 5 ans (c) Droits à l'importation de machines et équipement réduit (5%) (d) Taux de droits de sortie (export) peuvent être réduits ou nuls (e) Exonération de la taxe professionnelle pendant 5 ans (f) Exonération (ou réduction) de la taxe foncière pendant 5 à 10 ans (g) Réduction des charges sociales pour formation et recrutement (h) Priorité dans les appels d'offres nationaux (marchés publics) Tableau 4. Eligibilité et Avantages du Régime B Critères d'Eligibilité: (a) Entreprises dont l'activité est limitée au territoire national (b) Programme d'Investissement d'au moins 25 millions de FC (ou investissement de 20.000 Euro par des Comoriens de la diaspora) (c) Création d'au moins 10 emplois (pour obtenir la réduction de charges sociales) Avantages: (a) Exonération d'IBD: 100% pour les 8 premières années; 50% la 9ème année; 25% la 10ème année (b) Exonération d'impôt sur le revenu (personnes physiques) pendant 5 ans (c) Droits à l'importation de machines et équipement réduit (5%) (d) Taux de droits de sortie (export) peuvent être réduits ou nuls (e) Exonération de la taxe professionnelle pendant 5 ans pour les usines nouvelles (f) Exonération de la taxe foncière pendant 5 à 10 ans pour les constructions nouvelles (g) Exonération de la taxe sur le chiffre d'affaires (mais pas de la taxe sur la consommation) (h) Réduction des charges sociales pour formation et recrutement 8 Tableau 5. Eligibilité et Avantages du Régime C Critères d'Eligibilité: (a) Entreprises tournées vers l'Export (au moins 80% des activités) (b) Programme d'Investissement d'au moins 25 millions de FC (c) Création d'au moins 20 emplois (pour obtenir la réduction de charges sociales) Avantages: (a) Exonération d'IBD: 100% pour les 10 premières années; 50% de la 11ème à la 15ème année (b) Taux de droits de sortie (export) peuvent être réduits ou nuls (c) Régime du drawback (restitution de droits) pour les matières premières (d) Droits à l'importation de machines et équipement réduit (5%) Tableau 6. Eligibilité et Avantages du Régime D Critères d'Eligibilité: (a) Entreprises « de grande importance pour le développement des Comores » (b) Investissements supérieurs à 500 millions FC (c) Dans les secteurs suivants : tourisme, pêche, agroalimentaire, NTIC (d) Créant au moins 50 emplois (pour obtenir la réduction de charges sociales) Avantages: (a) Exonération d'IBD: 100% pour les 10 premières années; 50% de la 11ème à la 20ème année (b) Stabilité du traitement fiscal garanti pendant la durée d'application (c) Certains avantages des Régimes B et C peuvent être octroyés dans le Régime D (pas automatique) 9 III. Evaluation des Régimes d'Incitations Proposés A. Un système complexe aux risques élevés et à l'efficacité incertaine 15. Un système très complexe : le premier commentaire est que le système d'incitations proposé dans l'avant projet de loi est extrêmement complexe. Malgré notre longue expérience en matière d'incitations à l'investissement nous avons éprouvé des difficultés à le résumer sous forme de tableaux. Au régime de droit commun, déjà fort compliqué, s'ajoutent quatre régimes d'incitations dits « privilégiés » (A, B, C, et D). L'accès à chacun des quatre régimes est soumis à plusieurs critères et conditions qui souffrent des exceptions. Les renvois à d'autres sections de la loi sont nombreux. Il semble de surcroit que le cumul entre les incitations de droit commun et les incitations d'un ou plusieurs régimes privilégiés soit possible ce qui contribue à compliquer davantage le panorama. Au total, il est fort probable que les investisseurs auront également un certain mal à comprendre les subtilités et la portée de ces différents régimes et sous-régimes. 16. Les incitations sont nombreuses et de natures diverses (exonérations d'IS ; droits de douane et droits de sortie réduits; exonérations ou réductions de droits et taxes divers ; aides à la création d'emplois ; etc.) ; elles sont accordées pour des périodes très variables, et elles sont disponibles pour un grand nombre de secteurs d'activité. L'exonération d'impôt va de 5 années pour les petits investissements de source locale jusqu'à 20 années pour les investissements de grande ampleur. Les bénéficiaires potentiels sont très divers, depuis les promoteurs de logement social jusqu'aux entreprises orientées à l'exportation. 17. La gestion des incitations sera difficile et coûteuse : l'ensemble des critères et exigences à satisfaire (en terme d'emploi, de montant de capital et d'investissement, d'appel aux fournisseurs de biens et de service locaux, etc.) vont nécessairement entrainer des coûts de gestion et de contrôle importants pour les administrations qui devront vérifier que ces conditions sont satisfaites au moment de la demande d'incitation puis qu'elles sont maintenues dans le temps. Ces coûts vont peser sur les finances publiques et les budgets des administrations en question qui, de surcroit, auraient pu affecter ces ressources humaines et financières à des tâches plus utiles pour le pays. Certaines conditions seront soit inutiles soit difficiles à faire respecter. Par exemple, aux termes de l'art. 15 les investisseurs qui bénéficient d'un régime incitatif doivent s'engager à donner la priorité aux fournisseurs de services comoriens si leurs prix et leur qualité sont comparables aux alternatives disponibles. Mais si certains services locaux sont disponibles à qualité et prix équivalents, il est de toute façon rationnel pour l'investisseur de s'approvisionner localement. 18. Risque pour les finances publiques. Le coût d'un tel système ne se résume pas aux coûts liés à sa gestion administrative. Un coût probablement plus important est celui des 10 pertes de recettes fiscales, potentiellement élevées, liées aux exonérations fiscales. C'est un argument auquel le gouvernement des Comores devrait accorder une grande importance. 19. Nombreux effets pervers possibles : certaines conditions exigées pour l'accès aux incitations pourront avoir des effets pervers non souhaités : par exemple, l'exigence de création d'un certain nombre d'emplois (5 pour accéder au régime A) peut conduire certains promoteurs à créer des emplois fictifs ou sans réelle utilité uniquement pour bénéficier du régime en question. Par nature, les exemptions temporaires peuvent inciter les firmes à liquider le projet à l'expiration du délai d'exonération pour soit investir dans un autre pays (footloose investment) soit soumettre le même projet au Comores sous une apparence et identité sociale différentes afin d'obtenir l'ouverture d'une nouvelle période d'exonération. 20. Risque d'abus et de corruption élevé : les nombreuses opportunités d'appréciation discrétionnaire par l'administration qui existent dans le système proposé ici peuvent être source d'abus et de corruption. En soi, le pouvoir d'accorder (ou de retirer) une incitation fiscale, particulièrement une exonération d'impôt, à une entreprise est déjà un pouvoir qui peut se monnayer et constitue une tentation inutile. Ici, la durée précise des incitations est souvent variable et donc laisse place à cette appréciation discrétionnaire. Les autres exemples d'opportunités d'appréciation discrétionnaire (et donc d'abus) incluent : la faculté d'accorder à une entreprise qui se trouve dans un des quatre régimes certaines incitations qui sont normalement réservées aux autres régimes ; l'octroi du régime douanier préférentiel (le programme d'achat de matériel doit être approuvé) ; ou encore la faculté d'accorder un régime préférentiel à une entreprise qui investit dans un secteur autre que ceux inclus dans la liste. La perception qu'ont les investisseurs sérieux d'un niveau de corruption élevé dans un pays est un facteur important dans leur décision de ne pas y investir. Toute opportunité de corruption générée par des dispositions légales laissant une marge d'appréciation discrétionnaire trop importante aux administrations doit donc être éliminée pour le bien du pays et pour l'objectif de promotion de l'investissement. 21. Risque de distorsions dans l'économie : les divers régimes d'exonérations fiscales sont susceptibles de générer d'importantes distorsions dans l'économie nationale (entre secteurs, entre entreprises d'un même secteur dont certaines bénéficient d'incitations et d'autres qui n'en ont pas, etc. Des entreprises déjà établies et soumises à l'impôt peuvent souffrir de la « concurrence déloyale » de nouveaux entrants jouissant de ces exonérations et dont les coûts de revient ne sont donc pas les mêmes. Cela pose de toute évidence un sérieux problème d'équité. Ces distorsions ne sont certainement pas le but recherché. 22. Etant donné que les exonérations fiscales « récompensent » en pratique l'acte de création d'une entreprise plutôt que la réalisation d'un investissement, les secteurs à haute intensité en capital risquent d'être pénalisés par ces régimes préférentiels. 11 23. Risque de fraude fiscale important : d'après l'Article 32, les entreprises dans le Régime B sont exonérées de la taxe sur le chiffre d'affaires pour les produits vendus sur le marché national. Mais elles restent soumises à la taxe sur la consommation intérieure. Ceci est conçu comme un avantage fiscal pour les entreprises se trouvant sous le régime préférentiel. Cette disposition place toutefois les entreprises du Régime B dans une position très avantageuse par rapport aux autres entreprises opérant sur le marché interne et est aussi susceptible de conduire des entreprises locales à la faillite que d'amener à la création de nouvelles entreprises. Cette source de désavantage compétitif pour les entreprises nationales hors régime incitatif ne peut que générer des ressentiments de leur part et les inciter à s'écarter du respect des règles fiscales de droit commun. B. Commentaires additionnels sur certains des régimes et incitations proposés 24. Régime A (régime des PME) : une des conditions d'éligibilité est que les fonds propres soient inférieurs ou égaux à 100 millions de francs comoriens. Que se passera t'il si ces fonds propres viennent à augmenter après l'octroi du régime A, à la faveur du développement de l'entreprise ? Perdra t'elle le bénéfice de ce régime ? Voici un nouvel exemple qui illustre notre propos sur la difficulté qu'il y aura pour l'administration à mettre en oeuvre et contrôler ces régimes incitatifs complexes. L'art. 27 qui précise quelles sont les incitations offertes aux entreprises dans le cadre du Régime A est particulièrement long et complexe. Il semble proposer des incitations redondantes ou recoupant celles déjà proposées à un autre titre (par exemple au titre de la décentralisation). 25. Régime C (régimes des entreprises tournées vers l'export): l'art. 35 signifie que pour pouvoir prétendre au bénéfice de ce régime une entreprise doit exporter au moins 80% de sa production. Deux remarques : du fait des incitations dont ces firmes bénéficient, les 20% de la production qui seront écoulées sur le marché local placeront les firmes locales (sans incitations comparables) dans une situation concurrentielle très défavorable. De plus, et bien que les Comores ne soient peut être pas concernées à l'heure actuelle, le gouvernement doit être conscient que les incitations liées à l'exportation (à travers l'exigence d'exportation d'une partie de la production) sont actuellement combattues par l'Union Européenne et l'OMC au titre des subventions à l'exportation et des aides sectorielles. La tendance internationale est de s'éloigner de toute incitation réservée directement ou indirectement aux exportateurs ou à un secteur particulier de l'économie pour aller vers des incitations communes à toutes les entreprises, exportatrices ou non, quelles que soient les secteurs où elles opèrent. Le calcul de l'exonération (art. 37) est également fort complexe. 26. Régime D : la durée du régime est fixée à 20 ans, ce qui parait extraordinairement et inutilement long. Aucun projet d'investissement n'a vraiment besoin d'une exonération d'IS (même partielle) pendant 20 ans pour être rentable ; à moins que la stratégie ne soit de promouvoir, faire naître et perdurer artificiellement des projets qui ne sont pas viable/rentables par nature (et n'auraient donc pas du voir le jour). 12 27. Exonération de la taxe professionnelle : cette exonération sera certainement appréciée par les investisseurs, dans la mesure où il s'agit d'une taxe directe sur la valeur de location présumée des biens de capital. En outre cette valeur présumée est souvent déterminée de façon arbitraire (cf. Madagascar) ce qui est une source supplémentaire de corruption potentielle. L'exonération de l'impôt minimum sur les profits est aussi une incitation utile pour encourager l'investissement car ces firmes peuvent se trouver en situation de pertes au début du projet (ce qui confirme d'ailleurs l'inutilité pour elles de l'exemption d'IS dans les premières années : ne faisant pas de profit, l'exemption d'IS est sans impact pour elles en tout cas dans les premiers exercices qui sont souvent déficitaires). 28. Réduction des droits de douane : dans le régime de droit commun, une des incitations prévue (ou reprise) par l'avant-projet prévoit (art. 10) consiste en l'application d'un taux réduit (à 5%) des droits de douane et taxes perçues à l'importation de matériels utiles au projet. Cet article figurant dans le Livre 1 (régime de droit commun), on peut en déduire que ce régime douanier préférentiel n'est pas réservé aux entreprises qui bénéficient d'un agrément pour l'octroi d'un des quatre régimes privilégiés mais qu'il est accessible à tous les investisseurs. Ce type d'instrument est également une incitation utile et appréciée des investisseurs mais il pourrait être plus judicieux de réduire le taux à zéro tout en restreignant son application aux entreprises établies dans un régime de zone franche (du type EPZ) ou en adoptant un système généralisé de restitution de droit (duty drawback). Un autre inconvénient du mécanisme proposé ici est que l'investisseur doit soumettre son programme d'équipement à l'approbation préalable du gouvernement. Outre qu'il est souvent difficile pour les investisseurs de prévoir avec exactitude ex ante tous les équipements qu'ils auront besoin d'importer pendant la durée de vie du projet, la nature discrétionnaire de cette approbation constitue une opportunité de corruption supplémentaire et inutile. 29. Incitations régionales : afin d'encourager les investisseurs à investir dans les régions moins développées ou les zones rurales de l'Union (décentralisation), l'avant projet prévoit dans les articles 21-24 une organisation du territoire en cinq zones avec des incitations spécifiques par zone (aide à l'implantation, exonération de la TCA, détaxe sur les carburants. Cette composante du dispositif n'appelle pas de commentaires particuliers. De nombreux pays, unitaires ou fédéraux, ont utilisé ces incitations régionales. Elles sont moins condamnables et plus compréhensibles que les incitations sectorielles et les exonérations fiscales générales mais elles ont souvent donné des résultats décevants. L'expérience montre que l'investisseur étranger veut choisir librement le site de son implantation (dans le respect des règlementations en vigueur), sur la base de critères rationnels qui lui sont propres, et qu'il est donc peu sensible à ces incitations « régionales ». Très souvent cet investisseur préfère être dans la capitale ou à proximité car c'est souvent là que sont situés ses clients, ses partenaires, ses fournisseurs, ses interlocuteurs gouvernementaux, les infrastructures de transport dont il a besoin (port, aéroport) pour importer ou exporter, les sources d'approvisionnement en énergie et matières premières, les travailleurs qualifiés, les meilleurs établissements scolaires et hospitaliers, etc. Nous ne portons pas de jugement de valeur sur le comportement de 13 l'investisseur ; nous en faisons seulement part aux autorités sur la base de notre expérience. 30. Trois avantages économiques très discutables: · Concours des institutions financières : l'article 17 dispose que les entreprises agréées (à l'un des régimes privilégiés) disposent d'un accès préférentiel au concours de la Banque de Développement des Comores (BDC) et des autres institutions financières. Cette disposition est peu claire et relativement inquiétante. S'agit-il d'accorder des subventions aux investisseurs par l'intermédiaire de la BDC? Des crédits à taux et conditions préférentiels ? La référence aux « autres institutions financières » est préoccupante. Ce terme est vague : il peut comprendre toutes les banques commerciales et d'investissement opérant sur le territoire, les compagnies d'assurance, voire les organismes internationaux tels que la Banque mondiale (qui est une « institution financière »). Peut-on unilatéralement engager, voire contraindre, tous les organismes et institutions financières à apporter leur concours (dans des conditions qui ne sont pas définies) de façon préférentielle à certains investisseurs plutôt qu'à d'autres? Outre que les « institutions financières » semblent être engagées malgré elles, par un acte unilatéral du gouvernement, cette incitation pose une fois de plus des questions de traitement équitable entre opérateurs et d'allocation raisonnable des deniers publics (les subventions). · Accès aux devises: l'article 18 prévoit que les entreprises agréées pourront obtenir des devises en vue de l'achat des équipements et matières premières nécessaires à leurs activités. Ceci sous-entend que les entreprises non agréées (ne bénéficiant pas d'un des quatre régimes préférentiels) ne le peuvent pas, ce qui est de toute évidence une contrainte majeure pour la croissance des entreprises dans une économie. L'accès aux devises devrait être garanti à toutes les entreprises. · Protection contre la concurrence : l'article 19 indique que les entreprises agréées peuvent bénéficier (ce n'est pas automatique mais c'est possible) de restrictions quantitatives temporaires à l'importation des marchandises similaires concurrentes en provenance des pays autres que ceux qui font l'objet d'un traité. Cette disposition est très surprenante, constitue une mesure protectionniste qui heurte la liberté du commerce, place les entreprises agréées (et qui sont donc déjà favorisées par rapport aux entreprises non agréées, par le jeu des incitations généreuses décrites dans le rapport) dans une situation excessivement et artificiellement compétitive. Elle les place dans une situation de rente et ne les incite pas à chercher une compétitivité accrue par la recherche et le développement, de meilleures pratiques industrielles ou managériales, etc. En fin de compte cette pratique pénalisera à la fois le consommateur national (par l'augmentation des prix dans une situation de moindre concurrence) et les entreprises agréés qui sont censées bénéficier de cette « incitation ». La compatibilité de cette disposition avec le droit du commerce international et les 14 engagements bilatéraux, régionaux, ou multilatéraux souscrits par les Comores est à examiner avec attention et pourrait être une source de contentieux. 31. Incitations à caractère social: en sus des exonérations d'IS et autres incitations, l'avant- projet prévoit des « avantages sociaux » pour les entreprises agréées à l'un des quatre régimes. Ces avantages sont directement liés au recrutement d'employés nationaux puisque c'est l'un des critères retenus pour l'éligibilité aux quatre régimes (le nombre de salariés à recruter varie de 5 à 50 selon les régimes). L'avantage accordé est en fait double : 1) l'application d'un taux réduit pour la taxe sur les salaires et 2) une aide à la création d'emploi (égale à 50% de la masse salariale versée aux employés comoriens ; cette aide n'est pas une aide versée directement à l'entreprise ; celle-ci peut déduire de son revenu imposable la somme ainsi obtenue. La première remarque est que le mode de calcul de cet avantage n'est pas très clair. La seconde est que les réductions de charges sociales sont assez fréquentes mais il n'y a aucune raison de la limiter aux entreprises bénéficiant d'un des régimes préférentiels. Pour inciter les entreprises à offrir une formation professionnelle continue à leurs employés, la déductibilité des dépenses de formation devrait, si ce n'est pas déjà le cas, être prévue dans la réglementation fiscale et comptable de droit commun, applicable à toutes les entreprises sans restriction. C. Recommandations relatives au système d'incitations 32. Les nombreuses études réalisées par la Banque mondiale et d'autres organismes publics et privés sur les déterminants de l'investissement ont montré que les facteurs les plus attractifs pour les investisseurs incluent l'infrastructure de qualité, l'accès aux marchés, la disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée, le respect des contrats et des droits de propriété, et la stabilité politique et réglementaire. En matière fiscale, un engagement de longue durée du gouvernement en faveur d'une fiscalité modérée, simple, plus compétitive serait une option stratégique plus appréciée par les investisseurs, en tout cas par les investisseurs sérieux qui sont, par définition, ceux que les Comores souhaitent attirer. Une marge de réduction de la pression fiscale semble a priori possible puisque le taux de l'impôt sur sociétés (Impôt sur les Bénéfices Divers ou IBD) aux Comores est de 35% ce qui est assez élevé internationalement et même régionalement (le taux moyen des pays de la zone SADC est de 30%). 33. L'instabilité politique fait que les investisseurs étrangers ne vont pas accorder une grande valeur aux exonérations de longue durée qui sont proposées ici. Les investissements qui vont être réalisés l'auraient probablement été en l'absence des exonérations, entrainant une perte de revenus dont le gouvernement aurait pu faire l'économie. 34. D'autres formes d'incitations telles que les crédits d'impôt ou l'amortissement accéléré ont un attrait similaire aux exonérations temporaires sans peser autant sur les finances publiques. En résumé l'amortissement accéléré présente le mérite de ne pas discriminer entre entreprises nouvelles et existantes puisque cet instrument a l'avantage de cibler l'investissement plutôt que la création d'entreprise. En outre ce mécanisme a 15 l'avantage d'utiliser la comptabilité d'entreprise telle qu'elle existe, et est relativement simple à gérer pour l'Etat. Un deuxième instrument consisterait dans le crédit d'impôt: dans ce système tout ou partie de la valeur de l'investissement peut être déduit du montant d'impôt à payer (ou de l'assiette fiscale). L'amortissement accéléré et le crédit d'investissement reposent sur les mêmes principes et leur adoption doit normalement dépendre des pratiques comptables en vigueur dans le pays et de la capacité de l'administration fiscale à les administrer. Nous présentons ci-dessous deux articles extraits de Code des Impôts nationaux, qui illustrent l'utilisation d'un crédit d'investissement et d'amortissement accéléré (n'ayant pas reçu comme mandat d'examiner la fiscalité des affaires du pays nous ne savons pas si ces instruments existent déjà ; nous espérons néanmoins que ces informations seront utiles): Crédit d'Investissement (Adapté du Code Fiscal du Mali) : « L'investisseur, titulaire d'agrément dans le présent Code, est autorisé à déduire tout ou une partie des ses investissements, du bénéfice imposable. Le montant des déductions autorisé ne peut cependant pas excéder, par année d'exercice fiscal, 50 % du montant total du bénéfice imposable. Ces déductions peuvent s'étaler sur 5 exercices fiscaux successifs. Si le crédit d'impôt n'a pas pu être utilisé sur cette période, cette dernière ne saurait être prolongée, et en aucun cas l'Etat remboursera à l'entreprise le montant du crédit qui n'a pas été utilisé ». Amortissement accéléré : (Extraits Article 7 du Code Fiscal du Sénégal): « Pourront toutefois faire l'objet d'un amortissement accéléré, les matériels et outillages (...) à condition d'être normalement utilisables pendant au moins cinq ans (...). Le taux applicable pour le calcul de l'amortissement dégressif est obtenu en multipliant le taux d'amortissement linéaire correspondant à la durée normale d'utilisation du bien, par un coefficient fixé à 2 lorsque la durée normale d'utilisation est de cinq ans et à 2,5 lorsque cette durée est supérieure à cinq ans. » 35. Enfin, en ce qui concerne l'objectif (légitime) de décentralisation, il nous semble que des investissements significatifs dans les infrastructures (santé, éducation, transport, énergie...) des régions éloignées ou défavorisées constitueraient probablement une incitation plus effective à s'y implanter que toute incitation financière ou fiscale qui pourrait être offerte en l'absence de telles améliorations. 16 IV. Garanties Juridiques et Cadre Institutionnel A. Garanties Juridiques 36. Outre les incitations à l'investissement, qui constituent comme nous l'avons regretté en introduction, l'élément central de cet avant-projet (ce qui explique la part importante réservée à cette question dans nos commentaires), le document comprend un certain nombre de dispositions visant à offrir des garanties aux investisseurs étrangers telles que : · Liberté d'investir (article 2) · Le traitement non discriminatoire (déduit des articles 5 à 8) · La garantie de transfert (ou rapatriement) des profits et produits de la liquidation (article 4) · La stabilité des régimes incitatifs · Le règlement des litiges (procédure d'arbitrage international). 37. Offrir des garanties juridiques solides aux investisseurs est une des meilleures utilisations qui peut être faite d'un Code d'Investissement. Le FIAS aurait préféré que cet aspect du Code reçoive une attention plus grande, pour acquérir une prééminence dans l'avant projet de loi, de préférence aux mesures d'incitations notamment fiscales. Dans une perspective de promotion de l'investissement privé, de solides garanties juridiques de nature à rassurer les investisseurs, notamment les investisseurs étrangers, sont une incitation à investir plus forte que toute mesure d'exonération fiscale, à condition évidemment que le gouvernement prenne toutes les mesures appropriées pour que ces garanties reçoivent dans les faits une application effective. 38. Deux remarques s'imposent en ce qui concerne les garanties offertes aux investisseurs : certaines garanties semblent faire défaut et d'autres doivent être impérativement clarifiées, précisées : · Garantie à ajouter : au moins une garantie fondamentale aux yeux des investisseurs, notamment des investisseurs étrangers, semble faire défaut et devrait être ajoutée: la protection contre le risque d'expropriation (réquisition ou nationalisation). Il ne s'agit pas d'interdire l'expropriation, qui est possible dans tous les pays, mais de l'encadrer par certains principes essentiels et bien connus. Le principe général en matière de protection des investissements étrangers est que le pays d'accueil ne peut, directement ou indirectement, exproprier ou nationaliser un investissement étranger que lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies : a) un impératif d'intérêt général ou public ; 17 b) le respect absolu des procédures juridiques ; c) l'absence de discrimination en fonction de la nationalité de l'investisseur et d) le versement d'une indemnisation `appropriée'. Une indemnisation est considérée appropriée lorsqu'elle est adéquate, prompte, et effective. Même si cette garantie était 2 déjà consacrée dans la Constitution ou une loi particulière du pays, il serait judicieux d'en faire mention dans le Code d'Investissement, celui-ci étant un outil très utile pour rassurer les investisseurs potentiels sur le traitement qui leur sera réservé. Garanties à clarifier : · Le principe de liberté d'investir affirmé à l'article 2 repose sur une intention louable mais peut être trompeur. Dans tous pays des restrictions existent à l'investissement dans certains secteurs d'activité. Certains secteurs sont totalement fermés à l'investissement privé (monopole d'Etat) qu'il soit local ou étranger. D'autres secteurs peuvent parfois être réservés à l'investissement de source nationale (publique et privée) ce qui pose un problème de discrimination des investisseurs étrangers par rapport aux investisseurs privés locaux. Dans d'autres secteurs enfin, l'investissement privé (y compris étranger) est permis mais soumis à une procédure et une réglementation particulière, avec souvent une autorisation préalable. C'est souvent le cas de l'investissement dans les secteurs bancaires et financier, des télécommunications, des mines, etc. Il aurait été utile de préciser les secteurs où ce type de restrictions existe. Certains Code le font au travers des définitions ; d'autres par l'insertion d'un principe similaire à celui de l'article 2 mais complété « l'investissement privé, national et étranger, est libre dans tous les secteurs sauf dans les secteurs figurant sur la liste négative annexée à la présente loi ». L'investisseur sait avec certitude où il peut et ne peut pas investir. Le système de liste négative annexée au Code (souvent avec valeur de décret) plutôt qu'inclus directement dans le texte de la loi permet aussi une révision plus facile au fur et à mesure où les secteurs sont libéralisés et ouverts à l'investissement. 2 - Indemnisation adéquate : une indemnisation est adéquate si elle reflète la valeur qu'avait l'entreprise ou le projet sur le marché (`fair market value') avant la mesure de nationalisation ou d'expropriation. Cette valeur équitable de marché est la somme qu'un acheteur serait prêt à payer pour devenir propriétaire des actifs ou de l'investissement en question. A défaut d'acheteur potentiel, la jurisprudence (d'Etat ou arbitrale) utilise le concept de `going concern value' dans le cas d'une entreprise profitable ou la valeur de liquidation dans le cas d'investissements non rentables. - Indemnisation prompte : une indemnisation `adéquate' par rapport au préjudice subi mais qui est versée 10 ans après la réalisation de la mesure d'expropriation ou de nationalisation ne peut évidemment pas être considérée comme juste et équitable. - Indemnisation effective : une indemnisation est effective quand elle est payée dans une devise qui peut être librement convertie, ou qui est considérée comme librement utilisable par le FMI, ou qui est considérée comme acceptable par l'investisseur. 18 · La disposition relative au règlement des différends3 repose elle aussi sur une intention louable - garantir l'accès à la conciliation et à l'arbitrage international - mais pourrait être rédigée plus clairement. Il est à noter que si les investisseurs internationaux ont une très forte préférence pour l'arbitrage international, le recours à l'arbitrage national et aux tribunaux nationaux (Comoriens) n'est pas forcément à écarter. Cela doit être une des options offertes au consentement des parties. L'essentiel est de fournir plusieurs options à l'investisseur à travers cet article du Code. · La garantie de non-discrimination : elle peut être en partie déduite des articles 5 à 8 du projet. Toutefois une clause plus explicite garantissant le traitement national et la non-discrimination aux investisseurs étrangers pourrait être incluse afin de mieux servir l'objectif de promotion qui est celui du gouvernement. · Le rapatriement des capitaux (art. 4) : de nouveau, l'insertion de ce principe par les autorités est un élément positif. Toutefois la meilleure pratique internationale va plus loin que ce qui est prévu ici : elle garantit à l'investisseur le droit de transfert sans aucune restriction, dans la monnaie et vers le pays librement choisis par l'investisseur. Dans l'hypothèse où ce principe heurterait la réglementation des changes ou les pratiques monétaires du pays (que nous n'avons pas eu l'occasion d'examiner), celles-ci devraient sans doute être changées en étroite concertation avec le FMI et la Banque mondiale. B. Cadre Institutionnel et Procédure d'Investissement 39. En ce qui concerne le cadre institutionnel, l'avant projet annonce la création prochaine, par une loi séparée, d'un organisme spécialisé dont la vocation sera d'être « le promoteur et le coordinateur unique de l'action publique en faveur de l'investissement » : le Centre Comorien de Promotion des Investissements (ou CCPI). Une Commission Nationale des Investissements (CNI) doit également « statuer auprès et dans le cadre du CCPI ». Enfin, l'exposé des motifs de l'avant-projet précise qu'un département "Guichet Unique" sera créé au sein du CCPI pour faciliter la création d'entreprises et la procédure d'octroi des régimes préférentiels. 40. Commentaires : le cadre institutionnel est encore en évolution, donc incertain, puisque le CCPI doit encore être créé par une loi et mis en place. Au-delà de son statut (établissement public administratif) et de sa mission générale telle qu'annoncée dans le projet de Code d'Investissement, sa structure, son fonctionnement, son financement, le contenu exact de ses attributions ne nous sont pas encore connus. Il faudra donc attendre le projet de loi relatif au CCPI, et éventuellement son décret d'application, pour pouvoir 3Incorrectement référencé comme l'Article 48 dans la version qui nous a été remise. Notons que, à partir du Titre 4, les numéros des articles sont incorrects. La clause qui suit l'article 45 porte le numéro 42 et ainsi de suite. 19 formuler des commentaires précis sur le cadre institutionnel de l'investissement. Toutefois, et dans l'espoir d'aider le gouvernement dans le processus de définition du cadre institutionnel qui est en cours, nous souhaitons offrir quelques observations préliminaires: · Séquence : il aurait été préférable que le projet de loi sur le CCPI soit présenté en même temps que celui sur le Code d'Investissement. Ce dernier faisant référence à une institution qui reste à créer, une incertitude dont on aurait pu faire l'économie en résulte naturellement. Il serait sans doute judicieux de surseoir à l'adoption du projet de Code d'Investissement afin de préparer l'autre projet de loi et de les présenter en même temps à l'examen du Gouvernement et du Parlement. Si le Code d'Investissement était approuvé avant la nouvelle loi sur le CCPI, une incertitude sur la procédure d'investissement et d'octroi des incitations en résulterait nécessairement. · Guichet unique : le concept de Guichet Unique relève d'une volonté louable de la part des autorités : faciliter les procédures d'investissement en donnant un interlocuteur unique aux investisseurs au sein de l'administration. Toutefois les autorités doivent être conscientes du fait que le concept a été très largement expérimenté par de nombreux pays en développement et en transition, y compris de nombreux pays d'Afrique, et que les cas d'échec sont beaucoup plus nombreux que les cas de succès. En fait nous n'avons pas encore rencontré de guichet unique qui joue entièrement le rôle souhaité par les gouvernements qui les ont crées. Quelques uns rendent quelques services. La grande majorité sont des échecs flagrants, reconnus par les officiels eux-mêmes, y compris dans des pays à revenu et capacité institutionnelle plus élevés que l'Union des Comores. Dans de nombreux cas le guichet unique représente une étape supplémentaire pour l'investisseur. Une des raisons principales de l'échec est que les administrations impliquées dans la délivrance des divers permis, autorisations, licences, et enregistrements nécessaires (administration du travail, sécurité sociale, administration fiscale, statistique, registre du commerce et des sociétés, cadastre, municipalités, ministères sectoriels pour les licences, pour ne citer que quelques uns des acteurs impliqués dans le processus) refusent de se dessaisir de ces attributions (et revenus qui en découlent souvent) et/ou refusent de nommer des représentants au sein du guichet unique, avec délégation de signature et pouvoir nécessaire pour accorder les autorisations ou permis sur place. Un second facteur d'échec de ce concept dans nombreux pays où nous avons travaillé est l'absence de simplification préalable des procédures administratives d'investissement (avant la création du Guichet). Un Guichet unique qui doit « faciliter » un grand nombre de procédures administratives, mettant en jeu des institutions nombreuses et des procédures complexes, court un risque d'échec très élevé. Ce thème mériterait de plus amples discussions avec le gouvernement. Le concept étant annoncé dans le projet de Code, nous voulions simplement attirer l'attention des autorités sur les limites, les facteurs de succès et d'échec de cette formule. 20 · Sur la procédure d'octroi des incitations: malgré ce qui est annoncé dans l'exposé des motifs de l'avant projet, la procédure nous semble excessivement complexe ainsi que nous allons le voir: a) Dépôt de la demande : les demandes d'agrément sont à déposer auprès de deux institutions : le Ministère de l'Economie, du Commerce Extérieur de la Promotion Industrielle et de l'Emploi (Direction Générale des Affaires Economiques ou DGAE), d'une part, et le CCPI, d'autre part. Ceci pose une première série de problèmes : tout d'abord le CCPI reste à créer selon l'avant projet. Si le Code d'investissement est adopté et entre en vigueur avant que le CCPI ne soit mis en place de façon effective, comment déposer un dossier auprès d'une institution qui n'existe pas encore ? Deuxième question : l'investisseur doit-il obligatoirement déposer deux dossiers, un auprès de chaque entité (DGAE et CCPI), ou peut-il choisir de s'adresser à une seule de ces deux institutions (qui communiquerait copie du dossier à l'autre)? b) Contenu du dossier : cet élément important est encore inconnu puisque ceci doit faire l'objet d'un arrêté ministériel (non fourni). c) Instruction : elle semble devoir être faite conjointement par la DGAE et le CCPI (comment ?) qui devront consulter le Ministère des Finances et du Budget ainsi que tout ministère technique concerné (selon le secteur de l'investissement, tourisme, mines, agriculture, etc.). L'avis de la Commission Nationale de l'Investissement (CNI) est requis dans certains cas. Mais d'une part ces cas ne sont pas encore très clairement définis, et d'autre part l'on ne sait pas non plus si la DGAE et/ou le CCPI peuvent passer outre c'est-à-dire accorder l'agrément malgré un avis négatif de la CNI ou au contraire rejeter une demande d'agrément malgré l'avis positif de la CNI. On ne sait pas non plus ce qu'il adviendrait en cas de désaccord entre la DGAE et le CCPI qui sont censés instruire conjointement le dossier. Si l'un des deux organismes veut accorder l'agrément et l'autre le refuser, que se passera t'il ? La décision sera-t-elle prise par la CNI ? Par « arbitrage » du ministre ? Autrement ? Dans quel délai ? d) Interaction avec l'investisseur et délais: avant que la décision d'agrément ne soit rendue, des compléments d'information peuvent être demandés à l'investisseur. Combien ? Dans quelles limites ? Quant aux délais, une référence explicite à la nécessité de fournir une réponse rapide à l'investisseur (dans un délai maximum de 7 à 30 jours) est faite dans l'exposé des motifs mais outre que la « fourchette » est assez large, ce délai n'est pas repris dans le corps de la loi. e) Décision : elle est rendue par arrêté ministériel. La complexité de la procédure pour octroyer à l'investisseur le régime incitatif auquel il postule, illustre et confirme un de nos principaux arguments à l'encontre des incitations proposées dans l'avant projet: ces incitations seront complexes et coûteuses à gérer pour l'administration, source d'incertitude pour l'investisseur, et 21 source de discrétion. A contrario, si les incitations étaient limitées (comme nous le suggérons) à l'amortissement accéléré et au crédit d'impôt, la procédure d'agrément proposée ici n'aurait pas lieu d'être. L'administration fiscale ferait son travail en appliquant les nouveaux textes instituant ces deux mécanismes (s'ils n'existent pas déjà). Une grande partie des ressources et des efforts consacrés à la création du CCPI et à l'articulation de ses compétences avec la CNI, la DGAE, les ministères techniques, etc., pourrait alors être affecté soit aux activités de réforme du climat de l'investissement en général soit à la réforme de la fiscalité des affaires pour la rendre plus compétitive. 41. Le mécanisme des Conventions d'Etablissement : avant de passer à la conclusion, il nous parait utile de consacrer, dans le cadre de cette section du rapport sur la procédure d'agrément, quelques remarques aux Conventions d'Etablissement. Ce mécanisme contractuel prévu par l'avant-projet est un système très critiqué et controversé, bien que largement pratiqué. Il implique en effet une forte part d'arbitraire et de rupture d'équité et de la concurrence. Ce mécanisme permet en fait au gouvernement et à l'investisseur de négocier au cas par cas les avantages (incitations) qui seront accordés à l'investisseur et qui peuvent donc déroger à ce qui est prévu dans la loi. Parant, il n'existe aucune assurance que tous les projets, présents et à venir, recevront le même traitement. Au contraire, dans un tel système, il est probable que des investisseurs qui se trouvent dans des situations similaires, recevront des conditions et des incitations différentes, voire radicalement différentes, ce qui pose une fois de plus une question d'équité, d'égalité de traitement, et de concurrence loyale. Ces différences de traitement impliquent, au minimum, des choix sectoriels de la part du gouvernement. Ce mécanisme contractuel ne peut donc que renforcer l'incertitude de l'environnement juridique et fiscal, tout en étant fortement consommateur de ressources administratives (pour négocier l'accord puis en contrôler l'application dans le temps). 22 Conclusions 42. L'avant projet de loi que nous avons eu l'opportunité d'examiner en détail, bien que partant d'intentions louables et légitimes, ne nous paraît pas satisfaisant à plusieurs égards. 43. Le projet de texte porte essentiellement sur les incitations fiscales et financières à l'investissement, au détriment des garanties juridiques sur le traitement des investisseurs, qui aurait, selon nous, méritées de recevoir une attention accrue de la part du gouvernement. D'ailleurs certaines garanties importantes, voire fondamentales pour les investisseurs, font défaut ou devraient être clarifiées dans l'avant projet. 44. En ce qui concerne les incitations, l'avant projet propose, en vue d'encourager l'investissement national et étranger aux Comores, des mesures incitatives qui nous paraissent excessivement généreuses et compliquées. Le recours aux exonérations fiscales de longue durée est une option tactique peu efficace pour atteindre les objectifs recherchés qui, eux, sont parfaitement légitimes et appropriés. Cette option comporte en effet de nombreux risques et inconvénients très significatifs (mis en lumière dans nos commentaires avec de nombreux exemples concrets) et dont l'efficacité pour attirer les investisseurs reste à démontrer. Les exonérations récompensent la création de sociétés mais pas l'investissement en tant que tel ; elles emportent un coût élevé sur le plan des finances publiques, et sont difficiles à gérer et à contrôler (là aussi avec un coût administratif significatif). Elles sont sources de distorsions dans l'économie. De plus elles impliquent des appréciations discrétionnaires par des fonctionnaires ce qui ouvre la porte aux abus, au favoritisme, et à la corruption. 45. Une stratégie plus saine, équilibrée et conforme aux développements récents dans le monde, en Afrique, et dans les pays SADC, consisterait à mettre en place une fiscalité de droit commun compétitive, avec un nombre d'impôts et taxes réduits, des taux d'I.S. plus bas et applicables à tous les secteurs, des procédures fiscales simples et transparentes, mises en oeuvre par une administration fiscale intègre et compétente. Un tel dispositif serait très incitatif et pourrait éventuellement être complétée par quelques incitations telles que les crédits d'impôt ou l'amortissement accéléré. Le régime fiscal doit être rendu suffisamment attractif pour que les régimes dérogatoires (et en particuliers les exonérations d'impôts) deviennent superflus. Dans un tel système la procédure d'agrément n'a plus de raison d'être, ce qui peut permettre de simplifier considérablement le cadre institutionnel et les procédures d'investissement. 46. La réforme du Code d'investissement doit nécessairement s'inscrire dans une amélioration de la fiscalité de droit commun. Le FIAS pourrait, si les autorités le souhaitent, effectuer une revue plus détaillée de la fiscalité des affaires, qui permettrait de calculer le taux effectif d'imposition en général et par secteur, et ainsi de comparer la fiscalité des affaires des Comores avec celles d'autres pays d'Afrique et de la région, puis de formuler des options et scénarios possibles pour rendre cette fiscalité plus compétitive, sans recours aux formes d'incitations les plus néfastes pour le développement du pays. Le FIAS fournit actuellement cette assistance à plusieurs pays, dont Madagascar. 23 Equipe FIAS Directeur de l'Etude : Xavier Forneris, Conseiller Senior Membre de l'Equipe : Jean-François Wen, Consultant international Coordinateur Régional : Richard Stern, Coordinateur du Programme Afrique Pour toute information ou clarification: xforneris@ifc.org 24